Du nez cassé au névrosé : figurations clownesques du traumatisme

  • From the broken nose to the neurotic: clownesque figurations of trauma

DOI : 10.54563/demeter.2066

Abstracts

Cet article interroge la manière dont le jeu clownesque représente la violence à travers une figuration du traumatisme. L’étude se déploie en deux temps : d’abord, l’analyse du duo Foottit et Chocolat, qui, au tournant du XIXe et du XXe siècle, invente la « comédie de claques ». Cette dernière inscrit le trauma clownesque sur le corps de ses interprètes, sous la forme d’une dramaturgie du stigmate, tout en instituant une hiérarchie racialisée qui fixe l’altérité sur la peau noire de Chocolat. Ensuite, l’examen de trois créations contemporaines (Typhus Bronx, Grand’X, Puddles) suggère un déplacement de la violence vers une dramaturgie du symptôme : d’une physicalité burlesque vers une figuration psychologique, où la·e clown devient survivant·e de traumatismes intimes ou systémiques. La comparaison permet de penser le clown comme une figure paradoxale de vulnérabilité et de résistance, incarnant tour à tour l’exclu du corps social et l’autre en soi. Sur le plan politique, elle suggère que la mise en scène clownesque du trauma ne produit pas seulement de l’altérité, mais qu’elle ouvre aussi un espace de catharsis collective et de solidarité face aux violences du monde.

This article examines how clowns represent violence through a figuration of trauma. The study is divided into two parts: first, an analysis of the duo Foottit and Chocolat, who, at the turn of the 19th and 20th centuries, invented “slap comedy.” This form of comedy inscribed clownesque trauma on the bodies of its performers, in the form of a dramaturgy of stigma, while establishing a racialized hierarchy that fixed otherness on Chocolat's black skin. Next, an examination of three contemporary creations (Typhus Bronx, Grand'X, Puddles) suggests a shift in violence towards a dramaturgy of symptom: from burlesque physicality to psychological figuration, where the clown becomes a survivor of intimate or systemic trauma. The comparison allows us to think of the clown as a paradoxical figure of vulnerability and resistance, embodying in turn the outcast of society and the other within oneself. Politically, it suggests that the clownesque staging of trauma not only produces otherness, but also opens up a space for collective catharsis and solidarity in the face of the world's violence.

Outline

Text

He who gets slapped est le titre d’un film de Victor Sjöstrom sorti en 19241. Dans le film, celui qui prend des baffes c’est Paul Beaumont, un scientifique qui s’apprête à annoncer ses découvertes devant le collège de l’Académie des Sciences de Paris. Au dernier moment, son protecteur le Baron Régnard s’attribue sa recherche. Paul Beaumont tente de protester publiquement. Mais le Baron le réduit au silence en lui donnant une gifle, ce qui provoque l’hilarité de la salle. Le soir même, Paul Beaumont reçoit une seconde gifle, de la part de sa femme Marie, qui le quitte pour… le Baron Régnard. Paul Beaumont se fait alors clown de cirque et sous le pseudonyme de « lui » ou « celui », he, rejoue chaque soir sur la piste l’humiliation qu’il a vécue.

Réduite à un simple pronom, la personne de Paul Beaumont disparaît derrière le personnage de clown. La périphrase qui le désigne, « Celui qui prend des baffes », en fait une figure doublement traumatisée. Un clown dont on traumatise le corps, qu’on frappe, qu’on ligote, qu’on bâillonne, qu’on piétine et à qui on arrache le cœur. Mais en 1924 la psychanalyse est passée par là et « Celui qui est frappé » est aussi représenté comme un clown à l’esprit traumatisé, captif de sa prison psychique, condamné à rejouer inlassablement la même scène traumatique.

L’exemple du clown de cinéma incarné par Lon Chaney est le point de départ d’une interrogation : quelle est cette drôle de pratique qui consiste à prendre des torgnolles, des coups de poing, des coups de pied aux fesses ? Quelle est donc cette étrange figure défigurée que semblent nous présenter les clowns ? Pour creuser la question, cet article postule une figuration clownesque du traumatisme, c’est-à-dire un certain mode de représentation de la violence par les clowns, étrangement indissociable de leur nez2.

Pour mener l’étude, des numéros joués à plus d’un siècle d’écart seront comparés. Dans un premier temps, c’est le duo formé par Foottit et Chocolat au tournant du siècle qui nous intéressera. Il permettra d’observer la façon dont un certain trauma physique, à la manière d’un stigmate, leur colle à la peau. Dans un second temps, trois productions clownesques contemporaines seront analysées. Elles permettront de suggérer que la représentation physique de la violence a aujourd’hui été évacuée au profit d’une figuration plus psychologique du trauma, apparaissant cette fois sous la forme du symptôme.

