Résumé

Marcel Duchamp (1887-1968) is considered to be the father of conceptual art, and his work is understood in terms of indifference, detachment and sometimes alchemy. This text is inspired by my publication (20191), which argues, on the contrary, that the destruction of the myths that led to the First and then the Second World Wars, and of the mechanisms of propaganda that were theorised at that time, is at the heart of his work. Here I refer to the myth of Joan of Arc, which I analyse the imprint left in his major works Le Grand Verre (1915-2923) and Étant Donnés (1946-1968). I take a critical look at the notion of collective emotion as I perceive it in the work of Duchamp, who was born in Rouen at the same time as the monument to Joan of Arc was being built in Bonsecours, on the heights of the city.

Plan

Texte

À dire vrai pourtant, tous les maîtres du monde, tous les fondateurs de religions ou d’empires, les apôtres de toutes les croyances, les hommes d’État éminents, et, dans une sphère plus modeste, les simples chefs de petites collectivités humaines, ont toujours été des psychologues inconscients, ayant de l’âme des foules une connaissance instinctive, souvent très sûre ; et c’est parce qu’ils la connaissaient bien qu’ils sont si facilement devenus les maîtres.
Gustave Le Bon, 1895.

1. Jeanne D’Arc et le Grand Verre

Selon l’appel à communication, la revue K voudrait ici « sonder la transformation de l’expression d’une douleur intime » (les larmes de Jeanne d’Arc allant au bûcher) « en une émotion collective, et, peut-être, en une politique de l’émancipation ». Ma contribution à ce titre offre un regard critique sur cette notion même d’émotion collective, de la capacité émancipatrice des larmes et de l’empathie telle que je la perçois dans l’œuvre de Marcel Duchamp, né à Rouen en 1887, au moment même où l’on construit le monument à Jeanne d’Arc à Bonsecours, sur les hauteurs de la ville (monument financé par des notables et inauguré en 1892).

Vêtue comme un chevalier, Jeanne s’y dresse stoïquement sous une coupole entourée d’un balcon surplombant la ville, le lieu de son emprisonnement, de son procès et de sa mise à mort. Les mains liées en avant, la prisonnière arbore un sourire et un regard doux. Autour d’elle, sur le balcon des moutons placides couchés sur des piédestaux comme sur de l’herbe, montent la garde. Là où d’autres héros sont entourés de sphynx, de lions, de chevaux, témoignages de leur qualités guerrières et nobles, ce bestiaire ovin évoque sans doute la condition de Jeanne, le moment de l’appel de Dieu mais peut-être aussi le sacrifice biblique pour une cause qui la dépasse. Ainsi, le monument s’inscrit parfaitement dans le mythe de la Jeanne sacrificielle, martyrisée pour son amour du Christ et de la France, tel qu’il se forge à la fin des années 1880 sous l’action des milieux catholiques pour obtenir sa béatification et le droit de célébrer son culte en tant que figure de la France chrétienne, fille aînée de l’église (qu’elle deviendra au 20e siècle). Il s’agit ainsi de lutter contre la déchristianisation de la France par la République « judéo-maçonnique » (Winock, 1992, p. 4455) qui vient d’arracher l’école à l’église et bientôt actera la séparation de l’église et de l’état. Ce culte est porté par des figures nationalistes de droite telles que Maurice Barrès, Paul Déroulède, et des figures religieuses telle que Thérèse Martin (en religion Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face), la future sainte Thérèse de Lisieux. Inspirée par la force de cette héroïne et voulant à son tour servir le Christ et s’unir à lui par son sacrifice, Thérèse écrit les « récréations pieuses » (1894-1895), récits mystiques de l’épopée de Jeanne inspirés des mystères médiévaux qu’elle met en scène et joue devant les carmélites (voir Langlois, 2003). Thérèse est tour à tour Jeanne appelée au combat, enchainée (fig. 1) puis brûlée vive dans une apothéose mystique où le chœur des saints dit : « Prends ton essor, ouvre tes blanches ailes, et tu pourras voler en chaque étoile d’or (…) visiter les voûtes éternelles » (Thérèse de l’enfant Jésus, 1895, RP3, 23, f. 44).

Fig. 1 Thérèse de Lisieux en Jeanne d’Arc enchainée, 1890, Wikimedia. Domaine public2.

Fig. 1 Thérèse de Lisieux en Jeanne d’Arc enchainée, 1890, Wikimedia. Domaine public2.

Son Cantique pour obtenir la canonisation de la Vénérable Jeanne d’Arc, mis en musique par Vincent Lecornier, en 1894 (Ambrogi, Le Tourneau, 2017, « Jeanne d’Arc », &1) insiste sur la déviance spirituelle de la France plus que sur sa perte de souveraineté nationale après 1871 : « Jeanne, c’est toi notre unique espérance/Du haut des Cieux, daigne entendre nos voix/Descends vers nous, viens convertir la France/Viens la sauver une seconde fois ».

Cette image christique est célébrée par Charles Péguy, dreyfusard et catholique, dans sa Jeanne d’Arc de 1897 puis dans le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc de 1910 (voir Mazouer, 2004). Cette modeste paysanne se serait levée dans son pré, selon Péguy, mue par une immense tristesse pour l’état des hommes soumis à la guerre alors que malgré « le sacrifice de votre Fils », « ce qui règne sur la face de la terre, rien, rien, ce n’est rien que de la perdition » (Péguy, 1948, p. 13). Surtout elle incarne le sens du pêché qui expliquerait la violence subie : « Nous sommes pêcheurs, mais nous sommes chrétiens » (p. 32). Quel est ce péché ? L’athéisme, le rationalisme, le matérialisme, la désunion entre monarchistes et républicains, dreyfusards et anti-dreyfusards sans doute qui marquent la France de cette fin de siècle. Pourtant, avec la montée des conflits, les républicains aussi se saisissent du mythe de Jeanne à laquelle ils donnent une nature plus réaliste, presque révolutionnaire, compatible avec l’esprit de la lutte des classes populaires. Et « le grand fleuve du nationalisme » (Winock, 1997, p. 4454) rassemble brièvement (jusqu’en 1920) « le patriotisme chrétien venant de la droite et le révisionnisme républicain » (ib.). La bergère n’est plus la restauratrice de l’ordre monarchique et de l’église, mais une figure simple et humble, acceptant la mort pour sauver la France comprise comme un pays d’une miraculeuse résilience fondée sur les valeurs de la ruralité, de la solidarité. Au cours de cette période de péril croissant qui s’achève par la guerre de 1914-18, la figure de Jeanne se rapproche de celle de Marianne, de la Semeuse et illustre avec elles les manuels scolaires. Ensemble elles porteront bientôt le drapeau de la résistance à l’ennemi et de l’Union sacrée.

