1. Introduction
Nous vivons dans un monde urbain « mondialisé »1 même si, en termes d'espace (4 % de la surface terrestre), le fait urbain reste largement minoritaire (Lussault, 2009). Au sein des espaces urbains, le répertoire du développement durable connaît une résonnance particulière au point de s’imposer comme un nouvel impératif de l’action publique urbaine et métropolitaine, touchant ainsi les conceptions et les pratiques de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme (Scarwell, Roussel, 2006). Somme toute, on aurait affaire à un simple passage du développement durable au développement urbain durable, d’un environnement naturel à celui de l’environnement en général, incluant l’urbain. Et même si le concept de développement durable, conçu à l'échelle mondiale, ne faisait pas initialement référence explicite à la sphère urbaine (Hamman, 2017), les villes sont devenues des laboratoires du développement durable, surtout depuis la surexploitation des ressources naturelles qui conduit à leur épuisement et, plus encore, par les perturbations provoquées par l’homme sur les grands cycles biogéochimiques. Enfin, le répertoire du développement durable s’est diffusé en se revendiquant d’une dimension universalisante (Swyngedouw, 2007). La ville doit être désormais durable. Cette injonction mobilisatrice doit incarner un nouveau répertoire qui passe par de nécessaires « changements de comportements » et des « bonnes pratiques » (Baker et Eckerberg, 2008) dans le domaine de l’aménagement du territoire et de la planification urbaine.
La ville sera, pour les uns, décrite comme « calme » (city slow), « belle », « solidaire », « frugale », « en transition », plus performative, et, pour les autres, plus égalitaire, moins consommatrice d’énergie, plus solidaire. La durabilité semble agir comme un référentiel pour l’action publique qui positionne la ville entre continuité et/ou rupture. De là découlent de nouvelles formes d’actions publiques, à différentes échelles, pour la mise en œuvre de figures identifiées comme constitutives de la ville durable.
Aussi, cet article analyse la fabrique de la ville durable à Hanoï, région-capitale du Viêt Nam, dont l’ambition est de devenir une métropole régionale et internationale. Son tissu urbain a connu de grandes transformations, impulsées par les orientations de la planification stratégique de son Master Plan (MP) 2030 vision 2050 dont la devise est « une ville verte, culturelle et moderne », qui s’appuie sur des modèles internationaux choisis, gage d’une future ville vivable et soutenable. Il nous a semblé pertinent de nous demander comment l'urbanisme esquisse un modèle de ville durable à Hanoï en nous appuyant sur l’étude de plusieurs exemples d’opérations d’aménagement, tant dans le centre de Hanoï qu’en périphérie, qui s’affirment comme des déclinaisons locales du développement durable.
2. De la planification normative à la planification stratégique
Si Hanoï a fêté les 1 000 ans de sa naissance, le rythme de son urbanisation s’est fortement accéléré ces dernières années et notamment depuis le Đổi mới (1986) basé sur le développement d’une économie de marché à orientation socialiste. Dès lors, les autorités se sont mises à considérer favorablement l’urbanisation, au point de ne concevoir désormais le développement économique du pays qu’à travers la croissance urbaine, alors qu’autrefois la planification urbaine d’inspiration soviétique sous-estimait les dynamiques économiques (Banque mondiale, 2011) pour s'appuyer sur une partition arithmétique des populations2 comme moteur de transformation urbaine et des différenciations socio-spatiales en cours. Toutefois, si la croissance démographique constituait un facteur de développement urbain majeur (3,4 % par an), encore fallait-il pouvoir loger cette population. Or Hanoï a toujours été confronté à une crise du logement, que l’État ne pouvait réellement endiguer seul en raison de l’absence de ressources financières suffisantes : la stratégie de l’époque était basée sur la croissance extensive d’une agriculture modernisée et sur l’industrialisation locale (Nguyen, 2003, p. 27). Les deux graves crises agricoles de 1979 et de 1986 ont souligné le caractère improductif de ces politiques, d’autant que la modernisation de l’agriculture n’a pas eu d’effet important sur son développement (Dao, 1995). De même, l’urbanisation diffuse liée au développement désordonné des installations industrielles en zone rurale a eu un fort impact négatif sur l’environnement : pollution des cours d’eau, déboisement et gaspillage de bonnes terres agricoles. Hanoï s’est développée au sud, faisant avancer le front urbain au détriment des villages artisanaux et des rizières, ce qui a généré de nouveaux problèmes d’urbanisme liés cette fois à la surcharge des réseaux, à la dégradation de l’environnement, à l’encombrement des rues et, progressivement, à l’existence d’une ville informelle. Un tel développement spatial de la ville n’est pas cohérent et obéit à une économie encore trop planifiée et centralisée. C’est pourquoi, conscient des limites d’une telle politique à participer à tous les aspects de la croissance de la structure urbaine, le gouvernement a décidé d’alimenter cette dernière par l’adoption d’une planification urbaine, devenue l’outil stratégique de projet urbain.
