Ce colloque est en fait le sommet mondial sur l’inclusion, l’innovation et la résilience, et rassemble la plupart des maires des grandes villes et des spécialistes de ces questions, notamment de l’OCDE, qui était organisatrice avec la fondation FORD et qui a produit des rapports sur ces trois thèmes. Le secrétaire général de l’OCDE (A. Gurra) et l’ambassadeur des USA auprès de l’OCDE (D. Yohannes), ainsi que le président de la fondation FORD (D. Walker), étaient présents et sont intervenus sur le thème des maires champions pour la croissance inclusive (21 nov. après-midi, voir la déclaration OCDE). C’est le journal La Tribune qui gérait pratiquement le congrès (conférences plénières et sessions thématiques) et par qui j’ai reçu l’invitation. On y découvre une foule d’initiatives, et le congrès est un lieu d’échanges pour les partager. On s’intéresse au thème de l’inclusion parce que la ville a tendance à fabriquer des exclus, sur le plan de la richesse, des réseaux, et à reléguer les populations pauvres dans des ghettos difficiles à vivre, et l’on cherche à utiliser la technologie pour raccourcir les distances et mettre du lien social ! Donc les gestionnaires de technologie, de connectique ont toute leur place, mais aussi les prospectivistes (Joël de Rosnay). On croise aussi des architectes, des sociologues qui imaginent de nouvelles cités qui n’aient pas ces inconvénients. Tout cela concerne l’innovation qui n’est pas purement technologique, bien sûr. En outre, le défi du changement climatique est très présent dans ce colloque, puisqu’il y a déjà des groupes de villes notamment côtières qui se réunissent au sein des COP. Enfin, on parle dans ce genre d’enceintes de concepts comme ville-monde, ville intelligente, mais aussi de déchets, de bidonvilles (cf. M. Davis, 20061) et encore de changement climatique, et surtout de résilience face à tous ces défis.
Le 22 novembre, sur le thème « Monde urbanisé et villes-monde », a lieu un débat entre C. Moreno (forum « Live in a living city ») et S. Sassen (sociologue de Columbia University). Celle-ci cherche à définir la fonction des villes aujourd’hui : la ville pourrait se définir comme le lieu où l’on est présent (par rapport à la campagne, l’espace…). Elle indique aussi que pour faire une ville intelligente, il faut capturer l’intelligence de ses acteurs (maires, experts, architectes, opérateurs…). Enfin, elle pose la question : à qui appartient la ville ? En effet, des quartiers entiers des villes sont rachetés par des entreprises multinationales comme Nestlé, Coca-Cola, des industries minières, et les pauvres ne peuvent accéder au foncier, ce qui engendre des tensions sociales et rend les villes très inégalitaires. Ainsi, le Qatar a plus de propriétés urbaines à Londres que la reine d’Angleterre ! Ceci crée des Corporate centers, et pour contrer cela, le gouvernement de Singapour a acheté tout un domaine pauvre de terres urbaines pour permettre à une population pauvre de s’y installer. En examinant l’histoire des villes, on s’aperçoit que les villes ont longtemps été synonymes de pauvreté, nuisances, maladie, comme Londres et son smog, ou Paris aux XVIIIe et XIXe siècles. La richesse était alors dans les propriétés et les manufactures. Ce n’est qu’assez récemment (années 1980) qu’elles sont devenues synonymes de richesse. En effet, s’est alors développé une économie urbaine d’une grande richesse grâce à la dérégulation et à la mondialisation. Cet espace économique est très qualifié, interconnecté avec des réseaux très intelligents… mais repousse les classes moyennes en périphérie (comme à Londres). Quelque chose a changé quand les maires ont pris conscience de cette transformation. La ville est cependant un espace stratégique de pouvoir pour ceux qui n’en ont pas, mais en même temps le lieu d’une injustice énorme… Un lieu ouvert et complexe qui possède une grande longévité, avec une gouvernance particulière. En outre, les villes durent beaucoup plus longtemps que les entreprises, et il faut protéger les habitants des villes. Enfin, le fait que les migrants cherchent à venir de préférence dans les villes est tout à fait significatif !