Cette figure de la sainte dans la gloire de son sacrifice et de ses larmes, offrant résistance et pardon à ses bourreaux, semble aux antipodes de la vision de Duchamp, qui lui-même se déclare athée : « C’est une imbécillité́ folle d’avoir créé l’idée de Dieu » déclare-t-il (Cabanne, 1977, pp. 186-187). Duchamp voit dans la religion un asservissement, une manipulation. Il dénonce le mélange du religieux et de l’art de Maurice Denis qui « va à la messe et pense qu’il doit le refléter dans son travail », lequel devient une forme de « néo-catholicisme » et s’apparente à de la « propagande » (Duchamp, 1915, p. 428, cité par Hopkins, 1998, p. 783). Les calembours de Duchamp des années 1914 n’épargnent pas le religieux comme dans la « Paroi parée de paroisse [...] le Christ collé sur une vitre de voiture automobile avec la patte qui sert à monter la vitre » (ib., 1980, n°178, p. 352). Certains calembours touchent au culte de la vierge désérotisée, au-dessus du pêché, peut-être la « pucelle », comme dans « La litanie des saints : Je crois qu’elle sent du bout des seins » (n°178, p. 154). À la fin de sa vie, il réalise une gravure, La Mariée mise à nu 1968 (Schwarz, 2000, n°650, p. 879), où il détourne une publicité de voile de mariage montrant une jeune mariée en prière. Le nuage blanc qui entoure la silhouette comme un halo reproduit la forme du voile de tulle de l’image d’origine. Mais au lieu de masquer le corps comme le faisait celui-ci, le halo transparent le révèle. Duchamp dit s’amuser à « mettre à nu » ce corps aux formes sensuelles que le voile sublimait en un signe de virginité (cité dans ibid.). La position agenouillée de la femme prend alors un sens érotique. Tout en étant attiré par le spirituel (« la Quatrième dimension ») Duchamp est aussi anticlérical et se méfie de tous les mythes qui asservissent l’individu libre.

L’influence de sa famille et surtout de sa marraine Julia Bertrand (1877-1960) a sans doute compté dans cet anticléricalisme. Cette institutrice, féministe, pacifiste et socialiste, philosophe autodidacte, est un esprit libre d’une grande intelligence. À la table familiale, Marcel, âgé d’une dizaine d’années, « écoute et retient » selon Lydie Fisher Sarazin-Levassor, la première épouse de Duchamp : « [Marcel] avait littéralement pompé les enseignements de Julia à l’âge où il est nécessaire de se forger de fortes structures pour remplacer la foi religieuse » (Fisher Sarazin-Levassor, 2004, p. 1314).

Plus généralement, toute forme de dévotion collective et aveugle, de célébration des larmes et de soumission aux ordres de la société lui est insupportable. Sa résistance, sa détestation de cette forme de vie soumise se manifeste pendant son service militaire en 1905-1906 puis pendant la course aux armes de la période 1912-1914 et lors de la déclaration de guerre.

En septembre 1905, Marcel est versé au corps « des élèves caporal ou brigadier » (Livret militaire de Marcel Duchamp, 1905-1907, p. 4), un grade de sous-officier et non d’officier comme ses frères. Il explique que lorsque le capitaine dirigeant le peloton a su qu’il était ouvrier (en imprimerie) il a estimé́ que « le corps des officiers de France ne pouvait pas avoir un ouvrier gagnant sept francs par jour dans ses rangs » (Cabanne, 1977, pp. 31-32). Il est réformé pour raison médicale le 1er septembre 1909 mais cette décision ne sera confirmée qu’en avril 1915.

En revanche, la Jeanne républicaine résonne certainement de manière positive dans sa famille catholique, mais dreyfusarde, « pacifiste mais patriote » (Zilczer, 1983, p. 138). Lui-même, malgré son indifférence de façade, observe avec inquiétude l’impréparation française et l’inadaptation de l’uniforme rouge et bleu (Lyons, 2006, p. 39). En juillet 1912, il perçoit l’esprit va-t’en-guerre des Allemands à Munich autant que la qualité de leur industrie (Bogen, 2012, pp. 69-82) dans un voyage au cours duquel apparait sa première Mariée sous la forme d’une machine effrayante, entre la mante religieuse et le moteur à piston (Ramirez, 1998, p. 142, citant Lebel, 1996, pp. 72-73, note 2).

Sans doute Duchamp perçoit-il également avec angoisse la montée de la propagande patriotique en France. En 1911 il peint un Moulin à Café qui a été comparé ensuite au système des mitrailleuses alors développées dans une usine à Puteaux, là où le frère de Duchamp, Raymond Duchamp-Villon vit (Lyons, 2009, p. 33).