2.1. Des projets structurants qui réinterrogent les espaces, les échelles et les modes de planification
Désormais, au Viêt Nam, les villes sont au cœur du renouveau économique, comme en témoigne l’usage de nouveaux référentiels dans le Master Plan, comme « civilisation urbaine » (van minh do thi) ou culture urbaine (văn hóa đô thh) pour convaincre la population que son bien-être implique de développer davantage les unités urbaines. La ville a modifié à plusieurs reprises ses limites administratives, en 1961, 1978, 1991 et plus récemment en 2008 afin d’amorcer son développement spatial à une autre échelle. En effet, certains arrondissements anciens, dits historiques, ont connu depuis les années 2000 une très forte croissance de leur population, et les superficies urbanisées ne sont plus suffisantes (tableau 1).
En ce sens, l’élargissement de l’aire spatiale de la ville-province de Hanoï suite à l’intégration de la province voisine Ha Tay, à l’ouest de la ville, apporte du foncier disponible et autorise l’étalement urbain en périphérie. Il traduit également cette volonté tant politique qu’économique puisque, selon F. Quertamp (2010), ces espaces ne faisant l’objet ni d’aménagements ni d’investissements deviennent des zones d’opportunité (le périmètre à aménager est passé de 900 km2 à plus de 3 000 km2) (figure 1).
La planification régionale aux échelles provinciale et locale offre ainsi une nouvelle impulsion aux dynamiques d’urbanisation et renforce le processus de métropolisation en cours, à son tour renforcé par le nombre croissant de projets ou de nouvelles zones urbaines (khu do thi moi, KDTM3) financés par des investisseurs internationaux. Selon l’Agence de l’investissement étranger (FIA, 2016), le marché immobilier est le deuxième secteur économique qui bénéficie le plus des Investissements Directs Étrangers (IDE) (derrière le secteur manufacturier et de la transformation), atteignant 72,9 % des IDE totaux au Viêt Nam. Le développement économique, endogène et exogène, conduit à l’apparition de nouvelles zones franches qui constituent autant de points d’accroche pour densifier la ville.
Figure 1. Multiplication des opérations urbaines de Hanoï depuis 2012.
Multiplication of urban operations in Hanoï since 2012.
Source : repérage de terrain et Google Earth confronté aux recensements de HUPI (2012-2017) ; conception : Helga-Jane Scarwell et Divya Leducq, 2017 ; réalisation : Thi Ngoan Pham et Quoc Dat Nguyen, 2017.
Ces nouvelles dynamiques périurbaines se situent aux quatre points cardinaux de Hanoï (Scarwell et al., 2015), mais elles se concentrent aussi paradoxalement dans des franges ciblées de la grande province de Hanoï. Ces projets visent à remplir trois objectifs, à travers des projets individuels ou à travers des projets plus globaux : le logement (éco-villes le long du périphérique ouest de Hanoï sur 62 km) ; l’emploi (pôle de développement d’An Khanh Nord ; parcs et zones industrielles le long des axes routiers), l’éducation, la formation et l’excellence (création de la technopole d’Hoa Lac).
De 2008 à 2015, on a comptabilisé jusqu’à 700 projets d’aménagement et d’urbanisme en cours. On peut classer ceux-ci en trois types de nouvelles zones urbanisées qui, encouragées par des réformes foncières successives, oscillent entre densité et étalement, et fleurissent dans la périphérie de Hanoï. Ces projets sont censés, selon les projections démographiques, faire passer la ville de Hanoï de 6,5 à 10 millions d’habitants.
La première forme d’extension urbaine correspond à la densification des « villages urbains ». La deuxième est constituée par un agrégat hétérogène de projets urbanistiques plus ou moins planifiés, dont la dimension va de l’immeuble au quartier de ville et qui densifient les axes de circulation rapide, tels que le quatrième périphérique, la route d’Hoa Lac ou la route de l’aéroport, mais également les points nodaux de l’extension urbaine : Dong Anh, Gia Lam et Me Linh. Ciputra4, entrepris dès 1992, dans le « village des fleurs » de Phu Gia, est un autre exemple de cet entre-deux urbanistique composé par un agrégat d'opérations immobilières dont il existe quasiment autant de formes que de projets. Le troisième mode de densification de la ville passe par la création de véritables villes nouvelles, telle Splendora dans le quartier An Khanh Sud. S’inspirant en la matière des politiques des pays anciennement industrialisés, mais aussi des Nouveaux Pays Industrialisés (NPI) d’Asie, 131 projets de ce type ont été approuvés entre 1994 et 2005, après que fut construite Linh Dam5.
Par ailleurs, il existe deux formes de villes nouvelles : les villes satellites et les éco-villes. Chaque projet de ville nouvelle, dont la taille varie considérablement, aussi bien en superficie – de 950 ha à 10 000 ha – qu’en nombre d’habitants escomptés – de 30 000 à 650 000 personnes –, est porteur d’une spécialité fonctionnelle devant alimenter la métropole du nord-Viêt Nam.
