Compte tenu de l’immensité du sujet, le présent essai prendra nécessairement l’allure d’un croquis, d’une esquisse à grands traits. La plupart des entreprises, personnes et lieux qui composent ce paysage bibliographique occitan seront néanmoins cités afin d’en suggérer l’abondance et la complexité. Cette approche ne sera pas interne et littéraire mais externe, matérielle et socioculturelle.
Il n’existe, à ma connaissance, aucune étude globale de l’édition occitane. Quelques rares articles1, mais pas de chiffre, de statistique globale ou partielle, pas même de bibliographie courante (annuelle, décennale ou autre)2 pour mesurer la production, le nombre de titres, les genres couverts, la répartition entre rééditions de textes tirés du patrimoine et création, etc. Il n’existe à présent aucun observatoire de ces phénomènes, ni établissement spécifique et compétent3.
Il paraît indispensable, en préambule, de préciser très rapidement le vocabulaire utilisé. En effet, ma perspective ne saurait être celle de l’édition régionale, encore moins régionaliste, mais bien celle d’une catégorie particulière de l’édition dite « en région », en l’occurrence l’édition qui produit en l’une des « langues [dites] de France ». Non point dans une langue « régionale », mais bien dans une langue largement « interrégionale »4 : l’occitan, parlé, écrit et lu dans six régions administratives, soit 32 départements auxquels il serait fautif de ne pas adjoindre le Val d’Aran (territoire de la Generalitat de Catalunya) et les treize vallées occitanophones du Piémont italien5.
L’édition dont il est ici question sera aussi, parfois, nationale c’est-à-dire établie hors du pays d’oc, quelque part en France, ainsi qu’à Paris – puisqu’en France le secteur de l’édition est historiquement très centralisé –, et enfin – non pas accessoirement mais durablement – internationale. Par les mots Livre occitan et Édition occitane, j’envisage la totalité des livres imprimés et propose une vision grand angle du sujet : tout d’abord l’édition sur et à propos de l’occitan, puis je focaliserai sur la production en occitan. On a longtemps distingué et opposé les livres sur l’occitan aux livres en occitan ; je les crois aussi inséparables que différents. L’édition proprement régionaliste reste, quant à elle, hors de notre propos puisque que, si elle traite de la matière régionale, elle le fait exclusivement en français. Elle n’est pas, loin s’en faut, négligeable, en ceci qu’elle constitue, tout à la fois, un discours, une époque, un regard, un reflet, des goûts (Charpentier au xixe siècle, Fanlac à Périgueux au xxe siècle et tant d’autres).
Laissons également de côté l’édition des revues et périodiques. Il y aurait beaucoup à observer et à dire sur ce secteur particulier et autonome de l’édition que constitue la presse6. Notons rapidement : a) au xixe siècle, une présence soutenue de l’occitan dans la presse locale et régionale francophone, alimentant ainsi durablement, par des chroniques ou feuilletons7, un large lectorat populaire b) une abondante production d’almanachs patois (locaux et départementaux) qui, dès la seconde moitié du xixe siècle8, précède les almanachs félibréens et leur survit c) une floraison de bulletins d’associations variées de défense et de promotions de la langue d’oc d’initiatives personnelles La campana de Magalouna [La cloche de Maguelone], Marsyas [satyre phrygien, dans la mythologie grecque], L’Astrado [La Destinée], etc.) d) sans oublier la presse érudite ou scientifique, académique ou universitaire, tant en France (bulletins de sociétés savantes d’une part, revues universitaires d’autre part telles que la Revue des langues romanes, les Annales du Midi, Lengas [Langues], etc.) qu’à l’étranger.
On notera toutefois le lien et la symétrie qui existent parfois entre Presse et Édition : soit des organes de presse (le quotidien régional aquitain Sud-Ouest ou la revue provençaliste Prouvenço aro [Provence à présent] ou des revues littéraires occitanes créent des collections de livres (jadis La Revue méridionale à Bordeaux, Aici e ara [Ici et maintenant] à Montpellier, à présent la revue OC9 [oui] et sa collection OC/Passatges [oui/Passages] ou la revue gasco-béarnaise Reclams [Échos]) voire même se transforment en éditeur (ainsi la revue Jorn [Jour], 14 numéros de 1980 à 1986), soit inversement des éditeurs prolongent, complètent, diversifient ou accompagnent une activité éditoriale en créant une revue : tels furent les cas de Vent Terral [Vent de terre] (Énergues, Tarn) avec la revue éponyme (12 numéros parus de 1977-1983) et d’Édisud (Aix-en-Provence) avec Amiras-Repères (22 numéros parus de 1982 à 1990).
Une autre configuration illustre encore ce lien entre presse et édition : ce sont les numéros spéciaux périodiquement consacrés, sous divers angles, à la matière occitane par des revues nettement positionnées hors du champ occitan(iste) : du célèbre numéro Le Génie d’Oc et l’homme méditerranéen publié au troisième trimestre 1942 par Les Cahiers du Sud (Marseille) à diverses livraisons des revues nationales Autrement, Langue française, Les Temps modernes, etc. Ce phénomène apparaît plus perceptible encore avec les numéros anthologiques de revues littéraires consacrés à la « Littérature occitane » et plus précisément à la Poésie10.
On ne peut enfin passer sous silence l’inexistence11 d’une critique littéraire occitane dans les organes de presse français et occitans ainsi que l’inexistence d’un organe critique occitan proprement dit. Or on sait le rôle suggestif et prescripteur de tels supports.
En ce qui concerne le cadre historique, mon propos s’inscrit dans un très large dernier demi-siècle, 1945-2010, mais il semble indispensable d’évoquer, brièvement, le long terme car le livre d’oc, i. e. le livre imprimé en occitan, apparaît précisément dès la fin du xve siècle puis se développe avec une grande variabilité mais sans discontinuité. Le paysage éditorial occitan se dessine donc très progressivement et produit dans cette longue durée.
Plusieurs incunables imprimés totalement ou partiellement en occitan sont précisément connus. Dès l’introduction de l’imprimerie en pays d’oc (dernier tiers du xve siècle), la cartographie des villes qui en sont dotées dessine d’emblée l’espace de notre étude. Ainsi, en 1492, à Turin, est imprimé en occitan un traité d’arithmétique à destination des commerçants préfigurant en quelque sorte les développements de l’édition savante occitane qui depuis le xixe siècle fait florès du Nord au Sud de l’Italie. De même, Lyon, métropole financière et commerciale certes située hors de l’espace de langue d’oc, prête néanmoins, ponctuellement au long du xvie siècle, ses presses à la production d’écrit occitan, anticipant ainsi sur l’activité félibréenne de Paul Mariéton l’ami lyonnais de F. Mistral et des félibres de l’Escolo de la sedo [école (félibréenne) de la soie], puis sur celle du fondateur des éditions Fédérop Bernard Lesfargues et de son collègue professeur, critique et poète occitan (de Grasse) Jean-Marie Auzias. Traçant les contours de l’espace de diffusion de l’imprimé occitan, il ne serait pas abusif d’inclure par exemple Amsterdam où furent édités et imprimés (en 1700, puis partiellement repris en 1725), les deux épais volumes du Recueil de poètes gascons contenant les œuvres de P. Goudelin de Toulouse, Le Sage de Montpellier et Michel de Nîmes, le tout à l’usage des protestants occitanophones réfugiés aux Pays-Bas et ailleurs12.
Pour traiter du large dernier demi-siècle d’édition en pays d’oc, empruntons consciencieusement le « circuit du livre » c’est-à-dire les étapes successives de production de l’imprimé menant de l’auteur au lecteur via l’éditeur, l’imprimeur et le libraire.
Les auteurs
Aux auteurs, il conviendrait de porter une attention particulière, sous des angles divers. Je n’évoquerai cependant ici : a) aucun aspect proprement littéraire ou esthétique ; b) aucune question de graphie(s) ni de choix d’une ou plusieurs d’entre elles : ce sujet, immense tant dans la diachronie que dans la synchronie, a déclenché et nourri des passions pendant des décennies mais le débat semble très largement apaisé, à tout le moins dépassé, au point qu’un des importants poètes contemporains, le provençal Serge Bec, écrit et publie dans les deux graphies longtemps opposées ou plutôt caricaturées comme telles ; c) je n’entrerai pas plus dans les questions essentielles suivantes : que publient les écrivains, publient-ils, parviennent-ils quand ils le souhaitent à publier (faire éditer) leurs écrits, tous les écrits qu’ils jugent achevés, ne conservent-ils pas quelques inédits, mais n’ayant pour diverses raisons pas « trouvé » (pas cherché ?) d’éditeur, etc.
Je mêlerai – sans toutefois nier ni effacer leurs spécificités – les écrivains et les écrivants, les félibres (utilisant une graphie dite phonétique, mistralienne, félibréenne) et les occitanistes (ayant adopté la graphie classique), et ceux (les électrons libres) qui se voulant plus écrivains que militants de la langue refusent de se perdre dans des questions d’accents et demeurent plus préoccupés par l’écriture proprement dite. Ceci dit, le sujet manque notablement d’approches, d’observations et d’études. Il serait enfin instructif d’observer les questions du statut des auteurs occitans13, des contrats et des droits (les uns et les autres quasi inexistants).
