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Le numéro spécial de l’année 2015 de la revue, consacré aux pointes de pollution1, confirmait que les épisodes printaniers les plus spectaculaires affectaient non seulement les villes mais également les espaces ruraux, en raison de l’importance des transferts de polluants. En outre, la genèse de ces pointes ne s’explique pas uniquement par les émissions liées à la circulation automobile mais également par la présence de particules secondaires, en particulier de nitrate d’ammonium, au moment des épandages d’engrais. Selon L. Charles, « cette récente mise en lumière des pollutions d’origine agricole a constitué, comme souvent en France, un révélateur de ce qu’il existait un autre champ de la pollution atmosphérique, lié à l’activité agricole, davantage identifié jusque-là comme susceptible d’affecter davantage les eaux que l’air, et qui n’avait guère été pris en considération ». On peut aussi évoquer les tensions récurrentes liées à l’usage des pesticides pour les agriculteurs et les risques sanitaires que ceux-ci présentent, soulignés une nouvelle fois par le récent rapport de l’ANSES (juillet 2016)2. Les institutions (MEDDE, ADEME, MAAF), que nous remercions pour avoir soutenu ce numéro, expriment dans l’éditorial qu’elles ont eu l’amabilité de rédiger combien les pouvoirs publics ont pris en compte ce lien entre pollution atmosphérique et agriculture.

En proposant un numéro spécial de la revue Pollution Atmosphérique, climat, santé, société sur la relation entre agriculture et qualité de l’air, le conseil scientifique a donné l’occasion d’éclairer, à travers le prisme de l’agriculture, la complexité de l’appréhension et de la gestion de la pollution atmosphérique, qui nécessite une réflexion pluridisciplinaire et une ouverture vers l’ensemble de la société. En effet, comme le souligne l’éditorial, les connaissances sur le lien entre agriculture et qualité de l’air sont encore insuffisantes, même si les perturbations du cycle de l’azote par l’utilisation massive d’engrais chimiques depuis la Seconde Guerre mondiale sont connues. Le rôle de l’agriculture (épandages d’engrais et de pesticides) dans la genèse des particules secondaires est mis en évidence (B. Bessagnet, S. Gernemont). La complexité de la chimie atmosphérique permet d’expliquer la formation de l’ozone, que P. Stella rappelle rapidement. À cet égard, M. Millet et C. Bedos évoquent la question des produits phytosanitaires dont les AASQA (Associations Agréées de Surveillance de la Qualité de l’Air) ont mesuré les résidus dans l’atmosphère. Les produits utilisés, leurs dérivés et leurs substituts sont difficiles à déceler dans le compartiment aérien et posent la question de la connaissance des émissions en relation aux pratiques agricoles : nature des produits et périodes d’épandage. E. Mathias rappelle la difficulté rencontrée par le CITEPA (Centre Interprofessionnel Technique d'Études de la Pollution Atmosphérique) pour établir un inventaire précis des émissions responsables de la genèse des principaux polluants rencontrés dans l’atmosphère. En outre, M. Hassouna insiste sur la spécificité de l’évaluation des émissions d’origine agricole, car l’élevage peut émettre de l’ammoniac et des produits azotés dans les bâtiments, lors de l’épandage du lisier ou dans le stockage des produits.