En 1913, il commence une composition intitulée Cimetière des uniformes et des livrées (n°1, 1913, Schwarz, 2000, n°271, p. 583). Il dessine huit uniformes gonflés comme des baudruches qui sont nommés dans la marge de gauche : 1) Prêtre, 2) Livreur des grands magasins, 3) gendarme, 4) Cuirassier, 5) gardien de la paix, 6) Croque Mort, 7) Larbin, 8) Chasseur de café [sic]. Une seconde version sur papier de 1913-1914 compte neuf personnages car le « chef de gare » a été ajouté. Duchamp dit que ces figurines évoquent les jeux de massacre à la fête foraine de Neuilly (entretien avec George et Richard Hamilton, « 1959 - Art, Anti-art », in Diserens et Tosin, 2009, p. 74) mais cette référence paraît être une diversion pour masquer une source plus sérieuse et plus grave. En effet ces métiers ont en commun d’être en rapport avec le pouvoir et l’obéissance.

En août 1914 Marcel Duchamp est en villégiature à Yport, dans une maison louée par ses parents. Il travaille là encore sur les éléments qui deviendront son œuvre majeure, La Mariée mise à nu par ses célibataires, Même, dite aussi Le Grand Verre. Il dessine les « tamis » (Schwarz, 2000, n°302, p. 612) qui recevront les « tiges de gaz » émises par les « célibataires » après que leur tête a été coupée par les ciseaux. Il travaille aussi sur les « pistons » du voile de la « mariée ». Ceux-ci transmettront les ordres du « Pendu » qui attirera les « célibataires » par « osmose » (La boîte verte, Duchamp, 1980, p. 67, 68).

On note que la traduction de « piston » en anglais est « draft », ce qui veut dire « conscription ». Selon Béatrice Joyeux-Prunel, l’œuvre parodie les défilés de soldats « paradant dans les rues » (Joyeux-Prunel, 2015, p. 667). Les uniformes vides sont, dans les notes de Duchamp, des « moules plein de gaz d’éclairage » (La boîte verte, Duchamp, 1980, p. 76) ce qui évoque peut-être l’ambiance survoltée de l’appel sous les drapeaux de « mâles valides », mâles virils, pleins de gaz, c’est-à-dire pleins de vide. Sur le Grand Verre leur couleur est celle du minium, une peinture orangée qui se rapproche des pantalons vermillon des soldats en 1914. Apollinaire décrit l’excitation qui saisit les officiers mobilisés, qui se hâtent pour rejoindre leur régiment, (Vial Kayser, 1919, p. 79). Duchamp répond par sa propre chansonnette, dans une note intitulée « Avertissement général 1914 », qui imite les informations diffusées par les gardes champêtres :

De plus nous comptons sur vous pour faciliter notre tâche en donnant les indications que nous sollicitons ci-dessous. Avez-vous votre mari, frère ou fils, mobilisés ou mobilisables. Pouvez-vous pendant toute la durée des évènements prendre à votre charge un ou plusieurs enfants de nos camarades absents (peut-être pourrons-nous vous faire indemniser par la municipalité). Consentiriez-vous par suite de nécessité, à confier un ou plusieurs de vos enfants à des camarades. Les parents de nos amis qui désirent quitter la capitale et rejoindre leurs familles en province, sont priés de nous en faire part (Duchamp, 1980, 88v, p. 376).

Duchamp resté en arrière se moque de la propagande de la guerre qui envahit les conversations et les pensées, et qu’il appelle dédaigneusement « cette affaire » (Lettre à Walter Pach, 19 janvier 1915, in Naumann et Obalk, 2000, p. 29). Son mépris effaré pour le conditionnement des esprits fait écho à celui de Romain Rolland qui écrit en septembre 1914 : « Plus une pensée libre qui ait réussi à se tenir hors d’atteinte du fléau. [...] C’est la raison, la foi, la poésie, la science, toutes les forces de l’esprit qui sont enrégimentées, et se mettent dans chaque État, à la suite des armées » (Rolland, 1914, repris dans Id., 1915, p. 26).

Duchamp se plaint des mesures de couvre-feu qui rendent la vie ennuyeuse. On trouve dans La boîte de 1914 une note intitulée « Éloignement », expression possible de la détestation de Duchamp pour la guerre et la conscription :

Contre le service militaire obligatoire : un « éloignement » de chaque membre, du cœur et des autres unités anatomiques ; chaque soldat ne pouvant déjà plus revêtir un uniforme, son cœur alimentant téléphoniquement un bras éloigné, etc. Puis, plus d’alimentation, chaque éloigné s’isolant. Enfin une Réglementation des regrets d’éloigné à éloigné (Boîte de 1914, Duchamp, 1980, p. 36, cité dans Lyons, 2009, p. 38).

Selon Kieran Lyons la note a été écrite à l’automne 1914, au moment où tant de pertes humaines et d’amputations avaient déjà lieu (Lyons, 2009, p. 39). Si la date est exacte, Marcel Duchamp qui attend la confirmation de sa demande de réforme est seul à Paris. Ses frères sont mobilisés, Julia est internée depuis le 21 août, sa sœur Suzanne et ses deux belles-sœurs s’engagent comme infirmières auprès des soldats blessés (Lettre à Walter Pach du 12 mars 1915, in Naumann et Obalk, 2000, p. 31). La note exprime un sentiment de solitude de celui qui est éloigné de sa famille, l’inquiétude pour ceux qui ne donnent progressivement plus de nouvelles, « plus d’alimentation ». Elle manifeste aussi la détestation de la « réglementation » qui l’oblige lui-même à masquer ses sentiments antimilitaristes, la note ayant été dupliquée et remise à des amis pour être cachée (Lyons, 2009, p. 40).

La guerre est la broyeuse du petit peuple et Apollinaire évoque, dès le 31 août 1914, « des bergers gigantesques [qui] menaient de grands troupeaux muets qui broutaient les paroles et contre lesquels aboyaient tous les chiens de la route » (« La petite auto », Calligrammes, Poèmes de la paix et de la guerre (1913-1916), 1918, pp. 207-208, cité dans Becker, 2014, p. 8).

