Minerve, Cérès, Isis et Sémiramis sous la plume de Catherine d’Amboise

  • Minerva, Ceres, Isis, and Semiramis in Catherine d’Amboise’s Writings

DOI : 10.54563/bdba.1876

p. 87-100

Abstracts

Catherine d’Amboise porte un regard contrasté sur les héroïnes païennes, selon qu’elles incarnent ou non la vertu de prudence. En effet, sa prise de position virulente contre les adversaires des femmes ne l’empêche pas de condamner sans appel une Sémiramis, pourtant réhabilitée par de notables prédécesseurs. Cette brève analyse de quatre figures mythiques présentes dans son traité de 1509 sera l’occasion de faire entendre une voix encore peu connue parmi les explorateurs d’histoire ancienne au seuil de la modernité.

In her 1509 treatise, Catherine d’Amboise sheds a contrasting and somewhat paradoxical light on pagan heroines, whether they illustrate the qualities of prudence or imprudence. She provides a strong diatribe against the adversary of women but does not shy from categorically condemning the oft-heralded figure of Semiramis. The four mythical icons considered in this study offer a glimpse into the work of a singular female voice among early modern rewriters of ancient history.

Outline

Text

Dans son Livre des Prudens et Imprudens (15091), Catherine d’Amboise recourt à trois héroïnes païennes illustrant la prudence (Minerve, Cérès et Isis) et à un exemplum a contrario incarnant l’imprudence, Sémiramis. Emblématiques de la Querelle des femmes entre le xve et le xvie siècles2, les trois dames civilisatrices sont sacralisées par l’autrice et servent en partie de prétexte à une diatribe contre les ennemis et controversez du sexe feminin, tandis que la reine des Assyriens se voit déchue du statut de vaillante guerrière qu’elle avait chez Boccace et Christine de Pizan pour exemplifier, de manière univoque et particulièrement véhémente, le vice de lubricité.

L’étude qui suit se propose de mettre en lumière ce paradoxe étonnant, en explorant tour à tour les chapitres consacrés à ces quatre figures mythiques. C’est là l’occasion de faire entendre une voix encore méconnue parmi les traités d’histoire ancienne au seuil de la modernité.

Minerve

Catherine d’Amboise, plutôt que de rappeler les détails mentionnés par ses prédécesseurs3, plus suffisans qu’[elle], résume les hauts faits de la prudente des prudentes, vertueuse sur toustez vertueusez, par son invention des arts libéraux et mécaniques. La rhétorique employée dans son dithyrambe s’appuie sur l’hyperbole, le topos de l’ineffable et l’excusatio, comme pour les panégyriques qu’elle adresse à Prudence, à Marie ou aux Anges :

Les esperilz en science parfaictz, tresdignez sont de commemoration. Je dis ces moctz pour ceste noble tresillustre en vertus, dame Mynerve ainsi nommée, laquelle en soy heut tant de gracez, science et sçavoir, que imposible seroit à cens humain les sçavoir comprandre. Et qui soit vroy, primierement fut inventerresse davant tous aultres, ne deplaise aux hommes, d’ynover et estre inventifve de composer les ars liberaulz, par cas parail les sept ars mecquanicques, lesquelz je delesse à escripre à plus suffisans que moy. Que diray plus de ceste vertueuse dame tant excellente et magnificque, qui tant exsaulce et faict honneur au sexe feminin ? Dire la puis, sans craincte d’estre reprise, la vertueuse sur toustez vertueusez4.

Son incise ne deplaise aux hommes situe sa contribution dans une polémique rappelant celle de Christine de Pizan5. C’est ainsi que son propos, plutôt que de poursuivre une logique de laudatio, se transforme en une vituperatio à l’égard des adversaires des femmes et des vicieux, s’inscrivant par là de manière explicite dans la mouvance des défenseurs de la cause féminine :

Et dis en oultre, en magniere de reproche, viennent et s’approchent de moy les detracteurs et maulvaiz langagiers pour me dire du contraire, et en oultre que de leur parti me treuvent parsonnage ayant faict tellez euvrez que ceste prudente vertueuse. Non, non, tous livrez visitéz, je n’en ay point veuz. Mais de mon aage, en ay cogneu tant vieulx que jeunes, assez et trop d’invertueulx regnieux de Dieu, yvroingnez, paillars plubicques, maulvaiz langagiers, diffamateurs de gens, et aultrez vicez habondans en eulx en si grant nombre que imposible seroit les descripre. Et oultre pour l’inffamye d’iceulx, et plus des vieulx que des jeunez, m’en tais, consideré ainsi le taire en valoir mieulx que le parler. Doncques se taisent et mettent fin à leurs imprudentez parollez de plus toucher au noble sexe feminin, se taisent de parler des dames prudes, sagez et vertueuses6.

Les imprudentez parollez qu’ils profèrent font d’emblée de ses interlocuteurs les imprudents par excellence. Par contraste, en dépit du petit sçavoir qui l’empêche de haultement toucher les vertus altissimez de Minerve, l’autrice fonde son écriture et son renom sur son bien bon vouloir et son bon cueur :

O Mynerve, toustez vertus passant, que moy et aultrez te atribuer honneur sommez tenus. Doncquez te plaise le bien bon vouloir reputer pour le faict, en excusant le mien petit sçavoir, qui en soy plus haultement toucher ne peult tes vertus altissimez, qui le feroit de bon cueur si possible luy estoit7.

