Du neuromarketing à Eisenstein : l’oculométrie à la croisée des chemins

  • From neuromarketing to Eisenstein: eye-tracking at a crossroads

DOI : 10.54563/demeter.1765

Abstracts

Les développements de l’oculométrie à la croisée du marketing et des neurosciences sont connus. Harun Farocki l’avait en partie montré dans son documentaire intitulé Les Créateurs des mondes d’achat (2001). L’étude des mouvements oculaires trouve en outre un prolongement biométrique du côté des sociétés de contrôle contemporaines, lesquelles transforment notre système de vision en une donnée d’identification, au même titre que la reconnaissance faciale. L’oculométrie se déploie également dans le domaine des études filmiques, surtout dans le monde universitaire anglo-saxon. L’examen du mouvement des yeux sur des images elles-mêmes en mouvement peut faire l’objet de différents usages, dont certains se focalisent principalement sur l’attention que nous portons à la narration filmique. En découlent des règles formelles et scénaristiques destinées à établir une sorte de « synchronie attentionnelle » devant l’image, signe que l’intérêt du public pour le film se maintient dans le temps de son déroulé. Plusieurs problèmes se posent cependant : que faire des mouvements oculaires qui ne correspondent pas à cette synchronisation des regards ? Comment mesurer ce qui échappe à l’élément narratif dans un film, sur lequel l’oculométrie se concentre ? Et, par ailleurs, comment comprendre des conceptions du cinéma qui entendent forcer le regard (comme en témoigne le « ciné-poing » d’Eisenstein) ou diriger le spectateur (comme s’en vantait à juste titre Hitchcock), sans pour autant tomber dans la dimension normative du neuromarketing actuel ? Il s’agira moins ici d’utiliser l’oculométrie pour vérifier la pertinence de ces conceptions, que de considérer ses mesures comme une voie possible pour remonter vers un acte de création toujours singulier. Un détour par le « troisième sens » de Roland Barthes nous permettra d’ouvrir la science de l’eye-tracking pour la déplacer du côté d’un incommensurable filmique.

Developments in eye-tracking at the crossroads of marketing and neuroscience are well known. Harun Farocki demonstrated this in part in his documentary The Creators of the Shopping Worlds (2001). The study of eye movements has also found a biometric extension in contemporary society of control, which transform our vision system into a form of identification data, in the same way as facial recognition. Oculometry is also being applied to film studies, especially in the Anglo-Saxon academic world. The examination of eye movement on images that are themselves in motion can be put to a variety of uses, some of which focus primarily on our attention to filmic narrative. The result is a set of formal and scenic rules designed to establish a kind of “attentional synchrony” in front of the image, a sign that the audience’s interest in the film is maintained as it unfolds. A number of problems arise, however: what to do with eye movements that don’t correspond to this gaze synchrony? How can we measure the non-narrative elements of a film, on which eye-tracking focuses? Moreover, how can we understand conceptions of cinema that aim to force the gaze (as evidenced by Eisenstein’s “kino-fist”) or direct the viewer (as Hitchcock rightly boasted), without falling into the normative dimension of today’s neuromarketing? The aim here is not so much to use eye-tracking to verify the relevance of these conceptions, as to consider its measurements as a possible pathway back to a creative act that is always singular. A detour via Roland Barthes’ “third sense” will enable us to open up the science of eye-tracking and move it towards a filmic immeasurability.

Outline

Text

Introduction

Les mesures de nos mouvements oculaires sont en train de devenir les nouvelles données biométriques des sociétés de contrôle actuelles. Au même titre que nos empreintes digitales enregistrées dans nos passeports, la manière dont nos yeux se meuvent et se fixent sur un objet s’inscrit toujours davantage dans des processus d’identification qui couvrent désormais des pans entiers de nos existences, qu’ils soient biologiques, comportementaux ou économiques. De fait, les mesures oculométriques, avec leurs cartes de chaleur (heatmap, où les degrés d’attention se caractérisent par des variations chromatiques) ou leurs points de fixation colorés aux contours évolutifs, constituent peu à peu des éléments déterminants d’un big data sans frontières. Leur examen prolonge les procédés de reconnaissance faciale dans les fichiers électroniques de la police. Il s’agit de traquer notre regard, comme l’indique sans détour l’expression anglaise qui désigne la technique de mesure des mouvements organiques de notre système visuel : l’« eye-tracking », ou oculométrie en français.

L’eye-tracking s’est surtout développé depuis une vingtaine d’années dans le domaine du marketing, en vue d’étudier les habitudes de consommation des clients dans les rayons d’un supermarché ou d’un centre commercial. Ainsi, les déplacements du regard devant un rayonnage de jus de fruits peuvent être analysés de façon détaillée, dans l’optique de déterminer quelles marques ont réalisé le packaging le plus « impactant ». Dans un documentaire visionnaire, Les Créateurs des mondes d’achat (2001), Harun Farocki montre comment il s’agit pour ces « créateurs » d’engendrer une addiction à la consommation, et comment aux vieilles méthodes d’anticipation des actes de shopping, qui reposent en amont sur l’analyse des dessins ou maquettes de grands magasins, s’agence cette nouvelle technique de l’eye-tracking. À la suite d’une discussion féroce entre professionnels à propos des plans d’architecte d’une galerie marchande, Farocki insère en gros plan dans son film l’œil d’un client-cobaye dont on suit à la trace les mouvements rétiniens, passant d’une enseigne à une autre, comme capturé, tel un animal en cage, dans les rets de l’expérimentation marketing. L’examen des mouvements de l’œil entend ainsi déterminer à l’avance les mouvements du corps à l’intérieur des nouveaux temples de la consommation :

