« C’est ici le combat du jour et de la nuit…
Je vois de la lumière noire. »1
« Mehr Licht ! Mehr Licht ! »2
S’il y a toujours un sentiment arbitraire à faire commencer quelque chose à une date bien précise, la chose est d’autant plus fâcheuse quand l’événement en question est rendu public plus d’un demi-siècle après qu’il ait eu lieu. L’étude de ces deux pièces inaugurera et pointera peut-être la possibilité d’un début, aussi précaire soit-il, de ce qu’on appellera, provisoirement, une pratique à la fois monochrome et photographique, c’est-à-dire monochromophotographique.
En 1989, le cent cinquantième anniversaire de la photographie était célébré au Centre Pompidou avec une exposition intitulée L’invention d’un art. L’exposition présentait notamment un petit « photogramme noir3 » de Man Ray4.
Figure 1

Man Ray, Photo noire, à Robert Desnos – plein des choses qui absorbent la lumière, 1930, Rayogramme, Épreuve aux sels d’argent, 19,5 x 14 cm, Collection Nourhan Manoukian. © Droits réservés.
Le co-commissaire Alain Sayag évoquait cette pièce dans le texte d’introduction du catalogue en utilisant le qualificatif de « radicalisme absolu5 », notamment porteur d’une interrogation sur le médium sur lui-même. Pourtant, malgré cette exceptionnalité, l’œuvre absolument radicale de 1930 n’est pas reproduite dans le catalogue d’exposition de 1989. Elle est restée inconnue du public pendant près de soixante années et elle est encore aujourd’hui peu connue et très peu visible. Elle a la singularité d’être à la fois un monochrome et une photographie, un monochrome photographique, noir. Elle s’intitule Photo noire et elle porte ces mentions manuscrites : « à Robert Desnos – plein des choses qui absorbent la lumière. Man Ray. 1930 ».
Figure 2
Man Ray, Ma dernière photographie, à Louis Aragon, 1929, Rayogramme, Épreuve aux sels d’argent, 20 x 13,7 cm, Fonds Aragon, Paris, Galerie Natalie Seroussi. © Droits réservés.
L’année précédente, en 1929, Man Ray offrait à Louis Aragon sa « dernière photographie ». Cette pièce6 quasi identique à Photo noire diffère principalement par ses mentions manuscrites au crayon : une dédicace et un titre « à Louis Aragon – ma dernière photographie » ainsi que la date et la signature de l’artiste « 1929 Man Ray ». Les formats des pièces sont quasi identiques, 20 x 13,7 cm pour Ma dernière photographie, 19,5 x 14 cm pour Photo noire ; le papier est mat, il y a un très léger moirage7 dans le noir ainsi qu’une légère pigmentation8 de points blancs. Plastiquement, ces pièces relèvent d’un minimalisme de surface — une seule couleur superficiellement rectangularisée.
Des pièces au statut ambigu
Si ces deux pièces sont explicitement datées et signées par Man Ray, elles n’apparaissent cependant dans aucun catalogue de ses travaux artistiques, photographiques, ni dans ses textes biographiques ou autobiographiques, ni dans aucun texte de l’époque, ni dans les collections muséales. Œuvres secrètes, cachées, voire discrètes, elles sont pourtant dédicacées et adressées « à Louis Aragon » et « à Robert Desnos ». A priori uniques, elles sont des présents personnalisés rejoignant la catégorie des œuvres privées — au sens de privées de public. Elles n’ont pas été retrouvées dans les archives ou dans les collections de Man Ray, mais dans les fonds Aragon et Desnos9. Denys Riout pense que Man Ray aurait donné d’autres « tirages totalement noirs10 » à d’autres amis. Tout cela reste mystérieux, d’autant que Man Ray s’est beaucoup exprimé, notamment par écrit sur sa pratique artistique, sa vie, son parcours, sur comment il aurait « inventé » le rayogramme, la solarisation, mais rien de rien sur le monochrome photographique. Peut-être, sans le savoir, l’a-t-il inventé, comme Monsieur Jourdain la prose ?