Le terme de vertus pour désigner la déesse antique, réitéré six fois dans ce chapitre, rejaillit alors sur toutes les dames prudes, sagez et vertueuses d’aujourd’hui, et indirectement sur elle comme auteure, placée dès l’ouverture de son traité sous la conduite de Prudence. En sa qualité de lectrice attentive (tous livrez visitéz), elle insiste sur la place exceptionnelle de son héroïne dans l’histoire tout en suggérant, de manière implicite, une nouvelle façon de colorer son portrait. En effet, plutôt que de redire Boccace, elle passe sous silence les particularités du récit mythologique pour mieux insister sur les attributs moraux de grace et de vertu, faisant ainsi entrer Minerve dans le panthéon des figures sacrées qui rendent véritablement hommage au noble sexe feminin dont elle se revendique.

Cérès

Dès son introduction, on constate que Catherine d’Amboise loue Cérès à l’égal d’une divinité, dans des termes analogues à ceux adressés à la Vierge8 ; pour ce faire, dans sa pose traditionnelle d’indignité, l’autrice implore une fois encore dame Prudence de lui venir en aide, aussi bien pour le contenu que pour la mise en forme de son éloge :

De hault louer tes vertus caulaudables, prudent[e] Seres, il me seroit impossible pour le myen scens imparfait et muable, n’ayant en moy le stille, par faulte de comprandre, toucher et exalter dame de si haultain effect. Ce non pourtant, moyennant l’aide de ma bonne dame et tresloyalle maitresse, m’esforceray te faire honneur et tes vertus tresillustrez mettre en forme, ainsi que le mien tendre esperict les a sceu comprandre et retenir9.

Ici aussi, Cérès est, de façon hyperbolique et redondante, exalt[ée] en l’espace de quelques lignes pour ses vertus caulaudables, ses vertus tresillustrez, son haultain effect, sa science et son art suppelatif. Cette louange enthousiaste prend la forme d’une expression de gratitude de l’humanité entière sauvée de l’asservissement par le savoir-faire exceptionnel de la reine :

O bonne dame, le genrre humain total après toy venu, comme moy et les aultres, bien tenuz soumez te atribuer gloire, bruyt et los triumphal, exalter ton non haultain, pompeux et refulgent, considerant et pourpenssant la grant servitude où estoit la personne, se ne feust ta science et art suppelatif10.

Contrairement à ses possibles sources11, Catherine d’Amboise imagine qu’avant cette invention libératrice, les humains accomplissaient le travail des bœufs en étant eux-mêmes attelés à la charrue, comme l’illustre aussi la miniature au fol. 34ro. Elle attribue par conséquent à Cérès, outre la vertu de prudence centrale à son traité, celles de pitié, de charité et de compassion, absentes des versions antérieures12 :

Disant telz moctz, sans craincte de nully, que la povre creature, faulte de comprandre, fut et estoit contraincte, le temps passé, de jour en jour allez cultiver et labourer les terrez, coupléz et liéz ensemble comme bestez brustez, incensiblez et non raisonnablez, en grant paine, misere et douleur. Doncques toy, puissante dame, voyant ceste imperfection, de pitié et charité esmeue, ayant compassion de ton semblable, le conseillaz et donnas le stille, par ta prudence grande, mettre et faire aux beufz icelle office13.

Peut-être le syntagme sans craincte de nully suggère-t-il une conscience de l’audace de cette récriture ? Toujours est-il que l’association de Cérès à une figure chrétienne est inférée en outre par le terme de grace, déjà présent dans le portrait de Minerve :

Que diray donc voyant ceste grace que nous as faicte et servitude dont tu nous as oustéz14 ?

Les remerciements insistants et le topos d’humilité qui les accompagne dans la conclusion renforcent la connotation religieuse de cette glorification :

Si non que de moy suis insuffisante toy remercier mais, à fin que ingratitude envers moy n’aict lieu, de tout mon cueur, force et puissance, pour toulte la totalle fabricque, treshumblement et tant qu’il m’est possible te remercye et gracie, te supliant que si je ne t’ay caulaudée et atribuée la gloire qu’il t’apartient que veillez excuser et avoir esgard au povre sexe feminin, lequel par faulte de comprandre ne peult plus hault toucher, que feroit et eust faict de tresbon cueur si en el eust heuee la possibilité15.

Dans le Livre des prudens et imprudens, Cérès n’apparaît donc pas uniquement comme une figure civilisatrice mais comme une puissante dame à la prudence grande, à la fois vertueuse et de haut savoir, qui mérite gloire, bruyt et los triumphal à l’égal des divinités chrétiennes.

