Introduction
L’histoire de l’art n’est pas une science exacte, mais elle bénéficie depuis longtemps de l’apport des sciences exactes. Ainsi la réflectographie infrarouge permet de mieux comprendre la genèse de certaines œuvres, la dendrochronologie donne des indications sur l’âge des poutres de bâtiments du moyen-âge ou de peintures sur bois. Je présente aujourd’hui un exemple de grande actualité : l’oculométrie – c’est-à-dire l’enregistrement du mouvement de l’œil. La pertinence de l’oculométrie pour les beaux-arts est évidente. Les beaux-arts sont les arts de l’œil et l’oculométrie est l’instrument qui mesure son comportement. L’intérêt de l’oculométrie découle d’ailleurs directement de la littérature artistique : l’œil et son mouvement jouent un grand rôle dans les textes sur les arts. C’est le sujet de la première partie de l’article. La deuxième présente quelques éléments de la physiologie de l’œil, de son mouvement et des techniques d’enregistrement de ces mouvements. La troisième expose les résultats d’études de mon laboratoire.
L’œil et son mouvement dans la littérature artistique et en histoire de l’art
Il est souvent question, dans la littérature sur l’art, du mouvement de l’œil du spectateur. C’est le cas pour au moins 5% des descriptions d’œuvres d’art1. Je propose de distinguer quatre modes du parler de la dynamique de l’œil. Ces modes s’enchainent au cours des siècles, sans forcément évincer les précédents. J’expose ici les quatre étapes cumulatives.
Le mouvement de l’œil et l’attention du spectateur
Dès l’Antiquité on a constaté une relation entre l’attention du spectateur et la direction de ses yeux2. Vers 553 l’historien Procope de Césarée fait la description de l’église Sainte Sophie à Constantinople. C’est la première longue description d’une œuvre d’art plastique existante (contrairement par exemple à celle du bouclier imaginaire d’Achille dans l’Iliade). Au sujet de la coupole, Procope passe de la description de l’architecture à celle des yeux des spectateurs de cette architecture :
La voûte dorée [...] ne semble pas être posée sur l’ouvrage de dessous, mais suspendue par des chaines du haut du ciel [...]. Toutes ces parties jointes ensemble avec tant d’art, forment un merveilleux assemblage, qu’on ne peut regarder sans une agréable surprise. Les yeux ne peuvent pas s’arrêter longtemps et considérer un endroit, sans être aussitôt attirés par d’autres. Les spectateurs sont dans un transport, et dans une agitation continuelle qui procède du doute de ce qu’ils y doivent le plus admirer. Leur esprit suit le mouvement de leurs yeux, et après s’être tourné de tous côtés il demeure en quelque sorte de suspension3.
Ce passage exprime un élément essentiel de l’architecture de la Sainte Sophie : la coupole, une des plus grandes de l’antiquité, semble être appuyée sur des murs fins, ouverts par de nombreuses arcades et fenêtres. En effet, les grands piliers qui supportent son poids ne sont visibles que de l’extérieur. Tout visiteur conscient des exigences statiques est alors surpris et cette surprise est sans doute voulue par les architectes. Procope a probablement raison de penser que la stupeur est en relation avec la façon de regarder l’édifice.
La qualité esthétique du mouvement de l’œil
Filarète rédige au cours des années 1460 l’un des premiers traités d’architecture de la Renaissance. En comparant l’arc en plein cintre avec l’ogive, il plaide évidemment la supériorité de l’arc rond, celui des Romains et celui que les Florentins de la « Renaissance » construisent depuis Brunelleschi. La prédilection de Filarète n’est point surprenante. Sa justification est par contre remarquable. Au lieu de recourir à des arguments historiques, tels que la supériorité de l’antiquité, il fait un raisonnement psychologique et attribue au mouvement de l’œil une qualité esthétique :
La raison pour laquelle les ronds [c’est-à-dire les arcs en plein cintre] sont plus beaux que les aigus [les ogives] est sans doute que tout ce qui empêche plus ou moins la vue n’est pas aussi beau que ce qui la fait affluer et où rien ne retient l’œil. Et tel est le cas de l’arc en plein cintre, comme tu le vois. […] Mais ce n’est pas le cas de l’ogive, car l’œil, ou disons la vue se pointe dans l’angle et ne passe pas comme dans l’arc à plein cintre car l’ogive sort de la perfection […]4.
Filarète est à ma connaissance le premier qui attribue des qualités esthétiques aux mouvements des yeux. La relation entre les qualités esthétiques des œuvres d’art plastiques et le mouvement des yeux revient dans quelques textes du xvie et bien plus souvent du xviie siècle. Ainsi André Félibien écrit en 1663 : « Mais pour bien juger de cette belle conduite [des couleurs], il ne faut que considérer comment elles sont si judicieusement placées dans ce tableau, que l’œil passe insensiblement de l’une à l’autre, sans trouver rien qui l’offense par trop de disproportion ou de dureté5. »
Le parcours de l’œil et la composition de l’œuvre
Le troisième mode relie la composition de l’œuvre à un parcours de l’œil. Denis Diderot est le précurseur de cette forme d’expression très répandue au xxe siècle. Il s’en sert pour contraster St. Denis prêchant en Gaulle par Joseph-Marie Vien (fig. 1) au Miracle des ardents de Gabriel‑François Doyen (fig. 2).
