De l’Orient rêvé à l’Orient révélé : les mutations de l’exotisme du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure au Roman de Troie en prose (Prose 1)

DOI : 10.54563/bdba.919

p. 211-224

Plan

Texte

Autour de 1165, Benoît de Sainte-Maure écrit un vaste Roman de Troie en vers, traitant d’une matière éloignée dans le temps aussi bien que dans l’espace. Le siècle suivant nous a laissé de nombreuses mises en prose de cette œuvre. L’une, dont ni l’auteur ni la date exacte ne nous sont actuellement connus, nommée Prose 1 par M.-R. Jung, reprend assez fidèlement, tout en l’abrégeant, le contenu du Roman de Troie en l’accompagnant de moralisations. La matière troyenne, passant du vers à la prose, est profondément remaniée par cette forme nouvelle ; ainsi l’exotisme, cette attirance pour les choses lointaines et étranges1, reçoit-il un traitement différent. À partir d’un univers exotique où Benoît de Sainte-Maure entretient un goût pour la rêverie de l’espace éloigné2, le prosateur confectionne un nouveau monde, toujours lointain mais plus familier, toujours autre, mais aussi reflet de l’Occident. Succédant à la tentation de décrire les pays liés au rêve s’affirme désormais la volonté de les révéler au lecteur, au-delà de leur contenu imaginaire, dans leur dimension géographique et aussi dans une dimension chrétienne ; à côté de l’émerveillement prennent place l’instruction et l’idéologie3.

La révélation de l’Orient ou la leçon géographique

L’œuvre de Benoît magnifie Troie et soutient le mythe d’une cité orientale disparue en présentant au lecteur une ville idéale en apparence, lieu de toutes les richesses4. Le lecteur note l’importance de l’architecture des bâtiments : le travail raffiné élaboré sur ces matériaux, les couleurs décrites avec un luxe de détails, particulièrement dans la description d’une des salles du palais5. À l’opposé de celle de Benoît, la description menée par le prosateur est considérablement appauvrie. Les notations qui démontrent la beauté de Troie sont conservées mais dans des formules beaucoup plus générales : les objets architecturaux sont désignés par les vocables de « chose » (4 occurrences, à la place des termes d’« entableüre », « coverture », « pavement », « uevres » ou « deis ») ou « merveille » (2 occurrences pour résumer les « chambres voutices o fourneaus », les « verrieres, clostres et preaus » des vers 3135-36) qui dispensent le prosateur de les nommer et de les présenter6. Seule la notion de richesse demeure tandis que disparaissent les détails de cette enluminure troyenne, telle la chambre des Beautés, objet d’une longue description en vers (vv. 14631-958), seulement mentionnée à la fin du roman en prose (§ 312)7.

Ce qui est lié à la religion antique et qui contribuait aussi à la peinture exotique de Benoît est supprimé par le prosateur qui se montre plus soupçonneux envers la ville païenne. Le versificateur était désireux de faire découvrir une conception des cultes païens qui différaient des habitudes contemporaines occidentales. Ce qui éloigne le lecteur de son univers est prétexte à des développements tels que la présentation des idoles païennes ou de la statue de Jupiter (vv. 3115-27). Le prosateur s’y refuse, n’en mesure pas le charme, les condamne et paraît même peu au courant de ces cultes antiques, présentant « Minerve », « Miners » comme un dieu masculin (§ 305), ne s’attardant sur aucune des mentions de divinités sinon pour blâmer le culte des idoles païennes derrière lesquelles se dissimulent les diables (§ 80, 228, 321)8. De manière corollaire, des lieux empreints de merveilleux païen sont exclus de la rédaction en prose, comme la plus longue des descriptions géographiques de Benoît qui contient des noms de peuples mythiques, de fleuves inconnus9. Au contraire, comme en témoigne aussi la différence de traitement du pays des Amazones dans les deux textes, l’expression de l’exotisme se rationalise par une historicisation de la matière. La description versifiée de la beauté du paysage insulaire, des sentiments et des vêtements des guerrières est abandonnée ; le prosateur s’attache aux actions des Amazones et charge davantage sa représentation d’informations géographiques et étymologiques10. Cette réorientation qui réduit la part de romanesque11 souligne la présence vive d’un historien géographe expérimentant une nouvelle rhétorique de la prose.

Si la préoccupation n’est plus de susciter l’admiration du lecteur par la beauté exotique de la ville, il s’agit désormais de lui présenter, dans une perspective didactique, le territoire utile à la narration. Le propos est de « demonstr[er] l’estre de Troye et dou grizois pais » (§ 4). Le but annoncé est que le public « entend[e] miaux l’estre de la chose » (§ 1)12. Avec ces deux emplois du substantif « l’estre », le prosateur délaisse l’apparence exotique construite par Benoît pour se consacrer à l’essence, à ce qui s’appréhende non par le regard, mais par la connaissance. Cette description est structurée et annoncée avec méthode (§ 1) et les remarques géographiques sont soumises à un ordonnancement.