Isis

Comme dans son chapitre consacré à Minerve, Catherine d’Amboise privilégie la concision pour relater les bienfaits venus d’Isis, les résumant ainsi : fut la primiere inventive qui trouva l’art de la lectre tant grecque que latine, ou par avant n’en estoit nul memoire16. Le restant du chapitre est consacré aux lieux communs de l’ineffable et de la nescience ainsi qu’à la vituperatio des envieulx et murmurans, ennemis et controversez du sexe feminin, notamment de ceux qui, selon elle, sont de piètres lecteurs17 :

Donc pour apaiser les murmurans, si aucuns y en avoit, s’en aillent regarder les dictz et effectz du segond aage et ilz trouverront, s’ilz sçavent bien lyre, que en iceluy n’y a et ne se pourroit trouver que trois hommez dignez d’estre mis en cronique ne en memoire perpetuelle. Parquoy doncquez ay esté contraintte, et diz plus sans contraincte car bien me plaist, m’a esté force pour parachever mon livre, parlant dudict segond aage, y mettre et faire venir en ranc icellez vertueusez davant nomméez. Et non sans merite, car ilz ont bien desservy ceste honneur et plus que possible ne seroit à moy, povre desgarnye de sçavoir, en descripre ne mettre en forme18.

Elle justifie en partie sa louange des femmes civilisatrices à la lumière de la rareté des hommes prudents dignes de mémoire ayant vécu à la même époque et admet que l’obligation de parler des dames vertueusez est aussi un plaisir. Sa précision car bien me plaist mérite d’être relevée dans la mesure où elle participe d’une rhétorique de l’affect qui sous-tend tout son traité : tantôt la joie de bien dire19, tantôt, lorsqu’il s’agit des imprudents, la colère de médire, ressentie dans sa chair. Cette corporalité devient alors, comme nous le verrons ci-dessous à propos de la reine Sémiramis, indissociable de l’acte d’écrire.

Pour parvenir à rédiger sa brève laudatio d’Isis, Catherine d’Amboise invoque l’aide d’une force inspiratrice et, comme à son habitude, celle de dame Prudence :

Soublevez voz esperilz chascuns20, debout subit toust et vous esveillez, venez en place sans nullement vous faindre, l’eure est venue que suis contraintte vous demander secours, sans vous ne puis caulauder ne justement hault louer la tresillustre et refulgente dame21, nommée Ysis la vertueuse22. Pource vous pri que monstrez cy vos clemencez, ne me faillez à se besoing. Vous aussi ma singuliere maitresse et amye, dame Prudence, ouvrez moy vostre arche dyvine où science parfaicte repose, m’ynpartissant et eslargissant du tresor d’icelle quelque drame ou petite portion, pour cestuy faict condignement toucher. Car sans vostre secours, je n’ay en moy la traditive seure ne la science assez haultaine pour icelle dame magnifier ne louer. Que diray donc soubz ta baniere, fors que d’elle est sorty ung effect si tresgrant qu’inpossible est ouyr parler du parail ? Donc pour descripre icelluy, la puissant dame, ainsi comme j’ay leu, fut la primiere inventive qui trouva l’art de la lectre tant grecque que latine, ou par avant n’en estoit nul memoire. Donc qui est celuy qui justement sçaroit estimer ne au vroy descripre le grant bien23 qu’el feist24 ?

On peut se demander si par la mention implicite de ses sources (ainsi comme j’ay leu), le lieu commun de cette dernière phrase, avec son insistance sur la compréhension des faits et la justesse de l’interprétation (justement […] estimer, au vroy descripre), ne serait pas aussi une suggestion indirecte que d’illustres auteurs ne sont pas parvenus à faire justice au grant bien qu[e] feist Isis.

Pour justifier son entreprise, Catherine d’Amboise prévient alors la partialité qu’on pourrait lui reprocher ; elle rappelle le bien-fondé d’une louange féminine sous la plume d’une femme lorsque l’objet de louange est digne d’être offert en exemple pour l’édification de chascun, et ceci d’autant plus que, par la grace divine, elle a reçu scens et raison pour proclamer ce bien faict :

Et si aulcuns envieulx et murmurans, ennemis et controversez du sexe feminin, vouloist inferer à moy, explorateure de se present volume, quelque injure, disant que je ne loue et ne dis grans biens que des femmez, responce leur fais, patente tout en la forme, que si ainsi estoit, c’est que chascun ayme son semblable. Parquoy donc moy, à qui Dieu de sa grace m’a donné scens et raison, ne diray de ma paraille le bien qui en est issu ? Si feray pour vroy, maulgré les ennemis du sexe feminin, consideré qu’ung bien faict ne doit estre caché mais ventillé pource et affin que chascun y preigne exemple, ung malfait mis soubz le pié sans aucune memoire25.

Plus encore que pour Minerve et Cérès, le style employé par Catherine d’Amboise pour magnifier l’inventive des lettres abonde en hyperboles et en surenchères26, comme s’il fallait illustrer dans la chair du texte l’effet immédiat de l’inspiration des esperilz invoqués et l’effect si tresgrant de l’invention d’Isis. C’est ainsi que celle qui n’avait en elle la traditive seure ne la science assez haultaine s’essaie, grâce à l’inspiration reçue, au genre de la responce ouverte, y parvenant même en la forme !

Sémiramis

L’autrice retient des portraits de ses prédécesseurs, tantôt nuancés27, tantôt strictement positifs28, uniquement les aspects sombres de la Babylonienne, c’est-à-dire l’inceste et la juste rétribution que fut sa mort, pour faire de la reine païenne l’imprudente par excellence, sans aucune mention de son statut de guerrière ou de bâtisseuse : seules comptent dans son invective l’abomination de sa volunté charnelle, concrétisée par son mariage avec son fils, et l’absence de toute honte face à ses propres actes. Catherine d’Amboise ajoute même à ces méfaits le meurtre d’un grand nombre de veuves et d’enfants, dont il n’est question dans aucune des sources mentionnées dans son traité.