La valorisation du sacrifice de l’individu qui se fond dans le groupe, la célébration du mouton qui suit son chef, et les larmes des femmes, Duchamp les a en horreur. En 1915, lorsqu’à la litanie des appelés vient succéder celle des morts annoncées aux familles, Duchamp dit que la nouvelle devient presque banale et s’apparente à « un élément d’un vaste chagrin universel » plutôt qu’à l’indicible douleur de la mort d’un fils ou d’un père (Breuer, 12 sept. 1915, n. p.). Dans la mort de masse le disparu perd sa singularité, même pour les siens, une idée odieuse pour Duchamp. À l’instar de cette image prise par un soldat d’un autre, la cigarette à la bouche face aux ennemis morts dans une tranchée en 1915 (fig. 2). L’indifférence crâne, voire la satisfaction du vainqueur face à ces ennemis devenus masse animale, l’instauration d’un regard apathique, objectifiant l’autre et la mort, est l’épitomé de cette horreur.

Fig 2 Tranchée conquise, 1915, photographie stéréoscopique sur plaque de verre. Don de Gérard Bonnot. © Europeana

Fig 2 Tranchée conquise, 1915, photographie stéréoscopique sur plaque de verre. Don de Gérard Bonnot. © Europeana

Pour Duchamp c’est là une forme de mort psychologique, car écrit-il, « l’individu pris séparément » y est confondu avec « l’individu, partie de la société » (La boîte verte, Duchamp, 1980, p. 238) ce qu’il rejette totalement. Comme le soldat, le célibataire du Grand Verre est privé de son libre arbitre. Duchamp écrit que si la mariée a un centre de vie, « les célibataires n’en ont pas. Ils vivent par le charbon ou une autre matière tirée non d’eux mais de leur non eux » (p. 68). En tant qu’éléments d’une machine, ils perdent tout contrôle sur leur vie, comme sur leur sexualité, car les paillettes sont mélangées dans les tamis « au point que [...] elles ne peuvent plus garder leur individualité et se joignent toutes après B » (p. 74). Duchamp dit à Schwarz : « Même si certains personnages ont pu être mariés, en endossant l’uniforme ils ont automatiquement perdu leur état marital au profit du célibat conféré par la livrée » (Schwarz, 1974, p. 106). Dans ce contexte, la seule liberté c’est la « liberté d’indifférence » (La boîte verte, Duchamp, 1980, p. 89).

Sa découverte, grâce à Picabia, du philosophe allemand Max Stirner (1806-1856) et de Nietzsche l’a conforté dans l’idée qu’il y a deux genres d’hommes qui ne doivent pas vivre ensemble. L’être social soumis à la masse, tel que le fantassin, le gendarme, le « chasseur » des palaces qu’il représente sur son Grand Verre comme les « célibataires », et l’artiste qui est la quintessence de « l’individu pris séparément », l’individu libre qui se détermine en fonction de ses propres « valeurs spirituelles ou intérieures » (p. 238), l’individu qui a accès à la quatrième dimension, celle de l’imaginaire, celle de l’art qui est « un phénomène de transmutation » qui permet de vivre car « Vivre, c’est croire » (p. 189).

Ces œuvres ne sont pas seulement ironiques, elles expriment probablement une souffrance comme celle de Picabia. Celui-ci écrit en 1917 un court poème intitulé Soldats, publié dans la revue 391 : « Répète crédule/La bonne occasion, bienveillante, républicaine Trois fois/une fois de plus [...] Le jour vole/la santé, la vie/Haines d’enfants/À la guerre » (Picabia, 1917).

 

Duchamp est enfin réformé en avril 1915. Il s’embarque pour New York en juillet pour échapper à cette ambiance, incrédule vis-à-vis de la propagande qui annonce la victoire : « On parle du “grand coup de printemps” qui doit être décisif ; une très grande confiance circule avec les premières pousses. Je me rappelle trop la même confiance du mois d’août et je ne vois là qu’une imagination civile mal réglée » (Lettre à Walter Pach du 12 mars 1915, in Naumann et Obalk, p. 31, cité par B. Marcadé, 2007, p. 107).

À New York, Duchamp s’amuse, s’étourdit, et travaille. Il produit ses premier ready-mades tels que Fountain, en avril 1917, en réaction à l’entrée en guerre des États-Unis. Il publie avec Henri-Pierre Roché deux exemplaires de la revue Blind Man, dans laquelle il critique l’esprit nationaliste de The Soil de Robert Coady qui lui rappelle sans doute les théories de Maurice Barres (Hubregtse, 2009, p. 34). Il travaille alors en secret sur son Grand Verre, qu’il déclare achevé en 1923 et qui ne sera révélé au public qu’en 1927. Si le motif des célibataires, de la « broyeuse de chocolat » qui les exécute et de la mariée qui se nourrit de leur énergie, sont travaillés dès 1912, on peut penser que la composition superposant l’une aux autres se met en place entre 1914 et 1923, une période où le mythe de Jeanne d’Arc prend une autre dimension (Winock, 1992, Kilgore, 2008).

2. Jeanne et l’Union sacrée

La composition de l’œuvre (deux verres l’un sur l’autre avec en haut la Mariée, et en dessous les célibataires et la broyeuse de chocolat) apparaît en effet sur un plan formel comme une réplique de la propagande qui célèbre en images, en chanson et en récits, la bravoure du peuple français galvanisé par des figures de résistance que sont Jeanne, Marianne et la Marseillaise. Sous l’impulsion des républicains le culte de Jeanne d’Arc a pris en effet une tournure plus patriotique et réaliste. Reconnaissant le besoin d’une figure d’indentification à la République laïque, non révolutionnaire, le gouvernement a en effet favorisé cette représentation de la France simple, travailleuse, vaillante. Jeanne peut sauver la France « une deuxième fois » mais non plus du pêché de l’athéisme ou du judaïsme, mais du désespoir et de la défaite.