Cette comparaison permettra, sur le plan dramaturgique, d’explorer l’idée que si les corps des clowns semblent incarner une vulnérabilité extrême – une surexposition à diverses manifestations physiques et psychiques de la violence –, ils présentent en même temps une fragilité paradoxale – sur les modes de la résistance ou de la survivance. Sur le plan politique, elle permettra aussi de confronter deux types d’altérité : du clown comme élément étranger au corps social – la victime des entrées clownesques –, au clown comme l’autre à l’intérieur de soi – l’aliéné psychiatrique aux personnalités multiples.

Le nez cassé de Chocolat

Si on en croit Tristan Rémy, généralement considéré comme une référence en la matière3, Chocolat aurait, aux côtés de son partenaire Foottit, formé le premier duo-star de l’histoire du clown. Ensemble, ils auraient modernisé le jeu clownesque en popularisant la « comédie de claques4. »

En réalité, comme l’ont montré des travaux plus récents5, Chocolat a rencontré le succès bien avant son association avec Foottit. C’est une pantomime, créée en mars 1888 au Nouveau Cirque, La Noce de Chocolat, qui le propulse sur le devant de la scène.

Figure 1

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« La Noce de Chocolat », Lithographie en couleur d’Alfred Choubrac, 120x80cm, 1890. © BnF, département des Estampes de la photographie

Dans tous les cas, la richesse du parcours du clown Chocolat ne peut être réduite à ce duo. On soulignera notamment son œuvre sociale, puisqu’il a introduit la thérapie par le rire auprès des enfants malades des hôpitaux de Paris et a contribué à une des premières associations de secours mutuel pour les gens de théâtre6.

Figure 2

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« Avérino et Chocolat à l’Hôpital Necker-Enfants-Malades », Photographie de presse de l’agence Rol (Paris), 13x18cm, 1909. © BnF, département des Estampes de la photographie

Les inventeurs de la réplique clownesque

Le duo formé par Chocolat et Foottit naît en 1894 et s’impose rapidement comme le couple phare du Nouveau Cirque. Ensemble, ils vont introduire plusieurs innovations dans le jeu clownesque.

La première innovation tient à la forme des entrées que le duo crée. Les entrées sont des numéros courts, durant quelques minutes tout au plus. L’intrigue y est schématique. Elle repose sur un conflit entre les deux clowns (un pari, une devinette, une épreuve ou un combat) et sa résolution. Le jeu y est doublement répétitif : les mêmes ressorts comiques vont être utilisés au sein d’une séquence et d’une séquence sur l’autre ; les numéros eux-mêmes sont rejoués, parfois quotidiennement, sur plusieurs années.

La deuxième innovation tient au mode d’association entre clowns que le duo introduit. Jusqu’alors les clowns n’avaient pas de partenaires attitrés, les potentiels duos ou trios se recomposant au fil des numéros7. Or cette fois, lorsqu’on va au Nouveau Cirque, on va voir « Foottit et Chocolat », comme les personnages récurrents des épisodes d’une série clownesque. Toujours selon Tristan Rémy, l’association impacte directement le jeu puisque « l’apparition d’un second personnage comique en piste, qui double le clown, facilite l’échange de paroles. L’auguste permet la blague, sert de tête de Turc, pose des questions saugrenues, provoque le quiproquo8. » Le duo invente ainsi la réplique clownesque. Cette réplique se joue toutefois moins sur le plan verbal que sur le plan physique, dans la rencontre gestuelle qu’elle implique. Un type de geste va dominer l’échange : les coups. Ainsi, les numéros emploient abondamment ce qu’on pourrait appeler une violence en actes, des chocs physiques répétés entre les corps des interprètes, la violence dont on dit qu’elle cause des hématomes.

Cette violence en actes est liée à la troisième innovation introduite par le duo qui consiste à fixer des types clownesques. Au sein des numéros, il semble ainsi que la distribution des coups participe d’une distribution des rôles. Les scènes de correction vont fixer deux personnages complémentaires – le clown blanc et l’auguste9 – et introduire en même temps une différence binaire entre eux : il y a celui qui donne et celui qui prend.

L’art de donner des coups et de les recevoir

La représentation de la violence dans les numéros de Chocolat et Foottit présente plusieurs caractéristiques. Elle est tout d’abord continuelle et semble constituer le moteur principal du jeu clownesque10. Elle est ensuite externe, dans la mesure où elle s’exerce en surface, sur les corps de ses interprètes. Elle est dynamique enfin, au sens où elle circule entre les clowns. On peut dire, à ce titre, que ce n’est pas toujours le même qui prend. Dans le numéro de « La Scie », par exemple, c’est Chocolat qui bat Foottit jusqu’à épuisement pour essayer, en vain, de le faire taire11. Dans « Le Policeman », c’est un tiers – un officier de police – qui reçoit les baffes de Foottit, jusqu’à lui asséner une gifle finale.

Les entrées se jouent dès lors dans un monde où la violence rebondit sans cesse sur les corps en présence. À cet égard, le jeu clownesque semble directement emprunter au slapstick, forme de jeu comique notamment héritée de la Commedia dell’arte et ayant pour motif principal les scènes de bastonnades. Or, toute la complexité de ce mode de jeu consiste à entretenir une illusion paradoxale autour de la violence représentée.