Les regards comme les trajets des clients doivent être conditionnés par l’architecture et par la mise en scène des produits. Pour parvenir à ce but, « les créateurs des mondes d’achat » simulent dans leurs ordinateurs jusqu’à mille schémas d’une seule et même surface de vente, des échantillons de personnes sont placés devant des séries d’images du centre commercial, les mouvements de leurs pupilles scannés par l’ordinateur permettent d’étudier l’enchaînement des regards et d’en déduire l’aménagement de l’espace1.

Les usages de l’oculométrie ne figurent toutefois pas seulement dans les nouvelles stratégies de surveillance des populations, ni ne se limitent aux avancées du neuromarketing, cette redoutable alliance entre les neurosciences et l’étude des comportements de consommation2. On les retrouve également au sein de diverses technologies, en particulier médicale, comme dans la chirurgie ophtalmologique, puisque de plus en plus d’interventions sont soumises à un dispositif d’eye-tracking qui permet à la machine utilisée par le médecin d’opérer le patient de la manière la plus précise possible, en réduisant considérablement les risques d’accident. La téléphonie mobile y est également partie prenante : le Galaxy S4 de Samsung proposait il y a quelques années un procédé dit de « Scroll Eye-tracking », favorisant le défilement et l’arrêt d’un flux d’images ou de textes grâce à un mouvement combiné de la tête et des yeux, tandis qu’un modèle postérieur, le Galaxy S9, a mis en place un système de déverrouillage oculaire qui fonctionne après paramétrage du regard de l’utilisateur depuis l’écran de son téléphone.

Des recherches se développent par ailleurs pour inclure l’eye-tracking dans les pratiques du jeu vidéo ou de la Réalité Virtuelle (VR). Il s’agit de faire en sorte que le regard du joueur devienne un vecteur de récit, au sens où sa fixation sur une figure par exemple vue de dos, entraîne celle-ci à se retourner et à interagir directement avec son avatar. Un film a récemment mis en scène les possibles de cette interaction vertigineuse entre le monde virtuel du jeu et la réalité du corps du joueur : Ready Player One de Steven Spielberg (2018). Celui-ci projette son protagoniste principal (Parzival, interprété par Tye Sheridan) dans un enchaînement d’actions dont la vitesse semble concurrencer celle du mouvement de ses yeux (la durée d’une saccade oculaire, qui correspond au mouvement entre deux positions de l’œil, varie selon les psychologues de la perception entre 15 et 30 millisecondes). Tout se passe comme si cette vitesse optique, rendue sensible par le rythme des éléments qui parcourent l’image – bolides, corps appareillés, monstres volants... –, renvoyait à la vitesse des flux d’informations à l’intérieur des environnements numériques dans lesquels ces éléments sont produits. L’œil pénètre dans les processeurs de l’ordinateur en même temps qu’il se retrouve sous la dépendance d’un code informatique dont les créatures virevoltantes portent notre regard à sa limite.

Les mouvements de l’œil avant l’oculométrie

Il ne s’agit évidemment pas ici de cette « union cinétique de l’homme et de la machine3 » vouée, chez les pionniers du cinéma comme Abel Gance ou Dziga Vertov, à la fabrication d’un homme nouveau par le septième art. Il s’agit plutôt d’une confrontation quantitative entre deux vitesses : celle de nos mouvements oculaires et celle des mondes numériques dans lesquels nous baignons, la première épousant les excès rythmiques de la seconde, sans que ces hautes vitesses soient portées par un quelconque horizon émancipateur. Le montage « cut » du blockbuster a remplacé le « ciné-œil » de L’homme à la caméra, en même temps que le cinéma, « mouvement de tous les mouvements », s’est délesté de son objectif « qui les assemble tous mais aussi celui qui fixe en symboles leur communauté », et cela en vue de constituer « la grande symphonie du jour4 ».

