Une présence virgilienne dans La Maison hantée d’Alberto Savinio

DOI : 10.54563/bdba.987

p. 329-344

Texte

La réception de l’Antiquité dans la culture littéraire contemporaine relève de caractères de reconnaissance différents de ceux qui marquent son emploi dans la littérature médiévale ou sa vitalité dans tout système de récupération classiciste de l’ancien, de la Renaissance à l’âge moderne.

Une évaluation correcte de ce que nous pourrions voir d’emblée comme une présence opaque de l’Antiquité dans la littérature contemporaine, du moins en tant que système de reprises formalisable, ne pourra faire abstraction d’un certain nombre de problématiques historico-littéraires : la stratification des traditions expressives et des répertoires thématiques d’un côté ; de l’autre l’atténuation progressive des systèmes normatifs définissant les différents genres, jusqu’à l’hybridisme des formes littéraires exploitant des repères culturels, expressifs, allusifs multiples, au point d’en perdre presque toute marque de reconnaissance ou d’identification.

La vitalité de l’antique dans la littérature du vingtième siècle ne fait pourtant pas l’objet de doutes, le manque d’un questionnement méthodologique spécifique témoignant plutôt des difficultés d’en référer aisément d’un point de vue théorique général et comparé. Cette même problématique n’échapperait pas, en revanche, à nombre d’études ponctuelles, consacrées à l’un ou l’autre des écrivains de la modernité, tous domaines linguistiques confondus. Dans le domaine italien, Alberto Savinio fut parmi ceux qui accordèrent à l’influence de l’Antiquité gréco-latine un rôle majeur, dans le cadre d’une invention littéraire et figurative pourtant fort autonome, originale et incontestablement moderniste.

Né en Grèce d’une famille italienne, toute sa vie durant Savinio fut partagé entre l’horizon culturel italien et une vocation cosmopolite, qui le conduisit à effectuer de longs séjours à l’étranger, notamment à Paris entre les deux guerres. Cet écrivain, également peintre et musicien, ne voulut jamais renoncer à répondre, bien qu’à sa manière, à l’appel lointain de l’antique, entre autre sous l’influence de ses propres origines helléniques. Son œuvre « tant écrite que picturale, est riche en héros et en dieux de la mythologie gréco-latine »1, comme d’ailleurs celle de son célèbre frère, le peintre De Chirico2, lui aussi fort attiré par une récupération métaphysique, modernisante du mythe classique.

En ce qui concerne la production narrative et théâtrale de Savinio, les critiques ont souligné par exemple la richesse de réécritures du voyage mythique d’Ulysse ou encore de Jason3. Les titres sont à eux seuls significatifs à cet égard : Capitaine Ulysse (Capitano Ulisse), Le départ de l’Argonaute (La partenza dell’argonauta), pour n’en citer que deux. Pour d’autres œuvres, tels qu’Angélique ou la nuit de mai (Angelica o la notte di maggio) ou encore Notre âme (La nostra anima), l’écrivain lui-même suggéra à ses lecteurs le poids incontournable d’une référence classiciste, notamment la reprise de la fabula de Psyché sous un jour explicitement banalisant, par endroits totalement comique.

Une récupération de l’antique a lieu également au niveau microtextuel. Dans le cadre nonchalant d’une narration fantastique, surréaliste, il peut arriver que Savinio intègre des références ponctuelles aux personnages de l’Antiquité (par exemple Alcibiade ou Mercure). Par ailleurs le narrateur s’adresse à eux en s’exprimant parfois au discours direct, un privilège qu’il accorde moins fréquemment aux personnages réels, contemporains, pour ainsi dire, de ses récits. Cette modalité viserait peut-être à mettre en valeur un imaginaire mythique par opposition à un système de valeurs moderne, ressenti comme étranger, facilement ridiculisé.

Ailleurs, ces personnages apparaissent dans le cadre d’élans lyriques, faisant fonction d’interruptions par rapport à des sections du texte prosaïques, voire ironiques. Savinio viserait ici à découper, à l’intérieur même du texte, de moments authentiques, révélateurs. Il inviterait ainsi le lecteur à une compréhension supérieure, plus évocatoire et lyrique, de sa parole. C’est le cas de l’image d’Ariane, qui fait même l’objet de véritables vers insérés ex abrupto au cours d’une narration4.

Enfin, l’utilisation de personnages de l’Antiquité intervient au niveau de comparaison, dans la caractérisation de l’un ou de l'autre des personnages fictifs, selon une démarche que nous dirons traditionnellement métaphorique.

 

Cependant, une forme de récupération différente, plus subtile, relèverait dans l’œuvre savinienne d’un désir allusif davantage stratifié. Notamment, elle ne serait pas marquée par la citation explicite d’un personnage ou d’une situation narrative, tout en reposant sur une reprise textuelle précise. Une forme d’intertextualité cachée peut-être, mais certainement pas « aléatoire », pour reprendre les mots de Riffaterre, qui caractérisa ainsi toute allusion à un texte source revêtant une valeur incontournable, dont la saisie serait nécessaire à la sémantisation du texte second5.

C’est le cas du roman La Maison hantée (La casa ispirata), sorti dans sa version définitive en 1925. Nous nous proposons de montrer comment, dans ce texte, un modèle virgilien précis, celui de l’epicedion de Marcellus, à la fin du livre VI de l’Enéide, fait l’objet d’une allusion ponctuelle6. Une fois cette référence dévoilée par le lecteur, elle permettrait de creuser en profondeur certains aspects d’un texte à l’opacité frappante, à l’image même de son titre, dont l’ambiguïté en italien est évidente7.

En effet, l’adjectif italien « ispirata » ne trouverait normalement une vraie équivalence que dans le français « inspirée ». Savinio vise néanmoins à traduire ici la notion du français « hantée »8, se sert pour cela d’une acception fort rare de l’adjectif italien « ispirato », ici utilisé dans le sens d’enrichi en pouvoirs surnaturels9, par extension habité, hanté par de mystérieux esprits des lieux. Le narrateur s’attache à retarder cette explication du titre, puisque ce ne sera qu’au chapitre XXII que le lecteur apprendra que « La maison était hantée. Une imperceptible animation circulait entre les murs creusés par l’industrie des génies qui y logeaient en abondance »10.

