Réputé, depuis les récits de Tacite et Suétone, pour sa cruauté, son caractère taciturne et sa promptitude à la dissimulation, le second empereur de Rome est surtout celui qui a refusé de vivre parmi ceux qu’il gouvernait. Après un premier exil à Rhodes en 4 apr. J.-C., il quitte définitivement la capitale en 26 pour s’installer en Campanie, puis sur l’île de Capri en 27. Cet exil volontaire est d’autant plus intrigant que Tibère est alors à la tête de l’Empire et qu’il ne révèle pas au peuple les raisons qui l’ont incité à disparaître (Salles, 1985 : 238). Il laisse ainsi l’imagination de la postérité multiplier les possibilités d’interprétation. Au mystère qui entoure ce départ s’ajoute la suspicion sur les sources rapportant son existence1. On sait aujourd’hui avec quelle précaution il convient d’aborder l’œuvre de Suétone, biographe des empereurs dans Vies des douze Césars (1990 [iie siècle]). Sa tendance à l’exagération et son manque de critique des matériaux exploités poussent à s’interroger sur son traitement de la retraite. Celui-ci pourrait bien être lié à un projet littéraire misant sur des amplifications spectaculaires et appuyé sur la plasticité d’un épisode dont on ne sait presque rien. Quant à l’historien Tacite, bien qu'il soit plus prudent sur l’origine de ses informations, il n’en demeure pas moins visé par des attaques suggérant que son interprétation, pourtant annoncée sine ira ac studio (sans colère ni faveur) (Tacite, 1991 [iie siècle] : 374), serait en fait le fruit d’une hostilité préalable au régime impérial qui aurait orienté son récit. Pauline Duchêne (2022 : 267-300) a récemment prouvé que ce principe « d’arrangement » est tout à fait ordinaire dans l’historiographie des deux premiers siècles, mais souligne malgré tout que l’incertitude et le manque de renseignements sur Capri impliquent que ces récits relèvent essentiellement de fantasmes, au sens donné par Platon de « simulacre » (1969 [ive siècle av. J-C] : 48)2. L’ambiguïté de cet évènement se situe ainsi entre mémoire et imagination (Ricœur, 2001 : 26) puisque la dimension historique de l’épisode suppose une ambition « véritative », c’est-à-dire relative à la recherche de vérité, alors que son inaccessibilité fondamentale implique nécessairement une compensation par l’invention.
Nous nous interrogerons ici sur le potentiel symbolique de la retraite et sur son ambivalence d’un point de vue narratologique. Pour ce faire, nous avons retenu un corpus constitué autour des principales périodes d’évolution de l’image de Tibère dans la littérature. On distingue en effet deux tendances majeures. L’une poursuit la représentation traditionnelle qui fait de lui un monstre pervers et dissimulateur. L’autre voit dans son repli le geste de sagesse d’un individu supérieur, opposé à une masse corrompue. Cette distinction a été clairement établie par Marie-France David-de Palacio dans son essai Ecce Tiberius (2006). Elle analyse le processus de réhabilitation né en Allemagne entre 1850 et 1930, et le contexte qui favorise cette mutation, bien loin de l’hostilité persistante en France à l’égard de Tibère. Notre dette envers son travail est importante, puisque l’itinéraire qu’elle décrit est indispensable à la compréhension de l’évolution symbolique de Tibère, et donc de sa retraite. Dans la continuité de cette discussion d’ensemble, nous avons tâché de revenir plus spécifiquement sur le sens donné à l’isolement insulaire dans des œuvres significatives des deux grandes approches, en étendant la réflexion à des productions postérieures à la période étudiée dans Ecce Tiberius, notamment deux romans de la fin du xxe siècle. Nous avons ainsi retenu Les Mémoires de Tibère (1998 [1990]) d’Allan Massie, qui prend la forme de faux mémoires dans lesquels Tibère se défend des jugements qui lui sont adressés par ses contemporains, et Poison et Volupté (1999) de Paul-Jean Franceschini et Pierre Lunel, deuxième tome d’une série consacrée à la vie des membres de la famille impériale entre le règne d’Auguste et la vieillesse de Tibère. Cet ajout permet de révéler la persistance de certains thèmes développés par la réhabilitation allemande au-delà de son contexte spécifique. Il offre aussi la possibilité d’élargir l’analyse de l’enjeu narratologique que les romans allemands avaient commencé à exploiter grâce à des œuvres qui poursuivent la réflexion sur l’inconciliation des points de vue, fondamentale au sujet de la retraite.