Dans les premières rubriques, les cartes de l’Orient et de l’Occident offrent une description de l’Italie, de la Grèce et de l’Asie Mineure, permettant au lecteur de se figurer avec une grande précision les lieux, première étape de l’exposition narrative, avant même l’entrée en scène des acteurs, comme si le prosateur procédait à une véritable leçon de géographie. La topographie se fait elle-même plus précise. Le prosateur ajoute à la représentation de la ville des détails qui ne se trouvent pas dans le texte de Benoît :

Vint liues duroit environ, si estoit faite a maniere d’un escu, les deus parties en mer et l’une devers terre, selonc ce qu’il apert encores (§ 38).

La situation maritime et terrestre de Troie est mise en valeur, ainsi que ses dimensions. Si l’on considère néanmoins le plan esquissé, il correspond non à Troie – qui ne pénètre pas dans la mer – mais à la Constantinople médiévale. L’« écu » symbolise bien la partie principale de la ville byzantine s’avançant en péninsule dans la mer sur deux côtés tandis qu’un seul fait face à la terre : un côté est bordé par la Propontide ou Mer de Marmara, l’autre longe la Corne d’Or. Un plan de Constantinople au Moyen Âge nous montre une ville parcourue par l’eau, détail qui aurait pu inspirer le prosateur pour sa description où on trouve des mentions de « puis », « fonteines » et « rivieres » absentes du texte de Benoît13. Voilà donc un nouvel exemple de cette fréquente « confusion » relevée par E. Baumgartner, cette surimpression à l’antique Troie de la Constantinople réelle qui « se profile et se donne comme modèle, comme ville originelle »14.

Les explications géographiques sont réorganisées et modifiées pour une meilleure intégration de la géographie à la narration. La très longue liste des régions de la terre (vv. 23127-780) que Benoît rattache in extremis au pays des Amazones est supprimée ; la source de cette géographie, que Benoît nommait « li traitié et grant livre Historial » devient chez le prosateur « le chatalogue des anciens rois », preuve que l’aspect de liste ne lui a guère échappé. La géographie a perdu son aspect de somme qui faisait appel à la fois à l’imagination et à la connaissance du lecteur, mais elle sert plus étroitement la narration, refuse le collage et insère la description dans les nécessités du récit. Les références géographiques essentielles sont déplacées dans des positions stratégiques : au début et à la fin de l’œuvre. Soucieux de clarté, le prosateur a préféré la restriction spatiale à l’étendue d’un imaginaire : il rationalise ses choix en proposant une carte plus cohérente et relie les composantes du récit – temps, lieu et description – à l’action elle-même, l’exercice étant facilité et induit par la pratique de l’abbreviatio.

Si exotisme il y a encore – car on perd cette dimension du rêve qui en paraît indissociable – il s’écarte du fantasme pour s’ancrer dans une observation ou une représentation plus proches de la réalité. Témoignage et précision dans l’attention constante portée au nom des cités et des pays dessinent la stature d’un historien géographe qui remanie également la matière pour l’actualiser.

Le prosateur a abandonné parfois des termes géographiques anciens pour adopter une toponymie s’accordant aux réalités contemporaines. Les modifications peuvent consister en une francisation du terme employé – « et li Troien alerent tant que il ariverent a une isle que l’on apeloit Cithera : c’est l’ille qui est apelee Cetri » (§ 60)15 – ou encore en une désignation politique nouvelle ; ainsi le « seigneur de Licoine, amiraut » chez Benoît, est remplacé par le « Soudan du Coigne » (§ 89) qui est la manière contemporaine de nommer le pays où se trouve Iconium ou Konya. Cette ville, à l’époque de l’écriture, dépend du sultanat de Rum, ce qui explique l’emploi du terme « Soudan ». Autre exemple, dans la rubrique 3, le prosateur utilise un lieu évoqué ailleurs par le versificateur, le « Pais de Thessaille », mais en indique le nom modernisé : « que l’on apele hui la terre dou Despote », expression qui figure également dans la Chronique de Morée et qui désigne le Despotat d’Épire16. On peut d’ailleurs noter que cette terre ne correspond pas à l’antique Thessalie située, à l’opposé, au Nord-Est de la Grèce. Le but de cette pratique serait-il alors de présenter des lieux plus évocateurs que les contrées antiques peut-être désormais inconnues des lecteurs ?

Pour les lieux absents du texte de Benoît, les toponymes employés sont conformes aux noms du xiiie siècle, comme la « Mer Majour » qui désigne à plusieurs reprises la Mer Noire ; les pays d’« Ermenie », de « Jorgie », de « Surie », de « Turquie » se présentent sous des formes que l’on retrouve dans les textes contemporains. M.-R. Jung suggère que le prosateur semble bien connaître les lieux qu’il décrit17. Il est possible en effet qu’il ait écrit ce texte en Morée franque, et peut-être à Corinthe comme le laisse entendre l’épilogue18. Le prosateur évoque du reste le « biau chasteau de Noepant ». Il s’agit de « Nepant », qui désigne la ville de Naupacte dans la langue des Francs de Morée19. De même, il apporte des dénominations typiques des Francs de Morée, recensées par J. Longnon, pour se référer à Argos (qui devient « Argues » alors qu’on trouvait « Arges » chez Benoît), Larissa (« Larise » alterne avec « Larse », la forme franque typique). Il emploie « Lile » pour l’« Elide » de Benoît (« Lile » est la « traduction » franque de la ville grecque de Nisi). « Lescope », qu’il substitue à « la terre de Tricios » de Benoît (v. 5658) évoque la forme franque de « l’Escople » mise pour « Scopelos ».

