1. La démarche d’évaluation d’impact sur la santé
La santé se définit comme étant « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » (OMS, 1946). Cette définition implique qu’une multitude de facteurs individuels, sociaux, économiques et environnementaux interviennent sur la santé d’une population. Ainsi, à chaque étape de la vie, l’état de santé est influencé par des interactions complexes entre ces différents facteurs qui n’agissent pas isolément : les déterminants de la santé. En effet, on sait aujourd’hui que le système de santé compte pour moins de 20 % sur l’état de santé d’une population. Les plus de 80 % restants se jouent hors du système de santé (Cantoreggi, 2010 ; Los Angeles County Department of Public Health, 2013).
L’évaluation d’impact sur la santé est une démarche définie par le consensus de Göteborg comme « une combinaison de procédures, de méthodes et d’outils par lesquels une politique, un programme ou un projet peut être jugé quant à ses effets potentiels sur la santé de la population et la distribution de ses effets à l’intérieur de la population »(OMS, 1999). La démarche d’évaluation d’impact sur la santé s’inscrit dans les principes de la charte d’Ottawa. S’appuyant sur un modèle socio-environnemental prenant en compte l’ensemble des interactions entre les différents déterminants de santé, elle offre un cadre méthodologique pour incorporer des objectifs de santé dans le processus de développement et de planification urbaine (Carmichael et al., 2012 ; Cole et al., 2005). L’EIS se veut une démarche d’accompagnement du processus et encourage la participation des décideurs ainsi que des groupes de la population à l’identification des effets potentiels sur la santé. Elle suppose une interaction entre le secteur de la santé publique, les responsables du projet et les acteurs concernés (urbanistes, secteur social, éducation, population…). L’EIS permet ainsi d’identifier, à l’aide d’informations scientifiques et contextuelles et d’outils variés, les effets potentiels d’un projet ou d’une politique sur la santé de la population et leur distribution. Véritable outil d’aide à la décision, elle a pour objectif de proposer des recommandations afin de maximiser les impacts positifs pour la santé et de minimiser les impacts négatifs.
Cette démarche est inégalement répandue à travers le monde et présente des modèles de pratiques différents d’un pays à l’autre, mais reste structurée en plusieurs étapes. Elle connaît un essor progressif en France, avec pour perspective l’évaluation des conséquences sur la santé des décisions publiques. Elle intervient alors à la fois comme un outil d’aide à la décision, afin de permettre aux porteurs de projets de prendre conscience de la portée de leurs actions sur la santé quel que soit le projet mis en place, mais également comme un outil important de réduction des inégalités de santé, souvent engendrées par les politiques publiques. Plusieurs EIS ont été menées en France sur divers projets : infrastructures de transport, plan de renouvellement urbain, zone d’aménagement concerté, etc. Les modes d’institutionnalisation de la démarche sont aussi variés. Si certains pays ont choisi de l’inscrire dans un processus indépendant, d’autres l’ont intégrée dans des cadres d’évaluation existants. Ainsi, la grande majorité des EIS sont conduites en dehors du contexte législatif (Wismar, 2007), et les démarches volontaires sont les plus courantes (Jabot, 2017). En région Auvergne-Rhône-Alpes, plusieurs EIS ont été finalisées, alors que d’autres sont en cours.
1.1. L’EIS du quartier des Buers à Villeurbanne
Le projet de rénovation urbaine sur le quartier des Buers à Villeurbanne, quartier prioritaire de la politique de la ville, a pour vocation de le modifier en profondeur. Situé à proximité du boulevard périphérique, le quartier doit faire face à des nuisances environnementales, à un manque de fonctionnalité et d’attrait des espaces extérieurs, et à de l’insécurité. La rénovation globale du quartier vise à mieux inscrire l’ensemble des logements sociaux des Buers dans la dynamique de la ville, en s’appuyant sur les opérations immobilières et d’aménagement en cours, de renforcer le rôle structurant de l’artère principale du quartier, et de favoriser de nouvelles activités, en plus des interventions concernant l’amélioration des résidences sociales. La réhabilitation et l’aménagement des espaces extérieurs de la résidence Le Pranard, partie intégrante du projet urbain des Buers Nord, interviennent en collaboration avec le bailleur social. Construite en 1960, la résidence se situe entre la rue du 8 mai 1945 et le boulevard périphérique. C’est un ensemble de 392 logements sociaux, composé de cinq barres de quatre étages et d’une grande barre de neuf étages. Une réhabilitation partielle de la résidence a eu lieu en 1987.