2.2. La production d’un urbanisme au service des ambitions métropolitaines de la capitale
Hanoï a ainsi vu sa skyline rehaussée par des tours qui s’inscrivent dans le nouveau paysage que la ville tend à vouloir mettre en scène (Appert, 2011). Cette ville verticale joue plusieurs rôles et notamment celui d’emblème de dynamisme économique et/ou de renouvellement urbain, voire davantage puisqu’elle traduit un nouveau projet politique : une économie de marché d’orientation socialiste. À la nouvelle échelle horizontale résultant de l’extension de la ville correspondent de nouvelles échelles d’urbanisation verticale, symbole d’ambition et d’ouverture à l’international.
Cliché : Helga-Jane Scarwell, 2017.
Cliché : Helga-Jane Scarwell, 2016.
Cliché : Helga-Jane Scarwell, 2016.
En dépit de l’internationalisation de la production urbaine en lien avec l'apport important d’IDE et de l'aide publique au développement qui alimente une croissance élevée, la transformation de Hanoï en métropole internationale nécessite, selon la Banque mondiale (2017), une mise à jour du modèle actuel d'urbanisation qui présente de réelles vulnérabilités et des limites générant des tensions au sein de la population.
En effet, presque la moitié (43 %) des terres agricoles existantes ont été expropriées entre 2003 et 2012 (Nguyen, 2013). Cela concerne surtout les terres situées à proximité des principaux centres économiques et des infrastructures de transport. Le mécanisme Land for Infrastructure du gouvernement encourage les investisseurs privés à investir dans des infrastructures publiques en échange de terres, et ce processus est renforcé par la politique de décentralisation du pays. De fait, tout repose sur la conversion foncière accélérée des villages et des terres agricoles en zone périurbaine de Hanoï qui accompagne les dynamiques urbaines et engendre des effets spéculatifs effrénés. Ce phénomène est amplifié par l’arrivée de capitaux étrangers (11,8 milliards de dollars d’IDE en 2015, Banque mondiale, 2015) impliquant la mise en œuvre, notamment en ce qui concerne la loi foncière, qui, en dépit de multiples modifications (loi foncière de 1988, 1993, 2003 et 2013), peine à réduire le nombre de conflits fonciers. Ainsi, les projets prennent du retard, à l’instar de la ligne de métro numéro 3, et les surcoûts sont importants. S’il est désormais possible d’acquérir pour vingt ans un « droit d’usage de la terre » (Droit d’Usage du Sol, DUS), des pressions sans précédent sur le foncier sont constatées.
L’absence de transparence dans les procédures d’indemnisation des expropriés est due au système de fixation du prix de la terre, qui demeure trouble et contradictoire, et à la sous-estimation de la terre. Ce sont également des procédures juridiques qui varient selon les interlocuteurs : les autorités exigent parfois un titre dûment enregistré pour valider le renouvellement des baux arrivant à terme. Toutes ces pratiques contribuent à des niveaux élevés de corruption8. En outre, la spéculation foncière résultant de compensations foncières très faibles au regard d’un marché foncier en plein essor et d’une gouvernance foncière défaillante instaure un climat d’insécurité foncière exacerbée que traduisent les nombreux conflits fonciers.
Cependant, au bout du compte, plus d’un million d’hectares de terres agricoles auraient été convertis en terres à urbaniser entre 2001 et 2010 (Gillespie, 2013). À titre de repère, selon les statistiques agricoles françaises, on note en France une perte de 2 millions d'hectares de surfaces agricoles disparues en 30 ans9. En définitive, ce sont principalement les espaces périphériques qui sont à la fois l’objet et le vecteur de la transformation de Hanoï. Cette conversion progressive de terres agricoles en espaces périurbains repose sur la révision de l’ancien Master Plan (MP) et passe par l’adoption d’un nouveau document stratégique capable de porter et d’accompagner la nouvelle dynamique urbaine souhaitée. Celui-ci assure la compétitivité urbaine de la ville-capitale et, surtout, lui donne la capacité de concurrencer d’autres villes (benchmarking et ranking). Ce nouveau MP (2030-2050) doit être la concrétisation d’un urbanisme stratégique désignant les sites prioritaires de construction, les projets de densification, les zones d’opportunité et les zones d’intensification, mais doit aussi attirer les investissements et répondre aux attentes écologiques, tout en assurant la croissance économique. Autrement dit, le MP doit assurer cet équilibre périlleux entre le développement urbain et une croissance économique stable. Ainsi, un cabinet d’études japonais (HAIDEP10, 2007) a été choisi pour mener à bien les travaux préparatoires du futur MP de la région capitale. Le cahier des charges souligne la nécessité de préserver le centre urbain à la fois ancien et moderne, de créer une cité verte sous tous ses aspects (prise en compte du végétal en ville – ceinture verte –, revalorisation des lacs, etc.), enfin, d’avoir une action forte sur la mobilité par le renforcement des transports collectifs et le développement des infrastructures, actuellement insuffisantes au regard de l’évolution démographique. Le MP 2030 vision 2050 a été validé en 2011 (HUPI, 2011).