Si les activités agricoles sont responsables d’un certain nombre d’émissions – et surtout de l’ammoniac NH3 émis à 98 % par le secteur agricole – les espaces ruraux sont aussi impactés par des polluants transportés par les masses d’air de la ville vers la campagne, et dans les villes, on peut retrouver des substances émises dans les zones agricoles. Ces mécanismes liés au transfert des masses d’air étaient déjà connus pour l’ozone mais ont été plus récemment découverts pour les particules. L’alerte donnée par le dépérissement forestier au milieu des années 1980, décrite par G. Landmann et P. Coddeville et al., a permis de montrer combien la pollution peut voyager et impacter l’ensemble des territoires de la planète. Les retombées atmosphériques, évaluées à partir du réseau Mera et présentées par P. Coddeville, s’accumulent préférentiellement sur les sommets les plus exposés aux vents marins. La surveillance ainsi développée dans ces espaces reculés avait pour objectif d’évaluer le dépérissement de la végétation à travers la notion de charge critique, qui rend compte des effets de l’exposition des végétaux à la pollution de l’air. Cependant la diversité de ces espaces ruraux est forte : certains relèvent de la « France du vide », d’autres, situés à proximité des agglomérations ou dans des zones touristiques, sont très peuplés. L’étude récente de l’institut de santé publique3 compte, pour l’espace rural, 8 000 décès par an attribuables à la pollution atmosphérique qui, après avoir été considérée comme industrielle puis urbaine, n’épargne aucun territoire. Ainsi, la réalité de l’exposition des habitants des espaces ruraux, longtemps considérés comme les « poumons verts de la ville » est-elle difficile à établir (P. Stella, I. Roussel), en raison des échanges de masses d’air, de la diversité des activités et de la variété des émissions, souvent saisonnières et intermittentes. Dans ces espaces, la pollution atmosphérique, au-delà de la charge critique, perturbe les mécanismes du vivant et contribue au dépérissement de certains végétaux ou à la baisse des rendements agricoles. Ainsi, la pollution atmosphérique a des répercussions économiques tangibles, soulignées par J.-F. Castell, sans oublier les conséquences économiques des risques sanitaires identifiés dans les campagnes. La question de la pollution atmosphérique et de son double mouvement, le fait qu’elle impacte à la fois les productions agricoles mais qu’elle constitue elle-même une source non négligeable de polluants susceptibles d’agir tant sur les écosystèmes que sur les populations extérieures au monde agricole, met en évidence le fait que l’agriculture ne peut constituer un simple champ productif et technique sans articulation avec les univers sociaux et environnementaux. La conclusion de l’éditorial souligne combien l’amélioration de la relation entre qualité de l’air et agriculture suppose une ambition politique qui pourrait « s’appuyer sur le projet agroécologique pour la France, inscrit dans la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui vise à faire émerger une nouvelle approche de l’agriculture, où la prise en compte de l’environnement et des questions sanitaires ne constitue plus un obstacle à la performance économique mais des opportunités et des orientations stratégiques ». P. Coddeville, en conclusion de sa contribution, met en évidence la diminution des retombées atmosphériques soufrées et azotées, qu’il attribue à la mise en œuvre de directives et de réglementations internationales sévères. Ces résultats sont cependant à mettre en rapport avec les émissions qui, pour l’ensemble de la planète, restent élevées, surtout en Asie. La pollution agricole, comme le changement climatique, ne peut se décliner qu’à l’échelle planétaire. P. Cellier rappelle les relations entre pollutions agricoles et changement climatique, qui interagissent avec d’autres facteurs pour constituer des menaces sur la production agricole et la forêt. Au-delà des processus physico-chimiques décrits dans plusieurs articles, L. Charles, dans une large mise en perspective du sujet, souligne combien les défis que doit relever l’agriculture sont considérables à l’échelle mondiale. Paradoxalement, la technicisation progressive de l’agriculture et la mondialisation des échanges ont permis d’assurer une sécurité alimentaire grandissante, qui a été le socle de la croissance démographique exponentielle de la planète. Mais il aura fallu attendre ces dernières années pour que des voix s’élèvent pour repenser les orientations de l’agriculture dont les conséquences ont été ignorées dans un vaste déni mondial. Or cette négligence se rappelle aujourd’hui à l’humanité tout entière, qui se doit de réfléchir à l’agriculture qu’elle désire et aux bénéfices à retirer d’un plus grand respect des écosystèmes. Ce numéro de la revue n’a pas l’ambition de répondre aux interrogations globales fortes posées par L. Charles. Cependant, même en se restreignant à l’échelle européenne, H. Scarwell met en évidence le lien entre la réglementation environnementale et l’évolution de la société. Les exigences environnementales récentes apparaissent au monde agricole comme des normes restrictives et opposées à la rentabilité économique des exploitations et de la production, alors qu’elles sont la résultante des exigences de la société en matière de sécurité alimentaire, de consentement à payer pour la nourriture, des services écosystémiques, etc. La faiblesse des réflexions collectives sur les orientations techniques, commerciales et environnementales prises par l’agriculture explique les difficultés actuelles pour revenir à une agriculture plus respectueuse de l’environnement et rentable économiquement. L’ADEME, avec son outil « climagri » essaie, à l’échelle locale, par des diagnostics précis, d’encourager la mobilisation des acteurs pour développer des pratiques plus intégrées, économisant l’énergie et les intrants. Cet outil est aussi utilisé au niveau national dans le cadre d’exercices de scénarisation prospective à l’horizon 2035. L’agroforesterie, présentée par J.-J. Dubois, suit la même démarche en privilégiant le respect des écosystèmes dans une vision davantage tournée vers le long terme, comme le montre l’orientation de l’utilisation des haies pour la production du bois d’œuvre. COOP de FRANCE Déshydratation poursuit un travail de promotion des légumineuses et de la luzerne, qui permettent de diminuer les intrants et de limiter les émissions de protoxyde d’azote, gaz à effet de serre. Les chambres d’agriculture se sont dotées d’un référent « qualité de l’air » et S. Agasse, à travers plusieurs exemples, montre l’évolution des pratiques des agriculteurs ; elle insiste sur la nécessité de les sensibiliser aux méfaits de la pollution de l’air et de leur faire découvrir la complexité des processus sur lesquels ils peuvent agir. Il s’agit de combler un déficit de connaissance qui peut revêtir la forme du déni tant la situation actuelle est paradoxale. Les agriculteurs qui ont contribué à nourrir la planète et à assurer son essor démographique sont les premiers à être vulnérables devant la pollution atmosphérique et le changement climatique, conséquences de l’accélération massive de la modernité.