La modernisation du nom et la recherche d’un lieu réel dans le secteur géographique de la narration priment sur la fidélité à l’histoire de Troie et à la source que constitue Benoît. Le prosateur se préoccupe de géographie moderne. L’antique « Orcomenie » ou « Orcomeine », partie de la Thessalie, est remplacée par la « Comenie », pays des Coumans, territoire qui borde les rives de la Mer Noire. La « Capadie » (v. 8305) de Benoît, patrie d’Agapénor, est corrigée par le prosateur en « Capadoche »20 (§ 102), partie orientale de l’Asie Mineure, ce qui lui restitue une réalité géographique plus claire. À travers ces noms qui cherchent pourtant la parenté sonore, le narrateur vise, plus que la conformité aux lieux du récit-source, l’adéquation au monde contemporain, renouvelant ainsi l’exotisme proposé par Benoît. Il reste difficile néanmoins de déterminer s’il s’inspire de textes géographiques à sa disposition ou de connaissances liées à une expérience plus personnelle.

La part de rêve du texte de Benoît est soumise à la volonté didactique et à la distance de l’historien. On passe donc d’un exotisme véritable à une géographie où la forme-prose révèle une organisation du matériau géographique en imposant l’image d’un Orient familier, restreint, actualisé par la référence à la Morée, modernisé dans son vocabulaire topographique. Mais cette image émane aussi d’un moralisateur chrétien ; l’organisation rationnelle et la canalisation du discours exotique et géographique servent un but idéologique.

La révélation de l’Orient ou la leçon chrétienne

Cette révélation géographique, greffée sur le tableau expressif et savant de Benoît, sert une démonstration historique : le prosateur crée un monde qui tâche de fondre en un seul moule l’Orient et l’Occident, incarnés au début du roman par la Grèce et Rome.

Le prosateur nous invite d’abord en « Romanie » (§ 3), appellation commune au Moyen Âge pour désigner l’Empire romain. Il évoque les périodes de guerre subies par les Grecs « jusqu’à tens que il orent la segnorie des Romains, et meïsmant de Constantin […]. Et por ce fu li païs apelé Romanie et changa le non de Grece. Car encore, se vos demandés a un Grezois en son lenguage quez honz il est, il respondera que il est Romain, quar ce li samble une maniere de franchise. Et surquetout, quant il avient que aucun Grizois veulle franchir son serf de liberal franchise, si li dist : ‘soies Romain’ ». L’explication étymologique du mot « Romanie » et les deux exemples lexicaux viennent conforter l’idée de la fusion entre Grèce et Occident au temps du vaste Empire romain.

Après la Grèce romaine, c’est l’Italie grecque qui nous est dépeinte. Dans la rubrique 4, le prosateur montre, en un mouvement symétrique, qu’une grande partie de l’Italie a appartenu à la Grèce (la Sicile, la Calabre et les Pouilles jusqu’à la marche d’Ancône et la terre de Maremme). Deux exemples viennent étayer à nouveau la démonstration : à l’époque de l’écriture, les paysans calabrais parleraient grec et les habitants des Pouilles entendraient la messe en grec21 ; ces aperçus linguistiques servent de caution historique, de preuve au fait que l’Italie était grecque à l’époque de l’histoire de Troie, selon la thèse soutenue par le prosateur. Mais cette évocation de la Grande Grèce présentée dans une si large extension ne peut en réalité faire référence à l’époque de la guerre de Troie. La Grande Grèce antique se limitait en effet au sud de l’Italie. Il s’agit donc d’une référence à une histoire beaucoup plus récente : la présence byzantine en Italie à partir du viiie siècle et jusqu’à une époque contemporaine de la rédaction22. Le prosateur choisit, sans le préciser, la période d’extension maximale de la « Grèce » en Italie. Cette géographie s’appuie sur une confusion temporelle et amplifie à plusieurs égards la réalité historique, mais c’est au prix de cet infléchissement de la vérité que le prosateur livre sa démonstration, qui consiste à dépasser, grâce à l’entremêlement des époques23, la différence entre Orient et Occident pour pouvoir assimiler les Grecs à ces Gréco-Romains faisant autrefois partie d’un même Empire, et illustrer l’union dans l’Histoire de Rome et d’Athènes, de l’Occident et de l’Orient.

D’autres exemples continuent à entretenir la fusion, la confusion. À partir d’une erreur de Benoît qui parle de « Penelope la cité »24 à la place du Péloponnèse de Darès, le prosateur en précise la localisation. En dépit de toute logique, il assimile sans doute « Penelope » à l’antique « Parthenope », au moyen d’une étymologie erronée, et déplace ainsi la ville grecque au sein de l’Italie byzantine : « En un de ces païs de Grece dont je vos ai parlé desus, ce est en la terre de Labour, avoit une cité que Penelope fu apelee, qui hui est apelee Naple »25. On constate donc une volonté de préciser la géographie, mais dans une orientation particulière : dessiner un empire uni, que ce soit en une grande Grèce ou en une grande Romanie.