Ce portrait, aussi hyperbolique dans sa noirceur29 que l’étaient ceux des héroïnes civilisatrices dans l’admiration, justifie une rhétorique de la vituperatio, avec un usage toujours aussi marqué de l’emphase et de la redite30, mais redoublé dans ce cas d’un registre du planctus et de l’affect31.

Dans le contexte de la Querelle, ou plus généralement de la réécriture de l’histoire ancienne, la réprimande de Sémiramis est vue elle aussi comme une obligation morale :

O infame sur toustez, pire que une beste brutte, detestable, inceste vivante sans raison, dire on te doit blaphemes vehemens et orriblez32.

Ce devoir s’inscrit ensuite dans une réflexion sur le pourquoi et le comment de l’emploi de cet exemple a contrario : il s’agit de sauver la réputation des femmes par une rhétorique qui permet de médire tout en montrant l’impact physique de cette médisance sur celle qui écrit. En effet, même si dans cette œuvre l’éloge lui est préférable au blasme parce qu’il réjouit le corps et l’esprit alors que la vituperatio l’attriste et ne correspond pas à sa conception d’une écriture courtoise, Catherine d’Amboise ne peut s’empêcher de réitérer ses reproches de façon véhémente parce que le crime de la reine risque de rejaillir sur le renom de toutes les femmes33 :

Que plus en te detestant, je dis moy que par sur toustez es digne d’estre vituperée, et, non pourtant si je suis femme et que tu es de nostre sexe, ne lairray de toy escripre34.

O miserable sur toustez, hayr te doit le sexe feminin mortellement, et ne faire memoire de toy si non en tout vitupere et blasme, car tu luy as causé grant deshonneur, quant se viendroit aux reprochez. Et dis plus, que jamès ne sera que les povrez dames, par le tien forfaict, ne soist regardés et monstréz on le doy et en sont inocentez. Donc pour venir à conclusion et faire fin à ce chapitre present, pousé que mal parler soit vicieulx, nulle de nous n’est tenue de toy bien dire35.

De même que l’impératif de bien dire découle d’un bien faict exemplaire, le vice de Sémiramis est en corrélation directe avec le mal parler vicieulx, l’impact de cette mauvaise parole étant une fois de plus décrit en termes physiologiques :

Ha turpitude et infection maulditte de ta pencée libidineuse, pourpenssant icelle en ay une orreur innumerable36.

Certes, quant je te considere, mon cueur fremist dedans mon ventre pour l’orreur de tes vicez abhominablez37.

Or c’est justement au nom de son bien bon vouloir et de son bon cueur que Catherine d’Amboise justifiait, dans son portrait de Minerve, son plaisir et sa légitimité à s’emparer d’un sujet si hault, en dépit de son petit sçavoir. C’est cette même innocence du cueur qui maintenant fremist dedans [s]on ventre qui l’incite à hayr mortellement celle qui nuit au sexe feminin et à ne faire memoire d’[elle] si non en tout vitupere et blasme.

Une récriture inédite

On assiste dans ces quatre portraits à une autre vision de la récriture du passé, en termes femynins, non pas pour réhabiliter les femmes à tout prix mais pour leur faire justice quand elles sont inocente[s]. Dans ses éloges des prudentes civilisatrices ou son blâme de l’imprudente Sémiramis, Catherine d’Amboise ne se limite pas à raconter sa version de l’histoire, mais se propose de réfléchir à l’emploi de l’exemplum féminin sous la plume d’une femme. Écrire est un impératif (sommes tenues), autant pour porter aux nues que pour décrier, lorsqu’il en va de rétablir les faits rapportés par ses prédécesseurs ou d’assurer la réputation de ses semblable[s], dont la sienne propre, d’une part en tant que dame de noble famille et d’autre part en sa fonction d’explorateure de la tradition littéraire qui lui a été léguée. Son propos est donc avant tout de redéfinir les notions de vertu et de prudence féminines38 à la lumière de la renommée et de la pudeur.

Par conséquent, en dépit de Boccace, si fréquemment cité dans son traité, et malgré les champions de la cause féminine que furent Christine de Pizan, Martin Le Franc et Symphorien Champier, l’autrice des Prudens et Imprudens ne pouvait convoquer Sémiramis comme une héroïne fondatrice, parce que son exercice du pouvoir est dépourvu de la décence des dames prudes, sagez et vertueuses39. Dans cette même logique, Catherine d’Amboise ne se contente pas de prendre part à la Querelle en invectivant les médisants et les impies, mais va jusqu’à conférer une aura chrétienne à Minerve, Cérès et Isis, parangons des prudentes du segont aage de l’humanité, en faisant d’elles les exempla par excellence de l’honneur et des vertus tresillustrez qui exsaulce[nt] et [font] honneur au sexe feminin40.

