Pour l’élaboration du présent article, j’ai bénéficié de l’aide de Messieurs Gaylord Bonnafous (Université Charles-de-Gaulle – Lille 3), Jonathan Dumont (Université de Liège), Jean-Vincent Jourd’heuil (Université de Bourgogne), C. Masson (F.N.R.S./Université de Liège) et Bertrand Schnerb (Université Charles-de-Gaulle – Lille 3). Je les en remercie très chaleureusement.
Force est de le constater : l’historiographie dédiée à la diplomatie française à travers les âges, tout particulièrement celle en langue française, reste encore, à ce jour, fort indigente. Bien sûr, au firmament de ce domaine de recherches brillent de mille feux les divers ouvrages de Lucien Bély, consacrés aux aspects modernes de cette question, je pense en particulier, parmi d’autres, à ses Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV ou au tout récent Art de la paix en Europe1, d’importants volumes aujourd’hui rejoints, par exemple, par celui de Jean-Michel Ribera, intitulé Diplomatie et espionnage. Les ambassadeurs du roi de France auprès de Philippe II. Du traité du Cateau-Cambrésis (1559) à la mort d’Henri III (1589)2, ou encore par Au service du Roi catholique. « Honorables ambassadeurs » et « divins espions ». Représentation diplomatique et service secret dans les relations hispano-françaises de 1598 à 1635, d’Alain Hugon3. Concernant la période médiévale, l’on ne peut guère retenir, au cours des dernières années, que les études très stimulantes de Françoise Autrand et/ou de Philippe Contamine4, des textes auxquels l’on s’en voudrait de ne pas associer les travaux récents d’Éva Pibiri sur la diplomatie à la cour de Savoie5. Reste que, aux côtés des États bourguignons des ducs Valois, nantis notamment d’un collectif paru il y a quelques années sur Arras et la diplomatie européenne6, des très précieux synthèse et répertoire prosopographique consacrés par Christian de Borchgrave7 aux diplomates et à la diplomatie sous Jean sans Peur et, prochainement, de l’ouvrage tiré de la thèse de doctorat d’Anne-Brigitte Spitzbarth, portant sur le même sujet, mais pour le principat de Philippe le Bon8, le royaume de France apparaît encore, pour l’heure et pour une étude approfondie dans ces domaines, comme un immense vignoble qui ne demande qu’à être vendangé. Tout spécialement, la diplomatie durant le règne de celui auquel est voué le présent volume, Louis XI, mériterait à coup sûr de plus amples développements que ceux proposés par les quelques rares articles, certes suggestifs, mais aussi nécessairement parcellaires, qui lui ont été voués au fil du temps9. C’est une contribution bien modeste10 à la thématique des rouages diplomatiques mis en œuvre durant le règne de Louis XI et, accessoirement, de leurs correspondants liégeois à même époque que je souhaite livrer ici, cette étude m’offrant la possibilité, par ailleurs, de décrire quelque peu l’image que les chroniqueurs liégeois, l’un d’eux en particulier, le plus autorisé d’entre eux, en l’occurrence, se faisaient d’un roi de France dont l’histoire, à tort ou à raison, a souvent fait sa tête de Turc. Mais, avant d’en venir à ces mécanismes, il me faut esquisser à grands traits ces affaires liégeoises dans lesquelles Louis XI ne cessera de mettre son grain de sel.