Une autre dimension, relativement fréquente dans la sphère occitane (sans pour autant lui être propre ni spécifique), est l’auto-édition (procédé distinct et différent du compte d’auteur) ; elle y est peut-être plus présente par surpoids des facteurs/difficultés économiques (propres à l’édition en langue minoritaire), mais également pour des raisons aussi diverses que les cas repérés sont nombreux, mêlant personnalité, caractère, dynamisme individuel, refus ou déceptions rencontrées, etc. Seule une étude, avec enquête, questionnaire et rencontres, au cas par cas, autoriserait une possible classification. Notons, pour les plus récents14, des écrivains aussi marquants que Max Allier, Léon Cordes et Jean-Pierre Tennevin, des acteurs autonomes de la revendication félibréenne comme le couple aixois Marie-Thérèse et René Jouveau, le majoral périgourdin et pédagogue Marcel Fournier, d’autres félibres encore à la plume alerte comme Pierre Miremont et Adelin Moulis, des érudits prolifiques comme l’ethnographe et muséographe d’Espalion (Aveyron) Joseph Vaylet, des acteurs de la revendication occitane, comme Christian Rapin auteur notamment d’un dictionnaire en cours15, Cantalausa (i. e. l’abbé Louis Combes) qui pour publier ses traductions occitanes et ses travaux lexicographiques et historiques créa sa propre maison Cultura d’Oc, etc.
L’imprimerie
Tout écrit, quel qu’en soit la langue, a la nécessité pour être diffusé d’être reproduit c’est-à-dire dupliqué, copié en nombre. L’imprimerie, secteur d’activité anciennement actif, concentra, aux origines de l’art, les trois fonctions d’imprimeur/éditeur/libraire et les exerça simultanément, maîtrisant ainsi toute la chaîne du livre, de l’investissement, au remboursement par la vente directe, des frais engagés (papier, composition, corrections, façonnage, colportage, etc.). Et si l’évolution des techniques, les données commerciales et la société tout entière ont continûment évolué jusqu’à séparer totalement ces trois fonctions, c’est bien dans les domaines de l’édition régionale et, en ce qui nous concerne, « en langue régionale » que l’on constate et enregistre tardivement, jusqu’au milieu du xxe siècle précisément, une persistance réelle et significative du cumul de cette ancienne triade.
Le pays d’oc – comme la plupart des régions françaises métropolitaines – a connu un très fin maillage d’ateliers d’imprimeries, jusqu’en la plupart des chefs-lieux de canton. Lieux stratégiques où l’on imprime et façonne (des travaux de ville, des brochures et des livres), où l’on stocke, diffuse, gère, lieux qui parfois même se muent en creuset d’activité d’écriture et/ou en siège social d’activité associative ou militante. Ce réseau d’imprimeurs, avec ses typographes, compositeurs, linotypistes, correcteurs (parmi lesquels on relève d’ailleurs la présence de nombreux poètes en occitan !) a fortement rétréci de nos jours, pour ne pas dire disparu à quelques unités près, au profit d’une extraordinaire concentration d’usines fabriquant du livre, d’entreprises industrielles dont les impératifs de rentabilité sont peu compatibles avec les critères de l’édition en langue minoritaire/régionale : modestie des tirages, lenteur de l’écoulement de chaque titre, etc. Ce n’est pas le lieu ni le moment de dresser la liste ni la carte de cet ancien réseau d’imprimerie « en région ». Certains noms16 évoquent tout de même à leur seul énoncé, une production abondante et d’une qualité presque proverbiale sur laquelle se reposaient, en toute confiance, auteurs et éditeurs : ainsi, on a longtemps pu dire et entendre prononcé, à la vue d’un nouveau volume, ce constat d’efficacité : « C’est là du Barnier ou du Fanlac ! »
L’édition
Par livre occitan, entendons livres consacrés à la matière occitane, sur/à propos de & en occitan, toutes catégories rassemblées : Langue, Littérature, Histoire et Société. Et pour la commodité de l’exposé, distinguons trois grands champs : l’édition pédagogique, l’édition documentaire & scientifique et l’édition littéraire au sens large.
L’édition pédagogique
L’édition pédagogique occitane constitue un secteur particulier et autonome. Son objet est bien l’apprentissage de la langue. Ses besoins sont essentiellement de dictionnaires, grammaires, manuels (conjugaison, etc.), méthodes d’initiation, ainsi que, pour enseigner la littérature et l’histoire, de manuels, anthologies17 et autres recueils de textes et documents. Le développement de l’enseignement bilingue a fait naître, plus récemment, le besoin de manuels de géographie, mathématiques et sciences naturelles en occitan. L’édition pédagogique s’est développée au point de constituer à présent le secteur le plus actif, productif et visible, recevant pour ce faire de significatives subventions publiques, l’ensemble émettant finalement un signal de vitalité et d’espoir. Les tirages y sont les plus élevés de toute l’édition occitane : on y compte par milliers d’exemplaires, recourant fréquemment à des réimpressions et rééditions. Si les fiches élèves-professeur à photocopier/distribuer demeurent, les documents pédagogiques, incluant son et images (fixes et mobiles, réelles ou de synthèse) se multiplient sur CD, CDRom et DVD, voire « en ligne » (outils et logiciels particuliers, bases de données).
Depuis ses origines (deuxième moitié du xixe siècle), l’édition pédagogique occitane est le fait d’associations d’enseignants, félibréenne et occitanistes : Lou Prouvençau a l’escolo [le provençal à l’école] (Marseille, Salon-de-Provence, Saint-Rémy-de-Provence), les CRÉO (centres régionaux d’études occitanes) souvent liés aux CRDP (centres régionaux de documentation pédagogique) et à présent au SCERÉN (Réseau CNDP-CRDP). Toutes ces entités agissant en lien avec les inspecteurs pédagogiques régionaux d’occitan œuvrant à Bordeaux, Toulouse, Montpellier et Aix-Marseille. Par ailleurs la FELCO (Federacion dels Ensenhaires de lenga e cultura d’òc [Fédération des enseignants de langue et culture d’oc] créée en 1987)18 regroupe les associations régionales d’enseignants d’occitan de l’Éducation nationale, coordonne les actions relatives à l’enseignement de la langue et de la culture occitanes de la maternelle à l’université, recueille et diffuse sans relâche des informations variées et utiles.
La création en 1979 d’un enseignement associatif (maternelle et primaire principalement, secondaire à titre expérimental), les Calandretas, a nécessité autant que favorisé la création (hors secteur pédagogique) d’entreprises spécialisées dans l’édition pour la jeunesse : Grandir (Orange, puis Nimes), Vistedit [Vite-dit] (Lescar) avec ses revues pour enfants Plumalhon [Duvet] et Papagai [Perroquet], l’Institut d’études occitanes (coll. Farfadet), La Poesia (Montpellier), La Civada [L’Avoine] (Orthez), CAP’OC [Vers/pour l’occitan] (Pau-Bordeaux), etc.
L’édition documentaire et scientifique
Elle édite donc sur et à propos de l’occitan, depuis le début du xixe siècle, c’est-à-dire depuis les débuts de la philologie romane et occitane. Elle le fait en français et en diverses autres langues, notamment en allemand, italien et anglais. Sans remonter aux origines ni voyager à travers le monde19, citons l’un des plus anciens noms en la matière, celui de Firmin Didot qui édite et imprime, à Paris, en 1816-1821, le Choix de poésies originales des troubadours de Raynouard, et pour ouvrir la perspective rappelons que dès la même époque, les divers imprimeurs-éditeurs de Berlin, Bonn, Leipzig et autres villes universitaires allemandes éditent les travaux de Friedrich Diez, Karl Bartsch et tous leurs successeurs.
En pays d’oc, plusieurs grandes maisons d’éditions ont prospéré au cours du xixe siècle. À Avignon, la maison Aubanel, fondée en 1744, poursuivra son activité d’édition jusqu’aux années 1980. On ne saurait réduire son activité à la publication puis à d’abondantes rééditions et édition critique des Œuvres complètes du poète-maison, Théodore Aubanel (1829-1886), l’ami de Mallarmé, co-fondateur du Félibrige avec F. Mistral. Fidèle à son action en faveur de la langue d’oc, la maison Aubanel se lança dans les années 1960-70 dans l’édition pédagogique universitaire à travers la collection « Les Classiques d’Oc au Baccalauréat et à la licence-ès-lettres » : Robert Lafont et Pierre Bec entre autres lui confièrent leurs anthologies médiévales et baroque. Mais l’institution pluriséculaire, imprimerie-édition-musée Aubanel n’a pas passé le cap du xxie siècle : le stock, le catalogue, le nom même « Aubanel » ainsi que les archives ont été cédés, le contenu du musée de la place Saint-Pierre dispersé aux enchères.