Les orientations de planification spatiale stratégique retenues par les consultants internationaux sont directement basées sur un répertoire d’expériences étrangères de MP achevées ou en cours mais considérées comme des modèles d’agglomération « gagnante »11. Ces villes ont un poids démographique proche de celui de la région capitale d’Hanoï et un statut de capitale politique, nationale ou fédérale. En même temps, ces villes globales de référence justifient la promotion d’une certaine conformité normative pour satisfaire les désirs des acteurs financiers globaux, d’autant que les autorités vietnamiennes ne prennent pas le parti d’une perspective résolument critique, alors même que cette logique d’attractivité externe entrerait en résonnance, voire en conflit, avec les exigences internes de cohésion sociale. Ces projets sont portés par la rhétorique d’un développement urbain durable qui se déclinerait selon des orientations éprouvées ailleurs et qu’il suffirait de transférer par analogie. Ce nouveau récit urbanistique est mis en scène alors qu’Hanoï, ville historique, fête son millénaire.
3. L’ambition d’une alternative urbaine : le développement urbain durable n’est pas une option mais une nécessité
Au vu de la situation hanoïenne de la globalisation et du changement climatique, l’inscription dans une démarche de développement durable vise à forcer la réflexion sur les modes de développement de la société tout entière, à gérer les problèmes à affronter et les actions à engager mais également à satisfaire les exigences des bailleurs internationaux. Les défis environnementaux et économiques sont importants, et l’appropriation de la notion de développement durable revêt plusieurs acceptions selon les contextes où elle est promue.
3.1. Imprimer une vision avisée et un cap par la durabilité
Qu’il s’agisse du réchauffement climatique, de l’effondrement de la biodiversité, de l’épuisement des ressources naturelles, de la montée des nuisances, des pollutions de l’air et des sols, de la pollution marine, des inondations, ces questions s’aggravent encore avec la croissance de la population urbaine. Dans ces conditions, la ville durable n’est pas une option mais répond à une double nécessité. D’une part, il s’agit de gérer les contraintes et les problèmes environnementaux et, d’autre part, de mener un projet à l’échelle macro pour transformer la ville millénaire en véritable capitale à la renommée internationale dont le poids serait affirmé, par rapport à Ho Chi Minh City. Il s’agit également d’être visible dans une aire régionale dominée par la Corée du Sud, Singapour et la Chine. En ce sens, le recours à des cabinets de consultants internationaux12 pour la réalisation du MP participe à l’ambition de définir un projet stratégique d’envergure, car Hanoï se rêve en grande métropole asiatique. La métamorphose de la ville doit passer par des projets urbains de référence à l’échelle de l’agglomération, déclinés en stratégie, objectifs et orientations visant à la programmation de l’échelle locale de la ville (Ingallina, 2001). Il n’en demeure pas moins que les dynamiques de production de la ville reposent sur une homogénéisation des formes urbaines et correspondent à une convergence des dynamiques de production des villes asiatiques avec celles de pays « développés » (Dick, Rimmer, 2009). Dès lors, il y a peu de place pour des stratégies territoriales inédites alors même qu’il n’existe, selon la charte d’Aalborg, aucun modèle spatial type à reproduire. Certains projets urbains récents font écho à un urbanisme que Ward nomme « emprunt non dilué» (Ward, 2000) à l’instar des nouvelles zones urbaines (Ciputra, Splendora, etc.).
Ainsi, des solutions standardisées du « prêt-à-porter » durable sont privilégiées car véhiculées par un discours et des exemples à prétention universelle d’experts d’organismes onusiens et écologiques qui ne sont parfois ni architectes ni urbanistes. Toutes les attentes associées à la ville durable (densité, économie d’énergie, ville verte, qualité de l’eau, de l’air, bruit, paysages, climat, déchets, biodiversité, etc.), sont déclinées dans le MP et se traduisent par des propositions nombreuses, mais rarement hiérarchisées, voire contradictoires. Elles figurent également dans l’Agenda 2030 vietnamien pour le développement durable13 et dans le Plan d'action pour le développement durable14. Autrement dit, le MP 2030-2050 de la ville-capitale regroupe, dans un cadre de référence, l’ensemble de ces attentes sous la forme d’une batterie d’indicateurs chiffrés débouchant sur un urbanisme quantifiable, statistique, technique et normatif capable de rassurer les autorités quant à la maitrise du fonctionnement et la gestion performante de la ville investie. Mais ce MP constitue surtout un projet de société aux allures de catalogue de bonnes intentions qui nourrissent le récit d’un futur développement social durable.
Ici, le global prend le pas sur le local, au point de dissoudre les particularismes. En outre, l’utilisation systématique de termes anglo-saxons dans le MP y contribue grandement. Des discours politiques aux documents cadres en passant par les différentes études menées depuis la prescription jusqu’à l’approbation du MP à la demande des acteurs hanoïens, les modes de représentation des expériences étrangères (positifs ou négatifs) permettent d’ancrer les modèles dans l’esprit des acteurs locaux (élus, services et promoteurs privés) en attribuant des valeurs positives ou négatives aux villes et projets urbains.