Nous nous intéresserons d’abord à la subsistance de l’image monstrueuse associée à l’épisode, essentiellement dans la production française du xixe siècle, notamment le drame peu connu de Ferdinand Dugué, Tibère (1881) écrit sous la censure. Nous reviendrons ensuite sur sa symbolique à partir du changement de regard porté par la réhabilitation. À cet effet, nous avons retenu trois romans historiques de langue allemande qui permettent de synthétiser les idées de cette nouvelle approche et de montrer avec quelle pertinence cette relecture de la retraite à Capri s’inscrit dans les préoccupations littéraires de la modernité, c’est-à-dire, entre autres, les questionnements existentiels sur la confrontation à la décadence face à laquelle l’individualisme apparaît à la fois comme une solution et comme une fatalité. Notre attention s’est naturellement portée sur l’un des pionniers de la réhabilitation littéraire de l'Empereur, Tiberius (1889), de l’Allemand Wilhelm Walloth connu pour ses récits historiques, en particulier son Oktavia (1885), mais aussi pour sa comparution au procès des réalistes de Leipzig, où il est accusé d’outrage à la morale publique. Bien qu’elle ne soit pas à proprement parler « réaliste », son œuvre reprend l’exploration psychologique développée dans de nombreuses productions de l’époque au profit d’une réflexion pessimiste sur la condition humaine à partir notamment de la vie de personnages historiques. Nous nous pencherons également sur le roman Wenn Götter lieben (Quand les dieux aiment) de Richard Voss (1913), un auteur d’opposition à l’oppression de l’État et l’Église face à laquelle l’individu se trouve isolé3. Son utilisation de Tibère à Capri s’inscrit dans cette veine. Enfin, nous avons retenu Tiberius auf Capri (1927) de l’Autrichien Egmont Colerus connu entre autres pour ses travaux de vulgarisation scientifique, mais aussi pour ses romans historiques mêlés de philosophie au sujet de figures célèbres comme son Leibniz (1934). Ces trois romans exploitent l’épisode de Capri dans une approche philosophique de l’isolement d’un être en marge des valeurs du monde. Cette lecture est typique d’un tournant du siècle marqué par la valorisation de l’individualisme, et un questionnement sur la décadence qui aura influencé la représentation de Tibère de manière pérenne dans la postérité. Surtout, elle permet de révéler l’enjeu essentiel de l’écriture de la retraite en posant comme central le problème de l’impossible communication avec l’absent. Bien que les ouvrages abordés soient des fictions, les conditions d’accès à la vérité se trouvent au cœur de l’intérêt littéraire d’un tel épisode. Toute l’ambiguïté réside en effet dans la volonté de savoir ce qui a pu se passer dans ce lieu hors d’atteinte, loin des regards et libéré de toutes règles. Les œuvres de réhabilitation jouent sans cesse de cet antagonisme des points de vue entre vérité intérieure et extérieure pour proposer une version qui doit contredire la rumeur étrangère à la retraite. On comprend bien alors que cette réécriture constante implique un questionnement sur la connaissance préalable du lecteur, puisque les productions trouvent leur sens dans l’opposition à une tradition hostile. Cet aspect est d’autant plus délicat que les romans abordés ici sont jugés « populaires » dans la mesure où ils ne sont pas destinés aux spécialistes de la période. L’ambiguïté réside dans le fait que la réhabilitation s’inscrit dans un rapport complexe d’intertextualité vis-à-vis des récits antérieurs sans exclure la perspective d’une lecture autosuffisante et accessible même aux non-spécialistes. Sans mettre en cause l’autonomie d’une littérature adressée au grand public, ces romans sont à penser dans la double possibilité d’une approche « naïve » ou « éclairée » d’une connaissance des sources et des débats préexistants.
Le repaire du monstre insulaire
Hormis quelques exceptions comme Voltaire (1827) ou le moins célèbre Simon-Nicolas-Henri Linguet (1774), opposés de manière précoce à la représentation traditionnelle, les récits sur Tibère sont massivement influencés par Tacite et Suétone qui ont fait de Capri un asile de débauche et de déchéance. Chez Suétone, l’île apparaît comme le lieu d’assouvissement des pulsions monstrueuses de l’Empereur :
À la faveur de la solitude et pour ainsi dire loin des regards de la cité, il donna libre carrière à la fois à tous les vices qu’il avait jusque-là mal dissimulés (Suétone, 1990 : 156).
L’île est ainsi fondamentalement liée à l’idée de progression vers le mal et de protection du monstre débauché. Tibère apparaît par exemple dans des pamphlets de Victor Hugo, comme Le Manteau impérial publié en 1853, dans lequel l’homme et sa retraite sont associés à la déchéance :
Ce qui sort de la fange y rentre.
