À l’automne 1536, Jean Bouchet, qui exerce la fonction de procureur de la sénéchaussée à Poitiers depuis les années 15071, confie à Jehan et Enguilbert de Marnef, imprimeurs dans cette ville, l’édition d’un ouvrage intitulé Les Angoysses et remedes d’amour du traverseur en son adolescence. Auteur prolifique (il professe la devise Spe labor levis), Bouchet a, dès avant 1535, abordé des thématiques et des modes d’écriture très divers2 : dans Les Regnars traversans (1500-1501), il dénombre les folies des hommes et se livre à une critique assez générale des mœurs de son temps ; dans Le Temple de Bonne Renommee (1517)3, Le Chappelet des Princes (1515) et Le Panegyric du Chevallier sans reproche (1525), il entonne les louanges de la famille La Trémoille, au service de qui il œuvre. Ses Annales d’Aquitaine (1524) et Les Anciennes et modernes genealogies des Roys de France (1528) relèvent du genre historique, La Deploration de l’Eglise militante (1512) critique les abus des ecclésiastiques, mais demeure (devant les menaces d’une réforme) un plaidoyer en faveur du catholicisme4, tandis que Le Labirynth de Fortune (1522)5 et Les Triumphes de la noble et amoureuse dame (1530) abordent, sous le couvert de l’allégorie chère à la Grande Rhétorique, diverses questions de morale. Avec Les Angoysses et remedes d’amour, il met un point final à l’exploitation d’une veine sur l’éthique amoureuse dont il avait entamé l’exploration dès la fin du xve siècle.
Comme l’ont démontré les travaux récents de Jennifer Britnell6, d’Adrian Amstrong7 et de Mary Beth Winn8, Les Angoysses et remedes d’amour reprennent, en les amplifiant, divers poèmes compris dans le volume L’Amoureux transy sans espoir, partiellement composé avant 1500 et publié à Paris par Antoine Vérard vers 1507. Deux sur les quatre élégies qui composent la première et principale partie des Angoysses sont directement reprises au recueil paru en 1507 : L’amoureux transi forme la première élégie et la Complainte de l’enfant banni, qui s’est répandue sous la forme d’une œuvre autonome9, constitue le fondement de la deuxième. Quant au Livret de Raison10, qui figure aussi dans l’édition Vérard, il prend quasiment place au centre de l’ouvrage sous les intitulés Pallas, autrement appellee Raison (pp. liii-lv)11 et Des maulx en general qui procedent de folle amour (pp. lv-lxix) et, de manière savamment découpée, dans d’autres parties des Angoysses12. Entre la première rédaction et son remaniement, Bouchet opère un certain nombre de transformations, de caractère stylistique surtout13 : il abandonne la césure épique (ou présence du e muet à la fin de la quatrième syllabe) dans les décasyllabes14 et alterne de manière plus régulière les rimes masculines et féminines. Mais, comme nous allons le voir bientôt, ses amendements affectent parfois le contenu même des poèmes, en particulier des éléments qui concernent des souvenirs de l’Antiquité.
Les Angoysses et remedes d’amour ambitionnent de constituer une sorte de De remedia amoris à l’intention de ses contemporains. Comme le poète en témoigne dans la préface de son recueil, « appellé d’aulcuns au secours de leurs amoureuses entreprises », il entend les « destourner de si violentes et conciables affections » et entreprend de « faire un remede contre leur amoureux mal et pour tous aultres de ceste furieuse, impaciente et perilleuse maladie »15. En digne représentant de la Grande Rhétorique, il alimente ses conseils de défiance à l’égard des périls de l’amour de nombreuses références littéraires, sacrées ou profanes. Il cite en exemples de comportement louable ou déplaisant divers personnages de la Bible – Esther, Rachel, Suzanne16, Loth17 dans le camp des « sages » ; Sichem, Dalila, Salomon, David, Hérode, Absalon18 dans celui des « pécheurs » –, mais réserve sa plus grande attention aux réminiscences de la littérature antique. Ces souvenirs affleurent fréquemment sous la forme de clichés ou traduisent son intérêt pour des figures mythiques traditionnelles, mais parfois Bouchet s’emploie à évoquer des personnages ou des circonstances plus singulières de la mythologie. Les personnages de l’histoire de l’Antiquité ont également retenu son attention, en particulier les écrivains, auxquels il renvoie souvent de manière légitime, sans éviter toutefois certaines erreurs ou quelques infidélités.