C’est la référence au christianisme qui met en évidence l’union entre l’Orient et l’Occident. Le patronage de Constantin, premier empereur d’Orient chrétien, inscrit la réalité géographique dans une ère chrétienne et un temps plus proche du moment de l’écriture que l’autorité utilisée par Benoît dans sa description du monde : Jules César26. Le lien entre Orient et Occident se fait également autour de Constantinople, symbole de la chrétienté orientale, puisque chacune des descriptions géographiques – celle de la Romanie et celle de l’Italie grecque – s’élargit jusqu’à la capitale de l’Empire romain d’Orient. Cette référence vise la démonstration d’une parenté entre Rome, la Grèce et Constantinople dans leur appartenance chrétienne. À cet égard, l’assimilation entre Troie et Constantinople renforce le propos de l’auteur. Devenant en filigrane, derrière Troie, ville à conquérir, Constantinople représentait aux yeux des contemporains une ville attirante pour ses richesses et attirante pour son passé lié à Troie, donc à un mythe des origines27. La superposition de la ville antique et de la ville moderne révèle cette attirance, faisant coïncider le désir occidental de racheter les péchés de la « païenie » ancestrale et celui de ramener au sein de l’Église romaine la religion schismatique. Ainsi l’histoire de la conquête de Troie se double de la conquête de Constantinople, dans une perspective de rachat chrétien et d’effacement des ruptures religieuses contemporaines.

Le prosateur paraît étudier, imposer la géographie à travers le prisme de la religion chrétienne. En effet, la carte des territoires conquis par Landomata, qui reprend en grande partie les territoires nommés dans la présentation de la prose28, ne dessine-t-elle pas de manière anachronique les contours de l’Empire romain chrétien d’Orient ? Partant des pays alentour de Troie (§ 358), le descendant d’Hector se rend maître du royaume de Ménélas (la Morée29) après que celui-ci a fui à Rhodes (§ 360), puis du royaume d’«Ancoine » (§ 362), qui correspond au sultanat d’Iconium30. Par la mort du roi d’Ancoine et le mariage de Landomata avec sa fille est assurée l’union entre Troie et la Turquie. Ensuite a lieu la conquête de la « Jorgie » (§ 363), de « l’Ermenie » (§ 364), puis de la « Surie », de « l’Egypte » (§ 366). Le prosateur note enfin que le héros « gaaigna tout le païs jusques a desers de Nubie et jusques a la mer d’Inde » (§ 366). La Nubie, territoire le plus lointain des conquêtes de Landomata est aussi un territoire à domination chrétienne, qui prête allégeance à l’Église orthodoxe grecque au vie siècle31. Ce sont les pays de l’Empire chrétien d’Orient à l’époque de Constantin qui sont nommés32 à travers ces conquêtes. Ils appartiennent au monde oriental chrétien que Landomata unit « par amour » et « par force » sous une « novelle loi », qu’on pourrait interpréter comme le christianisme. Le parcours d’Anténor permet d’envisager les pays de l’Empire romain d’Occident : il passe de Troie à « Veneise » et fonde ensuite la cité de « Paude » (§ 330). Venise, ville italienne, vient en effet se substituer à « Corcire Menelan » (v. 27527, vv. 27533-35) utilisée dans le texte de Benoît. Le trajet d’Énéas est également détaillé par rapport à l’œuvre en vers : les étapes « Sezille », « Cartage », « Ytaille » (§ 331) parachèvent les contours de cet empire d’Occident et d’Orient qui constitue l’Empire romain à l’époque de Constantin.

Complétant les auteurs du xiie siècle, Benoît de Sainte-Maure, Geoffroy de Monmouth, ou encore le clerc de l’Énéas qui s’attachaient à faire descendre la chrétienté occidentale des héros troyens, le prosateur invente un empire imaginaire où il fait le recensement de la chrétienté orientale, en présentant les pays chrétiens d’Asie. Troie devient le foyer à partir duquel essaime l’ensemble des civilisations chrétiennes, orientale et occidentale, et assure un lien entre ces deux pôles de la chrétienté. La géographie proposée nous conduit à poser une hypothèse : de manière métaphorique, les conquêtes de Landomata sur les rois orientaux pourraient évoquer, comme une propédeutique, la naissance, la propagation du christianisme en Orient ou plus encore la réunion de ces pays au cœur de l’Empire romain d’Orient chrétien.

La carte géographique redessinée, modernisée se double d’une perspective historique qui modifie la matière antique afin de lui faire parler du présent. La géographie de Prose 1 quitte en effet la sphère des « ancienes estoires » pour proposer dans cette « mise à jour »33 une carte liée aux territoires des croisades. Il en va ainsi de la Constantinople évoquant les enjeux de la quatrième Croisade et décrite à la manière du témoignage de certains croisés (ainsi l’écu évoqué par le prosateur rappelle-t-il le « triangle » de la chronique de Guillaume de Tyr ou de Brochart l’Allemand34) jusqu’à l’évocation de territoires jalonnant le parcours des croisés, telle la ville d’Iconium35, tels les pays d’Arménie, de Géorgie, ou encore de Morée. La matière antique sert de support à un jeu de reconstruction qui rejoindrait les enjeux de la matière des croisades, particulièrement dans ses aspirations à lier l’Église d’Orient à l’Église d’Occident. Serait-il alors envisageable que Prose 1 ait été écrit pour distraire la noblesse française mais aussi pour la rappeler à ses devoirs et à la nécessité de la croisade ? Ainsi, chacun des auteurs se serait servi des marques géographiques pour légitimer une ambition politique. Benoît sans doute au service de la glorification d’une civilisation courtoise36, le prosateur peut-être au service de la légitimation de la croisade. Ce faisant, il jette un regard biaisé sur l’Orient en projetant une idéologie occidentale sur la représentation géographique.