Va trouver Tibère en son antre (Hugo, 1985 [1853] : 112)
Sans doute inspiré par la description de Suétone, Hugo appuie l’idée d’une progression naturelle vers le mal. L’Empereur, fondamentalement mauvais dès son origine, cherche l’abri d’un « antre » animal ou monstrueux qui doit toutefois le priver de son lien avec l’humanité. Le choix du personnage impérial n’est ici pas anodin puisque le poème d’Hugo sert sa satire récurrente du régime de Napoléon III. Le parallèle semble d’ailleurs commun dans la littérature française de l’époque, car les références à Tibère sont un motif valable de censure sous l’Empire. C’est le sort subi par exemple par le drame de Ferdinand Dugué, Tibère (1881), qui développe le même genre de figure isolée et effroyable. Bien que l’analogie soit moins explicite que chez Hugo, qui évoquait les abeilles du manteau impérial de Napoléon III, la pièce est interdite et ne peut paraître qu’en 1881, ce qui suggère que l’association des deux empereurs soit relativement admise. Dans Tibère, Capri est le symbole d’un lieu de pouvoir totalitaire, qui fournit à son habitant une impunité absolue puisqu’aucune législation n’a cours, sauf celle imposée par le despote insulaire. L’injustice se manifeste notamment par l’enlèvement de l’innocente Blandine. Celle-ci prévoit d’être sauvée par la juridiction romaine, mais voit ses espoirs réduits à néant par une servante de Tibère, habituée au fonctionnement de l’île : « Des lois ! À Caprée ! » (Dugué, 1881 : 45). La jeune femme, insoumise, est par la suite offerte aux esclaves de Tibère comme récompense d’un tirage au sort, symbole de la dépossession et du destin inhumain qui attend les prisonniers du tyran.
Si la retraite à Capri est bien associée aux activités odieuses de la légende, il est notable que ces représentations hostiles ne fassent généralement que suggérer des crimes bien sobres en comparaison des commentaires antiques. Tibère passe bien pour un monstre, mais l’optique morale des productions françaises semble imposer une certaine pudeur qui évoque l’atrocité plus qu’elle ne la révèle. Les anecdotes ne manquent pourtant pas chez Suétone pour faire de Capri un véritable théâtre des horreurs. Cette réserve paraît s’être levée au cours du xxe siècle, puisque les représentations de Tibère se plaisent à s’emparer des épisodes les plus violents des Vies des douze Césars. On pensera par exemple à sa rencontre avec le pêcheur qu’il aurait défiguré avec une écrevisse (Suétone, 1990 : 64), reprise dans Poison et Volupté (Franceschini et Lunel, 1999 : 195) ou dans le roman beaucoup plus célèbre de Robert Graves, I, Claudius (2006 [1934] : 293). Cette évolution s’explique sans doute par la libéralisation de la littérature au xxe siècle, mais aussi par le fait que l’ambition de ces récits n’est plus la défense d’une morale qui passerait par l’utilisation de Tibère comme repoussoir associé à ce qu’on ne peut montrer. Si la brutalité et le meurtre semblent s’être banalisés en art, on continue néanmoins d’observer une certaine réserve quant aux vices sexuels de Tibère, pourtant indispensables à son discrédit antique, comme le suggère ce passage de Tacite :
L’ardeur de la débauche l’emportait à ce point, qu’à l’exemple des rois il souillait de ses caresses les jeunes hommes libres. Alors furent inventés les noms auparavant inconnus de « sellarii », de « spintriæ », qui rappelaient des lieux obscènes ou de lubriques raffinements (Tacite, 1990 : 578)4.
Suétone rapporte l’idée plus odieuse encore que Tibère s’enfonçait dans les grottes de Capri en compagnie d’enfants, qu’il forçait à nager avec lui et à « l’exciter de leur langue et de leurs morsures » pendant qu’il les appelait ses « petits poissons » (Suétone, 1990 : 157). La dissimulation de ces actes dans les profondeurs de l’île correspondrait ainsi au rejet des pires marques de corruption au plus loin du regard de l’humanité. Ces épisodes de déviances sexuelles restent malgré tout peu représentés dans la postérité, comme si les comportements les plus ignobles devaient rester enfouis dans les lieux les plus inaccessibles. Cela semble ainsi donner raison à Suétone lorsqu’il écrivait au sujet de Tibère qu’« il poussa la turpitude encore plus loin, et jusqu’à des excès qu’il est aussi difficile de croire que de rapporter » (ibid. : 157). Les quelques productions qui oseront tout de même montrer ces anecdotes telles quelles sont assez tardives et associées à une esthétique volontairement voyeuriste, voire obscène. On pense par exemple au péplum pornographique de Tinto Brass, Caligula (1979), qui met en scène le vieillard baignant avec ses « petits poissons », entouré de mères allaitant des nourrissons. Dans la suite de la séquence, Tibère emmène Caligula visiter les profondeurs de son palais. On y découvre les fameuses spintriæ de Tacite, des groupes d’esclaves difformes, attachés, affublés d’accessoires à l’utilité explicite, contraints à des jeux sexuels dans l’ambiance infernale d’une obscurité rougeâtre, révélée sous les coups d’un martèlement sonore qui suggère un spectacle mécanique. L’anecdote antique fournit un sujet propice à une esthétique reposant sur la fascination pour ce que la morale voudrait dissimuler et que le genre pornographique entend justement dévoiler à grand renfort d’images explicites.