Notes

1 Catherine d’Amboise, Œuvres complètes, éd. E. Berriot-Salvadore et C. M. Müller, Paris, Classiques Garnier, 2022 (Textes de la Renaissance, 243). Toutes les références au Livre des Prudens et Imprudens se rapportent à cette édition ; nous indiquons à la fois le folio et la page et citons en caractères gras les phrases que nous mettons en évidence. Return to text

2 Parmi les nombreuses études sur cet affrontement idéologique, on consultera l’article suivant : Éliane Viennot, « Champions des dames et misogynes : les enjeux d’un combat frontal, à l’aube des temps modernes (1400-1530) », dans L’Engagement des hommes pour l’égalité des sexes (xive-xxie siècle), dir. FRochefort et ÉViennot, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2013, p. 1-14. Return to text

3 Dans la Mer des histoires, un des titres mentionnés par Catherine d’Amboise à d’autres endroits de son traité, les sept arts libéraux trouvés par Minerve, la fille de Jupiter, sont détaillés : les travaux de la laine, l’art de forger armes et guerroyer, la navigation, l’agriculture, le savoir besoigner en boys, comme charpentiers, menusiers, et charrons, la médecine, et la theatrique, c’est assavoir la science de jouer misteres et fictions es theatres, palays, sales, conviz, temples et aultres lieux (La Mer des histoires, 2 vol., Lyon, Jehan du Pré, 1491, vol. 1, ch. xii, fol. xxxvii). On retiendra que le compilateur cite saint Augustin (4e chapitre de la Cité de Dieu) pour rappeler que Minerve est vue comme vierge celeste, car entre les signes celestes, c’est le signe de la Vierge (Ibid., vol. 1, ch. xiii, fol. xxxviivo), un élément sans doute essentiel dans la phraséologie adoptée par Catherine d’Amboise. Le Boccace en moyen français (probablement la version traduite à laquelle fait référence Catherine d’Amboise lorsqu’elle renvoie à Boccace ailleurs dans ses Prudens et Imprudens) insiste lui aussi sur la noblesse, la dignité et l’excellence de Minerve, en mentionnant, parmi ses euvres merveileuses, l’idée de tondre la laine, de l’apprêter et de la tisser, l’emploi de l’huile, l’usage des charrettes, l’art de faire les armes, l’enseignement des lois de la guerre, l’invention des nombre[s] et l’ordre et la maniere de compter ainsi que la fabrication de la flûte (Boccace, Des cleres et nobles femmes (Ms. Bibl. Nat. 12420-Chap. I-LII), éd. J. Baroin et J. Haffen, Paris, Les Belles Lettres, 1993 (Annales Littéraires de l’Université de Besançon, 498), p. 32-33). Christine de Pizan, avant de reprendre tous les éléments boccaciens, attribue à Minerve l’invention de l’écriture : Elle trouva par sa soubtiveté aucunes letres grecques que on appelle caracteres. (Christine de Pizan, [Le Livre de la Cité des Dames], La Città delle dame, trad. P. Caraffi, éd. E. J. Richards, Rome, Carocci, 2004, livre I, ch. xxxiv, p. 170). Antoine Dufour (1504), quant à lui, reprend les éléments cités par Boccace (sauf l’art de la guerre et des nombres) en explicitant, lorsqu’il mentionne l’invention des charrettes, celle de l’attelage des chevaux. Dans le domaine de la musique, plutôt que de lui attribuer la confection de la flûte, il précise qu’elle trouva le moyen de bien chanter et inventa le luth (Antoine Dufour, Les Vies des femmes célèbres, éd. G. Jeanneau, Genève, Droz, 1970 (Textes littéraires français, 168), p. 25). Symphorien Champier (1503), en revanche, est seul à mentionner la chasteté de Minerve (Symphorien Champier, La Nef des dames vertueuses, éd. J. Kem, Paris, Champion, 2007 (Textes de la Renaissance, 114), p. 52). Return to text

4 Fol. 33ro-vo, p. 138-139. Return to text

5 Le nom de Christine n’étant jamais cité explicitement dans son traité, il est impossible de savoir si Catherine d’Amboise a pu avoir sous les yeux certains de ses ouvrages. Mais la présence notamment du Livre des trois vertus et du Livre de la Mutation de Fortune dans les bibliothèques de plusieurs grandes dames lettrées de son entourage et de sa famille, dont Gabrielle de Bourbon et Jeanne de Graville, rend plausible la connaissance d’une partie de l’œuvre et des idées de Christine. Pour une considération plus détaillée des lectures de Catherine d’Amboise, voir Catherine d’Amboise, Œuvres complètes, éd. cit., p. 18-28. Return to text

6 Fol. 33vo-34ro, p. 139. La ressemblance avec la phraséologie de Christine de Pizan, justement dans le cadre de son éloge de Minerve, est frappante : Or se taisent, or se taisent d’orenavant les clercs mesdisans de femmes, ceulx qui en ont parlé en blasme et qui en parlent en leurs livres et dictiez (Christine de Pizan, [Le Livre de la Cité des Dames], La Città delle dame, éd. cit., livre I, ch. xxxvii, p. 182). Return to text

7 Fol. 34ro, p. 139. Return to text

8 Par exemple, fol. 21vo, p. 123 : O Dame refulgente, par ta vertus almificque as tout le monde sucité, non seullement le sexe femynin mais toulte nature humaine […] O Dame, si je vouloys raconter les grans biens que par ta prudence nous sont venus, en moy n’ay cens ne sçavoir de les comprandre. Return to text