Man Ray n’ayant jamais parlé ou écrit sur les pièces en question, quel statut faut-il leur donner dans sa production ? Faut-il les qualifier d’œuvres ou plutôt de sous-œuvres ou d’œuvres mineures ? Ou faut-il considérer ces cadeaux privés comme des blagues un peu potaches ? En tout cas, ces pièces manifestent une forme d’humour11, qui se concrétise d’abord par les titres et certaines mentions des pièces au regard de la proposition plastique.
Le statut de ces pièces12 est aussi à interroger au regard de leurs dimensions modestes13 : ce petit format correspond aux dimensions d’un tirage de lecture, voire à celui d’une page d’une édition. Mais peut-être s’agit-il encore d’autre chose ? Ces photographies sur papier sont d’abord à offrir, à donner de la main à la main14, une par une, personnalisées — aussi il faut qu’elles soient facilement manipulables et transportables.
Une poïétique « fautographique »
Photo noire et Ma dernière photographie sont vraisemblablement des photographies réalisées sans appareil, comme tous les rayogrammes15 de Man Ray. En tout cas, rien ne vient signaler l’usage d’un appareil photographique16 — c’est-à-dire une camera obscura équipée d’un objectif. Une simple surface sensible et une source de lumière sont suffisantes pour produire ce type de photographie. Mais contrairement à tous les rayogrammes réalisés par Man Ray, ces deux pièces se distinguent par une différence notable. Il n’y a pas d’objets : rien n’a été posé à la surface, rien ne fait obstacle entre la lumière et la surface sensible. Par exemple, chaque rayogramme de la série des Champs délicieux de 1922 convoque la présence de différents objets qui vont produire la ou les figures. Si cette série a fait de Man Ray l’un des inventeurs du photogramme moderne17 avec Christian Schad, El Lissitzky et László Moholy-Nagy, il faut néanmoins rappeler que cette « invention » du rayogramme s’est faite par accident ou par hasard18, comme d’autres procédés que Man Ray a ensuite utilisés pour faire des œuvres19. Accueillir l’imprévu a pu être une des méthodes de création de Man Ray.
Figure 3
Man Ray, Les champs délicieux, 1922, Album de douze photographies collées sur papier blanc, avec une préface de Tristan Tzara au titre de « Man Ray. La photographie à l’envers », 35 x 26,8 cm (format de page), Paris, Société générale d’imprimerie et d’édition. © Droits réservés.
Ici, l’acte de création avéré, la poïétique de ces deux pièces pourrait s’énoncer ainsi : une lumière non focalisée aurait insolé toute la surface du papier sensible de manière uniforme et assez longtemps pour qu’au développement, Man Ray obtienne une photographie totalement noire motivant la formulation des titres : Photo noire peut se lire comme un intitulé informatif et littéral, et Ma dernière photographie marque vraisemblablement un point limite dans sa pratique photographique. Dans ces deux pièces, quelque chose de spécifiquement20 photographique semble atteint, une autoréflexivité du médium lui-même : ici, la lumière est à la fois la condition de la photographie, mais elle est aussi l’objet de la photographie. Ces deux photographies semblent être une pleine figuration de la lumière. Mais y aurait-il quand même un objet ou un obstacle invisible, « inframince », entre la lumière et la surface sensible — cet objet gazeux appelé l’air dont on percevrait la figure ? De quoi la couleur est-elle la figuration ? Est-elle en mesure de faire figure ?
Plus prosaïquement la question se pose de savoir si ces deux pièces ne sont pas simplement des photographies ratées, tirages ou rayogrammes loupés que l’artiste aurait quand même conservés et « transformés » en objets de réflexion et au final en cadeau personnalisé, en pièce adressée. Dans le champ photographique, professionnel ou amateur, ce type de rendu sera qualifié pour une prise de vue de totalement sous-exposé21 ou pour un tirage d’une densité22 beaucoup trop importante. Dans tous les cas, techniquement cette photographie sera jugée comme complètement ratée puisque l’on n’y voit rien — à part une couleur. Ainsi Photo noire et Ma dernière photographie pourraient être assimilées à un total ratage, à une grossière erreur où la photographie n’est pas en mesure de faire image, aucune figure n’apparaissant.