Quel que soit l’objectif recherché, la logique des récits hostiles tend à un rejet total de Tibère par l’humanité. Il devient littéralement une bête ou un monstre. Suétone nous apprend en effet qu’on l’accabla du surnom de « Caprinée » (Suétone, 1990 : 157), qui signifie à la fois « l’homme de Capri » et « vieux bouc », animal associé à la lubricité et l’excès de Bacchus. Dans les œuvres qui insistent sur une satire plus politique, le bouc est parfois remplacé par l’aigle, comme chez Dugué (1881 : 29), métaphore d’une grandeur impériale devenue cruauté. Chaque élément est utilisé pour priver Tibère de ce qui pourrait encore faire de lui un être humain, de son esprit, à son corps. Le processus va jusqu’à exploiter la réflexion physiognomonique initiée par Suétone (Couissin, 1953 : 234-256) et reprise par les romans hostiles (David-de Palacio, 2006 : 154) ou dans le film de Tinto Brass dans lequel la peau ulcérée de Tibère suggère une corruption à la fois physique et morale. Capri devient le cloaque qui dissimule et confine tout ce que la norme rejette et espère voir disparaître.
Une telle homogénéité dans les éléments qui légitiment l’évincement a cependant de quoi sembler suspecte. Le lecteur éclairé peut en effet s’étonner que Tibère ait eu à cacher ses vices quand Caligula, son successeur, les exerçait librement à Rome. En outre, certains historiens du xixe siècle pointent les incohérences qui rendent inconciliables les récits de Paterculus, historien contemporain de Tibère et favorable à l’Empereur, à ceux de Tacite et Suétone (David-de Palacio, 2006 : 15-20). La logique qui dirigeait la représentation traditionnelle tend ainsi à être remise en question. C’est ce qui motive le mouvement de réhabilitation né en Allemagne et progressivement étendu à l’imaginaire commun des productions plus récentes.
Un asile pour se couper des vices du monde
Le renversement symbolique que connaît Tibère dans les romans allemands de la fin du xixe siècle s’inscrit dans un contexte particulièrement propice. La réhabilitation semble être le fruit d’une coïncidence entre les nouvelles théories d’historiens au sujet de l’Empereur et la proximité de ces relectures avec les préoccupations littéraires de leurs contemporains. Nous ne pouvons revenir ici en détail sur toutes ces influences, mais renvoyons à l’essai de Marie-France David-de Palacio très complet à cet égard5. Il convient néanmoins d’évoquer brièvement deux pistes majeures. Notons d’abord l’importance de l’intérêt suscité par le projet philologique d’élucidation du « cas » Tibère (David-De Palacio, 2006 : 9). Celui-ci, en mettant en cause les sources traditionnelles, et en signalant en particulier leur manque d’objectivité, a ouvert la voie à de nouvelles interprétations opposées au consensus qui régnait jusque-là. Soulignons par ailleurs la place de Tibère dans les études psychiatriques de l’époque au sujet des effets du pouvoir sur l’esprit. Friedrich Wiedemeister (1875) sera parmi les premiers spécialistes à reprendre l’inquiétude maladive évoquée notamment par Suétone (1990 : 143/167), et à développer sérieusement l’expression « Cæsarenwahnsinn » (folie des césars), popularisée auparavant par Gustav Freytag dans son roman Le Manuscrit perdu (1864). Cette théorie, qu’on retrouvera souvent dans les fictions ultérieures, veut que l’exercice d’un pouvoir démesuré et la proximité d’un entourage hypocrite aient poussé à l’extrême sa tendance paranoïaque. L’idée fournit à la réhabilitation ses deux traits principaux. Elle exerce en effet une influence considérable sur les romans qui font de la lecture psychologique un enjeu majeur de la compréhension de Tibère. Cet intérêt pour les mécanismes de l’esprit, bien qu’il soit sans doute influencé par la subsistance de la démarche scientifique des naturalistes6 à l’époque des premiers romans de réhabilitation, notamment celui de Walloth, caractérise plus largement l’intérêt de la fin de siècle allemande, et plus largement du modernisme à venir, pour l’individualisme7. C’est cette nouvelle perspective qui permet de penser la possible déresponsabilisation du tyran en expliquant son isolement par la volonté de rompre avec un milieu extérieur corrompu à l’origine de la souffrance de l’individu. Tibère apparaît alors comme une figure idéale de la réflexion allemande sur la décadence, qui donnera en quelque sorte le ton des préoccupations littéraires du début du xxe siècle. En effet, la décadence allemande, influencée notamment par Nietzsche, privilégie un questionnement philosophique, voire métaphysique, sur la place de l’individu dans un monde en perdition. Il s’agit de voir dans l’individualisme une réponse à la déliquescence des valeurs du monde8. Dans le contexte allemand, il existe un lien fort entre cette mise en avant de valeurs censées aider à la préservation du monde, et les préoccupations nationalistes. Cette perspective politique mériterait un développement spécifique que nous n’avons pas la place de mener ici. Notre objectif étant d’observer le potentiel du motif de la retraite sur une échelle plus large, nous nous concentrerons sur le retournement symbolique opéré à cette époque et à ses conséquences sur la postérité. Pour l’aspect politique, nous renvoyons aux pistes évoquées par David-de Palacio tout au long de son essai.