Ce sont deux grands tableaux pour les autels de la croisée de St. Roc, glorifiant Saint Denis, patron de France et Sainte Geneviève, patronne de Paris, exposés au salon de 1767 avant d’être élevés dans l’église. Diderot fait une analyse comparative des deux œuvres d’après maints aspects, pour démontrer la supériorité de Vien, dont les formes claires et simples annoncent le néoclassicisme. Le critique passe une quarantaine de pages sur chacune de ces toiles – plus que sur aucune autre peinture dans l’ensemble de ses textes. C’est au cours de ces pages qu’il décrit le « chemin » de la composition de Vien (fig. 1) :
Voici donc le chemin de cette composition, la Religion, l’ange, le saint, les femmes qui sont à ses pieds, les auditeurs qui sont sur le fond, ceux qui sont à gauche aussi sur le fond, les deux grandes figures de femmes qui sont debout, le vieillard incliné à leurs pieds, et les deux figures, l’une d’homme et l’autre de femme vues par le dos et placées tout à fait sur le devant, ce chemin descendant mollement et serpentant largement depuis la Religion jusqu’au fond de la composition à gauche où il se replie pour former circulairement et à distance, autour du saint une espèce d’enceinte qui s’interrompt à la femme placée sur le devant, les bras dirigés vers le saint, et découvre toute l’étendue intérieure de la scène ; ligne de liaison allant clairement, nettement, facilement chercher les objets principaux de la composition6.
Le texte est suffisamment précis, pour tracer sur une reproduction du tableau la ligne dont il parle (fig. 1a).
Figure 1a
Dessin de la ligne de liaison décrite par Diderot.
© Raphael Rosenberg
Plus loin, Diderot revient sur la ligne de liaison pour souligner que le tableau de Doyen est bien médiocre de ce point de vue :
Il y a dans toute composition un chemin, une ligne qui passe par les sommités des masses ou des groupes, traversant différents plans, s’enfonçant ici dans la profondeur du tableau, là s’avançant sur le devant. Si cette ligne que j’appellerai ligne de liaison se plie, se replie, se tortille, se tourmente ; si ses circonvolutions sont petites, multipliées, rectilinéaires, anguleuses ; la composition sera louche, obscure ; l’œil irrégulièrement promené, égaré dans un labyrinthe, saisira difficilement la liaison. [...] Si elle s’arrête, la composition laissera un vide, un trou. [...] Le Miracle des Ardents de Doyen n’est pas irrépréhensible de ce côté. La ligne de liaison y est anfractueuse, pliée, repliée, tortillée. On a de la peine à la suivre. Elle est quelquefois équivoque. Ou elle s’arrête tout court. Ou il faut bien de complaisance à l’œil pour en poursuivre le chemin. Une composition bien ordonnée n’aura jamais qu’une seule vraie, unique ligne de liaison ; et cette ligne conduira et celui qui la regarde et celui qui tente de la décrire7.
L’idée d’un parcours que l’œil va suivre est devenue populaire parmi les historiens de l’art depuis la deuxième moitié du xixe siècle – par rapport aux tableaux et aux sculptures. En 1961, l’historien de l’art allemand Kurt Badt va jusqu’à déclarer que la lecture de tout tableau doit se faire par un chemin prescrit, allant en général de gauche à droite. D’après lui la lecture successive de l’œuvre au long d’un tel parcours est la méthode de choix pour l’histoire de l’art8. Même si cette méthode ne fait plus aujourd’hui partie du canon de la discipline, la description de parcours (imaginaires) de l’œil reste un accès naturel de nombreux critiques d’art.
