Rebelles, rébellions dans les chansons de geste

DOI : 10.54563/bdba.940

p. 111-128

Plan

Texte

La question que nous voudrions poser ici est la suivante : peut-il y avoir de l’épique sans qu’intervienne la notion de révolte ou de rébellion ? Si cela apparaissait impossible, et si la rébellion se révélait une donnée essentielle du poème épique, il conviendrait alors de se demander s’il y a place, à l’intérieur du domaine de l’épopée, pour des épopées spécifiques, ces chansons de révolte signalées il y a bien longtemps par W. Calin1. Nous montrerons d’abord que le héros épique, sans pouvoir être considéré comme un révolté, est inévitablement amené à s’opposer, à dire non à des choix ou à des situations qui mettraient en péril son statut : c’est la situation de révolte ordinaire. D’autres textes, à cause de la situation faite au héros ou du caractère à lui attribué par le jongleur, peuvent l’entraîner ou risquer de l’entraîner dans un long conflit avec le souverain. Mais seules les chansons d’une troisième catégorie méritent vraiment d’être considérées comme des chansons de révolte : celles où des actes ou des paroles irréparables, rejoignant éventuellement la démesure du héros, entraînent une rupture décisive.

Des situations de révolte ordinaire

Le rebelle, celui qui dit non, comme l’affirmait déjà J. Grisward dans sa communication au Congrès Rencesvals d’Édimbourg2. Tel se manifeste Roland lors de sa première intervention dans la Chanson de Roland : il « n’otriet mie » les propos (la raisun) de Charlemagne, il les conteste, «  si li vint cuntredire » (vv. 194-95)3. Il n’ajoute en effet aucune foi aux promesses de Marsile transmises par Blancandrin. Plus tard, il refusera la proposition d’ajouter à l’arrière-garde la moitié de l’armée impériale (vv. 784-87), tout comme il rejettera la demande présentée par Olivier d’appeler le gros de l’armée à la rescousse lorsque l’embuscade et l’encerclement ennemi sont avérés.

À quoi dit-il non ? Aux promesses rassurantes, flatteuses, qui permettent la solution de facilité (accepter la paix au lieu de poursuivre jusqu’au bout le combat), mais cette solution est mensongère, puisque la promesse est un piège. Sortir du domaine héroïque – celui de la lutte à outrance – c’est aussi sortir de la vérité, car grandeur épique et vérité se rejoignent ici. Mais la vérité, ou plutôt la réalité, n’est pas toujours à sens unique, car Charles a raison lorsqu’il propose la moitié de son armée, tout comme Olivier lorsqu’il préconise un appel à l’aide. Toutefois accepter la réalité – la nécessité d’avoir des renforts pour engager la lutte à armes égales – serait aussi la sortie de la célébration épique et l’effacement de celui qu’elle est destinée à grandir : tout autre que Roland, avec une troupe aussi nombreuse que celle de l’ennemi, pourrait le remplacer.

Dans une situation différente, inversée par rapport au Roland, les jeunes héros qui ouvrent la Chanson de Guillaume, Vivien et Girard, sont aussi ceux qui disent non. Non aux fanfaronnades de ces fantoches ivres, Tiébaut ou Estourmi, qui sont prêts à triompher seuls d’un ennemi aux forces infiniment supérieures aux leurs tant que cet ennemi ne s’est pas manifesté ; non également à la jalousie qui motive de telles sottises. Il faut appeler Guillaume :

« Sages hon est pur bataille tenir. » (v. 73)4

Mais lorsque l’ennemi est là et que la lutte est inévitable, il faut dire non à toutes les manœuvres qui n’ont pour but que de l’éviter : Vivien refuse donc de servir d’éclaireur (l. XIII), car il n’est là que pour combattre. D’autres, s’il y a lieu, porteront un message de demande d’assistance (vv. 176-182) : mais cela est impossible aux chefs, que l’ennemi a repérés, et qu’il considérerait comme des lâches s’ils quittaient le champ de bataille pour se charger eux-mêmes de cette mission. Et non, enfin, à la fuite, lorsque Tiébaut et Estourmi arrachent leur enseigne de sa hampe de peur d’être reconnus :

« N’en turnerai, car a Deu l’ai pramis
Que ja ne fuierai pur poür de morir. » (vv. 292-93)

Quant à Girard, c’est d’abord le non symbolique au don lui-même symbolique (de lâcheté, de laideur), que Tiébaut prétend lui faire de la housse qu’il a salie dans son épouvante :

« Et jo que fereie quant cunchie est tote ? » (v. 354) 

C’est ensuite le refus de laisser s’enfuir Estourmi sans l’empêcher, en le désarçonnant, de se vanter de n’avoir laissé derrière lui aucun guerrier courageux (vv. 424-25).

Un troisième exemple de « rebelle ordinaire », si l’on garde ce critère de l’opposition, du « dire non », peut être trouvé dans la figure complexe d’Isembart, engagé par ailleurs dans une rébellion plus complète. Lorsque Gormont est tué, il refuse de s’enfuir au moment où les Sarrasins se débandent et exhorte les fuyards à se montrer fidèles à la mémoire de leur maître et à revenir au combat :

« turnez ariere les estrees,
si vengerons nostre emperere. » (vv. 492-493)5

Mais, après avoir résisté un moment, la plupart des « gens d’Irlande » reprennent la fuite, et il ne reste plus autour d’Isembart que deux mille Sarrasins, au milieu desquels il recevra le coup fatal. Ainsi, quoi qu’il en soit du statut de margariz (renégat), qui fait intervenir bien d’autres éléments que le refus dont nous parlons ici, Isembart, à un certain niveau, se situe dans la même perspective que Roland, Vivien ou Girard.