Le lecteur saisit ainsi l’acception presque concrète de cet adjectif, alors que jusqu’ici il n’avait pu que l’entendre dans son sens le plus commun, plus abstrait en langue italienne, d’accompli ou d’exprimé sous l’emprise d’un pouvoir divin ou surnaturel. En somme, avant que le narrateur ne dévoile son jeu polysémique, le titre situe les premiers chapitres du texte sous le signe d’une suggestion divinatoire, oraculaire. Un contexte évoqué d’ailleurs avec bien plus de richesse par la suite.

Dans les premières pages du roman11, nous faisons la connaissance d’un narrateur qui semble croire à « l’examen attentif de divers signes et présages », voire aux « signes des lois occultes obéissant aux présages », enfin à la possibilité de « solliciter des esprits supérieurs ces conseils et préceptes qui nous font défaut ». Cette foi en une force supérieure réglant la réalité universelle s’explique par le fait que « L’homme ne peut résoudre qu’un nombre très limité de problèmes : les autres sont du ressort des dieux ».

Ensuite, le narrateur se présente en véritable voyant. De fait, il ne pourrait connaître « quels traquenards le sort lui tend », ni percer « la fatale précision du temps », s’il n’était lui-même pourvu du « don malheureux de clairvoyance, grâce auquel se découvre à l’œil nu la trame compliquée du cosmos ». Il s’agit donc d’un narrateur qui a confiance dans « les enseignements des devins », « les oracles, les prédictions, les voix ineffables par lesquelles le divin se manifeste à nous », en somme tous les arts de la « divination ».

Cela se déroule pourtant dans le cadre d’une histoire apparemment simple. Nous sommes à Paris. Le narrateur, un étranger, vient de trouver une maison où emménager. Il s’installe dans la rue St-Jacques, chez la famille Lemauzy. Son imagination est surtout frappée par deux de ses membres : une vieille femme terrifiante, et son petit-fils, un adolescent nommé Marcello, un jeune garçon difficile et agité, qui s’échappera par la suite de la maison ; à son retour, il narrera le prodige de sa mystérieuse rencontre avec « Dieu ». Entre-temps la première guerre mondiale a éclaté, Marcello partira bientôt pour le front. Les habitants de la maison apprendront ensuite sa mort ignoble.

La structure narrative impose progressivement le jeune Marcello en véritable héros du récit. Les trois macro-séquences dont elle se compose, et que nous empruntons à la fine analyse d’Amigoni12, le montrent clairement : 1) le narrateur trouve la maison et dîne avec les Lemauzy ; 2) Marcello s’enfuit de la maison et y revient ; 3) Marcello meurt au front. En dépit de ce que l’on pourrait ainsi peut-être croire, le jeune Marcello fonctionne comme un élément polarisant même en ce qui concerne la première de ces séquences. En effet, les différents dialogues du narrateur avec les autres personnages ne sont en partie que des commentaires pédagogiques au sujet de l’attitude bizarre du garçon, qui tient donc le devant de la scène même de manière indirecte13.

Son rôle prédominant expose ainsi ce personnage à une sémantisation forte dans l’ensemble du récit. Cela se précisera notamment dans le contexte oraculaire, préalablement introduit par le narrateur14. C’est d’ailleurs ce cadre thématique qui prépare le lecteur à reconnaître la référence au modèle de l’Enéide, notamment à la matière prophétique du livre VI15. L’homonymie liant Marcello au puer virgilien bien sûr fait le reste ; cependant, d’autres reprises marquent, et avec plus de pertinence, cette assimilation.

 

Par exemple, nous retrouvons dans la Maison hantée une image similaire à celle du neveu d’Auguste engageant un combat à cheval. De la même manière que celui-ci « tourmente de ses éperons les flancs d’un cheval écumant »16, ainsi, après le dîner, le jeune Marcello « saisit une chaise, la posa à l’envers sur le plancher, et installé à califourchon, se mit à claquer les doigts et à crier hop ! hop ! en imitant les mouvements onduleux du galop »17. Nous remarquons que Marcello joue ici sur ce même plancher (« piantito ») qui a la fin du roman, à l’approche donc de l’annonce de sa mort, révélera au narrateur l’accès à une possible catabase parisienne : « soudain, le plancher se fendit, en dessous le sol s’ouvrit à son tour, et les voix de l’enfer répandirent leur épouvante sur la terre »18.

Plus en général, cette mise en scène anticipe la fin malheureuse de Marcello. En effet elle intègre un des thèmes majeurs de l’Enéide, celui de la prédestination, notamment par l’évocation métaphorique de la mort, d’un appel fatal du destin : « L’adolescent qui de sa galopade immobile s’était excité à un point tel que la sueur ruisselait sur son visage comme l’eau sur les faunes des fontaines, descendit en chancelant de sa monture rigide, puis, ayant essayé de faire quelques pas à travers la pièce, tomba comme mort sur le divan »19. Par ailleurs, la métaphore assimilant le jeune garçon à la sculpture d’une fontaine, fonctionne elle aussi comme un rappel funèbre, dans le cadre d’une tradition littéraire et anthropologique assignant aux statues une valeur d’objets de passage entre le monde des vivants et celui des morts20.

Et tout de suite après, « “Marcel !” appela une voix de l’autre côté de la cloison. […] L’adolescent, qui, depuis qu’il s’était jeté sur le divan, n’avait plus donné signe de vie, sauta sur ses pieds comme un ressort à boudin, et la mystérieuse voix lui ayant insufflé une énergie à laquelle il lui était impossible de se soustraire, il traversa la pièce en courant et disparut derrière une petite porte dissimulée dans le mur. / L’air se raffermit en un silence lourd d’inquiétude, figeant les personnes présentes comme les colonnes d’un temple sans toit »21.