En mai 1914 le général Cherfils (1849-1933) proclame dans « l’Écho de Paris » :

Ô Jeanne […] demain tu seras la sainte Patronne de la France que tu as sauvée. Tu la sauveras une deuxième fois […]. Tu anéantiras de ton souffle les criminels desseins des malfaiteurs. Puis pour la bataille qui se prépare devant un autre Orléans, tu feras passer dans nos cœurs la volonté qui renverse les bastilles et la confiance aillée qui emporte la victoire. (cité dans Rigolet, 2015, & 6, en ligne)

La chanson L’armée française : à Jeanne d’Arc et à la Vierge Marie, de 1914, fait écho aux pertes déjà massives subies en août et septembre 1914. Sur l’image de couverture (fig. 3) le rouge garance des pantalons des soldats et le bleu de leur veste riment visuellement avec les couleurs du drapeau et les nuages qui s’élèvent, blanc et légers, se mêlent au blanc, symbole de la monarchie. Jeanne, sereine, auréolée d’un nimbe de lumière, encourage les soldats hagards. Les paroles disent :

Dieu des combats, vois ton peuple à genoux ! Venge le sang de la France meurtrie, et fais tomber l’étranger sous nos coups. Par Jeanne d’Arc et la Vierge Marie.

Dans les clartés d’un sillon lumineux/Je vois flotter deux blanches oriflammes ; Je vois briller les deux grands noms dans les cieux/Et sur la terre apparaître deux femmes (…) (Lhermitte et Ligonnet, 1914, f2 et 3, Bnf.gallica)

Fig. 3 Couverture du livret de la chanson, L’armée française : à Jeanne d’Arc et à la Vierge Marie, poésie de B. Lhermite, musique du R. P. Ligonnet, 1914 © Bibliothèque Nationale de France.

Fig. 3 Couverture du livret de la chanson, L’armée française : à Jeanne d’Arc et à la Vierge Marie, poésie de B. Lhermite, musique du R. P. Ligonnet, 1914 © Bibliothèque Nationale de France.

Jeanne apparaît encore dans les affiches et cartes postales pour condamner la destruction de la cathédrale de Reims en flamme, un patrimoine qui réunit l’ensemble des patriotes car il appartient aux historiens autant qu’aux croyants.

 

La Mariée de Duchamp n’est pas Jeanne D’Arc. Elle n’en a ni la chasteté ni la spiritualité, ni la bienveillance. Cette mariée est un moteur qui jouit des étincelles produites lorsque les célibataires ont la tête coupée par les grands ciseaux de la machine. Cependant elle me semble lui être liée par antithèse. On le voit notamment dans le film de Cecile B. DeMille, sorti en décembre 1916 à New York pour inciter les Américains à se porter volontaires pour le conflit, et que Duchamp a pu voir. Sur l’affiche on note en particulier le rapport « électrique » entre le regard de Jeanne entourées du bois du bûcher et les images de combat (fig. 4). Jeanne y raconte son histoire à un soldat britannique prêt à lancer sa grenade contre l’ennemi. À la fin du film, elle accueille le soldat sacrifié et donne un sens à sa mort. Les couleurs blafardes, les barbelés du No man’s land sont illuminées d’un rayon divin. Géraldine Farrar incarne Jeanne et lui confère une sensualité toute terrestre qui souligne l’ambiguïté de la relation entre l’engagement militaire et l’érotisme.

Fig. 4 Affiche de la première de Joan of arc, Cecile B. DeMille, 25 décembre 1916. Domain public

Fig. 4 Affiche de la première de Joan of arc, Cecile B. DeMille, 25 décembre 1916. Domain public

Au contraire, la Mariée du Grand Verre enlève tout sens au sacrifice. Elle s’en nourrit de manière cynique et mécanique et, superbe ironie, l’étendard qu’elle brandit s’appelle la « Voie lactée », à la fois mise en abîme de la mort et de « la litanie des seins ». Duchamp sait que dans cette propagande de la nation en guerre ce sont toujours les mêmes qui paient. Il fera écrire sur sa tombe au vieux cimetière de Rouen (où il est enterré auprès de ses frères et sœurs, non loin de Gustave Flaubert), cette épitaphe « D’ailleurs, c’est toujours les autres qui meurent ».

La figure de Jeanne d’Arc, jeune paysanne qui meurt pour la nation, contribue à glorifier le sacrifice des petites gens et ainsi participe à cette « grande faucheuse » qu’est l’industrie de la guerre. À Duchamp, Picabia, Ernst, Desnos, Man Ray et tant d’autres artistes qui célèbrent la liberté individuelle, l’aristocratie de l’esprit et rejettent les masses, cette célébration de la mort collective a pu paraître cauchemardesque. Dans Le Manifeste Cannibale Dada (1920), Picabia l’exprime sur un mode doux-amer :

Debout comme pour la Marseillaise […]/Debout comme pour le Drapeau/Enfin debout devant DADA qui représente la vie/[…]/La mort est une chose sérieuse, hein ? On meurt en héros, ou en idiot ce qui est même chose. Le seul mot qui ne soit pas éphémère c’est le mot mort. Vous aimez la mort pour les autres/À mort, à mort, à mort.

Duchamp rentre en France en novembre 1919. Son frère Raymond vient de mourir ainsi que son ami Apollinaire. Les monuments aux morts remplacent les affiches de propagande. La veuve et l’orphelin y pleurent le père et l’époux défunt. Les files de veuves attendant leur pension de guerre, vêtues de noir, construisent un paysage sinistre. Les monuments à Jeanne d’Arc accompagnent cette célébration des morts sacrifiés. La plupart sont funèbres et montrent une Jeanne prude et stoïque accompagnant les morts, sauf celui de Nantes érigé en 1926 à la demande du maire socialiste sous le titre La France libérée, qui montre une jeune-fille avec une queue de cheval qui semble courir, œuvre que l’Alliance Française jugera indigne et fera détruire (Agulhon, 2001, p. 47).