L’analyse du MP confirme l’hypothèse selon laquelle la ville durable vietnamienne s’assemble dans la boîte à outils mondiale (Zukin, Kasinitz et Xiangming, 2015) de « l’urbanisme mobile » (Mc Cann et Ward, 2011), pour lui permettre d’atteindre l’objectif fixé d’exister dans la nouvelle compétition interurbaine, tout en lui garantissant l’accès aux IDE et à l’aide au développement des bailleurs de fonds internationaux. Par ailleurs, la cohésion sociale du territoire est garantie par le développement économique attendu du pays qui profiterait en théorie à tous. C’est pourquoi, comme le souligne Divya Leducq (2017), le MP (HUPI, 2011) fait référence à plusieurs reprises à des réussites urbaines évoquées sous les termes de « [successful] capital city » (73 occurrences) « world [-class] city » (19) « competitive advantage » (16) « global city » (11) « green city » (8) « great city » (5) « leading city » (4) « [major] international city » (4) « mega-city » (3) « knowledge city » (1). Sur un total de 599 pages du Master Plan 2030-2050 rédigées en anglais et traduites en vietnamien, le chapitre III, soit 8 % du document final révisé (annexe 1), est consacré explicitement aux modèles internationaux qui ont servi de points de références pour la stratégie métropolitaine de Hanoï.
En outre, le MP identifie un catalogue de « bonnes pratiques » basées sur une sélection de villes mondiales localisées essentiellement en Amérique du Nord, Australie, Europe occidentale, Asie du Sud-Est et Chine. Deux villes d’Amérique centrale et latine sont également citées. En revanche, l’approche paradigmatique retenue dans le MP souligne un certain nombre de turbulences constatées dans les mutations urbaines, et notamment les échecs reconnus dans le passage d’un urbanisme de croissance à la ville durable. À cet effet, les villes de Lagos et de Mexico sont présentées comme de mauvais exemples de durabilité importée, de simple anticipation d’une évolution urbaine sans réelle rupture, autrement dit, comme des échecs dans la prise en compte de la durabilité dans la définition de nouvelles politiques urbaines. Par ailleurs, le MP insiste sur les imprudences qu'il y aurait à tenter de rendre soutenable une ville « insoutenable » à partir d'une approche uniquement normative et n'incluant pas l'ensemble des territoires pertinents de l'action (Mancebo, 2007). C’est pourquoi le MP soutient la nécessaire extension urbaine dans le cadre d’une planification spatiale stratégique qui s’appuierait sur plusieurs leviers, comme le recommande la Banque mondiale, que sont l’économie, l’éducation, la culture, la communication. En témoigne le recours à un vocabulaire spécifique au sein du MP (competitiveness, livability, good governance ou encore management et bankability) qui vise à montrer qu’Hanoï a fait son entrée dans le référentiel de la ville durable telle que promue par la Banque mondiale.
Enfin, la promotion internationale d’un développement urbain durable passe par l’ouverture de la planification à de nouveaux groupes d’acteurs, tant publics que privés, et se traduit habituellement par de nouvelles formes de gouvernance politique, de nouveaux partenariats publics et privés, et une attention particulière à la participation des habitants. Toutefois, cette dernière implication des citoyens peut fonctionner comme un agir plus « communicationnel » que « stratégique » (Carbonnel, Dussine, 2014), notamment dans le cas du Viêt Nam où les autorités centrales considèrent le développement urbain comme un secteur stratégique non partageable de l’État mais qu’une meilleure « mise à disposition » des espaces publics, comme la piétonisation autour du Lac Hoan Kiem, participerait à une appropriation de la ville par ses habitants. La ville entrerait alors en interaction avec le développement durable et réellement avec ses citoyens.
Dans un contexte de mondialisation et de concurrence territoriale accrue, de démarches de labellisation, ces approches laisseraient croire qu’il suffirait d’intervenir sur un certain nombre de leviers de développement expérimentés ailleurs pour assurer à ces villes leur place dans le réseau des villes durables de référence et pour leur garantir une croissance économique pérenne. En définitive, la ville durable serait alors promue comme un label innovant tangible et à forte valeur ajoutée.
3.2. Le passage de la ville horizontale à la ville verticale : vers un urbanisme résolument moderne et pragmatique « inféodé » à la croissance verte
La verticalisation de l’urbanisation matérialiserait-t-elle la volonté d’atteindre l'objectif de développement durable affiché (injonction à la ville dense) ou traduirait-elle le passage obligé pour entrer dans le processus mondial de métropolisation et de circulation des capitaux financiers ?
Cliché : Helga-Jane Scarwell, 2016.
Cliché : Margaux Barrett.
Selon les plans de zonage du Master Plan 2030-2050, la ville s’est engagée dans une stratégie de croissance verte15 qui doit la rendre plus attrayante, vivable et plus compétitive. C’est pourquoi deux projets de Smart Cities (SC) sont expressément prévus par le MP : il s’agit de Hoa Lac Hi-tech Park (HHTP), technopole implantée à une trentaine de kilomètres de Hanoï dans les deux districts de Thach That et Quoc Oai, et le projet Nhat Tan-Noi Bai qui concerne les plans de zonage N5, N7 et N8. En 2015, les prémices d’un troisième projet de SC émergent avec le développement des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) dans l’administration hanoïenne, ainsi que la planification d’un smart water pour une utilisation durable de l'eau.