Notons d’un point de vue historique que le désir de mesurer les déplacements oculaires n’est pas contemporain de l’apparition des techniques de l’eye-tracking. Il existe en effet plusieurs précédents. Diderot, dans ses chroniques des Salons de la seconde moitié du xviie siècle, scrutait ainsi certains tableaux en essayant de décrire simultanément les mouvements de son regard : un exercice d’écriture destiné à rendre le mécanisme de notre système de vision5. Dans les années 1920, puis exemplairement dans La Vision en mouvement (1947), László Moholy-Nagy formulait autrement cette même volonté de suivre les mouvements oculaires qui arpentent cette fois des supports d’images fixes et animées6. Nul doute que l’un et l’autre auraient diversement été intrigués par les outils actuels de mesures oculométriques, comme l’auraient été sans conteste certains réalisateurs pour qui il s’agit de modeler, voire de forcer le regard (comme Sergueï Eisenstein l’expérimente avec son « ciné‑poing ») ou encore d’entreprendre une « direction de spectateurs » (comme Hitchcock le déclara à Truffaut à propos de Psychose)7. On imaginerait mal le cinéaste soviétique du montage des attractions ne pas se rapprocher d’un outil qui tente d’établir comment se meut le regard du spectateur devant l’écran, surtout quand celui-ci est pris dans un « contrepoint visuel » qui « explose, avec une intensité croissante, dans le conflit de montage », en vue de créer un communisme proprement cinématographique8. À condition de préciser que ce « contrepoint visuel » appelé de ses vœux par Eisenstein – contrepoint à vocation universelle, donc, mais toujours soucieux de la singularité de chaque regardeur – trouve son contrechamp malheureux dans le prototype du consommateur isolé, esseulé, dont les mouvements oculaires sont cannibalisés par des valeurs capitalistes qui cherchent avant tout à consolider les règles de l’efficacité marchande.

Hitchcock, pour sa part, aurait en effet manifesté un intérêt certain pour l’eye-tracking. Ce dispositif aurait au moins suscité sa curiosité pour savoir si une convergence des regards était produite par ses réalisations – convergence vers des êtres ou des objets qui serait comme la preuve d’une « direction de spectateurs » en acte, où la faculté de voir sollicite directement une faculté de penser les individus comme les relations dans lesquelles ils interagissent. Une « direction de spectateurs », voire un « contrôle de l’univers », si l’on en croit Jean-Luc Godard dans l’épisode éponyme (4A) de ses Histoire(s) du cinéma9. D’après lui, Hitchcock a réussi là « où ont échoué Jules César, Hitler, Napoléon »… Car ce sont bien « un milliard de spectateurs » qui se souviendront de détails ayant aimanté leur regard (le chignon de Madeleine dans Vertigo, un trousseau de clés dans L’Inconnu du Nord-Express, etc.), à tel point qu’ils en oublieront l’histoire que ces mêmes films racontent à l’écran. La position de Godard, aussi personnelle soit-elle, permet par ricochet de mettre en lumière l’un des usages récurrents de l’eye-tracking dans les études filmiques, qui concerne la place du fait narratif dans les analyses oculométriques. Car l’idée d’aller au cinéma pour suivre une histoire constitue l’un des attendus centraux des spécialistes qui intègrent les mesures oculométriques à leurs analyses filmiques, prétextant que là réside l’horizon d’attente principal des spectateurs devant un écran.

Tyrannie du film ?

C’est le cas en particulier de Tim J. Smith, chercheur britannique en psychologie cognitive salué par David Bordwell10. Pour Smith, en effet, le spectateur de cinéma attend surtout d’un film une « information visuelle » qui doit le conduire à suivre son récit sans heurt. D’où la nécessité selon lui de placer cette information au centre de l’image, pour que notre attention ne soit pas troublée, et que la mémoire du spectacle filmique dans sa continuité ne soit pas altérée. Smith énumère à cet égard quelques éléments saillants qui, dans l’image, permettent d’attirer l’attention de l’observateur : l’expression d’un visage, des mains qui bougent, tout mouvement de translation qui traverse le cadre. L’objectif à atteindre est essentiellement narratif, et l’une des hypothèses centrales des travaux de Smith consiste à développer l’idée d’une nécessaire « synchronie attentionnelle » suscitée par la vision d’un film. D’après lui, cette « synchronie » est décisive si les cinéastes ne veulent pas diminuer l’intérêt que le public porte à une œuvre filmique. Idéalement, il faudrait que la dynamique des mouvements et des expressions qui animent une scène « conduisent tous les spectateurs à regarder au même endroit [de l’image], au même moment11 ». Bordwell, à son tour, citera Robert Zemeckis pour souligner que cette focalisation collective du regard sur un pan défini de l’image est justement ce qu’un·e cinéaste souhaite conquérir : « la chose la plus importante, selon Zemeckis, étant que le public regarde là où vous voulez qu’il regarde ». Mais c’est pour aussitôt circonscrire la pensée de l’auteur de Retour vers le futur du côté d’une exigence narrative plutôt que formelle, en rappelant que la « tâche » première du cinéma, c’est « l’histoire » racontée, sa « compréhension » demeurant notre « souci premier quand nous regardons un film mainstream12 ».

Ainsi se déploie le processus d’attention dit de « top-down » dans la terminologie de la psychologie expérimentale, où la saisie progressive des éléments narratifs d’une œuvre cinématographique prime sur les intentions plastiques que l’on prête à son auteur. Les mouvements oculaires guidés par le « top-down » s’effectueraient ainsi indépendamment d’une volonté d’art attribuée au réalisateur ou à la réalisatrice du film. Comme l’écrit encore Bordwell, la « perception top-down informe notre vision en fonction de ce que l’on attend, de ce que l’on se remémore ou de ce que l’on habitude de croire dans ce monde13 ». Le cadrage des images, par exemple, ou plus largement tout travail de composition deviennent alors des préoccupations superfétatoires, même s’ils influent indéniablement sur notre appréhension du récit. Un regard attentif aux formes filmiques exigerait davantage une observation de type « bottom-up », soucieuse d’étudier les mesures oculométriques récoltées pour ensuite remonter vers l’acte de création dont dépend l’esthétique filmique. Dans le jargon des neurosciences, cette dernière démarche relève surtout d’une « tyrannie du film » qui ferait abstraction des attentes d’un public ordinaire, lequel, encore une fois, irait d’abord au cinéma pour prendre du plaisir aux histoires qu’il raconte14.