Ce numéro de la revue Pollution atmosphérique, climat, santé, société présente ainsi un regard sur la relation entre pollution atmosphérique et agriculture depuis la connaissance des processus jusqu’à l’action puisque, sur ce sujet, la mobilisation des savoirs est large. Comme pour le changement climatique, les évolutions s’effectuent par petites touches, par des actions ponctuelles, dont l’efficacité sur un plan global peut être difficile à lire. C’est, selon l’introduction de L. Charles, « le sens de la réponse que la COP 21 a cherché à apporter à la question du réchauffement climatique, dans un appel non pas au contrôle ou à la surveillance… mais à la dynamique collective et à la créativité des acteurs, villes, entreprises, ONG et société civile, acteurs financiers, agences spécialisées, recherche, etc. De telles mises en œuvre à la fois appellent et prennent appui sur un regard lui-même renouvelé et considérablement élargi sur l’environnement, comme sur la vie économique et les rationalités qui prétendent la fonder ». La revue Pollution Atmosphérique, climat, santé, société souhaite ainsi mettre à la disposition du public des éléments de connaissance qui interrogent de nombreux aspects des orientations collectives. Merci à tous ceux, auteurs et relecteurs, qui ont su se mobiliser pendant cette période estivale pour contribuer à éclairer ces phénomènes complexes avec l’ambition de faciliter leur prise en compte globale par les agriculteurs mais aussi par tous les consommateurs qui, par leurs choix alimentaires et sociétaux, orientent l’agriculture de demain pour répondre à la question : « Quelle agriculture voulons-nous ? ».

Notes

1  Disponible en ligne : http://www.appa.asso.fr/national/Pages/article.php?art=1049 Return to text

2  [En ligne] : https://www.anses.fr/fr/system/files/AIR2011SA0192Ra.pdf. L’INSERM avait publié en 2013 une expertise collective sur la question : [en ligne] : http://www.inserm.fr/mediatheque/infr-grand-public/fichiers/thematiques/sante-publique/expertises-collectives/synthese-pesticides-effets-sur-la-sante. Cf. également Marano et al. (2015). Toxique ? Santé et environnement : de l’alerte à la décision, Buchet-Chastel, 210 p. Return to text

3  http://invs.santepubliquefrance.fr/Publications-et-outils/Rapports-et-syntheses/Environnement-et-sante/2016/Impacts-de-l-exposition-chronique-aux-particules-fines-sur-la-mortalite-en-France-continentale-et-analyse-des-gains-en-sante-de-plusieurs-scenarios-de-reduction-de-la-pollution-atmospherique Return to text

References

Electronic reference

Isabelle Roussel, « Lettre de la rédaction », Pollution atmosphérique [Online], 229-230 | 2016, Online since 01 mai 2017, connection on 18 juin 2025. URL : http://www.peren-revues.fr/pollutionatmospherique/5742

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Isabelle Roussel

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