Je crois que les mondes pourraient finir, impavidum ferient, avant que je devienne iconoclaste.
Charles Baudelaire
Nous vivons aujourd’hui une ère néo-libérale du bonheur. Quelle part jouent les images, et plus particulièrement celles du bonheur, dans nos temps présents singulièrement dépourvus de grands récits, hormis peut-être celui de notre inéluctable effondrement écologique qui prend le nom d’anthropocène ou de capitalocène1 ? Comment être heureux sans être médusés d’effroi, sinon par et dans une fuite schizophrène dans les images, quand les forces auxquelles il faut nous adapter2, globalisation ou mondialisation, sont au fond synonymes de la catastrophe à laquelle nous voudrions échapper ? Dès lors qu’il faut conter le temps présent, en exposer l’originalité, tenter de l’apercevoir avec recul, l’histoire commence le plus souvent par une formule banale et magique à la fois : « Depuis les années quatre-vingt… ». Voir dans cette décennie, célébrée comme honnie, la matrice du contemporain néo-libéral est aujourd’hui un lieu commun. Une division du travail, critique et presque psychique, opère pourtant le plus souvent de la manière suivante : on en extrait les logiques pour en démontrer l’intelligence perverse, sans obtenir d’effet notable ; on rend un culte à ses images pour en retrouver les affects insouciants, sans se préoccuper de leur malignité, avec pour effet la reconduite des logiques qu’elles sous-tendent.
Partant de là, s’il fallait proposer la généalogie de nos images contemporaines, celles de notre bonheur happycratique3, sûrement faudrait-il passer outre-Atlantique et remonter à un spot télévisé d’un nouveau genre alors, diffusé en 1984 : ouverture au noir, un bateau de pêche quitte au petit matin le port d’une grande ville en arrière-plan. Un homme d’affaires claque la porte d’un taxi le menant au travail, tandis qu’une foule traverse la rue au premier plan. Un paysan avec chapeau de cow-boy conduit son vieux tracteur dans ses champs. Un paperboy roule à bicyclette sur le trottoir d’une banlieue pavillonnaire, tandis qu’un homme traverse au premier plan pour se diriger vers la voiture familiale. Un break semblable se gare devant une maison blanche. Vue d’un jardin fleuri, derrière la palissade blanche, une famille décharge un long tapis et rentre (ou s’installe) dans son foyer. Une grand-mère dodue et souriante, le regard serti par des lunettes à gros foyers, observe un couple se diriger vers l’autel d’une église, où leur mariage va être célébré. Gros plan sur la femme en robe blanche qui acquiesce ; baiser des mariés ; sortie de l’église au ralenti sous les vivats des invités – le tout dans un halo de lumière quasi divine. Plan de profil, lumière chaleureuse de soleil couchant : la mariée, bouquet encore à la main, tombe dans les bras de la grand-mère. Enfin, Washington au crépuscule, le Capitole illuminé : multiples levées de drapeaux et regard patriotes, avant qu’un fondu ne laisse plus flotter à l’écran que la bannière étoilée. Tandis que défilent ces plans, une voix off débitait un exposé circonstancié, chiffres à l’appui, des réussites d’une politique économique (baisse des taux d’intérêt, etc.), avant de conclure : « It’s morning again in America ».
Cet enchaînement d’images, c’est le clip électoral pour la réélection de Ronald Reagan (dans sa version courte d’à peine plus d’une minute) : Morning in America (1984). S’il apparaît aujourd’hui caricaturalement propagandiste, son tour de force à l’époque tient à la conjugaison singulière qu’il propose du discours, des images et des temps du bonheur. Il tient aussi au moule imagier inattendu dans lequel il se fond.