Le mouvement de l’œil et l’histoire de la perception
Il est plus facile de décrire la modification des formes de l’art (le « développement des styles ») que d’expliquer les causes de telles transformations. Pline et Quintilien suggèrent la croissance des capacités techniques, Winckelmann y ajoute la dépendance du climat. Depuis la fin du xixe siècle les historiens de l’art conçoivent l’idée d’une histoire de la perception : l’art évolue parce que la perception évolue. Ce modèle a l’avantage de décrire des changements sans donner de verdicts qualitatifs, sans décrire par exemple l’art de l’antiquité tardive comme décadence. Moritz Thausing est peut-être le premier qui formule cette idée d’une histoire de l’art, comme histoire de la perception, lors de sa leçon inaugurale en 1873. Aloïs Riegl élargit ce concept dans son livre Spätrömische Kunstindustrie, publié en 19019. Par la suite, l’idée a eu beaucoup de succès bien au‑delà de la capitale autrichienne. Heinrich Wölfflin est l’un de ses grands propagateurs. Dès 1899 Wölfflin explique la différence entre l’art italien du xvie et du xve siècle par le mouvement de l’œil : dans la Dispute du Saint-Sacrement de Raphael :
Un courant s’établit à travers les figures, partant de la gauche et fuyant vers la droite. L’adolescent indiquant de la main le centre de la composition, les personnages agenouillés et la figure de dos conduisent notre regard, par des enchaînements successifs, vers le milieu de la fresque. [...] Ces combinaisons étaient inconnues au xve siècle. [...] Au lieu d’empiler les figures et d’accumuler les têtes, comme le font certains de ses devanciers florentins, il dégage les personnages les uns des autres et les présente sous leur aspect tout à la fois le plus caractéristique et le plus naturel. […] Au xvie siècle, les artistes ont un coup d’œil plus synthétique et embrassent les données dans leur ensemble. De là une simplification notable.10
Il y a depuis les années 1970 une renaissance de l’idée d’une histoire de l’œil. En 1975 Michel Foucault publie Surveiller et punir11. C’est une histoire de la prison comme histoire de la civilisation occidentale, mais aussi comme histoire du regard. L’Antiquité voulait, dit-il en citant Nicolas Julius, « rendre accessible à une multitude d’hommes l’inspection d’un petit nombre d’objets », alors qu’aux temps modernes l’on veut : « procurer à un petit nombre, ou même à un seul la vue instantanée d’une grande multitude12 ». Foucault reprend non seulement le concept d’une histoire de la perception, mais aussi le fatalisme d’allure hégélienne qui était ancré chez Thausing, Wölfflin et Riegl. Fatalisme qui voit l’évolution commune de l’ensemble d’une « époque ». Au même moment d’autres auteurs avaient déjà conçu une histoire de la perception moins fataliste, orientée sur des facteurs socioculturels. C’est le cas de Michael Baxandall et John Berger qui publient en 1972 des idées semblables, dans des médias différents. Ils établissent un rapport entre les formes des œuvres d’art, les manières de la perception et les habitudes tirées des circonstances culturelles. Dans la série télévisée Ways of seeing qu’il anime sur la BBC, John Berger déclare : « A large part of seeing depends upon habit and convention13. » Michael Baxandall développe plus rigoureusement le concept d’un « period eye » dans son livre Painting and Experience in Fifteenth Century Italy (traduit en français comme L’œil du Quattrocento). L’œil des Florentins du xve siècle est, d’après Baxandall, particulièrement sensible à la géométrie de l’espace. Cause en est l’enseignement approfondi de calculs géométriques. Enseignement auquel étaient soumis les écoliers florentins et qui leur permettait d’estimer la quantité de produits divers dans des emballages non encore standardisés. Suite en est un œil particulièrement sensible à la géométrie de l’espace ; œil qui se plaît aux tableaux construits selon des règles géométriques, telles que la perspective centrale : « Quand un peintre comme Piero della Francesca représentait une tente dans une peinture, il invitait son public à mesurer [...]. Il en résultait, chez le spectateur, une attention plus soutenue et mieux fixée sur la tente14. » Dans son ouvrage suivant, en 1980, The Limewood Sculptors of Renaissance Germany15, Baxandall analyse les sculpteurs allemands des xve et xvie siècles. Il y souligne le déficit des Allemands par rapport aux Italiens dans le domaine de la géométrie appliquée. Ce qui importait le plus dans les écoles germaniques était la calligraphie, la maitrise de différents modes calligraphiques et des fioritures qu’il faut savamment former et placer pour embellir la page. Cela explique, d’après Baxandall, la prédilection pour les jeux de plis de la sculpture en bois de tilleul gothique (du xve et début xvie siècle). La différence entre l’art italien et l’art allemand au xve siècle serait donc liée à la différence de l’éducation des écoliers et celle-ci cause des différences de perception : les Italiens apprécient des formes qui dérivent d’un calcul géométrique, telles que les constructions en perspective, les Allemands préfèrent les lignes aux ondulations multiples et donc la variation du pli.
Nombre de publications plus récentes – notamment par Martin Jay, Jonathan Crary, Hans Belting, Arthur Danto et Frank Büttner – témoignent de l’actualité de ces concepts d’histoire de la perception. Il reste cependant, pour la question d’une histoire de la perception, comme pour les trois autres modalités du langage sur la dynamique de l’œil dans la littérature sur les arts, une lacune fondamentale : la vérification empirique. Ces théories sont purement hypothétiques et, pendant longtemps, il n’y avait pas de moyens pour aller au-delà des spéculations théoriques. Aujourd’hui, l’oculométrie nous permet de les mettre à l’épreuve.