Dans l’ordre des clichés, ce sont principalement les figures à portée climatique qui retiennent l’attention : Zéphyr19 évoque naturellement le concept de douceur atmosphérique, abondamment mis en œuvre par Ovide20, et Aurore, dont Bouchet a également utilisé l’image dans son Labyrinthe21, est la déesse qui traditionnellement ouvre de ses doigts couleur de rose les portes du ciel au char du soleil22. Dans le passage où le poète dépeint Aurore, il l’associe de manière assez originale à Titan et la présente comme la concubine du demi-dieu :
Lors qu’Aurora laisse la rouge couche
Du roy Titan et que la terre touche
De son regard doulx et luciferant (p. A4, vv. 1-3)
Pour ce qui concerne les autres figures mythologiques traditionnelles, le poète ne sacrifie à aucune originalité : Mercure23, dieu des commerçants et des voleurs, passe pour l’inventeur de la lyre courbe et, à ce titre, peut renvoyer légitimement au concept de musique24 ; Vénus25, épouse de Phébus26, symbolise l’amour en général alors que Cupidon27 incarne plus spécialement le désir charnel28 ; Pallas29, armée de son écu « faict du fin acier de continence »30, représente la raison et la sagesse ; le malheur31 apparaît sous la forme des Érinyes Alecto et Mégère32, tandis que le destin funeste se matérialise dans les personnages des trois Parques : Clotho fabrique le fil de la destinée humaine, Lachésis33 le dévide et Atropos le coupe34.
Les épisodes de la mythologie auxquels Bouchet fait référence proviennent le plus souvent de récits très célèbres : le meurtre d’Agamemnon par Égisthe, l’enlèvement d’Hélène et la guerre de Troie, le destin de Didon et d’Énée, l’image d’Hercule filandier, le suicide de Narcisse, l’anecdote de la tunique de Nessus.
Parfois, le poète choisit à titre d’exemples de comportements amoureux regrettables des histoires moins répandues. Aux Héroïdes d’Ovide35, il emprunte l’aventure tragique d’Héro et de Léandre36. Léandre était un jeune homme d’Abydos, amant d’Héro. Chaque nuit, il traversait à la nage le détroit de l’Hellespont, guidé par une lampe qu’Héro plaçait sur le sommet de la tour où elle logeait. Par malheur, une nuit, un orage fit s’éteindre la lampe et Léandre ne put trouver la côte. Le lendemain, la mer rejeta son cadavre au pied de la demeure d’Héro. Celle-ci se précipita dans le vide pour ne pas survivre à son amant. À plusieurs ouvrages du même classique latin37, Bouchet reprend la légende de la fille du roi de Thrace Phyllix, qui s’est suicidée par strangulation en raison de l’attente trop longue que son amant Démophoon lui avait imposée38. Dans Les Métamorphoses39, cette fois, le Rhétoriqueur puise le conte relatif à la destinée troublante de Térée. Roi de Thrace, Térée était allé au secours d’Athènes menacée d’une invasion. Il y fait la rencontre de Procné, fille du roi Pandion, et l’emmène dans son pays pour l’épouser. Quelques années plus tard, il retourne à Athènes pour y chercher Philomèle, sœur de sa femme. Sous l’empire d’une passion criminelle, il abuse de la jeune fille et, pour la réduire au silence, lui coupe la langue. Délivrée par Procné, Philomèle se venge avec elle de Térée en lui imposant de manger les membres de son fils Itys40.
