Il y a 50 ans la Société Géologique du Nord (SGN) a élu une femme présidente, pour la 3e fois au cours de son histoire. La première fut Dorothée Le Maître en 1949, et la seconde Simone Defretin en 1967 (Blieck et al., 2014). Denise Brice, présidente en 1971, sera aussi la seule femme présidente réélue pour un second mandat en 1996-1997. La loi promulguée le 4 août 2014 pour obtenir l’égalité réelle entre les femmes et les hommes dans le milieu professionnel et social, place de nombreuses associations, dont la SGN et la Société Géologique de France (SGF) en situation de mauvais élèves. La SGF compte trois présidentes depuis sa fondation en 1830 : la paléontologue Henriette Alimen en 1970 (il y a 51 ans !), Mireille Polvé, géochimiste en 2001-2002 et la sédimentologue Isabelle Cojan en 2011-2014. Au regard de son histoire, d’après Cuvelier et Monnet (2014), la présence et le rôle des femmes dans la SGN reflètent l’amélioration de la place des femmes dans notre société, donc espérons que cette tendance se poursuive avec l’élection de nouvelles présidentes, à condition qu’il y ait des candidates.
Le conseil d’administration en 1971 se compose de :
Président d’honneur : Gérard Waterlot
Présidente : Denise Brice
Premier vice-président : Antoine Bonte
Vice-présidents : Michel Waterlot, Jacques Paquet
Secrétaire : J. Didon
Secrétaire-adjoint : Jean-Jacques Fleury
Trésorier : l’abbé Tieghem
Déléguée aux publications : Paule Corsin
Archiviste-bibliothécaire : Stanislas Loboziak
Et en cette année 1971, La Société géologique du Nord se porte bien puisque l’effectif de la société est de 343 membres, niveau que la société a aussi atteint en 1967. Ce chiffre ne sera dépassé que deux ans plus tard (344 membres). Parmi les nouveaux membres, on retrouve des étudiants qui deviendront dans les années à venir professeur (Patrick De Wever) ou directeur de recherche (Alain Blieck) ou président de la SGN (Francis Amédro). Cette année-là, Pierre Dollé et André Dalinval présentent Eugène Monchy en tant que nouvel adhérent : il exerce depuis son adolescence le métier de mineur dans le Pas-de-Calais et mène en parallèle à Lens des recherches archéologiques dont il tirera plusieurs articles scientifiques ( http://www.wikipasdecalais.fr/index.php?title=Eug%C3%A8ne_Monchy ). On note aussi l’adhésion de personnes morales comme le Centre de Recherches de Sédimentologie Marine (C.R.S.M.P.) à Perpignan (devenu le CEFREM – Centre de Formation et de Recherche sur les Environnements Méditerranéens), le laboratoire de l’Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Montpellier (intégré aujourd’hui dans l’Institut national d'enseignement supérieur pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement ou l'Institut Agro) et la Société Nationale des Pétroles d’Aquitaine. Cette dernière est l’une des trois sociétés publiques qui est à l’origine d’Elf-Aquitaine, une société française d’extraction pétrolière, privatisée en 1994. Les autres nouveaux entrants sont : Jean-Pierre Colbeaux (étudiant), Jacky Ferrière (assistant), Michel Durand-Delga (professeur), Yvonne Battiau-Queney (assistante), Pierre Bultynck (assistant).
L’assemblée générale s’est déroulée le 20 janvier pendant laquelle le nouveau conseil d’administration a été élu. Durant l’année, 5 « séances ordinaires » (17 mars, 21 avril, 12 mai, 06 juin, 03 novembre et 1er décembre) ont été organisées. La présidente de la SGN a présenté son mémoire de thèse sur le Dévonien d’Afghanistan (Brice, 1970) lors de la séance du 12 mai. L’excursion annuelle de la SGN (réunion extraordinaire) s’est déroulée le 13 juin 1971, en Belgique dans la région de Couvin. Sous la direction de Pierre Bultynck, nouveau membre de la SGN, les participants lillois et des collègues belges ont ainsi découvert pendant une longue journée (de 7 h 30 à 22 h) le stratotype du Couvinien, l’équivalent de l’Eifélien de nos jours.
