Actualisation des distributions verticales de foraminifères dans les craies du Cénomanien-Turonien du Boulonnais (Nord de la France)

  • Updating of vertical distribution of foraminifers in the Cenomanian and Turonian chalks of the Boulonnais (northern France)

DOI : 10.54563/asgn.923

p. 7-23

Abstracts

Une trentaine de niveaux-repères litho-écologiques à grande extension géographique, utilisable pour des corrélations précises intra- et inter-bassins, a été décrite durant ces dernières années dans les craies cénomaniennes et turoniennes du bassin anglo-parisien. La répartition verticale des espèces les plus représentatives de foraminifères planctoniques et benthiques est aujourd'hui révisée et calibrée par rapport à ces niveaux-repères à partir d’échantillonnages réalisés dans le Boulonnais, d'une part dans les falaises du Cap Blanc-Nez et, d'autre part, dans une tranchée de chemin de fer à Caffiers.

During the last years, about thirty litho-ecologic marker beds of wide geographic extension were described in the Cenomanian and the Turonian of the Anglo-Paris basin. Some are very useful for accurate intra- and interbasinal correlations. To-day, the vertical distribution of the most representative species of planktonic and benthic foraminifers is revised and calibrated in comparison with these marker-beds, owing to the sampling of two major sections in the Boulonnais, viz. the Cap Blanc-Nez cliffs and the Caffiers railway cutting.

Outline

Text

I. — Introduction

Pendant longtemps, reconnaître le niveau dans lequel on se trouvait au sein des craies cénomano-turoniennes du bassin anglo-parisien restait un exercice difficile en raison de la monotonie apparente des faciès. Les « assises » utilisées au XIXe siècle et durant la première partie du XXe siècle par les auteurs français étaient des divisions assez larges aux limites souvent imprécises. Pendant longtemps les macrofossiles, comme particulièrement les ammonites, inocérames et échinides, furent les seuls outils de corrélation. Puis le développement de la micropaléontologie à partir des années 1950 a constitué un progrès sensible et a apporté dans les années 1970 un outil de corrélation supplémentaire et fiable avec une précision atteignant parfois quelques mètres grâce à la définition et à l'utilisation de biozones, principalement de foraminifères. Du côté anglais, sous l'impulsion des travaux de recherches préparatoires à l'implantation d'un tunnel sous la Manche, des échelles de foraminifères ont été élaborées dans les craies du Cénomanien-Turonien à Douvres (Kent) à partir de deux sondages réalisés à quelques centaines de mètres en retrait des falaises à Aycliff et Shakespeare Cliff (Carter & Hart, 1977 ; Hart, 1983). Malheureusement, aucune description lithologique où auraient pu être signalés des « marker beds » n'a été publiée, ce qui rend impossible le repérage des limites de zones dans la suite stratigraphique visible en falaise comme Gale (1996) l'a déjà remarqué. Du côté français, les besoins de la cartographie au 1/50 000 des craies dans le bassin de Paris ont conduit le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) à dresser une biozonation de foraminifères mais qui fait également abstraction de la lithologie (Monciardini, 1978, 1994). En revanche, une démarche différente a été appliquée par nous-mêmes dans les craies du Boulonnais, dans les falaises du Cap Blanc-Nez et dans la tranchée de chemin de fer à Caffiers (Amédro et al., 1976, 1978 a, b, 1979 ; Robaszynski, Amédro et al., 1980). L'étude des deux coupes a conduit à la mise en parallèle de la lithologie et des échelles macro-, micro- et nanno- paléontologiques associant ammonites, inocérames, échinides, ostracodes, foraminifères planctoniques et benthiques, dinoflagellés et nannofossiles calcaires.

De nouveaux levés effectués dans les falaises du Cap Blanc-Nez à l'occasion des travaux de creusement du Tunnel sous la Manche ont révélé que trois intervalles totalisant 8,75 m d'épaisseur avaient été omis dans la colonne lithologique publiée par Amédro et al. (1976), d'abord à la base du Cénomanien moyen (les unités 15', 16' et 19') puis un intervalle de 6 m au sommet du Turonien moyen à la charnière entre le Turonien moyen et supérieur, sensiblement à la hauteur des Southerham Marls (Amédro, 1993, 1994 ; Amédro & Robaszynski, 1999, 2001 a, b, c). De plus, une nouvelle méthode de corrélation très précise mise au point au cours des trente dernières années, d'abord dans les craies du nord-ouest de l'Allemagne, puis dans celles du bassin anglo-parisien, en l'occurrence la stratigraphie événementielle (Ernst et al., 1983 ; Mortimore, 1983, 1986, 1997 ; Robinson, 1986 ; Mortimore & Pomerol, 1987 ; Amédro, 1994 ; Gale, 1995, 1996 ; Amédro & Robaszynski, 1999, 2001 a, b, c, 2006), a été appliquée avec succès au Boulonnais. Le principe de la stratigraphie événementielle est fondé sur la recherche dans les successions sédimentaires de niveaux-repères à grande extension géographique utilisables pour des corrélations intra- ou inter-bassins. Ces niveaux-repères sont caractérisés soit par une particularité lithologique (niveaux marneux de teinte sombre, bentonites, niveaux riches en grains de quartz ou de glauconie, hardgrounds, etc.), soit par l'abondance momentanée d'un macrofossile (horizons riches en inocérames, en lamellibranches, Entolium par exemple, en ammonites, en brachiopodes, par exemple Orbirhynchia). Il s'agit le plus souvent de la traduction lisible sur le terrain d'événements écologiques, volcaniques ou des variations de niveau marin relatif (Robaszynski et al., 1998 ; Wray, 1999 ; Jarvis et al., 2001 ; Wilmsen, 2012). La plupart des litho- et écoévénements présents dans les craies cénomano- turoniennes du Boulonnais, décrits en détail par Amédro & Robaszynski (1999, 2001 a, b, c, d, 2006) n'étaient pas identifiés en 1978 lorsqu'ont été publiées les échelles biostratigraphiques de macro-, micro- et nannofossiles. Les tableaux de répartition des ammonites ont été actualisés et calibrés avec les niveaux- repères pour le Cénomanien par Amédro in Robaszynski et al. (1998) et pour le Turonien par Amédro & Robaszynski (2001 b).

Tel n'étant pas le cas pour ce qui concerne les foraminifères, le but de ce travail est d'apporter une révision de la distribution verticale des foraminifères dans les craies cénomaniennes et turoniennes du Cap Blanc-Nez en calibrant l'extension des taxons par rapport à l'ensemble des niveaux-repères connus aujourd'hui. Tous les échantillons pris en compte en 1978 ont été replacés dans la suite lithologique actualisée. Vingt deux prélèvements réalisés par l'un d'entre nous (F.A.) pour le compte du consortium Transmanche Link (TML) de part et d'autre de la limite Cénomanien inférieur-Cénomanien moyen afin de mieux cerner le toit de la « Craie bleue » imperméable lors des travaux de creusement du Tunnel sous la Manche sont également intégrés. L'étude de ce matériel complémentaire a été réalisée par Annick Jouchoux en 1994 avec un contrôle des déterminations par le premier auteur de cette note (F.R.). La limite Turonien-Coniacien n'est cependant pas atteinte dans la partie vive de la falaise du Cap Blanc-Nez. C'est la raison pour laquelle la tranchée de chemin de fer de Caffiers, située à une dizaine de kilomètres au sud-est à l'intérieur des terres et dans laquelle l'étage Turonien est recoupé dans sa totalité, est prise en compte afin de compléter la succession. Cette coupe importante a déjà été décrite à plusieurs reprises avant l'utilisation des litho- et écoévénements, et plus particulièrement par Amédro & Robaszynski (1978), Amédro et al. (1979), Robaszynski, Amédro et al. (1980) et Robaszynski & Amédro (1986). La succession lithologique a été révisée par Amédro & Robaszynski (2001d) et la distribution verticale des ammonites et des échinides précisée par Amédro & Robaszynski (2006). La localisation géographique des falaises du Cap Blanc-Nez et de la tranchée de chemin de fer de Caffiers dans le nord du Boulonnais est indiquée à la figure 1.

Figure 1

Figure 1

Localisation géographique du Cap Blanc-Nez et de la tranchée de chemin de fer de Caffiers dans le nord du Boulonnais.
 
Geographical location of the Cap Blanc-Nez cliffs and of the Caffiers railway cutting in the north of the Boulonnais.