Dans les allusions aux récits plus célèbres, les mêmes héros peuvent remplir quelquefois deux fonctions : tantôt ils sont célébrés pour la dignité de leur conduite, tantôt ils sont proposés en exemple de coupables dans le domaine des réalités amoureuses. Tel est le cas pour Jason, Pâris et Pyrame, décrits d’un côté comme des héros tout remplis de « sçavoir et grâce »41, mais d’autre part dénoncés pour leurs fautes induites par la passion amoureuse. Le suicide de Pyrame42, qui croit à tort que sa compagne Thisbé a été dévorée par une lionne et qui se transperce de son épée, est vivement dénoncé43. La lassitude de Jason à l’égard de sa femme Médée et son amour naissant pour Créüse, que le vainqueur de la Toison d’or a promis d’épouser, expliquent la vengeance de Médée, qui envoie à sa rivale une robe nuptiale empoisonnée, laquelle va s’enflammer sur le corps de la jeune promise et le consumer44. Le comportement de Pâris et son rôle décisif dans la survenance de la guerre de Troie sont évoqués par deux fois : l’épisode célèbre des noces de Thétis et de Pélée, où la Discorde lança une pomme d’or destinée à la plus belle des trois déesses (Junon, Pallas et Vénus) et le choix opéré par Pâris en faveur de Vénus, qui lui accorde la main d’Hélène, épouse de Ménélas, est rapporté de manière assez précise par Bouchet45, qui d’autre part interprète comme un rapt46 le lien forgé par la déesse de l’amour entre Hélène et le fils de Priam.47
D’une manière générale, Jean Bouchet s’attarde davantage sur les fautes des héros antiques que sur leurs vertus. S’il loue la chasteté de Lucrèce, l’honnêteté de Diane, l’humilité de Pénelope, la noblesse de Junon, la prudence de Créüse ou les talents de sculpteur de Pygmalion48, ainsi que le sens de l’amitié de Pylade49, il insiste surtout les crimes ou les suicides perpétrés sous le coup de la ferveur amoureuse. Le désespoir d’Iphis50, repoussé par la belle Anaxarète, conduit le héros à se pendre51. L’annonce du départ d’Énée52 pour l’Italie rend Didon « forcenee »53 et l’incite à se poignarder sur un bûcher54. Narcisse, tombé amoureux de sa propre image reflétée dans l’eau d’une fontaine55, s’y noie56. Les assassinats commis au nom de l’amour révèlent leur content de drame et de fourberie. Égisthe profite de l’absence d’Agamemnon pour séduire Clytemnestre et, au retour de son concurrent, le tue après l’avoir accueilli avec de grandes démonstrations d’amitié57. Le destin mythique d’Oreste, surtout, a retenu l’attention de Jean Bouchet : le fils d’Agamemnon et de Clytemnestre extermine sa propre mère et son complice Égisthe58 avec l’appui moral de Pylade59 ; plus tard, infidèle à l’amour d’Hermione60, Oreste doit céder sa femme à Pyrrhos et assassine son rival à Delphes, où Pyrrhos était allé consulter la pythie61. Au regard de ces événements terribles, moins tragique (mais plus ridicule) apparaît l’obligation qu’Hercule encourt pour son amour envers Iolé. Lisons le texte de Bouchet :
Chascun scet bien que Hercules le terrible,
Homme tresfort, hardy, chevalheureux
Par folle amour devint presque insensible
Tout hebeté, feminin, malheureux,
Car Yola, dont tant fut amoureux,
Le contraignoit souvent filler et tixtre
Et damasser son fuzau tout terreux
Ainsi que dict Ovide en une epistre62.
Par malheur, l’affaire ne s’en tient pas à l’inattendue transformation d’un guerrier fameux63 : la comédie tourne bientôt au drame. Le demi-dieu n’est pas seulement humilié par celle à qui il offre sa personne. Son ardeur va lui valoir de mourir puisque, rendue jalouse par l’inclination d’Hercule pour Iolé, Déjanire va teindre une tunique au moyen d’une drogue que lui avait fournie Nessus et la faire parvenir à son mari. Dès que le vêtement a touché la peau d’Hercule, une brûlure dévorante embrase son corps et lui vaut de mourir sur le mont Oeta64.