Plusieurs difficultés sanitaires et sociales apparaissent dans ce quartier (Colom, 2016). Témoignage d’une certaine précarité, le taux de bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire est deux fois plus élevé dans ce quartier que sur l’ensemble de Villeurbanne. L’analyse des données de consommations médicamenteuses montre que les habitants du quartier ont jusqu’à une fois et demie plus recours à des traitements antiasthmatiques et antiallergiques par rapport à l’ensemble des Villeurbannais, particulièrement les enfants de moins de 15 ans. Le taux d’adultes sous traitement antidiabétique est 1,5 fois supérieur. Or il existe un lien établi entre diabète et habitudes de vie, ce dès l’enfance, notamment l’alimentation et l’activité physique, ainsi que des facteurs sociaux et environnementaux (Inserm, 2014). La Direction de la santé publique a donc souhaité expérimenter l’évaluation d’impact sur la santé dans le cadre du réaménagement de la résidence Le Pranard. L’objectif principal était d’identifier l’influence du projet d’urbanisme sur la santé des enfants et d’émettre des recommandations afin d’améliorer leur activité physique. Une quinzaine de déterminants de santé ont été retenus par le comité de pilotage réunissant des membres de la direction de la santé publique de Villeurbanne, des représentants de la Direction de l’urbanisme, de la Direction du sport et des espaces verts, du service municipal de santé scolaire, du bailleur social, des acteurs de terrain (représentants d’habitants, éducateurs sportifs, directeur d’école, centres sociaux, professionnels de santé) ainsi que l’Observatoire régional de la santé, chargé de l’évaluation.
L’analyse des déterminants, regroupés sous quatre grandes catégories (environnement extérieur, usages des espaces verts, offres sportives et dispositifs adaptés, voiries), s’est faite en confrontant les données issues de la littérature, d’enquêtes ad hoc, d’entretiens menés auprès d’une vingtaine de personnes ressources et d’observations de terrain, afin de mettre en avant les enjeux du territoire. La parole des habitants a été intégrée à travers l’évaluation des résultats de trois types d’enquêtes : une auprès de plus de 300 enfants sur leur temps de loisirs en dehors de l’école, une autre auprès des résidents sur leurs représentations du quartier, et enfin une auprès des personnes participant aux animations sportives organisées durant l’été.
La résidence Le Pranard se situant aux abords du boulevard périphérique, les habitants sont exposés à une mauvaise qualité de l’air avec des dépassements fréquents des limites réglementaires et à un bruit routier très important. Les infrastructures sportives existantes, dont certaines sont délabrées, sont assez peu fréquentées par les enfants. Par contre, les enfants apprécient beaucoup les espaces verts au sein de la résidence, du fait d’une circulation automobile limitée, où un sentiment de sécurité leur permet de jouer et de circuler librement, sous le regard rassuré des parents. Ces espaces verts sont trop peu valorisés, alors qu’ils représentent un levier important en termes d’activités physiques. De plus, le projet s’inscrit dans une perspective « d’ouverture » de la résidence par la création d’une voie publique pour faciliter son intégration dans la ville, induisant plus de trafic et pouvant avoir une incidence sur la mobilité des enfants. Le quartier est déjà séparé par un axe routier très fréquenté et assez accidentogène, sur lequel la limitation de vitesse n’est pas toujours respectée, malgré de nombreux ralentisseurs et des passages piétons à intervalles réguliers mais dont seuls quelques-uns sont sécurisés par un feu tricolore. Les enfants de la résidence se rendent à l’école le plus souvent à pied, empruntant un petit passage entre les immeubles. Des cheminements piétonniers autres que les trottoirs sont inexistants. Ces trottoirs manquent d’ailleurs d’esthétisme et de confort. L’usage d’un vélo ou d’une trottinette reste difficile, d’une part, du fait du partage des trottoirs entre les piétons et les cyclistes impliquant des conflits d’usage et des problèmes de sécurité et, d’autre part, par l’absence de local pour les vélos, que ce soit à la résidence comme à l’école. Des animations sportives, favorables à l’activité physique et à la santé, sont organisées durant l’été dans le quartier par la ville. Elles semblent très appréciées mais ne sont pas assez connues et non disponibles pendant les petites vacances. En période scolaire, les freins à la participation des enfants à des activités sportives sont le coût des cotisations aux clubs et les déplacements. Au final, une quarantaine de recommandations issues de réflexions libres ont été coconstruites avec l’ensemble des membres du comité. Un dernier travail a permis la priorisation de ces actions en fonction des priorités politiques et de leur faisabilité technico-économique et temporelle. Ainsi, à l’issue de cette ultime étape de hiérarchisation, 19 recommandations sont déjà ou seront prochainement inscrites dans des documents officiels ayant trait au projet urbain, au projet de rénovation, à la politique scolaire, au contrat local de santé et au projet sportif local (Anzivino, 2016a).