À la fin du roman, la mort de Marcello Lemauzy sera celle d’un soldat qui « courut vers l’ennemi »22, à l’instar de Marcellus qui « marchat à pied contre l’ennemi »23. Et ensuite, imaginant le moment même de sa mort, le narrateur nous dira alors que Marcello « inclina la tête »24 ; selon les mots d’Anchise, Marcellus s’avance « le visage baissé »25. Lorsque le corps de l’adolescent disparaît sous terre, le narrateur savinien voit surgir « une luminosité opaque, très pâle et sans joie »26. Une équivalence peut-être de l’« ombre sur le front »27 du puer virgilien, notamment si l’on considère la correspondance entre les originaux « senza gioia » et « laeta parum »28.

Un autre rapprochement nous paraît remarquable. Bien qu’ici il ne s’agisse pas d’une reprise exacte, ni en ce qui concerne les images employées, ni pour ce qui est de leur contexte, l’utilisation d’une métaphore nocturne marque pourtant chacun de nos deux textes. En effet, vers la fin du roman, le narrateur savinien évoque le moment où « les étoiles elles-mêmes, qui, jusqu’au dernier instant, avaient scintillé, innombrables, sur l’aimable visage de Marcel, commencèrent à s’éloigner une à une »29. L’invention d’Enée est elle aussi sombre, magnifiquement impalpable ; Virgile y avait exploité un même effet d’opposition entre la tête du jeune défunt et l’immensité de l’ombre mortelle, porteuse d’un noir immense, d’un ciel tout entier : « autour de sa tête vole une nuit sinistre aux ombres endeuillées »30.

De plus, dans le substantif italien « volto » (visage) du texte original nous retrouvons un écho savant du terme « vultu », qui dans le texte latin apparaissait au vers 862. Dans le poème virgilien la sombre attitude de Marcellus fait d’abord l’objet d’une incise. Le narrateur rapporte la vision extérieure qu’Enée a de Marcellus : « Et ici Enée – car il voyait… ». Cela sert d’explication au questionnement direct d’Enée : « Père, qui est celui-là… ». Une véritable paraphrase des vers précédant son discours. La reprise savinienne est donc synthétique par rapport au dédoublement de son texte source.

 

Le texte italien nous permet un autre rapprochement. Malgré le fait qu’un lien différent de parenté unisse effectivement Marcello à ses grands-parents, son statut est pourtant dans la langue italienne le même que celui du Marcellus latin, fils de la sœur de l’empereur Auguste, et donc neveu de ce dernier, puisque le mot italien « nipote » traduit aussi bien « petit-fils » que « neveu ». Nous ajouterons que Marcellus est le nepos par excellence, ce terme interpellant le contexte idéologique aussi bien que pathétique du livre VI : Marcellus appartient à une grande lignée de descendants, la « stirps nepotum »31 de celui qui jadis affirma la « rem Romanam »32.

L’epicedion arrivant à sa fin, Anchise exprimera affectivement le pathos d’une lamentation et personnelle et universelle, en évoquant l’« animam […] nepotis »33 : « l’âme de mon petit-fils », certes, mais aussi « du petit-fils », le petit-fils de son glorieux ancêtre, ainsi que d’une nation tout entière ; l’héritier de l’empire, mort avant l’âge. Il faudra préciser à cet égard que, la langue française exigeant l’emploi de l’adjectif possessif, la traduction en français nous oblige à référer le terme latin à Anchise, comme Perret le fait, tandis que l’italien, employant de préférence l’article défini, en maintient l’attribution ouverte à différentes interprétations. En fait, « nepos » pourrait designer aussi bien le neveu d’Auguste que son descendant, ou encore effectivement un petit-fils idéal d’Anchise34. Il ne sera donc pas anodin de remarquer que, dans la maison hantée savinienne, le jeune parisien est à son tour appelé à maintes reprises « nipote ».

Dans ce même contexte, le mot italien « stirpe » (lignée) est également valorisé dans le texte savinien. C’est le cas d’une affirmation qui vise à souligner une sorte de continuité entre le narrateur de la Maison hantée et la tradition antique à laquelle il se rattache par des reprises ponctuelles. D’ailleurs, plusieurs termes aux accents romains (l’idéologie de l’otium, l’évocation d’une res publica) reviennent sous sa plume : « Bien que célibataire, bien qu’étranger aux péripéties et aux honneurs de la chose publique, je ne m’en livre pas moins aux mystérieuses disciplines de la prédiction, étant persuadé de constituer à moi seul un immense Etat et une lignée séculaire »35.

Ainsi, en s’assimilant de manière métaphorique à une institution étatique, le narrateur savinien semble ici vouloir revendiquer un rôle paritaire (« à moi seul ») vis-à-vis de sa source, L’Enéide de Virgile, ce grand poème de célébration dynastique (« bien que célibataire », « une lignée séculaire »), d’inspiration nationale et romaine (« aux péripéties et aux honneurs de la chose publique »), dont l’aura prophétique (« prédiction ») résista durablement dans la culture occidentale.

De plus, notre narrateur est persuadé de pouvoir en reprendre la vocation oraculaire : « Je me mis donc à interroger les indices, les signes, les présages qui, à notre époque, ont remplacé toutes les pratiques grâce auxquelles nos ancêtres avaient la prescience du futur »36. Il ne sera pas difficile de voir en cette affirmation une véritable déclaration métalittéraire d’intertextualité : elle reposerait notamment sur la notion de substitution (« remplacé »), plutôt que de véritable continuité, les temps ayant inexorablement changé.

 

Ne voulant pas attaquer sa source d’une manière frontale, à découvert, Savinio attend donc son heure, à l’image du narrateur, qui, le moment venu de dire au revoir à Marcello partant à la guerre, demeure « un peu à l’écart »37. Il renonce à se conformer à une tradition désormais vidée de son sens, tandis que les proches du garçon prédestiné l’entourent affolés : « Les saluts, les regards, les paroles que tous répètent mais que personne ne croit, revenaient avec insistance, comme des répliques et des répétitions provenant de rites très anciens »38.