Ainsi, le thème d’actualité des migrants a donné lieu à une intervention du directeur général de l’OFPRA (P. Brice), suivie d’une table ronde (animée par F. Vallier, CCRE) associant le maire d’Erbil, le maire de Paris-18e (création d’une maison d’accueil), un spécialiste de la Croix-Rouge et un chercheur de l’EHESS. Pour P. Brice, il faut une action coordonnée en Europe et harmoniser ces règlements kafkaïens. Pour l’OFPRA, il faut du droit mais aussi de la générosité. Attention à ne pas confondre droit d’asile et politique migratoire, qui sont deux choses différentes. L’Europe a une responsabilité importante mais agit de façon un peu désordonnée. Des villes proposent un accueil, mais il faut faire fonctionner les centres d’accueil. Ainsi le nombre de personnes protégées par l’OFPRA a triplé en quatre ans ! Enfin, on recherche à réaliser une intégration des personnes, grâce à un partenariat avec différents organismes qui cherchent à agir dans le même sens.
La table ronde qui suit est animée par F. Vallier, secrétaire général du CCRE (Conseil des Communes et des Régions d’Europe). L’Europe possède 130 000 collectivités territoriales, et c’est à ce niveau territorial que doit se faire l’accueil ! C’est évidemment le maire du 18e arrondissement et celui d’Erbil (Irak) qui sont les vedettes ! Le maire du 18e a créé, il y a quinze jours, un centre humanitaire pour un premier accueil de migrants à la Porte de la Chapelle. Cet arrondissement, qui est proche des gares du Nord et de l’Est, est un lieu de transit avec des flux importants. Il manquait un centre de primo-accueil pour les réfugiés pour une durée de 5 à 10 jours. Il s’est donné la peine d’expliquer les choses à ses administrés, lors de réunions qui regroupaient 300 à 400 personnes, et une dernière réunion très favorable s’est tenue il y a dix jours environ. Ainsi le centre peut maintenant fonctionner avec 200 à 300 bénévoles. La comparaison est évidemment flagrante avec le 16e arrondissement !
Erbil est la capitale du Kurdistan irakien (région autonome du Nord de l’Irak près de la Syrie) qui voit arriver de gros flux de populations (chrétiens, yésidis…) fuyant l’État islamique, qu’il faut intégrer dans une ville de cinq millions d’habitants et pour lesquelles on a créé avec l’ONU ou le HCR le camp d’Harsham. La maire de Paris, A. Hidalgo, a visité l’an dernier Erbil et ce camp. Son exposé est assorti de photos pour rendre la réalité plus expressive.
La session « Nouveaux métiers urbains » présente des initiatives intéressantes qui, grâce à Internet, permettent à des livreurs ou des bricoleurs de trouver plus facilement leurs clients, comme « Voisin Malin » ; la Web@cademy propose une sorte de rattrapage scolaire à base de Web donc plus vendeur ; sur le thème de l’emploi (21 nov. après-midi), une initiative intéressante à Rotterdam, où un banquier demande à ses clients de proposer des stages pour de futurs travailleurs ; à Leipzig, on a créé une école multiculturelle qui permet un partage des savoirs (langue, littérature…).
Voilà pour finir la session « Villes de demain – Défis et opportunités d’un nouvel urbanisme », avec C. Moreno, M. Gautrand et P. Jolibois (Wicona). Wicona propose des solutions technologiques innovantes liées à l’énergie, la connectique, etc. Il paraît évident qu’il faut impliquer les citoyens dans des solutions fortement technologiques, sinon c’est l’impasse ! Dans son exposé, P. Jolibois parle d’une qualité égale de l’habitat pour tous les arrivants dans un immeuble, d’une réduction des inégalités dans les infrastructures (privé, public), d’une irrigation entre zones urbaines et zones périurbaines. Pour lui, il faut réfléchir aux usages des bâtiments et construire de plus en plus flexible, un bâtiment pouvant changer d’usage au cours du temps.