Contre cette morbidité Duchamp crée avec l’aide de Man Ray le personnage de Rose Selavy. Cet alter ego de Duchamp apparaît d’abord comme signature sur l’œuvre Fresh Widow (« veuve fraîche ») en 1920 qui évoque, selon Annette Becker, ces veuves françaises vêtues de noir, figures tristement familières de l’Entre-deux-guerres (Becker, 2014, pp. 160-162). En 1921, Duchamp déguisé en jeune femme coiffée d’un chapeau à plume et voilette noire est photographié par Man Ray sous le titre Rrose Sélavy. Un photocollage prend ensuite place au centre de l’étiquette d’un flacon de parfum Rigaud dont le nom, Un air qui embaume, a été modifié et devient Belle Haleine. Eau de voilette en 1921 (Schwarz, 2000, n°386, p. 687).

3. Jeanne d’Arc et Étant donnés

Duchamp passe l’entre-deux guerre en France puis se réfugie aux États-Unis au début de la Seconde Guerre mondiale. Il y retrouve notamment André Breton, Man Ray, Salvador Dali, Max Ernst. Le 1er octobre 1943, il s’installe dans un atelier situé au 210 West 14th Street, à New York (Lamarche, 2001), où il réalisera en secret à partir de 1946 sa dernière œuvre, Étant donnés : 1° la chute d’eau, 2° le gaz d’éclairage.

La question du rapport d’Étant Donnés au Grand Verre a été souvent posée tant les deux œuvres paraissent antinomiques : Le Grand Verre est une peinture sur verre, transparente, quasi abstraite, dont les éléments préparatoires ont été révélés par Duchamp sous forme d’une œuvre/archive (La Boîte Verte) qui forme un double. Étant donnés est une installation cachée derrière une porte, découverte après la mort de l’artiste, sans explications. Elle est accompagnée d’un simple manuel de montage qui a été remis au musée de Philadelphie lors du don de l’œuvre (Duchamp, 1969). C’est l’envers du décor qui montre tous les artifices de l’installation, sans vraiment en éclairer le sens.

Étant donnés a longtemps embarrassé la critique duchampienne car l’œuvre paraît en tout point contredire la posture détachée, humoristique et anti-rétinienne du Grand Verre. Par les deux trous de la porte de bois le spectateur découvre un mur de brique qui semble éventré et par l’ouverture duquel apparaît un mannequin féminin couché dans des brindilles, le sexe imberbe vivement éclairé, tenant dans sa main gauche une lampe à gaz. La main droite n’est pas visible. Au fond à droite, un décor de paysage bucolique, avec un lac, des collines et une cascade. L’œuvre est un assemblage d’éléments composites – de vraies brindilles, un mannequin fait de plâtre recouvert de parchemin et de velours, une lampe à gaz éclairée par une ampoule, des photographies de paysage, un dispositif électrique dont le flot continu produit un effet de chute d’eau.

L’œuvre est profondément ambigüe, à la fois hyperréaliste et grossièrement illusionniste, évoquant le voyeurisme, les faits divers sordides, les dioramas, ces divertissements populaires de la fin du 19e siècle. La scène a choqué les premiers spectateurs et certains critiques par sa violence implicite et son mimétisme cru. Le caractère fétichiste et inquiétant de ce corps crayeux qui semble mort mais dont le bras tient une lampe comme s’il était vivant, associé au kitsch du paysage a conduit beaucoup d’observateurs lors de sa présentation en 1969 à y voir un crime sexuel plus ou moins métaphorique. Mark Nelson et Sarah Hudson (2006) ont rapproché de manière visuellement convaincante l’œuvre de la photographie du cadavre mutilé d’Elizabeth Short, dite le Dahlia noir, assassinée et démembrée, trouvée dans un champ le 15 janvier 19475.

La position du mannequin dont les jambes écartées font face au visiteur a été associée par Herbert Molderings aux traités de perspective du XVIe siècle (Molderings, 2001, p. 98, 106), une comparaison convaincante puisque le spectateur, situé légèrement au-dessus du mannequin, plonge son regard vers lui comme dans une gravure de Jean du Breuil illustrant son traité de la perspective, proposée par Molderings. Cela suggère que l’écran de brique qui sépare le spectateur de la scène est l’équivalent du panneau de verre quadrillé utilisé par les peintres pour reproduire le modèle. Il ajoute cependant que ce que le spectateur voit c’est « lui-même regardant le mannequin » (Ibid.). D’ailleurs Duchamp parle lui-même de son œuvre dans ce sens, comme le suggère le titre sous l’apparence d’un raisonnement mathématique et comme il l’explique à propos du Pendu du Grand Verre : « [T]oute forme est la perspective d’une autre forme selon un certain point de fuite et une certaine distance » (La boîte verte, Duchamp, 1980, p. 69).

Ceci suggère que pour Duchamp il s’agit de percevoir quelque chose de nous-mêmes, ou du monde où nous vivons. Il s’agit de quelque chose de caché (derrière un mur, derrière une porte, par le fait de l’espace euclidien, par l’aveuglement des conventions). L’œuvre serait ainsi un miroir révélant le paysage mental et idéologique qui nous entoure, qui nous construit, qui nous manipule mais que nous ignorons.

Molderings suggère qu’il s’agit de mettre le spectateur en situation de voyeurisme afin de produire de la honte, de ridiculiser la peinture « animale », rétinienne, à la manière de Courbet, mais aussi – ainsi ? – de porter une critique sociale de l’allégorie du nu féminin « porteur de lumière » (Molderings, 2001, p. 106, 107). Selon Michael Taylor, Étant donnés est l’aboutissement du projet du Grand Verre où la mariée serait couchée car « en plein épanouissement post-coïtal » (Taylor, 2008, p. 50). Pour Alexander Kauffman en revanche, il s’agit d’une allégorie des dangers du féminin et des ambiguïtés de la pulsion sexuelle, à l’instar du procédé utilisé par Jean Cocteau dans son film Le sang d’un poète de 1930, où le poète découvre à travers la serrure d’une porte un mannequin féminin à l’expression sardonique, sur le sexe duquel est écrit « Danger de mort » (Kauffman, 2017, p. 148).