II. — Les falaises du Cap Blanc-Nez

Les falaises crayeuses du Cap Blanc-Nez bordent le rivage de la Manche sur environ 6 km entre le hameau de Strouanne et le village de Sangatte (Fig. 2). Grâce à un faible pendage de 1° à 3° vers le nord-est, la totalité des craies cénomaniennes et le tiers inférieur des craies turoniennes sont accessibles au pied des falaises ou en montant le long de plusieurs éboulis. En revanche, la verticalité de la falaise rend inaccessible les 2/3 supérieurs des craies turoniennes, sauf en ayant recours à un matériel d'escalade, ce qui a été fait en 1975 et publié l'année suivante (Amédro et al., 1976). Tous les échantillons prélevés à l'époque sont déposés aujourd'hui au Musée d'histoire naturelle de Lille. L'épaisseur de la succession crayeuse dans la falaise vive est de 149,20 m avec 75,20 m de craies cénomaniennes et 74 m de craies turoniennes, mais la totalité de l'étage Turonien n'est pas représentée, le contact avec les craies coniaciennes étant situé une dizaine de mètres au-dessus, entre le sommet de la falaise et la plate-forme du Dover Patrol. Les formations crayeuses du Cap Blanc-Nez (Fig. 3 pour la partie cénomanienne et Fig. 4 pour la partie turonienne) ont été divisées par Amédro et al. (1976) et Robaszynski, Amédro et al. (1980) en ensembles lithologiques (affectés d'une lettre majuscule) formés de cycles sédimentaires ou groupes de cycles (indexés par des chiffres). Des levés lithologiques détaillés avec un degré de résolution atteignant parfois quelques centimètres ont été publiés par Amédro (1993, 1994) et Amédro & Robaszynski (1999, 2001 a, b), de telle sorte que la description systématique de toutes les unités lithologiques n'est pas reprise ici.

Figure 2

Figure 2

Coupe géologique des falaises du Cap Banc-Nez.
 
Geological sketch of the Cap Blanc-Nez cliffs.

1) Les appellations des craies cénomaniennes du Pas-de-Calais

Comme indiqué dans la figure 3, différentes formations répondant aux règles actuelles de la nomenclature stratigraphique internationale ont été définies par Robaszynski, Amédro et al. (1980) dans les craies du Boulonnais, soit en ce qui concerne la partie cénomanienne de la succession et du bas vers le haut les : Formation de Strouanne (craie glauconieuse ou « Tourtia »; 2 m), Formation du Petit Blanc-Nez (alternances marno-crayeuses débutant le plus souvent par de larges niveaux marneux ; 30 m) ; Formation du Cran (cycles à dominante crayeuse, souvent cohérents ; 10,70 m) ; Formation d'Escalles (craie finement rythmée ; 30,30 m) ; Formation des Crupes (Marnes à Plenus ; 2,16 m au Grand Blanc-Nez, se réduisant progressivement à 1,15 m vers la falaise fossile quaternaire de Sangatte) et Formation du Grand Blanc-Nez pars (craie noduleuse dont seuls les 0,90 m inférieurs sont attribués à l'étage Cénomanien).

Les travaux du Tunnel sous la Manche ont toutefois popularisé une autre division des craies cénomaniennes du Pas-de-Calais avec l'usage des termes « Craie bleue », « Craie grise » et « Craie blanche » (Destombes & Shephard-Thorn, 1971 ; Duffaut & Margron, 1990 ; Harris et al., 1996). Ces appellations sont la traduction française de divisions du « Lower Chalk » créées dans le sud-est de l'Angleterre au XIXe siècle, soit les :

  • Chalk Marl (Mantell, 1818) : « soft marly chalk » dans le Sussex ; « blue marl » dans le Kent (Phillips, 1819) ;
  • Grey Chalk (Phillips, 1819) : nom appliqué à la craie grise argileuse près de Douvres dans le Kent ;
  • White Bed (Jukes-Browne & Hill, 1903) : « massive white chalk » ; unité lithologique comprise dans les falaises de Douvres et de Folkestone entre le « Jukes-Browne bed 7 » à structures lamellaires et les Marnes à Plenus.

Comme souvent à cette époque, les deux premiers termes ont été proposés sans définition de limites lithologiques, d'où des interprétations variables suivant les auteurs, résumées par Smart et al. (1966) et plus récemment par Amédro & Robaszynski (1999). Par commodité, il a été convenu au sein du consortium Transmanche Link (TML), chargé de la réalisation du Tunnel sous la Manche pour le concessionnaire Eurotunnel, de faire coïncider la limite supérieure de la « Craie bleue » avec la limite supérieure de la Formation du Petit Blanc-Nez, c'est-à-dire avec la limite entre les unités 16' et 17 (Duffaut & Margron, 1990 ; Andreieff & Monciardini, 1990 ; Amédro, 1993, 1994). C'est en effet là que se situe un niveau de sources dans la falaise du Cap Blanc-Nez, ce qui constitue une limite géotechnique intéressante du point de vue de la perméabilité. Dans la mesure où les successions lithologiques sont identiques de part et d'autre du Pas de Calais, cette limite a été acceptée du côté anglais et mise en équivalence avec celle séparant le « Chalk Marl » au-dessous et la « Grey Chalk » au-dessus (Wood et al., 1996 ; Harris et al., 1996 ; Bristow et al., 1997 ; Mortimore et al., 2001, p. 89).

2) Les niveaux-repères

L'inventaire des niveaux-repères décrits dans les craies cénomaniennes et turoniennes du Cap Blanc-Nez est le suivant, soit du bas vers le haut :

Cénomanien inférieur

  • la Formation de Strouanne ou « Tourtia du Cap Blanc-Nez » (unités 1 et 2) : craie glauconieuse verte, à nodules phosphatés plus ou moins remaniés à la base ; épaisseur : 2 m ;
  • un banc à nombreux Inoceramus crippsi (Mantell) situé à cheval sur la Formation de Strouanne (unité 2) et la base de la Formation du Petit Blanc-Nez (unités 3 et 4) ; épaisseur : 2,50 m ;
  • l'unité 5 : marne franchement bleue, incluant à la base des grains de glauconie et de quartz disséminés ; épaisseur : 0,70 m ; immédiatement au-dessous, la limite supérieure du banc crayeux coiffant l'unité 4 est couverte d'inocérames, d'ammonites et d'éponges, tandis que le banc crayeux lui-même, cohérent et bioturbé, présente la morphologie d'une ébauche de hardground ;
  • la base de l'unité 10 : marne sableuse (20 % de grains de quartz), de teinte sombre, friable, finement piquetée de glauconie ; épaisseur : 0,40 m ;
  • la partie moyenne de l'unité 10 ; banc riche en Inoceramus virgatus Schlüter ; épaisseur : 2,30 m ;
  • deux bancs crayeux décimétriques gris clair, cohérents, en relief dans la falaise, situés dans l'unité 10 juste au-dessus du banc riche en I. virgatus, remplis d'éponges et bioturbés, ce qui leur donne un aspect noduleux ; épaisseur : 0,45 m ;
  • un premier niveau riche en petits brachiopodes à grosses côtes appartenant à l'espèce Orbirhynchia mantelliana (d'Orbigny), localisé au sommet de l'unité 10 ; épaisseur : 2,35 m ;
  • la base de l'unité 11 : marne silteuse presque noire, en retrait dans la falaise par érosion différentielle ; épaisseur : 0,20 m.

