Les Enfances Guillaume. Rédaction A et B, édition critique et mise en français moderne par Annette Brasseur

p. 241-244

Bibliographical reference

Les Enfances Guillaume. Rédaction A et B, édition critique et mise en français moderne par Annette Brasseur, Genève, Droz, 2023 (Texte courant, 17)

Text

Réécriture d’une chanson de geste antérieure, Les Enfances Guillaume relatent les premiers exploits de ce héros épique. On la situera, sans plus guère de précision, dans le courant du XIIIe siècle, plutôt vers la fin de cette période. Comme les autres poèmes consacrés à Guillaume d’Orange, le texte est conservé dans des manuscrits cycliques proposant tout ou partie de l’histoire poétique de ce personnage, selon des versions qui comportent les unes par rapport aux autres différentes variations. Il n’y avait pas jusqu’ici d’édition récente des rédactions les plus anciennes de ce texte. Au terme d’un très long et très fructueux travail de préparation, Annette Brasseur a publié chez Droz, en 2023, le texte de cette chanson d’après les deux premières rédactions.

Il s’agit d’une véritable somme (734 pages), comportant une introduction à la fois historique, littéraire, codicologique et philologique de 249 pages, d’abondantes notes explicatives (plus de 80 pages) et un copieux glossaire. L’édition-traduction, synoptique, présente sur la page de gauche le texte de la rédaction A (ms. A2, Paris, BnF, fr. 1449) accompagné de sa traduction, et sur la page de droite le texte de la rédaction B (ms. B1, Londres, British Library, Royal 20 D XI), également accompagné de sa traduction.

Comme l’indique son titre, conservé à la fin du ms. A2, Les Enfances Guillaume sont destinées à montrer comment, par ses exploits de jeunesse, Guillaume est appelé à devenir le héros d’un ensemble de chansons constituant son histoire poétique. Mais ce texte-prologue est en réalité postérieur aux poèmes qu’il prétend annoncer et s’inspire en particulier des Narbonnais, chanson du début du XIIIe siècle, qui contient elle aussi un récit des premiers exploits de Guillaume. Il connaît également le Couronnement de Louis, avec l’aide apportée par Guillaume au fils et successeur de Charlemagne, et la Prise d’Orange, avec la conquête d’Orable qui, une fois baptisée, deviendra son épouse Guibourc.

Comme la plupart des chansons de deuxième génération, c’est-à-dire postérieures au XIIe siècle, les Enfances se présentent comme le récit d’une succession d’aventures où l’amour trouve sa place. Trois thèmes majeurs constituent la structure du poème : la venue à la cour de Charlemagne des fils d’Aymeri de Narbonne qui quittent la ville avec leur père afin d’être adoubés par l’empereur, le siège de Narbonne qui se trouve ainsi privée de ses meilleurs défenseurs et est entourée par les Sarrasins, enfin la naissance de l’amour de Guillaume pour la sarrasine Orable. Dans la mise en œuvre de ces trois thèmes, le jeune homme se révèle comme le héros central de la chanson, portant secours plusieurs fois à ses frères ou à son père, capturés par l’ennemi et montrant ainsi son courage et sa puissance contre les Sarrasins ; mais il s’impose aussi à la cour de Charlemagne où il vient à bout d’un monstrueux lutteur breton, tandis qu’il séduit la belle Orable, promise au sarrasin Tiébaut, par le renom de sa vaillance.

Il y a, dans nombre de textes épiques du XIIIe siècle, une assez grande proximité entre chanson de geste et roman et le merveilleux peut y jouer un rôle important : c’est tout particulièrement le cas dans les Enfances. Le Sarrasin Tiébaut épouse effectivement Orable, alors que celle-ci aime Guillaume et entend se réserver pour lui. Suivant une tradition dont la Chanson de Guillaume, texte le plus ancien du cycle, porte la trace, Orable, parce que sarrasine, est considérée comme familière avec les arts magiques. Elle trouble la fête des noces par des enchantements qui sèment le chaos dans Orange et met Tiébaut hors d’état d’accomplir son désir au cours de la nuit suivante, tout en lui laissant croire qu’il a joui d’elle.

Bien que les séquences répétitives soient nombreuses dans la chanson et que sa qualité littéraire soit loin d’égaler celle de poèmes plus anciens, on lit Les Enfances Guillaume avec plaisir, tandis que la présentation synoptique des versions A et B permet de voir de manière bien plus nette que par une liste de variantes en bas de page le traitement que les deux familles de mss ont apporté à un même passage. B est plus long que A (3716 vers contre 3330), et l’on peut considérer que, de façon générale, il remanie et allonge un modèle de type A. À certains moments cependant, c’est B qui semble avoir la bonne leçon, comme à la laisse LIII (A)/LV (B). En présence de trois de ses fils, Hermenjart redoute la prise de Narbonne par les païens, implore la Vierge puis, oubliant apparemment sa détresse, affirme sur trois vers (1850-1852) qu’avant le lendemain les assiégés acquerront une grande quantité de nourriture. B ajoute au texte de A2 deux vers (2092-2093) qui placent cette affirmation réconfortante dans la bouche d’Aÿmer, un des fils de la dame, ce qui est plus compréhensible que le retournement d’Hermenjart, qui passe sans explication du désespoir à la certitude de la victoire. Il est donc possible que la version de A laisse apparaître ici une lacune par rapport à un modèle plus ancien, sans que la version B puisse être considérée comme le résultat d’un remaniement.

La traduction d’Annette Brasseur est à la fois fidèle et agréable à lire. Les difficultés du texte sont expliquées dans des notes extrêmement fouillées auxquelles renvoie le glossaire. Avec cette édition-traduction, le lecteur dispose d’un texte sûr, accompagné d’un apparat critique exemplaire, que sa traduction met à la portée des étudiants et du grand public.

References

Bibliographical reference

François Suard, « Les Enfances Guillaume. Rédaction A et B, édition critique et mise en français moderne par Annette Brasseur », Bien Dire et Bien Aprandre, 39 | 2024, 241-244.

Electronic reference

François Suard, « Les Enfances Guillaume. Rédaction A et B, édition critique et mise en français moderne par Annette Brasseur », Bien Dire et Bien Aprandre [Online], 39 | 2024, Online since 04 décembre 2024, connection on 21 avril 2025. URL : http://www.peren-revues.fr/bien-dire-et-bien-aprandre/2230

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François Suard

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