Quelques éléments de physiologie de la perception
Les ophtalmologues et physiologistes ont fait depuis la fin du xixe siècle de nombreuses découvertes qui nous permettent de mieux comprendre la perception humaine. J’en rappelle quelques aspects qui importent par rapport aux théories de la littérature artistique. Commençons par une coupe de l’œil : le cristallin, lentille convergente dans la partie antérieure de l’organe, focalise la lumière sur la rétine, membrane qui couvre la partie postérieure du globe oculaire. Le principe est semblable à l’objectif d’un appareil photo focalisant une image sur le capteur photosensible de la caméra. L’œil est cependant beaucoup moins uniforme et la vision humaine bien plus complexe qu’un appareil photo. La rétine contient différentes cellules photo-réceptrices de nature et fonctions variées – cônes et bâtonnets. Leur distribution sur la rétine est inégale. Les cônes permettent d’enregistrer les couleurs. Ils sont concentrés au centre de la rétine, qu’on nomme fovéa. Cela nous permet de voir de façon nette un champ d’environ 5°. En dehors de la fovéa, il y a très peu de cônes et de plus en plus de bâtonnets. Ils enregistrent la luminosité, sans voir de différences de couleurs. Ils sont plus sensibles que les cônes et particulièrement importants dans des situations de basse luminosité, comme la nuit. Ils permettent un champ de vision allant jusqu’à 120°, bien que de moins en moins net et de moins en moins coloré vers les bords. La physiologie conditionne non seulement l’espace, que nous pouvons percevoir, mais aussi la temporalité de la perception. Il faut en effet, pour voir, que l’œil reste figé sur son objet pour un bref moment, appelé « fixation » ; il ne dure en moyenne que 300 ms. Chaque fixation permet d’enregistrer un focus de 5°. Après 300 ms, l’œil saute vers une nouvelle fixation pour recueillir d’ultérieurs renseignements. Les bonds d’une fixation à l’autre sont nommés « saccades ». Ce sont des moments d’aveuglement durant moins de 100 ms. Chacun et chacune parmi nous exécute donc constamment une alternance de fixations et saccades ; en moyenne trois fois par seconde. Personne n’y échappe. Personne, cependant, n’en est conscient. Des processus cérébraux que nous comprenons de mieux en mieux nous donnent l’impression de voir, dès que nous ouvrons les yeux, un champ visuel homogène, bien plus précis qu’il ne l’est en réalité et mesurant en largeur environ 120°.
L’alternance de fixations et saccades a été décrite pour la première fois en 1879 par l’ophtalmologue Emile Javal, ami d’Emile Zola, et surtout par son assistant Lamare, dont on ne sait rien, pas même le prénom. Le premier enregistrement du mouvement de l’œil se fit vingt ans plus tard (Benno Erdmann et Raymond Dodge, 1898). Les études du mouvement des yeux débutent par des recherches sur la lecture. Les premières expériences systématiques sur le mouvement des yeux de personnes qui regardent des images et des œuvres d’art ont été réalisées par Guy T. Buswell16. Jusqu’aux dernières décennies du xxe siècle, les oculomètres étaient construits individuellement, avec d’énormes investissements de temps et d’argent. Pour les personnes testées, ils ressemblaient un peu à des instruments de torture. Il fallait des journées pour analyser des secondes d’enregistrement, pour transmettre manuellement point par point les fixations de la pupille sur l’image scrutée. La technique digitale – l’enregistrement numérique de l’image de l’œil et le traitement informatisé des données, a révolutionné l’oculométrie qui a fait des progrès énormes depuis deux décennies. Les appareils sont de plus en plus économiques, les expériences se font avec peu ou même sans aucun contact physique avec les personnes testées et il est devenu plus simple et beaucoup plus rapide d’analyser les résultats de ces expériences. En 2006 j’ai pu monter, grâce à un financement de l’agence de la recherche nationale allemande (DFG), un premier laboratoire oculométrique dans un institut d’histoire de l’art – le CReA (Lab for Cognitive Research in Art History). Au début nous avons travaillé avec des reproductions de tableaux de très haute qualité. Reproductions aux dimensions originales, avec des cadres adaptés à l’époque du tableau, accrochées sur un mur blanc. L’oculomètre (iViewX HED-HT de la firme SMI) est monté sur un casque de bicyclette. Une caméra enregistre le reflet de la pupille sur un plexiglas à travers lequel le volontaire regarde le tableau. Une deuxième caméra filme la scène regardée. La personne testée peut se mouvoir – s’assoir, se lever, se rapprocher du tableau et s’en éloigner, à condition de rester dans le périmètre qui permet l’enregistrement électromagnétique du positionnement du casque (sphère avec un radius de 1,20 m). L’oculomètre capte la position de la pupille 50 fois par seconde et en déduit l’endroit regardé.