C’est dans cette perspective de récupération alternative, pour ainsi dire, de l’antique, que nous pourrions interpréter le fait que Savinio évite soigneusement d’exploiter le vers le plus célèbre de son modèle, celui qui valut pourtant à l’epicedion sa renommée particulière dans la tradition virgilienne : « Tu seras Marcellus. Donnez des lis à pleines mains »39. C’est notamment à la lecture publique du premier hémistiche de ce vers que la sœur d’Auguste, profondément émue par l’évocation de son enfant disparu, s’évanouit dramatiquement40. Par sa valeur iconique, cette scène fera par la suite l’objet de nombreuses reprises figuratives, comme les cycles virgiliens de Florence et Bologne nous le montrent41. Angelica Kauffman y consacra également un tableau, ainsi qu’Ingres, dont l’une de deux versions peintes des ce sujet aurait même inclus une statue du neveu d’Auguste42.

Nous savons également que, selon la tradition vulgaire du rayonnement de l’Enéide, Auguste paya cher ce vers à Virgile43, à qui le malheureux Marcellus avait en effet fourni, comme nous le rappelle Dumas, « un des hémistiches à la fois les plus beaux et les plus lucratifs de son sixième chant […]. Demandez à Virgile ce que lui rapporta le Tu Marcellus eris ! »44. Si Yourcenar fera surgir naturellement les paroles d’Anchise en l’esprit d’Hadrien, sur le point de perdre à son tour son héritier désigné Lucius45, d’autres, en revanche, s’éloigneront de différentes manières du contexte virgilien.

À titre de curiosité, nous rappellerons par exemple, qu’au dix-septième siècle, selon une lecture linéairement prophétique du premier hémistiche (Tu seras un Marcellus), la noble famille vénitienne Marcello affichera la locution virgilienne dans son emblème officiel, pour signifier certes une prédestination, mais une prédestination glorieuse, donc positive46. Ailleurs, ces paroles d’Anchise, désormais privées de toute solennité, deviendront le signe d’une reconnaissance anti-épique. Ce bouleversement de perspective est évident chez Villiers de l’Isle-Adam, où la jeune mère d’un « môme prédestiné » est flattée par « le “Tu Marcellus eris” de la circonstance »47. Devenue idiomatique comme expression d’une attente déçue ou d’une promesse non tenue, la locution aura sa place dans des textes ironiques, aux accents mondains, comme chez Janin48 ou Berlioz, ce dernier reprenant notamment le contexte augustéen d’une manière parodique49.

Un changement moins frappant marquera la tradition du second hémistiche du vers (« manibus date lilia plenis »). Dans le sens de notre lecture savinienne, un cas remarquable est celui de La Vénus d’Ille de Mérimée. Si les citations virgiliennes participent ici de l’enthousiasme archéologique de M. de Peyrehorade, elles contribuent également à une évocation souterraine d’images funèbres, annonciatrices de l’inquiétant sort des personnages50. Notamment, l’interpellation indirecte de la destinée de Marcellus pourrait constituer un véritable effet d’annonce par rapport à la mort mystérieuse d’Alphonse, le fils de M. de Peyrehorade.

Dans le domaine italien, les paroles d’Anchise sont présentes chez Dante, notamment lors d’un hommage indirect à Dieu, adressé par le chœur des âmes à Béatrice, ici figure de la fois la plus pure qui soit (d’où les lis)51. Par la suite, cette révision au sens chrétien reviendra dans la musique liturgique52. La citation-variation dantesque (« Manibus, oh, date lilia plenis !” ») réapparaît chez Gadda : le syntagme y est repris en véritable parodie par rapport à sa vulgarisation idiomatique et stéréotypée (« un « manibus o date lilia plenis » entre romantique et méphistophélique »)53. Il faudra cependant remarquer que dans l’ensemble de l’œuvre gaddienne, cette occurrence ne représente qu’un des aspects d’une plus vaste stratégie de récupération de l’Énéide, et notamment du livre VI.

En effet, cette utilisation dégradée du modèle virgilien (ainsi que de son souvenir dantesque) porte Gadda à intégrer un emploi tout à fait sérieux de cette même source. Cela se situerait dans le cadre d’une réappropriation de la pietas virgilienne, appliquée chez Gadda à l’un des thèmes privilégiés de son œuvre, la complainte de jeunes victimes de la Grande Guerre54. Une opération intertextuelle complexe, qui nous permet de mieux envisager le choix de Savinio qui évite de reprendre le locus le plus scolaire de l’épisode de Marcellus, alors que Gadda ne s’en sert qu’en fonction parodique. Elle nous confirme aussi la valeur topique que les morts ante diem de l’univers virgilien assumèrent par rapport à la tragédie de la Première Guerre Mondiale dans les années qui la suivirent.

Face aux horreurs du conflit, l’exemplum du livre VI fut effectivement perçu en véritable monument au Soldat Inconnu, jeune immolé sur l’autel des idoles historiques55. Encore dans les années 1950, par exemple, un poète français et dialectal en langue d’oc, Paul Calvignac, publia un recueil poétique consacré au sacrifice inutile, tragique des jeunes Européens envoyés au front. Il l’intitula alors Tu seras Marcellus56, confirmant ainsi la valeur universelle de la représentation classique. Bien qu’à une profondeur différente, par le biais d’une imagination certainement moins conventionnelle, aussi bien chez Gadda que chez Savinio, l’opération intertextuelle contribue à enrichir ce même sentiment du texte virgilien.

 

À présent il nous reste à comprendre les quelques implications qu’un tel lien intertextuel permet d’établir dans La Maison hantée. Notamment la notion du double nous paraît centrale à cet égard. En général, c’est la dynamique allusive elle-même qui nous suggère de voir Marcello en double intertextuel du Marcellus virgilien. Une remarque moins anodine qu’il n’y paraît, lorsque nous considérons que le puer Marcellus est à son tour le double intratextuel d’un de ses ancêtres, ce Marcellus adulte qui s’offre au regard d’Enée aux vers 855-856 : s’avance triomphalement, dépasse de la tête tous ses hommes.

Dans le cadre de l’idéologie virgilienne, cette double figuration fonctionne comme une représentation simultanée de l’actualité brûlante de la cour augustéenne (la mort du nepos) à côté de l’histoire de Rome, l’autre Marcellus, l’aîné, s’étant en effet illustré quelques siècles auparavant, dans la guerre contre les Gaulois et contre Hannibal. En outre, un lien s’instaure également par rapport à une dimension mythique du passé, si l’on considère l’allusion à la généalogie troyenne et latine de Marcellus dans la lamentation d’Anchise.