* * *
Lorsqu’il succède à Charles VII, en 1461, Louis XI se trouve confronté à un prince-évêque de Liège, Louis de Bourbon11 en l’occurrence, qui se révélera parfaitement inféodé à ses oncle et cousin les ducs de Bourgogne Philippe le Bon et Charles le Hardi, et ce malgré d’étroites attaches familiales entre Bourbon et Valois de France et des relations globalement harmonieuses entre ces derniers, tout au moins par intermittence. À n’en pas douter, le pragmatisme politique et la peur seront des facteurs déterminants dans un choix qui fut également celui des autres princes liégeois du xve siècle, tous confrontés aux politiques ambitieuses d’un Bourguignon auquel ils ne cessent de quémander un soutien politique et militaire proprement vital12. Les contacts entre le prélat liégeois et le roi de France seront dès lors assez sporadiques. L’on ne pourra cependant s’empêcher de concevoir quelque étonnement lorsque l’on aura précisé que tout un faisceau de présomptions porte tout naturellement à croire que, en 1477, Louis XI fomenta le meurtre de son homologue liégeois13, une tentative d’assassinat d’État qui avorta, certes, mais pour mieux réussir, cinq années plus tard, en 1482, le crime ayant été commis, parachevé ou tout au moins instigué par un soudard dont le roi de France avait fait une créature à sa solde, un de ses conseillers-chambellans dont il avait acheté le soutien à un prix de plus en plus fort : Guillaume de la Marck, le Sanglier des Ardennes14. C’est donc principalement sur les Liégeois et sur leurs meneurs, celui que je viens d’évoquer brièvement, mais aussi Rasse de Heers15, autre condottiere bien connu, que Louis XI focalisera son action, une action toute de promesses politiques et militaires non tenues au gré de laquelle il trahira à maintes reprises la confiance de ses interlocuteurs. Il n’est guère douteux que, de son implication dans les affaires liégeoises, Louis XI, pour sa part, se rappela pour l’essentiel quelques mésaventures fatalement tenues pour des crimes imprescriptibles. Est assurément de ceux-là l’épisode de Péronne, au cours duquel Charles, alors en pleine négociation avec Louis XI, croit pouvoir tenir pour certaine la rumeur selon laquelle, au même moment, Louis de Bourbon, l’évêque de Tricarico Onofrio de Santa-Croce, à qui Rome avait donné mission de rétablir la paix entre le prélat liégeois et ses ouailles, et même le lieutenant du duc, Guy de Brimeu, seigneur d’Humbercourt, ont tous été massacrés et Louis XI s’est rendu complice de ces forfaits : ses ambassadeurs ont été vus sur les lieux ! Ivre de rage, le duc décide alors incontinent d’anéantir la cité rebelle, avec la bénédiction d’un roi de France épouvanté, qui, plutôt que de passer par le fil de l’épée ducale, préfère abandonner et donc gruger les Liégeois. Dans la foulée, Louis XI se verra forcé d’accompagner le duc à Liège et sera bien prêt de passer de vie à trépas alors que les opérations militaires n’avaient même pas commencé. En effet, dans la nuit du 29 au 30 octobre, une escouade formée de plusieurs centaines de patriotes liégeois, les 600 Franchimontois selon la tradition, s’introduisit subrepticement dans le campement bourguignon installé près de la porte Sainte-Walburge. In extremis, les princes échapperont à la mort ou tout au moins à une capture synonyme de rançon et de reddition16.
Le quotidien des relations franco-liégeoises n’est évidemment pas fait de ces seuls événements dramatiques ; l’essentiel tient à un ensemble de contacts diplomatiques que je me propose à présent d’examiner.
Il importe tout d’abord de préciser que la quinzaine de missions diplomatiques importantes que le roi de France envoya durant son règne dans le pays de Liège a pour destinataires quasi exclusifs la population liégeoise et ses principaux leaders17. En faisant des Liégeois ses interlocuteurs, Louis XI choisissait de prendre langue non pas avec un autre chef d’État, en l’occurrence le prince-évêque Louis de Bourbon, mais avec des opposants au pouvoir de ce dernier. Ainsi donc, alors qu’il dénia à tous ses grands feudataires, à la tête d’importantes principautés, les ducs de Bourgogne et de Bretagne mis à part, le droit de mettre en œuvre une diplomatie personnelle et entendit être le seul, dans ses États, à pouvoir user de ce qui lui apparaissait, à bon droit, comme un important levier de pouvoir, le roi n’hésita pas à entretenir des relations diplomatiques avec des gens dépourvus de la moindre légitimité politique au sommet d’un État, les Liégeois, je viens de le dire, mais aussi, à l’occasion des Catalans ou des Gantois révoltés, les uns, contre le roi d’Aragon, les autres contre Marie de Bourgogne. Ce faisant, il illustre parfaitement l’un de ces paradoxes dont l’histoire l’a jugé coutumier, lequel était ne pas appliquer à lui-même ce qu’il exigeait des autres.