Après mon passage, et celui du laboratoire, de l’Université de Heidelberg à l’Université de Vienne, j’ai pu acheter, en 2010, un deuxième oculomètre (SMI IViewX RED 120), qui permet un enregistrement de la pupille avec une précision temporelle majorée (120 Hz) et sans contact physique avec la personne testée. On regarde alors les œuvres sur un écran grand format de haute résolution (30”, 2560×1600 pixels). Les expériences sont devenues plus simples – pour les sujets testés, ainsi que pour ceux qui les conduisent, il est moins couteux et plus rapide d’établir de nouvelles expériences. Il y a cependant un écart majeur entre les conditions de réception d’une œuvre originale dans un musée et de la copie au laboratoire. Pour surmonter cette distance, nous faisons aussi des expériences avec des systèmes mobiles, au musée même.
L’oculométrie : un outil pour l’histoire de l’art
Revenons à l’histoire de l’art. Pourquoi se servir d’oculomètres ? Tout d’abord pour obtenir des renseignements empiriques possibles aujourd’hui sur des questions discutées depuis des siècles dans la littérature artistique. De plus, l’oculométrie semble ouvrir de nouveaux champs à l’histoire de l’art.
Le parcours de l’œil – une analyse empirique
Que se passe-t-il lorsqu’un sujet regarde les deux tableaux discutés par Diderot au Salon de 1767 et un oculomètre enregistre la position de ses yeux ? Nous avons fait cette expérience au laboratoire avec 36 participants regardant chacune des images pendant deux minutes. Je collecte deux films qui inscrivent en temps réel le parcours de l’œil de la même personne regardant les deux tableaux (fig. 3a et 3b, les films sont remplacés ici par des images de la totalité du parcours) :
Figure 3a
Parcours de l’œil d’une personne regardant St. Denis prêchant en Gaule pendant deux minutes. Les points représentent les fixations, les lignes les saccades.
© CReA, Université de Vienne
Figure 3b
Parcours de l’œil d’une personne Le Miracle des ardents pendant deux minutes. Les points représentent les fixations, les lignes les saccades.
© CReA, Université de Vienne
Les points représentent les fixations, les lignes qui les relient, les saccades. On voit bien que l’œil va en avant et en arrière. Jamais il ne trace une longue ligne de liaison comme Diderot l’avait supposé – ni en regardant le tableau de Vien, ni celui de Doyen. Les déplacements de l’œil ne sont pourtant pas aléatoires. Il y a une accumulation de fixations à certains endroits et des répétitions de saccades entre ces endroits. Pour comprendre si et comment ces accumulations et ces répétitions sont des phénomènes individuels ou communs à une majorité de spectateurs, nous avons testé un échantillon de 36 personnes – 18 experts (étudiants d’histoire de l’art ayant au moins trois ans d’études) et 18 non-experts (étudiants de la même université ayant peu d’intérêt pour les beaux-arts). Chacun et chacune regardait les deux tableaux pendant deux minutes. La position des deux yeux y était enregistrée 120 fois par seconde. Cela fait 1 036 000 points mesurés par rapport à chaque tableau. Nous utilisons pour traiter ces données le logiciel Eyetrace que je développe depuis une dizaine d’années et qui fait l’analyse des données en plusieurs étapes. La première consiste à distinguer fixations et saccades. La deuxième est l’analyse de ces deux éléments.
Pour analyser les fixations il est courant de faire tracer au logiciel des cartes de chaleur (fig. 4a et 4b) :
Figure 4a
Carte de chaleur des fixations de 36 personnes regardant St. Denis prêchant en Gaule deux minutes.
© CReA, Université de Vienne
Figure 4b
Carte de chaleur des fixations de 36 personnes regardant Le Miracle des ardents deux minutes.
© CReA, Université de Vienne
Elles montrent en rouge les endroits où se sont posées le plus grand nombre de fixations, en jaune, vert et bleu ce qui a attiré de moins en moins l’attention des participants (en moyenne des spectateurs). Ce qui est incolore n’a quasiment pas été regardé. La comparaison des deux cartes de chaleur montre une différence assez nette entre le tableau de Vien et celui de Doyen. Il y a une concentration majeure des fixations dans le tableau de Vien, avec un maximum de sept fixations par minutes (en moyenne) sur la tête de St. Denis. Par contre, dans le tableau de Doyen, aucune zone n’est rouge. Le maximum atteint juste 5 fixations par minutes – en orange sur la carte. Les centres d’intérêt (orange) sont beaucoup plus éparpillés, comme les ilots d’un archipel. Par contre les régions le plus souvent fixées dans le tableau de Vien se trouvent tout au long de la ligne décrite par Diderot (fig. 1a). Traditionnellement les saccades intéressent les psychologues bien moins que les fixations. Cependant, si on tient compte de l’attention de la littérature artistique au mouvement de l’œil, il est évident qu’elles sont pour l’histoire de l’art tout aussi importantes que les fixations. Le but du logiciel Eyetrace était justement de développer des outils qui n’existaient pas auparavant pour faire une analyse des saccades. La deuxième génération de ce programme a été réalisée par des informaticiens de l’Université de Tübingen17. Il contient plusieurs méthodes d’analyse de saccades. L’une d’entre elles consiste à détecter celles qui relient fréquemment (« frequent transitions ») des régions où se trouvent des accumulations de fixations (« clusters of fixations »). Les clusters sont définis par un nombre minimum de fixations par minutes à l’intérieur d’un cercle ou ovale d’une dimension maximale donnée. Elles peuvent aussi être obtenues en tranchant la carte de chaleur à une certaine « altitude ». Le logiciel calcule par la suite le nombre moyen de transitions entre les clusters en traçant des barres (fig. 5a et 5b) :
Figure 5a
Transitions entre les clusters de fixations de 36 personnes regardant St. Denis prêchant en Gaule deux minutes (minimum : 1 transition par minute).