L’exotisme se sépare de la dimension du rêve présente chez Benoît, et la carte géographique qui y est associée, dont le pouvoir de fascination est certainement réduit, recèle essentiellement une vocation didactique et idéologique. Le passage des vers à la prose concorde avec la métamorphose de l’exotisme en objet de révélation : révélation géographique, mise en relation avec le projet historique du prosateur où il présente une conception didactique de l’espace, et révélation chrétienne, en lien avec son projet de moralisateur. L’Orient des richesses, du savoir et de la merveille qui suscitait la curiosité et l’intérêt des cours devient un Orient aux contours géographiques plus nets : on semble s’en rapprocher et l’observer à la jumelle. Le prosateur le soumet à une perception chrétienne qui relie, dans un nouveau message politique, le monde antique et lointain de Troie à l’Occident du xiiie siècle, apportant, peut-être, une légitimation à la conquête des territoires orientaux. Ces changements, conduits par les nouvelles possibilités de la prose37, pourraient s’expliquer par un centre d’observation différent : la Morée. Par l’intégration dans le récit du discours didactique, géographique et moralisateur, par la volonté de réunir les matières, Prose 1 donne ainsi un nouveau sens – historique et chrétien – à l’écriture du mythe de Troie.

Annexe

Exemples :

Le pays des Amazones :

Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure, vv. 23302-23356.

Ço nos recontent li Traitié
E li grant Livre Historial,
Qu’en la partie Oriëntal
Est Amazoine, terre grant :
Oez que nos trovons lisant.
De femmes est tote habitee :
De tant com dure la contree,
N’i enterra hom a nul jor.
Mais, si com dïent li autor,
Delez la terre prés assez
A un isle qui bien est lez :
Seisante liuës tient al meins ;
De precios arbres est pleins
E d’erbes chieres speciaus.
Plains est li isles e eguaus
E delitos e riche e bel.
La vont contre le tens novel.
Bel s’atornent e richement ;
Precios sont lor vestement
De dras de seie a or batuz ;
Noblement ont les cors vestuz.
Dés qu’est li meis d’avril entrez
Desci que juinz s’en est alez,
I sont a joie e a sojor.
Li home des regnes entor
Vienent a eles : c’est lor us.
Treis meis i sont e neient plus.
A mout grant joie les receivent :
Adonc empreignent e conceivent.
Les plus beles, les plus preisiees
N’i sont eües n’atochiees
Se de ceus non qui ont valor
E qui plus ont pris e honor :
Li plus vaillant as plus vaillanz.
Iluec aportent les enfanz
Qui masle sont e d’eles né :
As peres sont iluec doné,
Que ja un sol n’en retendront
Ne plus d’un an nel norriront ;
Les meschines, celes norrissent.
E quant ço vient qu’il departissent,
Tot l’an sont puis, ja de ses ieuz
Nes verra hom, jovnes ne vieuz ;
S’en lor terre meteit les piez,
Sempres sereit toz detrenchiez.
D’eles i a mout grant partie
Que ja a nul jor de lor vie
Ne seront d’omes adesees
Ne ja n’ierent despucelees.
Armes portent : mout sont vaillanz
E hardies e combatanz.
E en toz lieus en sont preisiees
Avenu est maintes feices
Que eisseient de lor païs :
Armes portent por aveir pris.

Prose 1, § 269 :

L’en list es chatalogues des anciens rois la ou les habitacions de la terre sont devisees que en une partie d’Orient si a une isle ou il n’abitent se femes non. Si avient que quant elles ont volenté d’abiter avec home, ou par volonté d’enfans avoir ou par delit qu’eles i font les homes venir d’autre païs qui voisins lor sunt. Et maintenant qu’eles ont lor voloir acompli, si lor donent congié et elles demourent enchaintes. Et quant vint au tens qu’eles se delivrent, se li enfes est masles, si l’envoient norir hors dou païs sans jamais revenir por faire illeuques loins ostage. Mais les filles norissent mult deliciousement et quant vint en eage d’armes porter, si les aprenent le mestier quar maintenant que elle est nee, li copent elle sa senestre mamelle por estre plus delivre a l’escu porter. Et por ce ont elles a non amazoines, c’est-à-dire sans l’une des mameles. Et si devés savoir que ces femes ne servent d’autre labor que des armes dont elles sevent tant que elles tienent lor terre bien en pais. Et maint autre roi et prince d’Orient lor font homage por la vaillance de lor bone chevalerie.