D’une part, il s’agit de prétendre que les coups sont effectivement portés et de faire oublier le travail technique qui permet de les simuler. On peut considérer en ce sens que « l’impression de brutalité voire de violence extrême [doit] tout à la précision sans faille des exécutions12. » Il faut sans doute éviter de tomber trop facilement dans le piège tendu par le slapstick : la passivité même des corps engagés n’est que feinte et Chocolat, lorsqu’il reçoit une gifle, est bien engagé dans un processus de jeu actif13.

D’autre part, si l’on en croit Louise Peacock, la principale gageure de cet art consiste à maintenir à l’inverse un « sentiment d’irréalité permettant d’établir un cadre comique14 » Ainsi, l’acceptation des actes de violence pourra notamment être facilitée par l’utilisation d’effets sonores – le coup de tambour simultané au coup de pied – et par l’accomplissement d’exploits physiques impossibles à reproduire pour l’individu moyen – un salto, une roulade suivie d’un saut – signalant à chaque instant que les actes représentés et les corps agissant ont un caractère factice.

Les numéros de Chocolat et Foottit semblent bien justement provoquer une déréalisation des corps en jeu. Sur le plan technique, la succession des heurts, des chutes et des culbutes semble dès lors conférer aux exécutants des corps particulièrement plastiques et résistants. Dans « Les Acrobates sur la chaise », Chocolat devient ainsi un cric remonté mécaniquement par son partenaire de jeu. Dans « L’entrée des Échasses15 », les sauts périlleux exécutés par Foottit se doublent d’une extension prothétique faisant de lui un homme-machine. L’exceptionnalité physique exhibée dans le jeu des clowns semble bien leur conférer une certaine forme d’altérité.

Peau noire, masque nègre

On peut néanmoins considérer que la figure de Chocolat va cristalliser une forme d’altérité particulièrement déshumanisante16.

Cela tient avant tout au fait que la répartition de la violence au sein du duo est dissymétrique. Tout d’abord parce que Foottit prend en général moins de coups. Dans « Les Boxeurs », par exemple, le clown blanc parvient toujours à y échapper et interrompt même le match avant d’en recevoir. Surtout, on peut considérer que les coups portés ne vont pas avoir les mêmes conséquences.

Dans le contexte colonial français de la fin du xixe siècle17, la répartition des coups va ainsi contribuer à instaurer entre les clowns une hiérarchie qui se joue au niveau de la peau. Pour reprendre un concept de Frantz Fanon, la peau qui se fait battre et la peau qui bat vont alimenter un phénomène d’« épidermisation18 ». Le jeu clownesque semble dans ce cas précis devenir un processus stigmatisant, au sens où l’incarnation de la violence, l’inscription de celle-ci dans la chair des interprètes, va du même coup permettre de distinguer deux épidermes. En même temps que Foottit et Chocolat fixent les types du clown blanc et de l’Auguste, ils contribuent à sédimenter les types du Blanc et du Nègre. Le stigmate va inscrire le trauma clownesque sur le plan des représentations collectives, en figurant dramaturgiquement et en marquant socialement une altérité.

Ce processus coïncide avec l’incursion inédite sur le terrain médiatique du duo clownesque. Les clowns vont pour la première fois déborder le cadre strict de la presse spécialisée19. La figure de Chocolat va alors être reprise par toute une industrie du divertissement, des jeux de société aux campagnes de publicité – pour le Bon marché, Michelin, les savons Hève ou le chocolat Potin – et va cristalliser un ensemble de discours et de représentations négrophobes20, obsédés à l’idée qu’il reçoive des coups.

Chocolat devient l’exemple du nègre « battu et content », preuve qu’il existerait chez lui une prédisposition à la soumission21, voire qu’il y prendrait plaisir, comme le signalerait son sourire22 Dans les divers récits biographiques qui lui sont consacrés, la dignité de clown lui est à ce titre toujours refusée. Tour à tour désigné comme « dupe », « souffre-douleur23 », « cascadeur », « comparse », on dit qu’il seconde le clown blanc, qu’il n’aurait été qu’un « encaisseur24 ». Un numéro en particulier, « Le Chemin de fer », où Chocolat n’ayant qu’un billet de troisième classe est conduit jusqu’à sa place à coups de pied, obsède les commentateurs – au point de faire douter qu’il ait pu jouer d’autres numéros.

En réalité, l’idée que Chocolat puisse avoir fait autre chose que prendre des coups semble déranger, le rappel constant du trauma visant à lui assigner une place25. Si la représentation clownesque de la violence peut entretenir une confusion entre coup réel et coup figuré, elle semble avoir contribué, dans le cas de Chocolat, à oblitérer la distinction entre personne et personnage et avoir cloué de force à sa peau noire un masque nègre, dont on peinerait à mesurer le caractère artificiel26.

Des clown·es névrosé·es

La violence est-elle toujours un moteur de jeu pour les clown·es ? C’est ce que semblent en tout cas nous suggérer trois figures clownesques contemporaines.