Durant l’ensemble de son règne, Louis XI privilégiera les ambassades éphémères et passagères, tant celles qu’il envoya que celles qu’il reçut, alors même que celles-ci, sous l’impulsion toute particulière des principautés italiennes – Milan, Mantoue… –, se muaient inexorablement en missions diplomatiques de longue durée. S’il rechignait, selon le conseil de Commynes18, à accueillir longuement à la cour de France les envoyés de ses ennemis, des espions perpétuellement en éveil selon le mémorialiste, Louis XI n’estimera pas non plus devoir mettre en œuvre cette réalité à son profit en terre étrangère, hanté qu’il était, en permanence, par le désir de tout contrôler et de restreindre au maximum la marge de manœuvre de ses officiers, ce qu’il ne pouvait évidemment accomplir dès lors qu’ils étaient loin de lui. À Prospero da Camogli, ambassadeur du duc de Milan en France un an avant l’avènement de Louis XI, et à ceux qui lui succédèrent, le roi n’opposa guère qu’un semblant d’envoyé permanent auprès du pape, en la personne du cardinal d’Estouteville, et quelques missions de longue durée pour Georges de la Trémoille et Pierre Doriole auprès du Téméraire, pour Charles Martigny, évêque d’Elne, à la cour d’Édouard IV d’Angleterre. À Liège comme dans les autres États auprès desquels Louis XI multiplia les ambassades, les délégations ne résidèrent que durant un laps de temps limité, généralement aux alentours d’un mois.
Au sujet des missions des ambassadeurs royaux français, l’on a pu dire que, contrairement aux ambassades italiennes dont les compétences seront étendues, chacune d’elles concernait une affaire unique ou un ensemble d’affaires connexes et qu’elle s’achevait lorsque les négociations qu’elle supposait connaissaient le succès ou l’échec. L’on n’a pas manqué de signaler également qu’entre ce en quoi consistaient les missions assignées officiellement par le roi de France à ses ambassades et ce dont celles-ci s’acquittaient effectivement sur le terrain, il y avait souvent comme un gouffre. L’exemple liégeois me semble, sur cet aspect des choses, comme sur la plupart de ceux évoqués ici, aller parfaitement dans le sens de ce qui précède. Quasiment chacune des délégations royales adressées à la population liégeoise se voit ou semble se voir confier la mission d’œuvrer en faveur de la paix, du rétablissement d’une entente cordiale entre Liège, son évêque et le duc de Bourgogne. Mais, à n’en pas douter, tout cela n’est qu’hypocrisie. La réalité apparaît en effet diamétralement opposée. Quelques exemples suffiront à le montrer. Vers le milieu de l’année 1464, les atteintes des Liégeois aux pouvoirs de leur prince furent rapportées par ce dernier à Philippe le Bon, lequel, attrempant son premier bouillon de courroux par encore un différemment de froideur, demanda au roi de France de les ramener dans le droit chemin. Un émissaire de Louis XI, qui avait jadis œuvré contre les intérêts des Bourguignons et que ces derniers suspectaient de vouloir recommencer, se présente donc à Liège, où il lui est fait un excellent accueil. Il se dit envoyé par le roi afin de savoir si les Liégeois, partis assiéger un château, entendaient, au retour, envahir les terres du duc Philippe le Bon, ainsi que le souverain français en avait été informé. Ayant appris qu’ils n’en avaient nullement l’intention, il fait connaître la nouvelle au roi, mais ne quitte Liège qu’après le retour de l’armée liégeoise. De cette bucolique, un chroniqueur au moins ne sera pas dupe. George Chastelain déclare en effet : Les Liégeois rentrèrent à l’ordonnance du roy, qui ce leur manda ; mais continuèrent en haulx et fiers langages, sur la fiance du roy, qui ne l’eussent osé penser, fors sous son ombre19. Dans ces conditions, l’on imagine davantage l’émissaire royal en train d’aiguillonner les Liégeois que de les appeler à davantage de retenue20. Autre exemple : le 21 avril 1465, dans l’instruction relative à la mission diplomatique qu’il