Les deux types d’attention que sont le « top-down » et le « bottom-up » ne se placent pas pour autant dans un rapport d’opposition. Il est difficile en effet d’imaginer une perception « top-down » d’un film sans une observation « bottom-up » qui en émane, et inversement. Si l’on suit le raisonnement de Tim Smith, la « synchronie attentionnelle » est bien la résultante d’une « tyrannie du film ». Mais le fait est que la conception du cinéma qu’elle implique réinjecte du « top-down » dans notre expérience de spectateur, puisque le septième art y est réduit à l’expression d’un scénario filmé qui doit tenir le public en haleine. En ce sens, ladite tyrannie n’est pas séparable d’autres qui constituent le lot commun de la société marchande : la tyrannie d’une réclame à la télévision, celle d’un écran publicitaire dans le métro, celle encore d’une « story » sur Instagram… D’une certaine manière, l’oculométrie joue ici, dans le champ du cinéma, le même rôle que dans le domaine du neuromarketing : elle sert à la fois à mesurer les effets de capture de notre attention (et la carte de chaleur, alors, doit être dominée par une zone rouge, preuve d’une attention synchronisée) et aide parallèlement à vérifier que le désir de récit des spectateurs est satisfait (si les mesures font apparaître des points de fixation du regard trop dispersés sur la surface de l’image, c’est que ce désir est contrarié).

Eye-tracking et émotion filmique

On l’aura deviné, notre perspective d’étude est autre : elle consiste à avancer l’idée qu’un Eisenstein ou un Hitchcock, voire même un Zemeckis, s’ils entendent faire différemment du médium filmique un appareil de capture de notre attention, ne sont pas pour autant des « tyrans » du cinéma qui voudraient imposer un point de vue définitif au détriment de tous les autres. Nous croyons au contraire que chaque point de vue est la conséquence d’un style unique qu’il appartient à l’amateur de cinéma d’éprouver au niveau des émotions qu’il suscite, ou des savoirs qu’il engendre. Quand Deleuze écrit que « rien ne se passe pas dans la tête du spectateur qui ne provienne du caractère de l’image15 », un chercheur comme Tim Smith dirait qu’il retrouve une « tyrannie du film » qui s’impose à l’observation d’un public fatalement passif. Or c’est tout le contraire qui est en jeu ici, car ce qui « [provient] du caractère de l’image » renvoie pour Deleuze à la création d’un espace-temps cinématographique qui signe un accroissement, une « multiplication de l’émotion » que nous pouvons ressentir devant un film16. Cette émotion peut nous traverser n’importe quand, devant n’importe quelle œuvre filmique ; il n’y a pas de privilège de genre ni de hiérarchie de goût. Pour le dire avec les mots de la psychologie expérimentale : le « bottom-up » peut également être libérateur…

À quoi pourraient donc servir les mesures oculométriques dans le cadre d’une approche esthétique de ce type ? L’objectif premier est de remonter vers l’acte de création, en prenant simplement au sérieux l’hypothèse d’une conception non « tyrannique » du film. Les données récoltées permettraient d’établir une sorte de cartographie du regard à partir d’un échantillon de spectateurs et de spectatrices, cinéphiles ou non, en scrutant les éventuelles synchronisations du regard, mais aussi bien les mesures qui ne témoignent pas forcément d’une attention portée aux points centraux du récit. Des détails en apparence insignifiants seraient ainsi révélés dans le déroulé d’une séquence, insignifiants pour le déroulement de l’intrigue. Il ne s’agit pas, autrement dit, de considérer l’oculométrie dans une perspective vérificationniste, même si la tentation est grande de mettre à l’épreuve la « direction de spectateurs » au prisme de la « synchronie attentionnelle » à laquelle aspirait Hitchcock avec ses propres moyens. Il s’agirait plutôt, en plus d’une perception en « bottom‑up » susceptible de mettre en avant une intention cinématographique, de porter sa vision sur des « gisants dans l’image », si l’on reprend un terme cher à Sylvie Lindeperg : des gisants toujours déjà là et pourtant demeurés non vus, y compris et surtout quand ils échappent à la volonté de celle ou celui qui filme17. Les mesures d’un regard anonyme nous porteraient alors du côté d’un fragment présumé quelconque de l’image, mais ce quelconque est potentiellement porteur d’un signe faisant sens, un « troisième sens » qui ne relèverait ni d’un scénario plus ou moins élaboré, ni d’un symbole auquel on pourrait le rattacher.