Dans le contexte d’une caractérisation à la vocation moderniste, le modèle antique subirait donc une innovation. L’implication du double fonctionnerait en effet plutôt dans le sens psychique d’une auto-référence, Marcello Lemauzy se présentant en alter ego, double de lui-même. Dans la perspective d’un tel dédoublement, nous lirons notamment l’interférence pathologique que le narrateur croit remarquer dans son attitude dissociée, schizophrène au point d’y « déceler certains symptômes d’hystérie. Ses gestes étaient violents, dénués de toute justification. L’adolescent attaqua tout d’abord le contenu de son assiette avec la furie d’un cannibale à jeun, mais ému soudain par de secrets pressentiments, il se jeta en arrière sur sa chaise, et la bouche pleine d’aliments et de stupeur, laissa errer son regard à travers des espaces peuplés de mirages »57. Son comportement révèle les « signes indubitables d’affection hystérique », marques d’un véritable « raptus démentiel »58.

D’autres notations confirment l’être intimement double de Marcello. Par exemple, son possible état d’« enfant illégitime », donc un Lemauzy-Constant, aussi bien qu’un autre, l’enfant d’un autre père, inconnu. Cette lecture s’impose notamment à la lumière de la problématique dynastique dont le Marcellus virgilien est, historiquement et poétiquement, porteur. Héritier d’Auguste, il en est l’enfant idéal. Dans cette perspective, sa mort n’en est que plus décevante et s’oppose fatalement au choix rationnel, anti-naturel et politique, de l’empereur.

Strictement liée à cette même notion de déception dynastique, voire plus simplement à l’absence de la fonction paternelle, donc d’un modèle masculin positif, une autre condition s’impose à la curiosité du narrateur s’interrogeant sur l’identité énigmatique de Marcello : celle du double sexuel, du « sexuellement hybride, d’hermaphrodite »59. Comble du paradoxe, cette féminisation du jeune Lemauzy intervient notamment lorsqu’il apparaît au narrateur gauchement habillé en soldat, symbole d’une virilité sociale qu’il est incapable d’assumer.

Sa destinée s’explique ainsi sous le signe de l’expiation génétique d’un bâtard : « Quant au visage de Marcel, outre l’ombre de la faute paternelle, outre le signe de la prédestination certaine qui entraînait inexorablement l’adolescent à expier cette faute, on y percevait la pâleur terne marquant le visage de la femme séduite »60, pour la première fois soumise au mâle. Marqué par la honte, Marcello est donc le miroir de sa mère, il en redouble l’image de jeune fille. Bâtard mais aussi orphelin, Marcello incarne également le double de son propre père absent : il le remplace auprès de sa mère, dont il devient l’amant. En effet, un dédoublement incestueux est également évoqué dans le texte d’une manière explicite, notamment au chapitre XXIII61.

Dans le poème virgilien Marcellus incarne aussi le point de rapprochement maximal entre deux différentes dimensions temporelles : le passé mythique et le passé historique de Rome, ou encore son passé et son présent. Le sens ultime de l’eulogie d’Anchise demeure cependant tragique, nous le savons, à l’image du pathétisme complexe du verbe au futur dans l’hémistiche « Tu Marcellus eris » (Tu seras Marcellus / Tu seras un Marcellus)62. En effet, l’emploi du futur se justifiant par la posture prophétique du récit adressé à Enée, cela ne rend que davantage sanglante sa lecture rétrospective à l’époque augustéenne. Marcellus n’a pas encore existé, il ne « sera », il ne vivra que pour mourir trop tôt. Cette double vérité condamne ainsi ce qui pourrait être aussi bien l’incipit (dans la perspective de la mission d’Enée) que l’exitus (l’héritier, l’élu est mort) du pouvoir romain à une atmosphère de mélancolie poignante, définitive.

Cette problématique temporelle revient dans La Maison hantée. Marcello se tient en équilibre précaire parmi différents partis historiques et culturels. D’un côté, le passé récent, celui des valeurs bourgeoises d’une famille du xixe siècle, cultivant le mythe domestique du faisandé fait maison et l’esprit de revanche sur le conflit franco-prussien de 1870-1871 ; une famille exprimant son regret stérile du passé au lieu d’assumer l’actualité : « Tout se perd […]. Où est le temps […] »63. De l’autre, le passé mythique, incarné par une aïeule paralysée à l’allure monstrueuse, incapable du moindre discours. La mort elle-même la redoute ! Et finalement l’avenir : l’enthousiasme tremblant de la jeunesse catholique favorable à l’intervention militaire de la France, qui poussera Marcello à partir lui-même au front, fuyant ainsi l’inceste maternel et la faute adultère de ses racines, pour ne retrouver que le néant.

Car aucune dimension temporelle n’est plus habitable, à l’instar des deux maisons présentes dans le texte64, celle des Lemauzy, mais aussi l’autre, celle qui est en train d’être bâtie juste en face, censée représenter une instance positive ; pourtant son intérieur est « inutile au présent comme au futur »65. C’est pourquoi, à la mort du jeune soldat, tout le réel paraît se suspendre dans une dimension lunaire, atemporelle, même le narrateur n’y serait qu’un mort parmi les autres défunts66. Telle est, du moins, la vision, fort surréelle, que le modèle marcellianus inspira à Alberto Savinio. Dans sa parole, la vérité de la perte comprise par Virgile devient ainsi un mystère, « une nuit blanche […] sur la cité déserte »67.