Par ailleurs, une augmentation des cotisations et des tarifs des abonnements est votée lors de deux assemblées générales extraordinaires (03 novembre et 1er décembre), comme le montre le tableau ci-dessous :
Tableau 1
Statuts | Cotisation en 1971 (francs) | Cotisation en 1972 (francs) | Taux d’évolution (%) |
Etudiants | 35 | ||
Personnes physiques | 35 | 50 | 43 |
Personnes morales | 65 | 100 | 54 |
Etrangers – personnes physiques | 40 | 55 | 38 |
Etrangers – personnes morales | 70 | 100 | 43 |
Abonnement annuel | 80 | 100 | 25 |
Cette forte augmentation de la cotisation (plus de 40 % pour les personnes physiques) n’a pas eu d’impact significatif sur le nombre de membres puisque l’effectif de la SGN ne diminue progressivement qu’à partir de 1977 (Blieck et al., 2014).
Dans son discours de fin de mandat, Joseph Gantois remercie vivement les organisateurs de la manifestation du centenaire de la SGN et souhaite que les membres de l’association soient informés des excursions géologiques de la Faculté pour y assister, comme autrefois. Il estime qu’une seule excursion par an est insuffisante pour acquérir des connaissances pratiques. Aujourd’hui, les étudiants et personnels académiques peuvent toujours participer aux visites de terrain organisées par la SGN, mais l’inverse n’est pas réalisable. L’offre proposée par la SGN permet aux étudiants volontaires d’accroître leur maigre expérience de terrain. Malheureusement, le coronavirus (la COVID-19) a privé en 2020 les géologues de leur expérience de terrain !
Dans son discours d’entrée en fonction, la nouvelle présidente Denis Brice précise que son élection est une confirmation de l’amitié entre les deux universités lilloises, publique et privée, qui partagent un même laboratoire de géologie. Monseigneur Gaston Delépine avait déjà assuré cette fonction de président en 1921. Le Laboratoire des Facultés Catholiques était surtout spécialisé en paléontologie et en pédologie. Cette dernière discipline était partagée avec l’Institut Supérieur d’Agronomie (ISA). On ne peut que regretter que les pédologues n’aient pas (encore ?) suivi l’exemple de leurs collègues paléontologues en participant aussi à la SGN… qui les espère toujours.
Le tome 91 des Annales comprend 23 articles pour 259 pages ( https://iris.univ-lille.fr/handle/1908/2231 ). Les articles concernent surtout la France (7) et la Grèce (3). En France, les régions (au sens actuel) abordées sont les Hauts-de-France, la Bretagne et l’Ardenne. La paléontologie comprend 11 articles ; suivent la tectonique, la pétrographie houillère, les dépôts et phénomènes superficiels, l’hydrologie et la minéralogie.
Le changement de titulaire de cette rubrique est une occasion pour innover. De ces Annales, nous retenons deux articles pour examiner l’évolution du sujet (sa pertinence et un état de la question) depuis 50 ans. Pour cet essai, le choix du premier auteur (J.C.) s’est porté sur le rôle des Maldanes (Annélides Polychètes) dans certains types de bioturbation, étude réalisée par Claude Babin et ses collègues (1971), tandis que le deuxième auteur (F.M.) s’est intéressé aux poches de dissolution étudiées par Antoine Bonte (1971).
1971 – (t. XCI : 203-206, 2 pl. h.-t.) : Rôle des Maldanes (Annélides Polychètes) dans certains types de bioturbation par Claude Babin, Michel Glemarec, Henri Termier et Geneviève Termier
Dans cette étude, Babin et ses collègues proposent une nouvelle interprétation d’un ichnofossile du Pliocène découvert à Anvers à partir de la description de la forme de la structure fossile et de l’analyse de la composition granulométrique et chimique.
La paléoichnologie étudie les anciennes traces d’activité biologique des organismes qui comprennent, entre autres, les traces de déplacement, de nutrition (fodinichnia) et d’habitat (domichnia). Ces fossiles permettent de reconstituer les paléoenvironnements car les comportements des animaux sont contrôlés par des facteurs tels que la bathymétrie, le taux de sédimentation et les apports en matière organique. Cette science s’appuie beaucoup sur les recherches en éthologie.
