Émirs, saints et buveurs. Altérité et réalité dans le Jeu de saint Nicolas de Jean Bodel

DOI : 10.54563/bdba.927

p. 271-286

Texte

Nous volommes parler anuit
De saint Nicolai, le confés,
Qui tant biaus miracles a fais.
(vv. 4-6)1

À Jean et à Jacques qui lui demandaient s’ils devaient commander le feu du ciel pour consumer les Samaritains qui leur avaient refusé le logement (Luc 9, 54), le Christ, prudent vis-à-vis de la séparation très nette opérée par les deux apôtres entre les croyants et les non-croyants, répondit :

Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes animés. Car le Fils de l’homme est venu non pour perdre les âmes des hommes, mais pour les sauver. (Luc 9, 55-56)

Il n’est donc pas question d’anéantissement, mais de conversion. De plus, le Christ signale en filigrane un fait douteux : ce que les apôtres viennent de condamner et souhaitent étouffer transparaît dans leurs propos mêmes. La conception religieuse des deux apôtres, présentée ici de manière succincte, construit une identité à partir d’une différence, d’une démarcation. Cette vue des choses se fonde sur l’idée commune que seul un véritable sentiment d’appartenance permet de créer des liens clairs de confiance et de sécurité. Par la suite, la transparence de tels rapports peut être maintenue, si besoin est, par la force. Au Moyen Âge, les croisades témoignent de cette propension à la violence qu’ont les religions politisées. En effet, ces expéditions militaires chrétiennes ne sont pas seulement motivées par des desseins religieux, mais aussi par des facteurs économiques et politiques.

Définir l’identité en soi ou l’identité religieuse ne peut se faire sans passer par l’altérité, car les attributs typiques d’une identité, outre le fait de contribuer au processus de l’identification, signalent le caractère exclusif de celle-ci à l’égard de l’autre. Notre réflexion sur le Jeu de saint Nicolas ne retiendra que les qualités propres à l’identité collective. En règle générale, ces dernières voient le jour en un lieu et à une époque donnés. Tout ce qui ne présente pas les traits majeurs de l’identité collective dominante est ressenti comme quelque chose d’étrange, d’inhabituel, voire d’exotique. Dès lors que cet écart n’est pas perçu comme une menace, il peut être appréhendé de manière positive, comme un changement bienvenu, comme un éventuel enrichissement de ses propres possibilités. En revanche, ce qui est susceptible de mettre en péril la survie d’une communauté, de détruire son identité collective ou ses acquis inspire de la crainte. Sur le plan spirituel, ce sont surtout les comportements ritualisés et façonnés par les normes traditionnelles qui sont en danger. Car l’identité est délimitée par ses propres attributs, et ceux-ci, pour leur part, se fondent sur la durabilité et la constance de l’identité même. Quoi qu’il en soit, ces propriétés jouissent d’une grande estime dans la société, contrairement à celle qui pourrait être accordée aux caractères de l’altérité.

L’Orient islamique et, à une certaine époque, la Sicile2, une partie des Pouilles3 et la péninsule ibérique4 représentent des lieux typiquement exotiques au Moyen Âge. Les rapports entre l’Europe – en majeure partie chrétienne – et l’Orient sont ambivalents. D’une part, le monde arabe fait l’objet de descriptions féeriques détaillées. Selon l’opinion commune d’alors, tout ce qui est cher, somptueux et raffiné vient de l’Orient, tels les pierres précieuses, les parfums, les épices. Mais ce n’est pas tout, l’infériorité5 des chrétiens se fait aussi sentir dans d’autres domaines, et non des moindres. En effet, les connaissances scientifiques et philosophiques6 détenues par les Arabes dépassent de loin celles qu’ont acquises les chrétiens dans certaines disciplines, notamment la médecine, l’astronomie, les mathématiques. Que l’on se souvienne également de l’influence exercée par les travaux des médecins-philosophes arabes Ibn Sin (Avicenne †1037) et Ibn Ruschd (Averroès †1198) sur l’histoire de la pensée occidentale7. Les croisés conquérants découvrent l’existence de riches bibliothèques, rencontrent des traducteurs, des chrétiens parfaitement intégrés8, des juifs plurilingues, des membres de l’Église chrétienne affranchis de la tutelle de Rome et de Byzance. Un point commun rapproche les penseurs chrétiens des penseurs musulmans : leur vif intérêt porté au savoir et à la sagesse antiques.

Toutefois, dans un domaine essentiel, les chrétiens, guidés par Rome, se sentent supérieurs aux autres : dans leur foi monothéiste. Rassemblés sous la devise « Deus le vult », ils combattent les païens, les ennemis de l’Église et de la papauté, en vue de libérer la Terre sainte et de reconquérir la péninsule ibérique aux mains des Arabes. Au début du xiiie siècle, Jean Bodel transpose à la scène la thématique des croisades, combinée à celle du miracle, dans son Jeu de saint Nicolas, qui voit le jour au moment où la quatrième Croisade se prépare. La légende de saint Nicolas9 est illustrée par quelques drames liturgiques en latin, notamment le Ludus super iconia sancti Nicolai d’Hilaire (1125). Le récit hagiographique de Wace (1155) est certainement la version la plus répandue en langue vernaculaire10. Ce saint, patron des clercs, possède également la faculté de protéger les trésors des voleurs et de restituer ce qui a été dérobé. Il jouit d’une grande popularité dans toute l’Europe de l’Ouest.