dépêche à Liège, le roi, qui s’adresse à la Cité de Liège, entend lui communiquer de nos affaires et des choses nouvellement survenues au royaume, lui transmettre quelques éléments d’information à propos de l’advertissement qui nous a été fait des durs et estranges termes que le frère du duc de Bourbon, soydisant leur évêque, leur a tenus et, pour ce faire, donne à ses émissaires tous appointements, promettant par parole de Roi de les ratifier. La réalité se révélera bien différente de ce à quoi semblaient devoir conduire ces paroles vagues et lénifiantes. Le 17 juin, la délégation, au nom du roi, Marc, marquis de Bade, mambour de la principauté de Liège – en d’autres termes celui qui devait à terme remplacer un Louis de Bourbon dont Liège ne voulait plus – et la Cité de Liège, concluaient une alliance entre eux et se promettaient un appui mutuel dans la guerre qu’ils entendaient soutenir contre le duc de Bourgogne et le comte de Charolais21. Une autre affaire, très explicite : à Liège, en février 1467, après avoir assuré les Liégeois de l’amitié de son souverain et voulu connaître les motifs des dissensions existant entre le prince-évêque et son peuple, l’ambassadeur de Louis XI fera l’apologie de la paix. Mais le bruit courra également que, pro seductione communis populi, il quitta Liège pour Rome où il demanda au pape Paul II de prendre des mesures contre Louis de Bourbon22. Je mentionnerai enfin cet épisode d’octobre 1467, où, dans un premier temps, l’on voit l’un des représentants de Louis XI appeler les Liégeois à ne pas se laisser envahir par le ressentiment et à attendre les résultats d’une négociation qui a lieu à Bruxelles avant de se dresser contre le duc de Bourgogne, puis participer lui-même aux actions militaires liégeoises qui déboucheront sur le désastre de Brusthem du 29 octobre23.
Venons-en, à présent, aux hommes qui donnèrent chair aux ambassades royales françaises. Il semble, là encore, que l’exemple liégeois s’inscrive assez bien dans l’organigramme diplomatique au large éclectisme établi par Louis XI. Y prennent part, tout d’abord, ceux que l’on a pu qualifier de « gentilshommes de race adonnés au service des armes, qui, pour être de moindre envergure, pouvaient encore donner l’éclat, toujours apprécié, dans les ambassades24 ». Parmi ceux-ci, l’on retiendra, au sein de la délégation qui, en 1465, conclut avec Marc de Bade et la Cité de Liège une alliance dans le cadre de la guerre qui les opposait au duc de Bourgogne et au comte de Charolais, la personnalité éminente de Louis de Laval, seigneur de Châtillon. Ce conseiller-chambellan très écouté de Louis XI est aujourd’hui tout spécialement connu pour son mécénat25. Il n’en a pas moins été, par ailleurs, un proche du dauphin Louis, qui le nommera gouverneur du Dauphiné (1448-1461, 1483) ; il sera aussi gouverneur de Gênes (1458/9-1463), gouverneur et lieutenant général de Champagne (1465-1472), grand-maître des eaux et forêts (1466), chevalier de l’Ordre de Saint-Michel (1469)26. Doit aussi être mentionné, parmi les émissaires royaux de prestige, l’évêque de Troyes Louis Raguier (1450-1483), autre amateur célèbre de beaux livres, issu d’une famille parisienne proche du pouvoir et que Louis XI nommera à la présidence de la Cour des Aides dès 146527. C’est lui qui, à ce que l’on a dit, en 1467, après avoir vanté à Liège les vertus de la paix, s’empressa de gagner Rome pour nuire à l’évêque de Liège. Dans la foulée, à l’été 1467, prirent la tête d’une mission de conciliation entre Bourbon et les Liégeois, mission largement infructueuse du reste, un autre prince ecclésiastique, l’évêque de Langres Guy Bernard (1454-1481)28, un fidèle de Louis XI, qui en fit le premier chancelier de l’Ordre de Saint-Michel en 1469 et l’envoya prendre possession du duché de Bourgogne à la mort du Téméraire, et puis surtout le très puissant Antoine de Chabannes, comte de Dammartin (1408-1488), capitaine d’une compagnie de Charles VII