Techniquement parlant, la performance inging2 n'est pas une conférence. Pourtant, le dispositif en est identique. Ici, j'ai d'abord esquissé un résumé chronologique de la performance. Elle s'appuie sur une lente montée émotionnelle et physique. Ce résumé se veut plutôt factuel et concret. Même si la performance est à chaque fois différente car le texte n'est pas écrit, certains événements ou actions sont constants. Les liens vidéo de la performance sont accessibles en ligne. Ils datent de la première présentation qui a eu lieu en février 2016 au festival Les hivernales en Avignon. Je conseille de voir la captation de la performance qui sera utile pour comprendre la suite.
Chronologie
Entrée du public
Le public entre, pas forcément en même temps dans un espace éclairé de manière uniforme. Dans un coin de la salle, sur la table, une pile de livres, un ordinateur, des notes, un crayon et une bouteille d'eau. Les chaises sont réparties de manière désordonnée, presque « bordélique ». Une fois le sentiment de désorientation du public passé – où s'asseoir ? –, le performeur s'assoit et commence à parler. Il s'adresse de manière directe aux personnes assises.
Pendant les 5 premières minutes :
Le conférencier parle sans avoir de fil conducteur, avec aisance et une certaine bonhomie. Il parle de sujets divers de manière plus ou moins précise. Il commente la situation et généralise. Par exemple, si des retardataires arrivent, il parle du conflit du retardataire : celui d'essayer de ne pas être vu et d’être pourtant si visible. Il embraye sur la visibilité de l'artiste, comment il ou elle essaye d'être reconnu. Ce qui lui fait penser à la visibilité en général et plus particulièrement à autrui. C'est autrui qui nous rend visible et aussi celui de qui on se cache.
Et ainsi de suite, il saute d'une idée à l'autre. Les spectateurs sentent qu'il y a quelque chose d'étrange dans cet exposé qui paraît très lisible et pourtant illogique. Le conférencier suit un flot de mots, qui semble écrit, mais qui est aussi improvisé puisqu'il réagit aux événements du public.
Au bout de 5 ou 7 minutes, il annonce la règle ainsi en prenant la bouteille :
Là, à ce moment précis, j'aimerais bien boire de l'eau. J'aimerais bien utiliser le contenu de cette bouteille plastique à côté de moi pour ré-humidifier, réhydrater mon système vocal et salivaire. Mais c'est impossible. Et oui. Pourquoi ? C'est impossible car je me suis donné cette consigne, de ne pas m'arrêter de parler. Je me suis donné cette tâche, ce travail, d'être toujours dans le langage, sans même m'accorder une seule petite pause ou silence. Donc, pour tous ceux d'entre vous qui étaient venus écouter un discours, un bon texte bien préparé avec de la vraie ponctuation, et bien c'est raté. Pour toutes celles et ceux qui espèrent avoir du silence durant la durée que nous allons partager ensemble, il n'y en aura pas. Il n'y aura que du langage, que des mots, du contenu, des parenthèses, des associations d'idées, des digressions, des divagations. Je vais sûrement parfois dire de très belles choses qui, je l’espère, vont vous toucher. Il va y avoir de la réussite. Mais aussi beaucoup d'échecs et d'erreurs. Ça va déborder. Mais comme dit Gaston Bachelard dans La Philosophie du non, l'erreur est créatrice. Peut-être que de citer Bachelard n'était pas opportun...
Vers les 10e et 15e minutes :
Le conférencier n'est plus conférencier. L'a-t-il jamais été ? Depuis qu'il a commencé, il a fait du stand-up, des confessions sur sa vie personnelle, il a imité ses professeurs de philosophie, développé une réflexion sur la société actuelle. On sent que son diaphragme, à force de ne pas s'arrêter amène une autre énergie. Les émotions arrivent aussi, de l'excitation, de la colère, de la joie, du débordement. Mais surtout, il commence à utiliser son corps, il perd la frontalité de la conférence, il quitte parfois le public des yeux. Ses gestes deviennent plus grands, plus abstraits. Son corps illustre la parole. Puis il influence la parole et procure d'autres idées. À un autre moment, il dit :
ing-ing... Dancing, swinging, talking, looking at each other strait into the eyes, and promissing we're going to stay together ever... Inging qu'on pourrait traduire par... On est toujours en train en train d'en train de... ing-ing c'est ce que je suis en train de faire. Je suis en train de parler. Vous êtes en train d'écouter... Toutes ces chaises sont en train de vieillir. En ce moment même, nos corps digèrent et chauffent à 37 degrés. Pensez à tout ce que nos corps sont en train de faire pour se prendre en charge : les battements du corps, l'équilibre acido-basique des viscères, la régénération des cellules. L'homéostasie du corps... Imaginez toutes ces durées, toutes ces pensées qui sont en train de coexister dans cette même pièce. Certains sont en train de se dire... Mais pourquoi je suis venu ? Mais qu'est-ce qu'il dit ? Mais où ça va ? Et bien, ça va nulle part... L'humanité s'est créée dans l'errance, sans but précis...