Rappelons l’argument du Jeu. Au début de la pièce, le roi consulte la statue de Tervagan11, un dieu païen, pour connaître l’issue de la bataille contre les chrétiens. Quelques répliques suffisent à nous plonger dans un univers exotique :

Si le moustre a ton ami,
Par sort ou par art d’anemy,
S’envers aus me porrai resceurre;
En tel maniere le me di :
Se je doi gaagnier, si ri,
Et se je doi perdre, si pleure. (vv. 177-182)

Auparavant, le roi avait insulté grossièrement la statue qui n’avait pu empêcher l’assaut des chrétiens :

A ! fieus a putain, Tervagan,
Avés vous dont souffert tel œuvre ? (vv. 134-135)

Comme la statue se met à pleurer puis à rire, le roi requiert l’avis de son sénéchal12 sur cette question. Le rire, lui explique-t-il, signale son succès militaire et les pleurs son renoncement à sa foi actuelle. Le sénéchal semble entretenir des liens très étroits avec les dieux, car non seulement il interprète correctement les paroles de Tervagan, mais il est également en mesure de prédire l’avenir :

Ahi ! Apolin et Mahom !
Che m’iert ore an avisïon
Del grant tresor le roy meïsmes
Que ne pooit estre rescous. (vv. 1184-87)

Aux yeux des chrétiens, le comportement du roi, en adoration devant une statue et pleinement confiant en ses prophéties, est certes très étrange. Le comportement du « preudome », agenouillé devant la statue de saint Nicolas, n’est pas moins curieux aux yeux des Sarrasins13. L’exotisme est donc une question de perspective étroitement liée à l’identité.

Les émirs, détenteurs du pouvoir temporel dans leurs régions, se sont empressés de venir au secours du roi. Ils sont originaires de Konieh, d’Outre l’Arbre Sec, d’Orquenie, d’Oliferne14. Les richesses apportées par les deux derniers émirs répondent à l’idée que l’on se fait d’un souverain oriental :

Roys, d’outre Mec,
Unes terres ardans et caudes.
Ne sui mie vers vous escars,
Car je vous amain trente cars
Plains de rubis et d’esmeraudes. (vv. 368-372)

En revanche, l’émir de Konieh (le primus inter pares) semble avoir peu à offrir à son arrivée car, en dépit du « riche conroi » (v. 319) qu’il promet d’envoyer sous peu, il ressent le besoin de dépeindre les difficiles conditions dans lesquelles il a voyagé, afin de ne pas faire mauvaise figure (vv. 359-360). Le roi ne réagit toutefois pas à son intervention. L’émir d’Outre l’Arbre Sec, qui occupe lui aussi une position particulière, déçoit les espoirs du roi et les attentes des spectateurs. Il n’a pas de somptueux présents à distribuer. En revanche, il lui enverra « cent mile paiens » (v. 338) :

Ne sai comment rien vous donroie,
Car en no païs n’a monnoie
Autres que pierres de moelin. (vv. 374-377)

La réponse du roi, légèrement teintée d’ironie, ne se fait pas attendre :

Ostés ! pour men dieu Mahommet,
Confait avoir chis me premet !
Bien sai que jamais povres n’iere. (vv. 378-380)

Retenons qu’au pays de l’émir d’Outre l’Arbre Sec, ce sont les pierres de moulin – équipement indispensable à la survie d’une communauté – qui tiennent lieu de monnaie et non les pierres et les métaux précieux inutiles.

Le roi d’Afrique accepte avec reconnaissance les trésors de ses émirs ; toutefois, il n’hésitera pas, quelques pages plus loin, à les mettre en jeu avec son propre bien de manière irréfléchie. Soulignons que les personnages des émirs sont présentés avec le plus grand respect.

La cour royale se caractérise par son matérialisme15, par son rapport étroit avec le monde d’ici-bas. Comme il a couvert la statue de Tervagan du « plus fin or d’Arabe » (v. 143), le roi croit pouvoir exiger d’elle une entière soumission. L’accès aux faveurs du roi est lui aussi lié à la valeur des dons apportés. L’émir d’Orquenie le formule avec justesse :

Moi devés vous forment amer,
Car je vous faç venir par mer
Cent navees de mon tresor. (vv. 364-366)

Le roi ne semble donc pas avoir de véritables convictions religieuses. Quant aux émirs, ce sont surtout des motifs politiques et non des motifs religieux qui les poussent à agir.

La modération, le dévouement religieux et l’esprit de sacrifice caractérisent en revanche les chrétiens. Ils représentent pour ainsi dire le pôle opposé à la cour matérialiste du roi. Ils se battent, au nom de Dieu, convaincus que leur sacrifice leur ouvrira les portes du paradis.