La pièce est un simple champ uniforme, une surface rectangulaire noire. Au laboratoire23 argentique noir et blanc, ce genre de rendu peut arriver. Habituellement, il se retrouve dans la poubelle, parfois déchiré — signe explicite non-intentionnel du ratage. Mais comment l’obtient-on précisément ? Dans le procédé négatif-positif noir et blanc classique de cette époque, le noir surfacé découle d’une insolation extrême du papier au moment du tirage ou d’un manque extrême de lumière enregistrée à la prise de vue.
Ce réglage ou ce déréglage technique permet d’affirmer que potentiellement cette photographie contiendrait toutes les images possibles : n’importe quelle « photographie » au sens de prise de vue ou de tirage, soumise à ce réglage technique (sous-exposition extrême à la prise ou surexposition excessive au tirage) produira exactement la même chose que ce qui apparaît sur une Photo noire ou Ma dernière photographie : un monochrome noir. Avec un réglage technique inversé, on aurait pu obtenir des photographies totalement blanches.
Ces deux pièces permettent peut-être de bien saisir comment Man Ray considérait sa pratique de la photographie : « Je vous ai dit et répété que je ne suis pas photographe, mais “fautographe”24 ». Être fautographe équivaudrait à faire œuvre photographique — sans intention25 préalable — à partir d’erreurs, d’accidents, de fautes ou encore sans aucun effort : « J’ai toujours fait les choses sans effort. […] Le moindre effort possible, pour le plus grand résultat possible, c’est ma règle26 ».
Du texte de la photographie
Et la vérité est qu’il faut commencer par là où l’on est :
du sein des mots27.
Si ces deux pièces de Man Ray sont plastiquement assez « réduites », il faut souligner qu’elles fonctionnent avec leur part langagière : leur légende composée d’un titre, d’une adresse-dédicace, d’une date et d’une signature. Le titre Photo noire est articulé avec l’adresse « à Robert Desnos — plein des choses qui absorbent la lumière ». La dédicace « à Louis Aragon » est liée par un trait d’union à son titre : Ma dernière photographie. Pour la pièce de 1930, Photo noire, le titre est quasi tautologique. Si la pièce est sans aucun doute noire, Man Ray le « martèle » par l’usage de l’adjectif et surtout certifie par l’usage du substantif qu’il s’agit bien d’une photographie (tout comme la pièce de 1929, Ma dernière photographie). Techniquement et plastiquement, il n’est pas évident en effet que ces deux pièces soient des photographies. Visuellement, rien ne l’atteste. Tout simplement et d’abord parce qu’un monochrome n’est pas l’attendu d’une pratique photographique.
La mention « à Robert Desnos — plein des choses qui absorbent la lumière » renvoie aussi indiciellement à la pièce en tant que photographie. Le noir est cette « couleur » qui absorbe totalement la lumière et ne la réfléchit pas : une couleur photographiquement sourde. Mais la qualité de toute surface photosensible est d’absorber la lumière. Photo noire serait donc potentiellement remplie de toutes ces choses, indéfinies, qui absorbent la lumière, à la fois donc pleines de lumière, mais aussi pleines de tous ces objets sombres qu’elles pourraient potentiellement figurer sans distinction.
La légende indique donc que cette photographie serait malgré tout une image, à imaginer. Elle serait comme une « œuvre ouverte » dont le moteur de lecture et de vision serait l’imagination. L’autre pièce, intitulée Ma dernière photographie, est une formulation amphibologique : elle marque sur un mode humoristique et disjonctif, que cette photographie est à la fois sa plus récente et/ou son ultime photographie.
Ces deux pièces noires rejouent une certaine forme de tautologie que l’on pourrait reformuler en un « ce que nous lisons, est ce que nous voyons28 ». Pourtant, cette évidence semble paradoxale. Car le titre est aussi la légende de l’image, au sens d’une mise en récit possible de celle-ci et d’une ouverture vers quelque chose d’insoupçonné, d’invisible. Le texte ouvre la proposition monochrome et il présente un début de sens possible, une mise en circuit, faisant retour sur la photographie elle-même, en tant que forme plastique : une sorte d’autoréflexivité. Puis une mise en lecture de la proposition artistique s’engage dans une voie polysémique que ne donnerait pas seulement à voir la surface colorée en tant que telle. Le texte, le titre et/ou la légende est alors, de ce point de vue, spéculatif et réflexif, voire prospectif.