Une mise en scène plus typée de « révolte ordinaire » peut également être repérée dans l’attitude du héros d’enfance qui, victime ou non d’une injustice ou d’un crime, s’oppose vigoureusement, tumultueusement à telle ou telle figure, parfois consacrée, de l’épopée.

Rappelons d’abord quelques exemples bien connus de ces manifestations violentes de la valeur d’un personnage, dont l’entourage fait les frais. Les iniquities d’Hernaut de Beaulande, fils d’Aimeri de Narbonne, dans les Narbonnais, sont particulièrement savoureuses, lui qui, fort de la tâche de sénéchal que son père lui a demandé d’obtenir de Charlemagne – mais qu’il n’a pas encore eu l’occasion de requérir, a fortiori d’obtenir – loge et déloge dans Paris, à grands renforts de horions, qui lui convient.

Le personnage de Renier de Genvres, au début de Girart de Vienne, est conçu comme celui d’Hernaut, dont il amplifie les exactions : il tue le sénéchal de l’empereur, qui refusait de l’avoine pour ses mulets, puis le portier qui interdit l’entrée du palais, et refuse hautement les dons que Charles voulait lui faire, exigeant d’être pris à son service. Le même texte, qui entend aussi conter les enfances d’Aimeri, dresse du jeune homme et de son action dans la chanson un portrait tumultueux, opposant à la figure consacrée du rebelle – représentée par Girard –, mais qui est ici singulièrement affaiblie, une sorte de vaillance brute, immaîtrisable, qui contraste du reste aussi avec la vaillance évidente, mais mesurée, du héros dans le texte qui ouvre le cycle (Aymeri de Narbonne). Ainsi Aimeri fait-il une entrée fracassante à Vienne, frappant son oncle avec le bâton sur lequel se tient son épervier ; c’est lui qui découvre l’imposture de la reine à l’égard de Girard et pense la tuer en lui lançant un couteau : il devient ainsi, bien plus que son oncle, le véritable déclencheur de la guerre entre le vassal et son seigneur. Au moment où, après le duel indécis entre Olivier et Roland, la paix est possible, c’est lui qui remet tout en question en faisant une sortie contre le camp de l’empereur, et lorsque ce dernier est capturé par Girard et ses amis, le fougueux jeune homme n’hésite pas à recommander la mort de Charlemagne :

« Biaus oncle, car l’oci !
Pran en la teste tot meintenant ici ! » (vv. 6418-19)6

À ces jeunes gens impétueux, qui laissent présager leur valeur future par des transgressions7, on peut joindre le personnage de Roland « jeune », tel qu’il apparaît dans Aspremont avant sa lutte décisive contre le Sarrasin Aumont. Enfermé à Laon sur ordre de Charlemagne qui veut lui éviter les fatigues et les périls de l’expédition en Italie, il s’échappe avec ses jeunes compagnons, non sans avoir mis à mal le portier à coups de bâton. Plus tard, lorsqu’il vient, avec la troupe des jeunes et des gardiens du camp, porter secours à l’armée chrétienne qui est mise en péril, il s’empare sans vergogne de Morel, le cheval de Naimes, sans en demander la permission à son propriétaire.

En face de ces futurs héros, parfaitement insérés dans un lignage et dans un devenir grandiose, se trouvent les jeunes nobles dépossédés de leur statut et de leur héritage, menacés dans leur vie même et qui, très tôt, font payer cher le tort qui leur est fait. L’exemple le mieux tracé est celui de Beuves de Hantonne, dont la mère a fait tuer le père par l’empereur d’Allemagne, qu’elle voulait épouser parce que Guion était « veuz homme e alout declinaunt8 ». L’enfant, qui a découvert le crime, le reproche vigoureusement à la dame, qui frappe Beuves si violemment

ke chaier le fist sur le pavement (v. 222)

après quoi elle ordonne au maître de l’enfant, Sabot, de le faire tuer, ce dont se garde évidemment le preudome. Plus tard, lors d’une fête tenue par les époux criminels, le jeune homme entre de force dans le château : il tue le portier d’un coup de massue (vv. 284-285) et vient reprocher à l’empereur toutes ses fautes :

« mun pere, ke taunt amai, vus avez tué.
Pur ceo, sire, vus pri ke moi ma tere rendez,
Que vus fausement tenez tut saunz ma voluntez »
(vv. 299-301)

et comme celui-ci, loin de s’amender, le traite de fou, il le frappe sans ménagement :

hauce la massue, en le chef le ferist,
trois cops li dona e treis plaies li fist. (vv. 305-306)

L’histoire de Jourdain de Blaye, sauvé par son parrain Renier au prix de la vie du propre fils de celui-ci, est comparable : lui aussi blesse grièvement son ennemi avant de pourvoir récupérer son statut et de punir le traître de manière exemplaire lorsqu’il sera en état de porter les armes.