Bien sai tout i morrons el Damedieu serviche.
[…]
Segnieur, el Dieu serviche soit hui chascuns offers :
Paradys sera nostres et eus sera ynfers. (vv. 401-406)

L’ange qui apparaît aux chevaliers leur prédit une mort certaine, mais il leur annonce également leur récompense : « le haute couronne » (v. 434). L’ange se définit en ces termes : « Messagiers sui Nostre Segneur » (v. 414) ; « angles sui a Dieu » (v. 428). Il sert d’intermédiaire entre Dieu, dont il connaît la volonté, et les chevaliers. Toutefois, aucun miracle ne se produit pour sauver les chevaliers. Ils succombent sous le nombre des ennemis. La première prophétie de Tervagan s’accomplit : « Or tuent li Sarrasin tous les Crestiens » (à la suite du v. 453). Pendant que les chevaliers meurent sacrifiés, le « preudome »16, probablement un clerc, chargé d’accompagner l’armée, implore l’aide de saint Nicolas ; apeuré, il n’a plus qu’une pensée : survivre. Sa plus grande vertu réside dans sa foi inébranlable en saint Nicolas. Fait prisonnier, il explique au roi les raisons de sa foi :

Sire, chou est sains Nicolais,
Qui les desconsilliés secourt.
Tant sont ses miracles apertes !
Il fait ravoir toutes ses pertes,
Il ravoie les desvoiés,
Il rapele les mescreans,
Il ralume les non voians,
Il resuscite les noiiés. (vv. 518-525)

Le roi veut mettre à l’épreuve les merveilleuses aptitudes du saint, en confiant à sa garde tous ses trésors :

Tous mes tresors canques j’en ai
Voeil que il soient descouvert,
Et huches et escrin ouvert,
Si metés sus le nicolai. (vv. 560-563)

Le caractère exotique du « troisième monde », de la taverne est d’une tout autre nature. Milieu profane des voleurs17, des joueurs de dés et des femmes aux mœurs suspectes, la taverne, guère représentée jusqu’alors dans la littérature, s’est posée comme un espace contraire à l’Église. Bodel18 est d’ailleurs le premier à intégrer cet univers dans la littérature profane et notamment dans le théâtre. Nous y rencontrons tous les éléments constitutifs de cet espace, les femmes mises à part. Elles entreront dans le théâtre avec Courtois d’Arras, vers 1250. Ainsi, si nous ne savions pas que nous sommes quelque part en Orient, nous la tiendrions pour une taverne arrageoise typique19.

Aubéron, le messager du roi d’Afrique, s’y sent à l’aise. Mais il y a plus, nous avons le sentiment qu’à la cour du roi, il joue un rôle et qu’ici il peut être lui-même. L’argot utilisé par les habitués du lieu ne l’impressionne pas. Il réussit même à gagner contre l’un des leurs au jeu de dés. Notons un autre fait intéressant, ses connaissances bibliques :

Rois, tés empires ne teuls os
Ne fu, puis que Noeus fist l’arche. (vv. 126-127)

Il semblerait donc que, quel que soit le lieu où se trouve la taverne, celle-ci soit peinte par les mêmes traits. Elle héberge surtout ceux qui cherchent à s’enrichir sur le dos des autres, et en particulier aux dépens des gens puissants. De plus, les habitués ne brillent pas par leur religiosité exemplaire, même si le mot « Dieu » n’a pas disparu de leur vocabulaire (« Va, de par Dieu, sans mal engien ! » (v. 849, Pincedé), « Jou giet, Dieus le meche en mon preu! » (v. 872, Rasoir) ; « Hé ! Dieus, con chis vins nous pourfite ! » (v. 1043, Cliquet) ; « Hasart, Dieus ! » (v. 1111, Pincedé). Le lien étroit qui unit la taverne à la réalité, comme en témoigne le célèbre vin d’Auxerre qu’on y sert, signale combien cet endroit est proche du peuple, en dépit de sa réputation douteuse. Une proximité que les souverains, en l’occurrence le roi et ses émirs, ne parviennent pas à créer. Le caractère profane de cette scène éveille un sentiment d’exotisme, non seulement parce que nous nous trouvons en Orient, mais surtout parce que l’argot y est utilisé : une première dans l’histoire du théâtre.

Les « piliers » de la taverne sont au nombre de trois : Cliquet, Pincedé et Rasoir. Ils se caractérisent par leur goût prononcé pour les querelles. Ils se disputent entre eux ou s’en prennent à l’aubergiste. L’idée de dérober le trésor royal, puisque « les granges Dieu sont aouvertes » (v. 773), revient au dernier voleur, le plus vif des trois. Pincedé, un joueur de dés invétéré, est aussi un connaisseur en vin. Sa vivacité intellectuelle est cependant très modeste. Signalons que le jeu de dés introduit dans la taverne le caractère imprévisible du destin. En effet, quelles que soient les règles du jeu, l’issue et le déroulement de celui-ci restent incertains. Cliquet, un « idiot » insouciant (« si fol con je sui », v. 1363) ne manque cependant pas de bon sens, puisque c’est lui qui met sur pied le plan élaboré par son compagnon. Toutefois la taverne ne se réduit pas à la seule fonction de divertir les spectateurs, elle permet surtout de voir se réaliser le miracle de saint Nicolas.

D’abord, la statue de saint Nicolas échoue lamentablement. Les voleurs s’emparent du trésor royal, ce qui met en danger la vie du « preudome ». Ce dernier n’en perd pas pour autant la foi en son saint. Contrairement aux chevaliers, qui s’adressent directement à Dieu, le « preudome » fait appel au saint. C’est alors qu’un ange lui apparaît et le réconforte :

Ne te couvient avoir nule doutanche,
Sains Nicolais pourcache te delivranche. (vv. 1268-69)

C’est au tour de saint Nicolas d’apparaître aux trois voleurs et de leur enjoindre de rendre le trésor au roi.