Dans la décadence allemande, le départ de Tibère ne correspond ainsi plus au rejet de l’individu par l’humanité, mais à un geste de sauvegarde face à la corruption du monde extérieur. Le motif est récurrent et le roman de Colerus (1927) en offre une image explicite dans ce passage où Tibère s’oppose à l’incursion de Romains à Capri :
T’imagines-tu que Neptune créa Capri pour qu’elle soit souillée par les ordures de Rome ? Capri rejette Rome, la recrache dans la mer, la met en pièce ! Capri reste pure (Colerus : 101)9.
Cette inversion « géologique » d’expulsion du continent par l’île traduit la rupture entre l’individu et la masse, dont les valeurs ne sont plus celles du bien. La situation se fait le miroir de la modernité, où seule l’exaltation des valeurs individuelles apparaît comme solution à la décadence. Symboliquement, l’opposition entre Tibère et le vice du monde extérieur se fait par l’éloignement du peuple, mais elle se présente aussi dans le contraste offert par la présence de figures du mal plus spécifiques au sein du système actantiel. Le plus souvent, c’est Séjan qui occupe ce rôle, comme dans les romans de Voss et de Walloth. Celui que Tibère pensait être son ami et qui a profité de son absence pour servir ses propres ambitions personnifie alors la décadence qui justifie la perte de confiance et l’exil d’un homme voué à une solitude tragique dont l’île est la métaphore. Si ce procédé est typique de la réhabilitation allemande, il est intéressant de noter que cette opposition avec Séjan était déjà employée de façon étonnamment précoce en France dans la tragédie de Bernard Campan, Tibère à Caprée (2013 [1847]). La pièce s’achève de manière surprenante sur un Tibère pleurant la perte de son ami qu’il fut contraint d’éliminer après sa trahison. En outre, la présence du mal à l’extérieur de Capri est si intégrée à l’imaginaire de la décadence romaine qu’elle est également utilisée même dans certaines œuvres hostiles à Tibère. Dugué inclut par exemple à son drame le personnage de Romulus, dont le nom représente par métonymie les habitants de Rome, un ancien citoyen romain ayant perdu ses privilèges et prêt à tout acte malhonnête pour retrouver une vie luxueuse sans fournir d’effort. Le contraste ne valorise en rien Tibère, mais révèle la continuité entre le chef et le peuple. Sans doute doit-on lire ici une analogie servant la satire typique d’une bourgeoisie française avide de confort, non moins viciée que son empereur, telle qu’on la trouve beaucoup dans la deuxième moitié du siècle. L’extérieur de l’île joue toujours un rôle majeur, mais la particularité de la réhabilitation est d’exploiter cette extériorité corrompue pour redorer par contraste l’image de Tibère. Dans le roman de Walloth, son départ, sa haine et ses crimes sont justifiés à la fois par son dégoût de la décadence, et par son incapacité à aider une civilisation aveugle. Tibère affronte Séjan, qui songe à avilir la masse : « Je cherche à élever le peuple, pas à le rabaisser » (Walloth, 1889 : 110)10. Mais son projet est voué à l’échec. Persuadé que l’Homme est fondamentalement mauvais et menteur, il s’oppose à la solution du Christ, car il est certain qu’une religion fondée sur l’amour et la confiance ne peut que mener cette humanité hypocrite à sa perte (ibid. : 125)11. Tiberius donne le ton des fictions suivantes en montrant la souffrance d’un Tibère enfermé dans son asile de solitude alors qu’il ne cherchait qu’à résister à la diffusion de la corruption et du mensonge.
Le Tibère allemand est donc aux antipodes du tyran manipulateur qui usait de duplicité pour asseoir son autorité. Son départ est en réalité une tentative de retour à l’authenticité et à la simplicité dont l’être a été privé. Le roman de Voss révèle les pensées intimes de l’Empereur alors qu’il songe à se libérer d’un statut politique qu’il n’a pas choisi, mais que le monde lui a imposé :
Ce qu’il aurait préféré, c’est s’évanouir dans le vide, fuir dans le désert, sur les plus hauts sommets figés dans les neiges éternelles, comme s’il était le seul homme au monde […] Alors il aurait cessé de faire ce sourire. Mais seul cela était refusé à son pouvoir d’empereur (Voss, 1913 : 53)12.