Notes

1 J.-B. Para, « Introduction », in A. Savinio, Angélique ou la nuit de mai, traduit de l’italien par J.-B. Para, Nantes, Arcane 17, 1985, p. 7-19, 13. Retour au texte

2 Alberto Savinio n’est en effet rien d’autre que le pseudonyme d’Andrea De Chirico. Retour au texte

3 Voir notamment M. Sabbatini, L’argonauta, l’anatomico, il funambolo. Alberto Savinio dai Chants de la mi-mort a Hermaphrodito, Rome, Salerno editrice, 1997, p. 40-44 ; A. Tinterri, « Il ritorno di Ulisse in patria », in F. Bartoli-R. Dalmonte-C. Donati (éds.), Visioni e archetipi, Trento, C. Donati, 1996, pp. 483-494 ; Id., Savinio e l’«Altro», Genova, Il Melangolo, 1999, pp. 67-85. Retour au texte

4 Voir A. Savinio, Angelica o la notte di maggio, in : Id., Hermaphrodito e altri racconti, Milan, Adelphi, 1995, p. 353-437, 437. Retour au texte

5 Voir M. Riffaterre, « La trace de l’intertexte » CCXV (1980), p. 4-18, 5. Retour au texte

6 Sans plus de documentation, cette référence est citée dans deux études consacrées à La Maison hantée. Voir F. Amigoni, « Nel grave silenzio della « Casa ispirata ». Savinio tra fantastico e autobiografia », Strumenti Critici XIV (1999) 1, p. 35-60 (puis in Id., Fantasmi nel Novecento, Turin, Bollati Boringhieri, 2004, p. 41-65), 51-52 ; S. Lazzarin, L’ombre et la forme. Du fantastique italien au xxesiècle, Caen, Presses universitaires de Caen, 2004, p. 70. Retour au texte

7 Voir F. Amigoni, « Nel grave silenzio … », op. cit., p. 48 ; S. Lazzarin, L’Ombre et la forme…, op. cit., p. 65. Retour au texte

8 Angl. « haunted ». Retour au texte

9 Voir M. Cortelazzo-P. Zolli, Il nuovo etimologico: DEL – dizionario etimologico della lingua italiana, 2e édition revue par M. Cortelazzo-M.A. Cortelazzo, Bologna, Zanichelli, 1999, p. 826-827. Retour au texte

10 A. Savinio, La Maison hantée, traduit de l’italien par Jean-Marie Laclavetine, Paris, Fayard, 1988, p. 63. Quant au texte original, voir Id., La casa ispirata, in Id.,Hermaphrodito e altri romanzi, cit., pp. 195-351, p. 249 : « La casa era ispirata. Una sottile animazione circolava entro i muri scavati dall’industria dei geni che vi alloggiavano in gran copia». Retour au texte

11 La Maison hantée, op. cit., p. 7-14. Voir La casa ispirata, op. cit., p. 197-203. Retour au texte

12 Voir F. Amigoni, « Nel grave silenzio… », op. cit., p. 44. Retour au texte

13 Voir à cet égard la longue conversation (chapitres XVI et XVII) entre le narrateur et l’abbé Chardonnel, notamment le récit, en partie rétrospectif, du religieux au sujet de l’étrange attitude de Marcello : La casa ispirata, op. cit. p. 233-241 (La Maison hantée, op. cit., p. 46-55). Retour au texte

14 Une place majeure de l’analyse de Lazzarin est consacrée à cette atmosphère de présages ; voir S. Lazzarin, L’ombre et la forme…, op. cit., p. 68-70. Retour au texte

15 Voir aussi l’emploi fréquent de termes tirés du champ lexical du sort/destin/fatalité. Par ailleurs, une caractérisation de la monstrueuse grand-mère de l’adolescent en véritable Sibylle horriblement sortant du noir de son antre domestique (une véritable « sibilla decrepita» !), ainsi que sa vieillesse résistante à toute mort, malgré la progression macabre de sa décadence physique, pourrait relever du même domaine allusif. Retour au texte

16 Aen. VI, v. 881 : « […] spumantis equi […] calcaribus armos». Ici et par la suite nous citons Virgile, Énéide. Livres V-VIII, éd. J. Perret, Paris, les Belles Lettres, 1989. Retour au texte

17 La Maison hantée, op. cit., p. 31. Voir La casa ispirata, op. cit., p. 219 : « afferrò una sedia, la rovesciò sul piantito e, montatovi a cavalcioni, cominciò a schioccar le dita e a gridare hop! hop!, simulando i movimenti ondosi del galoppo ». Retour au texte

18 Ibid., p. 165. Voir La casa ispirata, op. cit., p. 346 : « spaccatosi d’un tratto il piantito e squarciatosi il suolo sotto a quello, le voci dell’inferno orrendamente si sparsero sulla terra». Retour au texte

19 Ibid., p. 32. Voir La casa ispirata, op. cit., p. 220 : « L’adolescente che nella sua immobile galoppata s’era talmente eccitato che il sudore gli grondava sulla faccia come l’acqua sui fauni delle fontane, smontò barcollando dalla sua rigida cavalcatura, e tentati pochi passi per la camera cadde come morto sul divano». Retour au texte

20 Voir par exemple J. Chabot, « “La Vénus d’Illeé”. Conte fantastique », in Id., L’autre moi. Fantasmes e fantastique dans les nouvelles de Mérimée, Aix-en-Provence, EdiSud, p. 121-158, 134-135 ; S. Lazzarin, « Mérimée, le statue, il fantastico, » dans P. Mérimée, La Venere d’Ille, trad. en italien par S. Lazzarin, Lecce, Piero Manni, 1999, p. 51-127, 67-70. Retour au texte

21 La Maison hantée, op. cit., p. 34. Voir La casa ispirata, op. cit., p. 222 : « “Marcello!” chiamò una voce di là dalla parete. […] L’adolescente, che da quando s’era buttato sul divano non aveva dato più segno di vita, balzò in piedi come un saltaleone, e avendogli la misteriosa voce spirata un’energia cui gli era impossibile sottrarsi, traversò la sala di corsa e sparì dietro una porticina nascosta nel muro. / L’aria si rassodò in un silenzio greve d’inquietudine, tenendo immobili i presenti come colonne di un tempio scoperchiato ». Retour au texte

