Les pourtours de l’étang de Berre et du golfe de Fos connaissent depuis plus de quarante ans les effets de l’une des plus importantes Zones Industrialo-Portuaires (ZIP) d’Europe. Aux retombées économiques bénéfiques depuis quatre décennies se greffe aujourd’hui la question des risques sanitaires et environnementaux liés aux activités industrielles multiples : sidérurgie, raffinerie, pétrochimie, incinération de déchets ménagers et industriels, stockages de produits pétroliers, ainsi qu’aux trafics routier et maritime. Située au voisinage de la ZIP de Fos et sous l’influence des complexes pétrochimiques de Lavera, Berre et La Mède, la ville de Fos-sur-Mer subit l’influence de ces différentes sources combinées de polluants particulaires et gazeux.
L’évaluation réglementaire du risque sanitaire de zone (ERS) publiée en 2008 pour la ZIP de Fos rapporte des émissions industrielles estimées à 8 978 t.an-1 de PM2.5 et 3 000 t.an-1 de COV, alors que le trafic maritime compterait pour 230 t.an-1 et le trafic routier pour 15 t.an-1 de PM2.5 (BURGEAP, 2008). De même, les travaux du programme ESCOMPTE rapportent un cumul d’émissions gazeuses et particulaires plus élevé dans la région de Fos-Berre que dans une zone réunissant les grandes agglomérations de Marseille et Aix-en-Provence (AIRMARAIX, 2005). Même si le suivi réglementaire réalisé par AirPACA indique une tendance à la baisse depuis quelques années (AirPaca, 2016), la décennie passée témoigne donc de niveaux de fond et de pics de pollution en PM10 notamment, pouvant être élevés et nombreux. De plus, des travaux exploratoires ont montré que ce territoire présente une exposition aux polluants atmosphériques particulièrement singulière et relativement importante (Dron et al., 2017). La typologie d’exposition peut s’avérer très différente de ce qui est observé en milieu urbain et nécessite donc une attention toute particulière. De même, les résultats de 3 années de biosurveillance lichénique sur le territoire soulignent cet aspect en montrant que l’exposition aux polluants atmosphériques organiques et métalliques s’accentue très nettement à l’approche de la zone industrielle et est restée globalement constante dans les lichens depuis 2011 (Dron et al., 2016). L’Institut Écocitoyen poursuit ses travaux sur l’ensemble des compartiments environnementaux, et les mesures effectuées sur la région corroborent ces résultats, qu’il s’agisse des COV ou des retombées atmosphériques accumulées dans les légumes, par exemple (Institut Écocitoyen pour la Connaissance des Pollutions, 2016).
En 1996, l’étude épidémiologique Panoxy-Berre, réalisée sur près de 3 000 enfants résidant sur les pourtours de l’étang de Berre, a mis en évidence un excès de symptômes bronchiques et oto-rhino-laryngologiques (ORL) en lien avec une augmentation des niveaux moyens journaliers de SO2 (OREP, 1996). Une autre étude a révélé un excès d’hospitalisations pour infarctus du myocarde (+26 % à +54 %) et pour leucémies aiguës (+150 % pour les hommes) chez les riverains de l’étang de Berre de communes exposées au SO2 par rapport à un niveau de référence (Pascal et al., 2012). En novembre 2013, l’Observatoire Régional de la Santé a réalisé un diagnostic de territoire sur la ville de Port-Saint-Louis-du-Rhône, située à 13 km de Fos-sur-Mer et également riveraine de la zone industrielle (SIRSéPACA, 2013). Celui-ci montre, outre une forte vulnérabilité sociale de la population vivant à Port-Saint-Louis-du-Rhône, une surmortalité par rapport aux Bouches-du-Rhône de 77 % pour les pathologies de l’appareil respiratoire, de 32 % par cancers (62 % par cancer du poumon chez les hommes). L’étude de recherche participative EPSEAL (Allen et al., 2016) a récemment montré chez les habitants de Fos-sur-Mer et Port-Saint-Louis-du-Rhône une élévation par rapport à la moyenne nationale des prévalences d’asthme (+58 %), de cancers (+75 % tous sexes confondus et +168 % pour les femmes), de diabètes (+105 % pour le type 1 et +93 % pour le type 2). De plus, les habitants déclaraient de nombreuses affections chroniques de type respiratoire, dermatologique ou ophtalmologique.
Les résultats de ces études indiquent un effet probable des émissions industrielles sur la santé des populations exposées, mais ne permettent pas de connaître les contaminants impliqués sur le plan toxicologique, notamment leur mode de transfert et leur devenir dans l’organisme. Or une telle connaissance est indispensable pour comprendre les déterminants des pathologies dues à l’environnement. En outre, elle permet aux acteurs locaux de mettre en œuvre des mesures efficaces pour la prévention des pollutions et l’amélioration des conditions de vie en milieu industriel.