1.2. L’EIS du parc Zénith à Lyon
À Lyon, depuis la fin des activités automobiles de l’usine en 1998, l’ancien site RVI Feuillat de 7 hectares était un lieu très convoité. Un collectif d’artistes l’a investi dès 2001, puis plusieurs établissements d’enseignement professionnel s’y sont installés progressivement pour aboutir au projet de création d’un campus, « le Campus Pro », regroupant six écoles, soit environ 6 400 apprenants. Sur la parcelle de 8 000 m2 attenante, restée libre, la ville de Lyon a souhaité créer un parc paysager public et, dans le cadre de son contrat local de santé, expérimenter la démarche d’évaluation d’impact sur la santé sur ce projet qui présente un contexte inédit.
Durant l’année 2013, le projet a fait l’objet d’une concertation en phase programme. Ainsi, avant même sa création, est posée par les habitants la question du partage de cet espace avec la population d’étudiants présente sur le campus. Le projet cristallise autant les craintes de certains riverains que les aspirations à créer un lieu de partage, intergénérationnel, contribuant à créer un « esprit » de quartier. Outre l’évaluation de l’accessibilité, des aménagements au sein du parc et de l’environnement physique, l’objectif principal de cette EIS était de repérer, d’anticiper et d’analyser tous les éléments liés aux usages du parc urbain, qui pourraient être favorables ou défavorables à un bon état de santé, tant au plan physique que psychique des riverains et des usagers, quels qu’ils soient.
Le quartier autour du futur parc est un quartier jeune, où les moins de 20 ans représentent presque la moitié de la population, mais avec un nombre de retraités plus important que sur l’ensemble du 3e arrondissement de Lyon. Il semble plutôt favorisé socialement en ce qui concerne les habitants ; en revanche, les étudiants du campus présentent des profils très diversifiés. L’état de santé des habitants est plutôt bon, avec toutefois un nombre plus important de personnes sous traitement médicamenteux contre les allergies et surtout contre la maladie d’Alzheimer par rapport à l’ensemble du 3e arrondissement de Lyon.
Quatre groupes de déterminants ont été retenus : l’environnement physique, l’habitat et le cadre de vie, les modes de vies et usages, et enfin le capital social et culturel. Une enquête auprès des différents usagers potentiels par entretiens individuels a été menée. La revue de la littérature nous montre que les parcs urbains jouent de nos jours un rôle non négligeable pour rendre la ville agréable à vivre. Bien que d’autres études soient nécessaires pour affiner l’analyse des relations observées, il semble que les espaces verts soient très importants pour la santé physique et mentale en milieu urbain. Toutefois, les risques potentiels des espaces verts doivent être considérés au même rang que leurs bénéfices. L’impact sur la santé des différentes caractéristiques du projet a donc été évalué pour émettre des recommandations. Neuf composantes du projet ont été analysées, avec des interconnexions et des phénomènes complexes. Aujourd’hui, le quartier apparaît plutôt calme, tranquille, avec une bonne qualité d’habitat. Cependant, l’état médiocre des trottoirs, une circulation automobile intense et à forte vitesse à certains moments de la journée, dégradant la qualité de l’air et l’ambiance sonore, de même que le nombre important de cyclistes empruntant les trottoirs et les étudiants en grappe qui fument devant leur établissement sont autant de freins à une bonne déambulation pour les piétons. La création d’une zone apaisée devrait favoriser la mobilité, mais des craintes des riverains quant à son utilisation mal appropriée émergent déjà.
L’analyse du projet a ainsi permis de mettre en avant des points de vigilance concernant les impacts potentiels de la création du parc Zénith dans le quartier. À travers l’évaluation, la mise en valeur du parc peut favoriser l’apparition d’une centralité dans le quartier, invitant à une certaine convivialité et à plus de déplacements donc d’activité physique et de mobilité des habitants. Le parc peut être un motif de promenade, une destination ou un point de passage dans un parcours. Les habitants souhaitent trouver dans ce parc des espaces de repos et de fraicheur, sur des bancs ou dans l’herbe à l’ombre d’une végétation agréable, tout en disposant d’espaces ensoleillés. Cependant, le passé industriel du site, malgré les restrictions d’usage instaurées pour minimiser les risques sanitaires pour les usagers, pose encore quelques questionnements. De même, les résultats de campagnes de mesures de la température montrent qu’il est indispensable de réfléchir à des solutions pour atténuer l’ensoleillement massif des aires de jeux aux heures où celles-ci devraient être les plus fréquentées. La médiathèque représente un atout en soi, elle est très attendue, même sans parc. Le plaisir semble augmenté par la possibilité d’emprunter et de lire dans le parc. Le jardin public apparaît aussi comme un lieu où l’on peut profiter de ce que l’on n’a pas chez soi, même dans un jardin privé : lame d’eau, arbres… et présence des autres. Les habitants expriment de grandes attentes quant au plaisir des yeux mais aussi de partage d’éléments culturels et de savoirs.