Fil a putain, tout estes mort !
Or l’eure sont les fourques faites,
Car les vies avés fourfaites,
Se vous mon conseil ne creés. (vv. 1281-84)

Les trois larrons s’exécutent. Cependant, saint Nicolas ne s’est pas contenté de faire recouvrer son bien au roi, il l’a doublé. L’aide divine se serait-elle inscrite dans le matériel en vue d’accroître son efficience ? Toujours est-il que la conversion du roi et de ses émirs vérifie la deuxième prédiction de Tervagan :

Sire, chi devieng jou vostre hom,
Si lais Apolin et Mahom
Et che pautonnier Tervagan. (vv. 1459-61)

De toute évidence, le « preudome » a vu juste : rien n’est plus important aux yeux du roi que la possession de ses biens. Saint Nicolas et la foi chrétienne en seront désormais les garants pour l’avenir20. Tervagan, trahi, s’emporte contre le roi :

Palas aron ozinomas
Baske bano tudan donas
Geheamel cla orlaÿ
Berec.he.pantaras taÿ. (vv. 1512-15)

Cette fois-ci, le monarque ne demande pas l’aide du sénéchal ; il explique lui-même le sens des propos tenus par Tervagan :

Preudom, il muert de duel et d’ire
De che c’a Dieu me sui turkiés ;
Mais n’ai mis soing de son prologe.
Senescal, de le synagoge,
Alés, si le me trebuchiés ! (vv. 1517-21)

Le roi et ses émirs accomplissent un exploit : ils dépassent leur mode de pensée monoculturel et acceptent la religion du conquérant exotique. Le miracle est parfait. Il est dû à l’éloquence du saint, d’une part, et à la foi inébranlable du « preudome », de l’autre, permettant une conversion douce des Sarrasins au christianisme. Celle-ci s’est opérée, s’il l’on veut, dans l’esprit de notre citation biblique initiale. Le Te deum laudamus, entonné par le « preudome » en guise de conclusion, se trouve ainsi justifié. Le sentiment de paix qu’éprouve le spectateur en rentrant chez lui pourrait être néanmoins troublé par le souvenir des dernières paroles de l’Émir d’Outre l’Arbre Sec21 :

Sains Nicolais, c’est maugré mien
Que je vous aoure, et par forche.
De moi n’arés vous fors l’escorche :
Par parole devieng vostre hom,
Mais li creanche est en Mahom. (vv. 1507-11)

Inquiet, il pourrait se demander si la religion exotique du Sarrasin repose sur une foi tout aussi inébranlable que la sienne propre.

Le Jeu de saint Nicolas de Bodel se distingue nettement des versions antérieures22. Dans la légende du Ludus super iconia sancti Nicolai, de même que dans les versions suivantes, les païens sont les assaillants. En revanche, chez Bodel, ce sont les chrétiens qui attaquent le roi d’Afrique : « uns rois paiiens / qui marchissoit as chrétiens » (vv. 9-10). Bodel transforme l’invasion païenne en une croisade chrétienne. Le « preudome » est également une invention de Jean Bodel ; dans les autres versions, la restitution du trésor au roi suffit à convertir ce dernier. Le miracle de saint Nicolas est double : il restitue le trésor volé et sauve ainsi la vie du « preudome » (chez Wace, il ne veut que sauver sa propre image de la destruction). Par ailleurs, Bodel construit deux mondes parallèles présentant une structure similaire : une innovation majeure par rapport aux textes précédents. Le premier est le monde exotique23 de la cour du Roi d’Afrique (le roi, les quatre émirs, le sénéchal et Connard le crieur), c’est-à-dire de l’élite ; le second est l’univers de la couche sociale inférieure de la taverne (l’aubergiste, les trois voleurs, Caignet le serveur et Raoulet le crieur). La présence de saint Nicolas dans ces trois univers (celui des chrétiens n’est pas décrit) instaure un lien thématique24 fort entre eux. S’il s’agissait uniquement de nous apprendre que chaque chrétien est en droit d’attendre une aide divine en toute situation, la pièce n’aurait pas eu besoin de recourir à une construction aussi complexe. Jean Bodel aurait pu se contenter de nous proposer une nouvelle version de la légende selon le schéma traditionnel. Ce sont donc ces éléments novateurs qui éveillent notre curiosité et nous poussent à chercher une nouvelle interprétation.

Le point de départ de notre réflexion repose sur une substitution hypothétique du concept de « rationalisme » à celui de « matérialisme », issu du monde païen. Ce remplacement nous permet d’appréhender l’œuvre sous un angle scolastique. Les trois unités du Jeu – les chrétiens, la cour du roi d’Afrique et la taverne – reproduiraient trois aspects majeurs de la situation religieuse en France. Nous établissons ainsi un rapport entre les chrétiens, donc le premier groupe, et les théologiens de tradition augustinienne qui se fondent exclusivement sur la théologie de la Révélation. Ils sont également les représentants du réalisme25. Ils saisissent le monde comme une entité bien ordonnée, dans laquelle on agit selon l’ordre du monde. Ce ne sont ni les biens ni le bonheur terrestres qui les intéressent. Quant à la cour du roi d’Afrique, elle représenterait l’ensemble des théologiens qui tentent de démontrer, grâce à la raison, la justesse des vérités théologiques (y compris celles qui sont issues de la Révélation)26. Ceux-ci défendraient en même temps un nominalisme27 modéré. La querelle des universaux met aux prises les réalistes et les nominalistes ; cette dispute pourrait renvoyer à la guerre que se livrent les chrétiens et les Sarrasins. Enfin, la taverne pourrait figurer le lieu de la recherche scientifique, libérée de tout lien avec le merveilleux28 chrétien ; autrement dit, une théologie qui n’entretiendrait aucun rapport argumentatif avec la Bible. La taverne étant très familière aux bourgeois d’Arras, on peut se demander si cet endroit ne refléterait pas une vision du monde principalement bourgeoise.