L’objectif que Breton fixe aux surréalistes réunis à New York, dont fait partie Duchamp, c’est effectivement de faire émerger un contenu latent, mais il ne s’agit pas d’un contenu psychique individuel au sens du refoulé mais d’un contenu imaginaire, d’affects collectifs, qui formattent une époque : « Nous contestons formellement qu’on puisse faire œuvre d’art [...] en s’attachant à n’exprimer que le contenu manifeste d’une époque. Ce que, par contre, le surréalisme se propose est l’expression de son contenu latent » (Breton, 1937, dans O. C., t. III, 1999, p. 665). Mais il ne s’agit pas de la honte. Au contraire, Breton et Duchamp organisent en octobre 1942 l’exposition intitulée First papers of Surrealism qui a selon Breton précisément pour objectif la révélation des mythes positifs et le « nettoyage » de l’espace social des mythes négatifs :

Dès le retour à ce qu’on appelle l’existence normale, ce qui sera à balayer de projecteurs, puis à entreprendre résolument d’assainir, c’est cette immense et sombre région du soi [du « ça »] où s’enflent démesurément les mythes en même temps que se fomentent les guerres [...], préparation d’ordre pratique à une intervention sur la vie mythique qui prenne d’abord, sur la plus grande échelle, figure de nettoyage (cité par Pierre, 1988, p. 25).

Le Péché originel est un mythe à « nettoyer » car, selon Breton, il faut échapper à « l’idée de Faute, originelle ou non » (Breton, 1960 cité dans Lavergne, p. 46) et affirmer que l’amour est source de connaissance et non une déchéance. L’œuvre de Duchamp présentée dans l’exposition, À la manière de Delvaux, concerne, comme l’indique sa section dans le catalogue, le « Péché originel ».

Duchamp a enchâssé́ dans une plaque d’étain ce qui apparaît comme un détail d’une reproduction photographique de L’Aurore, une peinture de Delvaux de 1937. Il s’agit du petit miroir montrant un sein de femme situé chez Delvaux au niveau du point de fuite. L’œuvre de Duchamp désigne la morale chrétienne qui fait de l’amour charnel la cause de la chute de l’homme. Duchamp, comme Delvaux et Breton, remet au contraire l’amour sur un piédestal, le célèbre comme le moyen pour l’homme de retrouver sa vraie nature, peut-être dans une visée gnostique (alchimique). Cela peut nous éclairer sur le sens d’Etant Donnés commencé l’année suivante.

Si de nombreux visiteurs ressentent une gêne à regarder par le trou de la serrure ce corps nu qui ressemble à un cadavre en carton-pâte, ce qui est recherché, me semble-t-il, est une « mise à nu » des mythes que la propagande nationaliste utilise pour asservir, et notamment du « péché originel ». La figure de Jeanne d’Arc semble pouvoir y être convoquée notamment à cause de la notion centrale au discours de l’Action française et au culte de Jeanne depuis les années 1890, et plus encore en 1920, qui est que les périls qui affectent la France moderne sont le « péché » de l’oubli de ses racines chrétiennes.

 

La mise en scène de l’installation fait également largement écho au film de Carl T. Dreyer La Passion de Jeanne d’Arc (1927). Ce film montre l’acharnement de théologiens aux regards fanatiques (l’un d’eux est Antonin Artaud) ironiques et concupiscents sur une Jeanne simple et authentique pour extirper d’elle son mystère et garantir sa condamnation.

La belle porte de bois espagnole cloutée d’époque renaissance trouvée à Cadaquès qui cache Étant Donnés est une copie conforme de celle que Dreyer utilise pour la porte de la cellule du château de Rouen où Jeanne fut enfermée (15’:33’’).

Le trou de serrure par lequel le spectateur d’Étant Donnés regarde le mannequin évoque le judas de la cellule et la surveillance, parfois concupiscente, de Jeanne enchaînée. La question du sexe impubère, écarté, pourrait évoquer aussi la virginité de Jeanne, mise en doute, examinée, vérifiée pendant son procès. La paille, la mise à feu, le geste du bras droit ouvert tenant une lampe Auer qui semble prête à s’enflammer évoquent naturellement le bûcher mais ici implicitement, c’est la femme qui va mettre le feu elle-même. N’est-ce pas le sens de la légende de Jeanne, dont attestent les archives du procès alors transcrites, qu’elle s’est elle-même condamnée en maintenant être une envoyée de Dieu ? N’est-ce pas aussi le contenu salace et ambigu qui fait le succès du mythe de Jeanne entre l’affaire Dreyfus et la Seconde Guerre mondiale ?

On ne présume pas ici de sympathie de Duchamp pour le mythe de Jeanne d’Arc, au contraire, mais une possible utilisation de ce mythe pour débusquer encore l’emprise de la pensée nationaliste et fasciste sur l’Europe de l’entre-deux-guerres. Jeanne ici serait un mythe à analyser non plus d’une manière cryptique ou conceptuelle comme dans son Grand Verre mais en jouant sur les peurs, le voyeurisme pour les crimes, comme déjà Duchamp l’a fait dans sa scénographie de First Papers (voire Breton, 1988). Cela situerait Étant Donnés dans le sillage du théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud :

[P]énétré de cette idée que la foule pense d’abord avec les sens [ce théâtre…] se propose de recourir au spectacle de masses ; de rechercher dans l’agitation (…) un peu de cette poésie qui est dans les fêtes et dans les foules, les jours, aujourd’hui trop rares, où le peuple descend dans la rue. Tout ce qui est dans l’amour, dans le crime, dans la guerre, ou dans la folie, il faut que le théâtre nous le rende, s’il veut retrouver sa nécessité. (…) C’est pourquoi, autour de personnages fameux, de crimes atroces, de surhumains dévouements, nous essaierons de concentrer un spectacle qui, sans recourir aux images expirées des vieux Mythes, se révèle capable d’extraire les forces qui s’agitent en eux. (Artaud, 1928, p. 91)

L’œuvre s’appuie en effet sur l’imagerie populaire, celle de crimes célèbres qui ont attisés les passions de la foule et notamment le supplice de Jeanne d’Arc, mélangé à des éléments pris à la trace dans l’art populaire du culte de Jeanne, telles que les monuments aux morts et les lampes de salon qui sont si prisées à Rouen dans les années 1920. Là, Jeanne tient une épée dans la main droite et donc c’est du bras gauche qu’elle lève bien haut le verre de la lampe (Quéréel, 2001, p. 72-91).