Dans les deux cas, le texte (entre titre et légende) est constitutif de la pièce. Il n’est ni un élément complémentaire ni supplémentaire, de type commentaire ou précision. Il est un modificateur visuel. Man Ray réalise deux pièces différentes à partir d’une photographie quasi similaire : Photo noire et Ma dernière photographie.
Cette puissance langagière est aussi en jeu dans une pièce d’Ugo Mulas où Man Ray est le protagoniste principal : la Verifica 12, intitulée La didascalia, a Man Ray [La légende, à Man Ray]29.
Figure 4
Figure 5
Fig. 4 et 5, Ugo Mulas, La didascalia, a Man Ray, Verifica N° 12 [La légende, à Man Ray, Vérification N° 12], 1972, Épreuve gélatino-argentique NB (accompagnée d’un texte imprimé), 40,5 x 50,5 cm, Paris, Collection Centre Pompidou. Photo crédits : Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/Dist. GrandPalaisRmn. © Droits réservés.
Elle fonctionne sur un lien étroit et nécessaire entre une photographie et sa légende30. Ce lien peut être qualifié de génératif. C’est à travers une relation littérale entre le texte et l’image que l’œuvre se génère, se concrétise mentalement, plastiquement et langagièrement :
En somme, j’avais photographié une phrase. Mais cela ne pouvait être rendu visible qu’en introduisant cette phrase dans la photographie […] d’une certaine façon, Man Ray le confirme lui-même : il ne désigne pas un tableau, mais il prononce une phrase qui est son tableau31.
Les derniers mots de cette citation sont fondamentaux pour aborder les deux monochromes photographiques noirs de Man Ray : « Il prononce une phrase qui est son tableau ». Cet énoncé pourrait se traduire ainsi pour Photo noire et Ma dernière photographie : il écrit des mots (en bas du rectangle noir) qui vont faire l’œuvre — spécifiant le médium et produisant le sens.
La pièce d’Ugo Mulas se relie à celles de Man Ray par sa relation à la monochromie. Sur la prise de vue, Man Ray pointe une surface uniformément blanche, qui est en quelque sorte un monochrome32 — même s’il va être transformé en simple support (ou fond). Elle apparaît comme une page vierge sur laquelle Ugo Mulas va inscrire, écrire les paroles de Man Ray : « ça, c’est mon dernier tableau ».
Noir, noir et noire
Dans ces deux pièces monochromophotographiques, la couleur noire est à la fois paradoxale et dialectique. D’un côté, elle renvoie à l’obscurité, à l’indiscernable invisible, à l’impossibilité de voir justement ou de se figurer quoi que ce soit : la qualité de la non-image. D’un autre côté, elle serait le lieu conditionnel de tous les possibles. Par la non-imposition d’une ou plusieurs figures, par cette impossibilité de faire image, la photographie laisse ouverte et active notre « faculté d’imaginer33 », une imagination se pratiquant les « yeux fermés34 ».
Le noir serait alors la condition de l’image mentale, mais aussi le rendu physiologique d’une vision les paupières fermées, sans recevoir de lumière directe sur celles-ci35. Man Ray a réalisé quelques photographies de Robert Desnos, les paupières closes ou en train de dormir qui se lient analogiquement à Photo noire et à Ma dernière photographie. Notamment une série de photographies36 publiées37 dans Nadja d’André Breton résonne.
Figure 6
André Breton, Nadja [détail], 1964 (d’après l’édition de 1928 entièrement revue par l’auteur), Impression offset en une couleur (noire), 18 x 11 cm (format de la page), Paris, Éditions Gallimard, 1964, p. 34. Photo : Man Ray. © Droits réservés.
Ces sortes de portraits d’un Robert Desnos, voyant, les « yeux fermés et ouverts », continuant à voir ce qu’on ne voit pas, peuvent aussi renvoyer à une planche d’illustration du dernier numéro de La Révolution Surréaliste38. Ce photomontage est composé d’une reproduction en noir et blanc d’un tableau de René Magritte, qui associe la figuration en pied d’une femme nue portant la main sur son cœur avec une mention peinte et écrite « je ne vois pas la [ ] cachée dans la forêt », entourée de seize photomatons de membres du mouvement surréaliste posant les « yeux fermés ». La couleur noire serait sans aucun doute — les yeux fermés donc — une sorte de couleur non perçue, de non-couleur ou de couleur aveugle.