Figure 1 à 4

Figure 1 à 4
Figure 1 à 4
Figure 1 à 4
Figure 1 à 4

« Photogrammes » d’Ivan le Terrible d'Eisenstein analysés par Barthes dans son texte « Le troisième sens », avec des mesures oculométriques réalisées en 2014 avec l'aide de Laurent Sparrow (SCALab, Université de Lille).
© Droits réservés

« Le troisième sens », on le sait, est le titre d’un article que Roland Barthes fait paraître en 1970 dans les Cahiers du cinéma. Ces « notes de recherche sur quelques photogrammes de S. M. Eisenstein » – c’est le sous-titre de ce texte – rencontrent, directement ou indirectement, le problème des zones de l’image où un œil se focalise, engendrant un sens spécifique pour l’observateur. Le premier sens correspond étroitement à celui que les représentants de l’eye-tracking utilisent dans son versant marchand, avec ses avatars élargis du côté du cinéma : l’image est un message, et ce message sert à communiquer. C’est le « niveau informatif », celui d’une connaissance principalement narrative, soit l’horizon d’attente premier d’un public de cinéma si l’on se souvient des réquisits de Bordwell ou de Tim Smith en matière d’expérience filmique. Le second sens correspond à un « niveau symbolique », potentiellement « stratifié », qui ne relève plus de « la science du message », mais davantage des « sciences du symbole » précisément : « psychanalyse, économie, dramaturgie »18. Ce second sens renvoie pour Barthes à la « signification » à proprement parler, laquelle est « immédiatement » donné, et traduit « très classiquement » une émotion, un désir, un trait de pensée. C’est pourquoi il est rattaché au « sens obvie », et chez Eisenstein, ce qui est certain, obvious (en anglais), c’est « la classe ouvrière, sa puissance et sa volonté » : c’est elle que son cinéma symbolise, et la libération du peuple constitue sa signification à la fois profonde et évidente19. Le ciné-poing d’Eisenstein s’inscrit dans ce contexte révolutionnaire, et il incarne en puissance une entreprise « tyrannique », si l’on reprend cet adjectif aux psychologues de la perception qui s’intéressent à l’effet des films sur leur public.

L’image en excès

D’une certaine manière, rien ne semblerait davantage relever d’un « bottom-up » étouffant que le cinéma d’Eisenstein, dont l’art est tout sauf « polysémique » selon Barthes, dans la mesure où « il choisit le sens, l’impose, l’assomme » : « le sens eisensteinien foudroie l’ambiguïté20 ». Et pourtant, il y a de l’excès chez le réalisateur soviétique, quelque chose qui déborde les sens de la communication et de la signification, qui leur résiste même de façon irrésistible. D’un coup, « le sens dramatique [d’un] épisode » n’a plus d’intérêt pour le spectateur, et la narration devient superfétatoire. Même « la psychologie, l’anecdote », qui pourraient nous ramener au deuxième sens, se transforment en un champ de futilités sans épaisseur21. Barthes fait par exemple référence au photogramme montrant le visage plein de douleur d’une vieille femme dans le Cuirassé Potemkine. D’un côté, il y a la « signification pleine » à laquelle renvoie la situation de cette « femme pleurante » : « les paupières fermées, la bouche tirée, le poing sur la poitrine » face à un deuil injuste ; de l’autre, le regard se trouve attiré « dans la région du front » où un sens obtus s’obstine : « la coiffe, le foulard‑coiffure » qui défont les deux premiers sens pour nous plonger dans le troisième, là où la vision s’attache à un détail qui à la fois la dessaisit et la capture22. D’où la question posée à l’oculométrie : comment mesurer un incommensurable qui émane de l’image ?

Le sens obtus désoriente ainsi le regard, le dépossède de ses repères stables. Et en effet le problème demeure de savoir quelles mesures oculométriques rendraient sensible ce « troisième sens » qui s’impose à l’œil sans pour autant le forcer. À moins que les mesures en eye-tracking des photogrammes d’Eisenstein, dont parle Barthes, dès lors qu’on les déleste de l’obsession d’une synchronisation des regards, mettent en lumière ces détails « obtus », ces éléments supposés insignifiants qui échappent à nos habitudes rétiniennes. Là où une attraction du regard s’opère sans qu’on puisse nécessairement l’anticiper23. Bien sûr, il serait aisé de prétexter que le troisième sens renvoie à une pure subjectivité qui l’éprouve, et d’abord à celle de Roland Barthes. Nous ne croyons cependant pas que l’argumentation barthésienne bascule dans un impressionnisme sans consistance objective, puisque c’est toute velléité à atteindre une objectivité définitive de notre regard sur les images qu’elle permet en retour d’interroger. Et ce sont autant de questions adressées à l’oculométrie comme science de notre système visuel qui surgissent alors.

Barthes, d’ailleurs, n’était guère allergique aux tentatives scientifiques d’explication de ce système. Dans un texte moins célèbre que d’autres, paru sept ans après l’étude sur Eisenstein et intitulé « Droit dans les yeux », Barthes fait une référence directe à la « neuro-psychologie », laquelle « a bien établi comment naît le regard » :

Dans les premiers jours de la vie, [écrit Barthes,] il y a une réaction oculaire vers la lumière douce ; au bout d’une semaine, le bébé essaye de voir, il oriente ses yeux, mais d’une façon encore vague, hésitante ; deux semaines plus tard, il peut fixer un objet proche ; à six semaines, la vision est ferme et sélective24.