Vers 20 minutes :
Il sort de la table, de l'espace conférence. Tout en parlant, son corps évolue et s'éloigne de là où il est depuis le début. En prenant de la distance avec la table, il se rapproche automatiquement du public. Les spectateurs, leur corps, leur sac, leurs cheveux, leur apparence deviennent partie prenante du récit et des associations d'idées. Il bouge, danse entre les chaises et les gens.
Au bout de 30 minutes :
Le performeur est désormais de l'autre côté de la salle. Le voyage permet au public de voir d'autres détails de la salle. Tout est jeu et peut devenir langage. L'extincteur est une occasion de parler de la société du risque et des attentats. La sortie de secours de rappeler que Heidegger explique qu'il n'y a pas de sortie de l'étant, du Dasein. À moins que ce soit Sartre ? Tous ces visages inconnus qui l'entourent apparaissent comme un cauchemar. Le crescendo émotionnel est aux trois quarts. Le langage est désormais toujours lié à une émotion, à une rêverie. Parfois, le performeur n'est clairement plus dans le même espace que le public. Il devient personnage, monstre cruel. Il pleure, louche, salive. Il en met partout, ça déborde.
Vers 40 minutes :
C'est le climax. À force de pousser, sa voix est désormais transformée. Son corps est en surchauffe. Le public se demande s'il va tenir, se demande ce qui va se passer. Le performeur est presque hors de lui. Bien qu'il soit toujours dans le langage, il bégaie puis retrouve un flot, il pousse le volume de sa voix. Après s'être assis, il continue à parler, ou à pousser sa voix.
Le flot des mots s'arrête soudain. Un profond silence surgit, après 45 minutes de paroles non-stop. Certaines personnes expirent, de soulagement. D'autres restent choquées. Le silence s’installe jusqu'à ce que quelqu'un applaudisse.
Fin
Inging, la chorégraphie d’un esprit au travail
L'enjeu de la pièce est d'observer et de suivre toutes les associations d'idées qui ont lieu dans notre esprit ou cerveau. Ce n'est pas de la parole automatique qui reviendrait à une absence de choix, à une recherche d'absence totale d'esprit, à une pure spontanéité. Ce n'est pas non plus un acte cathartique pour se faire du bien. Ces associations d'idées sont volontaires, choisies, provoquées, mais elles sont surtout le fruit d’un entraînement en amont. Ce protocole associatif vient de la volonté de rester dans un présent qui se déplie constamment. Cette pratique est réalisée avec ou sans public. Ainsi, Jeanine Durning m'a souvent stipulé, lors de la transmission, que ce n'est pas un spectacle. Il n’y a aucune extériorité comme point de départ à ce projet, ni d’objectif à atteindre. Il n'y a pas d'autre résultat que celui de partager cette pratique avec des personnes présentes. La conséquence en est que le performeur et le public sont ensemble dans un déséquilibre de pensées en rhizome. Une des premières idées est de réduire l'espace ou le trou entre les pensées du public et celle du performeur, pour que tout le monde puisse partager les mêmes pensées. De nombreuses fois après la pratique, beaucoup de personnes sont venues me dire comment, pendant un moment, elles avaient pensé exactement ce que je disais. J’ai craint que cette perspective ne passe pour autoritaire. Mais je pense que créer ainsi une communion de personnes pensant la même chose, évoque aussi une communauté de gens, vivant un présent furtif.
Ici, le texte de Jeanine Durning donné au spectateur où elle explique ses motivations :
En tant que performeuse et chorégraphe, j’ai commencé à perdre intérêt pour les constructions linéaires, les structures contrôlées et les chorégraphies qui produisaient des résultats donnés. J’avais la volonté de m’approcher du fonctionnement de l’esprit, avec ses niveaux d’information simultanés qui n’ont pas nécessairement de conclusion ou de lien complémentaire, dans la perception d’un flot de choses. J’étais intéressée par la multiplicité, l’inconséquence, les tangentes, les digressions, la valeur de l’inattendu, ce qui n’est pas su, l’inexprimable. J’ai développé une pratique de mouvements et de paroles continues comme un moyen de se déplacer de la représentation et d’accélérer la vélocité des pensées. J’ai commencé à considérer l’utilisation du langage comme une action en soi-même.