9 Fol. 34ro-vo, p. 140. Return to text

10 Fol. 34vo, p. 140. Return to text

11 Boccace retient de Cérès l’invention du labour (grâce à celle des charrues et à l’idée d’y atteler des bœufs) et de la transformation du blé ; plutôt que de louer la déesse civilisatrice, il envisage la possibilité de la supériorité de la nature sur la culture et lance une diatribe contre les maux de la civilisation (possessions, jalousies, violences) : y me semble que les temps anciens desquelz a esté premiereent parlé, jassoit ce qu’ilz fussent rudes et sauvages, sont a preferer a yceulx nos temps de fer, toutevoies cointes et jolis (Boccace, Des cleres et nobles femmes, éd. cit., p. 31). Christine de Pizan suit Boccace pour la première partie, en ajoutant à ses bienfaits la socialisation. Elle s’en tient à l’avantage apporté par la reine civilisatrice, sans aucun ubi sunt sur la nature et le bon sauvage ([Le Livre de la Cité des Dames], La Città delle dame, éd. cit., livre I, ch. xxxvii, p. 180). Martin Le Franc, dans son éloge datant de 1440-1441, souligne lui aussi l’aspect civilisateur de cette femme inventive et moult sage qui non seulement nourrit les sauvages mais leur donna lois et religion (Martin Le Franc, Le Champion des dames, t. 4, éd. R. Deschaux, Paris, Champion, 1999 (CFMA, 130), p. 19, v. 14985). Il précise que ses propos sont a la loenge de toutes : Je veul monstrer, s’il plest a Dieu,/ Qu’en ce mondain gouvernement/ La femme a eu autant de lieu/ Que l’omme et aussy haultement/ Et qu’elle se peut plainement/ Autant ou plus vanter que lui. (Ibid., t. 4, p. 16, v. 14904-14910). Chez Symphorien Champier, la reine de Sicile inventa certes l’usage, la culture et la transformation du blé mais nous laissa également ses beaulx preceps tous à raison soubmis ; elle fut en outre legifere et donna aux hommes plusieurs loix et tresbonnes à les diriger en bonnes vertus et operations et à ceste cause la nomma l’on themosphora [la législatrice] (Symphorien Champier, La Nef des dames vertueuses, éd. cit., p. 52, 73). Antoine Dufour, pour sa part, insiste sur le fait que l’idée d’atteler des bœufs à la charrue et d’employer le fer pour labourer a permis aux humains d’avoir davantage de temps pour le plaisir des dames et des armes (Antoine Dufour, Les Vies des femmes célèbres, éd. cit., p. 30). Return to text

12 Martin Le Franc, dans son Champion des dames, est le seul avant Catherine d’Amboise à suggérer une association entre la sage Cérès et la religion chrétienne. Voir note précédente. Return to text

13 Fol. 34vo, p. 140. Return to text

14 Fol. 34vo, p. 140. Return to text

15 Fol. 34vo-35ro, p. 140-141. Ailleurs dans les Prudens et Imprudens, elle déplore son manque de formation universitaire (fol. 6vo, p. 102) : C’est euvre de femme, qui donne rason peremptoire d’excusacion, plus ample que d’ung homme qui a liberté aller sà et là auxz universitéz et estudez où il peult comprandre toustes sciences par solicitude, qui n’est l’estat du sexe femynin. Return to text

16 Boccace en moyen français : trouva par son engin caracteres et lettres couvenables au langaige et plus couvenables a doctrine, et aprés enseigna par quelles manieres soient mis et joins ensemble (Des cleres et nobles femmes, éd. cit., p. 39). Christine de Pizan retient plutôt l’idée de la représentation concise du discours, sans doute en pensant aux hiéroglyphes : Elle trouva aucunes manieres de letres abregiees qu’elle apprist aux Egipciens et leur donna fourme de leur lengage trop lonc abregier. ([Le Livre de la Cité des Dames], La Città delle dame, éd. cit., livre I, ch. xxxvi, p. 176). Les letres grecques que on appelle caracteres sont attribuées à Minerve (Ibid., éd. cit., Livre I, ch. xxxiv, p. 170). Return to text

17 Antoine Dufour, par exemple, affirme qu’Elle fut la première inventrice des escriptures et des caracthères, pour satisfaire à sa gloire et à sa tresdésordonnée volunté et volupté. (Les Vies des femmes célèbres, éd. cit., p. 29) ; l’ajout de cette allusion à l’immoralité d’Isis n’est présente dans aucune source mentionnée dans les Prudens et Imprudens. Return to text

18 Fol. 36ro-vo, p. 142-143. Return to text

19 L’exemple le plus parlant est celui de l’éloge de la Vierge Marie (fol. 21ro, p. 122-123) : Toulte esjouye suis et en esperict esprise, quant de toy fault que face memoire ou escripve. L’eure me plaist sus toustes et ne m’est que par trop courte. Toustez fantasiez, toustez pertez et tristessez de moy s’esloignent en te resumant, considerant ta saintteté, bonté et clemence piteuse. Donc pour commancer exalter la tienne prudence davant dicte, soubz la conduitte de ma gouvernante nommée piessa, primierement quant je remenbre et mectz à memoire le grant bien inestimable qui par toy nous est advenu, de joye suis toulte lacrimable. Return to text