Face à l’engouement mondial pour les villes intelligentes et confrontées à une urbanisation rapide et non maîtrisée, posant de grands défis aux infrastructures clés (transport, énergie, construction, santé, eau), les autorités vietnamiennes encouragent depuis 2015 l’avènement de SC. Elles font la promotion de la SC sans en donner une définition précise, tout en soulignant son grand potentiel de développement économique. La SC semble résumer les problèmes urbains que connaissent les villes vietnamiennes à des solutions technologiques. La ville devait être durable, elle sera désormais « intelligente » sans que l’on sache si la ville sera intelligente et durable.
Hanoï-capitale se trouve désormais à la croisée de quatre enjeux fondamentaux : l’internationalisation, l’inscription dans la compétition urbaine mondiale, la transition métropolitaine et une croissance économique élevée et durable.
Dès lors, le MP, par sa démarche de stratégie évolutive à long terme (2030-2050), va accompagner cette croissance « verte » pour asseoir définitivement Hanoï comme métropole asiatique internationale, même s’il minimise les problèmes liés à la progression de l’étalement urbain, au développement des périphéries ou encore l’existence de problèmes réels dans les espaces interstitiels. Ce MP est conçu comme une série d'intentions urbaines articulées autour d'invariants (fleuve, coulées vertes et périphérique urbain, infrastructures et protection du patrimoine et du centre historique) qui, conformément aux tendances mondiales, se décline en un plan global d'aménagement, un plan de mobilité et un plan de zones vertes, où des zones d'interventions prioritaires sont définies. Ainsi, le MP semble garantir la cohérence et l'harmonisation des actions ainsi que la concentration des moyens, et constitue un véritable outil de négociation face à des promoteurs et des investisseurs privés.
Outre l’objectif macroscopique du MP qui se décline à l’échelle régionale de Hanoï, nous voudrions restituer ici une synthèse d’exemples d’opérations urbaines courantes mises en œuvre selon des échelles spatio-temporelles différentes que nous avons suivies et analysées dans le cadre de recherches doctorales et d’ateliers de terrain menés à Hanoï entre 2010 et 2017 (Leducq, Scarwell, 2017). Toutes revendiquent interpréter les principes de la ville durable. C’est pourquoi il nous a semblé pertinent de comprendre quelle ville durable a été conçue à Hanoï. Nous n’avons pas souhaité comparer et confronter les résultats d’opérations d’aménagements à la rhétorique de la ville durable, notamment parce qu’une batterie d’indicateurs, si séduisants et attractifs soient-ils, ne permet pas de conclure à la durabilité ou non d’une ville. Par ailleurs, les contours de la ville durable oscillent entre l'idéal et le réel (Hamman, 2017). Les décalages sont un peu inévitables. Enfin, il ne faut pas sous-estimer les ajustements de court et de moyen termes possibles à un modèle urbain faisant un large écho autour de lui mais qui relève parfois de l’utopie.
Tableau 2. Synthèse de cas d’études qui s’inscrivent dans une démarche d’urbanisme durable.
Thématique |
Objectifs des études |
Résultats des travaux |
Récapitulatif des objectifs du Master Plan |
Réalité Points + négatifs |
Réalité Points positifs |
Eau* |
Valorisation des surfaces en eau pour lutter contre l’îlot de chaleur urbaine, et identification des centaines de lacs disparus |
Identification des principaux lacs au sein de la ville et analyse de 20 lacs au sein de Hanoï. |
Propreté |
Pollution des lacs |
Prise en compte esthétique et sociale des surfaces en eau |
Proposition de prise en compte des eaux grises et des eaux pluviales dans l’urbanisme durable et développement d’une petite agriculture périurbaine. |
Design urbain |
Réduction du nombre de lacs en raison de leur remblayage |
Rappel du rôle historique et central de l’eau dans l’organisation et l’appropriation de l’espace |
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Réflexion autour de la relation historique que la ville entretient avec l’eau, et nécessité d’une prise en compte dans la planification |
Protection et préservation |
Anthropisation progressive du paysage deltaïque de Hanoï |
Valorisation des surfaces en eau comme figure d’un urbanisme durable au Viêt Nam dans un contexte de métropolisation |
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urbaine afin de limiter une artificialisation trop importante des sols. |
Rôle culturel et récréatif |
Rôle de régulation des lacs dans la gestion des eaux de pluie |
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Inondations** : Existence de points noirs au centre-ville de Hanoï dans un contexte d'injonction au développement durable et de changement climatique |
Localisation des points noirs au centre-ville de Hanoï à partir d’images satellites des inondations du 17 novembre 2008 et d’entretiens menés dans 20 quartiers de la ville. |
Meilleure prise en compte des contraintes hydrauliques et amélioration de l’assainissement via le schéma directeur d’évacuation d’eau à l’horizon 2030 vision à 2050 |