© CReA, Université de Vienne
Figure 5b
Transitions entre les clusters de fixations de 36 personnes regardant Le Miracle des ardents deux minutes (minimum : 1 transition par minute).
© CReA, Université de Vienne
Ces barres sont d’autant plus larges qu’il y a plus de saccades. Ces deux visualisations ne montrent que les transitions répétées en moyenne au moins une fois par minute. Les deux images sont produites avec les mêmes paramètres et il est évident qu’il y a plus de répétions de saccades dans le tableau de Vien (fig. 5a) que dans celui de Doyen (fig. 5b). Ce qui est remarquable, c’est la similitude entre les saccades souvent répétées en regardant la toile de Vien et la ligne de liaison décrite par Diderot dans ce tableau (fig. 1a).
Une autre façon de visualiser les répétitions de saccades prend son départ dans des zones d’intérêt (« AOI : Areas of intérêt ») au lieu des clusters de fixations. J’ai par exemple tracé en jaune (fig. 6a) des AOI manuellement d’après la découpe des figures dans la description de Diderot.
Figure 6a
Carte de chaleur des fixations et transitions fréquentes entre les AOIs (minimum : 2,5 transitions par minute) de 18 non experts regardant le tableau pendant 2 min.
© CReA, Université de Vienne
Dans cette image, j’ai superposé plusieurs visuels : le tableau de Vien, le démarcage manuel des AOI, ainsi que deux analyses des données oculométriques calculées par le logiciel – la carte de chaleur des fixations et le tracé des saccades reliant souvent (au moins 2,5 fois par minute) deux AOI différentes. De plus, la couleur des barres encode la direction des saccades : plus rouge lorsqu’elles vont de gauche à droite, plus bleu si c’est l’inverse ; avec toute la gamme de violets pour les valeurs intermédiaires.
La première conclusion à tirer est que Diderot, qui n’avait pas conscience de la nature du mouvement saccadé des yeux, s’est trompé (fig. 3a) : son idée d’un parcours homogène est tout aussi fausse que le concept d’une ligne de liaison, conduisant d’un trait continu l’œil du spectateur d’un bout à l’autre. Néanmoins, la description de Diderot reflète d’une certaine façon le processus physiologique : l’œil se concentre sur certains détails et les relie maintes fois, repasse sur certains chemins et trace en somme une « ligne de liaison » semblable à celle que Diderot décrit. Cela est particulièrement évident en choisissant les paramètres de la fig. 6a, où le tracé est extrêmement proche à la ligne décrite par Diderot (fig. 1a). On pourrait dire que Diderot décrit la structure, la composition du tableau et que l’œil trace bribe par bribe cette structure. L’œil est l’instrument de l’esprit mais ses mouvements sont nécessairement multiples. C’est l’esprit – le nôtre et celui de Diderot – qui, sur la base de cette multitude, (re)construit une structure.
Il y a sans doute un lien étroit entre la compréhension de la structure et le tracé physiologique de cette structure par l’œil. Cette présomption est confirmée par la différence des mouvements des yeux d’experts (étudiants en histoire de l’art ayant au moins un bac +3) et de non experts (étudiants de la même université ne s’intéressant pas aux beaux-arts). Les experts (fig. 6a) répètent plus souvent que les non experts (fig. 6b) le tracé de la composition.
Figure 6b
Carte de chaleur des fixations et transitions fréquentes entre les AOIs (minimum : 2,5 transitions par minute) de 18 experts regardant le tableau pendant 2 min.
© CReA, Université de Vienne
Oculométrie – outil pour une histoire de la perception
L’oculométrie peut nous aider à vérifier l’hypothèse d’un « period eye » (Baxandall). Il n’est bien sûr pas possible de comparer en laboratoire les habitants de Florence et de Nuremberg du xve siècle. On peut par contre tester si, et dans quelle mesure, des différences culturelles ont une influence sur la façon dont nous percevons aujourd’hui des œuvres d’art. Pour cela nous faisons des études comparatives de sujets provenant de traditions culturelles différentes. C’est en particulier un projet de doctorat conduit par Hanna Brinkmann qui compare le regard de Japonais/Japonaises et Autrichiens/Autrichiennes. Le choix s’est porté sur le Japon, pays comparable à l’Autriche au niveau socioéconomique, mais ayant une culture esthétique visuelle clairement différente de celle d’un pays européen. Différence qui reste très claire en dépit d’une globalisation croissante. Hanna Brinkmann a testé 50 sujets à Tokyo et 50 à Vienne. Chacun et chacune regardaient les mêmes images, dix au total, deux minutes par image – quatre peintures traditionnelles de chacune des deux cultures et deux tableaux abstraits.