Les premières années du jeune Charles, telles que les conte le Karleto, comporte des éléments semblables. Réduit par les fils de la serve, Landri et Lanfroi, au statut de cuisinier tourne-broche, il va porter un grand coup à Landri avec l’arme dont il dispose. Comme il est encore « petit baçaler » (5789, 5805)9, il ne peut le blesser grièvement,

Mais si le fait del vis le sangue raier. (v. 5807) 

De tels hauts faits préludent à chaque fois à l’exil du héros qui, obligé de fuir pour sauver sa vie, trouvera en pays étranger – en Arménie, auprès du roi Marc ou à Saragosse – l’occasion d’accomplir des exploits guerriers et de conquérir une épouse ou une amie.

Vers la révolte durable

Qu’il s’agisse de l’une ou l’autre des deux catégories de situations recensées – le héros affirmé qui se refuse à agir d’une manière déshonorante à ses yeux, le futur héros qui montre l’étoffe qui est en lui – nous ne nous trouvons pas en face d’une révolte durable, mais de l’attitude d’opposition qu’exige ponctuellement chez le personnage épique une situation déterminée.

Existe-t-il dans la chanson de geste des figures marquées durablement par la révolte ? Sans doute, si l’on se fie au type de poèmes recensé sous la dénomination adoptée par W. Calin. Et pourtant, certaines classifications demanderaient, semble-t-il, à être revues.

Il n’est pas certain, par exemple, que Huon de Bordeaux doive être classé parmi les chansons de révolte. Le héros, Huon, n’est certainement pas un rebelle à l’égard de Charlemagne son seigneur, dont il accomplit toutes les exigences : il se lance dans la mission qui est pourtant clairement destinée à la faire périr – le voyage à Babylone, la conquête des trophées et le baiser donné à la fille de l’émir –, en accomplit strictement les prescriptions, et il ne tient pas à lui de ne pas rapporter les preuves de son obéissance. Le héros est poursuivi par la haine quasi-inexpiable du souverain, père blessé par la mort de son enfant, qui ne songe qu’à se venger, mais Huon ne répond pas à cette attitude agressive.

En revanche, si l’on regarde son comportement à l’égard d’Auberon, on peut comparer son attitude à celle d’un héros d’enfance que la volonté d’affirmer sa valeur – ou la puissance de son désir – oppose à d’autres personnages. Après avoir reçu les présents du petit roi de féerie ainsi que ses avertissements, Huon n’hésite pas, au mépris des ordres reçus, à faire l’essai du pouvoir du cor merveilleux ; il se rend à Tormont malgré les mises en garde d’Auberon, tente dans les mêmes conditions l’épreuve de la lutte à Dunostre contre le géant Orgueilleux, et surtout, au moment où il pourrait revenir en France, après avoir accompli sa mission, il s’unit à Esclarmonde malgré l’interdit signifié par le nain féerique, en affirmant bien haut son indépendance :

« Cis nain boussus me cude vergonder
Que moy deffant a la damme a jueir,
Maix ja pour lui nel larait, en nom Dei,
Que je ne faisse de lié mez vollanteit ! » (vv. 7065-68)10

Cette révolte tourne bientôt à la confusion de Huon, puisque son plaisir est chèrement payé : sa nef vole en morceaux, et les amants, échoués sur une île, seront longtemps séparés.

On remarquera que les rébellions de Huon ne sont pas toutes volontaires, et qu’elles n’ont pas toujours les mêmes conséquences. La désobéissance – car c’est la forme majeure de la rébellion du héros – à Tormont ou au château de l’Orgueilleux, n’ont pas pour lui d’issue fâcheuse. Auberon vient à son aide dans le premier cas au moment où Huon sonne du cor, et auprès de l’Orgueilleux le héros n’a besoin de sa propre vaillance – et aussi de sa ruse –, remportant ainsi l’avantage sur Auberon qui s’est autrefois laissé prendre et son château et son haubert merveilleux.

À Babylone au contraire, le mensonge de Huon – formellement proscrit par Auberon –, le prive de l’assistance de son ami ; mais il n’a pas été médité, c’est avec « une grant folleteit » (v. 5548) qu’il s’est prétendu païen lors du passage du premier pont, alors que par surcroît l’anneau du géant Orgueilleux qu’il porte au bras pouvait lui servir de sauf-conduit.

On peut être surpris de voir que le même type de mensonge, reproduit devant le jongleur d’Yvorin, n’attire pas les foudres d’Auberon, mais il s’agit ici d’une sorte de bravade11, analogue aux transgressions commises par les jeunes héros devant des personnages plus âgés, et qui ne peut manquer d’attirer la sympathie du lecteur. Par ailleurs, Huon étant à ce moment abandonné par Auberon, que pourrait-il arriver de pire ?

Ainsi Huon, plus qu’un rebelle, apparaît-il à plusieurs reprises comme un jeune qui, dans une désobéissance généralement suivie d’actes héroïques – Tormont, Dunostre – s’affirme comme un héros en formation, qui doit se distinguer de ceux qui l’assistent par son intrépidité, mais aussi par une maîtrise insuffisante de ses passions. En aucun cas, en revanche, il ne saurait passer pour un rebelle à son seigneur, qui le traite pourtant comme il le ferait d’un révolté.