Augmentation de la vulnérabilité à cause d’une urbanisation sans contrôle aux dépens des surfaces agricoles et des surfaces en eau |
Modernisation de l’ancien réseau |
|
Le changement climatique semble être une nouvelle opportunité de reconsidérer les |
Prise en compte du contexte de changement climatique |
Sous-dimensionnement des infrastructures |
Construction progressive des outils de gestion du risque |
||
modalités de gestion du risque d'inondation. |
Annonce d’une gestion intégrée et du ménagement de son territoire. |
Pollution des lacs qui servent de bassin de rétention |
Emergence d’une culture du risque via les programmes pédagogiques |
||
Planification urbaine durable |
Analyser le rôle des villes satellites et des villes écologiques*** |
Documentation de la construction de la ville durable et mise en évidence des modalités de mise en œuvre du paradigme de développement durable dans une capitale non occidentale. |
Définir une nouvelle stratégie de développement sur un territoire élargi. |
Nombreux conflits fonciers liés à l’expropriation des terres agricoles utiles à la construction des nouvelles villes. |
La croissance économique reste le pilier essentiel du développement, et il est porteur d’un certain nombre de projets urbains qui revêtent des aspects écologiques. |
Montrer que la volonté d’internationalisation de Hanoï peut aller à l’encontre d’un urbanisme durable |
La mise en œuvre de la durabilité passe par des approches renouvelées de la gouvernance. Il s’agit davantage de marketing urbain que de développement durable. |
Rééquilibrer les densités à l’échelle de la province entre le centre-ville et les nouvelles périphéries. |
La planification urbaine durable dans l'objectif de tendre vers une métropole vietnamienne durable ne s’appuie que sur des objectifs d'espaces verts et la construction de zones résidentielles ou commerciales. |
Planification plus cohérente. |
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Développement d’un corridor écologique permettant une couverture de 70 % d’espaces verts sur la province de Hanoï |
Étalement urbain néfaste |
Développement d’espaces verts. |
* Cette thématique a été étudiée dans le cadre de la thèse de Hai Nam Tran (2015), intitulée : « Contribution à la valorisation de l’eau dans les espaces urbains durables : l’exemple de Hà nội (Việt Nam) ».
** Cette thématique a été étudiée dans le cadre de la thèse de Tinh Le Van (2015), intitulée : « Gestion des inondations dans un contexte d’urbanisation croissante : l’exemple des « points noirs » à Hà nội (Việt Nam) ».
*** Cette thématique a été étudiée dans le cadre de la thèse de Tran Dinh Du (2015), intitulée : « La planification urbaine à l’épreuve du développement durable. Appropriation du modèle ou génération de formes singulières ? Cas de Hà Nội (Viêt Nam).
Au regard de la synthèse présentée dans ce tableau, nous voudrions souligner que les stratégies de développement urbain durable menées à Hanoï via la planification urbaine semblent parfois entrer en contradiction les unes avec les autres au point de faire douter de l’existence d’une vision systémique dans la mise en œuvre des projets d’aménagement. L’appréhension du développement durable ne semble pas pensée en termes de gestion de la complexité et d’autonomie systémique. Ainsi, d’un côté, l’urbanisation des périphéries favorise l’étalement urbain et « dé-densifie » le centre-ville, d’un autre côté, l’imperméabilisation des sols favorise les inondations en ville. De même, les éco-villes ou les villes satellites se construisent aux dépens des populations locales qui sont expropriées et, au final, appauvries, car sans ressources. Les lacs et les surfaces en eau qui contribuent à la gestion des îlots de chaleur urbains et à la gestion de l’eau, par leur transformation en bassin de rétention, sont pollués voire remblayés pour laisser apparaître de nouvelles constructions. L’observation et l’analyse des cas d’études ci-dessus tendent à montrer que les autorités n’ont pas pris la mesure suffisante du rôle, même partiellement prescriptif, d’un outil particulier de la planification urbaine, le MP, dans la construction des politiques de durabilité urbaine.
La ville de Hanoï étant façonnée de manière radioconcentrique, la plupart des nouveaux projets de zones urbaines se localisent au niveau d’axes de communications majeurs même s’il faut construire sur des lieux sacrés ou des cimetières. Autrement dit, le lieu d’implantation d’un KDTM est stratégique, et le développement des infrastructures à la périphérie de Hanoï va de pair avec le développement des KDTM. In fine, cela augmente la valeur foncière des terrains aux alentours de ces infrastructures et celle des logements au sein du nouveau KDTM, tout en accentuant la fragmentation spatiale (construction de murs séparateurs entre le KDTM et les villages alentours, présence de gardes qui restreignent l’entrée) et la fragmentation sociale (changement de mode de vie au sein du KDTM, entre soi, nouveaux services, comme des centres commerciaux en remplacement du marché, centre de fitness moderne en remplacement des espaces publics comme lieux d’exercices, etc.).