puis de Louis XI entre 1423 et 1479, membre de l’armée de Jeanne d’Arc puis à la tête d’une compagnie d’écorcheurs (1437). Après avoir pris le parti du dauphin en 1440, lors de la Praguerie, il deviendra conseiller de Charles VII (1447) et organisera notamment la captivité et le procès de Jacques Cœur. Disgracié à l’avènement de Louis XI, révoqué, banni (1462) et condamné à mort (1463), il participe à la Ligue du Bien public en 1465, mais est rétabli dans la faveur du roi la même année, devient le maître de son hôtel (1467), l’aide à se tirer d’affaire à Péronne, devient chevalier de l’Ordre de Saint-Michel (1469) et exerce nombre de responsabilités politiques et militaires en Auvergne, en Champagne, en Languedoc, en Limousin, en Picardie, en Artois et à Paris. Remercié en 1479, il se ralliera aux Beaujeu en 148329. Devenu comte par son mariage et puissant par la grâce du roi, Antoine de Chabannes fait partie de ceux qui ont accompli quelque noviciat de fidélité au sein de cette pépinière de diplomates qu’était la maison du roi. À côté de ces émissaires issus des hautes sphères politiques et sociales du royaume de France, ainsi que des milieux curiaux, sans doute plus décoratifs que véritablement actifs, et d’agents qui semblent de rang intermédiaire, tout au moins au moment où ils accomplissent leur mission – l’on pourrait ainsi mentionner le trio qui rencontre les émissaires épiscopaux à Pont-à-Mousson au printemps 1478 : Jean d’Albret, seigneur d’Orval, futur gouverneur de Champagne (1488-1524), comte de Rethel, de Nevers (1490/1) et de Deux (1516)30, Jean d’Amboise, seigneur de Bussy31, et Guillaume de Hangest, comte de Dampierre et baron d’Arzillières, conseiller et chambellan de Louis XI32 – ou de plus basse extraction, dont l’on cerne plus ou moins bien le profil – je pense à Pierre Jodii, miles armatae militiae, professeur dans les deux droits, qui avait toujours une flèche à la main33, au seigneur Jean(not) de Sainte-Camelle34, au sénéchal ou bailli de Lyon d’origine lombarde François Royer35, qui prit part à la bataille de Brusthem, ou encore au sénéchal ou bailli de Vitry Thierry de Lenoncourt36, qui n’en est pas à sa première mission en 1478, il est peut-être souhaitable d’en évoquer d’autres, plus intéressants car issus des rangs de ceux que l’on a appelés à bon droit « les gens de peu aux responsabilités exorbitantes37 ». Je mentionnerai tout d’abord, pour l’année 1465, Jacques de la Royere, secrétaire de Louis XI le 21 avril 1465, qui figure dans le compte du demi-marc d’or pour les années 1471-1476, dont le contreseing apparaît dans les registres du Trésor des Chartes en mars 1477 et en février 1481 et qui est enfin lieutenant du bailli de Troyes aux environs de 1484. Et puis il y a également Aymar de Poisieu, dit Capdorat, « Tête dorée », en raison de sa chevelure d’un blond éclatant, lequel accompagne Louis de Laval à Liège en 1465. Issu d’une famille de châtelains du Dauphiné méridional dont le dauphin Louis fit la fortune, il est le maître d’hôtel et le conseiller de celui-ci dès 1444. Il reçoit diverses châtellenies et est chargé de plusieurs missions de confiance, notamment liées au mariage du roi avec Charlotte de Savoie. Louis XI le fera chevalier, bailli de Mantes et capitaine de Montereau (1461). Il est l’un des réorganisateurs de l’armée et sera, jusqu’à sa mort, en 1477, capitaine général des francs archers pour le secteur Nord-Ouest de la France38. Et puis, l’on signalera tout spécialement et en dernier lieu Tristan l’Hermite, que Charles VII dépêche à Liège à la fin 1458, chargé d’une mission qui reste totalement mystérieuse, malgré et pour tout dire à cause de ce qu’il en est dit à la cour de France39, puis qui y réapparaît sur l’ordre de Louis XI, en juin ou en juillet 1464, officiellement pour tempérer l’ardeur belliqueuse des Liégeois à l’égard du pouvoir bourguignon, dans les faits peut-être pour attiser les braises du conflit40. Issu d’une famille