Au contraire de Huon de Bordeaux, Aspremont possède, en la personne de Girard de Fraite, tous les ingrédients pour constituer une chanson de révolte. Le personnage est présenté comme « fiers, fels et orgueillous12 » par Turpin qui, de la part de Charlemagne, va lui demander assistance en vue de l’expédition d’Aspremont. Il est donc féroce, cruel et plein d’orgueil, et la couleur de ses cheveux ne fait que confirmer le diagnostic :

« En tot cest siecle ne sai si felon rous » (v. 936)

l’empereur renchérit sur ce portrait :

« Girarz est fiers et fels et mesdissant
Et orgueilleus. » (vv. 942-943)

À Vienne où se rend Turpin, l’accueil de Girard ne dément pas cette présentation. Le baron répond au message de l’empereur par des insultes et des menaces, tout à fait dignes d’un « mesdissant » : on pourrait utiliser Charles comme une balle qu’on fait rebondir (allusion à la petite taille de son père Pépin), et Girard est prêt à le combattre. La violence suit à l’instant, puisque Girard lance en direction de l’archevêque un couteau qui le manque de peu. Contraint par ses proches à plus de retenue, le féroce baron proclame son indépendance religieuse et mondaine. Si le pape jette l’interdit sur ses terres, il est prêt à faire un antipape, qui ordonnera le clergé et fera chanter la messe ; quant à ses terres, il ne les tient que de Dieu (v. 1055) et n’en fera hommage à personne sur cette terre.

Mêmes provocations lorsque l’épouse de Girard, un peu plus tard, l’invite à rassembler ses hommes pour venir en aide à Charles. Il déclare qu’il est prêt à s’emparer de la France tandis que l’empereur sera en train de combattre les païens, et il se situe dans un conflit de vanité avec Charles, redoutant de lui paraître inférieur dans une éventuelle lutte contre les païens :

« Charles i va, ja a tens n’i venrie. » (v. 1247)

Entre temps, Émeline a brossé un tableau sans pitié des exactions commises par ce chevalier-brigand : il a emprisonné puis tué le duc Alain et voué les filles de celui-ci à la prostitution, déshérité le vieux Jociaume et donné ses terres à ses favoris. Girard paraît donc endurci dans le mal13, c’est un véritable « Satenas » (v. 1241).

On pourrait donc s’attendre à ce que Girard donne les preuves dans le cours de l’action d’Aspremont de cette révolte contre tous les principes religieux, moraux et politiques qui régissent l’univers de pensée épique. Or, jusqu’à l’extrême fin de la chanson, où Girard réaffirmera certains principes d’indépendance avant de quitter l’empereur dans une atmosphère conflictuelle, le baron, « converti » par Émeline et ses proches, se résout à la croisade, se montre fidèle allié de Charles pour lequel, avec ses neveux et ses enfants, il accomplit d’éminents exploits, et lui donne par ailleurs d’excellents conseils. La rivalité avec Charles ne ressurgit que de façon fugitive au moment où Girard s’empare de la tour abandonnée par Éaumont : le baron veut prendre cette forteresse seul, car

« Se je m’ensaigne melloie a l’oriflour,
De tous mes fais vodroit avoir l’enour. » (vv. 2858-59)

Mais il fait de l’empereur son avoué (v. 3496), jusqu’au moment où la détresse dans laquelle se trouve Charles sera dépassée. Appliquant à une armée en campagne un terme qui vaut d’abord pour une communauté religieuse se mettant sous la protection d’un laïc, Girard fait donc de l’expédition en Italie, l’espace de la chanson, la parenthèse où le rebelle met au service d’une autorité qui n’est plus celle du seigneur vis-à-vis du vassal, ses forces et son génie.

La victoire une fois obtenue, et elle est éclatante, Girard le héros peut redevenir Girard le rebelle. Dans son dernier discours à Florent son beau-frère, il reprend ses prétentions à la souveraineté sur le clergé (vv. 11134-36), puis tire la leçon de l’expérience d’Aspremont :

« Quanque j’ai fait ai fait por amor Dé.
Ne suis vostre hom ne li vostres jurés
Ne ne serai ja jor de mon aé ». (vv. 11144-46)

La chanson a donc montré comment la violence du rebelle, telle qu’elle se manifeste dans un modèle connu de l’auteur, et qui correspond à certains aspects de Girart de Roussillon ou de Girart de Vienne, est la face noire d’une valeur qui peut se manifester sous la forme d’actes de vaillance inouïs lorsque les circonstances écartent toute possibilité de conflit. Aspremont est donc une chanson de révolte manquée, ou plutôt sublimée dans l’exaltation de la vaillance ; mais son propos indirect est bien de montrer le lien qui unit vaillance épique et rébellion.