À Pau, les éditions Marrimpouey prennent en 1918 le relais de la dynastie des imprimeurs Vignancour établis depuis le milieu du xviiie et éditeurs, à l’aube du xixe siècle, de plusieurs anthologies béarnaises fondatrices. Étroitement lié à l’Escole Gastou Febus, branche gasconne et béarnaise du Félibrige, Marrimpouey a édité et imprimé le Dictionnaire du béarnais et du gascon modernes de Simin Palay, ainsi que le meilleur de la poésie, de la prose et du théâtre béarnais. La librairie du même nom diffuse tout autant l’ouvrage inégalé du romaniste allemand Gerhard Rohlfs (Tübingen) Le Gascon, études de philologie pyrénéenne (1935), monument toujours réédité de la linguistique romane que de multiples rééditions de La cuisine du pays20.
Au 88 de La Canebière la « maison d’édition marseillaise » Tacussel, initialement fondée en 1890 par le félibre Paul Ruat a bâti sa réputation au-delà des frontières, et sa fortune sur l’édition et les rééditions ad libitum de La Cuisinière provençale de Jean-Baptiste Reboul, Le Jardinier provençal de E. Gueidan, La pastorale Maurel et divers ouvrages sur les traditions provençales, notamment celles de Noël, la crèche et les santons.
À Bordeaux les éditions Delmas, Mollat-Bourlange (qui pendant des décennies ont assuré la postérité du poète Antoine Verdié), Féret, Picquot, etc. À Toulouse, les éditions Privat fondées en 1839 par Édouard Privat constitueront longtemps un emblème de l’édition régionale en France. La monumentale réédition, en 14 volumes, de l’Histoire du Languedoc publiée au xviiie siècle par les bénédictins dom de Vic et dom Vaissette n’est pas, loin s’en faut, leur unique titre de gloire ; la double collection Bibliothèque méridionale, composée d’une série littéraire (1888-1961) et d’une série historique (1892-1969) sera réimprimée par la maison Kraus reprint (New York) en raison de son contenu impérissable ; les Annales du Midi fondées en 1889 paraissent toujours et les Cahiers de Fanjeaux publient annuellement depuis une quarantaine d’années les actes de colloques d’histoire religieuse méridionale. Outre la collection d’histoire des villes et régions longtemps dirigée par Philippe Wolff, la maison Privat s’illustra par quelques titres devenus quelque peu mythiques : en 1950 l’étude de Jean Séguy Le français parlé à Toulouse, en 1977 La fête en Languedoc par l’ethnologue Daniel Fabre et le photographe Charles Camberoque. À Nice, les éditions Serre et Lou Sourgentin [le surgeon, la résurgence] procurent au public du comté de multiples ouvrages valorisant le patrimoine linguistique et culturel niçard.
À Paris, les Éditions du CNRS, établissement public de la Recherche française, ont publié, dans les années 1950-90, la longue et précieuse série des Atlas linguistiques régionaux, mais l’entreprise cessa brutalement avant même parution des derniers volumes. Suppléant aux atermoiements de l’enseigne parisienne, les antennes du CNRS à Toulouse et à Aix-en-Provence publièrent respectivement quelques fleurons de la Recherche occitane. Quant à la plupart des maisons d’édition spécialisées, elles ont peiné – jusqu’à disparaître parfois – à réaliser leur double vocation d’outiller la recherche et d’en publier les résultats, dans des domaines hélas de mauvaise vente : l’ethnographie, la linguistique, la philologie et l’édition de textes, l’épigraphie, l’archéologie, etc. Citons Klincksieck, A. G. Nizet (avec sa collection Les Classiques d’oc), Maisonneuve (qui dans les années 1880 publie la collection Littératures populaires de toutes les nations (les Contes populaires de la Gascogne, 1886 et Poésies populaires de la Gascogne 1881-82 par Jean-François Bladé en constituent le fleuron), A. et J. Picard, Vrin, Stock, etc. Dans leur Petite bibliothèque, les éditions Payot ont produit quelques titres phares nécessitant chacun la réédition : Le folklore des pays d’Oc de Jean Poueigh (1952, réimpr. 1976) et l’Histoire de la littérature occitane de Charles Camproux (1953, réimpr. 1971). Le précieux Manuel de philologie romane de Pierre Bec (Picard, 1970-71) a fini par être soldé et pilonné, cela n’a pas dissuadé les éditions Paradigme (Orléans) d’éditer de nouveaux livres de médiévistique du même savant, ni les éditions Les Belles-Lettres (Paris) longtemps identifiées à l’édition de la Chanson de la Croisade albigeoise par Eugène Martin-Chabot (3 vol. souvent réédités) de publier plus récemment des ouvrages de Jacques Roubaud et de Pierre Bec consacrés à des genres et formes poétiques recherchés (tenson, sonnet, sextine, etc.). En 1979, l’Institut d’études occitanes signa contrat avec Hachette Littérature pour la publication de sa volumineuse (928 p.) Histoire d’Occitanie, ouvrage collectif sous la direction d’André Armengaud et Robert Lafont, mais le tirage (plus de 3000 exemplaires) ne s’épuisa pas et le stock fut soldé puis pilonné. Pourquoi et comment un ouvrage si nouveau, publié en une époque sensibilisée à ces matières par un éditeur de cette taille, ne connut-il pas une promotion équivalente et un succès comparable à celui du Montaillou village occitan d’Emmanuel Le Roy Ladurie21 ? La vague éditoriale qualifiée de « régionaliste » née à la fin des années 1960 favorisa la publication d’ouvrages désormais considérés comme autant d’étapes marquantes de la troisième « Renaissance occitane » : les cinq premiers ouvrages théoriques de Robert Lafont (1923-2009) publiés chez Gallimard (de 1967 à 1976), la Nouvelle histoire de la littérature occitane du même Robert Lafont avec la collaboration de Christian Anatole publiée en deux volumes (1970) aux Presses universitaires de France22, et ses dernières publications chez le récent éditeur Ellipses. La même vague porta l’anthologie La poésie occitane de René Nelli chez Seghers (1972), et à la même enseigne les volumes Frédéric Mistral dans la collection Poètes d’aujourd’hui, Claude Marti et Jean-Paul Verdier dans la collection Poésie et chansons. En matière d’anthologies, vaste secteur éditorial, plus de 300 occitanes ont été dénombrées23 au long des xixe et xxe siècles et le mouvement ne faiblit pas au xxie siècle : il en paraît encore de deux à cinq par an. Voilà un créneau dans lequel les éditeurs français/parisiens (Seghers, 10/18, Phébus, etc.) concourent, à leur manière, à la permanence de la visibilité de l’écrit occitan. Cette même matière occitane trouve encore domicile chez un éditeur d’un type nouveau, L’Harmattan, dont le catalogue foisonnant accueille une collection Sociolinguistique dirigée par Henri Boyer.
En contrepoint de tant de livres ainsi édités à Paris faisant « bruit, titre et date », il serait inexact de ne pas rapporter le travail éditorial varié des éditeurs « régionaux / en région ». Le paysage éditorial en région s’est en effet considérablement étoffé dans les années 1970-80 et la plupart de ces nouvelles enseignes manifestent intérêt ou opportunisme pour la matière occitane. Certaines mènent des opérations ponctuelles ou sans suite (ce qui n’est pas nécessairement la marque d’un échec ou d’un fourvoiement). Quelques exemples pris aux quatre points cardinaux du pays d’oc : les éditions Verdier (Lagrasse, Aude) inaugurent leur activité par une étude troubadouresque de René Nelli puis leur ligne éditoriale abandonne définitivement ce registre ; L’Horizon chimérique (Bordeaux) édite les Farces bordelaises d’Antoine Verdié traduites du gascon et les Sonnets d’André du Pré poète gascon (1620) tous deux établis par l’écrivain Bernard Manciet. Les Monédières (Treignac en Corrèze) rééditent l’Œuvre complète du poète Roger Ténèze. Les éditions Domens (Pézenas) éditent une pièce de théâtre et un recueil poétique de Max Rouquette. Plus durablement, Édisud (Aix-en-Provence) développe pendant une vingtaine d’années un secteur « langue et littérature occitanes » avec des études aux sujets provençaux mais aussi toulousains (édition de Le Ramelet mondin [Le bouquet toulousain] & autres œuvres de Pèire Godolin établie par Philippe Gardy), et réédite le monumental dictionnaire Tresor dóu Felibrige de Frédéric Mistral. Les Presses du Languedoc de Max Chaleil (Montpellier) multiplient les ouvrages d’excellente vulgarisation illustrée sur la littérature du Moyen Âge à l’époque moderne. Les éditions Confluences (Bordeaux) publient, avec financement du Parc naturel régional des Landes de Gascogne, les œuvres complètes (en 9 vol.) du folkloriste landais Félix Arnaudin. Les éditions Atlantica (Biarritz-Anglet) coéditent avec l’Institut occitan de Pau une collection littéraire bilingue (Occitanas/Occitanes), format de poche et petit prix, intégrant rééditions du patrimoine et inédits contemporains ; le Bestiaire du poète Max Rouquette inaugure la série qui s’interrompt après une vingtaine de volumes sur une nouvelle Anthologie des troubadours par Robert Lafont : le succès commercial était au rendez-vous, l’effet collection commençait à fonctionner et requerrait de l’éditeur intellectuel une rigueur de programmation et une ponctualité qui lui firent défaut. Les éditions bordelaises Sud-Ouest, émanation du quotidien régional éponyme, ont sérieusement alimenté la mode toponymique en donnant écho aux travaux de Bénédicte et Jean-Jacques Fénié.