de petite, mais bonne noblesse, capitaine en Champagne, maître de l’artillerie, prévôt des maréchaux, sous Charles VII, un poste qu’il conservera jusqu’à sa mort, seigneur de Moulins et du Bouchet, homme de main, « redoutable instrument à châtier » de Louis XI, en Normandie et en 1466 notamment, Tristan l’Hermite est à coup sûr, avec Olivier Le Daim, qui se trouvait à la tête d’une ambassade royale française que Louis de Bourbon rencontrera à Gand début mars 147741, le chef de file de ces hommes de l’ombre auxquels le roi confia l’envers du décorum de la politique : enquêtes et arrestations de suspects, participations aux tribunaux d’exception – ceux qui condamnèrent Charles de Melun ou le cardinal Balue, en l’occurrence, pour l’Hermite42 –, espionnage, missions et tractations secrètes. En tout état de cause, grâce à ces émissaires, en particulier les derniers évoqués, et pour des tâches telles que l’assassinat de Louis de Bourbon, projeté en 1477 et concrétisé en 1482, Louis XI était parfaitement en mesure de dénicher à Liège la perle rare susceptible d’y devenir l’entrepreneur de ses basses besognes43. Je ferai encore deux remarques pour achever mon propos sur les ambassades royales françaises à Liège. Comme ambassadeurs, Louis XI usa de ses hérauts. En mai 1482, deux d’entre eux déclarèrent à Liège qu’ils étaient envoyés par le roi, que des trêves entre les deux ennemis qu’étaient Bourbon et le Sanglier avaient été proclamées à Mézières et que nul ne pouvait porter préjudice à la patrie liégeoise. Ils en profitèrent pour réclamer le retour de Guillaume de la Marck. Bien mal leur en prit, car, alors qu’ils se dirigeaient vers Chiny où résidait La Marck, un appel aux armes mena l’un d’eux à la mort, une échauffourée dont Louis de Bourbon fut rendu responsable44. Soulignons enfin qu’aucun ambassadeur envoyé à Liège n’y revint une seconde fois. Nul doute que, pour Louis XI et selon son expression, mettre « d’autres lévriers à la queue45 » constituait le meilleur moyen pour couper court à toute concession intempestive faite, au cours d’une négociation, par un ambassadeur trop indépendant ou vraiment peu perspicace.
Des nombreuses ambassades envoyées par les Liégeois au roi de France, en particulier de leur déroulement et de l’identité de ceux qui en faisaient partie, il n’est pas dans nos intentions de parler longuement ici. Il est d’ailleurs bien moins de choses à dire que sur celles que Louis dépêcha à Liège. Cela tient sans doute partiellement au fait que l’arrivée d’une ambassade liégeoise à Paris, à Tours ou ailleurs, était un fait parfaitement anodin pour la cour, et, par suite, pour les chroniqueurs qui narraient son quotidien, tandis que, parmi les auteurs liégeois, aucun émissaire du puissant ami français ne passait inaperçu et il devait être rendu compte de sa mission et de son séjour de manière aussi précise que possible. Les objectifs poursuivis lors de ces missions diplomatiques par les émissaires de la population principautaire – je dois faire l’impasse ici sur les desseins, parfois très différents, voire inverses, des représentants du prince-évêque, du chapitre cathédral de Saint-Lambert ou de la noblesse – participent toujours des mêmes préoccupations : assurer le roi de France de leur amitié, le rassurer sur leur fidélité à son égard, se justifier lorsque Louis XI soupçonne quelque crime de leur part, se mettre à sa disposition et puis surtout rappeler au roi les engagements qu’il a pris en leur faveur et l’appeler à davantage encore de soutien lorsque les Liégeois s’estiment lésés par le chef de leur État ou ses puissants amis bourguignons46. Quant à ceux qui, pour des laps de temps souvent difficiles à apprécier, se présentent devant le roi au nom de la Cité de Liège, ce sont généralement les plus hautes instances de son administration que celle-ci délègue, tout spécialement des bourgmestres, en fonction ou récemment sortis de charge, parfois pour la circonstance47.