La première, c’est Typhus Bronx, apparu dans Le Delirium du Papillon, spectacle créé en 2014 et joué par Emmanuel Gil.

Figure 3

Figure 3

« Typhus Bronx », dans Le delirium du papillon. © Fabien Debrabandere

La deuxième, c’est Grand’X, clownesse qui donne aussi son nom au « solo poétique et trash pour femme clown27 » créé en 2019 par Eva Cauche, qui a fondé la Compagnie des Chimères en 2010.

Figure 4

Figure 4

« Grand’X », dans Grand’X, Compagnie des Chimères. © Caroline Robineau

La troisième, c’est Puddles, sorte de clown·e-pélican-poubelle-queer, protagoniste de The Clearing, créé en mai 2019 à Berlin par Jeremy Wade, performer, danseur et chanteur américain.

Figure 5

Figure 5

« Puddles the Pelican », dans Puddles Rising. © Ali Bay

Si ces spectacles se réclament d’une esthétique clownesque, quelques remarques préalables s’imposent pour les distinguer de l’exemple précédent. Il ne s’agit pas de duos joués sur la piste d’un cirque, mais de monodrames28 créés sur une scène de théâtre. Dès lors, ces trois seul en scène durent chacun un peu plus d’une heure. Enfin, ils se distinguent par la place qu’ils accordent au texte aux côtés du jeu physique29.

La scène traumatique

Ces trois figures clownesques posent la question du lien entre clown et traumatisme sous un jour différent. Au nez du clown se superpose ici le masque du fou. Mais il ne s’agit pas du fou du roi ou du jester élisabéthain, lointain ancêtre supposé du clown de cirque moderne30. Ici c’est l’aliéné, tout droit issu de l’imagerie psychiatrique de la fin du xixe siècle, qui investit la scène.

Typhus Bronx incarne le psychotique, dont on comprend implicitement qu’il a été victime d’inceste et qu’il a fini par tuer le père avant d’être interné. Sa scène est une chambre d’asile et son costume, une camisole de force. Au début de la pièce, Tyhpus se réveille. Empêché par son habit, il commence par lécher l’espace environnant. Aux murs, succèdent bien vite la joue d’un·e spectateur·ice. Et lorsque le public finit par le libérer de sa camisole, tout devient prétexte au délire pour Typhus : un plateau-repas, une boîte de cachets…

Grand’X, c’est l’hystérique. Une femme ayant subi des violences conjugales qui a fini par « occiputer Y, son coup joint31 ». Son masque de clownesse est un maquillage coulé, son nez rouge du sang de son conjoint assassiné. Grand’X nous invite dans sa chambre et elle porte un pyjama tâché. Face au public, elle va décrire et parfois rejouer les années de maltraitance, la honte intériorisée, le crime.

Puddles enfin, c’est le « déchet », mi-pélican mi-poubelle ayant failli être englouti·e par le grand vortex de plastique du Pacifique Nord. Un peu de goudron lui colle encore aux plumes... Sauvé·e par l’équipage d’un paquebot, Puddles y travaille depuis comme chanteur·euse de cabaret. Iel y raconte son passé, son errance et ses espoirs dans une succession de chansons mélancoliques.

Dans les trois cas, la représentation se situe après-coup, après l’acte de violence, après que l’irréparable a eu lieu. Les trois clown·es se présentent en ce sens comme des survivant·es, rejouant, le temps du spectacle, les violences subies et exercées. Grand’X répète ainsi derrière un paravent la scène de crime. Puddles manque de s’étouffer en faisant le récit de son engloutissement. Mais ce faisant, une scène mentale semble se superposer à la scène de théâtre. Le public est ainsi convié à une « dé-libération32 » clownesque – terme signalant simultanément la représentation du conflit interne et la libération qu’elle est censée produire, en même temps qu’elle la nie. Chez Typhus Bronx, la folie fait progressivement vaciller les murs de la réalité. Il n’est d’ailleurs plus très clair à la fin, si le public n’est pas le fruit d’une hallucination du clown, une foule de fantômes conviés dans sa tête33.

Les ratés

Les trois clown·es semblent représenter ici ce que la psychanalyse appelle des « ratés34 », des déviant·es par rapport à la conduite physique et psychique supposée normale d’individus dits sains. La violence n’y prend plus la forme d’un stigmate, d’une violence en actes. Elle semble plutôt être passée sous la peau et, ainsi incorporée, elle se manifeste comme un symptôme, comme une violence dans ses effets.

Selon la psychanalyse freudienne, la vie psychique se fonderait sur un conflit entre la pulsion de désir (ça) et la pulsion de défense. Le moi se construirait par le refoulement du ça. Mais la névrose, et ses symptômes seraient précisément l’expression d’un conflit psychique non résolu. À la suite d’un trauma n’ayant pas pu être assimilé par la psyché, par exemple, resterait un résidu traumatique, une impression psychique qui cherche à se décharger35. En suivant cette définition, on pourrait justement considérer que ces spectacles relèvent d’une mise en scène de la névrose, voire de la psychose dans le cas précis de Typhus Bronx. Néanmoins, dans la mesure où il s’agit d’un choix dramaturgique, ces solos clownesques présentent moins les effets involontaires d’une psyché brisée que des corps en rébellion active contre une société en crise.