20 La source d’inspiration n’est pas clairement nommée dans cette œuvre. Return to text

21 L’emploi de ces adjectifs, généralement attribués aux figures sacrées dans ce traité (par exemple à Marie et à Prudence), se justifie également à la lumière des sources mentionnées ailleurs par Catherine d’Amboise, comme la Mer des histoires qui évoque le fait qu’Isis est déesse de la terre et qu’elle a inventé en outre l’art de la musique et de l’astrologie. Boccace parlera lui aussi de tressaincte et tresreverent deesse (Des cleres et nobles femmes, éd. cit., p. 37). Return to text

22 La vertu d’Isis est mise en avant par Symphorien Champier : en plus d’être à l’origine de l’invention des lettres égyptiennes, du labourage de la terre et de l’usage du lin, Isis est un exemple d’amour et de dévotion conjugale (La Nef des dames vertueuses, éd. cit., p. 72). Avant lui, Christine de Pizan souligne, comme Boccace, son rôle civilisateur, puis mentionne l’aspect juridique et moral de ses inventions : apprist aux gens d’Egipte, qui vivoient rudement et sanz loy, justice n’ordenance, a vivre par ordre de droiture ([Le Livre de la Cité des Dames], La Città delle dame, éd. cit., livre I, ch. xxxvi, p. 176). Return to text

23 Martin Le Franc ajoute aux bienfaits de la déesse la construction de maisons (Martin Le Franc, Le Champion des dames, t. 4, éd. cit., p. 19, v. 14999) et la plantation de vignes (Ibid., t. 4, éd. cit., p. 19, v. 15003). Avant lui, Boccace avait attribué à Isis la culture de la terre et la transformation du blé (Des cleres et nobles femmes, éd. cit., p. 38), et Christine de Pizan précisé son enseignement de l’art de jardiner ([Le Livre de la Cité des Dames], La Città delle dame, éd. cit., livre I, ch. xxxvi, p. 176). Return to text

24 Fol. 35ro-vo, p. 141-142. Return to text

25 Fol. 36ro, p. 142. Boccace lui aussi la déclare noble femme et tresdigne de memoire (Boccace, Des cleres et nobles femmes, éd. cit., p. 38). Return to text

26 La réduplication synonymique y est particulièrement frappante : caulauder ne justement hault louer, la tresillustre et refulgente dame, magnifier ne louer, quelque drame ou petite portion, ennemis et controversez, ne loue et ne dis grans biens. Return to text

27 Le Miroir historial décrit Sémiramis de façon relativement neutre : en premier lieu, citant Valère Maxime, comme une guerrière prête à défendre Babylone, puis, se basant sur Orose, comme un être plein de luxure et prônant l’inceste, et enfin, d’après Justin, comme une mère tuée par son fils parce qu’elle voulait coucher avec lui (Vincent de Beauvais, Le premier [-quint] volume de Vincent, Miroir historial, Paris, Antoine Vérard, 1495-1496, vol. i, livre II, ch. iv). Dans le Boccace en moyen français, Sémiramis devient une figure ambivalente de guerrière bâtisseuse en proie à la luxure, mais dont la vaillance, le courage, l’ingéniosité et la puissance occupent nettement plus de place que le vice, exprimé dans des termes moins emphatiques et plus hypothétiques en fonction des sources alléguées (Des cleres et nobles femmes, éd. cit., p. 19-24). Chez Antoine Dufour, le portrait est à nouveau double mais inversé par rapport au modèle boccacien : Sémiramis est d’abord lubrique et vicieuse et jeune folle avant d’avoir grant cueur et faire preuve d’ingéniosité et de prouesses guerrières pour conquérir des royaumes et les gouverner, de sorte que Si ce n’eust esté la luxure, qui la vainquit et subjugua, ce eust esté une tresdigne de louenge femme. Mais le chapitre se termine par un rappel de sa mauvaise renommée, de ses désordonnez plaisirs et de sa triste fin : Et, ainsi qu’elle avoit meschamment vescu, meschamment elle mourut, car de son filz elle fut tuée (Les Vies des femmes célèbres, éd. cit., p. 23-24). Return to text

28 Dans la Cité des dames, Raison explique à Christine qu’elle choisit Sémiramis comme premiere pierre ou fondement de [leur] Cité ([Le Livre de la Cité des Dames], La Città delle dame, éd. cit., livre I, ch. xv, p. 110) ; il va sans dire que l’autrice médiévale reprend par conséquent du portrait boccacien les exploits et la rhétorique qui font de ce personnage une héroïne chevaleresque exclusivement positive, en éliminant les quelques allusions misogynes de son prédécesseur et en excusant l’inceste de la reine par des arguments politiques et culturels qui garantissent son honneur : la Babylonienne se devait d’éliminer le risque que le trône lui échappe en épousant son fils ; elle vivait d’ailleurs sous une loi non guidée par la morale chrétienne (Ibid., éd. cit., p. 108). Encore plus univoque que Christine de Pizan, Martin Le Franc, à travers le défenseur de la cause des femmes qu’est Franc vouloir, évoque Sémiramis sous la rubrique des dames lesquelles ont gouverné haultement en ce monde et ont eu honneur et gloire (Le Champion des dames, t. 4, éd. cit., p. 73, v. 16414). Il la qualifie de sage et puissant roÿne (Ibid., t. 4, éd. cit., p. 74-75, v. 16419, 16441), capable de garantir la paix et la prospérité grâce à son bon gouvernement durant 130 ans. Aucune ombre ne vient ternir ce tableau que conclut un étonnant planctus : Las, pour quoy si tost definas ? (Ibid., t. 4, éd. cit., p. 75, v. 16447). Chez Symphorien Champier, on ne retrouve non plus aucune mention de son inceste ou de quelque caractéristique négative que ce soit. On notera que, dans ses Vers huitains contenans la somme du premier livre par maniere d’invective contre les mesdisants des dames, Champier mentionne les gestes les beaulx faitz la prouesse/ De la royne dicte Semiramis ; de façon analogue, dans ses louenges fleurs et deffenssoir des dames, l’auteur souligne sa vaillance, et, dans son portrait du chapitre second, sa prouesse chevaleresque et ses conquêtes guerrières (La Nef des dames vertueuses, éd. cit., p. 52, 57, 71). Pour quelques autres exemples de la vision positive de Sémiramis au Moyen Âge (y compris chez Jean Le Fèvre et Guillaume de Machaut), voir E. Zanin, « Sémiramis. Une héroïne entre masculin et féminin » dans Héroïsme féminin et femmes illustres (xvie-xviie siècle). Une représentation sans fiction, dir. G. Schrenck, A.-É. Spica et P. Thouvenin, Paris, Classiques Garnier (Masculin/féminin dans l’Europe moderne, 22), 2019, p. 21-36. Return to text