Évoquer diverses maisons d’éditions œuvrant dans le domaine de la vulgarisation historique régionale de qualité (histoire médiévale, catharisme, tourisme, etc.), nous entraînerait aux marges de notre sujet. Citons tout de même, pour tracer précisément cette limite, les éditions Christine Bonneton créées en 1977 avec leur collection-vedette « Encyclopédies régionales », Espace Sud (de Gérard Sanchez, Montpellier), Horvath (Écully près Lyon), Loubatières (Toulouse), les Éditions J&D (Biarritz et Pau), La Louve (Cahors), les Éditions du Roure (Neyzac en Haute-Loire), etc.
Répondant à la logique du savoir qui est un des fondements de l’Université, les presses universitaires du « Midi » intègrent, de longue date, l’occitan dans leur programme éditorial à proportion du nombre d’enseignants et chercheurs dont chacune d’elle dispose en cette matière ainsi que du dynamisme des rares équipes de recherche. Quoiqu’il en soit, la matière occitane y est toujours présente. À l’université de Montpellier paraît depuis 1870 la Revue des langues romanes créée par la Société pour l’étude des langues romanes ; à ses cotés depuis la fin des années 1960 le Centre d’études occitanes (CÉO) a publié des études (Lo Compendion de l’abaco [Le Compendium de l’abaque] de Francés Pellos, Romancero occitan, etc.) et la collection Los Pichons classics occitans comparables aux « petits classiques » Larousse ou Vaubourdole, permettant l’accès des étudiants aux textes du patrimoine littéraire médiéval et moderne. Les Presses de la Méditerranée de l’Université Paul Valéry-Montpellier III poursuivent la tradition et publient par ailleurs, depuis 1977, la revue de sociolinguistique Lengas [langues] (68 numéros parus à la fin 2010). Différemment de ce que l’on serait en droit d’attendre, l’occitan n’est finalement pas plus présent dans le catalogue des Presses universitaires de Provence à Aix-en-Provence ou les Presses de l’Université du Mirail à Toulouse que dans celui des Presses universitaires de Rennes (PUR) qui n’ont éprouvé aucune difficulté à publier récemment un ouvrage de Philippe Gardy, L’ombre de l’occitan, consacré aux rapports de quelques romanciers français contemporains avec l’occitan24. À Paris, les Presses de l’Université de Paris-Sorbonne donnent très discrètement asile à quelques publications du CÉROC (Centre d’enseignement et de recherche d’Oc). À Bordeaux, les Presses universitaires de Bordeaux ont inauguré en 1997 la collection Saber [savoir] dont le 11e volume vient de paraître : Les félibres et leur temps, Renaissance d’oc et opinion (1850-1914), 690 pages tirées de la thèse d’Histoire de Philippe Martel. Mais le temps n’est plus où, sous l’impulsion d’un Camille Chabaneau à Montpellier ou d’un Joseph Anglade à Toulouse, les universités « méridionales » tiraient parti et avantages de co-éditions avec des maisons parisiennes d’érudition comme Maisonneuve, Leclerc, etc.
Dresser un panorama de l’édition scientifique internationale consacrée à la matière occitane à l’étranger nous entraînerait très loin dans l’espace (d’Italie en Suède, de Palerme à Uppsala, d’Amérique du Nord au Japon, de Russie en Amérique latine) comme dans le temps et donnerait matière à un tome entier de l’Histoire de l’édition occitane. Quelques noms méritent tout de même d’être cités : Max Niemeyer Verlag (Halle/Saale, Allemagne) maison qui a passé les 130 ans d’existence, qui a joué et continue de jouer un rôle pionnier dans les études de romanistique et d’occitanistique, de la Zeitschrift für romanische Philologie au Lexikon der Romanistischen Linguistik en passant par les Beihefte et maintes autres collections et publications en séries ; mais aussi Mucchi (Modena), Viella (Roma), Brepols (Turnhout, Belgique), Praesens (Wien), etc. Tout en repliant ce planisphère, citons avec fierté plus qu’étonnement le Vocabulari occitan japonés [japonés-occitan] de Naoko Sano publié à Tokyo chez Daigaku syorin en janvier 2007, respectable volume de 364 pages qui rejoint dans les rayons des librairies japonaises les diverses traductions disponibles de Théodore Aubanel, Frédéric Mistral et Jean-Henri Fabre.
Des structures documentaires ou de recherche, fondées en associations et nées pour la plupart dans le dernier quart du xxe siècle (hormis le Collègi d’Occitanie fondé à Toulouse dans les années 1920 par l’abbé Joseph Salvat), ont développé des catalogues spécialisés remarquables : le Conservatoire occitan (Toulouse), le Centre international de documentation occitane (CIDO, Béziers, de 1975 à 1995), le Centre national d’études cathares (CNEC, Carcassonne)25, le CORDAE-La Talvera (Cordes, Tarn) spécialisé sur les traditions orales et musicales occitanes, le Groupe audois de recherche et d’animation ethnographique (GARAE, Carcassonne), etc. Dans la même période, des associations indépendantes créées hors institutions à l’initiative des chercheurs occitanistes produisent avec constance les volumes d’actes des colloques et congrès qu’elles organisent ; ce sont, chronologiquement, le Centre d’étude de la littérature occitane (CÉLO, Toulouse) et l’Association internationale d’études occitanes (AIÉO) en 1981 (London, puis Wien, à présent Turin), la Section française de l’AIÉO (SFAIÉO) en 1987. Semblablement, des particuliers ou quelques individus groupés créent parfois leur propre association, forme nouvelle d’auto-édition : René Merle crée à La Seyne-sur-Mer la Société historique du texte dialectal qui publie livres et brochures exploitant les matériaux et réflexions accumulés à l’occasion de sa thèse de doctorat soutenue en 1987 ; à Bordeaux Jean Eygun et Philippe Gardy animent l’Associacion d’estudis dels tèxtes occitans (Bordeaux) qui publia un temps la revue Tèxtes occitans (6 numéros parus) et quelques volumes. On pourrait multiplier les exemples en observant du côté des académies et sociétés savantes locales et départementales, et de leurs fédérations régionales. Pour leur originalité et leur belle facture, citons entre autres les publications de l’Entente bibliophile créée à Montpellier en 1938, gérées par le libraire Pierre Clerc26 : ses volumes plus particulièrement liés à la langue occitane furent principalement l’œuvre de l’universitaire montpelliérain Marcel Barral (1913-1997).
Les réimpressions
On serait largement fautif d’oublier la très puissante autant que brève floraison éditoriale27 qui se produisit au cours des deux décennies 1970-1980 : deux entreprises façonnèrent et se partagèrent le marché des réimpressions28 Slatkine (Genève) et Laffitte (Marseille), pratiquant un partage équilibré des territoires et collaborant à l’occasion. La maison genevoise développa le procédé à grande échelle, fournissant principalement les bibliothèques publiques en ouvrages fondamentaux dont les originaux étaient devenus inaccessibles et réactivant quantité d’ouvrages de linguistique et de philologie occitanes ; Jeanne Laffitte, héritière d’une famille de libraires marseillais depuis 1840, se lança en 1972, publia plus de 2000 reprints puis restreignit ses ambitions et ses choix à un échantillon plus étroitement marseillais avec les éditions du Quai. On ne saurait comparer aux catalogues des maisons Slatkine et Laffitte la production ultérieure des éditions Lacour (Nîmes) largement répandue dans tous les départements occitans selon des procédures mêlant hardiment colportage et solderie. Ces éditions se révèlent peu soucieuses des contenus qu’elles prétendent rééditer, tant au niveau de la présentation, de la mise en page et des références, qu’à celui du respect des originaux indistinctement mêlés d’ajouts non identifiables.
L’édition littéraire
L’édition littéraire / édition en occitan, est, depuis les débuts du xixe siècle, le fait de personnes isolées et de groupes militants pour la sauvegarde et le développement de la langue d’oc. Trois dates peuvent servir de repères : 1854 création du Félibrige, première initiative structurée de revendication linguistique occitane, années 1920-30 naissance de l’occitanisme avec la création la Societat d’estudis occitans et de la revue OC, puis en 1945 transformation de cette Societat en Institut d’études occitanes. Ces deux grands courants (félibréen et occitaniste) constituent l’ossature éditoriale du domaine d’oc, activité sur laquelle ils fondent même la part la plus significative de leur action : rendre à la langue d’oc son prestige écrit et littéraire antérieur. Parcourir et décrire ce paysage éditorial, ancien mais toujours actif – ayant, sur deux siècles, plusieurs milliers (voire certainement dizaines de milliers) d’ouvrages à son actif – exigerait de distinguer – sans donc les séparer et moins encore les opposer artificiellement – d’une part l’édition félibréenne et l’édition occitaniste, d’autre part l’édition en région et l’édition parisienne, tout en constatant que ces lieux et niveaux se complètent finalement pour assurer une permanence, certes mal visible mais tenace, de l’Écrit Occitan.