Et de se demander ensuite, dans un parallèle saisissant entre ce que l’on voit à l’extérieur et le rythme de notre développement intérieur : « ne peut-on pas dire que ces six semaines-là, ce sont celles où naît l’“âme” humaine ?25 ». Barthes n’invoque pas l’analyse objective d’un examen génétique des mouvements de l’œil. Mais il est clair que s’il avait disposé d’un oculomètre, il l’aurait utilisé pour tester au moins deux des trois fonctions que la science assigne selon lui au regard : une fonction « optique » qui se déploie « en termes d’information ([ce que] le regard renseigne) », et une fonction « haptique » qui, elle, se développe « en terme de possession ». Comme l’avance encore Barthes sur ce point : « par le regard, je touche, j’atteins, je saisis, je suis saisi ». Dans tous les cas, il est possible de dire que « toujours le regard cherche : quelque chose, quelqu’un. C’est un signe inquiet : singulière dynamique pour un signe : sa force le déborde ». Encore une fois, est-ce cette force que les outils de l’eye-tracking permettent, ou même entendent mesurer ?

Figure 5 à 8

Figure 5 à 8
Figure 5 à 8
Figure 5 à 8
Figure 5 à 8

« Photogrammes » d’Ivan le Terrible d'Eisenstein analysés par Barthes dans son texte « Le troisième sens », avec des mesures oculométriques réalisées en 2014 avec l'aide de Laurent Sparrow (SCALab, Université de Lille).
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Conclusion

Le problème s’intensifie alors : que se passe-t-il devant une image quand un détail qui en émane reste pour le spectateur littéralement « indescriptible », pour reprendre un autre adjectif utilisé ici. Il semblerait au contraire que l’oculométrie, dans ses usages actuels, évidemment dans le champ du neuromarketing, vise au contraire à atténuer coûte que coûte tout débordement, à empêcher toute « duplicité » du regard devant un spot publicitaire ou dans les allées d’un hyper-marché : là où la plus grande efficacité du regard est recherchée, là où ses trajets sont destinés à se focaliser sur l’acte d’achat. Si l’on considère cette pensée de l’excès ou du débordement du regard, voire de « l’erratique » ou du « trivial », et si l’on reprend certains termes par lesquels le sens obtus est décrit, il apparaît que le nom de Barthes peut servir de vecteur pour appréhender deux conceptions antagonistes de l’image efficace ou obvie, deux âges de l’image fondamentalement distincts, mais qui possèdent ce désir commun de capter le regard humain, de « modeler le spectateur » (ou le consommateur). D’une part, donc, la grande conception de l’image-choc chez Eisenstein, animée par l’espoir que le cinéma comme nouvel art allait entraîner l’élaboration d’une humanité nouvelle26 ; de l’autre, la capture des regards en vue d’un accroissement de la croissance et de la consommation (c’est bien là l’un des objectifs du neuro-marketing qui analysent nos mouvements oculaires). Le nom de Barthes permet d’une certaine façon de tracer cette ligne brisée entre deux âges de l’image qui relient un passé lointain à notre présent le plus immédiat : celui, filmique et révolutionnaire, d’Eisenstein, et celui des nouvelles stratégies marketing, dont fait partie un certain usage de l’eye-tracking, et dont nous sommes les contemporains.

Il faut y insister : tout ce que dit Barthes sur le sens obtus, ou plus tard sur le punctum, est aux antipodes des usages marketing de l’eye-tracking. Là où ceux-ci cherchent à canaliser les regards dans l’optique d’une normativité économique, Barthes aime à l’inverse que son regard soit transi par un élément « fuyant » dans l’image, un détail « futile » dans un photogramme et qui pourtant le touche, ou le « point » (du verbe poindre) comme il l’écrit dans La Chambre claire. Il faut parvenir à ce nœud intense où le point mouvant de fixation de notre œil se confonde avec le poindre qui nous déplace du côté d’une émotion toujours singulière.

Bibliography

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Lindeperg Sylvie, La Voie des images, Lagrasse, Verdier, 2013.

Moholy-Nagy László, Peinture, photographie, film, Gallimard, (1925) 2008.

Rancière Jacques, « La folie Eisenstein », dans La Fable cinématographique, Paris, Seuil, 2001.

Rancière Jacques, Les Temps modernes, Paris, La Fabrique, 2018.

Smith Tim, « Watching You Watch Movies : Using Eye-tracking to Inform Cognitive Film Theory », dans Pychocinematics : Exploring Cognition at the Movies, Arthur P. Shimamura (dir.), Oxford, Oxford University Press, 2013.

Truffaut François, Hitchcock, Paris, Gallimard, (1983) 1993.