Il en résulte des différences évidentes et statistiquement signifiantes entre les deux groupes. Ces différences n’ont pas toujours l’ampleur que nous avions imaginée. Ainsi, sauf pour l’un des dix tableaux et contrairement à nos prévisions, il n’y a pas de différences signifiantes dans la direction des saccades entre les deux groupes. La direction de l’écriture, qui au Japon est traditionnellement verticale, mais de plus en plus aussi horizontale, ne semble donc pas avoir une influence sur la direction des saccades de ceux qui regardent des œuvres d’art. Il est par contre très clair que les sujets autrichiens se concentrent davantage sur les figures et moins sur le fond et/ou sur la surface de l’image (fig. 7a et 7b).
Figure 7a
Cartes de chaleur des fixations de 50 Autrichiens regardant chacun le Paradis de Cranach pour deux minutes.
© Hanna Brinkmann, CReA, Université de Vienne
Figure 7b
Cartes de chaleur des fixations de 50 Japonais regardant chacun le Paradis de Cranach pour deux minutes.
© Hanna Brinkmann, CReA, Université de Vienne
Cela pourrait s’expliquer par le fait que dans la peinture japonaise la surface de l’image est plus importante que dans la peinture européenne. C’est une des qualités esthétiques qui ont, depuis les années 1870, fasciné les européens et eurent de fortes répercussions sur Van Gogh, Bonnard et tant d’autres (« Japonisme »).
Les différences des deux groupes sont donc évidentes. L’analyse de la durée des fixations montre qu’elles sont même plus profondes que nous ne le pensions. Les fixations des Japonais et Japonaises sont d’une part plus courtes que celles des Autrichiens et Autrichiennes. Hanna Brinkmann a relié ce constat à la théorie d’un œil « péripatétique » japonais (Peter Pörtner) par rapport à une majeure stabilité de l’œil occidental18. Il y a, d’autre part, des différences remarquables au cours de la perception. Dès 1935, Guy Buswell a découvert qu’il y a normalement deux phases de la perception d’images : l’on essaye pendant les toutes premières secondes d’obtenir une impression générale – les fixations sont courtes, les saccades longues. Après environ 3 secondes nous allons scruter les détails – les fixations deviennent en moyenne plus longues, les saccades plus courtes. Ces deux phases de la perception de l’image ont été confirmées par bien d’autres études qui, sans mention explicite, étaient toujours conduites avec des sujets occidentaux – pour la plupart étudiants de psychologie d’universités de l’Amérique du nord ou de l’Europe. L’étude de Hanna Brinkmann confirme chez les Autrichiens ces deux phases. Il manque par contre chez les volontaires japonais une première phase clairement distincte. Les Japonais et Japonaises n’essayent pas tout d’abord d’obtenir, comme les Autrichiens et Autrichiennes, une impression générale. Cela pourrait être dû au fait que les peintures japonaises ne sont pas organisées de façon hiérarchique, comme les européennes. L’œil n’a pas de raison de rechercher dans des peintures japonaises ce qui est le plus important – c’est l’ensemble qui compte.
Cette étude montre qu’il y a des différences très claires au niveau de l’oculométrie. C’est un constat important qui ouvre de nouveaux chantiers : il faut d’une part mieux comprendre les dimensions des différences et analyser le rapport entre ces dimensions et les traditions artistiques des deux pays. Est-ce que ces différences permettent d’expliquer les « styles » de l’histoire de l’art ? Nous obtenons d’autre part des indices précieux sur le rapport entre beaux-arts et culture : est-ce-que les beaux-arts ont habitué l’œil à se comporter de façon différente ou est-ce-que des différences culturelles plus profondes ont une influence sur la création artistique ?