Cénomanien moyen

  • l'unité 15' : deuxième niveau riche en Orbirhynchia mantelliana ; épaisseur : 2,30 m ;
  • la moitié inférieure de l'unité 16 : marne de teinte gris foncé, pénétrée dans sa partie supérieure par des perforations remplies de craie claire (traces centimétriques de Thalassinoides et millimétriques de Chondrites) ; épaisseur : 0,40 m ;
  • les sommets des unités 16 et 16' : deux bancs crayeux indurés, épais chacun de 0,40 m, en relief dans la falaise et distants de 2 m (bien visibles au tiers inférieur de la descente du Cran d'Escalles) ; c'est au sommet de l'unité 16', c'est-à-dire au sommet de la Formation du Petit Blanc-Nez, qu'est placée la limite entre la « Craie bleue » globalement imperméable et la « Craie grise » plus perméable dans toutes les études relatives au Tunnel sous la Manche ;
  • la base de l'unité 17 : marne crayeuse renfermant par centaines d'individus un petit lamellibranche : Entolium orbiculare (Sowerby), des brachiopodes : Modestella geinitzi (Schloenbach), Kingena concinna (Owen), Grasirhynchia martini (Mantell) et un coralliaire : Micrabacia coronula (Goldfuss) ; épaisseur : 1 m ; ce niveau a également livré un rostre de la bélemnite Praeactinocamax primus (Arkhangelsky), collection De Putter à Axel, Pays-Bas ;
  • l'unité 19 et la moitié inférieure de l'unité 19' : troisième niveau riche en Orbirhynchia mantelliana, associé ici à des centaines d'exemplaires d'une petite ammonite déroulée : Sciponoceras baculoides (Mantell) ; épaisseur : 2,75 m. La limite supérieure de ce niveau-repère correspond à une surface d'érosion mise en évidence à travers la majeure partie du Pas de Calais lors des reconnaissances effectuées pour l'implantation du tracé du Tunnel sous la Manche en 1964–1965 (Carter & Destombes, 1972). En outre, elle coïncide avec une augmentation brutale de la proportion des foraminifères planctoniques (« P/B break ») qui passe de 5% à plus de 50% (Carter & Destombes, 1972 ; Carter & Hart, 1977 ; Jouchoux, 1994 ; Paul et al., 1994). Il s'agit de la “Mid-Cenomanian Non Sequence” ou MCNS de Hart & Tarling (1974) ;
  • la moitié supérieure de l'unité 22 : banc riche en Inoceramus atlanticus Heinz ; épaisseur : 1 m ;
  • l'unité 23 : groupe de trois niveaux marneux sombres, très apparents, qui correspondent à un horizon riche en petites huîtres appartenant au genre Pycnodonte, surmonté par un banc calcarénitique blanc-jaunâtre dans lequel la cyclicité est assez discrète et paraissant de ce fait assez massif ; ce banc contient des « structures lamellaires » apparaissant comme des masses aplaties et lenticulaires, centimétriques à décimétriques, de craie grossière et rêche (« Jukes-Browne bed 7 » ou « laminated structures » de Kennedy (1967), représentant des chenaux canalisant une craie vannée, grossière) ; épaisseur : 3,25 m.

Cénomanien supérieur

  • le sommet de l'unité 25 : un lit de craie blanc-jaunâtre grossière, calcarénitique, limité à la base par une surface de ravinement et contenant de nombreuses petites huîtres Amphidonte ; épaisseur moyenne : 0,10 m ; un demi-mètre plus haut, la limite entre les unités 25 et 26 est soulignée par un niveau marneux riche en perforations de teinte claire (Thalassinoides et Chondrites) ;
  • l'ensemble K (unité 27) : « Marnes à Plenus » où l'on retrouve la succession lithologique des huit « beds » définis par Jefferies (1963) à Merstham dans le sud-est de l'Angleterre ; épaisseur : 2,16 m au Grand Blanc-Nez, se réduisant progressivement à 1,15 m vers la falaise fossile quaternaire de Sangatte ;
  • la partie supérieure du sous-ensemble L,a de la Formation du Grand Blanc-Nez : superposition de deux hardgrounds à Sciponoceras bohemicum anterius Wright & Kennedy, en relief dans la falaise ; à noter la récolte récente par l'un d'entre nous (F.A.), dans ces hardgrounds, d'un premier exemplaire de l'ammonite Neocardioceras juddii (Barrois & Guerne) [cf. Barrois et Guerne, 1878] très exactement à 0,60 m au-dessus des « Marnes à Plenus », à l'aplomb du Grand Blanc-Nez ; épaisseur du sous-ensemble lithologique L,a au Grand Blanc-Nez : 0,90 m ;
  • le Meads Marl 4 (la terminologie des niveaux marneux est celle définie en 1986 par Mortimore à Eastbourne dans le Sussex, au sud-est de l'Angleterre, et elle a priorité) : niveau de marne gris-verdâtre surmontant immédiatement le dernier hardground à Sciponoceras du niveau-repère précédent ; épaisseur : quelques centimètres ; la limite Cénomanien-Turonien est située quelques décimètres au-dessus de ce niveau marneux (voir les discussions in Gale, 1996 et Amédro et al., 2005).

Turonien inférieur

  • un banc riche en Inoceramus mytiloides Mantell ; épaisseur : 2 m ;
  • le Lulworth Marl : niveau pluricentimétrique de marne verdâtre, suivi 0,60 m plus haut, par un hardground dont les nodules sont ferruginisés. Au-dessus du Lulworth Marl s'opère un changement de texture dans les différents faciès de la craie avec la disparition virtuelle des intraclastes et des lits de débris de coquilles d'inocérames (Gale, 1996). Au Cap Blanc-Nez, le Lulworth Marl coïncide avec la limite entre la craie très noduleuse jaunâtre du sous-ensemble L,b, au-dessous, et la craie subnoduleuse plus grisâtre du sous-ensemble L,c, au-dessus Turonien moyen
  • le Round Down Marl : niveau marneux sombre situé au Cap Blanc-Nez dans la partie moyenne de la craie subnoduleuse du sous-ensemble L,c ; épaisseur : une dizaine de centimètres ;
  • les New Pit Marls : deux niveaux marneux pluricentimétriques bien contrastés, séparés par un banc crayeux assez massif, d'environ 2 m d'épaisseur ; les New Pit Marls 1 et 2 surmontent immédiatement la craie noduleuse et subnoduleuse jaunâtre de la Formation du Grand Blanc-Nez et marquent la base de la Formation des Mottelettes constituée de craie blanc-grisâtre ;
  • un banc riche en Inoceramus lamarcki Parkinson ; épaisseur : 1,20 m ;
  • les Glynde Marls : faisceau de minces niveaux marneux sombres, répartis sur une hauteur de 2,60 m ; au Cap Blanc-Nez, les Glynde Marls débutent par une paire de niveaux marneux, mieux soulignés que les niveaux environnants, et se terminent par un triplet de niveaux marneux également bien nets. À noter que le niveau marneux inférieur (Glynde Marl 1) est un niveau de bentonite de 10 cm d'épaisseur correspondant à un dépôt instantané de cendres d'origine volcanique (Wray, 1999).

Figure 3

Figure 3

Répartition verticale des foraminifères dans les craies cénomaniennes du Cap Blanc-Nez.
 
Vertical distribution of foraminifers in Cenomanian chalks of the Cap Blanc-Nez.

Turonien supérieur

  • les Southerham Marls : groupe de quatre niveaux marneux équidistants, dont le premier et le dernier sont plus épais et mieux soulignés que les deux niveaux médians ; épaisseur : 2 m ; le premier est une bentonite d'origine volcanique (Vanderaveroet et al., 2000 ; Godet et al., 2003) ;
  • le Caburn Marl : niveau marneux décimétrique sombre, très sensible à l'action des agents atmosphériques, il apparaît en creux dans la falaise. Ce niveau facilement repérable surmonte un lit de gros silex ; comme le Glynde Marl 1 et le Southerham Marl 1, le Caburn Marl est un niveau de bentonite (Deconinck et al., 1991 ; Vanderaveroet et al., 2000) ;
  • les Bridgewick Marls : paire (au Cap Blanc-Nez) de niveaux marneux décimétriques, en creux dans la falaise, perchés au sommet de la falaise du Grand Blanc-Nez, associés à de gros silex cornus et à des hardgrounds dont certains sont très fossilifères, riches en échinides : Sternotaxis plana (Mantell), Micraster leskei Desmoulins, et en ammonites : Subprionocyclus bravaisianus (d'Orbigny), S. hitchinensis (Billinghurst), S. branneri (Anderson), Lewesiceras mantelli Wright & Wright, Sciponoceras bohemicum bohemicum (Fritsch), Scaphites geinitzii d'Orbigny, Sc. pseudoaequalis Yabe, Allocrioceras angustum (J. de C. Sowerby), Hyphantoceras reussianum (d'Orbigny), Didymoceras saxonicum (Schlüter), etc. ; le Bridgewick Marl 1 est constitué de bentonite d'origine volcanique (Vanderaveroet et al., 2000) ;
  • le Lewes Marl : niveau décimétrique affleurant sur quelques dizaines de mètres dans un sommet de falaise situé à 750 m au nord-est du Cap Grand Blanc-Nez, également d'origine volcanique.