Un trait particulier caractérise les scolastiques représentés par l’élite de la cour du roi et les habitués de la taverne : ni l’homme, ni son aspiration à découvrir la vérité divine (qu’il devrait trouver en lui), ni la volonté de mener une vie apostolique ne sont au centre de leurs intérêts. Ces scolastiques sont davantage préoccupés d’accroître de manière ostentatoire leur propre savoir en utilisant au mieux leur rationalité (phénomène figuré par le matérialisme, voire la cupidité, la libido sciendi). Ce qui leur manque ce sont les valeurs de l’éthique chrétienne.

Aussi les Sarrasins incarneraient-ils une partie des théologiens chrétiens et de leurs partisans29. Notre approche ne cherche pas à comprendre la pièce d’un point de vue historique ou politique, elle se situe davantage sur le plan religieux. Le fait que nous ayons affaire à un théâtre semi-religieux vient corroborer notre hypothèse. En effet, ce choix du genre établit un rapport aussi bien avec le thème religieux qu’avec les thèmes alors d’actualité. La chanson de geste, tout en ayant un arrière-plan religieux, mettrait davantage l’accent sur le plan historique et politique sans toutefois insister sur les liens éventuels avec l’actualité du moment.

Les miracles servent à légitimer la Révélation à laquelle il faut croire. Dieu peut intervenir à tout moment dans l’histoire temporelle. Sous cet angle-là, le miracle de saint Nicolas et l’apparition de l’ange acquièrent une portée particulière30. Les chevaliers et saint Nicolas seraient ainsi les représentants d’une théologie de tradition augustinienne. Bernard de Clairvaux et Guillaume de Saint-Thierry comptent parmi ses représentants les plus connus. Leur foi ne se fonde pas sur un savoir rationnel. Avant eux Guillaume de Champeaux et Anselme de Cantorbéry31 ont défendu un réalisme excessif (universalia sunt realia).

Au deuxième groupe, figuré par la cour du roi d’Afrique, appartiennent les érudits du xiie siècle qui se sont penchés sur les vérités chrétiennes d’un point de vue rationnel (influencés par la philosophie aristotélicienne et arabe, et notamment par la logique d’Aristote), et en particulier sur la doctrine de la Trinité. La richesse matérielle figurerait alors un savoir fondé sur la raison32. L’émir d’Outre l’Arbre Sec constitue une exception. Sa monnaie représente un savoir opérationnel, directement applicable dans la vie pratique. Ces scolastiques sapent les fondements idéels de la théologie néoplatonicienne du premier groupe. Nous songeons en particulier aux érudits de l’École de Chartres. Un de leurs traits distinctifs est la tentative pour unir le trivium au quadrivium (peut-être y a-t-il un lien avec le nombre des émirs : quatre), la culture littéraire à la culture scientifique. Une telle entreprise n’a certes pas dû laisser les poètes indifférents.

La guerre entre les païens et les chrétiens ne renverrait donc pas seulement à la querelle des universaux mais aussi au rapport problématique qui existe entre la foi et le savoir rationnel. L’identité qu’il convient de défendre contre les assauts des chrétiens correspondrait ainsi à l’identité d’un certain groupe religieux (représentants du réalisme), habité par une attitude idéologique univoque.

Appartiennent au troisième groupe, représenté par la taverne33, les scolastiques qui tentent d’élargir leur savoir rationnel, orienté jusqu’alors uniquement vers des questions théologiques, par un savoir scientifique acquis soit par l’expérience soit à la lecture de sources païennes. Selon eux, la nature s’est développée sans aucune intervention divine, la genèse exceptée. Le hasard (figuré par le jeu de dés) joue un rôle significatif34. La taverne n’est pas sans établir un lien entre les Goliards (véritables habitués de ces lieux) et les vues philosophiques d’Abélard, dont l’influence sur ses élèves est comparable à la position de l’aubergiste dans la taverne. À la fin du deuxième livre de la doctrina christiana, saint Augustin justifie le recours à la philosophie païenne et aux sciences. En effet, seuls les chrétiens, grâce à l’aide divine, sont en mesure d’utiliser au mieux les trésors trouvés (de la science), c’est-à-dire en vue d’annoncer l’Évangile. Dire que ses trésors sont mal utilisés35 par les païens autorise leur appropriation par les chrétiens. Les trois voleurs ne sont toutefois pas des croyants au sens augustinien du terme : vouloir s’emparer des trésors du roi est illégal. Ces clercs n’utilisent pas le savoir acquis en conformité avec la vision du monde dominante, à la fois réaliste et néoplatonicienne. Ils l’utilisent de manière spéculative en vue de perfectionner leur propre réflexion, sans prendre en considération les vérités bibliques. Car comme le dit le Christ :

Moi, je suis la porte.
Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ;
Il entrera et sortira,
et trouvera un pâturage.
Le voleur ne vient
que pour voler, égorger et faire périr. (Jean, 10,9-10)

Aubéron représente, dans le cadre de cette lecture, toute personne qui tente de gommer les différences existant entre le deuxième et le troisième groupe, par le truchement d’une théorie personnelle, à l’exemple de Thierry de Chartres36. Il tente de démontrer de manière empirique le développement du cosmos. La création des quatre éléments37 mise à part (Dieu créa la terre et le ciel), il ne devrait exister aucune autre intervention divine dans la Nature. Ses propriétés intrinsèques devraient suffire à expliquer son développement ultérieur dans sa totalité : il en résulte une explication du monde à partir du mouvement des éléments. On a le sentiment que Thierry de Chartres se sent plus à l’aise dans la science que dans son domaine d’origine, la théologie. Ses vues, selon lesquelles Dieu est la cause première et qu’en revanche les événements du monde se déroulent de manière autonome, ne sont pas compatibles avec les interventions de Dieu par l’intermédiaire des saints.