La genèse de la recherche (2008-2010), créer une pratique
Le langage comme ce que nous partageons tous
En 2008, Jeanine Durning commence sa recherche en chorégraphie et performance, elle travaille à ce moment-là comme danseuse et chorégraphe depuis plus de 20 ans. Elle a voulu tout mettre à plat, repartir de zéro, éviter les processus habituels du spectacle vivant, qui consistent à créer une chorégraphie en montant des scènes, des actions ou des mouvements, répétés, affinés ou « nettoyés » jusqu’à ce que la pièce soit la plus claire possible. Puis lorsque le public arrive, faire comme si c'était la première fois, comme si c'était nouveau. Elle voulait s'écarter de la contradiction inhérente au spectacle vivant, entre répétition et exception.
Elle s'est assise à la table et a commencé à parler. Il me semble qu'elle a commencé avec cette chose : « qu'est-ce qu'on partage ? ». Petit à petit, et au travers de nombreux exercices qu'il serait vain de résumer, elle a vu que le langage était ce que nous partageons tous. Le prenant comme point de départ, elle en a fait l'élément unique de la performance. Elle voulait créer un cadre dans lequel elle puisse toujours travailler, qui puisse être le même avec ou sans le public. Elle voulait éviter que la mise en spectacle du matériel de recherche, l'arrivée du public n’impliquent une sélection, une simplification ou une formalisation. Surtout, elle voulait trouver une structure chorégraphique qui l'autorise à être dans un mode de recherche tout en pouvant inclure du public. Elle voulait que cette recherche soit très précise. Comment autoriser une extériorité tout en restant très honnête avec ce qu'elle pensait dans le moment ou avec ce qu'elle avait lu la veille ?
Plus largement, dans ce dispositif, elle questionne le rôle du spectateur. Le spectateur ne vient pas voir un spectacle fini. Il assiste à un pari, fait face à quelqu'un qui s'est donné un challenge. Il en voit les conséquences directes.
Dernière réflexion sur le dispositif, l'idée de répartir les chaises de manière aléatoire visait aussi à casser la hiérarchie impliquée dans les rangées, dans l'alignement habituel des chaises. Mettre tout le monde au même niveau, disposer la table dans un coin, et non de manière symétrique est un geste volontaire. La symétrie peut être prise comme un signe de pouvoir et comme un signe en général. Tout est fait, dans le dispositif, pour brouiller les signes, pour brouiller ce que l'on sait, ce que l'on peut lire.
Le langage comme un acte // De la parole à la performance
La conférence, en soi, n'est pas une performance mais un mode de transmission du savoir. Dans tous les « genres », la conférence-spectacle est désormais un incontournable des programmations d'une saison théâtrale, comme par exemple les conférences sur l'Anthropocène de Frédéric Ferrer ou les conférences gesticulées de Frank Lepage. Ces deux exemples, aux antipodes l’un de l’autre, mettent en scène « une personne qui sait », une personne détenant du savoir, même si cette dernière se trouve malmenée pour des raisons absurdes.
La première fonction de la conférence, en tant que telle, est d'expliquer plutôt que de faire un récit, comme le ferait le théâtre ou le conte. La conférence n'a pas (besoin) de dramaturgie, de conflit. Comment la conférence devient-elle alors un acte performatif ? Comment l’acte de parler, action la plus commune, peut-elle devenir une performance ?
Le rapport au savoir / être un contenant de langage sans savoir
La première spécificité de inging est son rapport au savoir. C'est cette relation qui va placer directement le public dans l’espace ambigu d’une conférence qui n'en est pas une. Comme le dispositif est créé spécialement pour brouiller les pistes, le performeur ne reste pas dans le mode opératoire de « celui qui sait ». Et pourtant, il est le seul qui parle. Rares sont les personnes ou personnages qui parlent sans vraiment savoir : les schizos délirent et associent, les enfants passent du coq à l'âne, les fous parlent seuls, les drogués parlent de choses que l'on ne voit pas.
Voici quelques commentaires de Jeanine Durning, datant de décembre 2015. Ce sont des notes précises sur la relation avec le savoir. Comment être une personne qui parle pendant 45 minutes et accepter de débuter la performance sans avoir rien à dire, sans être dans le sens ?
inging is a pure act of generosity, you cannot control to be taken a fool, out in space.