Les derniers mètres de l'étage Turonien ne sont pas visibles dans la partie vive du Cap Blanc-Nez en raison de la pelouse crayeuse qui coiffe le sommet de la falaise et oblitère les affleurements. Toutefois, la limite Turonien-Coniacien se trouve entre ce sommet de falaise vive et la plate-forme qui porte le monument du Dover Patrol. En effet, dans les années 2005, des tranchées opérées en vue de l'aménagement de cette plate­forme ont mis au jour un mince lit continu de silex plat interprété comme un équivalent de l'East Cliff Marl qui, en Angleterre, se trouve à la moitié environ du Coniacien (cf. discussion in Amédro & Robaszynski, 2001d et 2006). En outre, cet intervalle affleure à 10 km au sud-est, dans la tranchée de chemin de fer de Caffiers, où on peut l'observer à proximité du petit pont routier et qui montre à son sommet le Navigation Hardground terminant le Turonien (cf. infra). Au total, 29 niveaux particuliers correspondant à l'enregistrement d'événements à caractère lithologique ou bio-écologique permettent de se repérer avec précision dans la succession des craies cénomano-turoniennes du Cap Blanc-Nez, le 30e niveau n'étant bien observable qu'à Caffiers.

III. — La tranchée de chemin de fer de Caffiers

Le creusement d'une tranchée de chemin de fer près de la gare de Caffiers a mis au jour en 1975 une succession continue de près de 150 m de craies allant du Cénomanien supérieur au Coniacien. L'affleurement est aujourd'hui très dégradé en raison de la végétalisation des talus mais, pendant près d'une décennie, il s'est agi de la coupe la plus épaisse (103 m) et la plus complète jamais observée dans le Turonien du Boulonnais. Outre un levé lithologique détaillé, la tranchée de Caffiers a fait l'objet d'un échantillonnage micropaléontologique complet et de récoltes systématiques de macrofaunes (ammonites, inocérames, échinides, brachiopodes ...) durant toute la durée de vie de l'affleurement. L'ensemble des résultats a été publié par Amédro & Robaszynski (1978), Amédro et al. (1979), Robaszynski, Amédro et al. (1980), Robaszynski & Amédro (1986) et Amédro & Robaszynski (2001 d). La suite lithologique de la tranchée de Caffiers, pour sa partie turonienne, est illustrée dans la figure 5. La numérotation indiquée va, du haut vers le bas, de 0 à 111 m en se dirigeant vers le sud-ouest à partir du pont routier qui enjambe la tranchée, puis du bas vers le haut, de 112 m à 148 m en partant du pied nord du même pont vers la gare de Caffiers.

1) Les niveaux-repères

Du bas vers le haut on retrouve, entre les niveaux 111 m et 19,50 m, la même succession de niveaux-repères qu'au Cap Blanc-Nez depuis les hardgrounds à Sciponoceras bohemicum anterius du Cénomanien supérieur jusqu'au Lewes Marl. À noter que les Bridgewick Marls sont ici au nombre de trois, contre deux au Cap Blanc-Nez. La corrélation présentée par Amédro & Robaszynski (2001 b) suggère la disparition du Bridgewick Marl 2 dans les falaises du Cap Blanc-Nez (comme d'ailleurs à Douvres) parallèlement au développement d'une ébauche de hardground. La moitié inférieure de l'intervalle compris entre les Bridgewick Marls et le Lewes Marl, perchée au sommet des falaises du Grand Blanc-Nez (Fig. 2) et inaccessible, est aussi caractérisée par la présence de petits silex ramifiés correspondant à la silicification de bioturbations de type Thalassinoides et inclut trois hardgrounds très fossilifères, spécialement riches en échinides (Sternotaxis plana, Micraster leskei) et en ammonites (Subprionocyclus bravaisianus, Lewesiceras mantelli, Scaphites geinitzii, Sciponoceras bohemicum bohemicum...), en particulier au mètre 29. Au-dessus du Lewes Marl, la succession des niveaux-repères encadrant la limite Turonien-Coniacien est la suivante :

Turonien supérieur

  • le Navigation Hardground, demi-métrique ; la récolte à la surface de ce hardground à Douvres de l'inocérame Cremnoceramus deformis erectus (Meek) - taxon retenu lors du « Second Symposium sur les limites des étages du Crétacé » de Bruxelles en 1995 pour définir la base de l'étage Coniacien (Kauffman et al., 1996) - permet de fixer la limite Turonien- Coniacien à la limite supérieure du Navigation Hardground (Mortimore et al., 2001).

Figure 4

Figure 4

Répartition verticale des foraminifères dans les craies turoniennes du Cap Blanc-Nez.
 
Vertical distribution of foraminifers in Turonian chalks of the Cap Blanc-Nez.

Coniacien

  • le Hope Gap Hardground, pluridécimétrique ;
  • le Beeding Hardground, bien développé et également pluridécimétrique ;
  • le Light Point Hardground, comparable par son épaisseur et sa structure aux deux hardgrounds précédents ;
  • le premier niveau de silex plats, correspondant probable de l'East Cliff Marl de la côte anglaise et situé à la moitié environ du Coniacien (Amédro & Robaszynski, 2001d et 2006).

2) La discontinuité des récoltes d'ammonites dans les craies turoniennes et coniaciennes

À la différence des craies cénomaniennes où des ammonites sont présentes en grand nombre à tous les niveaux, les récoltes sont beaucoup plus discontinues dans les craies turoniennes, en particulier dans l'intervalle compris entre les New Pit Marls et les Bridgewick Marls ainsi qu'au-dessus du Lewes Marl. C'est la raison pour laquelle, dans les cartouches des figures 3 et 4, l'attribution stratigraphique de plusieurs portions de la succession lithologique reste incertaine, comme aussi la position exacte de la limite Turonien moyen - Turonien supérieur si on la définit par l'apparition de l'ammonite Romaniceras deverianum (d'Orbigny). En effet, les premiers R. deverianum récoltés jusqu'à présent dans les craies du bassin anglo-parisien, en particulier dans le Sussex (Mortimore, 1986 ; Gale, 1996 ; Mortimore et al., 2001), proviennent de la partie moyenne de l'intervalle compris entre le Caburn Marl (situé au-dessus) et les Southerham Marls (en dessous). Il serait a priori logique de placer à cet endroit la base du Turonien supérieur. Cependant, dans la coupe de Liencres en Espagne (Wiese & Kaplan, 2001), la première apparition de l'espèce est observée encore plus bas, au niveau d'un événement géochimique (pic positif en δ 13C) nommé Pewsey Event par Gale (1996) et situé dans la coupe de Douvres dans le Kent quelques mètres sous les Southerham Marls (Jenkyns et al., 1994). Y a-t-il une insuffisance des récoltes d'ammonites dans les craies du bassin anglo-parisien (seule une dizaine de R. deverianum y a été recueillie) ou un réel diachronisme dans les niveaux d'apparition de cette espèce entre les domaines téthysien et boréal, ce qui pourrait suggérer une migration venant du sud ? La question n'est pas résolue et reste pendante.

En ce qui concerne l'étage Coniacien, la zone à Forresteria petrocoriensis n'a pas été formellement reconnue dans le Boulonnais, mais est indiquée par comparaison avec le Kent, l'index de zone ayant été récolté dans le Navigation Hardground à Douvres (Gale & Woodroof, 1981). La zone suivante à Peroniceras tridorsatum est en revanche bien individualisée par la récolte de plusieurs ammonites caractéristiques à Caffiers et dans la région lilloise (Amédro & Robaszynski, 1978, 2006).

3) Le diachronisme des formations turoniennes

Quatre formations ont été créées dans les craies turoniennes du Boulonnais par Robaszynski, Amédro et al. (1980), du bas vers le haut les : Formation du Grand Blanc-Nez (craie noduleuse ; 22,45 m au Cap Blanc-Nez, les 0,90 m inférieurs étant attribués au Cénomanien), Formation des Mottelettes (craie marneuse, subnoduleuse ; 25 m au Cap Blanc-Nez), Formation du Guet (craie blanche à silex rares ; 15,25 m au Cap Blanc-Nez) et Formation de Caffiers (craie blanche à nombreux silex ; seuls les 32 m inférieurs de la Formation appartiennent à l'étage Turonien dans la localité type, le reste représentant le Coniacien). Ces formations sont définies par leur faciès. Il convient toutefois de souligner que, sauf en ce qui concerne la craie blanche à nombreux silex de la Formation de Caffiers, l'âge des formations varie suivant les coupes en raison d'un diachronisme des faciès entre les falaises de Douvres, celles du Cap Blanc-Nez, la tranchée de chemin de fer de Caffiers et l'Artois (Amédro & Robaszynski, 2001 b, 2006). Si l'on considère uniquement les falaises du Cap Blanc-Nez (Fig. 4) et la tranchée de chemin de fer de Caffiers (Fig. 5), la craie noduleuse de la Formation du Grand Blanc-Nez monte au Cap Blanc-Nez jusqu'au New Pit Marl 1. À Caffiers, la limite supérieure de la formation est située beaucoup plus bas, sous le Lulworth Marl. De la même façon, l'apparition des silex se fait au Cap Blanc-Nez à 1 m sous les Southerham Marls. À Caffiers, le premier lit de silex se trouve immédiatement sous le Caburn Marl. La réduction progressive du nord-ouest vers le sud-est de la craie noduleuse de la Formation du Grand Blanc-Nez vers le bas de la succession et de la craie à silex rares de la Formation du Guet vers le haut entraîne corrélativement dans la partie médiane une augmentation d'épaisseur de la craie marneuse de la Formation des Mottelettes. Cette évolution latérale des faciès trouve son aboutissement 50 km plus au sud avec la présence en Artois et dans le Douaisis d'un Turonien uniquement marneux (faciès des “Dièves” ; Gosselet, 1911 ; Amédro & Robaszynki, 1987).