L’idéal de tranquillité auprès de la nature se fait ici le symbole d’une pureté retrouvée hors de toute décadence, en rupture avec les faux semblants. « Ce sourire » qui n’est pas le sien, reprend la métaphore du masque, récurrente dans l’œuvre de Voss, emblème des valeurs morales imposées par l’ordre social qui dépossèdent l’être de son identité. Si on observe un tel écho nietzschéen dans ce motif d’aspiration à l’authenticité, c’est bien sûr que la littérature de cette époque en est particulièrement imprégnée, mais aussi que Nietzsche lui-même exploitait Tibère en ce sens dans Le Gai Savoir : « celui-là était authentique, nullement acteur ! » (1901 [1882] : 81). Il voit en lui l’un de ces « esprits libres » qui refusent de jouer la comédie du monde social et s’isolent pour transcender les normes restant ainsi fidèles à leurs valeurs. Malheureusement, comme l’annonce Nietzsche, cette quête est une fatalité pour le surhomme. L’élévation engendre la perte, puisqu’elle n’apporte en définitive que solitude et incompréhension, destin systématique de Tibère dans les romans allemands où il semble être devenu un héros tout à fait moderne.
Malgré la coïncidence évidente de cette relecture avec les préoccupations allemandes du tournant du siècle, l’image d’un homme sincère et exilé pour sa propre préservation a finalement été largement intégrée dans la postérité littéraire de Tibère. Dans Les Mémoires de Tibère d’Allan Massie, l’Empereur se présente comme un individu honnête, toujours victime de l’extérieur. Il revient notamment sur le jour où le Sénat lui a demandé de succéder à Auguste, ce qu’il commença par refuser. Là où Tacite et Suétone voient un jeu de dupe13 dans lequel Tibère aurait cherché à valoriser sa modestie, le personnage de Massie affirme que sa seule aspiration était, comme chez Voss, la tranquillité (Massie, 1998 : 170-174). De même, dans Poison et Volupté (1999), il espère s’astreindre de la fausseté que lui impose son statut : « Plus de cirque ! » (Franceschini et Lunel, 1999 : 178). Le pouvoir l’a dépouillé de tout ce qu’il était et de tout ce qu’il aimait. « Dans la Famille, la vie publique passe avant la vie privée » (ibid. : 116) lui rappelle sa mère, la manipulatrice Livie. Comme chez l’historien Ernst Kantorowicz, le corps politique remplace le corps privé et dépossède l’individu de lui-même (1989 [1927]). Malheureusement, alors que le départ à Capri doit permettre un renouveau, Tibère reste persuadé, comme dans les romans allemands, qu’il est destiné au malheur existentiel et la retraite devient le symbole d’un enfermement fataliste.
Comme le remarquait déjà Marie-France David-de Palacio dans les romans antérieurs (2006 : 175), cette perspective fataliste peut être assimilée à une forme de stoïcisme qui conférerait à Tibère les valeurs d’une aspiration au bien. On retrouve dans cette interprétation le propos de Sénèque dans Le Temps à soi : « ils sont fortement unanimes à nous recommander les vices. Quand il ne nous est permis de ne tenter rien d’autre pour notre salut, la retraite n’en sera pas moins utile en soi-même : isolés, nous nous perfectionnerons » (2016 [ier siècle] : 29). Le sage reclus s’oppose ainsi à la masse des stulti (les insensés) et s’en préserve. Cette valorisation par le stoïcisme est perpétuée dans Poison et volupté par la poursuite de la tâche politique. Tibère emporte partout avec lui son lourd bureau de travail, métaphore d’un fardeau qu’il n’a jamais abandonné. L’analogie est d’autant plus explicite que le meuble a appartenu à Cicéron, qui a fermement défendu comme une vertu le respect de ce devoir d’« utilité » dans son De Officiis (1974 [44 av. J.-C.]). Notons bien cependant que le portrait de Tibère dans ces deux romans plus récents est plus nuancé que celui des Allemands. Le personnage de Poison et Volupté reste coupable d’un aveuglement qui a permis de nombreux crimes. La référence à Cicéron évoque la vertu du devoir stoïcien, mais aussi, puisque l’orateur est connu pour son opposition au fatalisme, la critique de l’aveuglement qui pousse Tibère à commettre de graves erreurs de jugement.
L’objectif n’est plus une réhabilitation à proprement parler, mais plutôt la prise en compte des ambiguïtés posées par la confrontation de la légende noire aux récits contestataires pour faire de Tibère une figure complexe, toujours incomprise, quoique loin d’être innocente. Si la finalité est différente, l’enjeu symbolique subsiste, puisqu’il s’appuie sur le problème fondamental que révélaient déjà les romans allemands. La représentation de la retraite soutient systématiquement l’idée d’une confrontation entre les points de vue inconciliables de l’intérieur et de l’extérieur. Celle-ci se matérialise dans l’incompréhension subie par Tibère, dont la voix a été rendue inaudible par l’éloignement, et par des siècles de déformations. L’ambition de ces représentations est alors de retrouver une parole authentique.