La description de l’Italie

Prose 1, § 4

De Grece estoit encores, selonc ce que nos trovons et qu’il en apert par vraies enseignes, tout le reaume de Sezille et Calabre et Puille jusqu’a la marche d’Anconne, et, par devers la mer de Pise, toute la terre que l’on apelle Mareme, qui est par dela Rome. Et que ce soit voirs, par toute Sezille parolle on encore en plusours leus grizois, et par toute Calabre li païsant ne parlent se grizois non. Encore en Puille en maint leuz font il le servize Nostre Seignor es mostiers a la maniere de Grece et en grizois langage : por quoi il apert et voirs est sans faille qu’ils furent ancïenement tous grizois. Dont vous poés entendre que le païs fu a merveilles grant et leur pooir desmesurés, si que le bon païs et grant dont il avoient la seignorie estoient il mout redoutés par deça mer.

Notes

1 Voir la définition proposée par J.-M. Moura, dans Lire l’exotisme, Dunod, 1993, p. 3 : « D’une manière générale, on entendra donc par exotisme une rêverie qui s’attache à un espace lointain et se réalise dans une écriture. » Retour au texte

2 Les termes de « rêverie orientale » et d’« exotique » sont employés par E. Baumgartner à propos du Roman de Troie, dans « Troie et Constantinople dans quelques textes du xiie et du xiiie siècle : fiction et histoire », La Ville, histoires et mythes, dir. M.-C. Bancquart, Paris X-Nanterre, 1983, pp. 6-16. Le Roman de Troie rappelle donc en cela l’esthétique du roman oriental ; sur ce point, voir C. Gaullier-Bougassas, La Tentation de l’Orient dans le roman médiéval, Paris, Champion, 2003, pp. 23-143. Retour au texte

3 Les citations se réfèrent, pour le Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure, à l’édition L. Constans, Paris, 1904-1912, S.A.T.F., 6 vol., pour le Roman de Troie en prose (Prose 1), à l’édition partielle de L. Constans et E. Faral, Paris, 1922, C.F.M.A., t. 1 et à la suite de la transcription du manuscrit BNF fr. 1612 par F. Vielliard, que nous remercions vivement. Retour au texte

4 Et ce, bien qu’elle soit vouée à la perte. Sur ce point, voir C. Croizy-Naquet, Thèbes, Troie et Carthage. Poétique de la ville dans le roman antique au xiie siècle, Paris, Champion, 1994, pp. 374-390. Retour au texte

5 « Une sale fist Priamus / De marbre fin e de benus : / Riche fu mout l’entableüre / E plus riche la coverture ; / Mout ot asis de riches pierres / En plusors lieus par les maisieres ; / Mout par fu grant, mout par fu lee / Et mout fu richement ovree » (vv. 3099-3106). Sur ce point, voir E. Baumgartner, « La très belle ville de Troie de Benoît de Sainte-Maure », De l’Histoire de Troie au livre du Graal. Le temps, le récit (xiie-xiiie siècle), Orléans, Paradigme, 1994, pp. 203-208. Retour au texte

6 Dans Prose 1, l’auteur utilise à maintes reprises ce terme de « chose ». Ainsi, alors qu’aux vv. 6747-52, Benoît développe la géographie de « Peoine » (« Une contree / Ou mainte merveille a trovee, / Quar es forez e es montaignes, / Dont mout i a plus que des plaignes, / Veit l’om folez e satereaus, / Bestes sauvages e oiseaus »), le prosateur résume : « Peoine ou il a maintes merveillouses choses » (§ 89). Citons encore les « nobles choses » de la rubrique 87 qui remplacent la description des vers 6486-90. Retour au texte

7 Voir encore l’apparat militaire décrit dans le roman en vers (vv. 7591-7640), présenté on ne peut plus sommairement à la rubrique 98 de la prose, ou la moindre importance accordée aux descriptions des vêtements, des armes et des montures, jusqu’à la suppression de la longue description du manteau de Briséida (vv. 13327-13409). Retour au texte

8 Voir C. Croizy-Naquet, « Le Roman de Troie en prose et le monde païen antique », Médiévales, 4, Amiens, 2002, pp. 197-205. Retour au texte

9 Par exemple « Ipopodès » (v. 23233), l’île des Hippopodes, peuple fabuleux du nord de la Sarmatia Europoea, disparaît dans la suppression de ce grand passage. Retour au texte

10 Voir les textes en annexe. Retour au texte

11 Pour D. Boutet, reprenant les analyses de D. Poirion, l’esthétique de l’effet romanesque est une esthétique de la « curiosité » qui « réside dans la variété de l’action, dans les acteurs, dans les êtres et les objets qu’ils rencontrent ou qu’ils construisent », Formes littéraires et conscience historique. Aux origines de la littérature française, 1100-1250, Paris, PUF, 1999, p. 250. Retour au texte

12 La géographie vise une « meilleure intelligence des faits ». Voir F. Vielliard, « Du Roman de Troie à la « vraie estoire de Troie », (Prose 1 version commune) : le choix de l’Histoire », Conter de Troie et d’Alexandre, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2006, p. 183. L’auteur souligne l’influence des historiens antiques et de Hugues de Saint-Victor sur l’auteur de Prose 1 (pp. 183-186). Retour au texte