IV. — Les foraminifères du Cénomanien (Cap Blanc-Nez)

1) Les termes lithologiques

Pour ce qui suit, plusieurs ensembles lithologiques et quelques niveaux-repères parmi ceux décrits ci-dessus seront utilisés, dont on rappelle les termes ci-après, du bas vers le haut :

  • les argiles à faciès Gault (Albien, ensemble C) :
  • la craie glauconieuse (ou Tourtia, ensemble D) ;
  • la « Craie bleue » (ensembles D, E, F, G') ;
  • la « Craie grise » (ensembles H' et I pars) ;
  • le banc à structures lamellaires (banc 23 de l'ensemble I au Cap Blanc-Nez, correspondant au “Jukes-Browne bed 7” à Douvres) ;
  • la « Craie blanche » (unité 24 de l'ensemble I et ensemble J) ;
  • les marnes à Actinocamax plenus (ensemble K ou Plenus Marls) ;
  • le niveau marneux Meads Marl 4 (base de l'ensemble L,b).

Remarque : en plus des niveaux-repères visibles sur le terrain, un autre événement est à signaler. Il s'agit de la « Mid-Cenomanian Non Sequence » ou MCNS de Hart & Tarling (1974), située dans l'unité 19' de l'ensemble H' au sommet du 3e niveau à Orbirhynchia mantelliana, qui coïncide avec une augmentation brutale de la proportion de foraminifères planctoniques par rapport aux foraminifères benthiques. C'est le « Planktonic/Benthic break » qui fait passer le rapport de 5% à plus de 50% (Carter & Destombes, 1972 ; Carter & Hart, 1977 ; Jouchoux, 1994 ; Paul et al., 1994). La MCNS est interprétée comme un approfondissement assez rapide de la mer lié à une élévation du niveau marin relatif (Robaszynski et al., 1998) et considérée par certains comme le premier maximum transgressif du Crétacé supérieur (Miller et al., 2005).

Figure 5

Figure 5

Répartition verticale des foraminifères dans les craies turoniennes de la tranchée de chemin de fer de Caffiers.
 
Vertical distribution of foraminifers in Turonian chalks of the Caffiers railway cutting.

2) Actualisations taxinomiques, distributions verticales et zonations

L'essentiel des données relatives à la distribution verticale des espèces livrées par les craies cénomaniennes a été présenté au Colloque sur le Cénomanien organisé par le Groupe Français du Crétacé à Paris en septembre 1976 (Philip, 1978), puis repris dans la Synthèse biostratigraphique de l'Aptien au Santonien du Boulonnais (Robaszynski, Amédro et al., 1980). De ce fait, les déterminations des foraminifères benthiques menées en 1975-1976 n'ont pas pu bénéficier des recherches effectuées outre-Manche par Carter & Hart (1977). Il en est de même pour les foraminifères planctoniques puisque l'Atlas des formes du Crétacé moyen a été publié seulement en 1979 (Robaszynski, Caron et al., 1979). Les travaux du Tunnel sous la Manche ont aussi apporté des précisions sur la distribution de plusieurs marqueurs (Jouchoux, 1991, 1994). Enfin, les levés complémentaires en falaise lors du creusement du Tunnel ont révélé l'omission de plusieurs bancs qui devaient être réintégrés dans la succession lithologique de référence (cf. supra). En conséquence, les tableaux de 1978 et 1980 se devaient d'être modifiés, à la fois pour la colonne lithologique et pour la distribution des taxons.

a) Foraminifères benthiques

Depuis notre première présentation de la distribution verticale des foraminifères dans le Cénomanien du Cap Blanc-Nez (Robaszynski in Amédro et al., 1978), une révision du matériel ainsi que la tenue en compte de divers travaux repris dans le texte ont apporté les modifications suivantes.

  • Marssonella ozawai Cushman est abondante dans les unités 1 à 5 (et déjà présente dans l'Albien terminal, Hart & Harris, 2012).
  • Lingulogavelinella formosa (Cibicides formosa Brotzen, 1945) a antériorité et doit remplacer Lingulogavelinella jarzevae (Anomalina jarzevae qui est un synonyme junior, cf. Vassilenko, 1954). L'espèce, déjà présente dans l'Albien supérieur, se développe dans les unités 1 à 8 du Cénomanien puis, après une absence dans les unités 9 à 14, elle revient dans les unités 15' et 16. Sa présence est indicative d'une réduction de la tranche d'eau marine.
  • Plectina cenomana (Carter & Hart, 1977) nomme mieux la forme indiquée antérieurement « Lingulogavelinella sp. cf. intermedia Ten Dam ».
  • Gavelinella intermedia (Berthelin) nomme plus correctement « Lingulogavelinella sp. cf. globosa » (Brotzen).

Dans le bassin anglo-parisien, l'étage Cénomanien est bien caractérisé par l'association des formes benthiques suivantes, même si la plupart apparaissent déjà dans l'Albien supérieur : Arenobulimina advena (Cushman), Gavelinella cenomanica Brotzen, G. baltica Brotzen, G. intermedia (Berthelin), Tritaxia pyramidata (Reuss), Pseudotextulariella cretosa (Cushman) et Plectina ruthenica mariae (Franke). En outre, la « Craie bleue » (Cénomanien inférieur et base du Cénomanien moyen par les ammonites) contient deux espèces particulières : Marssonella ozawai Cushman (cantonnée dans les bancs de base) et Lingulogavelinella formosa (Brotzen), elle aussi présente à la base mais dont une récurrence se retrouve plus haut, dans la première zone du Cénomanien moyen à Cunningtoniceras inerme. Quant à la « Craie grise » elle peut se caractériser par l'espèce Plectina cenomana (Carter & Hart) tandis que le banc de « craie blanche », situé au-dessus des structures lamellaires de l'unité 23, voit l'apparition de Lingulogavelinella globosa (Brotzen), espèce qui persiste jusque dans la partie inférieure du Turonien.

Si l'on voulait prendre en compte les distributions verticales de l'ensemble des foraminifères benthiques, tant agglutinés que calcaires, on aboutirait à la subdivision du Cénomanien en huit zones de Carter & Hart (1977). Les études détaillées de ces auteurs sont fondées sur l'examen des résidus de lavage des nombreux échantillons prélevés dans les forages réalisés dans le cadre du « Channel Tunnel Study » et leurs résultats sont valables des deux côtés du Pas de Calais. Toutefois, les distributions verticales de certaines de nos espèces sont parfois un peu différentes par le fait que la présente étude est fondée principalement sur la seule coupe du Cap Blanc-Nez. Aussi ne retiendrons nous ici qu'une subdivision en trois zones indexées sur trois espèces très facilement reconnaissables et non concurrentes : Lingulogavelinella formosa (Cénomanien inférieur et base du Cénomanien moyen), Plectina cenomana (Cénomanien moyen à supérieur p.p.) et Lingulogavelinella globosa (Cénomanien supérieur à Turonien basal).

b) Foraminifères planctoniques

Dans notre première présentation des distributions verticales des espèces en 1978 les dénominations génériques n'avaient pas encore été révisées. Elles le furent après les réunions du Groupe de Travail Européen sur les Foraminifères Planctoniques (Robaszynski, Caron et al., 1979). En conséquence, l'espèce « hagni » Scheibnerova est maintenant attribuée au genre Dicarinella. Trois autres points méritent d'être précisés.