22 La Maison hantée, op. cit., p. 168. Voir La casa ispirata, op. cit., p. 349 : « corse ai nemici». Retour au texte

23 Aen. VI, v. 880 : « […] cum pedes iret in hostes». Retour au texte

24 Ibid., p. 167. Voir La casa ispirata, op. cit., p. 348 : « chinò il capo». Retour au texte

25 Aen. VI, v. 862 : « […] deiecto lumina vultu ». Retour au texte

26 La Maison hantée, op. cit., p. 167. Voir La casa ispirata, op. cit., p. 348 : « una luminosità opaca, pallidissima e senza gioia ». Une lumière spéciale, celle de l’épisode infernal de l’Enèide, qui exerça une suggestion durable sur l’imaginaire savinien ; voir par exemple A. Savinio, « Davanti alla tavola bianca » (1947), in Id., Scritti dispersi. 1943-1952, Milan, Adelphi, 2004, p. 599-603, 599. Retour au texte

27 Aen. VI, v. 862 : « frons laeta parum[…] ». Retour au texte

28 Mot à mot : « peu joyeuse ». Retour au texte

29 La Maison hantée, op. cit., p. 167. Voir La casa ispirata, op. cit., p. 348 : « anche le stelle, che fino all’ultimo avevano brillato sul volto gentile di Marcello cominciarono ad allontanarsi una a una». Retour au texte

30 Aen. VI, v. 866 : « […] nox atra caput tristi circumuolat umbra». Retour au texte

31 Ibid., v. 864. Retour au texte

32 Ibid., v. 857. Retour au texte

33 Ibid., v. 884. Retour au texte

34 Voir par exemple Virgilio, Eneide t. III, éd. E. Paratore, trad. it. L. Canali, Milan, Arnoldo Mondadori, 1979, p. 127 : « del nipote». Retour au texte

35 La Maison hantée, op. cit., p. 9. Voir La casa ispirata, op. cit., p. 199 : « Benché celibe, benché alieno ai triboli e agli onori della cosa pubblica, cedo parimenti alle misteriose discipline della predizione, persuaso come sono di costituire da me solouno stato vastissimo e una stirpe secolare ». Retour au texte

36 Ibid. : «Presi dunque a interrogare gl’indizi, i segni, i presagi, che nel secolo nostro hanno sostituito tutte le manzie, mercé le quali i nostri maggiori preconoscevano il futuro». Retour au texte

37 La Maison hantée, op. cit., p. 155. Voir La casa ispirata, op. cit., p . 337 : « un po’ in disparte ». Retour au texte

38 Ibid. : « I saluti, gli sguardi, le parole che tutti ripetono ma cui nessuno crede, tornavano insistenti far coloro, come battute e repliche di antichissimi riti ». Retour au texte

39 Aen. VI, v. 883 : « tu Marcellus eris. Manibus date lilia plenis». Retour au texte

40 Servius, Ad Aen. VI, 861. Retour au texte

41 M. Fagiolo (éd.), Virgilio nell’arte e nella cultura europea, catalogue de l’exposition (Rome, BNC, 24 octobre-24 novembre 1981), Rome, De Luca, 1981, p. 80-81. Retour au texte

42 Cf. Amaury-Duval (pseud.), L’Atelier d’Ingres (1878), éd. D. Ternois, Paris, Arthena, 1993, p. 164-165. Retour au texte

43 Servius, Ad Aen. VI, 862 ; Donat., Vit. Verg. 7 et 27; Th. Mommsen, Geschichte des römischen Münzwesen, Berlin, Weidmannsche, 1860, p. 303, n. 41 ; D. Comparetti, Virgilio nel Medioevo I, Firenze, La Nuova Italia, 1981, p. 181-182. Retour au texte

44 A. Dumas, Le Corricolo, Paris, Desjonquères, 1984, p. 377. Retour au texte

45 M. Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, Paris, Gallimard Folio, 2000, p. 287. Retour au texte

46 « Et cum hoc et in hoc [signo] Tu Marcellus eris». Retour au texte

47 A. de Villiers de l’Isle-Adam, « Le socle de la statue », in Id., Œuvres complètes t. II, éd. A. Reitt-P.-G. Castex, Paris, Gallimard, 1986, p. 481-500, 483. Retour au texte

48 J. Janin, « Frédérick Lemaître aux Folies Dramatiques » (1835), in Id., Petite critique. Tome quatrième des œuvres de jeunesse, Paris, Librairie des bibliophiles, 1883, p. 259-265, 264 : « Eh bien ! oui, tu es Robert Macaire ! Tu Marcellus eris ! Tu es le brigand, le voleur, l’assassin, l’escroc, le fripon, le spirituel, le goguenard par excellence ! ». Retour au texte

49 H. Berlioz, «De viris illustribus urbas Romæ », in Id., Le soirées de l’orchestre (1851), Paris, Stock, 1980, p. 107 : « je donnai mon premier concert au Conservatoire. Néanmoins Auguste y vint avec deux de ses aides de camp ; et le soir, quand je reparus au parterre de l’Opéra, il me tendit sa main puissante en me disant avec un accent paternel et convaincu (en français, bien entendu) : « Tu Marcellus eris ! » / (Ici Bacon pousse du coude son voisin et lui demande tout bas ce que ces trois mots signifient. – Je ne sais, répond celui-ci. – C’est dans Virgile, dit Corsino qui a entendu la demande et la réponse. Cela signifie : Tu seras Marcellus! – Eh bien… qu’est-ce donc que d’être Marcellus ? – Ne pas être une bête, tais-toi!) ». Retour au texte

50 Voir J. Chabot, « “La Vénus d’Illeé”… », op. cit., notamment p. 124-125 et 134-136. Retour au texte

51 Cette citation, métriquement adapté à la forme endecasillabo par l’ajoute d’une syllabe, est également le dernier hommage du poète à son maître, justement avant que Virgil ne disparaisse, « remplacé » auprès de Dante par Béatrice ; voir Purg. XXX, v. 49-54. Retour au texte