Dans ce cadre, l’étude INDEX réalisée par l’Institut Écocitoyen a débuté en septembre 2016. Il s’agit d’une étude de type « exposés/non-exposés » qui vise à comparer les niveaux de contaminations de la population de la commune de Fos-sur-Mer, choisie comme zone exposée aux émissions industrielles et portuaires, et Saint-Martin-de-Crau/Mouriès, choisie comme zone témoin (figure 1). Le choix de la zone témoin a été dicté par plusieurs paramètres : (1) la ville est située dans le même bassin géographique que Fos-sur-Mer mais à plus de 20 km de toute source d’émission atmosphérique des polluants recherchés dans le cadre de cette étude, (2) la population est sensiblement la même (12 737 habitants à Saint-Martin, 15 814 h. à Fos), (3) les 2 villes sont situées à proximité d’axes routiers importants (A54 à Saint-Martin, N568 à Fos) notamment soumis à un intense trafic poids-lourds lié à la présence de la zone industrielle à Fos et d’un vaste centre logistique à Saint-Martin. Ainsi, la différence la plus notable en termes de sources de pollution atmosphérique entre ces deux villes est la proximité de la zone industrialo-portuaire à Fos, ce qui permettra de discriminer plus facilement les causes d’une éventuelle surexposition de la population fosséenne.
Figure 1. Carte schématique des zones d’influence (15 km de rayon) des sites industriels émettant des polluants analysés dans le cadre de l’étude INDEX.
Plus de 50 biomarqueurs seront analysés (métaux, dioxines/furanes, HAP, benzène et PCB) dans le sang et les urines des 138 volontaires recrutés. Une première sélection de personnes éligibles (30-65 ans) a été effectuée par consultation des listes électorales. Les volontaires, tirés au sort parmi les personnes éligibles, ont été recrutés par téléphone par des enquêteurs médicaux. Un premier questionnaire téléphonique permettait de vérifier que les personnes répondaient bien à tous les critères d’inclusion (30-65 ans, résidence de 3 ans minimum sur la zone, activité professionnelle sur la zone de résidence mais hors du secteur industriel, non-fumeurs, pas de grossesse ni d’allaitement dans l’année). Un questionnaire en face à face d’environ 1 heure, réalisé au domicile des volontaires, renseigne en parallèle sur les habitudes de vie individuelles (habitat, alimentation, loisirs, expositions diverses) pouvant influer sur l’exposition à divers polluants. Un dernier questionnaire portant sur la perception de l’environnement devrait permettre de mettre en évidence les déterminants individuels de la perception du risque, en collaboration avec une équipe de sociologues (IRSTEA/IRD, Montpellier).
Les biomarqueurs pris en compte dans cette étude (métaux, HAPs, PCBs, dioxines, furanes, benzène) correspondent aux principales substances chimiques émises par les sites industriels de la ZIP de Fos, par la circulation routière, le trafic maritime et les activités humaines (chauffage au bois…), et mesurées dans l’environnement proche des installations par différentes études scientifiques (Dron et al., 2017). La liste des substances recherchées se fonde également sur les études environnementales précédemment réalisées dans des zones présentant des émissions similaires, ainsi que sur les études nationale ENNS et ESTEBAN (Fréry et al., 2013, INVS, 2016), afin de disposer de valeurs de référence concernant l’imprégnation de la population française. Des analyses biologiques sont réalisées en parallèle (NFS, glycémie, vitamines...), afin de renseigner l’état des fonctions hépatiques ou rénales, de mettre en évidence d’éventuelles perturbations métaboliques, inflammatoires ou de croissance et de minéralisation osseuse.
Afin d’accompagner les analyses de biomarqueurs réalisées dans la population des deux sites, des mesures et des prélèvements atmosphériques ont été effectués dans chacune des deux villes. Elles ont pour objectif d’évaluer précisément l’exposition des personnes pendant les prélèvements urinaires et sanguins. Les contaminants visés par l’étude INDEX ont été mesurés dans les particules (HAP, PCB, PCDD/F, métaux prélevés sur filtre à haut débit) et dans la phase gazeuse (HAP, PCB et PCDD/F sur mousses en polyuréthane-PUF et BTEX sur cartouches type Radiello®). De plus, l’évolution du nombre et de la taille des particules fines et ultrafines a été mesurée sur chaque site à l’aide d’appareils SMPS (Scanning Mobility Particle Sizer) afin d’évaluer l’impact de la taille des particules sur la contamination. Enfin, une mesure plus intégrée sur le temps a été effectuée par l’analyse de la bio-imprégnation des contaminants dans les lichens de chacune des deux zones. L’expérience acquise par l’Institut Écocitoyen sur cette zone permettra d’appréhender au mieux les résultats obtenus et leur incidence potentielle sur les analyses dans la population (Institut Écocitoyen pour la Connaissance des Pollutions, 2016).
Au final, cette étude devrait permettre de faire progresser les connaissances en matière d’exposition des populations aux polluants d’origine industrielle. C’est en effet la première étude en France qui mesure plus de 50 biomarqueurs dans un contexte de pollution locale. Mais elle permettra également d’améliorer les politiques publiques en matière de santé et de protection de l’environnement. Savoir si les habitants de Fos sont surexposés aux polluants, et si tel est le cas, à quels polluants par rapport à une zone témoin, est primordial pour le ciblage d’éventuelles études épidémiologiques et la préconisation de réductions d’émissions.