13 Voir un plan de Constantinople au Moyen Âge, par exemple dans M. Balard, Croisades et Orient latin, xie-xive siècle, Armand Colin, 2001, p. 147. On trouve aussi la topographie de Constantinople dans les Chroniques des croisades : voir Geoffroy de Villehardouin, La Conquête de Constantinople, éd. J. Dufournet, GF Flammarion, 1969, § 128 ; Robert de Clari, La Conquête de Constantinople, éd. trad. J. Dufournet, Paris, Champion, 2004, § 40. Pour une autre explication de cette topographie, voir également C. Croizy-Naquet, « La description de Troie et ses avatars dans le roman en prose du xiiie siècle », Cahiers de civilisation médiévale, 39, 1996, pp. 315-316. Retour au texte

14 Voir E. Baumgartner, « Troie et Constantinople… », op. cit., p. 13. L’auteur explique que cette confusion est sans doute induite par le fait qu’à cette époque le terme « grec » renvoie à Byzance et non à la « véritable » Grèce. Retour au texte

15 Dans le Roman de Troie en vers, seule la dénomination de « Citherea » est employée (vv. 4257, 23241). Retour au texte

16 Voir la Chronique de Morée, éd. trad. R. Bouchet, Paris, Les Belles Lettres, 2005. Retour au texte

17 Voir M.-R. Jung, La Légende de Troie en France au Moyen Âge. Analyse des versions françaises et bibliographie raisonnée des manuscrits, Bâle-Tübingen, Romanica Helvetica, 114, 1996, p. 444. Retour au texte

18 « Si vos ai ore menee a fin la vraie estoire de Troie selonc ce qu’elle fu trovee en l’almaire de Saint Pol de Corinthe » ; Corinthe est nommée dans la description géographique du début du texte et remplace la Crète dans le retour des Grecs (§ 336 à la place du v. 28157). Retour au texte

19 Pour cet exemple et ceux qui suivent, voir J. Longnon, « Les noms de lieux de la Grèce franque », Le Journal des savants, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Juillet-Septembre 1960, pp. 97-110. Retour au texte

20 Région d’Asie Mineure, au Nord de la Cilicie et de la Syrie. Retour au texte

21 Pour la citation de ce passage, voir l’annexe. Retour au texte

22 Voir J. Richard, « The Establishment of the Latin Church in the Empire of Constantinople (1204-1207) », Mediterranean Historical Review, 4, 1989, pp. 45-61. Les rites byzantins existent effectivement encore dans l’Italie du xiiie siècle, sans doute dans une mesure moindre que celle exprimée par le prosateur cependant : « As an old Council canon forbade the presence of two bishops in the same city, the Greek bishop generally gave up his seat ; this did not happen in Reggio di Calabria until several years of coexistence had gone by. Where the Greek population was predominant, the Greek bishop remained » (p. 45).Voir aussi J.-C. Cheynet, Byzance. L’Empire romain d’Orient, Armand Colin, 2001, pp. 33-34 et 49-50. Retour au texte

23 Dans chacune des deux descriptions citées, il utilise à la fois le passé censé représenter l’époque antique (« estoit », « fu ») et le présent (« Car encore, encore en Pouille parole on… »), ajoutant de surcroît des temps intermédiaires, comme celui de Constantin et celui, plus indéterminé, de la présence byzantine en Italie. Ce mélange des époques assure un lien fort entre les lieux à l’époque contemporaine de l’écriture, car il est fondé sur des références historiques qui créent l’autorité. Retour au texte

24 L. Constans signale dans ses notes une erreur de Benoît qui a pris le terme de « Pelopène », autrement dit le Péloponnèse, pour une cité, alors transformée en « Penelope » : « Peleüs fu uns riches reis, […] Icist reis aveit un suen frere, / Fil de son pere e de sa mere / Eson ert par non apelé ; / En Penelope la cité » (vv. 715-726). Retour au texte

25 Prose 1, § 5. On retrouve d’ailleurs cette même confusion dans Prose 4, éd. F. Vielliard, Bibliotheca Bodmeriana, Cologny-Genève, 1979, p. 503, et dans l’Histoire ancienne jusqu’à César, éd. M. de Visser-van Terwisga, Paradigme, Orléans, 1999, t. 1, § 147, l. 29. En revanche certains manuscrits de Prose 5, comme le BNF fr. 301, ont tenté de résoudre cette erreur manifeste, en transformant « Penelope » en « Partonope » et « Naples » en « Naples du Principat » (en Grèce, donc) : sur ce point, voir P. Meyer, « Les premières compilations d’histoire ancienne », Romania, 1885, XIV, p. 71. Retour au texte

26 Prose 5, version insérée dans la seconde rédaction l’Histoire ancienne, conserve en revanche, en la réduisant, cette description du monde, et l’autorité de Jules César : « Et Julius Cesar fist tout li mondes sercier » (§ 350, édition d’A. Rochebouet, thèse de l’École des Chartes soutenue en 2005, sous la direction de F. Vielliard). Retour au texte

27 Pour cette notion, voir E. Baumgartner, « Remarques sur la réception des mythes antiques dans la littérature française du xiie au xiiie siècle », L’Antiquité dans la littérature européenne du Moyen Âge, Greifswald, Reineke-Verlag, 1998, pp. 135-138. Notons qu’une telle représentation évoque la vision de Robert de Clari, chez qui la conquête de Constantinople se légitime comme une récupération par les Francs de biens leur appartenant. Retour au texte