Voilà pour les aspects techniques, si l’on peut dire, des ambassades liégeoises à la cour de France. Toutefois, à mon sens, leur intérêt historique va au-delà de cela. En effet, l’une d’entre elles tout au moins a permis à un chroniqueur liégeois d’exprimer son opinion à l’égard du souverain français, lui qui, davantage, me semble-t-il, que ses homologues, les Jean de Looz, Henri de Mérica et autres Thierry Pauwels, a eu soin d’évoquer de façon assez détaillée certaines intrusions de Louis XI dans l’histoire de sa patrie : je veux parler d’Adrien d’Oudenbosch, un moine de l’abbaye liégeoise de Saint-Laurent, né peu avant 1425 et décédé vers la fin de l’année 1482, témoin oculaire des faits qu’il commence à rapporter au plus tôt en 1469 et aussi l’une des meilleures sources narratives dont disposent les historiens pour reconstituer le passé liégeois de la seconde moitié du xve siècle48. Le chroniqueur tient le récit des événements qu’il rapporte de la bouche même d’un de leurs protagonistes. En 1461, son règne à peine commencé, le roi nourrit un ressentiment extrême contre les Liégeois et une invasion du pays de Liège par les troupes françaises paraît imminente. Louis entend manifestement refuser son pardon à ceux qui ont voulu le priver de la couronne de France et, en particulier, aux Liégeois. Une ambassade, exigée par le souverain français et que Louis de Bourbon lui-même appelait de ses vœux, mais que, paradoxalement, certains de ses partisans s’efforceront de décourager, se dirigea alors vers Paris et la résidence royale, dans l’espoir d’amender une situation pour l’heure bien compromise. Avant même d’avoir pu se réunir et, on peut le penser, élaborer un discours cohérent, les membres de la délégation furent priés de se présenter devant le roi. Celui-ci exige de savoir s’ils ont eu l’outrecuidance de vouloir le livrer à Charles VII, à l’heure où celui qui n’était encore que dauphin de France, pour le moins en délicatesse avec son père, s’était réfugié à la cour de Philippe le Bon, pourquoi ils n’y sont jamais venus le visiter et quelles peuvent bien être les raisons pour lesquelles ils adoptent à son égard un comportement différent de celui qu’ils avaient observé envers Charles VII. Le roi devient alors bien plus affable que ne l’avaient prévu les Liégeois, tout au moins avec certains d’entre eux. Car Louis XI sait parfaitement que, dans sa panoplie du parfait politique, le principe qui veut qu’il est plus facile de régner lorsque l’on a, par avance, divisé ses ennemis est des plus efficaces. Si, malgré les dénigrements de quelque émissaire princier et, à travers lui, du prélat liégeois lui-même, le roi se montra finalement indulgent ou feignit de l’être envers les représentants du peuple liégeois, adoubant certains d’entre eux ou leur faisant des présents pour la circonstance, et s’il leur accorda, ainsi qu’à leur cité, la protection qu’ils attendaient de lui, il adopta en revanche une attitude résolument distante envers les envoyés du prince et du chapitre de sa cathédrale, lesquels estimaient, pour leur part, que la protection du roi ne pouvait être ni sollicitée, ni acceptée. Les uns, accueillis à la table du roi, connaîtront l’ivresse de la jubilation, les autres, en particulier le prince-évêque, s’en retourneront à Liège en maugréant. C’est par la confirmation de trois privilèges accordés en 1460 par Charles VII que s’achève ce que l’historien liégeois Godefroid Kurth a qualifié à bon droit de « chef-d’œuvre de prestidigitation diplomatique49 », une manipulation politique très adroite dont Oudenbosch ne fut assurément pas dupe50. Mais la description, tout en finesse, de ce que l’on ne connaît que trop bien, à savoir la politique façon Louis XI, se transforme en objurgations taraudantes chez un chroniqueur liégeois qui vit au