Sans chercher à dresser un inventaire exhaustif ni un descriptif de chaque entreprise, citons :
Côté Félibrige
Une myriade d’associations, un foisonnement de groupes restreints. Tous publient un bulletin, la plupart éditent des livres : Les Amis de la langue d’oc (Paris, autour de Joseph Loubet, Pierre-Louis Berthaud puis Jean Fourié), les Edicien de l’Amistanço dei joueine [Ed. de l’Amicale des jeunes] (Marseille, Antòni Conio) et Lou Calen de Marselha [lampe à huile, i. e. flambeau de Marseille] (Marseille, Jorgi Reboul), les Ediciou dou Porto-Aigo [éditions de l’aqueduc] (Toulon), Le Feu (Aix-en-Provence), L’Escandihado aubagnenco [rayon de soleil furtif à travers les nuages d’Aubagne] (Aubagne), L’Escolo de la Targo [école (félibréenne) de la joute] (Toulon), Lou relarg berraten [l’espace autour de Berre] (Istres, Bouches-du-Rhône), le Groupement d’études provençales (G.E.P., Saint-Rémy-de-Provence), Lo(u) Bo(u)rnat dou Perigord [le rucher du Périgord] (Périgueux), l’Escolo deras Pireneos [école (félibréenne) des Pyrénées] (Saint-Gaudens puis Luchon), l’Escole Gaston Febus [école Gaston Phébus] (Pau), Lemouzi [Limousin] (Tulle, Robert Joudoux), Parlaren [nous parlerons] (Marseille), le Roudelet felibren dou pichoun bousquet [cercle félibréen du Petit-Bosquet, quartier marseillais] (Marseille) animateur d’un Disco-bibliobus prouvençau. Mais aussi quelques entreprises plus volumineuses : Pierre Rollet crée en 1964 les éditions Ramoun Bérenguié à Aix-en-Provence autour du projet presque exclusif de réédition de l’œuvre complète de Frédéric Mistral (1830-1914) ; L’Astrado prouvençalo [L’Étoile (au sens de la destinée) provençale] (Toulon puis Berre l’Étang, Louis Bayle) publie en de multiples collections (Li fascicle [Les Carnets], Lou Chivau alu [Le Cheval ailé], Biblioutèco d’istòri literari e de critico, etc.) tous les écrivains provençaux, poètes et prosateurs, antérieurement révélés par Sully-André Peyre dans sa revue Marsyas (Aigues-Vives), des études, traductions provençales, notamment de la Bible. Avec Culture provençale et méridionale (CPM, Raphèle-les-Arles) l’abbé Marcel Petit (1920-2008) exerça à travers l’édition et la diffusion le double ministère de la religion catholique et du provençal, assurant une présence de la langue dans tous les pèlerinages, processions et messes votives. Travaillant avec des imprimeurs catalans à la réimpression d’ouvrages-clés du patrimoine provençal et félibréen (dictionnaires et œuvres littéraires), il réactiva à sa manière la tradition établie au xixe siècle par les contacts félibres-catalanistes, maintenue et alimentée jusqu’en 1936 par les liens de la Societat d’estudis occitans avec l’Institut d’estudis catalans.
Côté Occitanisme
Dès le début du xxe siècle les entreprises éditoriales fleurissent, suspendent leur activité pendant la Première guerre mondiale, reprennent dans les années 1920-30, s’estompent pendant le second conflit mondial, pour renaître à la Libération. Créé dès 1945 à Toulouse et succédant à la Societat d’estudis occitans (SEO), l’Institut d’études occitanes fut, pour les trente années suivantes, l’éditeur proéminent. Dans les années 1960-80, il se ramifie à travers tout le pays d’oc, en sections départementales, régionales et cercles locaux,29, se structure en secteurs pédagogique, scientifique et littéraire et publie périodiques (Cahiers pédagogiques, Annales de l’IEO) et collections multiples : Teatre d’oc, Sòrgas [sources], Pròsa, Messatges [messages] (poésie), puis A tots [à tous] (prose), Ensags [essais], Crimis [crimes], Aubinas [aurores] (livres pour les enfants), etc.
Parallèlement, deux initiatives particulièrement innovantes par leur conception professionnelle connaissent un succès éphémère mais exemplaire : a) Lo Libre occitan [Le livre occitan] : en 1966 un autodidacte gascon André Dupuy (1928, Lavit-de-Lomagne) crée une société anonyme d’édition dont l’objectif est « d’organiser les conditions matérielles indispensables à une culture occitane moderne, c’est à dire publier des livres et les vendre » et qui affirme que « la rigueur administrative et le réalisme seront mis au service de ce qui semble jusqu’alors une utopie : la publication commercialement rentable de livres de qualité en langue occitane ». Le premier titre paraît en septembre 1966, le chef-d’œuvre de Jean Boudou Lo libre de Catòia [Le livre de Catoia] ; suivent les Condes de Gasconha [contes de Gascogne] de Joan-Francés Bladèr et les Salmes [psaumes] de David traduits en langue d’oc par le chanoine Jules Cubaynes, Nové Granet [Noël Granet, nom du protagoniste] de Victor Gelu, Tibal lo Garrel [Tibal le boîteux] de Louis Delluc… en édition ordinaire et édition de luxe. La faillite intervient dès 1968 et annule plusieurs projets (divers romans et un pièce de théâtre de Charles Camproux) ainsi que plusieurs ouvrages commandés et annoncés qui verront le jour dans de tout autres conditions : c’est le cas de la Nouvelle histoire de la littérature occitane de Robert Lafont et Christian Anatole qui paraîtra aux P.U.F. et celui de la collection de Pichons classics [petits classiques] dont les premiers titres commandés seront repris et le concept développé par le Centre d’études occitanes de l’Université de Montpellier. En 1972, A. Dupuy persévère en publiant à compte d’auteur sa Petite encyclopédie occitane, véritable phénomène de l’édition occitane des années 70, vendu aux quatre coins de l’Hexagone et bien au-delà, atteignant des chiffres de tirage indépassables. Ultérieurement (années 1980) établi à Saint-Christol par Lunel (Hérault), A. Dupuy tente encore une nouvelle expérience, les éditions Saber [savoir], inaugurées avec un ancien manuscrit du temps du Libre occitan : Toulouse, métropole artistique de l’Occitanie par Robert Mesuret et, toujours à l’avant-garde, il crée une collection « Pays » (nourrie entre autres de ses propres travaux sur la Lomagne) et à cela ajoute la publication, en collaboration avec les éditions Slatkine, de sa propre Histoire chronologique de la civilisation occitane (3 vol.). b) Les éditions Cap e Cap [(en) tête-à-tête], fondées par Marc Avérous en 1968-69 à Agen, tout d’abord liées à la librairie occitane sise dans la même ville puis retirées à Finhan (Tarn-et-Garonne) avant d’abandonner par faillite en 1975-76. Parmi ses ouvrages, plusieurs titres firent événement : Actualité du catharisme de Durban, Diccionnari de Christian Rapin, Mémento grammatical de Roger Teulat, La musique occitane de Marcel Carrières, Gesta de Bernard Manciet, Beatris de Planissòla [Béatrice de Planissoles] de René Nelli servant de livret à l’opéra du compositeur Jacques Charpentier et la bande dessinée Calabrun [crépuscule].
À l’imitation de ces expériences professionnelles brèves, une multitude d’initiatives, souvent individuelles et plus militantes/artisanales, tentent de s’inscrire dans la durée : les Edicions occitanas animées à Buoux (Vaucluse) par Pierre Pessemesse, Alan Ward et Robert Alan ; les éditions Per Noste [(par/du côté de) chez nous] fondées à la fin des années 60 à Orthez par Roger Lapassade et quelques amis béarnais ; les éditions poétiques Quatre Vertats [quatre vérités] créées à la charnière des années 1960-70 et animés à Ardouane près Saint Pons (Hérault) par Joan Larzac i. e. l’abbé Jean Rouquette ; La Clau lemosina [la clé limousine] (Limoges) ; Lo Leberaubre [le loup-garrou] (Agonac, Dordogne) animé par Michel Chadeuil ; le Cercle occitan Auvernhà Tarà d’oc [Auvergne terre d’oc] à Clermont-Ferrand qui fait une large place aux publications de son fondateur-animateur Pierre Bonnaud ; le Centre culturel occitan de Nice ; Lu Segurans [les disciples de Catherine Ségurane, héroïne niçoise lors du siège de la ville en 1543] (Nice) ; les éditions Cocagne (Montauban) animées par Félix Castan (1920-2001) ; Tèrra d’Oc (Montpellier) fondé par Alain Nouvel et dont la collection Connaissance de l’Occitanie accueille alternativement les contributions d’A. Dupuy (Historique de l’Occitanie) et d’A. Nouvel (L’occitan langue de civilisation européenne et Le français parlé en Occitanie, etc.) ; Occitania [Occitanie] créé à Clapiers/Montpellier par Jean-Marie Petit pour publier quelques ouvrages de Charles Camproux et de Max Rouquette ; le Centre de recherches et d’études méridionales (Saint-Rémy-de-Provence) animé par Claude Mauron et notamment éditeur du poète Max-Philippe Delavouët ; etc.