Les trois clown·es sont ainsi atteint.es de ce que Grand’X appelle une « dislocution » du langage, « comme une séquelle post-taureaumatique. »

Dans la pièce d’Eva Cauche, le verbe éclate. Le spectacle est ainsi construit comme un spectacle de « mots tordus » où Grand’X fait le récit de sa prison conjugale, décrivant comment elle était « la mumuse » de son partenaire et aurait dû se « tuméfier ». Là où la psychanalyse a fait du langage un instrument de thérapeutique et de contrôle, la clowne se le réapproprie, le déforme, joue et déjoue la norme linguistique. Ce faisant, elle figure la violence : elle met des mots sur les actes subis, en même temps qu’elle les euphémise et les transpose poétiquement.

Chez Puddles, les convulsions se mêlent aux râles et aux cris d’oiseaux, créant des mélodies aux accents hachés36. Les spasmes gagnent le corps autant que la voix. Un concert punk, parfois disharmonieux, fait de répétitions, de ruptures, de bonds, emmène son public dans les tourbillons de l’histoire intime de son interprète.

Chez Typhus Bronx aussi la « dislocution » ronge la langue. Le symptôme ici ressemble plutôt à l’éclatement de l’individu en personnalités multiples. Dans la psychanalyse, on parlerait de pathologie, on diagnostiquerait un trouble dissociatif de l’identité. Chez Typhus Bronx il s’agit de « troubles pas trop logiques. » Retournant contre elle les armes de la psychanalyse, Typhus Bronx moque un conciliabule entre spécialistes, où le souci du patient passe au second plan derrière les arguties intellectuelles concernant le diagnostic à poser et qui finit dans une soupe de mots techniques en « tchique et tchique et aïe aïe aïe. » Représentant en creux l’agression subie, il ridiculise la tripartition freudienne fondamentale entre moi, ça et surmoi et montre simplement que ce qui est « surmoi », c’est d’abord une main sur la cuisse.

L’union dans la violence

Par leur pratique, les trois artistes semblent attribuer à la figure clownesque un pouvoir thérapeutique singulier, comme si la superposition du masque au visage permettait d’accéder à un moi plus intime, de figurer des douleurs cachées, de laisser parler les autres personnalités qui habitent en soi. Sur ce point, Jeremy Wade et Emmanuel Gil semblent aborder leur travail comme une catharsis individuelle37. La compagnie des Chimères, fondée par Éva Cauche, fait un travail de médiation artistique38. En ce sens, la représentation de la violence ne semble pas, paradoxalement, viser à mettre à distance une forme d’altérité. Bien au contraire, elle devient le ferment d’une union entre clown·es et public.

La violence est motrice pour Typhus Bronx, qui vient régulièrement hanter la salle. Répliquant par une succession de jeux sadiques l’oppression subie sur son public, il met en permanence à l’épreuve son consentement : il lui faudra peut-être manger une boule de purée roulée sous les pieds… Typhus est de son propre aveu toujours à deux doigts du dérapage : « parfois, [il a] envie de prendre un tout petit scalpel et de [n]ous ouvrir en deux pour [n]ous enfiler comme des petits costumes de fantôme et [s]e réchauffer dans la chaleur de [n]os entrailles… Mais c’est pas permis. » Le spectacle semble agir alors comme un espace de folie partagée et de relâchement collectif d’une tension qui risquerait sinon d’être dangereuse39.

Dans son solo-confidence, Grand’X prend le public pour juge et témoin de son histoire. Elle affirme avoir tué son conjoint pour « sauve-qui-peuter [s]a consoeur, [s]on amère, [s]a fioule, [s]a petite-fiounce, sa cousine, sa copine, sa voisine, mélusine et tout, et [elle s’est] sauvationnée [s]oi, par la même d’occas. » C’est ici la violence dite systémique qui fait le lien avec le public.

Puddles chante une violence globale, anonyme, directement responsable de la 6e extinction, celle du cycle de production-consommation capitaliste dans lequel nous sommes encore pris. La violence nous traverse à la manière du pétrole qui coule dans les poumons d’un pélican. Elle fait de nous des mutants, des êtres ayant incorporés les détritus qui nous entourent et, plutôt que d’inciter à la vengeance, elle inspire un chant d’empathie pour le monde, car « cette terre est notre maison, c’est un dôme, c’est un nœud de traumatisme, c’est notre ventre, c’est une blessure40. »

Finalement, l’expérience à laquelle nous convient ces trois clown·es, c’est peut-être celle d’une « dysphorie globale », pour reprendre le concept de Preciado. À l’inverse de l’exclusion subie historiquement par les aliénés, les clown·es montrent que l’inadaptation est un trait collectif, le symptôme d’une « résistance généralisée d’une grande partie des corps vivants de la planète pour ne pas être subalternisés au sein d’un régime de savoir et de pouvoir patriarco-colonial41. » Le fou, l’hystérique, le mutant ne sont pas les problèmes, ils ne sont que les preuves d’un monde malade de sa normativité.