Les nominalistes jouissent d’une prééminence temporaire au xiie siècle, leur victoire ne sera scellée qu’au xive siècle par Guillaume d’Ockham38. Un miracle s’est peut-être produit du fait que certains scolastiques nominalistes se sont penchés sur le conceptualisme39 d’Abélard, disposant ainsi du savoir nominaliste et du savoir réaliste : leur trésor a doublé.

Nous voyons en Jean Bodel un représentant d’une vision du monde chrétienne, influencée par le néo-platonisme. Dieu peut intervenir à tout moment dans le cours des événements. Les vérités révélées peuvent être saisies non seulement par les saints (notamment saint Nicolas), mais aussi par d’autres croyants, tels les chevaliers qui, en l’occurrence, assistent à l’apparition de l’ange et comprennent son discours. Les non-croyants ne pouvant appréhender que les changements réels dans le monde, il faut leur faire voir les miracles qui, pour eux, demeurent inaccessibles par la raison. Les non-croyants doivent être convertis sans que l’on fasse usage de la violence, l’autorité de la parole biblique et la force de sa propre foi doivent agir d’elles-mêmes. Bodel pourrait également avoir subi l’influence de Joachim de Fiore40, qui était convaincu de l’avènement prochain d’une ère exempte de violence et où l’amour serait roi. La description bodélienne des Sarrasins procède avec beaucoup de finesse. Le roi, en réalité un monarque faible et versatile, fait cependant preuve d’un comportement exemplaire face au « preudome », contrairement à celui de maints chrétiens à cette époque. En dépit de son mode de pensée très différent, il dialogue avec son prisonnier. De plus, il manifeste un intérêt évident pour la croyance de l’autre, et ne ridiculise pas son saint d’emblée. Il ne fait qu’émettre des doutes quant à son efficacité. Et pourtant, il risque ce qu’il a de plus précieux pour vérifier la justesse des propos du « preudome » sur saint Nicolas. Relevons la sympathie pleine de tendresse que Bodel témoigne pour les habitués de la taverne. Néanmoins, il n’est pas question que des voleurs s’enrichissent sur le dos des autres, païens ou chrétiens.

Quoi qu’il en soit, on a le sentiment que Jean Bodel recourt à l’altérité pour consolider sa propre identité, modelée par la pensée augustinienne. Car les Sarrasins (c’est-à-dire les forces qu’ils représentent) menacent les valeurs d’une collectivité forte d’une longue tradition. Sa pièce doit contribuer à affermir l’identité personnelle en vue de permettre à chacun de se reconnaître comme un être déterminé par Dieu, ou comme le dit saint Augustin : Cognoscam te, cognitor meus, cognoscam, sicut et cognitus sum 41.

Notes

1 Jehan Bodel, Le Jeu de saint Nicolas, éd. A. Henry, Genève, Droz, 1981. Retour au texte

2 Les musulmans conquirent les plus importantes villes de la Sicile entre 831 (Palerme) et 964 (Rametta). La population est à cinquante pour cent musulmane. À partir de 1091, ce sont les Normands qui exercent leur pouvoir sur l’île. L’élite musulmane ne commencera à quitter l’île qu’à partir de 1189. La célèbre École de Salerne, haut lieu de la médecine médiévale, fut fondée en 1050. Retour au texte

3 Tarente, Bari et Brindisi deviennent des émirats entre 847 et 871. Retour au texte

4 Au xie siècle, la péninsule ibérique est sous la domination musulmane, le Nord excepté. La reconquête commence en 718 après la défaite des musulmans à la Bataille de Covadonga. Tolède est reconquise par Alphonse VI, roi de Castille-Leon, en 1085. D’importants centres culturels (début de l’entreprise de traduction en latin des textes scientifiques et philosophiques arabes), produits de la civilisation islamique, continueront de se développer après la reconquête. Retour au texte

5 L’Anglais Adélard de Bath (1080-vers 1160), érudit bénédictin, est l’un des premiers savants à signaler la supériorité des Arabes sur les chrétiens. Il a traduit en latin maints ouvrages arabes scientifiques de grande portée, notamment les Éléments d’Euclide. Retour au texte

6 Que l’on songe aux bibliothèques califales, lieux de diffusion et de traduction du savoir. On dit que celle du calife al-Hakam II de Cordoue était riche de 400 000 volumes. Retour au texte

7 Le Canon de la Médecine (Qãnun) d’Avicenne a été traduit par Gérard de Crémone dès le xiie siècle. Dominique Gundisalvi (vers 1100-vers 1181) issu de l’École de Tolède a traduit environ 20 ouvrages arabes (entre autres d’Avicenne, d’al-Ghazali, d’al-Farabi). Roger Bacon et Thomas d’Aquin joueront un rôle essentiel dans la réception des œuvres d’Avicenne et d’Averroès au xiiie siècle. Retour au texte