  • Suivant la mise au point de Gonzalez Donoso et al. (2007), plusieurs spécimens de Rotalipora balernaensis (Gandolfi) ont été repérés dans des échantillons du Cénomanien inférieur.
  • Parmi les rotalipores, bien que l'espèce « thomei » Hagn & Zeil soit considérée comme faisant partie du spectre de R. cushmani (Morrow), nous avons maintenu ici ce taxon car il semble constituer une sorte de relais entre R. montsalvensis Mornod (= R. evoluta Sigal in Carter & Hart, 1977) et R. cushmani. C'est une forme très facilement reconnaissable avec souvent 4 loges au dernier tour de spire et une face spirale bombée.
  • Un apport très important relatif à la distribution verticale de Thalmanninella reicheli (Mornod) résulte des travaux micropaléontologiques que TML avait diligentés lors du suivi de l'avancement des tunneliers pour le creusement du Tunnel sous la Manche. Engagée pour étudier les sondages liés à cet avancement, Annick Jouchoux avait effectué une étude quantitative des formes planctoniques des craies allant du sommet de l'unité lithologique 10 à l'unité 19' incluse. Dans ses résultats (Jouchoux, 1991, 1994), on note qu'elle retrouve le niveau à Th. reicheli que nous avions observé en 1976 dans les unités 14 et 15 (celui-ci monte en réalité jusque dans l'unité 15'), mais, surtout, elle met en évidence l'existence d'un deuxième niveau à Th. reicheli dans le tiers inférieur de l'unité 19'. En outre, ses comptages ont montré qu'au-dessus du 3e niveau à Orbirhynchia mantelliana, le pourcentage en foraminifères planctoniques augmente fortement, ce qui confirme l'existence à cet horizon de la MCNS de Carter & Hart (1977).

En tenant compte de ces informations, la zonation du Cénomanien sur base de foraminifères planctoniques reste quadripartite mais avec des intervalles assez modifiés puisque la distribution totale de Th. reicheli, au lieu d'être restreinte à quelques mètres, augmente jusqu'à un peu plus de 16 m. On a maintenant successivement : une PRZ (partial range-zone) à Th. appenninica (Cénomanien inférieur), une TRZ (total range-zone) à Th. reicheli (fin du Cénomanien inférieur jusqu'au premier tiers du Cénomanien moyen), une quasi TRZ à Rotalipora cushmani (Cénomanien moyen à supérieur non terminal) et une PRZ à Whiteinella archaeocretacea, correspondant à l'ancienne « zone à grandes globigérines » de Lehmann (1963) et auct. (Cénomanien terminal, Turonien basal).

V. — Les foraminifères du Turonien (Cap Blanc-Nez, Caffiers)

1) Les termes lithologiques

La falaise du Cap Grand Blanc-Nez expose dans sa partie supérieure des craies du Turonien. La partie terminale de l'étage étant oblitérée par le couvert végétal, il fallut se reporter à la coupe de la tranchée du chemin de fer à Caffiers, où cette partie était accessible dans les années 1980. Dans les deux sites on trouve plusieurs repères lithologiques au-dessus des hardgrounds à Sciponoceras bohemicum anterius d'âge cénomanien terminal, soit de bas en haut :

  • le Meads Marl 4, à la base de l'unité lithologique L,b de la Formation du Grand Blanc-Nez ;
  • la craie noduleuse qui forme cette unité L,b, limitée vers le haut par le Lulworth Marl et un hardground ;
  • la craie subnoduleuse, ou unité L,c, avec le Round Down Marl et les New Pit Marls à la partie supérieure ;
  • la craie marneuse (Formations des Mottelettes et du Guet) avec trois niveaux ou faisceaux de niveaux marneux, successivement les Glynde Marls, Southerham Marls et Caburn Marl ;
  • la craie blanche et granuleuse avec des niveaux de silex et des hardgrounds (Formation de Caffiers), débutant à la base par deux hardgrounds surmontés des Bridgewick Marls. La succession atteint le Lewes Marl au sommet de la falaise du Grand Blanc-Nez tandis qu'elle se développe jusque dans le Coniacien à Caffiers, ce qui nécessite le recours aux deux coupes pour couvrir l'ensemble de l'étage turonien.

Remarques :

  • Les épaisseurs du Turonien sont assez voisines dans les deux sites : environ 85 m au Cap Blanc-Nez et 100 m à Caffiers.
  • La Formation du Guet (craie blanche à silex rares) a été définie au Cap Blanc-Nez à l'apparition des premiers silex juste sous les Southerham Marls. À Caffiers, les Southerham Marls sont bien repérées mais la craie qui les supporte ne contient pas de silex, les premiers silex visibles apparaissant plus haut sous le Caburn Marl. Les niveaux marneux représentant des dépôts d'origine volcanique, donc instantanés et à grande extension géographique, on les utilisera de préférence aux silex pour se repérer dans la succession.

2) Actualisations taxinomiques, distributions verticales et zonations

Comme pour le Cénomanien, les informations micropaléontologiques originales relatives aux coupes du Turonien du Cap Blanc-Nez et de Caffiers ont été publiées dès 1978 (Robaszynski in Amédro et al., 1978 a-b, 1979) et n'avaient pas bénéficié des travaux ultérieurs, tant pour les foraminifères planctoniques que pour les benthiques (Hart et al., 1989 ; Solakius & Larsson, 1986 ; Solakius, 1988). Ainsi, plusieurs dénominations doivent être actualisées.

a) Foraminifères planctoniques

Avant d'aborder la zonation du Turonien, un point doit être précisé au sujet de l'espèce Marginotruncana marginata : l'espèce a été créée par Reuss (1845) et figurée par ses faces spirale et ombilicale mais sans profil (Reuss, 1845, pl. 8, fig. 54 a-b et 74 a-b ; et pl. 13, fig. 68 a-b); en outre tous les dessins sont de très petite taille et quelque peu idéalisés, ce qui a conduit à des interprétations assez différentes allant de formes globuleuses à 2 carènes (Cushman, 1946, pl. 26, figs 1-2 ; Hagn & Zeil, 1954, pl. 2, fig. 4) à des formes à 1 carène (Hofker, 1956). Un lectotype (pl. 13, figs 68 a-b de Reuss, 1845) a été désigné par Bolli et al. (1957, p. 46) correspondant sensiblement à la description de Reuss « avec profil tronqué » (c'est-à-dire implicitement une forme bicarénée) mais sans donner plus de satisfaction. Pour remédier à cette situation un néotype a été désigné et figuré par Jirova (1956) à partir de topotypes. Nos spécimens ont été déterminés par comparaison avec ce néotype et les formes associées (Jirova, 1956, néotype pl. 1, fig. 1 ; et variétés pl. 2, fig. 1-3). Il s'agit de tests à 4-7 loges, les loges étant souvent assez globuleuses, à 2 carènes pas très fortes délimitant un bandeau carénal étroit à large, une face ombilicale à ombilic large bordé par des lèvres ou portici assez développés et des sutures entre les loges, radiales à faiblement sigmoïdes entre les dernières loges. Ce qui correspond sensiblement à l'illustration donnée par Koch (1977, pl. 4, fig. 5-7) et à l'une des figurations présentée dans l'Atlas du Crétacé moyen (Robaszynski, Caron et al., 1979, pl. 64, fig. 1 a, b, c). Un détail maintenant à propos d'Hedbergella delrioensis (Carsey) : le taxon est transféré au nouveau genre Muricohedbergella Verga & Premoli Silva [cf. Premoli Silva & Verga, 2004].

Pour ce qui concerne la zonation, on retrouve dans le Boulonnais les subdivisions assez classiques du Turonien dont les limites sont placées à des niveaux sensiblement identiques dans les deux sites du Cap Blanc-Nez et de la tranchée de Caffiers, successivement, de bas en haut :

  • Whiteinella archaeocretacea PRZ : c'est la « zone à grandes globigérines » de Lehmann (1963) qui commence dans le Cénomanien supérieur, un peu sous la zone de bélemnite à Actinocamax plenus dans les deux coupes ;
  • Helvetoglobotruncana helvetica TRZ : zone comprise dans le Turonien moyen, de dessous les New Pit Marls au Glynde Marl ; au Cap Blanc-Nez les formes annonciatrices de l'index, les Whiteinella praehelvetica, sont déjà présentes au Turonien inférieur (ailleurs dans le monde, ces premières formes, assez rares, ont été signalées déjà dans le Cénomanien terminal) ;
  • Marginotruncana marginata PRZ : l'espèce index est déterminée suivant le néotype de Jirova (1956), cf. supra ;
  • Marginotruncana coronata IZ : zone commençant entre les Southerham Marls et le Caburn Marl. Ici, en domaine boréal, les deux carènes rapprochées de cette espèce ne sont pas fortes comme on peut le voir dans des spécimens de la Téthys (c'est le cas également des Marginotruncana pseudolinneiana associées).

b) Foraminifères benthiques

Quelques remarques sur plusieurs taxons sont nécessaires pour éclairer leur statut spécifique.