De fortes attentes sont exprimées auprès des responsables des écoles et des étudiants, ainsi que de la médiathèque, pour favoriser l’émergence de quelques évènements culturels, sportifs et/ou ludiques créant ainsi des occasions de sociabilité partagée pour dynamiser ce quartier. La médiathèque pourra jouer un rôle important dans la médiation lors de la mise en place de ces animations, car elle pourra faire le lien entre les riverains, les étudiants et les usagers de tous horizons. Le parc apparaît comme une opportunité pour aborder le tabagisme des jeunes de façon positive. Le partage entre une population de fumeurs et une population de non-fumeurs (dont les enfants) doit devenir un outil de sensibilisation à un changement de comportement chez les jeunes et une incitation à réduire leur consommation. Ainsi, l’enjeu du tabac pour les étudiants va au-delà d’une simple gestion de la sécurité et de la propreté. Un parc public doit remplir son rôle : être ouvert à tous sans qu’une partie des usagers, quels qu’ils soient, ne se sente rejetée. Le futur parc doit être envisagé avec une approche à la fois globale et systémique et doit mettre en place des actions pérennes sur des questions de santé physique et mentale afin de favoriser la réduction des inégalités de santé. Cette EIS revêt un caractère inédit à travers l’analyse de partage au quotidien d’une population riveraine stable avec des étudiants dont la présence et « l’enracinement » sur le territoire sont, par essence, plus limités. La littérature abonde sur les bienfaits de la nature en ville. Le processus d’EIS mis en place sur ce projet a cependant permis de mettre en exergue plusieurs points : la prise en compte de plusieurs déterminants de la santé et en particulier une analyse fine des attentes potentielles en fonction des différents profils des futurs usagers et des impacts possibles sur leur santé mentale ; la mise en place d’enjeux sanitaires jusque-là insoupçonnés, comme la question du tabac, compte tenu du contexte inédit ; la mise en place d’un dialogue et d’une transversalité entre les différents services de la ville et des acteurs avec une réflexion commune et une prise de conscience des enjeux ; l’intérêt de la démarche dans un quartier a priori « favorisé », pour lequel le passé historique joue un rôle important et permet d’apporter de la « matière » à la réflexion. Ainsi, le parc Zénith apparaît être un véritable laboratoire sociologique qu’il sera intéressant de continuer à investiguer durant les premières années de son fonctionnement (Anzivino, 2016b).
1.3. Forces et faiblesses de ces EIS
Les EIS menées ont remis la santé au sein des choix et fait le lien avec d’autres préoccupations touchant, par exemple, au développement durable, aux impacts sociaux ou au développement territorial. Ces démarches ont favorisé la prise de conscience de l’ensemble des acteurs, dont les habitants, des impacts sur la santé et le bien-être d’un projet, et ont encouragé la responsabilisation de tous dans la mise en œuvre des recommandations. En effet, l’EIS représente une méthodologie encadrante permettant à chacun d’avoir sa juste place, avec une mobilisation de chaque acteur, y compris les habitants sous des formes variées. L’échange autour de la table sur des questions de santé a permis l’exploration de thématiques jusque-là peu investies, ou partagées et a concrètement facilité la synergie dans les actions portées par d’autres dispositifs. L’EIS a ainsi créé une dynamique transversale de travail et un partage entre les différents secteurs autres que ceux de la santé, et donné l’occasion de sensibiliser et d’informer les autres acteurs impliqués sur différents concepts et sur leurs rôles pour promouvoir des comportements favorables à la santé. Cette démarche montre combien la notion de santé environnementale fondée non sur des normes mais sur des choix mérite d’être encore expliquée et appropriée par les habitants et les acteurs de la ville. De plus, l’EIS s’intéresse à la distribution des effets dans divers groupes sociaux, et vise ainsi à réduire les inégalités sociales de santé. Toutefois, si on veut que l’EIS contribue à la réduction de ces inégalités, il est nécessaire de mener des actions prioritaires auprès des populations les plus affectées.