C’est cette démarche qui a incité Babin et ses collègues à ré-examiner l’espèce Tasselia ordamensis (Häntzschel, 1975), décrite pour la première fois par Heinzelin (1964) sous le nom Tasselia ordam, pour désigner des concrétions fossiles récoltées lors des travaux d’aménagement du port d’Anvers (Fig. 1). Heinzelin place le genre Tasselia dans la classe des Pogonophores, des vers sédentaires, vivant dans des tubes sur les fonds marins profonds, bien que les sédiments marins où les fossiles ont été découverts indiquent plutôt des milieux peu profonds. Michel Glémarec, futur directeur du laboratoire d’Océanologie biologique de Brest, remarque sur le plateau continental Nord-Gascogne que la forme des boudins entourant les polychètes annélides Maldanes est similaire aux concrétions fossiles découvertes à Anvers, et incite Babin à ré-examiner le genre Tasselia. Les populations de ces vers actuels (Maldane glebifex) dans les sables peuvent atteindre 450 individus par mètre carré.
Figure 1
Tasselia ordam de Heinzelin, 1964, IRSNB 5900, Holotype, Pliocène, Anvers (photographies IRSNB).
Tasselia ordam de Heinzelin, 1964, IRSNB 5900, Holotype, Pliocene, Anvers (pictures IRSNB).
Les concrétions fossiles sont constituées d’un long tube cylindrique terminé par un manchon en forme de poire dont la partie la plus large est située en position inférieure. Babin et ses collègues observent des stries parallèles le long du tube dont certaines sont saillantes à intervalle régulier, tout comme dans les concrétions produites par les vers de la famille des Maldanidae. Il s’ensuit une description granulométrique et chimique du sédiment. Babin conclut que ces concrétions fossiles sont similaires aux boudins construits par les Maldanidae et que ces ichnofossiles indiquent un milieu circalittoral (zone littorale de profondeur moyenne à profonde).
Albert Jacquard (1923-2013) a déclaré que « la science se contente de proposer des modèles explicatifs provisoires de la réalité ; et elle est prête à les modifier dès qu’une information nouvelle apporte une contradiction » (Jacquard, 1997). Dans cet exemple, les récentes technologies numériques ainsi que de nouvelles découvertes de fossiles permettent de confirmer les interprétations proposées par les paléontologues, voire de préciser les comportements des animaux fossiles. Et c’est le cas ici, puisque en 2008, des biologistes (Dufour et al.) ont étudié par tomodensitométrie et par analyse de la taille des grains et des concentrations des éléments chimiques (fer, manganèse et carbone organique) la façon dont le ver actuel, Maldane sarsi, modifie la géochimie sédimentaire lorsqu’il se nourrit, et ils ont constaté que les tubes de nutrition abandonnés persistent après l’enfouissement, maintenant l’hétérogénéité du sédiment. Parallèlement, Olivero et Cabrera (2010) décrivent des spécimens bien préservés de Tasselia ordamensis, datés du Crétacé supérieur et du Cénozoïque, récoltés en Antarctique et sur la Terre de Feu. Ces spécimens au nombre de 400 sont en position dans le sédiment. Ils leur permettent de confirmer la conclusion de Babin d’un rapprochement de Tasselia avec les vers de la famille des Maldanidae sur les caractères suivants : la densité élevée d’individus, la morphologie et la structure du tube, la paroi striée avec des stries plus marquées régulièrement. Ces auteurs précisent que ces traces fossiles sont des traces d’alimentation et non d’habitat comme l’a supposé Babin. Olivero et Cabrera (2010) distinguent même plusieurs modes d’alimentation différents : le mode détritivore (« detritus feeding ») et une alimentation symbiotique avec des bactéries (« gardening strategy »).
Cet ichnofossile est facilement confondu avec une concrétion inorganique, ce qui ne favorise pas l’identification de cette espèce dans le registre fossile et rend compte de l’insuffisance d’études sur ce sujet, encore aujourd’hui.