  • Dans le genre Globorotalites, connu de l'Albien au Maastrichtien, de nombreuses espèces ont été créées, depuis d'Orbigny (1840) jusqu'à Goël (1965) en passant par Carsey (1926), Sandidge (1932), Morrow (1934), Brotzen (1936), Ten Dam & Magné (1948) et beaucoup d'autres. Dans le Boulonnais le genre apparaît seulement à partir du Turonien moyen. Une révision de nos déterminations antérieures pour l'intervalle Turonien moyen-Coniacien inférieur a conduit à distinguer uniquement 4 morphotypes que l'on considèrera comme des espèces, soit successivement du bas vers le haut : i/ Globorotalites hangensis Vassilenko : petite forme, 0,2 - 0,3 mm, surbaissée, subcylindrique, à ombilic très largement ouvert [cf. Vassilenko, 1961] ; ii/ Globorotalites minutus Goël, 1965 : petite forme, 0,2 - 0,3 mm, surbaissée également mais avec un étranglement du cône ombilical, ombilic encore large ; iii/ Globorotalites cushmani Goël, 1965 : forme un peu plus grande, 0,3 - 0,4 mm, tronconique, ombilic de petit diamètre ; terme préféré à Globorotalites subconicus (Morrow, 1934) qui a un ombilic encore largement ouvert ; iv/ Globorotalites cf. multiseptus (Brotzen, 1936) : morphotype plus grand, 0,4 - 0,5 mm, plus nettement conique, ombilic de petit diamètre mais encore ouvert ; terme préféré à Globorotalites michelinianus (d'Orbigny, 1840) qui a un ombilic fermé et se développe plus haut.
  • Coscinophragma cribrosum (Reuss, 1846) : dans la littérature relative au bassin de Paris, cette espèce est citée sous le nom de « Coscinophragma irregularis d'Orb. » ou de « Coscinopora irregularis d'Orb. » (Goël, 1965, respectivement tableau 1 et p. 60) mais, en réalité, irregularis nomme un Lituolidé « Spirolina irregularis Roemer, 1841 » (cf. Roemer, 1841, p. 98 et pl. 15, fig. 29) à ouverture simple (cf. Frieg, 1980, p. 228) tandis que le présent taxon cribrosum, montre une ouverture criblée. Il a été repris sous divers genres : d'abord sous Lichenopora (parmi les bryozoaires) par Reuss (1846, p. 64 et pl. 14, fig. 10) puis sous Polyphragma par Reuss (1871, p. 278), et sous Coscinophragma par Thalmann (1951), Marie (1960), Kaever (1974), Frieg & Kaever (1975) et Bdelloidina par Frieg (1980). Selon Loeblich & Tappan (1988, p. 93), Bdelloidina nomme des formes attachées au substrat et aplaties tandis que Coscinophragma s'applique à des formes érigées et cylindriques, ce qui est le cas pour cribrosum, bien illustré par Kaever (1974) et repris par Loeblich & Tappan (1988, pl. 84, fig. 10-13).
  • Gavelinella arnagerensis Solakius, 1988 : dénomination qui doit remplacer celle utilisée dans la littérature (par exemple Monciardini, 1978 ; Pomerol et al., 1983 ; Bailey et al., 1984) et par nous-même sous le nom de « Lingulogavelinella sp. cf. ou aff. vombensis (Brotzen, 1945) ». Les travaux de révision ont été réalisés par Solakius (1988) qui a revu le matériel type de Brotzen dans lequel il a trouvé plusieurs espèces. Après avoir étudié et échantillonné l'Arnager limestone, il a été amené à créer la nouvelle espèce arnagerensis dont le niveau type est Coniacien-Santonien tandis que vombensis est Maastrichtien.

Le statut de ces espèces étant renseigné, on peut aborder la zonation du Turonien et la comparaison des distributions verticales entre le Cap Blanc-Nez et la tranchée de Caffiers. Plusieurs taxons appartenant à des familles de « petits benthiques » subdivisent l'étage Turonien en zones à valeur au moins régionale, du bas vers le haut :

  • Lingulogavelinella globosa IZ. L'index est une espèce de la famille des Gavelinellidés qui apparaît dans le Cénomanien supérieur et s'arrête aux environs du Round Down Marl dans les deux coupes.
  • Globorotalites hangensis IZ. Le marqueur est un autre Gavelinellidé, de très petite taille. Il apparaît dans les deux coupes un peu sous les New Pit Marls et peut monter un peu dans la zone suivante.
  • Coscinophragma cribrosum IZ. Cette espèce arénacée agglutinante est facilement repérable par ses loges cylindriques criblées, de grande taille (0,5-1 mm), souvent en grand nombre, fragmentées dans les lavages mais visibles à la loupe sur le terrain ou dans les carottes de sondage. Elle est commune dans les faciès marneux du Turonien moyen des deux coupes et souvent associée au petit brachiopode (4-7 mm) Terebratulina gracilis d'Orbigny = lata (Etheridge).
  • Globorotalites multiseptus IZ. Les petites formes de Globorotalites (hangensis, minutus, cushmani) deviennent plus rares et laissent la place, dans les deux coupes, un peu avant le Caburn Marl à multiseptus, une espèce de taille plus grande, avec un profil nettement plus conique et un ombilic encore ouvert.
  • Reussella kelleri IZ. Annoncée par des formes très petites et nettement moins ornées, l'espèce index se remarque immédiatement par son test trisérié à loges anguleuses et épineuses. Elle apparaît au-dessus des Bridgewick Marls au Cap Blanc-Nez et un peu plus haut, au-dessus du Lewes Marl à Caffiers.

Ainsi, les deux coupes du Turonien sont subdivisées en 5 zones de foraminifères benthiques dont les limites sont pratiquement synchrones (si l'on excepte l'apparition de R. kelleri qui s'effectue plus bas au Cap Blanc-Nez qu'à Caffiers). La zone suivante, à Stensioeina granulata granulata commence dans le Boulonnais juste au-dessus de la limite avec le Coniacien (alors qu'elle est déjà dans le Turonien supérieur dans la partie orientale de l'Europe et en Allemagne, cf. Koch, 1977).

3) Remarques

a) Le changement au passage Turonien moyen - supérieur

Un examen d'ensemble des successions lithologiques et des tableaux de distribution des foraminifères planctoniques du Cap Blanc-Nez et de Caffiers met en évidence un changement important qui se manifeste entre les Glynde et les Southerham Marls, c'est-à-dire sensiblement à l'articulation Turonien moyen-Turonien supérieur. Au-dessous, les foraminifères planctoniques sont fréquents et différenciés en une douzaine d'espèces majeures, au-dessus ne subsistent que 4 à 5 espèces, devenant de plus en plus rares dans les résidus de lavage. Ce changement se voit aussi dans la lithologie avec, au-dessous, des craies noduleuses à subnoduleuses séparées par des lits marneux puis des craies marneuses où la teneur en marnes est élevée et, au-dessus, des craies blanches, granuleuses à fines, entrelardées de niveaux de silex.

Une liaison apparaît ainsi clairement entre le faciès et le biota planctonique. On peut se demander quels paramètres affectent cette relation faciès-biota. Ils sont de plusieurs ordres.

  • L'épaisseur de la tranche d'eau qui influe sur le cycle vital des foraminifères planctoniques : les formes globuleuses vivent dans les eaux superficielles tandis que les formes carénées ont besoin d'une tranche d'eau beaucoup plus importante pour réaliser leur cycle de reproduction (Hart, 1980 a, b ; Caron & Homewood, 1983). La hauteur du niveau marin sur le plateau continental où vivent les foraminifères planctoniques intervient donc dans la diversité des associations.
  • La hauteur du niveau marin qui, elle, dépend de plusieurs facteurs dont la tectonique (tributaire des mouvements des plaques lithosphériques, de leur déplacement ou de leur basculement) et l'eustatisme qui, lui, dépend du climat (glaciation par exemple) ou de l'importance de la vitesse d'intumescence des rides médio-océaniques. L'eustatisme affecte le niveau marin mondial tandis que les effets de la tectonique se manifestent de l'échelle régionale à celle d'une plaque.
  • Les conditions géochimiques locales de la mer : la température, l'acidité (taux de CO2 dissous), l'éclairement qui, lui, dépend de cycles astronomiques.
  • L'environnement sédimentaire : la position du lieu de sédimentation, dans un bassin ou sur une plate-forme, la présence d'une forêt-filtre, du climat (courants superficiels et sous-marins) etc.