Aux fins de persuader son lecteur d’éviter les pièges de la passion et de la volupté, Bouchet dispose de nombreux exemples appartenant à l’histoire (plutôt qu’à la légende). Ces illustrations, il les emprunte volontiers au monde des écrivains. Aux auteurs de la Grèce antique, quand il rappelle la vengeance littéraire d’Archiloque contre Lycambès65, qui avait refusé une de ses filles au créateur de la poésie iambique après la lui avoir promise en mariage66, quand il plaint Sapho67 de s’être précipitée dans les flots du haut de la falaise de Leucade à cause de l’indifférence amoureuse de Phaon, héros de Lesbos68, ou quand il reprend l’image, très répandue dans la littérature médiévale69, du philosophe Aristote chevauché par une belle Indienne qu’Alexandre avait ramenée de ses conquêtes en Orient70. Sans que ses allusions soient toujours confirmées par les faits, il impute aussi à Lucrèce et à Virgile des comportements excessifs dans les choses de l’amour : le premier serait mort de ses excès de « folle amour »71, tandis que le second en aurait conçu une honte publique72.
Dans l’histoire de l’Antiquité, les personnages qui se sont signalés par leurs débordements charnels sont légion. Bien naturellement, Bouchet remémore les figures de Messaline73 et de Sardanapale74, traditionnellement citées comme des fauteurs de luxure75. La personnalité de l’empereur romain Marcus Aurelius Antoninus, qui a régné dans la débauche de 218 à 222 et qui est également connu sous le nom d’Élagabale76, est plus rarement évoquée par les moralistes, de même, dans ce contexte, que celle du Carthaginois Hannibal, qui aurait dû sa défaite à Zama contre Scipion l’Africain à une faiblesse physique engendrée par des abus sexuels77. Mais l’événement historique qui a le plus marqué le poète, au point qu’il y revienne deux fois dans son ouvrage78, est la déposition de Tarquin le Superbe, consécutive au viol de la jeune Lucrèce par son fils Sextus. On sait que cette agression sexuelle suscita la révolte populaire qui mis fin à la royauté de Rome et chassa Tarquin, innocent de tout crime, du pouvoir79.
Au même titre que les héros de la mythologie, divers personnages de l’histoire acquièrent, par la célébrité de leur image, le statut de symbole. Le cheval d’Alexandre le Grand, Bucéphale, représente la force assurée80, tandis qu’à l’inverse, Caton d’Utique81 et Xerxès82 incarnent, par leurs défaites respectives83, des victimes de l’inconstance de la Fortune.
Au fil de son développement, Jean Bouchet cite, à titre de références à ses allusions aux personnages de l’histoire ou de la mythologie, divers auteurs latins et grecs. La source que le Rhétoriqueur a le plus abondamment sollicitée est l’œuvre d’Ovide : il renvoie de façon précise aux Métamorphoses à propos des dégradations morales que l’amour fait subir à ceux qui s’y adonnent sans frein84, d’une manière plus vague à une epistre85 d’Ovide quand il rapporte l’épisode d’Hercule filandier et sans autre précision (comme Ovide recorde86) au sujet de la vengeance exercée par Archiloque dans ses Iambes contre le refus de Lycambès de lui donner une des filles en mariage87. Par ailleurs, il aime énumérer quelques grands noms de la littérature antique en guise de référents prestigieux, mais sans les rattacher à un élément d’information détaillé. Dans la deuxième élégie, évoquant les périls engendrés par l’inconstance de la Fortune, il cite pêle-mêle Virgile, Homère, Cicéron, Valère Maxime et Boèce88.
Plus rarement, Bouchet entend s’appuyer sur des auteurs médiévaux : il fait une vague référence à Bocace89 et, s’agissant de remémorer le viol de Lucrèce perpétré par Sextus et les conséquences dramatiques que ce crime a entraîné pour Tarquin le Superbe et pour l’histoire de la royauté romaine, il nomme Les Faiz Rommains90 comme sa source d’information.
En réalité, dans ce cas-là comme dans d’autres, Jean Bouchet se trompe. L’épisode de la déposition de Tarquin ne se lit pas dans Li Fet des Romains, pas plus que ne se retrouvent dans Valère Maxime91 l’interdiction faite aux femmes et aux jeunes filles de boire du vin ou dans les écrits d’Ovide l’idée que le mariage écarte les jeunes gens dissipés des folies amoureuses92. Bouchet accorde-t-il une confiance trop grande à sa mémoire, à ses souvenirs littéraires ? C’est possible. On observera toutefois qu’il sait se corriger : alors que, dans la Complainte de l’enfant banny, qui constitue une partie de L’Amoureux transy sans espoir, il attribue à Valère Maxime93 le récit de la défaite de Xerxès Ier à Salamine, une trentaine d’années plus tard, dans Les Angoysses et remedes d’amour, il ne fait plus erreur en rendant à Xénophon la paternité de l’histoire malheureuse du souverain achéménide94.