Le déchet devient alors la preuve d’un incompressible, d’un « insubornable » – dans les mots de Grand’X – de ce que « l’esthétique petro-sexo-raciale » n’a pu assimiler – dans ceux de Preciado. Les clown·es représentent des corps survivants dans un monde déjà post-apocalyptique et artisans d’une beauté trash à l’image du papillon42 aux ailes de plastique d’Emmanuel Gil.

Figure 6

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« Typhus Bronx devenu papillon », dans Le delirium du papillon. © Fabien Debrabandere

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Notes

1 Victor Sjöstrom (Réalisateur), He who gets slapped, Metro-Goldwyn-Mayer, 1924. Film disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch ?v =XpBCNoqBtvg&ab_channel =Nekron %21 Numéro complet de « He » : 30 :18-39 :00. Dernière consultation le 29 octobre 2024. Return to text

2 Selon l’expression consacrée par Jacques Lecoq, le nez rouge des clowns peut être considéré comme « le plus petit masque du monde ». Jacques Lecoq, Le corps poétique : un enseignement de la création théâtrale, Arles, Actes Sud, Papiers, 1997, p. 154. Dans le corps de cet article, le mot est employé comme une synecdoque : le nez est ce point qui concentre le masque clownesque. Return to text

3 Tristan Rémy est notamment l’auteur du premier ouvrage historique consacré aux clowns du cirque moderne. Tristan Rémy, Les Clowns, Grasset, Paris, 1945. Return to text

4 Tristan Rémy, op. cit., p 114. Return to text

5 Les recherches de Nathalie Coutelet et de Gérard Noiriel ont notamment permis de retracer la vie de cet artiste méconnu. Return to text

6 Gérard Noiriel, Chocolat : La véritable histoire d’un homme sans nom, Paris, Éditions Bayard, 2017, p. 313. Return to text

7 Tristan Rémy, op. cit., p. 102. Return to text

8 Ibid., p. 103. Return to text

9 Si Foottit et Chocolat ont puisé dans des personnages existants, on peut considérer qu’ils ont tout de même contribué à leur formalisation. Concernant la naissance discutée de l’auguste, on pourra notamment se reporter à l’article consacré dans l’encyclopédie du cirque (CNAC/BNF) : https://cirque-cnac.bnf.fr/fr/clowns/la-naissance-de-l-auguste. Return to text

10 Il suffit, pour se faire une idée de la récurrence des coups donnés, de regarder les entrées filmées par les Frères Lumière : « Les Boxeurs », « Acrobates sur la chaise », « Chaise en bascule », « Guillaume Tell », « Le Policeman », « La mort de Chocolat », Films muets numérisés 1138-1143, Fondation des Frères Lumières, 1897-1900. Catalogue consultable en ligne : https://catalogue-lumiere.com/series/foottit-et-chocolat/. Le format très court de ces enregistrements réduit les numéros à leur action la plus élémentaire et fait justement saillir l’importance qu’y prennent les coups. Return to text

11 Une retranscription du numéro est disponible dans l’ouvrage de Gérard Noiriel, Chocolat, clown nègre : L’histoire oubliée du premier artiste noir de la scène française, Paris, Éditions Bayard, 2012, p. 306. Return to text

12 Jean Philippe Tessé, Le Burlesque, Paris, Cahiers du cinéma, 2007, p. 8. Return to text

13 Dans une interview, Foottit décrit ainsi le travail de son partenaire : « Il n’a que des gifles à recevoir, mais il doit les recevoir à propos, suivre de l’œil tous les mouvements du compère, deviner, au moment même où il se prépare, le geste, et au moment précis où la main du clown vous approche, vous appliquer une claque retentissante sur la cuisse. Au premier abord, c’est très simple ; en réalité, c’est très difficile. Chocolat y excelle. » « La confession d’un clown », Le Temps, 04/10/1896. Return to text

14 Louise Peacock, Slapstick and Comic Performance, Comedy and Pain, New York & London, Palgrave Macmillan, 2014, p. 34. Je traduis. Return to text

15 L’entrée des Échasses figure dans le Phono-Cinéma-Théâtre, visions animées des artistes célèbres, Paul Decauville & Clément Maurice Gratioulet (Réalisateurs), S.A. du Phono-Cinéma-Théâtre, 1900. Consultable en ligne : https://www.youtube.com/watch ?v =mxbY9vtgJXI&t =12s&ab_channel =FilmsbytheYear. Dernière consultation le 23 octobre 2024. Return to text

16 L’altérité propre à Chocolat semble directement liée à la dimension déréalisante du slapstick : « les acteurs sont, d’une certaine manière, irréels et, une fois détachés de leur humanité, il est plus facile de se moquer d’eux. » Louise Peacock, op. cit., p. 34. Return to text