29 À la lumière des deux notes précédentes, on constate que l’argumentation autour du personnage de Sémiramis illustre bien les deux extrêmes de la Querelle des femmes. Pour Marie-Claude Malenfant, cette « figure double […] comport[e] à la fois une valeur irréductible et une valeur réversible : toutefois le traitement invalidant ou bonifiant de l’exemplum ne peut s’appliquer à l’ensemble du récit et ne porte donc que sur une partie du texte exemplaire » (M.-Cl. Malenfant, Argumentaires de l’une et l’autre espèce de femme. Le statut de l’exemplum dans les discours littéraires sur la femme (1500-1550), Laval, Presses de l’Université Laval, 2003, p. 351). Si l’on considère les portraits proposés par le Miroir historial, Boccace, Christine de Pizan et Antoine Dufour, tous relativement nuancés, on serait tenté d’infléchir cette thèse. En revanche, les versions strictement positives de Martin Le Franc et de Symphorien Champier traduisent mieux cette récriture partielle de l’histoire fondatrice. Catherine d’Amboise présente elle aussi son exemplum a contrario comme s’il représentait l’entièreté du récit. Return to text

30 Il est intéressant de noter que c’est justement dans la partie laudatio de son portrait de Sémiramis que Boccace emploie l’hyperbole, l’emphase et la redite. En guise d’exemple : par merveilleuse diligence et cautelle acquist, eut et mena majesté royale ; en oultre, elle garda noblement et diligemment la discipline de chevalerie ; et, contre la nature de son sexe, fit, ouvra et excerça pluseurs grandes et nobles euvres aussi propres et competens a homme tresfors et robustes. (Boccace, Des cleres et nobles femmes, éd. cit., p. 20) Return to text

31 L’influence de l’écriture sur le corps et l’esprit est formulée également dans d’autres chapitres, surtout lorsqu’intervient la pudeur et que les reproches se situent dans le domaine de la sexualité. Return to text

32 Fol. 29ro, p. 134. Return to text

33 C’est peut-être également une façon implicite de montrer que les exempla des trois héroïnes païennes évoquées précédemment rejaillissent eux aussi sur la renommée des femmes, comme l’affirmait Martin Le Franc à propos de Cérès (voir note 11 ci-dessus). Return to text

34 Fol. 29ro-vo, p. 134. Return to text

35 Fol. 29vo-30ro, p. 134. Rappelons que pour Catherine d’Amboise, un même devoir de bien dire s’applique aux femmes prudentes, en l’occurrence Minerve et Cérès : moy et aultrez te atribuer honneur sommez tenus (fol. 34ro, p. 139) ; bien tenuz soumez te atribuer gloire, bruyt et los triumphal, exalter ton non haultain, pompeux et refulgent (fol. 34vo, p. 140). Return to text

36 Fol. 29ro, p. 133. Return to text

37 Fol. 29vo, p. 134. Return to text

38 Sur cette notion, cf. La Vertu de prudence entre Moyen Âge et âge classique, dir. E. Berriot-Salvadore, C. Pascal, F. Roudaut et T. Tran, Paris, Classiques Garnier, 2012 (Colloques, congrès et conférences sur la Renaissance européenne, 71). Return to text

39 Fol. 34ro, p. 139. Return to text

40 Fol. 33vo, p. 139. Return to text

References

Bibliographical reference

Catherine M. Müller, « Minerve, Cérès, Isis et Sémiramis sous la plume de Catherine d’Amboise », Bien Dire et Bien Aprandre, 38 | 2023, 87-100.

Electronic reference

Catherine M. Müller, « Minerve, Cérès, Isis et Sémiramis sous la plume de Catherine d’Amboise », Bien Dire et Bien Aprandre [Online], 38 | 2023, Online since 08 décembre 2024, connection on 14 janvier 2025. URL : http://www.peren-revues.fr/bien-dire-et-bien-aprandre/1876

Author

Catherine M. Müller

Haute École Pédagogique de Zurich

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CC-BY-NC-ND