52 Voir par exemple le mottetto mozartien K. 165 (« Exsultate, jubilate»), Retour au texte

53 C.E. Gadda, Adalgisa, in Id., Romanzi e racconti t. I, Milan, Garzanti, p. 283-552, p. 534 [« un «manibus, o, date lilia plenis» tra il romantico e il mefistofelico »] ; c’est nous qui traduisons. L’allusion virgilienne remonte aux matériaux des années 1933-1935, voir Id., Un fulmine sul 220, éd. D. Isella, Milan, Garzanti, 2000, p. 162 : « unmanibus ô date lilia plenis tra il romantico e il mefistofelico ». Voir aussi M.L. Ceccotti-M. Sassi, La cultura latina in C.E. Gadda, Istituto di linguistica computazionale del CNR, Pise, Servizio Tecnografico Area della Ricerca del CNR, 2002, p. 19 et 68 ; E. Flores, « Risonanze classiche, ovvero il latino come componente lingusitica ne « La cognizione del dolore » di C.E. Gadda », Filologia e Letteratura X (1964), p. 393 ; E. Narducci, La gallina Cicerone. Gadda e gli scrittori antichi, Florence, Olschky, 2003, p. 123-124. Retour au texte

54 Voir E. Narducci, La gallina Cicerone…, op. cit., p. 121-127. Retour au texte

55 Voir S. Averintsev, « Alcune considerazioni sulla tradizione virgiliana nella letteratura europea », Atti del Convegno mondiale di studi su Virgilio, Accademia Nazionale Virgiliana, Mantoue-Rome-Naples, 19-24 septembre 1981, Milan, Arnoldo Mondadori, 1981, p. 110-22, 112-113. Retour au texte

56 Voir P. Calvignac, Tu seras Marcellus, Tarn, Lavaur, 1957, notamment l’introduction intitulée « Tu Marcellus eris (Tu seras Marcellus) », p. 9-14. Par ailleurs, il est remarquable que, tout en voulant fixer dramatiquement « les épisodes les plus marquants de la « Grande épopée 1914-1918 » : la tranchée, l’attaque, le cafard, la boue, l’armistice », ainsi que « sa haine des tueries fratricides », Calvignac ne résista pas à y ajouter également des « poèmes de la Résistance » ; voir R. Rouquier, « Paul Calvignac (1888-1974) », Revue du Tarn, 73 (mars 1974), p. 121-124, 122. Retour au texte

57 La Maison hantée, op. cit., p. 22. Voir La casa ispirata, op. cit., p. 210-211 : « rilevare alcun indizio d’isteria. Violenti erano i suoi gesti, privi di qualunque giustificazione. L’adolescente prima si slanciò sul contenuto del proprio piatto con la furia di un cannibale digiuno, ma commosso d’un tratto da segreti avvertimenti, si trasse indietro sulla sedia e, piena la bocca di alimenti e di stupore, lasciò errare gli occhi per spazi popolati di miraggi». Retour au texte

58 Ibid., p. 48 (en italique dans le texte). Voir La casa ispirata, op. cit., p. 235 : « segni non dubbi di affezione isterica », «raptus demenziale ». En ce qui concerne la proximité, chronologique et culturelle de La Maison hantée avec la doctrine psychanalytique, S. Lazzarin, L’ombre et la forme…, cit., p. 57-58 et 72-73. Retour au texte

59 Ibid. p. 150. Voir La casa ispirata, op. cit., p. 332. Pour la symbolique de l’hermaphrodite chez Savinio, voir par exemple G. Roscioni, Nota, dans A. Savinio, Hermaphrodito, Torino, Einaudi, 1974 ; M. Moroni, “L’identità sacerdotale di Alberto Savinio”, dans Id., La presenza complessa. Identità e soggettività nelle poetiche del Novecento, Ravenna, Longo, 1998, pp. 41-66 ; M. Sabbatini, L’argonauta, l’anatomico, il funambolo, op. cit.. Retour au texte

60 La Maison hantée, op. cit., p. 154. Voir La casa ispirata, op. cit., p. 335-336 : « Quanto al volto di Marcello, oltre che l’ombra della colpa paterna, oltre che il segno della predestinazione sicura che inesorabilmente traeva il giovane a espiare quella colpa, vi traspariva l’attonito pallore onde si grava il volto della femmina sedotta». On remarquera que, dans le texte savinien original, il est question d’« ombra » et « volto », de nouveau une reprise des mots-clés de l’eulogie virgilienne. Voir supra et Aen. VI, v. 862 et 866. Retour au texte

61 La Maison hantée, op. cit., p ; 66-67. Voir La casa ispirata, op. cit., p. 252-253. Retour au texte

62 Voir F.R. Brenk, « Auorum spes et purpurei flores: the Eulogy for Marcellus in Aeneid VI », American Journal of Philology CVII (1986), p. 218-228, 224 ; D.R. Shackleton Bailey, « Tu Marcellus eris », Harvard Studies in Classical Philology XC (1986), p. 199-205, 200-201. Retour au texte

63 La Maison hantée, op. cit., p. 33. Voir La casa ispirata, op. cit., p. 220-221 : « Tutto degenera […]. Dove sono i tempi […] ». Retour au texte

64 Pour le symbole de la maison chez Savinio, voir S. Lazzarin, L’ombre et la forme…, cit., p. 79-80. Retour au texte

65 La Maison hantée, op. cit., p. 169. Voir La casa ispirata, op. cit., p. 350 : « inutile così al presente come al futuro ». Retour au texte

66 Voir F. Amigoni, « Nel grave silenzio… », op. cit., p. 57 ; S. Lazzarin, L’ombre et la forme…, op. cit., p. 76. Retour au texte

67 La Maison hantée, op. cit., p. 169. Voir La casa ispirata, op. cit., p. 350 : « una notte bianca […] sulla città deserta ». Cette image devient ainsi l’antécédent de la « nuit infinie, sans lendemain » (trad. J.-B. Para) qui clora, quelques années plus tard, un autre roman de Savinio : Id., Angélique…, Op. cit., p. 138 ; voir Angelica o la notte di maggio, Op. cit., p. 436 : « notte infinita, senza domani». Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

Claudia Zudini, « Une présence virgilienne dans La Maison hantée d’Alberto Savinio », Bien Dire et Bien Aprandre, 24 | 2006, 329-344.

Référence électronique

Claudia Zudini, « Une présence virgilienne dans La Maison hantée d’Alberto Savinio », Bien Dire et Bien Aprandre [En ligne], 24 | 2006, mis en ligne le 01 mars 2022, consulté le 18 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/bien-dire-et-bien-aprandre/987

Auteur

Claudia Zudini

Paris VIII

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