8 De nombreux chrétiens, résidant dans l’Espagne musulmane, ont appris l’arabe de leur plein gré, ce qui leur a valu l’appellation de « Musta’ribun ». Retour au texte

9 La légende raconte la vie de l’évêque de Myre. Jean Diacre traduit en latin la version originale grecque du patriarche Methodius. Retour au texte

10 Wace, La Vie de saint Nicolas, éd. E. Ronjö, Lund / Copenhague, Gleerup, 1942. Pour le Ludus d’Hilaire, voir G. Cohen, Anthologie du drame liturgique en France au Moyen Âge, Paris, 1955, pp. 239-248. Retour au texte

11 Deux autres dieux païens sont également mentionnés : Apolin et Mahomet. Tous trois apparaissent également dans les chansons de geste les plus significatives : La Chanson de Roland, Le Siège de Barbastre, Floovant et Aspermont. Retour au texte

12 La scène initiale comprend plusieurs renvois à des chansons de geste antérieures. Notamment l’interrogation de Tervagan, rappelle une scène analogue du Siège de Barbastre, éd. J.-L. Perrier, Paris, 1926. L’émir d’Espagne demande au gouverneur de Cordoue d’interpréter les paroles de Mahomet. Il répond ainsi : « Mahom est corrociez, jeu voi a escïent ; / Veez conme li oil li vont estancelant » (vv. 1491-92). Retour au texte

13 R. Dragonetti fait observer : « L’image sainte est toujours sur le point de tourner au fétiche ou de ressembler à la statue de Tervagan ! » (« Le Jeu de saint Nicolas de Jean Bodel », The Craft of Fiction. Essays in Medieval Poetics, éd. L. A. Arrathoon, Rochester, Michigan, Solaris Press, 1984, p. 472). Retour au texte

14 La seule description de ces contrées : « La terre ou croissent li ourton » (v. 356), « La ou li chien esquitent l’or » (v. 363), transporte le spectateur dans un ailleurs exotique. Retour au texte

15 J.-Ch. Payen s’interroge : « Jean Bodel attache-t-il lui-même une telle importance à la richesse ? Participe-t-il d’une idéologie mercantile qui déterminerait la valeur de l’individu en fonction des biens qu’il possède ? » (« Les éléments idéologiques dans le Jeu de saint Nicolas », Romania, 94, 1973, p. 490). Retour au texte

16 Selon C. Foulon, le « prodome » est « la vivante incarnation d’une foi religieuse populaire, mais solide, confiante dans le secours pratique, ou l’intervention humaine des puissances célestes » (L’Œuvre de Jean Bodel, Paris, PUF, 1958, p. 651). Retour au texte

17 « The tavern is of course the natural meeting place for thieves. Here Cliquet, whom we have seen as already in debt to the landlord, and Pincedé and Rasoir, who join him later, drink, gamble and plan their theft » (P. R. Vincent, The Jeu de saint Nicolas of Jean Bodel of Arras. A literary analysis, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1954, p. 70). Retour au texte

18 « Il est certain que les poésies goliardesques véhiculaient depuis longtemps déjà ce locus amœnus de l’activité jongleresque, néanmoins c’est à Bodel que revient non seulement la mise en scène, mais l’intégration de ce motif dans un cadre épico-liturgique » (C. Jacob-Hugon, L’Œuvre jongleresque de Jean Bodel, Bruxelles, De Boeck, 1998, p. 187). Retour au texte

19 « Dans les scènes de la taverne, il faut voir sans doute des tableaux de la vie dans la joyeuse ville natale du poète : l’auteur qui place le sujet de sa pièce en Afrique, qui fait même quelque effort pour lui donner une couleur exotique, oublie, dans la peinture des trois buveurs, qu’il se trouve en Afrique et nous transporte subitement du pays des sauvages Sarrasins dans la riche ville du nord de la France » (O. Rohnstroem, Étude sur Jehan Bodel, Uppsala, 1900, p. 63). Retour au texte

20 « Tervagan is not so much thrown aside as traded in for something better, which is nevertheless more of the same » (A. Cowell, At Play in the Tavern : Signs, Coins, and Bodies in the Middle Ages, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1999, p. 97). Retour au texte

21 « […] l’Émir d’Outre l’Arbre Sec est un géant. Sa monstruosité physique est comme le révélateur de la monstruosité spirituelle de ces hommes qui ont quitté la Sainte Église et qui s’assemblent pour des conciles qui sentent le soufre, comme ce concile cathare tenu à Saint-Félix-de-Camaran en 1167 » (H. Rey-Flaud, « Le sentiment religieux dans le Jeu de saint Nicolas », Senefiance, 7, 1979, p. 52). Retour au texte

22 Voir notamment H. Rey-Flaud, Pour une dramaturgie du Moyen Âge, Paris, PUF, 1980, pp. 48-56 ; M. Rousse, « Le Jeu de saint Nicolas, tradition et innovation», Arras au Moyen Âge. Histoire et Littérature. Arras, Artois Presses Universitaires, éd. M.-M. Castellani et J.-P. Martin, 1994, pp. 153-162. Retour au texte

23 Les dieux mis à part, ce sont surtout les émirs et le roi d’Afrique que la critique a retenus comme éléments porteurs d’exotisme. Retour au texte