Rendre sa présence à l’absent
Symboliquement, la représentation de la retraite consiste toujours en une tentative de mise en présence d’un absent inaccessible. Si cette idée guide déjà plus ou moins explicitement les récits traditionnels, qui compensent le mystère en offrant une visibilité à Tibère, l’hostilité dont ils font preuve implique que la monstrueuse effigie ainsi créée soit éloignée au nom de critères moraux définis par le regard extérieur. Le propos de la réhabilitation est au contraire d’inverser cette tendance, puisqu’il s’agit de prétendre renouer un lien direct et pur avec l’individu absent. Pour ce faire, les romans convoquent souvent le motif de la rencontre. Des personnages étrangers à la retraite se rendent à Capri et leur réunion avec l’Empereur annihile les préjugés qu’ils amènent de Rome, ceux qui nous sont parvenus par le biais de la légende noire. Le procédé est employé par Walloth au travers de la relation amoureuse entre Tibère et la germaine Thusnelda. Celle-ci prend progressivement conscience à son contact que le tyran n’est qu’un incompris. On trouvait déjà cette idée, à une date étonnamment précoce pour un récit français, dans Les Nuits de Rome (Saint-Félix, 1853 : 160). Un groupe part à Capri pour secourir l’innocente Danaé qui y est retenue prisonnière, mais la jeune femme refuse de s’en aller, car elle ne voit dans cet asile que plaisir et pureté. Un motif similaire apparaît dans le roman d’Albert du Bois, Écrit avec le sang de Rome (1922), à une époque où la réhabilitation est mieux installée. Un Romain se rend sur l’île, persuadé qu’il y rencontrera le monstre que l’on décrit sur le continent, mais le vieillard qu’il découvre est pathétique, maladif et incapable des crimes dont on l’accuse. Le schéma est conservé jusque dans les récits plus récents, comme Poison et Volupté (1999), où des proches de Tibère constatent par eux-mêmes que l’Empereur s’adonne simplement aux joies du jardinage et que les atrocités, telles que l’histoire des « petits poissons », n’étaient que le pur produit du fantasme romain.
Cet objectif d’accès à l’intérieur de l’île est poursuivi également par l’approche psychologique privilégiée dans les romans allemands. L’incursion dans Capri correspond à l’investissement de la psyché torturée de l’Empereur par la narration, puisque les deux servent à contredire la rumeur venue de l’extérieur. À la suite notamment de Walloth, la mobilisation de la pensée de Tibère compense ce que les regards étrangers à la retraite n’ont su voir et invalide la « vérité » traditionnelle qui n’apparaît plus que comme une suite de préjugés infondés. Bien sûr, ces productions sont bien des romans historiques, des fictions qui n’ont pas pour ambition d’évincer le travail des historiens. La question de la vérité y reste toutefois centrale, au moins dans le cadre du « jeu de faire semblant » de la fiction (Schaeffer, 1999), puisque l’éloignement de la retraite et son traitement selon le consensus habituel d’hostilité servent de catalyseur à une réflexion typique du modernisme romanesque sur la tension entre objectivité et subjectivité. Cette remise en question des approches antérieures tient pour essentielle l’idée que l’accès à la perspective de l’individu offre le contact à la vérité. Néanmoins, elle tient également compte à la fois de son indisponibilité fondamentale, ainsi que de la suspicion qui pèse nécessairement sur l’honnêteté du marginal insulaire. Alors que l’on comprend aisément la méfiance envers les distorsions qu’ont pu causer la distance et la rumeur, les accusations d’hypocrisie et la théorie du dérangement mental influent malgré tout sur la confiance qu’on peut accorder au point de vue de Tibère. Pour pallier cet écueil, les récits de réhabilitation soutiennent généralement cette intériorisation par des voix garantes d’une objectivité extérieure. Ce rôle est joué par les visiteurs, dont la prise de conscience sert à prouver que le regard étranger à l’île s’est trompé, ou par une narration extradiégétique dont la neutralité confirme ou infirme ce que suggérait l’accès à la pensée de Tibère. Chez Colerus, par exemple, les ruptures syntaxiques dans les monologues intérieurs trahissent la confusion causée par la Cæsarenwahnsinn, mais l’alternance avec le point de vue impartial d’un narrateur extérieur au récit confirme l’honnêteté dans la souffrance de l’Empereur. C’est ce qui légitime la « vérité » de la réhabilitation au sein d’un texte dont l’objectif est clairement de valoriser Tibère. Cette question de la confiance est rendue plus visible encore dans les romans postérieurs, moins unanimement bienveillants envers le personnage, puisque ceux-ci n’éliminent pas l’idée que Tibère puisse se tromper ou, conformément à la légende, mentir. Dans Les Mémoires de Tibère d’Allan Massie, l’Empereur se défend des vices qui lui sont reprochés et révèle la corruption de son entourage. En outre, le genre des mémoires doit octroyer l’accès à l’intériorité de Tibère pour prouver le caractère infondé des rumeurs. Considéré