Notes

1 Rembert Hüser sur Les Créateurs des mondes d'achat, cité dans Harun Farocki, Reconnaître & Poursuivre, Paris, TH. TY/Centre Pompidou, (2002) 2017, p. 125. Return to text

2 Sur le neuromarketing, on se reportera aux travaux pionniers d’Ale Smidts, professeur en marketing à l’Université Erasmus de Rotterdam, qui fut le premier à utiliser le terme et à le définir comme l’examen du fonctionnement cérébral en contexte marchand, en vue d’améliorer les stratégies d’emprise du marketing sur l’esprit des consommateurs : https://www.rsm.nl/people/ale-smidts/. Return to text

3 Gilles Deleuze, L’Image-mouvement, Paris, Minuit, 1983, p. 64. Return to text

4 Sur l’exercice en excès d’un œil qui participe pourtant à cette « grande symphonie » libératrice, notamment chez Vertov, voir Jacques Rancière, Les Temps modernes, Paris, La Fabrique, 2018, p. 72-73. Return to text

5 Dans son Salon de 1767, Diderot annonce qu’il tâchera de rendre ce qu’il voit par « l’exactitude des descriptions, et l’équité des jugements », avant d’esquisser sinon une méthode du voir, du moins les conditions de son usage dans la perspective de cette « exactitude » conquise par les mots : « Regardons, regardons longtemps ; sentons et jugeons ». Diderot proposera peu après une description d’une Sculpture peinte par Michel Van Loo où se découvrent les déplacements de son regard sur l’œuvre : « La Sculpture est assise. On la voit de face, la tête coiffée à la romaine, le regard assuré, le bras droit retourné, et le dos de la main appuyé sur la hanche ; l’autre bras posé sur la selle à modeler, l’ébauchoir à la main », cf. Denis Diderot, « Salon de 1767 », dans Œuvres complètes, t. xi, Paris, Garnier Frères, 1876, p. 17 et 19. URL : https://www.e-theca.net/bibliothecavirtualis/autori/diderot/opere/DiderotOeuvres11.pdf [consulté le 13 janvier 2025]. Return to text

6 Moholy-Nagy développait l’idée complémentaire selon laquelle l’usage artistique des dispositifs d’images – photographiques, filmiques – engendre un fonctionnement inédit, et par conséquent d’une plus grande richesse, de notre « organe optique », malgré les résistances que ces dispositifs provoquaient à l’époque. Voir par exemple László Moholy-Nagy, Peinture, photographie, film, Gallimard, (1925) 2008, p. 110 : « Professer un enrichissement fondamental de notre organe optique grâce à une mutation des principes de création picturale et filmique semble, aujourd’hui, encore, révolutionnaire ». L’oculométrie aurait pu être considérée comme un outil de mesures de cet « enrichissement » de la vue, par-delà la seule dimension quantitative de ces mesures. Return to text

7 Comme l’affirme Hitchcock : « Vous savez que le public cherche toujours à anticiper et qu’il aime pouvoir dire : “Ah ! moi je sais ce qui va se passer maintenant.” Alors il faut non seulement tenir compte de cela, mais diriger complètement les pensées du spectateur ». Et plus spécifiquement à propos de Psychose : « La construction de ce film est très intéressante et c’est mon expérience la plus passionnante de jeu avec le public. Avec Psycho, je faisais de la direction de spectateurs, exactement comme si je jouais de l’orgue », cf. François Truffaut, Hitchcock, Paris, Gallimard, (1983) 1993, p. 230-231. Return to text

8 Voir S. M. Eisenstein, « La dialectique de la forme cinématographique » (1929), repris dans Barthélémy Amengual, ¡Que Viva Eisenstein!, Lausanne, L’Âge d’homme, 1980, p. 63. Il est clair que, chez Eisenstein, les mouvements de la vision sont indissociables d’une mise en mouvement de la pensée. Sur le communisme cinématographique appelé de ses vœux par le cinéaste soviétique, cf. Jacques Rancière, « La folie Eisenstein », dans La Fable cinématographique, Paris, Seuil, 2001. Return to text

9 Ces Histoire(s) du cinéma, qui forment une œuvre vidéo de Jean-Luc Godard, existent notamment dans un coffret DVD éponyme édité par la Gaumont en 2008. Return to text

10 Voir le blog très complet de Tim Smith (pour la période 2005-2018) : http://continuityboy.blogspot.com/. Return to text

11 Sur ces divers points, cf. Tim Smith, « Watching You Watch Movies : Using Eye-tracking to Inform Cognitive Film Theory », dans Pychocinematics : Exploring Cognition at the Movies, Arthur P. Shimamura (dir.), Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 165-192. Return to text

12 David Bordwell développe ce point dans un post de son blog où il discute les acquis de l’eye-tracking dans le domaine du cinéma, avant d’entamer un échange avec Tim Smith : David Bordwell, « PHK 2.0 sighted in Manhattan. Watching you watch THERE WILL BE BLOOD », David Bordwell’s wbesite on cinema, 06/02/2011. URL : https://www.davidbordwell.net/blog/2011/02/06/the-eyes-mind/ [consulté le 13 janvier 2025]. William Brown, dans un article remarquable, affirme sur ce point qu’il existe bien une convergence entre l’usage de l’eye-tracking dans les film studies anglo-saxonnes, la production dominante à Hollywood et un intérêt pour la narration filmique, et cela « au détriment d’autres cinématographies », cf. William Brown, « Politicizing Eye-tracking Studies of Film », Refractory, 07/02/2015. URL : https://www.academia.edu/17054201/Politicizing_Eye_Tracking_Studies_of_Film [consulté le 13 janvier 2025]. Return to text