17 Sur le plan théorique l’inégalité des races humaines est théorisée et popularisée par Arthur de Gobineau, sur le plan spectaculaire les « villages nègres » des expositions universelles alimentent un exotisme à la mode. Nathalie Coutelet, « Chocolat : une figure de l’altérité sur la piste », Cahiers de l’idiotie, n° 3, 2011, p. 97-98. Return to text

18 Pour Frantz Fanon, « l’épidermisation » est un processus associant l’infériorité à un épiderme suite à une phase de dépendance économique. Peau Noire, Masques Blancs, Paris, Seuil, 1952, p. 28. Return to text

19 Gérard Noiriel, op. cit., p. 125. Return to text

20 Gérard Noiriel a notamment identifié quelques journalistes influents issus de milieux d’extrême droite ayant contribué à populariser une image négrophobe de Chocolat (comme Coolus, Sergines ou Brisson dans Le Figaro et Les Annales politiques et littéraires au tournant du siècle). Les historiographes du cirque, de Tristan Rémy à Paul Adrian, ont directement été influencés par leurs récits, comme en témoigne l’emprunt de nombreux éléments de langage communs. Return to text

21 La première biographie de Chocolat est un monument de négrophobie. À l’atavisme nègre se serait mêlée une éducation aux coups : Chocolat « recevait, avant de connaître son métier, autant de horions qu’il en devait recevoir de Foottit, quand il le sut davantage. Les rôles passifs lui allaient déjà à ravir. » Les Mémoires de Footit et Chocolat de Franc Nohain illustrées par René Vincent, Paris, Éditions Pierre Lafitte,‎ 1907, p. 110. Return to text

22 Le grin (ou rictus) est caractéristique des représentations coloniales du nègre. Voir Frantz Fanon, op. cit., p. 60. Return to text

23 Tristan Rémy, op. cit., p. 114. Return to text

24 « Il faut dire que Footit est un grand artiste. Chocolat, lui, n’était qu’un comparse ; seul, il n’eût pas paru drôle ; il n’est que nègre, et ce n’est pas suffisant. Footit, c’est le vrai clown ; Chocolat, c’est – en argot de cirque – le ‘cascadeur’, c’est-à-dire celui qui ‘écope’ toujours, le pauvre souffre-douleur dont les mines hébétées et les pitoyables aventures font l’éternelle joie des foules. » Adolphe Brisson, Les Annales politiques et littéraires, 02/12/1906. Return to text

25 « C’est dans sa corporéité que l’on atteint le nègre. C’est en tant que personnalité concrète qu’on le lynche. C’est en tant qu’être actuel qu’il est dangereux. » Frantz Fanon, op. cit., p. 153. Return to text

26 La confusion entretenue par le jeu physique des clowns semble avoir facilité la diffusion de discours négrophobes oubliant que le nègre est d’abord un type imaginaire construit par le regard blanc. « Déjà les regards blancs, les seuls vrais, me dissèquent. Je suis fixé. Ayant accommodé leur microtome, ils réalisent objectivement des coupes de ma réalité. Je suis trahi. Je sens, je vois dans ces regards blancs que ce n’est pas un nouvel homme qui entre, mais un nouveau type d’homme, un nouveau genre. Un nègre, quoi ! » Frantz Fanon, op. cit., p. 113. Return to text

27 Dossier de présentation, Compagnie des Chimères, 2019, Consultable en ligne : https://www.cie-des-chimeres.fr/Dossierprésentation.pdf, p. 1. Return to text

28 Au double sens d’une forme qui « veut rendre visible et faire partager l’effet d’une tension dramatique sur une subjectivité » et d’un art du « corps qui révèle une psyché, par la voix, le mime, les gestes. » Paul Aron, « Le monodrame : brève histoire d’un genre méconnu », Fabula/Les colloques, Écrivains en performances (dir. Marie-Ève Thérenty, Catherine Soulier, Galia Yanoshevsky). Consultable en ligne : http://www.fabula.org/colloques/document6373.php, page consultée le 20 Mars 2024. Return to text

29 On pourrait notamment expliquer cette distance esthétique par une différence de formation à l’art clownesque. Là où Foottit et Chocolat ont appris au cirque, les trois artistes contemporain·es dont il est question sont sortis d’une école diplômante aux arts de la scène : Emmanuel Gil a été formé au Théâtre du Jour à Agen, Éva Cauche au Conservatoire Régional d’Art Dramatique de Rennes et Jeremy Wade à la School for New Dance Development d’Amsterdam. Return to text

30 Sur les liens anciens entre clown et théâtre à partir de l’exemple du fou élisabéthain, on pourra notamment se reporter aux analyses de Nathalie Vienne-Guerrin dans Figures du clown, sur scène, en piste et à l’écran, Philippe Goudard et Nathalie Vienne-Guerrin (dir.), Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2020. Return to text