Autre type de situation de rébellion déjouée par la construction et le propos d’un texte : l’histoire des Fils Aimon. Dans Renaut de Montauban, la vraie figure du rebelle est celle de Beuves d’Aigremont, héros du prologue de la chanson. Charles se plaint de son orgueil et de sa brutalité :

« Orgueilloz est vers moi et si se fet trop fier » (v. 92)14

attitude qui l’a conduit à refuser de répondre à la convocation pour combattre Guitechin le Saxon. De fait, lorsqu’il apprend la nouvelle de l’ambassade conduite par Lohier, il envisage aussitôt de répondre par la force, manifestant ainsi un autre trait du rebelle, l’impatience fondamentale à l’égard de toute attitude de fermeté. Lohier périra « se il point se revelle » (v. 255) – J. Thomas traduit au glossaire : « fait l’arrogant » –, ou bien « se il me dit outrage » (v. 269). En somme, le rebelle est aussi celui qui ne supporte pas l’opposition chez autrui. Ce trait sera rappelé plus loin, lorsqu’Ogier vient apporter un message de paix ; pour justifier le meurtre de Lohier, Beuves invoquera l’insulte proférée par le fils du roi :

« Traïtor m’apela, dont il fist grant otrage » (v. 1323)

Le rebelle ne supporte pas non plus les conseils. Contrairement à Girard, qui cède aux remontrances de sa femme, Beuves contraint au silence aussi bien ses hommes (le chevalier Simon, vv. 271-288 ; Gautier de Moncenis, vv. 633-653) que son épouse (vv. 315-333). Il s’abandonne donc à la fureur lorsque Lohier lui expose les demandes de Charles et passe à l’acte,

« N’en penroie pas Rains cele bone cité
Li mesages ne soit occiz et afollez » (vv. 674-75)

au terme d’un combat inégal, Lohier et la plupart de ses hommes sont mis à mort. Le poète prend nettement parti contre Beuves :

Mal a fait li dux Bués, Dameldeu le gravent ! (v. 771)

Toutefois ce dernier fait une fin édifiante, implorant la pitié de Dieu et communiant, selon la coutume des héros morts au combat, d’un brin d’herbe (vv. 1539-41) ; cette fois le poète fait un éloge sans réserve du défunt :

Hé ! Dex, com grant damage del vassal adurez,
Que onques ne vi home de la soe bontez. (vv. 1543-44)

Pourtant, dans sa supplication adressée à Dieu, Beuves n’a présenté aucun repentir au sujet du meurtre de Lohier, et s’il a songé à son fils, c’est d’abord en espérant que celui-ci pourra le venger (vv. 1537-38).

Le rebelle est donc éliminé dès le début de l’action, et la partie du texte qui lui est consacrée (vv. 1-2142) représente un peu moins du sixième du poème, si l’on s’arrête à la conclusion de la paix entre Charles et le lignage de Beuves, et mérite bien la dénomination de prologue donnée par la critique, dans la mesure où la suite de la chanson à la fois s’inspire de cette entrée en matière et se distingue d’elle, car c’est malgré lui que Renaud et ses frères sont entraînés dans le conflit avec Charlemagne. Pas plus que Huon de Bordeaux, à notre avis, Renaut de Montauban ne mérite, stricto sensu, d’être mise au nombre des chansons de révolte15.

La présence d’actes ponctuels de rébellion ne suffit pas à faire d’un texte épique une chanson de révolte. Peut-on dès lors repérer des conditions précises permettant l’orientation définitive d’une chanson vers l’exploitation systématique de la révolte ? Il y faut non seulement un profil de personnage, mais encore des actes irréparables et des paroles lourdes de conséquence.

Les conditions nécessaires à la révolte

Certains personnages semblent destinés à la révolte par la violence de leur caractère. C’est le cas, ainsi qu’on l’a vu, pour Girard de Vienne ou de Fraite dans Aspremont, ou pour Beuves d’Aigremont dans Renaut de Montauban. Mais seul Beuves se comporte effectivement comme un rebelle.

À l’inverse rien, dans la figure du jeune Ogier, ne semble le prédisposer à la révolte contre Charlemagne, révolte qui fait pourtant l’essentiel de la Chevalerie. Le portrait qui est tracé de lui tout au début de la chanson le présente comme un « mult tres bel baceler » (v. 61)16, propre à susciter l’amour, mais aussi à laisser attendre des prouesses guerrières. Or lorsqu’il affronte Charlemagne et surtout à mesure que son dénuement et sa solitude augmentent, il devient une figure presque monstrueuse, qui combat, avec une sorte de poutre,

Une grant bare cort du mur errachier (v. 8243)

les traîtres qui ont ouvert les portes de Castelfort, avant de frapper avec une selle arrachée à un cheval (vv. 9229-30) puis avec des étriers (vv. 9235-38) les hommes de Turpin qui vont bientôt le capturer. Pourquoi un tel changement ? À cause de l’acte irréparable commis par Charlot, fils de l’empereur.

C’est en effet le meurtre de Baudouinet, le fils d’Ogier, par Charlot, qui décide du long conflit entre le héros et Charlemagne annoncé au début de la seconde branche de la chanson :

Kallos tua d’un esquekier d’or mier
Bauduïnet son fil qu’il ot tant chier […]
Ainc puis n’ot pais entre lui et Ogier.
(vv. 3118-19 ; v. 3122)