jour le jour les événements malheureux que connaissent Liège et les pays voisins en ce crépuscule du Moyen Âge, en particulier au cours de deux épisodes des plus évocateurs. Dans un premier temps, très précisément alors que, le 2 novembre 1468, après la chute de Liège, le Téméraire s’interroge sur le sort qu’il convient de réserver à la cité vaincue, Oudenbosch décrit le roi de France élaborant une réponse en forme de parabole. Il lui donne à peu près la forme suivante : « Beau cousin, sachez que mon père avait près de sa chambre un arbre très élevé dans lequel nichaient des corbeaux. Comme ils le fatiguaient par leurs croassements, à deux reprises il fit détruire le nid. Cela ne les empêcha pas de choisir le même arbre l’année suivante. Aussi mon père le fit-il abattre et, dès ce moment, il put dormir en paix ». Et Oudenbosch d’exprimer son effarement : « Voilà qui est pour le moins ahurissant : les Liégeois ont défié le duc de Bourgogne dans l’intérêt du roi. Pleinement confiants en sa personne, ils ont préféré par deux fois briser la paix, afin de mieux poursuivre la guerre, en son nom et en arborant ses armes. Et, in fine, ils ont été rien de moins que payés d’ingratitude : le roi de France n’a rien trouvé de mieux que de se dresser contre eux et d’aider de ses troupes et de ses conseils un duc de Bourgogne décidé à les exterminer »51. L’opinion d’Oudenbosch à l’égard de Louis XI n’est guère plus favorable lorsqu’il narre l’invasion française des possessions bourguignonnes dans les premiers mois de 1477 et, plus précisément, une attitude envers Marie de Bourgogne qui lui paraît totalement inadmissible de la part de celui, quam levavit de sacro fonte. Non cessat continuo ulterius damna inferre ipsi domicellae, quod est lamentabile referre de tanto principe, s’exclame-t-il. Et il conclut en disant : utens potius voluntate sua quam ratione, il mit en coupe réglée les territoires de la Picardie, de la Somme et de la Flandre, et poursuivit une guerre injuste contre sa filleule, malgré les prières et les offres de cette dernière52.
* * *
Je conclus d’un mot. J’ai tenté dans les lignes qui précèdent essentiellement de montrer combien le dispositif diplomatique appliqué par Louis XI à ses alliés liégeois, alliés à la mode de Bretagne s’entend, qu’il s’agisse du nombre ou de la qualité des ambassadeurs reçus à Liège, de l’ampleur ou de la durée de leur mission, des divergences sensibles entre celle qui leur était assignée par le roi et ce qu’ils en faisaient sur place, correspond, en de nombreux points, à ce que nous savons – mais le sujet devrait être largement approfondi – de la manière dont le roi de France concevait les échanges internationaux. Ce qu’a estimé pouvoir dire de ceux-ci celui qui est assurément l’un des meilleurs chroniqueurs liégeois du xve siècle et, plus globalement, ses propos concernant Louis XI m’ont également permis d’exposer, certes brièvement – mais je doute qu’il eût été possible d’être beaucoup plus précis –, quels pouvaient être les sentiments suscités dans l’historiographie liégeoise du temps par un souverain français, qui, et ce n’est pas contestable, s’est maintes fois joué de ceux qu’il nommait ses especiaulx amis liégeois. Aussi, lorsque, presque à l’issue de sa biographie de Louis XI, Jean Favier, tout à la fascination que lui inspire un personnage qui, à n’en pas douter, le mérite, estime que certains de ces devanciers contemporains – il parle notamment de Peter Lewis – ont cédé à l’image noire de Louis XI et qu’il semble le regretter53, peut-être oublie-t-il l’espace d’un court instant que, pour l’historien qui, en bonne et saine méthode, se fonde sur des sources et, très précisément, sur des textes comme celui d’Adrien d’Oudenbosch, tout à la fois explicite et de qualité, il ne peut guère en être autrement.