Figure 7
René Magritte (tableau central) et Photomatons (16 portraits les yeux fermés des surréalistes), La révolution surréaliste (page 73 dans l’article « L’Enquête sur l’amour »), 15 décembre 1929, N° 12, Cinquième année, Photomontage, 29 x 20 cm (format de la page), 3 000 exemplaires ordinaires, Paris, Bibliothèque Nationale de France. © Droits réservés.
Photographiquement, le noir des deux monochromes serait aussi, matériellement, la lumière même — la condition photographique du voir. Le noir marque la condition négative de la photographie de cette époque (le procédé positif/négatif en noir et blanc). Il est la figuration négative de la lumière.
En 1929-1930, le noir pouvait aussi avoir une connotation époquale. Le moment de fabrication de ces monochromes est concomitant de la crise boursière (le « Jeudi noir » du krach boursier à Wall Street), d’un climat politique de plus en plus tendu, du second manifeste du surréalisme d’André Breton39 (et les dissensions/exclusions qui l’accompagnent, notamment celles de Robert Desnos et de Louis Aragon), mais aussi d’un possible arrêt de la pratique photographique chez Man Ray pour tenter de faire carrière dans le cinéma en tant que « Directeur de mauvais movies40 ». Songeait-il à réaliser des films noirs ?
Reproduction impossible ?
La reproduction photographique de ce type de pièces, monochromes, est problématique. Pour le dire autrement, un Musée imaginaire41 du monochrome photographique pourrait être a priori ennuyeux à visiter, c’est-à-dire à regarder et à feuilleter. S’ajoutant à la perte des dimensions de l’œuvre, la reproduction photographique n’est pas en mesure de restituer fidèlement la couleur, la matière et la physicalité du papier (granularité, brillance, matité) qui sont des données fondamentales pour un monochrome.
On pourrait énoncer que reproduire photographiquement un monochrome, à proprement parler, n’a pas de sens d’un point de vue plastique : ceci expliquerait peut-être que la pièce de Man Ray, malgré son « radicalisme absolu », n’ait pas été reproduite42 dans le catalogue de l’exposition de 1989, L’invention d’un art.
À quoi bon imprimer et figurer un bloc totalement surfacé en noir ? Un tel geste aurait malgré tout prolongé cette pratique radicale et absolue, dans la lignée par exemple de la proposition critique et humoristique d’un Alphonse Allais43.
Si la pièce n’a pas été reproduite dans le catalogue, Man Ray en a assuré préalablement sa perpétuation, par la probable multiplication des exemplaires, puisqu’au moins deux versions ont été redécouvertes. À ce jour, elles nous permettent d’affirmer qu’il serait peut-être le premier à avoir réalisé de « véritables » monochromes photographiques : d’authentiques monochromophotographies44.
Près de quatorze ans plus tard, Alexandre Rodtchenko en 1944, puis Yves Klein en 1960, Bernar Venet45 une année après, Giovanni Anselmo en 1970, Douglas Huebler en 1972, Ugo Mulas la même année, James Welling quatorze ans plus tard en 1986, et encore Jean-Luc Moulène (1988), Hiroshi Sugimoto (1993), Liz Deschenes46 (2001), Suzanne Lafont (2015), vont produire ce type de photographie et ainsi « reproduire » et renouveler ce nouveau genre47 qu’est peut-être le monochrome photographique.
Vincent Bonnet, « À propos de Portrait de mon frère Francis dans le noir absolu de Bernar Venet », dans Bernar Venet Photographies, Paris, Marval – RueVisconti, 2022
Vincent Bonnet, « De la condition monochromatique en photographie », Radial, Numéro spécial, mai 2023, p. 13-20. URL : https://esadhar.fr/publications/radial-n5/
Vincent Bonnet, « “Ce que vous ne voyez pas est l’objet de tout ce que vous voyez”, à propos de Green Screen Process de Liz Deschenes », Turbulences, n° 1, 2024. URL : https://turbulences-revue.univ-amu.fr/category/revue