L’œuvre est, comme Le Grand Verre, une figure allégorique, celle de la nation en guerre ou plutôt de sa prégnance dans l’imaginaire social. La Seconde Guerre a montré à Duchamp, comme à son comparse des First Papers Max Ernst (Hopkins, 1998), que la lutte contre le fascisme nécessite des moyens grossiers qui utilisent les peurs de la foule et les ressorts inconscients pour déconstruire les mythes. Cette tentative fait écho aux moyens mêmes de la propagande pour manipuler les foules, tels que Gustave le Bon (1895) et William Trotter (1919) puis Edward Bernays (1928) les ont théorisés.

L’œuvre apparaît donc comme la parodie de cet engouement pour la mort, pour la guerre et pour la nation sur fond de concept fondateur du « pêché capital », qui veut que l’amour qui n’est pas l’amour du Christ, du sacrifice, ou de la famille est un péché, et dont Jeanne est la figure tutélaire. De cette mise en scène macabre on trouve une suite contemporaine dans le théâtre de Simon Gauchet, L’Expérience du feu. Pour en finir avec Jeanne d’Arc, analysé dans Rajalu (2021, Chap. V).

Ainsi, Étant Donnés renvoie encore au mythe de Jeanne formé par le camp conservateur. Le paysage bucolique qui entoure le mannequin lui-même participe du mythe comme on le voit décrit par Thérèse de Lisieux dans sa scène du bûcher :

Jour éternel ! Sans ombre, sans nuages, nul ne nous ravira ton éclat immortel (…)/Dans le lointain on entend la voix de la France qui chante :/Rappelle-toi Jeanne de ta Patrie !/Rappelle-toi bien tes vallons en fleurs !/Rappelle-toi la riante prairie/Que tu quittas pour essuyer mes pleurs ! (Thérèse de l’enfant Jésus, 1895, RP3 23, p. 44).

En forme de conclusion

Duchamp semble obsédé par le poids des mythes qui formattent les croyances et les comportements et privent les individus de leur libre arbitre. Il semble tout particulièrement sensible aux associations entre amour de la patrie, enracinement dans une terre, et sacrifice de soi, associations incarnées par Jeanne d’Arc, une figure essentielle dans la période de sa jeunesse et de sa maturité, plus particulièrement dans sa ville natale. Il en a traqué l’érotisme implicite, l’usage du spectacle voyeuriste par les foules, et le contexte catholique et nationaliste. L’érotisme débridé mais macabre des deux œuvres emblématiques que j’ai étudiées ici apparait comme une réponse à l’expression ambiguë de l’amour du Christ porté par Jeanne à travers, encore, les mots de Thérèse : « Jeanne ton ange te réclame (…)/Oh ! Viens tu seras couronnée/Tes pleurs, je veux les essuyer/Viens mon épouse bien aimée/Je veux te donner mon baiser. » (Ibid. RP3 23bis).

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Notes

1 Avec l’accord exprès de l’éditeur. Retour au texte

2 Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Th%C3%A9r%C3%A8se_de_Lisieux_en_Jeanne_d%27Arc_enchain%C3%A9e.jpg Retour au texte

3 « Maurice Denis [...] goes to mass and feels that he must reflect the fact in his work [...] That is too much like propaganda. » (notre trad.). Retour au texte

4 L’activisme pacifiste et syndicaliste de Julia lui vaudra d’être inscrite au fichier des antimilitaristes et emprisonnée dans un camp de concentration du 21 août 1914 au 18 février 1915. Elle sera révoquée de l’éducation nationale en mai 1919 (Pichorel, 1919, n. p. vue 2). Retour au texte

5 L’image du Black Dalhia est visible en ligne dans un article de Claire Barter, 13 sept. 2017. Retour au texte

Illustrations

  • Fig. 1 Thérèse de Lisieux en Jeanne d’Arc enchainée, 1890, Wikimedia. Domaine public2.

    Fig. 1 Thérèse de Lisieux en Jeanne d’Arc enchainée, 1890, Wikimedia. Domaine public2.

  • Fig 2 Tranchée conquise, 1915, photographie stéréoscopique sur plaque de verre. Don de Gérard Bonnot. © Europeana

    Fig 2 Tranchée conquise, 1915, photographie stéréoscopique sur plaque de verre. Don de Gérard Bonnot. © Europeana

  • Fig. 3 Couverture du livret de la chanson, L’armée française : à Jeanne d’Arc et à la Vierge Marie, poésie de B. Lhermite, musique du R. P. Ligonnet, 1914 © Bibliothèque Nationale de France.

    Fig. 3 Couverture du livret de la chanson, L’armée française : à Jeanne d’Arc et à la Vierge Marie, poésie de B. Lhermite, musique du R. P. Ligonnet, 1914 © Bibliothèque Nationale de France.

  • Fig. 4 Affiche de la première de Joan of arc, Cecile B. DeMille, 25 décembre 1916. Domain public

    Fig. 4 Affiche de la première de Joan of arc, Cecile B. DeMille, 25 décembre 1916. Domain public

Citer cet article

Référence électronique

Christine Vial Kayser, « Marcel Duchamp, Contre Jeanne d’Arc », K [En ligne], 11 | 2023, mis en ligne le 01 décembre 2023, consulté le 17 février 2025. URL : http://www.peren-revues.fr/revue-k/666

Auteur

Christine Vial Kayser