Champs de recherche de l’oculométrie en histoire de l’art
Les applications de l’oculométrie pour la recherche sur les beaux-arts sont nombreuses. Elles dépassent non seulement le temps d’une conférence, mais certainement aussi les lisières de ma fantaisie. Les études que nous conduisons actuellement au CReA s’inscrivent dans trois directions différentes. J’en dresse une liste sommaire avec quelques références :
a) Nous vérifions des hypothèses courantes en histoire de l’art :
- au sujet d’œuvres d’art spécifiques (Aufreiter, 201419 ; Rosenberg, 2014)
- au sujet d’aspects spécifiques, de caractéristiques générales d’œuvres d’art, telle que l’abstraction (Brinkmann et al., 201420), la complexité (projet de doctorat par Laura Commare), la narrativité (projet post-doc par Klaus Speidel, financé par le FWF), l’effet esthétique des lignes et des couleurs (projet Universal Aesthetics of Lines and Colors? Effects of Culture, Expertise, and Habituation financé par le WWTF)
b) Nous essayons de détecter les différences parmi plusieurs groupes de spectateurs et d’en dériver les facteurs qui déterminent la perception de l’œuvre d’art :
- différences d’âge (Brüner, 201721)
- différences de genre
- différences de culture (Brinkmann, 201722)
- différences entre experts et non experts (Rosenberg, 2011 et 201423)
c) Nous analysons l’influence des circonstances sur la perception d’œuvres d’art :
- différence entre musée et laboratoire (Brieber et al., 201424/ Thalwitzer et al. 201525)
- différence entre spectateurs silencieux et spectateurs qui décrivent ce qu’ils voient (Klein et al., 201426)
- influence des guides audio sur la perception (Pitnik, 201727)
L’oculométrie crée une nouvelle base de recherche sur des questions longuement discutées en histoire de l’art. Elle ouvre des perspectives inédites pour des champs qui semblaient inaccessibles. Je clos mon article avec un dernier exemple. Il s’agit d’un projet conduit avec Klaus Speidel sur la narratologie de l’image. Les narratologues ont souvent nié qu’une image puisse raconter une histoire. Leur argument est banal : contrairement au texte, l’image n’a pas de temporalité propre ou du moins pas de temporalité objective. C’est un argument qui remonte à la distinction de Gotthold Ephraim Lessing entre les arts du temps et les arts de l’espace (Laokoon oder über die Grenzen der Mahlerey und Poesie, 1766). Or il est bien évident que les beaux-arts dépendent aussi du temps. Il faut du temps pour percevoir la statue du Laocoon (l’exemple de Lessing) de même que pour tout tableau. La vraie question est donc si la temporalité de l’image est objective. Est-ce que plusieurs spectateurs regardent les éléments d’une même image dans le même ordre ? Et si oui, dans quelle mesure ? Est-ce qu’ils perçoivent l’agencement des éléments constitutifs de l’histoire de la même façon ? Au-delà d’une analyse classique de la composition, l’oculométrie permet de comprendre si les peintures d’histoire racontent une histoire et pour quel public.
Prenons par exemple la Conversion de Saint-Paul par Pieter Brueghel.
Le tableau cache l’essentiel : la chute de Saul, condition physique de sa conversion spirituelle. Nos volontaires – 10 non experts et 10 étudiants en histoire de l’art (niveau bac +3) – ont regardé ce tableau, chacun pendant deux minutes. Il en ressort qu’aucun ne découvre Saul qui tombe de son cheval, pendant les premières secondes de l’observation.
Les non-experts s’intéressent moins à ce détail qu’à beaucoup d’autres. Les experts par contre se concentrent sur cette petite scène essentielle pour le sujet du tableau, mais seulement après un certain temps. Il leur faut environ une demi-minute pour découvrir la conversion. Il y a donc, d’une part, l’ordre très individuel du parcours de chaque spectateur, avec ses fixations et saccades, mais il y a aussi une temporalité commune aux spectateurs experts qui se concentrent, après une demi-minute, sur la scène essentielle du tableau. Le temps nécessaire aux experts pour découvrir la chute du chevalier est remarquablement long. C’est pour cela que, lorsque la chute a été découverte et reconnue il survient une conversion du spectateur, qui va se concentrer sur ce détail. Nos experts sont des étudiants et étudiantes d’histoire de l’art. Ce ne sont pas des personnages « historiques » mais ils et elles sont plus proches du public prévu par le peintre au xvie siècle que les non-experts.
Conclusion
Mes recherches s’inscrivent dans l’ancienne perspective d’une psychologie de l’art que j’aime qualifier comme recherche cognitive sur l’art28. C’est un champ qui réunit des méthodes traditionnelles – les questionnaires en particulier – et des méthodes psychophysiologiques innovatrices, telles que l’électroencéphalographie ou l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Je pense que parmi ces techniques l’oculométrie est, pour l’histoire de l’art, actuellement la plus performante. Mes recherches se concentrent sur la perception du spectateur de l’œuvre d’art. Dans le futur il sera sans doute intéressant d’étudier aussi les paramètres de la production des œuvres d’art en faisant des expériences d’oculométrie avec des artistes en action. Quoi qu’il en soit, je ne m’attends pas à ce que dans le futur l’oculométrie devienne une technique courante de l’histoire de l’art – pas du moins au même titre que l’analyse des formes ou des contenus. L’application de l’oculométrie sera plutôt comparable aux techniques qui nous ont permis d’analyser les couches sous-jacentes de tableaux (radiographie, réflectographie infrarouge) : quelques spécialistes utilisent ces instruments au bénéfice d’une multitude de chercheurs qui connaissent ces techniques de façon moins avancée mais qui ont appris à interpréter leurs résultats.