Éditer30 demeure, en dépit des exigences, des difficultés et des écueils, une perspective motivante pour l’occitanisme des années 70. Les publications de l’Escòla occitana d’estiu [école occitane d’été] naissent de la collection Forra Borra [pêle-mêle] imprimée sur la ronéo du foyer socio-culturel du Lycée Georges Leygues de Villeneuve-sur-Lot par l’enseignant d’occitan de l’établissement, Marceau Esquieu, puis transférées au Centre culturel occitan de Picapoul à Hautefage-la-Tour (Lot-et-Garonne). Les éditions Vent Terral [vent de terre] sont fondées en 1973 à Énergues (Tarn) par un collectif d’auteurs autour de Jòrdi Blanc, professeur de philosophie ; elles comptent plusieurs collections et se signalent entre autres par la mise en évidence de l’œuvre de la poétesse Louisa Paulin, la première traduction du Petit Prince d’A. de Saint-Exupéry, Lo Princilhon, divers ouvrages consacrés à Jean Jaurès et son œuvre philosophique, etc. Au rythme de ses faillites et résurgences, la societat occitana d’edicion e de difusion Princi negre [Prince noir], établie à Gradignan puis en Béarn (1999, Pau puis Monein) et en Charentes (2010), propose un pléthorique mélange gascon de réimpressions recomposées (avec décors typographiques et apports iconographiques) et modifiées (avec des aménagements graphiques pour le moins inattendus), de livres « grand public » choisis, fabriqués et diffusés avec pour cible favorite le public des buralistes et superettes de villages et chef-lieux de cantons, forte présence ne signifiant pas ipso facto succès commercial.
Quelques plus jeunes et dynamiques entreprises éditoriales occitanes tirent le meilleur parti des expériences antérieures, sollicitent des imprimeurs renommés (Fanlac à Périgueux, Plein Chant à Bassac, Ipadour à Pau, etc.) pour produire des livres de grande qualité matérielle dont la place pourrait enfin devenir naturelle sur les tables et les rayonnages de la librairie courante : citons Jorn [Jour] (Montpeyroux, Hérault) ; les Edicions dau chamin de Sent Jaume [Éditions du chemin de Saint-Jacques (de Compostelle)] initialement centrées autour de l’œuvre de Marcelle Delpastre (1925-1998) et publiant désormais celles de Jan dau Melhau (l’artisan solitaire de cette entreprise établie à Roier par Meuzac en Limousin qui collabore régulièrement avec l’artiste peintre et dessinateur Jean-Marc Siméonin), d’Antoine Dubernard, de Paul-Louis Grenier ; Letras d’oc [Lettres d’oc] (Toulouse) qui alternent rééditions et inédits procurant parmi le meilleur du moment notamment en poésie ; Reclams [Échos] qui, tirant son nom de la revue éditée par l’Escole Gaston Febus elle-même longtemps éditrice, tente une renaissance que ses premiers choix valident.
Atypiques et confidentiels, les « livres d’artistes », imprimés en typographie traditionnelle et beaux caractères, à tirage limité (entre 100 et 150 exemplaires maximum), allient un texte poétique inédit à une peinture ou gravure contemporaine, formant des suites ou collections, et ne se constituant pas à proprement parler en maison d’édition : ainsi, au sortir immédiat de la Seconde Guerre mondiale, Bernard Manciet publia une à une ses Òdas avec la collaboration de graveurs allemands ; à partir de 1950, l’écrivain provençal Max-Philippe Delavouët publia avec la complicité de l’imprimeur Francou de Salon-de-Provence la collection intitulée La Colo dóu Baile vert [l’équipe du baile vert, du nom d’un mas provençal] atteignant une dizaine de titres (M.-Ph. Delavouët, Joseph d’Arbaud, Fernand Moutet, etc.) illustrés par Henri Pertus, Paul Coupille, Jean-Pierre Guillermet et M.-Ph. Delavouët lui-même ; le poète René Nelli (1906-1982) bénéficie à deux reprises de semblables réalisations (Château où Dieu est un autre chez Fata Morgana, Tain de la mort à La fenêtre ardente / Gaston Puel) avant d’auto-éditer un ultime recueil (Per una nuèit d’estiu [Par une nuit d’été], 1976). En 1984, les éditions Jorn transforment le poème de Robert Lafont Lausa per un soleu mòrt e reviudat [écrit pour un soleil mort et ressuscité] en un triptyque peint par Alain Clément et Claude Viallat. Plus récemment, dans la veine de ces prédécesseurs, La Talvera [La Tournière], collection poétique et typographique produit à quatre reprises entre 1985 et 1992, avec la complicité de l’imprimeur narbonnais Fernand Gautier (par ailleurs éditeur de poème-affiches en occitan), des ouvrages de Philippe Gardy, Yves Rouquette et Alain Viaut illustrés de peintures (Jacqueline Désarménien, Françoise Pagès) et gravures originales (Pierre François, Josep Vernis).
Hors frontière d’état mais en domaine linguistique d’oc, le dynamisme particulier de l’occitan dans les deux espaces que sont le Val d’Aran et les vallées alpines du Piémont italien alimente une édition vivante et une production abondante au regard du volume de leur population (3500 à 4000 habitants au Val d’Aran, autour de cent mille dans les vallées italiennes). On retiendra, sous bénéfice d’inventaire : le Conselh Generau d’Aran (Vielha) et Pagès editors (Lleida), d’autre part Coumboscuro [Gorge obscure], Lou Soulestrelh [Le feu de la Saint-Jean] (San Peire par Cuneo), Ousitanio Vivo (Venasa par Cuneo).
L’édition en région non spécialisée s’aventure rarement dans le champ de la littérature occitane : quelques rares maisons l’incluent cependant et leur consacrent mêmes plusieurs collections. Deux noms s’imposent et occupent une place toute particulière dans le paysage éditorial occitan : d’une part les éditions Fédérop fondées à Lyon en 1975 (puis transférées à Église-Neuve d’Issac en Périgord) et animées par le poète-traducteur-hispaniste-occitaniste Bernard Lesfargues et d’autre part l’Editorial Trabucaire [nom ancien de brigands des Pyrénées catalanes armés de tromblons], maison d’édition catalane établie à Canet-en-Roussillon depuis le début des années 1990 qui développe deux collections occitanes, Cap al Sud [Vers le sud] et Pròsa occitana [Prose occitane], et leur consacre deux à trois titres annuels.
Quelques exemples variés tendent à montrer que l’action « locale » visant à promouvoir les écrivains de son département ou de sa région peut aboutir à un résultat de grande visibilité. Tout d’abord deux exemples pris en Rouergue : d’une part, les éditions Subervie (Rodez), très productives en poésie française (car liées à de grands prix poétiques), accompagnent fortement le Félibrige rouergat et lui consacrent une collection spécifique la Collection du Grelh ro(u)ergas [Le Grillon rouergat] ; l’entreprise, familiale, disparaît au décès de son artisan à la fin des années 80. D’autre part, La Maison du livre fondée à Rodez en 1945 par des prêtres du département de l’Aveyron sous forme d’une « procure » puis laïcisée, crée en 1986 les Éditions du Rouergue dont le catalogue, 100% rouergat, fait le choix aussi ambitieux qu’inattendu de publier l’œuvre complète, dix ans à peine après son décès, de l’écrivain occitan Jean Boudou (1920-1975). Non contentes d’offrir une postérité immédiate et un accès à l’œuvre, elles passent commande de traductions françaises inexistantes jusqu’alors et publient coup sur coup sept coffrets contenant quatorze volumes. On peut dès lors s’interroger sur les raisons qui conduisent ces éditions à abandonner, en 2000, avant même l’épuisement du tirage31, la diffusion des volumes en occitan de cette série, conservant la diffusion des tomes de traduction française mais cédant le stock des volumes originaux en occitan à un service de diffusion occitaniste, l’IEO-IDECO.
Autre exemple de réussite à longue échéance : côté Gascogne et Landes, le parcours éditorial du monument poétique de Bernard Manciet (1923-2005), L’Enterrament a Sabres, mérite d’être brièvement rapporté car aussi symptomatique que rare : ce poème en huit chants et 3500 vers, annoncé et livré en revues par brefs extraits pendant un quart de siècle, fut initialement publié (1989) par un structure naissante, les éditions Ultréïa (Garein, Landes) ; le succès est foudroyant et le tirage à 2500 exemplaires rapidement épuisé. Les éditions Mollat, excroissance de la grande librairie bordelaise éponyme, rééditent (1996) le volume puis Gallimard l’inscrit (2010)32 dans sa prestigieuse collection Poésie/Gallimard…
Le lien est fait avec un aspect aussi limité qu’inattendu : la contribution de l’édition parisienne à l’émergence de certaines œuvres occitanes. À la charnière des xixe et xxe siècles, les éditions Lemerre assurent à l’œuvre poétique de Frédéric Mistral une diffusion nationale et internationale, quand les éditions Honoré Champion favorisent, aux côtés des libraires Roumanille d’Avignon et Remondet-Aubin d’Aix, l’édition de son monument lexicographique Lou Tresor dóu Felibrige [Le trésor du Félibrige], puis l’insertion de quelques œuvres médiévales occitanes dans leur collection Classiques français du Moyen Âge. Différemment, des relations amicales et provençalistes expliquent la parution du roman de Joseph d’Arbaud (1874-1950) La Bête du Vaccarès chez Grasset dans la fameuse collection des Cahiers verts et à présent des Cahiers rouges33, d’écrits poétiques de Marius André (1868-1927) aux Éditions du Cadran, des trois premiers tomes des Pouèmo [poème/s] de Max-Philippe Delavouët (1920-1990) par José Corti34, la présence d’une édition de Mirèio [Mireille] chez Garnier-Flammarion, etc.