Comme on le constatera en lisant les indications des sources aux écrivains anciens que nous avons reportées dans nos notes, Ovide est de très loin l’auteur classique le plus abondamment sollicité par Bouchet. Les anecdotes relatives à Léandre et Héro, à Phyllix et Démophoon, sont reprises aux Héroïdes, tandis que Les Métamorphoses fournissent la matière des aventures malheureuses vécues par Térée, par Pyrame, par Iphis et par Narcisse. En raison de leurs similitudes thématiques, on s’attend tout naturellement à retrouver dans Les Angoysses et remedes d’amour des réminiscences du De remedia amoris du poète latin. Cette attente n’est pas déçue : le souvenir du traité ovidien est possible dans le rappel de divers épisodes (comme celui de Phyllix et Démophoon ou celui de Térée et Philomèle, retracés par ailleurs) ; il est patent dans l’énumération des dramaturges et des poètes dont Bouchet déconseille la lecture, quand on compare le texte en moyen français et sa source latine95:
Ne lisez plus Terence es comedies
Ne l’Art d’aymer d’Ovide le poete.
De Callimach laissez les elegies,
Semblablement les carmes de Phylete.
Que vostre esprit nullement se delecte
De lire Ovide en ses doulces epistres
Ne Thibulus ; laissez Toya seulete :
Ilz furent tous en l’art d’aymer magistres96.
La preuve de l’influence directe du De remedia amoris sur le traité de Bouchet repose sur deux éléments : la similitude des noms d’écrivains cités (Callimaque, Philétas, Tibulle), mais surtout la reprise de la formule métaphorique Toya (Teia dans le texte latin), qui sert à désigner la « muse de Téos » et renvoie donc subtilement à Anacréon, surnommé quelquefois le « vieillard de Téos ».
En conclusion, on observera que, comme la plupart des Grands Rhétoriqueurs, Jean Bouchet est un poète nourri de culture classique ancienne, plus latine que grecque. L’exploitation de cette culture ne procède pas, en règle générale, par emprunts savants directs : l’auteur des Angoysses et remedes d’amour du traverseur en son adolescence ne compose pas avec, sous les yeux, les textes de son écrivain latin favori, Ovide. Il fait confiance à sa mémoire de la culture littéraire, qui le trahit parfois. Au fil des années, cette culture s’approfondit. À la fin du xve siècle, alors que Bouchet n’a pas encore atteint la trentaine, ses souvenirs de l’Antiquité sont assez modestes. Il se risque bien à illustrer les propos qu’il tient dans L’Amoureux transy sans espoir de quelques images anciennes (les Parques, la Fortune, Tarquin le Superbe, Xerxès, la pomme de Discorde et le jugement de Pâris). Mais ses lectures de l’âge de la maturité l’enhardissent à de plus fréquentes et de plus précises évocations97 : plusieurs pages de la partie centrale des Angoysses et remedes d’amour intitulée Preuve de la misere de folle amour par histoires et fictions poeticques et sans doute composée aux alentours de 153098 sont occupées par les narrations successives de légendes empruntées aux Héroïdes ou aux Métamorphoses : Hercule filandier et la vengeance de Déjanire, le double trépas d’Héro et de Léandre, le double suicide de Pyrame et Thisbé, l’amour excessif de Phyllis pour Démophoon, les représailles de Procné et de Philomèle contre Térée, les crimes d’Oreste, etc. En somme, comme l’a noté Régis Rech à propos de la culture historique du poète99, Jean Bouchet possède une connaissance réelle de la mythologie, de l’histoire et des auteurs de l’Antiquité, mais ce savoir n’est pas total et, surtout, ne se révèle pas exceptionnel pour son époque.