Even if you feel you're not making sense, you do know what you're doing.
What is at stake in the practise ? bring everything you have at that moment.
Start the practise, before you're ready, removing from the idea of what the begin is.
Être confortable dans l’inconfort devant un public
À propos du début... La performance doit commencer de la manière la plus quotidienne et la plus réelle possible. Au moment où je ferme la porte, je commence simplement à parler. Et la prochaine fois que je m'arrêterai, ce sera... 45 minutes plus tard. Il faut commencer avant d'avoir l'impression d'être prêt. Ce qui est le plus inconfortable, c’est de se forcer à n'avoir pas de pensées toutes prêtes et même de commencer avant que tous les spectateurs soient assis – souvent, certaines personnes continuent de parler, de poser leurs sacs. Le début est primordial. Si je suis trop stressé ou trop excité, les pensées vont trop vite et n'arrêtent pas de se re-calibrer. Il faut s'autoriser à commenter la situation, à expliquer que ce n'était pas prévu. Si même avec cela, les pensées sont trop fluides, le mieux est de prendre un objet ou une sensation physique pour avoir quelque chose de concret à partir de quoi poser sa pensée.
Parler à soi-même et parler aux autres en même temps
Pour fluidifier au maximum le flot, il faut pouvoir, quand on en a besoin, se parler clairement à soi-même, penser tout haut et de manière audible. Cela a pour effet de revenir à soi, de revenir à une proprioception. Par exemple, au moment où j'écris ses lignes, mes chaussettes me serrent. Et je me vois, enfant, à l'élastique de ces chaussettes en laine grises que ma mère m'avait faites et qui me gênaient. Cette pensée m'en crée trois nouvelles, je peux partir soit sur une association plus personnelle : les bouclettes blondes de ma mère, soit plus littéraire : la synesthésie avec la madeleine de Proust, soit technique : l'extrait de L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau d’Oliver Sacks. Revenir à soi-même, à des commentaires, permet d'ouvrir un imaginaire et de se retrouver quand on se perd. Cela redonne du « réel » à la situation, de l'intimité à la performance. Cela rend la performance encore plus performance. Suivant le public, ces retours à soi peuvent susciter de l'empathie. Perdre un contenu, le fil de la pensée, pour parler ouvertement de sa vie sexuelle, permet de tordre le côté conférence. La confession annule la distance que créerait un contenu plus intellectuel.
Parler à soi-même autorise l'imaginaire. C'est-à-dire d'oublier le public et de s'imaginer dans un lieu, de se projeter, de faire une utopie, de délirer. Le public voit la navigation de cet individu, complètement pris dans ses pensées, qui soudainement revient à la situation, en parlant très clairement de la position des gens dans la salle. C'est cette navigation qui devient un acte fort, un acte touchant. C'est cette navigation qui devient elle-même le contenu de la performance.
Avoir du contenu pour se libérer de la subjectivité
Je parle beaucoup de ne pas être dans le mode de la conférence alors que la pratique demande beaucoup de documentation en amont. Elle ne fonctionne que si de vrais moments de conférence, de transmission du savoir ont lieu. Ainsi, avoir des choses à dire évite que le discours ne repose que sur la subjectivité, que sur l'expérience du performeur, sur ce qu'il ressent. Avoir des lectures en tête, des références de livres, d'auteurs, des réflexions, des prises de notes et des prises de position sur l'actualité permet de sortir de soi. Le savoir est ainsi relié à des expériences personnelles dans un flot continu. Atteindre ce flot de pensées est un des buts de la pièce.
Le rôle du corps, entraînement ascétique. Tenir la durée et la vélocité
Tenir la durée demande un bon entraînement. Jeanine a créé toutes sortes d'exercices qui développent la vitesse, le changement d'associations. Tout repose sur une bonne porosité entre les mouvements que font le corps et les pensées. Les trois principaux exercices sont faits en cycles mais dans l'ordre nécessaire, suivant le besoin du moment :
- 10 minutes d'écriture en changeant toujours de sujet
- 10 minutes de mouvement en changeant tout le temps de consignes – ne jamais s'accrocher à une consigne, à une tâche, à un style ou un rythme.
- 10 minutes de parole en continu en suivant les associations.
- Puis 5 min. / 5 min. / 5 min.
- Puis 2 min. / 2 min / 2 min.