Avant cet événement, dans la partie des « enfances Ogier », on est plutôt en présence d’une situation de « rebelle ordinaire », le jeune homme étant placé en situation d’exil auprès de Charles (il a été donné en otage par son père). Il donne d’éclatantes preuves de sa valeur en s’emparant des armes du lâche Alori, mal choisi comme porte enseigne de l’empereur, et en libérant les captifs emmenés par les Sarrasins, avant de tuer le chef de ceux-ci, Danemont. Il jouit donc d’une reconnaissance éclatante, et rien ne le prédispose à se rebeller contre Charles. Mais une fois que la blessure a été infligée, rien ne semble pouvoir la guérir, et seule la mort du coupable, Charlot, pourrait éteindre la guerre. À Laon encore, au moment où il s’agit de sauver le royaume en combattant Bréhier, Ogier proclame sa volonté d’accomplir sa vengeance en tuant le fils de l’empereur :

« Se ne me rens Callot t’engenreüre,
Si l’ocirrai a m’espee esmolue,
Ja autrement n’arés de moi aiue. » (vv. 9991-93)

Chez Raoul de Cambrai, la révolte trouve sans doute un terrain privilégié, puisque des indications précises sont données, qui excluent à son propos toute idée de mesure :

S’en lui n’eüst un poi de desmesure. (v. 320)17

C’est un homme qui ne connaît pas le frein (« desreez », v. 323, v. 1094). Le texte revient plusieurs fois sur cette caractéristique, qu’il condamne (v. 1093), éventuellement par la bouche de Guerri (v. 1098), tandis que la mesure est élevée au rang de vertu par ses adversaires (v. 1924, v. 2032). Une telle absence de mesure est cause de sa perte (v. 323).

Mais la chanson multiplie aussi les actes, dont Raoul n’est pas responsable, et qui sont donnés comme cause de la révolte18 : le poète, on le sait, veut mettre en valeur l’enchaînement inexorable des causes menant à la catastrophe. Don injuste du fief de Cambrai à Gibouin le Manceau, alors qu’il aurait dû revenir au fils de Raoul Taillefer ; don non moins injuste du fief de Vermendois à Raoul, d’où la guerre que, contre l’équité, Raoul va devoir mener contre les héritiers légitimes ; meurtre des fils d’Ernaut de Douai, dont la faute est imputée à tort à Raoul, ce qui provoque la haine inexpiable d’Ernaut contre le héros ; incendie d’Origny, dû à l’incident des soldats pillards, et coup porté à Bernier, qui sont au point de départ de la rupture entre seigneur et vassal.

Mais il semble aussi que, de manière variable selon les chansons, les actes, si brutaux qu’ils soient, ne suffisent pas à expliquer la révolte durable du héros : les paroles, de rupture ou de menaces, sont également décisives.

C’est le cas dans la Chevalerie. Lorsque le héros apprend la nouvelle du meurtre de son fils, il vient demander le prix du sang, et non une réparation telle que la veut Charles (vv. 3198-3205) ; il veut la mort du meurtrier :

« Ja acordance ne m’en verrés baillier
S’arai Charlot ocis au brant d’achier. » (vv. 3208-09)

Un tel propos est évidemment insupportable pour l’empereur, qui réplique par une parole également inacceptable, en bannissant Ogier sous peine d’être jeté en prison (vv. 3212-13). Or cette sentence royale est la cause immédiate de l’acte de violence du héros, qui scelle l’opposition mortelle entre les personnages. Ogier, lorsqu’il entend la décision du roi, veut écraser Charles avec la massue dont il est armé :

Ire li prent le cuer a engrosser,
Les elx ruille, si estraint le levier (vv. 3214-15).

Il ne parvient pas à atteindre le roi, mais il tue Lohier, un neveu du roi, cousin germain de Charlot.

Que se serait-il passé si l’empereur avait tenté de poursuivre la discussion ? Nul ne peut évidemment le savoir, mais il est clair que la parole de rupture prononcée par Charles enclenche le processus de violence qui rend toute paix impossible. Plus tard, assiégé dans un château dont il a dispersé les habitants, Ogier rappelle la place de ce bannissement dans la succession d’injustices dont il a été victime :

« Callos vos fix l’ocist d’un esquekier,
Puis m’avés fait cachier et escillier » (vv. 6064-65)

il n’est même plus question, au moins à ce moment, de la volonté de vengeance du héros.

Poids des paroles, donc, qui s’ajoute à celui des actes. Le fait est encore plus évident avec Raoul de Cambrai, où les paroles, plus sans doute que dans tout autre texte, sont des actes et causent les ruptures majeures. Le don du fief de Cambrai à Gibouin ? Un acte de parole, précédé par un autre auquel il est directement lié, le conseil des barons :

Li rois les croit, si en fet a blasmer (v. 117)

Plus loin, on trouve une nouvelle mise en cause d’un conseil, concernant cette fois Raoul :

Par le concel du riche sor Gueri
commença puis tel noise et tel hustin
dont maint baron furent mort et traï. (vv. 360-362)

c’est annoncer la violente diatribe de Guerri, au cours de laquelle Raoul est accusé de mollesse dans la défense de ses intérêts (vv. 484-489). Un peu plus tard, la responsabilité de Guerri dans l’acceptation par Raoul du fief qui causera sa mort est à nouveau affirmée :

Par le concelg de Guerri qi tint Artois
en prist le gant – puis en fu morz toz frois. (vv. 565-566)

La suite de la chanson ne fait que confirmer cette importance des paroles, propos qui eussent été bénéfiques s’ils avaient été écoutés (les mises en garde de dame Aalais) et, bien plus souvent, propos qui interdisent toute évolution heureuse et enlèvent justement aux paroles bénéfiques toute force. Ainsi du refus par Raoul des conseils de « gentil dame » (sa mère, v. 927), qui provoque la malédiction proférée contre lui par Aalais, à la terrible efficacité :