Au-delà de ces constats, nous pouvons formuler plusieurs remarques. La première d’entre elles tient aux paradoxes et apories que nous venons de soulever. Nous pensons, comme Theys et Emelianoff (2001), qu’il existe des contradictions dans les projets se réclamant du développement urbain durable, d’abord parce que l’expression est confuse et que, de ce fait, elle donne lieu à des interprétations ou des appropriations locales totalement divergentes. Toutefois, dans le contexte hanoïen, le MP exprime une autre façon de faire la ville en dépit de contradictions qui sont autant de verrous à surmonter, à l’instar de la gouvernance urbaine. À travers l’élaboration de son MP, Hanoï a opté pour une production urbaine stratégique et standardisée basée sur un référencement international et légitimant la notion de projet plutôt que celle de plan. Toutefois, nous avons noté l’écart entre la promotion du MP et les multiples facettes de sa réalisation. En effet, sa mise en pratique repose sur une stratégie souple alliant ouverture et pragmatisme, comme le souligne le MP lui-même : « le MP doit être flexible dans le but de satisfaire les évolutions contextuelles sur le temps long», au point de se demander si le MP ne serait-il pas qu’un exercice purement formel ?
S’il nous a semblé utile de mettre en évidence l’ampleur de ces contradictions, c’est aussi pour montrer que celles-ci ne sont probablement pas insurmontables dès lors que les autorités opteraient pour des solutions économiques, technologiques et sociales qui organiseraient des transitions maîtrisées et solidaires vers une société plus « durable ».
À ce titre, la ville de Hanoï multiplie les initiatives identifiées comme figures constitutives de la ville durable et qui sont autant d’interventions empruntant à la ville dense, à la ville nature, à la ville intermodale, à la ville de la mixité sociale et fonctionnelle, à la ville technologique, à la ville intelligente et, peut-être un jour, à la ville citoyenne.
En définitive, parce que la ville durable vietnamienne oscille entre des solutions clés en main (top-down) et des expérimentations flexibles et itératives par apprentissage (bottom-up), elle connaît de nombreux conflits liés à la maîtrise de la ressource foncière et aux enjeux liés à sa valorisation économique. En effet, Hanoï ne s’attache pas tant à un modèle dont on retrouverait les mêmes indicateurs et valeurs partout qu’à tendre vers un paradigme qui, sans nier le contexte socio-économique et culturel, lui laisse en pratique une marge d’appréciation pour inventer des méthodes spécifiques parfois très empiriques et contextualisées. Par ailleurs, par définition, un modèle est toujours partiel et partial.
À travers nos cas d’études, nous avons constaté que la ville s’est engagée en faveur du développement d’une croissance verte d’origine urbaine qui ne s’appuie pas tant sur une croissance économe en ressources que sur une croissance verte capable de lui garantir quelques points supplémentaires de PIB, voire de la propulser dans la compétition des grandes métropoles mondiales. De même, on constate une déconnexion importante entre les attendus de la ville durable autour de la gouvernance urbaine et les modalités d’exercice du pouvoir qui sont liées au maintien d’un système communiste et d’un système capitaliste. La nouvelle économie de marché semble se satisfaire d’un faible assouplissement du principe de centralisme démocratique. Enfin, le MP est tout à la fois un support de communication à destination tant des acteurs internes (acteurs vietnamiens) qu’externes (banques, investisseurs, ONG) qui clarifie son objet. Autrement dit, il constitue un pont entre les concepteurs (autorités nationales, locales hanoïennes) et le monde extérieur intéressé à divers degrés (banques, investisseurs, ONG). Les questions de durabilité ont été interrogées à travers le MP dans une perspective macro. Ainsi, le MP devient un outil structurant de durabilité d’où émerge un langage commun qui autorise les comparaisons entre villes, même si chacun reconnaît qu’elles sont marquées par des niveaux élevés d'hétérogénéité.
Le MP dialogue avec le passé et le futur dans la cohérence d’un développement urbain durable. En ce sens, le MP est également un support cognitif puisqu’il apporte des briques de connaissances en vue de favoriser des pratiques innovantes dans le domaine de l’urbanisme. Autrement dit, le MP formalise des changements importants dans la fabrique de la ville vietnamienne.
4. Conclusion
Plus qu’une mise en mots à travers son MP, la promotion de la durabilité urbaine à Hanoï ne tendrait-elle pas finalement à une mise en scène orchestrée tant par des facteurs exogènes qu’endogènes ? En ce sens, la ville-capitale post « Đổi mới » appliquerait le répertoire du développement durable comme levier de la croissance urbaine pour favoriser des changements dans les modes et cadres de vie. Néanmoins, cette durabilité urbaine est parfois plus formelle que réelle. Par ailleurs, elle n’est pas sans risque pour le Viêt Nam et pourrait devenir un « cheval de Troie » obligeant plus globalement à déconcentrer les lieux de pouvoir et à développer des mécanismes favorisant davantage la participation des citoyens à la prise de décision (Lam et al., 2014), autrement dit, à revoir les fondamentaux.