Il y a beaucoup de spectacles d'improvisation qui se basent sur une parole qui passe du coq à l'âne. Mais l'originalité de cette pratique est le rôle du corps dans le langage. Par exemple, reprendre la parole après avoir bougé en continu (et de manière visible) pendant 10 minutes permet à la parole d'être beaucoup plus vive. C'est-à-dire que la boucle rétroactive corporelle est plus active. Le corps donne plus de feedback à mes pensées une fois que j'ai bougé.
En revanche, l'écriture continue permet la réalisation d'archives, car j'ai remarqué que les associations y sont moins rapides qu'avec la parole. Ces archives sont comme des blocs de discours constitués par l'écriture, par la main en action et par les lettres. Plus littéraires, plus poétiques, elles sont essentielles à la pratique car elles peuvent être reformulées ensuite. À ce moment-là, quand je retombe sur quelque chose que j'avais écrit, c'est comme si j'avais un texte précis à dire.
Je pense que ces trois cycles permettent des formes de synesthésie et amènent une complexité à la pratique. Elles autorisent plus de circulation entre les mouvements, les gestes, la pensée, l'écriture et les souvenirs.
Parmi tous les exercices que Jeanine propose, j'affectionne ceux-ci, que j'utilise suivant les besoins :
- Yeux bandés
Si je remarque que, pendant la pratique (en préparation avant une performance avec public), mon imaginaire est assez limité, c'est-à-dire que je suis trop orienté sur l'actualité ou sur le concret de la situation, parler avec les yeux bandés permet de relâcher la vision et toutes les pensées liées à l'endroit où je me trouve. Avoir les yeux fermés pendant 10 minutes, tout en parlant, provoque plus de souvenirs, de réflexions, de sensations. - La périphrase
Cet exercice consiste à utiliser une périphrase plutôt que le mot lui-même. Cela permet d'allonger les phrases et de créer une pensée plus sinueuse, au cas où elle serait trop directe. - « see the word, say the word »
Pour ralentir la pensée et trouver d'autres chemins de paroles. Dire seulement un mot et attendre de voir un autre mot venir. - What kind of feedback do you get from the space ?
C'est un feedback que Jeanine avait l'habitude de me rappeler. Qu'est-ce qui se passe dans mon corps et dans mes pensées lorsque mon corps bouge dans l'espace ? Quelles sont mes pensées quand je regarde le plafond avec les taches ? Comment mon langage est-il affecté quand je m'approche d'un coin de la pièce ? - Devenir une bouche (inspiré de L’Innommable de Beckett)
À un moment dans la pratique, j'ai l'impression de devenir une bouche, de ne plus faire qu'un avec le langage. C'est comme un moment de dissolution. Jeanine faisait référence au livre de Beckett, L'innommable. J'avais créé ce visuel pour le solo en pensant à ce livre.
Essai de partition
Premièrement, la tâche est de parler sans s’arrêter pendant 15 minutes. Pas de chanson, pas de slam, pas de murmure. Il ne doit y avoir aucun silence. Même la respiration ne doit pas arrêter les mots. Elle doit se passer à la fin des phrases. La prise de salive ou se moucher est impossible.
Tout doit être prononcé de manière audible même si les phrases ne sont pas correctes. Cette pratique physique doit être maintenue absolument de manière continue et surtout quand l’organisme devient fatigué, quand l’esprit divague et ne sait plus ce qu’il dit.
Les émotions sont autorisées et peuvent être volontairement développées : pleurer, rire, être en colère.
Toute forme de diction et fonction du langage peut être incluse : murmurer, crier, zozoter, faire des accents, avoir une voix nasale, blaguer, convaincre, confesser, avouer, exposer, déclamer, prétendre, mentir, se moquer, imaginer, avoir une vision, délirer...
Le performeur doit
- observer ce sur quoi il parle et ne pas parler automatiquement
- choisir délibérément les associations qui lui viennent à l’esprit
- changer de sujet quand il arrive
- ne pas exclure de répéter des sujets de la veille
- ne pas chercher à répéter non plus
- être conscient de toutes les personnes assises
- scanner tous les événements de la pièce
- maintenir l’atmosphère du moment
- pouvoir jongler entre ce qu’il voit, ce qu’il imagine, son corps en face des gens, et prendre en compte les informations de sa parole
- commencer lentement
- admettre l'échec
- se sentir confortable dans l'inconfort
- utiliser et déplacer son corps
- regarder ailleurs
- changer de voix, de registres de voix, s'il a besoin de se réveiller
- finir de parler seulement quand il est sûr de ne plus pouvoir parler
- maintenir le silence