L’EIS nous est apparue comme l’outil facilitant la coconstruction et l’implication de chacun. Par exemple, la dynamique initiée entre techniciens a rencontré l’intérêt des élus qui se sont appropriés la démarche afin d’inscrire certaines recommandations dans leurs feuilles de route. Elle a aussi rencontré l’attention du bailleur social qui comprend mieux l’approche santé et l’intérêt d’intégrer les usages exprimés par les habitants en amont des projets. Cette prise en considération des usagers et la présentation de solutions opérationnelles possibles avant la réalisation du projet peuvent éviter ensuite de nombreuses plaintes et incompréhensions. Certaines recommandations émises peuvent sembler, de prime abord, simples à mettre en œuvre, mais leur portée va souvent au-delà grâce au processus d’évaluation : l’EIS devient un outil d’aide à la décision opérationnel facilitant leur mise en œuvre dans d’autres politiques de la ville. Ainsi, mener une EIS se fait dans les perspectives de permettre aux porteurs de projets de prendre conscience de la portée de leurs décisions sur la santé, quelle que soit la mesure et d’agir en conséquence en amont de sa mise en place, de réduire les inégalités de santé souvent engendrées par les politiques publiques et d’avoir une dynamique de projets intersectoriels pérenne. L’EIS fournit un cadre qui permet de les sensibiliser et constitue une occasion de partager des connaissances sur les déterminants de la santé.
2. Conclusion et perspectives
L’EIS est reconnue au niveau international, ainsi qu’en France, pour être une démarche flexible et adaptable à tout type de projets, de plans ou de programmes afin d’anticiper leurs impacts potentiels sur la santé et de produire des recommandations à l’adresse des décideurs. Ainsi, les EIS s’adaptent aux spécificités locales : chaque projet ou politique se réfère à un territoire, avec ses ressources et handicaps, ses populations aux caractéristiques sociodémographiques particulières, ses collectivités disposant de moyens techniques, humains et financiers qui leur sont propres et ses priorités politiques légitimes et souvent différentes d’autres territoires.
Mais certains aspects sont encore à explorer ou consolider en termes de connaissances, pluri- et interdisciplinaires et il est primordial d’éviter l’écueil d’une vision trop mécanique des EIS, en évitant le piège de la normalisation. Un espace urbain devient cadre de vie par le sens que lui attribuent les citoyens qui le peuplent. À ce titre, maintenir le caractère « expérimental » de l’EIS en opposition au caractère règlementaire permet de rester ouvert à toutes les nouveautés pouvant découler des divers processus mis en œuvre. En revanche, il est essentiel que l’EIS soit conduite par des experts et d’organiser, à différentes échelles, des lieux de partage des expériences. C’est avant tout une démarche scientifiqueet non un outil, et elle cherche à prédire les conséquences sur la santé des décisions possibles et contribuer ainsi à une prise de décision éclairée. Elle ne peut être mise en œuvre comme un simple exercice calculatoire. De plus, les attentes des décideurs sont souvent orientées vers des réponses normatives et quantifiées. Or il est difficile de mesurer immédiatement l’impact et les effets concrets de la mise en place des recommandations dont les bénéfices ne se font sentir que longtemps après. Il est également difficile d’intégrer les EIS dans des procédures très normées et aux temporalités différentes.
Cependant, ces deux premières EIS menées en région Auvergne-Rhône-Alpes sur des projets différents ont permis d’identifier cinq leviers majeurs pour le bon déroulement d’une EIS :
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l’engagement de la collectivité territoriale ;
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la mise en place progressive d’un langage commun avec les parties prenantes ;
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la nécessité de l’expertise pour la conduite de l’EIS et la mobilisation de compétences multidisciplinaires ;
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une démarche participative s’appuyant sur les acteurs locaux ;
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la coconstruction des recommandations avec les habitants et en phase avec les réalités opérationnelles des projets.
L’absence de portage politique ou administratif local constitue encore un véritable frein, de même que la nouveauté du concept et la crainte vis-à-vis des ressources financières à mobiliser. Elle demande encore un temps d’acculturation des différentes parties prenantes pour s’assurer de la bonne compréhension du raisonnement. Enfin, même si la majorité des EIS conduites en France concerne des projets d’aménagement, elles peuvent être conduites pour tout autre type de politique, plan, schéma et programme. Il est important aujourd’hui de faire plus largement connaître et s’approprier la démarche EIS et impulser l’intérêt de sa mise en œuvre.
Encart. Les différentes formes dévaluation d’impacts sanitaires (source : INPES, « L’évaluation d’impacts sur la santé. Une aide à la décision pour des politiques favorables à la santé, durables et équitables »).