28 Voir M.-R. Jung, op. cit., p. 441 : « Le chapitre au début du texte, qui donne des indications sur la Turquie, l’Arménie, la Syrie, l’Égypte, la Géorgie, prépare les conquêtes de Landomata à la fin du texte. Landomata est la conclusion logique, dans l’optique de l’auteur, de la « vraie estoire de Troie ». La « vraie estoire » se termine ainsi par la vengeance du fils d’Hector, par ses conquêtes et par la pacification de tout le Proche-Orient ». Retour au texte

29 Le pays où, peut-être, l’auteur compose. La principauté franque de Morée, qui comprend le Péloponnèse, passe sous le contrôle de la maison d’Anjou en 1278, puis au pouvoir des Navarrais en 1396. Voir A. Bon, La Morée franque, recherches historiques, topographiques et archéologiques sur la principauté d’Achaie (1205-1430), Paris, De Boccard, 1969. Retour au texte

30 Voir M.-R. Jung, op. cit., p. 449 : « Le nouveau roi de la Troade épouse la fille du roi d’Ancoine (Iconium) ». On remarque un manque d’homogénéité dans les noms désignant Iconium : « Ancoine » dans le Landomata, « Coigne » dans le reste du texte. Retour au texte

31 La conversion massive des Nubiens a lieu au vie siècle et ce n’est que beaucoup plus tardivement que le territoire s’islamise (premières offensives de l’Islam entre le xie et le xiiie siècle). Dans les chroniques des croisades, la Nubie est aussi présentée comme un pays chrétien. Dans la Conquête de Constantinople, Robert de Clari écrit à propos du roi de Nubie : « Et si dist que tot chil de se tere estoient crestien, et quant li enfes estoit nés et on le baptisoit, que on li faisoit une crois en mi le front d’un caut fer aussi com il avoit » (éd. cit., § 54). Retour au texte

32 Lorsqu’il s’agit de choix, de changement de nom de lieux, on s’aperçoit que le prosateur s’éloigne parfois du théâtre de l’action mais qu’il choisit toujours des lieux qui ont appartenu au monde chrétien de l’ancien empire romain d’Orient. Pour une carte de l’Empire romain d’Orient sous Constantin, voir par exemple l’Atlas historique de G. Duby, Paris, Larousse, 1978, p. 28. Retour au texte

33 L’expression est de P. Gautier Dalché pour évoquer le « refus de conserver ce qui n’a plus de référent dans la réalité contemporaine » (Géographie et culture, les représentations de l’espace du vie au xiie siècle, Ashgate, 1997, p. 149). Retour au texte

34 Voir la traduction vernaculaire de Brocardus, Directorium ad passagium faciendum : « la cité de Constantinople est sitée en assez plain païs et est faite en fourme de triangle, c’est-à-dire en figure d’un trepier, et contient chascun costé .vi. miles et ainsy elle a de tour . xviii. miles. L’un de ses costés est devers la terre et les deux aultres sur la marine » (traduction médiévale datant des environs de 1355, Recueil des historiens des Croisades, documents arméniens, t. II, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, Imprimerie royale, 1906, p. 455) ainsi que dans la traduction de l’Historia Rerum in partibus transmarinis gestarum de Guillaume de Tyr : « Et pres d’ilec siet la cite de Costantinoble qui est fete autresi com un triangle : li primerains costez est outre celui bras et le port ; iluec siet l’eglise monseigneur Saint Jorge dont cele mers a non le Bras saint Jorge si dure cist costez jusques au nouveau palais de Blaquerne selonc le port » (éd. P. Paris, Firmin Didot, 1879, § 7). Retour au texte

35 Cette ville est une des étapes de la première Croisade, et le sultan du Coine est présent dans de nombreux textes comme la chronique de Joinville (éd. J. Monfrin, Paris, Le Livre de Poche, 2002, § 141-143), Les Gestes des Chiprois (éd. G. Raynaud, Genève, Impr. J. G. Fick, 1887, livre 16, § 19), Robert de Clari (§ 20, 52, 101). Notons que le roman Athis et Prophilias mêle aussi les matières en donnant un rôle non négligeable à ce sultan, nommé Antoine, ami de l’impératrice de Constantinople (Athis et Prophilias, version longue, éd. A. Hilka, Dresden, M. Niemeyer, 1912, vv. 14049-15750). Retour au texte

36 Voir E. Baumgartner, « La très belle ville de Troie de Benoît de Sainte-Maure », op. cit., pp. 207-208. Retour au texte

37 C’est l’objet d’étude de notre thèse en cours. Retour au texte

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Référence papier

Florence Tanniou, « De l’Orient rêvé à l’Orient révélé : les mutations de l’exotisme du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure au Roman de Troie en prose (Prose 1) », Bien Dire et Bien Aprandre, 26 | 2008, 211-224.

Référence électronique

Florence Tanniou, « De l’Orient rêvé à l’Orient révélé : les mutations de l’exotisme du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure au Roman de Troie en prose (Prose 1) », Bien Dire et Bien Aprandre [En ligne], 26 | 2008, mis en ligne le 01 mars 2022, consulté le 19 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/bien-dire-et-bien-aprandre/919

Auteur

Florence Tanniou

Université de Paris X- Nanterre

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