13 David Bordwell, « PHK 2.0 sighted in Manhattan. Watching you watch THERE WILL BE BLOOD », op. cit. Return to text

14 Sur cette « tyrannie », voir John Hutson, Lester Loschky, Joe P Magliano et Tim Smith, « Attentional synchrony during narrative film viewing : Turning off the Tyranny of Film », Conference:Visions Sciences Society Annual Meeting, mai 2016. URL : https://www.researchgate.net/publication/306220339_Attentional_synchrony_during_narrative_film_viewing_Turning_off_the_Tyranny_of_Film [consulté le 13 janvier 2025]. Return to text

15 Gilles Deleuze, L’Image-temps, Paris, Minuit, 1985, p. 136. Return to text

16 Cf. Gilles Deleuze, « Le cerveau, c’est l’écran » (1986), dans Deux régimes de fous, Paris, Minuit, 2003, p. 269 : « Il y a dans les œuvres créatives une multiplication de l’émotion, une libération de l’émotion, l’invention de nouvelles émotions, qui se distinguent des modèles émotifs préfabriqués du commerce ». Nous rejoignons par ailleurs les auteurs et autrices du collectif Seeing into Screens – Eye-tracking and the Moving Image (Tessa Dwyer, Claire Perkins, Sean Redmond et Jodi Sita, New York, London, Bloomsbury, 2019) pour qui, « par-delà les codes et conventions » auxquels tendent un usage quantitatif de l’eye-tracking, il s’agit de privilégier des « approches qui trouvent dans la subjectivité » une manière d’augmenter ses puissances d’être affectées par les films (p. 3). Return to text

17 Sylvie Lindeperg, La Voie des images, Lagrasse, Verdier, 2013, p. 126. Pour l’autrice, ce qui gît ainsi dans l’image est irréductible à toute tentative, comme celle du neuromarketing évoqué plus haut, visant à anticiper les mouvements oculaires : « traces fugaces échappées à la volonté ou à l’attention de l’opérateur [ou du réalisateur] », les gisants dans l’image surgissent à l’improviste, indéterminés, indéterminables, contrariant n’importe quelle entreprise soucieuse de traquer notre regard. Return to text

18 Roland Barthes, « Le troisième sens. Notes de recherche sur quelques photogrammes de S. M. Eisenstein » (1970), dans Œuvres complètes, t. iii (1968-1971), Paris, Seuil, 2002, p. 485 et 487. Il est à noter que Barthes travaille à partir d’images fixes extraites des films d’Eisenstein, et non à partir de l’expérience qu’il peut en faire en salle. Return to text

19 Ibid., p. 489. Return to text

20 Ibid., p. 489. Return to text

21 Ibid., p. 487. Return to text

22 Ibid., p. 492. Et ce dessaisissement issu du sens obtus n’est pas sans rapport avec la saisie de l’artificialité du cinéma, où se « [brouille] la limite qui sépare l’expression du déguisement ». Return to text

23 Barthélémy Amengual a raison d’écrire en ce sens que « le plan du sens obtus peut être ramené à l’attraction, “l’attraction sensorielle” (Barthes reconnaît que le sens obtus apporte le sensible, l’émotion) », cf. Barthélémy Amengual, op. cit., p. 104. Return to text

24 Roland Barthes, « Droit dans les yeux » (1977), dans Œuvres complètes, t. iii, Paris, Seuil, 1995, p. 737 et sq. Return to text

25 Ibid., p. 737 et sq. Return to text

26 C’est l’hypothèse que développe Gilles Deleuze dans le chapitre 7 de L’Image-temps, op. cit., p. 203 et sq. Return to text

Illustrations

  • Figure 1 à 4

    Figure 1 à 4

    « Photogrammes » d’Ivan le Terrible d'Eisenstein analysés par Barthes dans son texte « Le troisième sens », avec des mesures oculométriques réalisées en 2014 avec l'aide de Laurent Sparrow (SCALab, Université de Lille).
    © Droits réservés

  • Figure 5 à 8

    Figure 5 à 8

    « Photogrammes » d’Ivan le Terrible d'Eisenstein analysés par Barthes dans son texte « Le troisième sens », avec des mesures oculométriques réalisées en 2014 avec l'aide de Laurent Sparrow (SCALab, Université de Lille).
    © Droits réservés

References

Electronic reference

Dork ZABUNYAN, « Du neuromarketing à Eisenstein : l’oculométrie à la croisée des chemins », Déméter [Online], Hors-série | 2024, Online since 30 janvier 2025, connection on 06 février 2025. URL : https://www.peren-revues.fr/demeter/1765

Author

Dork ZABUNYAN

Dork Zabunyan est professeur en études cinématographiques à l’université Paris 8 Vincennes‑Saint‑Denis. Il a récemment publié Fictions de Trump. Puissances des images et exercices du pouvoir (Le Point du Jour, 2020) et Jacques Rancière et le monde des images (Mimésis, 2023). Il vient également de faire paraître une nouvelle édition de L’insistance des luttes. Images, soulèvements, contre-révolutions (De l’incidence éditeur, 2024). Il prépare actuellement un essai sur le rapport distancié que les cinéastes entretiennent avec les intelligences artificielles.

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