dans son autonomie, le texte semble alors s’inscrire dans la lignée directe des œuvres de réhabilitation. On ne peut cependant négliger l’ambivalence du genre des mémoires dans lequel cette tentative d’opposition aux rumeurs est contrariée par une narration autodiégétique suspecte, elle aussi, de déformations involontaires, voire d’une quête de glorification personnelle. Sans garant d’une neutralité extérieure, il est difficile, en particulier pour le lecteur éclairé d’une connaissance de la légende, de savoir s’il faut faire confiance à Tibère et juger la rumeur en tant que calomnie, ou voir dans sa démarche celle d’un politicien malhonnête qui cherche à dissimuler ses vices pour se magnifier, comme le suggère justement la tradition. Le lecteur est ainsi renvoyé à une réflexion métadiscursive, empreinte sans doute d’une tendance postmoderniste14, qui met en cause la confiance accordée au narrateur. Le récit de l’arrivée à Capri est particulièrement troublant à cet égard. Tibère prétend avoir rencontré l’esprit de l’île qui lui aurait offert la tranquillité espérée en échange d’une réputation odieuse pour les siècles à venir. Aucune autre explication n’est donnée à cette unique apparition mystique. Il est impossible de savoir s’il s’agit d’une hallucination de l’esprit malade de l’Empereur, d’un éhonté mensonge destiné à dénoncer les médisances pour se déresponsabiliser, ou de l’expression allégorique d’une retraite à la fois salvatrice et destructrice par un poète marginal et incompris. Le propos est laissé à un jugement extérieur qui ne peut l’interpréter qu’à partir de ce qu’il connaît, sans savoir à quel point de vue faire confiance. Le témoignage de Tibère est confronté à l’incertitude fondamentale liée à son éloignement, mais aussi soumis à une appréciation qui porte en elle le poids de tous les autres récits qui l’ont précédé. La polyphonie15 interne au roman se fait ainsi l’écho d’un dialogisme intertextuel qui révèle l’emploi du « mot d’autrui » (Bakhtine, 1984) dans chaque tentative d’accéder à la retraite depuis l’extérieur et implique la superposition continue de fantasmes successifs. Tout effort d’incarnation de l’absent ne peut se faire qu’au sein de ce que Maurice Blanchot nomme « espace littéraire » (Blanchot, 1955), lieu d’imaginaire commun sans cesse reconstitué et jamais clos (Garnier et Zoberman, 2006). Le mystère est fondamentalement insoluble et toute réponse doit s’appuyer sur une connaissance initiale dont on ne peut distinguer la part d’illusion et de réel.
Conclusion
Lorsque les romanciers allemands s’emparent de l’épisode de Tibère à Capri pour y trouver l’illustration du sentiment moderne de l’individu incompris, ils ne font en réalité qu’adapter le thème de la retraite à leurs préoccupations, comme ont pu le faire avant eux les récits traditionnels auxquels ils s’opposent. Néanmoins, même si ces romans peuvent voir leur propre critique se retourner contre eux, ils ont l’intérêt de mettre en lumière l’ambiguïté que rencontre toute entreprise de représentation de cet espace inaccessible. L’aboutissement des récits modernes sur Tibère n’est pas seulement la réhabilitation de ce personnage énigmatique, mais exprime plus largement l’angoisse d’incompréhension entre l’être et le monde. De manière plus générale, le passage de Tibère à Capri constitue une part essentielle de sa légende, et sa retraite apparaît, en définitive, comme la concrétisation du caractère taciturne et solitaire qui lui est attribué, sans que l’on puisse l’expliquer avec une quelconque certitude. La retraite définit finalement Tibère comme un être inaccessible et Capri devient un lieu immatériel où tout est rendu possible. Si nous avons choisi l’image de l’espace littéraire pour symboliser cette reconstitution incessante, c’est d’abord pour sa connotation spatiale qui offre à l’absent une illusion de présence. Surtout, elle rend compte de la propagation du fantasme lié à Capri hors de la seule sphère textuelle et de son invasion dans l’imaginaire et l’espace commun. Au xixe siècle, le développement du tourisme à Capri s’appuie sur l’aspect mystérieux de l’île ainsi que ses propriétés physiques spectaculaires, mais aussi sur la légende de Tibère pour en faire un lieu libéré de toute contrainte, pour le meilleur ou pour le pire. Dans cet ordre d’idées, il est curieux de constater que l’île reste associée à la débauche et la réclusion des récits antiques. Elle sert d’asile aux exclus sociaux, notamment aux homosexuels persécutés, comme Norman Douglas, ou au tristement célèbre Fritz Krupp. Avant eux, le marquis de Sade trouvait refuge à Capri après cinq arrestations pour conduite immorale, c’est là qu’il trouva l’inspiration d’une orgie pour La Nouvelle Justine. Aujourd’hui encore, certains visiteurs prétendent que l’endroit est hanté par l’esprit du bouc à la recherche de nouvelles victimes pour ses débauches16. Capri n’est plus à un fantasme prêt, et qui irait contredire ce que les témoins ont vu dans les profondeurs inaccessibles de l’île ?