Par cel maldit ot il tel destorbier,
con vos orez, de la teste trenchier ! (vv. 958-959)

Ainsi du sarcasme adressé par Raoul à Guerri, dont le conseil de modération est vivement écarté  lorsqu’un messager envoyé par les Vermandisiens propose un accord (vv. 2001-03) : le souvenir de ce sarcasme empêchera Guerri d’envisager la moindre trêve lorsque Bernier vient en personne proposer la paix :

« Vos me clamastes coart et resorti. […]
Li fil Herbert sont tuit mi anemi » (v. 2120 ; v. 2125)

En somme, on peut dire que dans la Chevalerie la parole vient redoubler l’impact de l’acte de violence, alors que dans Raoul elle en est bien souvent la cause.

Une action inscrite dans la durée

Pour qu’il y ait chanson de révolte, il convient que se prolonge sur une durée indéterminée le face-à-face entre l’intransigeance du rebelle et celle du personnage contre lequel il se révolte. L’auditeur-lecteur doit pouvoir contempler les fruits de la révolte, qui consistent autant dans les désastres de la guerre que dans l’obstination à vouloir dompter celui qui ne veut pas se soumettre. L’art épique a donné à cette nécessité des réponses différentes, dessinant ainsi des itinéraires héroïques distincts.

Quelques points de repère sont toutefois fournis par la version la plus ancienne de la chanson de révolte, le Girart de Roussillon. D’abord l’acte ou les actes irréparables accomplis au détriment du héros : ici, non seulement l’injustice du souverain qui enlève à Girart celle qui devait être sa femme, mais les attaques contre sa terre, qui culminent avec la bataille de Vaubeton. Ensuite la révolte du héros qui, en dépit de sa victoire, est marqué par l’injustice royale qu’il ne peut oublier : loin de saisir toutes les occasions de paix, il s’enfonce dans le conflit duquel il sort appauvri, écrasé. L’étape ultime est celle de la repentance et de la pénitence, vers laquelle son épouse le conduit, mais l’apaisement ne sera définitif qu’après de nombreuses péripéties, au cours desquelles de nouveaux conflits pourront renaître.

Raoul de Cambrai n’est pas construit sur l’itinéraire d’un personnage unique, mais de plusieurs figures qui tantôt s’affrontent, tantôt prennent le relais les unes des autres. La trajectoire de Raoul est brève, mais elle a pour réplique celle de Bernier, qui lui survit mais cesse, dès la mort de Raoul, de se présenter comme un rebelle ; elle est relayée par celle de Guerri, présent dès le début et qui se comporte jusqu’à la fin comme un rebelle.

Par rapport au schéma narratif, l’itinéraire de Raoul, pour bref qu’il soit, est original. Victime de l’injustice royale, il se révolte non contre celui qui l’a opprimé, mais contre le droit et ceux qui le soutiennent. Il poursuit sa volonté d’anéantir ses adversaires jusqu’au blasphème et à la mort, et celle-ci est précédée du constat que son attitude à l’égard de Vermandois est la cause de son propre malheur

« Mar vi le gant de la terre bailier » (v. 2950)

mais aussi de l’imploration de la miséricorde divine et de l’intercession de la Vierge (v. 2946, v. 2952).

Itinéraire plus classique pour Bernier, meurtrier de Raoul, qui a offert réparation pour ce crime (vv. 4999-5014) ; grâce à l’abbé de Saint-Denis, il s’est réconcilié avec le lignage de Cambrai, puis a épousé la fille de Guerri d’Arras. Il n’a pas oublié la mort de son seigneur, et il éprouve une grande souffrance à cause de ce souvenir : la mort finira par le rejoindre, du fait de Guerri. Ce dernier manifeste sans doute le parcours de rebelle le plus constant dans le texte, puisqu’il sera acharné jusqu’au bout à la perte de Bernier, même lorsque le héros est devenu son gendre ; il accepte, en l’absence de nouvelles de celui-ci, de laisser le roi marier sa fille à Herchambaut, et surtout, à la fin de la chanson, il tue Bernier sans l’avoir défié, à cause de la douleur renouvelée de la mort de son neveu. Cette attitude est condamnée par le narrateur, qui écrit :

max esperis dedens son cors se mist (v. 8228)

Ce meurtre n’occasionne chez lui nulle repentance, mais à la fin du récit, lorsque le meurtrier disparaît de la scène, l’hypothèse de son entrée dans un ermitage (v. 8535) apporte la touche d’apaisement qui le rapproche d’autres itinéraires plus traditionnels.

La Chevalerie Ogier met en scène la double obstination d’Ogier et de Charles, le premier poursuivant la mort de celui qui lui a ravi son fils, le second recherchant inlassablement la punition du rebelle.

L’acmé du drame se situe au moment où la conscience du devoir royal – défendre par tous les moyens le pays qui a été confié au roi et la foi qui y règne – conduit Charles à céder à l’exigence du rebelle, c’est-à-dire à lui livrer son fils, condition mise par Ogier au combat contre Bréhier. Le souverain a donc, en apparence au moins, été vaincu par le rebelle, et l’intervention divine en limite les conséquences, mais n’annule pas ce triomphe.