Semblablement, dans les années 1970, l’éditeur Pierre-Jean Oswald (Honfleur puis Paris) édite de multiples pièces de théâtre occitan (de Claude Alranq et d’André Benedetto) et crée une collection Poésie d’Oc. Dans les années 1980, à Paris encore, les éditions Le Chemin vert ouvrent une collection Commune présence animée par Henri Giordan qui entendait « donner la parole aux minorités culturelles » et procure les premières traductions françaises (par Alem Surre Garcia) d’auteurs occitans contemporains : Max Rouquette, Bernard Manciet et Jean Boudou. Deux de ces « plus grands écrivains occitans du xxe siècle », M. Rouquette et B. Manciet35, bénéficient enfin à partir des années 90 d’une visibilité éditoriale professionnelle et d’une certaine reconnaissance publique36, après avoir longtemps fourni, titre après titre, à l’édition occitane militante la matière de quelques succès (d’estime) durables. À Max Rouquette se présentent successivement deux éditeurs : le montpelliérain Max Chaleil qui, en son enseigne des Éditions de Paris, publie cinq volumes de prose de 1995 à 2000, puis Samuel Brussell qui coup sur coup publie quatre volumes en 2001 et 2006 aux éditions Anatolia/Le Rocher. Semblablement, à partir de 1995, B. Manciet est édité à 21 reprises en 15 ans par L’Escampette (Bordeaux puis Chauvigny, 86300).37
La diffusion
La diffusion – aussi ancienne et décisive que l’édition proprement dite – a partie liée avec la survie de l’Écrit / l’Imprimé d’oc. L’enjeu est bien de leur assurer, au-delà des modes et des flambées circonstancielles, leur présence et leur visibilité minimales. Divers moyens ont été et sont régulièrement mis en œuvre, séparément ou complémentairement :
- la diffusion ciblée, par souscription et par correspondance. Les exemples abondent : le plus ancien daterait de 1819, lorsqu’un recueil poétique du provençal J.-J.-M. Diouloufet est ainsi vendu par souscription, la liste des souscripteurs en est d’ailleurs, fait rarissime, publiée dans l’ouvrage38 ; l’exemple majeur fut la mise en vente par fascicules, de 1878 à 1886, du dictionnaire de Frédéric Mistral Lou Tresor dóu Felibrige ; l’un des plus récents, initié par Joan Larzac en janvier 1973, serait le lancement annuel par plegas, séries de 3 à 4 volumes, de la collection de prose occitane A tots39. La souscription utilise pour véhicule un bulletin de souscription encarté dans les périodiques littéraires ou/et envoyé par la poste sur la base de fichiers associatifs et personnels. À présent les flots de courriels lancés via Internet (listes d’adresses électroniques, sites, blogs, mailing, copié/collé, document joint, etc.) ramènent-ils dans leurs filets tendus à travers l’espace web plus que le pourcentage de 5% de réponses positives évoqué à propos des souscriptions papier ? Ce serait là, pour le coup, une double révolution, celle de galaxie jumelle Gutenberg-Internet !
- Le démarchage, la vente directe ou de proximité, non pas à domicile mais par la présence de tables chargées de livres, de stands dressés en fond de salle au cours d’événements divers et variés, soirées, spectacles, festivals, « semaines occitanes » et autres écoles et universités d’été. Ce fut aussi l’expérience du camion tub Citroën d’André Dupuy présent (au titre même de son entreprise Lo Libre occitan) sur les places et les marchés hebdomadaires, expérience reprise quinze ans plus tard dans l’Aude avec le Bibliobus occitan des Foyers Léo Lagrange basé à Lézignan-Corbières.
- Le moyen de diffusion le plus structuré fut et demeure la mise en place d’un ou plusieurs services de diffusion, par correspondance dans un premier temps, puis par diffusion/distribution auprès de librairies commerciales classiques quand le contact et la confiance ont pu être établis. Ce sera là l’œuvre laborieuse de personnalités dont les noms demeurent : a) dans les années 1924-25, l’association des Amis du livre occitan / Amics del Libre Occitan et de l’Office central du livre occitan emmenés par E.-H. Guitard éditent un éphémère Bulletin du livre occitan basé à Samatan (Gers), disposent de bureaux toulousains (7 rue Ozenne) et d’un « dépôt central » en la librairie-éditions Occitania (6 passage Verdeau Paris 9e) et se donnent précisément les libraires et la presse comme interlocuteurs et relais. b) l’abbé Marcel Petit et Culture provençale et méridionale (CPM, Raphèle-les-Arles) précédemment cité pour son activité d’édition. c) le Comptador generau dau libre occitan établi dès 1966 à Vedène (Vaucluse) et animé par Robert Allan. d) Jean Jaurion, instituteur du village de Laurens au nord de Béziers, assure le Service de diffusion de l’Institut d’études occitanes au moment même où l’édition occitane connaît l’un des sommets de son rayonnement (années 1960-80). e) À partir de 1991, Robert Marty développe à Puylaurens (Tarn) l’IDECO (IÉO Diffusion culturelle), service professionnalisé (deux à trois salariés). f) et semblablement l’Espaci occitan [Espace occitan] à Gap, l’Ostal del Libre [La maison du livre] à Aurillac, etc.
La diffusion du livre occitan ne se propose pas (par manque de moyens, par efficacité, par réalisme) de couvrir tout le territoire français et son tissu de librairies mais cible la seule aire linguistique occitane ainsi que quelques grandes villes et Paris/région parisienne. On constate de surcroît qu’Internet modifie sérieusement la donne : la diffusion occitane en ligne a bien un avenir si ce n’est un présent40.
Un constat s’impose (qu’Internet, une fois encore, contribuera peut-être à infléchir) : les maisons d’édition occitane ont (malgré elles ?) une diffusion avant tout régionale c’est-à-dire ouverte sur et simultanément limitée à l’espace dialectal au sein duquel elles se sont créées ; et ceci en miroir fidèle (mais étroit) des pratiques linguistiques et des représentations sociolinguistiques. Le livre gascon des éditions Per Noste ne se diffuse pas en Provence, le poète provençal M.-Ph. Delavouët n’est pas lu/pas connu en Gascogne, la poétesse limousine Marcelle Delpastre ignorée en Gascogne, etc. Le lectorat occitanophe semble, à quelques exceptions individuelles près, demeurer fortement dialectalisé dans ses achats et ses lectures.
La librairie
Si l’on s’en tenait au réseau général des librairies « françaises », l’imprimé occitan serait chose à proprement parler invisible. On ne peut guère citer, à l’heure actuelle, par exception, que le rayon occitan de la librairie Sauramps à Montpellier et le rayon provençal de la librairie Laffitte-Les Arcenaulx à Marseille. Rien de semblable dans la librairie courante (dite indépendante), à Bordeaux (chez Mollat), à Toulouse (chez Ombres blanches), etc. ; inutile d’évoquer le cas de la « grande diffusion » et des « grandes surfaces ». Loin de figurer sur la « table des nouveautés » le livre occitan occupe même plutôt un rayon mal accessible, au fin fond du magasin, dans les angles morts, sous un escalier ou un radiateur, à consulter à quatre pattes, résidu embarrassant que soi-disant « personne ne demande » sauf quelques « originaux, régionalistes et amateurs de patois »… La demande publique est certes faible mais les réponses stéréotypées : « Nous ne faisons pas le régionalisme ! ». Les libraires sont peu ou rarement réceptifs, parce que vraisemblablement perdus, non formés (les manuels de littérature, Lagarde & Michard et autres, ni l’école n’en ont jamais parlé), non informés (Bernard Pivot et la « télé » n’en parlent pas plus souvent) de ce qui existe, de la littérature en quelque autre langue de France que le français, de ce qu’est le passé et a fortiori le présent de la littérature occitane, Mistral mis à part, et encore ! La conséquence est une vision très sectorielle voire même sectaire, renforcée par le stigmate et l’étiquette « Régionalisme ». Régionalisme qui, en matière d’édition comme de langue, est une faute originelle.