1971 - (t. XCI : 39-46, 2 pl. h-t) : Poches de dissolution et argile résiduelle, par Antoine BONTE
Rédiger cette courte rubrique ravive des souvenirs. Monsieur Bonte, comme nous disions, donnait le Certificat de Géologie Appliquée, que l'un des auteurs (FM) a suivi en 1969-70, tandis qu’il rédigeait alors l’article dont il est ici question. Il exprimait clairement son désaccord avec Charles Pomerol, ténor incontesté des « Géologues du Bassin de Paris » ! Mais surtout, il avait pris conscience du caractère éphémère des fronts de taille en carrières actives, et il voulait valoriser les enseignements recueillis. C’est une pratique que la SGN ravive ces dernières années.
Dans une époque où le développement urbain passait de la reconstruction (post-guerre 39-45) à la construction d’ensembles neufs (début des zones industrielles péri-urbaines et des très nombreux lotissements en périphérie des centres villes historiques, des bourgs et des villages), les poches de dissolution dans la craie étaient une hantise des promoteurs et aménageurs. D’une profondeur n’excédant pas quelques mètres, larges de quelques dizaines de mètres, elles constituaient des sites ponctuels hétérogènes, irréguliers affectant justement la tranche des terrains de fondation. La géophysique du génie civil balbutiait, et un laboratoire comme celui du Pr. Gabillard était centré sur la détection des cavités souterraines1.
L’outil le plus fiable pour traiter en pratique – toujours dans l’urgence – ce type de problème, était encore l’observation de terrain, soignée, précise, et comparative de façon à comprendre le mécanisme en jeu. Heureusement, les carrières et tranchées (routes surtout) exposant le contact entre la tête de la craie et sa couverture « tertiaire » étaient encore assez nombreuses et accessibles. L’observation de base, en coupe verticale, était un triangle plus ou moins régulier, inséré dans la craie, empli de couches dont la forme concave vers le haut, suggérait un processus évolutif d’invagination de ces couches de remplissage après leur dépôt. La surface de contact entre la craie et le remplissage de la poche est soulignée partout d’un liseré d’argile feuilletée, d’un brun foncé, virant au noir lorsqu’elle est humide ; des silex branchus (non cassés) peuvent y être concentrés. Deux interprétations nettement différentes s’affrontaient :
- Pomerol et certains de ses collaborateurs affirmaient l’origine illuviale de cette argile noire, par « un processus physico-chimique complexe qui reste à étudier » (cité par Bonte) ;
- Bonte soutenait une origine éluviale : cette argile est résiduelle, par dissolution de la craie, la perte de matière provoquant l’invagination des dépôts synchrones de la dissolution.
Bonte était aussi convaincu que Pinchemel (1954) de l’utilisation abusive du terme Argile à silex et a évité de l’employer dans cet article.
L’idée centrale argumentée par Bonte dans cet article est que les poches de dissolution observées dans la craie, dans le nord de la France, révèlent un processus d’altération et d’érosion relativement récent (Néogène à Quaternaire), encore fonctionnel même si le refroidissement général (à l’échelle du million d’années) l’a ralenti. Il affecte la tête de la craie, quel qu’en soit le niveau stratigraphique, sous couverture perméable (sable ou limon) résiduelle, là où « la chape imperméable » de l’argile thanétienne a été préalablement décapée, ou ne s’est pas déposée.
Cette conception permet de soutenir l’idée que le territoire des nouvelles observations réalisées aux confins de Lezennes et Villeneuve d’Ascq fut couvert par l’Argile de Louvil, au-dessus du tuffeau, seul observable aujourd’hui (Graveleau et al., ce volume), et que le décapage de celle-ci est sans doute récent (Plio-Pléistocène ?). Bonte (1966) avait lui-même observé, dans les terrassements de la Cité Scientifique, que la dissolution de la tête de la craie n’était présente qu’en bordures nord-est et est du site.
Remerciements. — J.C. remercie Léa Devaere et Franck Vandenbulcke pour les renseignements sur le mode de vie des annélides.