Pourtant le fait que Dieu ait jugé bon d’envoyer son ange au moment où l’empereur a accepté de sacrifier son fils au salut de son peuple, et la relation discrète mais assez claire que cette scène entretient avec le sacrifice d’Abraham (Genèse, 22) – Charles a pitié de son peuple et veut y sauver l’exercice de la foi chrétienne ; l’ange retient la pointe de l’épée, de même que, dans la Genèse, il appelle Abraham et lui interdit de frapper son fils – laisse penser que c’est le courage de l’empereur et la fidélité à sa mission de défendre la foi qui ont permis l’intervention céleste, manifestation d’une garantie divine. Ogier ne saurait donc être, malgré l’apparence, le seul vainqueur d’une aussi terrible partie.

L’étude que nous avons menée autorise, nous semble-t-il, plusieurs remarques conclusives.

La première est que la rébellion est une potentialité constitutive de l’identité du personnage épique. Qu’il s’agisse du jeune héros dont le refus de se soumettre à une décision ou à un sort injuste va manifester la valeur, ou du héros accompli qui trouve, dans une opposition vigoureuse au cadre habituel de l’action, l’excès propre à l’univers héroïque, le personnage épique peut toujours être conduit à la transgression.

Lorsque cette transgression et ses conséquences, s’inscrivant dans la durée, deviennent l’objet même de l’action épique, on voit s’inscrire dans un schéma général qui mobilise aussi un profil du rebelle, des actes et des propos déclencheurs, de multiples variations qui manifestent la richesse des possibilités qu’offre la chanson de révolte. Ces variations, qui peuvent aller jusqu’à l’abandon d’une perspective attendue – Girard de Fraite, le révolté type, peut devenir le meilleur auxiliaire de Charles pour la défense de la foi – sont peut-être une autre manière de souligner la part d’imprévisible, la part même du destin, qui fonde la grandeur du héros épique.

Notes

1 Voir The Old French Epic of Revolt : Raoul de Cambrai, Renaud de Montauban, Gormond et Isembard, Genève : Droz, Paris : Minard, 1962. Retour au texte

2 Voir « Le thème de la révolte dans les chansons de geste : éléments pour une typologie du héros révolté », Charlemagne in the North, Proceedings of the Twelfth International Conference of the Société Rencesvals, Edinburgh, 1993, pp. 399-416. Retour au texte

3 Nos citations renvoient à l’édition C. Segre, Genève, Droz, 2003. Retour au texte

4 La Chanson de Guillaume, éd. F. Suard, Paris, Garnier-Dunod, 2e éd., 1999. Retour au texte

5 Gormont et Isembart, éd. A. Bayot, Paris, Champion, CFMA, 3e éd., 1969. Retour au texte

6 Girart de Vienne, éd. W. van Emden, Paris, SATF, 1977. Retour au texte

7 On remarquera pourtant que ces prodromes tiennent à peu près lieu de carrière épique, du moins dans les textes anciens, à tel ou tel personnage, comme Renier de Gennes, dont il n’est plus guère question par la suite dans Girart de Vienne ; il est vrai que le remaniement du xive ou du xve s. lui fera la part plus belle. Retour au texte

8 Ed. A. Stimming, Der anglonormannische Boeve de Haumtone, Halle, 1899, v. 42. Retour au texte

9 Ed. Aldo Rosellini, La « geste francor » di Venezia, Brescia, La Scuola, 1986, pp. 275-485. Retour au texte

10 Édition-traduction de William Kibler et François Suard, Paris, Champion, 2003. Retour au texte

11 Voir les vv. 7500-10. Retour au texte

12 Édition-traduction de François Suard d’après le ms. C (BNF fr. 25529), à paraître chez Champion, v. 935. Retour au texte

13 « Toz tens ampires, onques puis n’amendas » (v. 1239). Retour au texte

14 Renaut de Montauban, éd. Jacques Thomas, Genève, Droz, 1989. Retour au texte

15 Nous nuançons ainsi l’appréciation portée sur le personnage de Renaud et son action dans notre article « Renaut de Montauban comme chanson de révolte », paru dans Reinold. Ein Ritter für Europa, hrsgg. von Beate Weifenbach, Berlin, Logos Verlag, 2004, pp. 61-75. Retour au texte

16 Édition Mario Eusebi, Milano-Varese, 1963. Retour au texte

17 Édition Sarah Kay, Raoul de Cambrai. Chanson de geste du XIIe s., Paris, Le Livre de poche, « Lettres gothiques », 1996, avec une traduction de William Kibler. Retour au texte

18 Voir notre article « Le romanesque dans Raoul de Cambrai », Littérales, 25, Paris X - Nanterre, 1999, pp. 45-50. Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

François Suard, « Rebelles, rébellions dans les chansons de geste », Bien Dire et Bien Aprandre, 25 | 2007, 111-128.

Référence électronique

François Suard, « Rebelles, rébellions dans les chansons de geste », Bien Dire et Bien Aprandre [En ligne], 25 | 2007, mis en ligne le 01 mars 2022, consulté le 18 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/bien-dire-et-bien-aprandre/940

Auteur

François Suard

Université Paris X

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