Invisible, absent, indisponible, inexistant serait donc l’imprimé occitan si n’existaient quelques rares librairies occitanes41, toujours modestes en dimensions, en stock disponible et en chiffre d’affaires, économiquement peu viables et en survie perpétuelle : Marrimpouey à Pau, l’Ostal del Libre à Aurillac, la Librariá occitana de Limoges, l’Espaci occitan deis Aups à Gap. La seule qui se soit inscrite dans la durée et fut longtemps la mieux placée (géographiquement parlant) est la Librairie occitane et catalane Pam de nas [pied de nez] créée à Paris (30 rue des Grands Augustins en plein 6e arrondissement) en 1977 par un ingénieur agronome, Jean-François Coche ; dégringolant depuis des années au rythme du reflux des questions linguistiques et modes culturelles en France, progressivement reconvertie vers le livre ancien et d’occasion, cette librairie baissera définitivement son rideau au 31 du mois de juin 2011. La liste est bien plus longue des tentatives et des faillites, de la Librairie occitane d’Agen dès la fin des années 60 à la Librairie occitane de Pierre Mazodier à Salindres (Gard) et la Librairie du Millénaire à Montpellier.
Quelques libraires de livres anciens ou d’occasion (Laffitte à Marseille, Pierre Clerc à Montpellier, la Librairie Occitania à Toulouse (trois générations de Thourel), Roumanille à Avignon (de Joseph Roumanille en 1855 à Louis Siaud), Raymond puis Bernard Picquot à Bordeaux, Laucournet à Limoges, la Librairie niçoise, etc.) sont, par l’orientation même de leur officine et (d’une partie) de ses rayonnages ainsi que l’organisation de ventes publiques spécialisées, devenues experts et référents bibliographiques affirmés en domaine occitan et ont contribué de manière reconnue à la persistance d’un courant bibliophilique occitan/iste/ophone.
Le livre occitan contemporain pourrait être longuement observé et étudié sous divers autres angles :
La réception, le lectorat
C’est encore la plus grosse inconnue. On ne peut en effet rien déduire du chiffre parfois avancé de deux à trois millions de locuteurs occitanophones. Aucune statistique ne permet de suggérer un nombre de lecteurs potentiels. Qui lit ? Qui achète et possède une bibliothèque occitane ? Qui lit en bibliothèque et quels sont les établissements (municipaux, universitaires et autres) où l’imprimé occitan est acquis et suivi ? Quels sont les motivations, les goûts, les moyens, les pratiques ? Ne doit-on pas envisager divers types, niveaux et compétences de lecture ? Existe-t-il un ou des lectorats ? Les chiffres de tirage (généralement faibles, inférieurs au millier d’exemplaires et limités à quelques centaines) et de vente, les rythmes d’épuisement (lents sauf très rares exceptions, ils conduisent plus généralement à la formation de stocks inépuisables) constituent-ils un indicateur suffisant ? 42
Le livre occitan a un public diffus, restreint, disséminé, autodidacte. Sur-sollicitée en raison d’une production surabondante (contexte ayant pour conséquence première des ventes faibles ou lentes) la clientèle des alphabétisés occitanophones lisants est en décroissance régulière tant en raison de l’absence définitive de transmission familiale que de l’enseignement dispensé, du primaire (sensibilisation au bilinguisme) au secondaire (enseignement optionnel facultatif) qui ne saurait compenser l’érosion naturelle des générations et l’éradication politique et médiatique43.
L’environnement culturel, littéraire et institutionnel :
Les associations littéraires : fondé en 196244 le Pen-Club de langue d’oc, unique société d’auteurs occitans, peine cependant à vivre, agir et rayonner. Les Amistats [amitiés] Max Rouquette (Montpellier) sont, par leurs manifestations et la publication annuelle de Cahiers Max Rouquette (5 numéros depuis 2007) la plus vivante des associations consacrées à des écrivains parmi lesquelles existent aussi le Comité Valère Bernard (Marseille), les Amis de Jean Boudou, Amis de Michel Miniussi (Mougins), Amis de Bernard Manciet (Bordeaux).
Les prix littéraires : quelques rares académies ou sociétés savantes locales (l’Académie des Jeux floraux à Toulouse depuis 1323, la Société archéologique de Béziers depuis les années 1840, la ville de Narbonne, le Conseil général des Hautes-Pyrénées, etc.) poursuivent, avec constance mais sans éclat médiatique, l’organisation de concours littéraires (poétiques principalement) et l’attribution de prix. Quelques associations font de même, décernant le prix Jaufre Rudel (Bordeaux), le prix Paul Froment (Villeneuve-sur-Lot), le Prèmi Joan Bodon [prix Jean Boudou], la ville de Montpellier décernant quant à elle, un an sur deux, son prix Antigone à une œuvre occitane. Aucun de ces lauriers ne parvenant pas à capter l’attention des médias ils n’ont, par voie de conséquence, aucun impact public ni commercial. Les lectures publiques et les séances de signature relèvent d’un système précisément commercial auquel le livre occitan échappe et elles ne concernent jamais dans le meilleur des cas qu’un public déjà convaincu et fort restreint.
L’édition bilingue : depuis le xixe siècle, le recours à la traduction française est régulier et implicite la publication en version bilingue, texte original avec traduction en vis-à-vis. Cette traduction est très largement le fait des auteurs eux-mêmes : sans être le premier écrivain d’oc à ce faire, Frédéric Mistral proposa, dès l’édition originale de son chef-d’œuvre Mirèio une auto-traduction française en belle-page. Le procédé s’est très fortement estompé depuis de longues décennies, sans jamais disparaître ; il ne manque pas – à juste titre et sans préjuger – de susciter la réflexion et de faire débat.
La traduction45 : les traductions littéraires d’œuvres occitanes en langues étrangères sont peu fréquentes, relèvent d’initiatives individuelles et non de la commande d’éditeurs. Elles sont, en allemand, anglais, catalan ou néerlandais, à présent moins inhabituelles qu’en français. Plus nombreuses sont les appropriations à l’occitan d’œuvres du patrimoine littéraire mondial46. Du livre aux images, les adaptations cinématographiques et télévisuelles sont par contre inexistantes.
La « politique du livre » : le développement de la « lecture publique » et plus largement d’une politique en faveur du Livre, à partir du début des années 1980, a bénéficié au Livre occitan. La création ou le développement des bibliothèques et médiathèques (municipales et départementales de prêt), des centres régionaux des lettres (en Languedoc-Roussillon, Aquitaine et Midi-Pyrénées) et offices du Livre (en Provence et Rhône-Alpes) ont conduit les éditeurs d’oc, à participer à la vie de ces entités en intégrant des commissions, en se forgeant une culture administrative, afin d’obtenir quelques subventions ou prêts, aides à la diffusion, ainsi que leur présence dans quelques foires, salons et journées du livre.
Conclusion
Le livre occitan apparaît, tout à la fois, comme un livre sans et hors, mais un livre avec :
- un livre sans moyens financiers autres que propres (pas de soutien bancaire et peu de subventions), sans marché, sans service de presse, sans diffusion/distribution, sans office, sans représentant, sans chiffre d’affaires, sans média, sans visibilité, publiant des auteurs sans contrats et sans droits (pas un écrivain occitan ne « vit de sa plume » selon l’expression à la mode), etc.
- un livre hors des circuits économiques classiques, étranger aux stratégies commerciales, hors des réseaux de diffusion et distribution, hors des modes, répertorié par exception dans les bibliographies nationales courantes, absent de la presse professionnelle des éditeurs, libraires et bibliothécaires et par voie de conséquence de la très large majorité des bibliothèques de tous types.
- mais un livre avec une longue histoire continue, une immense bibliographie, une présence tenace sur un vaste espace géolinguistique, une édition variée dans ses genres et multiple par ses dialectes et ses graphies, animée par des bénévoles et militants dynamiques (mais hélas très peu de professionnels salariés).
Vivante, résistante et moderne, autonome et singulière, l’édition occitane contemporaine est un exact reflet du statut présent de la langue qu’elle promeut. Modeste, confidentielle et, il est vrai, presque invisible, elle n’en a pas moins, année après année, décennie après décennie, par l’action déterminée de très nombreuses structures d’inégale longévité, éditrices (adjectif) sans pour autant être des éditeurs (substantif) à part entière, accumulé les publications et tente d’alimenter un lectorat, de maintenir/prolonger une compétence de lecture de l’occitan47 et de mettre en lumière un patrimoine très mal accessible48. Aux antipodes des concepts de « régionalisme » et de « provincialisme » dont le centre use et abuse pour l’ignorer, pour mépriser de toute sa superbe ce qui se fait hors de la capitale et dans les langues de France autres que le français.
Une vraie reconnaissance, constitutionnelle et légale, des langues de France ne pourrait certes pas tout, ni tout de suite. Mais l’exemple donné par la Catalogne voisine dont le Parlament de Catalunya a voté, le 22 septembre 2010, la Llei de l’occità [loi à propos de l’occitan] complétant l’Estatut d’autonomia de Catalunya 200649, ne pouvant être dénué de tout lien avec le développement, à Barcelona, Girona et Lleida, d’une édition occitane dynamique (Club Editor, Adesiara, Galerada)50, tous les espoirs sont donc permis.