L'intervention de ces paramètres agit sur le contrôle de la nature et de l'abondance des biotas planctoniques des eaux marines dans une région considérée. Dans le cas du Boulonnais, la présence de foraminifères planctoniques sans carène (Muricohedbergella, Whiteinella) à monocarénés (Praeglobotruncana, Helvetoglobotruncana) puis bicarénés (Marginotruncana) dans le Turonien inférieur et moyen milite en faveur d'une tranche d'eau marine que l'on peut estimer à 100 - 150 m : c'est l'acmé de la transgression marine du Crétacé moyen. Au Turonien supérieur, leur diversité diminue, les formes carénées disparaissent — par exemple H. helvetica, Marginotruncana sigali (Reichel) — elles sont remplacées par de nouvelles formes carénées mais les morphotypes montrent des carènes peu marquées, des loges souvent globuleuses : Marginotruncana marginata, Dicarinella canaliculata (Reuss). Ce qui implique que la tranche d'eau diminue et que l'on entre dans une phase de régression marine sur une bordure de bassin. Là, les courants sous-marins vannent l'interface eau- sédiment, laissant d'abord sur place les grains les plus grossiers (craie granuleuse, bioclastes) et aboutissant à la formation de hardgrounds. Ces milieux moins profonds sont favorables au développement de foraminifères benthiques qui deviennent de plus en plus abondants (Gavelinelles, Globorotalites, Reusselles puis Stensioéines au Coniacien).

b) Les niveaux marneux à bentonite

Parmi tous les niveaux marneux distribués dans l'ensemble du Turonien et signalés dans la première partie traitant des niveaux-repères, au moins cinq d'entre eux sont des faisceaux où chaque lit marneux est constitué de bentonite. Cette argile provient de la dégradation de cendres issues de volcans localisés au nord de ce qui est devenu les îles britanniques (Pacey, 1984). Y sont associés des éléments minéralogiques caractéristiques d'un volcanisme explosif comme des esquilles de verre volcanique (Godet et al., 2003). L'intérêt de ces niveaux marneux déposés de façon instantanée est de représenter des lignes-temps isochrones dont le repérage a permis le calibrage des deux coupes et leur corrélation. De cette façon le contrôle du parallélisme des apparitions et extinctions de taxons micro- ou macropaléontologiques a pu être assuré avec la meilleure précision.

c) Le bas niveau marin relatif du Turonien supérieur

À cette époque, le Boulonnais se trouvait au cœur du bassin sédimentaire anglo-parisien et suffisamment éloigné des côtes de la « mer de la craie » pour que la baisse du niveau marin n'y provoque pas d'émersion mais se marque par des faciès de craie granuleuse (vannée) admettant des horizons de condensation ou de hardgrounds (courants sous-marins). Les biotas correspondent à des milieux marins peu profonds avec des lamellibranches, des échinides et des foraminifères benthiques arénacés et calcaires peu abondants. En revanche, sur les bordures du bassin, en milieu margino-littoral, la baisse du niveau marin aboutit à des périodes d'émersion argumentées par la présence de structures karstiques silicifiées, par l'évolution subaérienne de faciès siliceux comme les pseudostalactites et les microbialites à filaments bactériens mises en évidence au nord du bassin de Mons en Belgique dans les Silicites de Saint-Denis (Baele, 1999 ; 2010, p. 123). À noter que les hardgrounds intercalés entre les Bridgewick Marls et le Lewes Marl contiennent de nombreuses ammonites non seulement à caractère boréal (Sciponoceras, Hyphantoceras...) mais également cosmopolite (Puzosia, Lewesiceras, Subprionocyclus...). Ces hardgrounds se sont formés à l'occasion d'un bas niveau marin relatif dont les derniers moments commencent à enregistrer les premières manifestations de l'intervalle transgressif qui lui succède et qui se marquent par l'arrivée d'une faune d'ammonites plus diversifiée.

VI. — Conclusion

La révision des contenus micropaléontologiques des marnes et des craies du Cénomanien et du Turonien dans les deux coupes du Cap Blanc-Nez et de la tranchée de Caffiers ainsi que l'actualisation des dénominations spécifiques pour certains foraminifères planctoniques et benthiques conduisent à plusieurs résultats :

  • pour le Cénomanien, 4 zones de foraminifères planctoniques et 3 zones de foraminifères benthiques divisent l'étage ;
  • soit par une pulsation tectonique, soit par une variation positive du niveau marin, soit par la conjonction des deux, le « Planktonic/Benthic break » témoigne de la « Mid-Cenomanian Non Sequence » après laquelle se manifeste un approfondissement de la mer permettant le développement de formes planctoniques fortement carénées comme les Rotalipora cushmani ;
  • pour le Turonien, les subdivisions en 4 zones de foraminifères planctoniques et en 5 zones de foraminifères benthiques peuvent être étalonnées en regard des niveaux marneux à bentonite volcanique et parallélisées dans les deux coupes ; excepté quelques détails ces zones correspondent sensiblement à celles qui ont été signalées en Angleterre par Wilkinson (2011) ;
  • la diversité et l'abondance des foraminifères planctoniques au Turonien inférieur et moyen militent en faveur d'un haut niveau marin relatif à cette époque ;
  • les faciès de craie grossière, de craies à silex et à nombreux hardgrounds, associés à des biotas pauvres en foraminifères planctoniques, indiquent une réduction progressive de la tranche d'eau au Turonien supérieur, c'est-à-dire une régression qui se traduit en bordure de bassin par des courants qui vannent les particules fines et, dans certaines régions, des émersions (structures karstiques et microbialites siliceuses du Bassin de Mons en Belgique).

Remerciements. — M. Bertrand Matrion (Troyes) a finalisé les figures à l'ordinateur, MM. Alain Blieck et Jean-Pierre De Baere ont corrigé et recalibré les textes, les deux relecteurs, Delphine Desmares (Université P. & M. Curie, Paris) et Danièle Groshény (Université de Lorraine, Vandœuvre-lès-Nancy) ont apporté des suggestions constructives pour l'amélioration du texte. Qu'il soient tous chaleureusement remerciés.

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Illustrations

  • Figure 1

    Figure 1

    Localisation géographique du Cap Blanc-Nez et de la tranchée de chemin de fer de Caffiers dans le nord du Boulonnais.
     
    Geographical location of the Cap Blanc-Nez cliffs and of the Caffiers railway cutting in the north of the Boulonnais.

  • Figure 2

    Figure 2

    Coupe géologique des falaises du Cap Banc-Nez.
     
    Geological sketch of the Cap Blanc-Nez cliffs.

  • Figure 3

    Figure 3

    Répartition verticale des foraminifères dans les craies cénomaniennes du Cap Blanc-Nez.
     
    Vertical distribution of foraminifers in Cenomanian chalks of the Cap Blanc-Nez.

  • Figure 4

    Figure 4

    Répartition verticale des foraminifères dans les craies turoniennes du Cap Blanc-Nez.
     
    Vertical distribution of foraminifers in Turonian chalks of the Cap Blanc-Nez.

  • Figure 5

    Figure 5

    Répartition verticale des foraminifères dans les craies turoniennes de la tranchée de chemin de fer de Caffiers.
     
    Vertical distribution of foraminifers in Turonian chalks of the Caffiers railway cutting.

References

Bibliographical reference

Francis Robaszynski and Francis Amédro, « Actualisation des distributions verticales de foraminifères dans les craies du Cénomanien-Turonien du Boulonnais (Nord de la France) », Annales de la Société Géologique du Nord, 21 | 2014, 7-23.

Electronic reference

Francis Robaszynski and Francis Amédro, « Actualisation des distributions verticales de foraminifères dans les craies du Cénomanien-Turonien du Boulonnais (Nord de la France) », Annales de la Société Géologique du Nord [Online], 21 | 2014, Online since 17 juin 2022, connection on 12 novembre 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/annales-sgn/923

Authors

Francis Robaszynski

Université de Mons, Faculté Polytechnique, Département Mines-Géologie, 9 rue de Houdain, B-7000 Mons, Belgique. E-mail : francis.robaszynski@umons.ac.be

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Francis Amédro

26 rue de Nottingham, F-62100 Calais, et Université de Bourgogne, UMR 6282, CNRS Biogéosciences, 6 boulevard Gabriel, F-21000 Dijon. E-mail : francis.amedro@free.fr

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