31 Toutes les citations attribuées à Grand’X sont directement issues du spectacle. Return to text

32 Le terme est utilisé par Typhus Bronx et Grand’X. Return to text

33 Lorsqu’il s’adresse aux membres du public, Typhus Bronx les désigne toujours comme ses fantômes. « Il existe une chambre où tout est blanc. À l’intérieur de cette chambre, il y a Typhus et sa tête en désordre. Une tête pleine de fantômes, comme un rempart à sa solitude. » Texte de présentation du spectacle, consultable en ligne : https://typhusbronx.com/le-delirium-du-papillon-typhus-bronx/. Dernière consultation le 30 octobre 2024. Return to text

34 Pour Frantz Fanon l’analyse psychanalytique se situe sur le plan « des ‘ratés’, au sens où l’on dit qu’un moteur a des ratés », op. cit., p. 38. Return to text

35 Voir Sigmund Freud et Josef Breuer Études sur l’hystérie (1895), Presses universitaires de France, Paris, [1956], 2009, p. 227-230. Return to text

36 Un extrait de la performance est consultable en ligne sur la page Instagram de Puddles le Pélican : https://www.instagram.com/p/CfuCrEDvK8k/ ?hl =de. Dernière consultation le 25 octobre 2024. Return to text

37 « C’est ça qui rend l’existence tolérable », nous dit par exemple Emmanuel Gil dans une interview consultable en ligne : https://www.youtube.com/watch ?v =N-MlX7j1QPo&ab_channel =L %27Ars %C3 %A9nic. Dernière consultation le 28 octobre 2024. Jeremy Wade, dans son projet Oh, Lovely Appearance of Death – Crisis Karaoke repousse les frontières entre le public et le privé, allant jusqu’à se filmer pendant des crises d’angoisse et des séances de thérapie. https://www.youtube.com/watch ?v =q8jHqSxRfOc&t =588s&ab_channel =321HAU. Dernière consultation le 28 octobre 2024. Return to text

38 Voir le site de la compagnie : https://www.cie-des-chimeres.fr/mediation-artistique-et-action-culturelle/. Dernière consultation le 28 octobre 2024. Return to text

39 « Typhus, c’est celui qui plonge à l’intérieur de toi pour y mettre le Bronx. […] Il dit tout haut ce que nous aimerions, parfois, un peu, avouer publiquement, mais nous ne l’oserons jamais tant cela paraît socialement déplacé et moralement discutable. Il nous confronte un peu à cette inquiétante étrangeté ou unheimlich freudienne (effrayant, “un” hors, “heim” de la maison). » Dossier pédagogique-ressource établi par David Sari, Professeur délégué TÉAT Réunion, mars 2023. Consultable en ligne : https://www.teat.re/Dossier_Typhus_Bronx.pdf. Dernière consultation le 28 octobre 2024. Return to text

40 “This earth is our home, it is a dome, it is a site of trauma, it is our womb, it is a wound.” Paroles du spectacle citées dans l’article “We tell ourselves stories to live [1] », dans TQW Magazin, 13.06.2021. Je traduis. Consultable en ligne : https://tqw.at/en/we-tell-ourselves-stories-in-order-to-live/. Dernière consultation le 24 septembre 2024. Return to text

41 Paul B. Preciado, Dysphoria Mundi : La révolution qui vient, Paris, Grasset, 2022, p. 11. « On pourrait dire que le sujet patriarco-colonial moderne utilise la majeure partie de son énergie psychique à produire son identité binaire normative : angoisse, hallucination, mélancolie, dépression, dissociation, opacité, répétition… ne sont que les coûts psychologiques et sociaux générés par le double dispositif d’extraction de la force de production et la force de reproduction. La psychanalyse [est] la thérapie nécessaire pour que le sujet patriarcal-colonial continue à fonctionner malgré les coûts psychiques énormes et la violence indescriptible de ce régime. » Paul B. Preciado, Je suis un monstre qui vous parle, Paris, Grasset, 2020, p. 23. Return to text

42 « Les Papillons » est aussi le nom d’une association de survivant.es aux violences sexuelles incestueuses : https://www.associationlespapillons.org/. Dernière consultation le 19 septembre 2024. Return to text

Illustrations

References

Electronic reference

Marc Lozano, « Du nez cassé au névrosé : figurations clownesques du traumatisme  », Déméter [Online], 13 | Été | 2025, Online since 01 octobre 2025, connection on 18 novembre 2025. URL : https://www.peren-revues.fr/demeter/2066

Author

Marc Lozano

Marc Lozano est clown-chercheur au CEAC de l’Université de Lille et rédige actuellement une thèse sous la direction d’Ariane Martinez et de Bertrand Tillier intitulée La piste hantée : les clowns et l'invention du cirque traditionnel (Paris, Berlin, Vienne, 1917-1959). Avant cela, il a travaillé en tant qu’entraîneur au cirque Cabuwazi de Berlin en parallèle d’un Master en études de danse à la Freie Universität où il s’est intéressé aux clowns du cirque d’état de la RDA.

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