24 Voir notamment A. Arens, Untersuchungen zu Jean Bodels Mirakel, Le Jeu de saint Nicolas, Stuttgart, Franz Steiner, 1986. Retour au texte

25 L’universel est compris comme une substance des choses, comme un « réalisme » des idées. Retour au texte

26 « Platon avait lancé l’idée d’un philosophe roi ; les Arabes, qui connaissaient La République mais aussi La Politique, celle d’un imam philosophe » (A. Libéra, Penser au Moyen Âge, Paris, Seuil, 1991, p. 169). Retour au texte

27 Un « réalisme » des choses. Retour au texte

28 Au xiiie siècle, Albert le Grand souhaite étudier : « die Naturdinge […], ohne dabei auf wunderbare Eingriffe Gottes zu achten » De caleo et mundo, éd. P. Hossfeld, Münster, Aschendorff, 1971, 5,1, Hossfeld 101, 7-12. Retour au texte

29 « Orient et Occident ne représentent pas, au Moyen Âge, deux univers séparés, étanches ou sans communication. On constate au contraire des jeux d’influences et des transferts réciproques entre deux mondes enchevêtrés. Pourquoi les œuvres littéraires choisissent-elles une vision manichéenne ? Est-ce uniquement pour mettre en évidence des traits spécifiques de chaque parti ? N’est-il pas possible d’apercevoir, à travers les Sarrasins épiques, une sorte de miroir des chrétiens ? » (M. Houdeville, « Les Sarrasins, miroir des chrétiens ? », La Chrétienté au péril sarrasin, Senefiance, 46, 2000, p. 77) ; H. Legros, « Réalités et imaginaires du péril sarrasin », ibidem, p. 142 : « à la fois image de l’altérité la plus absolue et miroir angoissant, où se reflètent ses propres défaillances, le Sarrasin est le révélateur ou la projection de la part la plus sombre d’un monde chrétien qui en fait son bouc émissaire ». Retour au texte

30 Saint Augustin définit le miracle comme suit : « Portentum […] fit non contra naturam, sed contra quam est nota natura », De Civitate Dei, XXI, 8, 2 Patr. Lat. t. 41, col 721, voir E. Gilson, L’Esprit de la philosophie médiévale, Paris, Vrin, 1989, p. 358. Retour au texte

31 Les nominalistes sont : « […] haeretici, qui non nisi flatum vocis putant esse universales substantias […] », De incarnatione Verbi, 256A. Voir J. Reiners, Der Nominalismus in der Frühscholastik. Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, Münster, Baeumker-Beiträge (Band 8, Heft 5) 1910, p. 28. Retour au texte

32 Déjà au xie siècle, Bérenger de Tours (1000-1088) applique la dialectique aristotélicienne et boétienne (sola ratione) à la foi. Il sera condamné et dénoncé comme hérétique. Retour au texte

33 « Si Jean Bodel déclare dans le prologue que tout est « essamples », voire symbole dans son œuvre, la taverne, antre ou creuset des songes et des jeux, dissimule sous des semblants réalistes sa dimension de métaphore spéculaire du Jeu » (R. Dragonetti, La Musique et les Lettres, Genève, Droz, 1986, pp. 465-487). Retour au texte

34 « […] la passion pour le jeu de hasard conçue comme une figure signifiant la destinée humaine » (A. Adler, « Le Jeu de saint Nicolas, édifiant, mais dans quel sens ? » Romania, 81, 1960, p. 119). Retour au texte

35 Ad obsequia daemonum abutuntur (F. Dechant, Die theologische Rezeption der Artes liberales und die Entwicklung des Philosophiebegriffs in theologischen Programmschriften des Mittelatlers von Alkuin bis Bonaventura, St. Ottilien, EOS Verlag, 1993, p. 51). Retour au texte

36 Clerambault d’Arras (vers 1110-vers 1187) est un élève de Thierry de Chartres. Retour au texte

37 Pour Empédocle, le fondateur de la théorie des quatre éléments, tout n’est que mélange et séparation des quatre éléments. À chacune de ces « racines de l’être », il attribue une divinité. Retour au texte

38 Guillaume d’Ockham (vers 1285-vers 1347) dit le « docteur invincible » ou le « rasoir d’Ockham ». Retour au texte

39 Ainsi les universaux ne sont-ils ni « avant les choses » (réalisme), ni « après les choses » en tant que désignations (nominalisme), mais une abstraction pure et rationnelle des choses singulières dans l’esprit. Retour au texte

40 Joachim de Flore (vers 1130-1202). Retour au texte

41 Saint Augustin, Les Confessions, éd. J. Trabucco, Paris, Garnier, 1960, p. 58. Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

Anne B. Därmstatter, « Émirs, saints et buveurs. Altérité et réalité dans le Jeu de saint Nicolas de Jean Bodel », Bien Dire et Bien Aprandre, 26 | 2008, 271-286.

Référence électronique

Anne B. Därmstatter, « Émirs, saints et buveurs. Altérité et réalité dans le Jeu de saint Nicolas de Jean Bodel », Bien Dire et Bien Aprandre [En ligne], 26 | 2008, mis en ligne le 01 mars 2022, consulté le 19 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/bien-dire-et-bien-aprandre/927

Auteur

Anne B. Därmstatter

Université de Zurich

Droits d'auteur

CC-BY-NC-ND