Tomber amoureuse d’une œuvre. Quelques réflexions et matériaux à propos de La langue brisée (1)

DOI : 10.54563/demeter.108

Résumés

Pauline Le Boulba revient sur La langue brisée (1) une performance qu’elle crée en septembre 2015 et dans laquelle elle partage avec d’autres spectateur·rice·s la manière dont elle est tombée amoureuse d’une œuvre. À rebrousse-poil d’une pratique critique qui garderait une distance raisonnable avec son objet d’étude, elle préconise l’affect amoureux comme geste critique et opère un geste de renversement dans le rapport œuvre-spectateur·rice.

Pauline Le Boulba gets back to La langue brisée (1) [The broken tongue (1)], a show performance she created in september 2015 where she shares the way she felt in love with a dance piece. Against the grain of a critical practice that keeps a reasonable distance with the subject of its study, she chooses love feelings as a critical gesture and operates a reversal in the dance piece-viewer relation.

Index

Mots-clés

recherche-création, réception performée, critique affectée, danse contemporaine, fiction lesbienne

Texte

La langue brisée (1) est le nom d’un solo qui a marqué officiellement le début de mon travail de recherche-création. En 2013, j’obtiens un contrat doctoral au département Danse de Paris 8 et esquisse quelques gestes performatifs avec une amie et collègue Violeta Salvatierra. Au début de l’été 2015, je suis invitée à venir présenter une forme n’excédant pas les 20 minutes pour une soirée partagée à la Ménagerie de Verre qui aura lieu en septembre 2015. J’ai tout l’été pour préparer cela.

Travaillant sur la notion de réception en danse et sur l’émergence de discours autour des œuvres chorégraphiques, je convoque, dans ma recherche, une multitude de pièces de danse. À ce moment-là, celle qui me parle le plus c’est le solo de Jennifer Lacey1, Two discussions of an anterior event (2004), dont j’ai une captation et qui me suit partout dans mon ordinateur. Je fais une description minutieuse de la pièce, j’apprends des séquences parlées et gestuelles. Certains de ses mouvements me sont impossibles à reproduire, alors je tords ses propositions à ma guise. Je prends un certain plaisir à réécrire une partition pour mon propre corps. Dans cette pièce, l’artiste revient sur un solo qu’elle a dansé dans les années 1990 et qu’elle décide de projeter en fond de scène simultanément à d’autres actions au plateau. Un commentaire est rajouté à la vidéo avec un texte auto-critique et humoristique. Son auto-dérision me touche.

Passant de plus en plus de temps à regarder cette vidéo que j’ai dans mon ordinateur, elle devient une sorte de confidente, une amie. Je la personnifie naturellement et me mets à lui parler. Je lui confie mes doutes et mes excès. Je traverse au même moment un épisode amoureux difficile et un questionnement existentiel profond. La vidéo du solo de J. Lacey devient une bouée à laquelle je m’accroche. Mon travail « théorique » semble au plus bas. Mes productions textuelles pour la thèse sont éclatées. J’écris beaucoup et des couches de matériaux textuels viennent se superposer dans le travail. Elles répondent à ma perception de cette pièce cet été-là, dans cet état-là. Le texte projeté employé par J. Lacey devient un outil que je fais mien afin de faire entendre une voix intérieure. Le texte projeté devient un support pour faire advenir une danse, la mienne, en réponse à une autre danse. Le texte projeté me permet de mettre une certaine distance avec cette parole écrite, et paradoxalement m’autorise à employer un vocabulaire érotique, charnel, polysémique, ambigu, que je ne pourrai peut-être pas employer à l’oral. À force de regarder la pièce, c’est à présent elle qui me regarde. Je ne sais plus qui agit l’autre.

Je crois qu’il y a des œuvres qui peuvent sauver des existences, qui nous redonnent du désir, qui nous font surmonter des épreuves, qui colmatent des brèches. Celle de Jennifer Lacey m’a sortie d’une mauvaise passe. Je suis tombée amoureuse de Two discussions of an anterior event.

Pour La langue brisée (1), le texte qui suit était projeté en fond de scène2.

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1 Jennifer Lacey est une artiste américaine basée à Paris depuis la fin des années 1990. Elle a collaboré entre autre avec les artistes DD 

2 Une captation (de mauvaise qualité) est disponible sur ce lien : https://vimeo.com/145301315 mot de passe : pour.toi

Notes

1 Jennifer Lacey est une artiste américaine basée à Paris depuis la fin des années 1990. Elle a collaboré entre autre avec les artistes DD Dorvilliers, Loïc Touzé, Latifa Laâbissi et la plasticienne et scénographe Nadia Lauro avec qui elle conçoit $Shot (2000) ou encore Les assistantes (2005).

2 Une captation (de mauvaise qualité) est disponible sur ce lien : https://vimeo.com/145301315 mot de passe : pour.toi

Illustrations

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Citer cet article

Référence électronique

Pauline Le Boulba, « Tomber amoureuse d’une œuvre. Quelques réflexions et matériaux à propos de La langue brisée (1) », Déméter [En ligne], 5 | Été | 2020, mis en ligne le 01 septembre 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.peren-revues.fr/demeter/108

Auteur

Pauline Le Boulba

Pauline Le Boulba est artiste et chercheuse en danse. Elle a soutenu une thèse au département Danse de Paris 8 dans laquelle elle développe le projet La langue brisée (2015-2017) composé de deux solos et d’une pièce collective avec des habitant·e·s d’une ville. Ce triptyque constitue la mise en pratique de ce qu’elle appelle des « réceptions performées ». Mêlant dans ses pièces texte projeté, prise de parole parlée et chantée, partition gestuelle et documents vidéo, elle fabrique un agencement de ces différents médiums pour fabriquer de nouveaux récits. Envisageant les œuvres des autres comme des bords depuis lesquels il est possible de s’appuyer et de délirer, elle s’attache à restituer au plateau une histoire de la danse depuis un point de vue féministe et lesbien. Elle a soutenu en 2019 au département Danse de l’université de Paris 8 une thèse intitulée Les bords de l’œuvre. Réceptions performées et critiques affectées et a publié des articles : « Le regard qui tue », Nioques, n° 20, « Danser/écrire », J.M. Gleizes, C. Sans (dir.), Paris, La Fabrique, 2019 ; « As Buffard As Possible », Journal des Laboratoires d’Aubervilliers, Cahier D, 2017/18 ; « Le bord de l’œuvre. À propos d’Une hypothèse de réinterprétation de Rita Quaglia », in Intermédialités « refaire », n° 28-29, automne 2016-printemps 2017, Montréal-Québec. URL : https://www.erudit.org/fr/revues/im/2016-n28-29-im03201/ ; et « Lire en levant la tête », in Recherches en danse, Actualités de la recherche. URL : http://journals.openedition.org/danse/1030 [publié le 21 avril2015].

Droits d'auteur

CC-BY-NC