C. Moreno parle des exemples de cinq villes intelligentes et humaines, citées dans le numéro spécial de La Tribune distribué au congrès. Medellin (Colombie) a été consacrée par le Wall Street Journal « ville la plus innovante au monde », en 2012 ; le réseau téléphérique Métrocable désenclave des quartiers auparavant délaissés, et un fleuve renaît dans la ville avec un parc sur ses berges. Kigali, capitale du Rwanda, est passée de la guerre à l’avant-garde écologique (limitations de la circulation automobile) et a été déclarée capitale verte de l’Afrique par ONU Habitat, en mai 2016. Montréal préserve la biodiversité et développe l’agriculture urbaine (42 % des habitants la pratique dans 8 500 parcelles) et a aussi créé en 2014 un bureau de la ville intelligente et numérique. À Pékin, le projet monumental d’éco-urbanisme « Chaoyang Park Plaza » s’inspire de l’art pictural traditionnel chinois et sera inauguré prochainement. Enfin, Ljubljana (capitale de la Slovénie) a été consacrée par l’UE capitale verte de l’Europe en 2012 pour l’écomobilité, le recyclage des déchets et la réutilisation des objets.
Des maires de grandes villes présentent des initiatives très diverses pour faire vivre leur ville, lutter contre le changement climatique, l’isolement, la pauvreté. Il faut surtout redonner de la mobilité aux habitants de la ville. Ainsi, à Athènes, on peut suivre les pics de température par quartier ; à Santa Monica (Californie), on doit faire face au déficit d’eau, au problème de logements de populations pauvres (coupons nourriture), on met aussi à disposition des navettes pour aller à la plage ! On essaie de réconcilier les deux agendas : villes plus inclusives et villes plus vertes.
Des opérateurs de technologie et des architectes présentent leurs propositions ou solutions qui rapprochent les hommes. Il est clair que l’architecture d’un bâtiment conditionne les relations entre les personnes qui vont y vivre. Ainsi l’architecte Manuelle Gautrand (agence à Paris, nombreux prix internationaux) cherche à densifier la ville, parce que tout le monde y gagne. À Stockholm, elle a intégré un espace de rue sur le toit du bâtiment, ce qui permet de retrouver le ciel et le soleil. Elle sait aussi régénérer des bâtiments patrimoniaux en les rendant plus conviviaux, « poreux » selon son expression, en y insérant des balcons, des restaurants et des hôtels. Elle prône évidemment le dialogue avec les usagers ou occupants pour réussir ces transformations. Ainsi, elle a construit à Sydney un centre civique communautaire qui a intégré dans le projet architectural les idées des habitants. Elle a aussi été lauréate du concours « Réinventer Paris » avec une réhabilitation d’un quartier du XIIIe, triste et maussade, où elle va réaliser des logements avec crèche, conciergerie et cinq étages, dans un ensemble très vert (« Edison Lite », 30 % en-dessous du marché immobilier) !
Terminons sur Paris avec une session tenue dans la salle du Conseil de Paris avec places nominatives ! Célia Blauel (présidente d’ « Eau de Paris », chargée de l’environnement à la mairie de Paris) évoque rapidement le plan climat de Paris, insiste sur la stratégie d’adaptation vis-à-vis de l’eau (crues, sécheresse) et pose le problème de sécuriser l’approvisionnement en eau en période de sécheresse. Anne Girault dirige l’Agence de Paris, créée il y a six ans pour accompagner les mutations urbaines ou technologiques et rassurer les habitants face à ces mutations !
Enfin, parmi les nombreuses statistiques que l’on voit fleurir sur les villes et les collectivités (OCDE oblige !), retenons les suivantes : plus de 50 % de la population mondiale vit dans les villes depuis juillet 2007 (en Europe c’est 77 %), et ce sera 70 % en 2050. Les villes émettent actuellement environ 70 % des gaz à effet de serre de la planète entière.
En conclusion, à travers des slogans qui peuvent paraître faciles « Villes pour tous », « villes intelligentes », « villes connectées », la ville est un lieu d’émergence d’une nouvelle façon d’être citoyen du monde. C’est un être vivant (comprendre son métabolisme est essentiel), un laboratoire d’idées innovantes qu’il importe de considérer dans le changement planétaire actuel. Pour terminer, voici la réflexion du maire de Denver (USA) au congrès des maires en 2009 : « Le XIXe siècle était un siècle d’empires, le XXe un siècle d’États-nations, le XXIe sera celui des villes ».