Pouvoir d’attraction des images du bonheur
Hormis la parabole du mariage qui, toute symbolique soit-elle, ne relève guère que de la chronique d’une existence sans histoire, aucun récit à proprement parler ne se déroule dans Morning in America. Ni le discours ne nous parle, ni les images ne nous montrent d’évènements marquants, de péripéties, pas plus qu’ils ne nous parlent ni ne nous montrent de sujets, au sens de personnages désignés par un nom propre. La vieille histoire, fictive comme « réelle », celles des grandes batailles, des héros, des grands hommes, auxquels le spot préfère deux femmes ordinaires (une jeune mariée et une grand-mère), comme tout le système aristotélicien du récit fondé sur une mâle et noble action, semblent avoir été absorbés par une double logique. Celle du discours qui prend l’habit de l’objectivité scientifique, exposant des faits, des chiffres indiscutables. Celle des images qui n’empruntent pas, comme on aurait pu l’attendre, à la dramaturgie et au montage alterné de Naissance d’une nation (1915) de D.W. Griffith, mais à l’imagerie de L’Homme à la caméra (1929) de Dziga Vertov. On retrouve en effet décalqués, précipités et compressés en une durée subliminale, ses motifs et son canevas : la vie quotidienne et anonyme des habitants d’une ville, élargie à un pays, du matin au soir4.
Dans Morning in America, les images muettes optent alors pour le temps d’un sempiternel commencement qui est déjà et en même temps un happy end, celui de la vie heureuse et sans histoire de citoyens ordinaires, dont la banalité est héroïsée. D’un récit classique, seuls subsistent l’état, l’affection stationnaire du bonheur (et du patriotisme) avec son sujet collectif : l’abstraction « peuple américain »5. En lieu et place, chez Vertov, de la caméra automate qui se révélait comme chef d’orchestre (juste avant la séquence de mise en abyme des spectateurs dans la salle de cinéma), – cette fois c’est Reagan lui-même (ancien acteur de films de série B, d’un cinéma on ne peut plus classique d’histoires invraisemblables), singulièrement absent à l’image dans Morning in America, qui mène en voix off la danse des images, celle des énergies productives du bonheur, non plus soviétiques et marxistes, mais américaines et néo-libérales. L’American Dream comme poursuite du bonheur est de retour6.
À première vue, la démonstration de ce spot de campagne mobilise le principe de causalité et l’entendement du spectateur. Il s’agit de le convaincre de son bonheur déjà acquis (et déjà vu), en lui montrant, à l’image, les conséquences de l’application raisonnée de bons principes économiques. Les images du bonheur ne seraient alors que l’illustration des effets vertueux des politiques reaganiennes. La philosophie et l’esthétique savent pourtant depuis fort longtemps qu’un tel rapport mécanique n’est plus possible, voire ne l’a jamais été.
Fin du xviiie siècle, coup sur coup, Kant réglait déjà leur compte à l’Idéal du bonheur et à celui du beau7. Chercher à les définir, à les décrire ou à les raconter en termes précis, et même à les désirer, au sens d’y conformer notre volonté de manière raisonnée, tout cela relevait de l’entreprise la plus vaine et la plus stérile qui soit. Tout au plus, selon Kant, pouvait-on désormais poursuivre le bonheur d’après des conseils empiriques, en privé et à tâtons : toute science du bonheur s’en trouvait par avance récusée, réduite au statut de recueil de recettes, trucs et astuces de bonimenteurs. Restait le beau qui, lui, pouvait toujours être recherché de manière publique, mais seulement d’après l’exemplarité du génie, medium de règles opaques de la nature, impossibles donc à transmettre ou à apprendre, pas plus que les idées et les œuvres originales ne pouvaient désormais être produites à volonté et en pleine conscience. Préfigurant le romantisme, Kant consacrait donc une impuissance.
À tout cela, une raison. Pour Kant, le bonheur comme le beau se révélaient indéterminés par nature car voués aux images et à l’imagination. Parce qu’il ne s’agissait que d’Idées indéterminées d’un maximum. Dans le cas du beau : un maximum d’harmonie esthétique ; dans le cas du bonheur : un état maximum et constant de jouissance8. Pourtant, le clip de Reagan et quantité de ses épigones, publicitaires comme cinématographiques, ne sont-ils pas là pour nous faire sentir combien cette impuissance et cette vocation même du bonheur et du beau à l’indétermination des images et de l’imagination, est cela même qui leur octroie leur puissance d’attraction ? Si le bonheur semble destiné aux belles images9, n’y a-t-il alors de jouissance du bonheur et du beau que par procuration, dans des formes consommées d’idolâtrie, où l’on jouit finalement plus du simulacre lui-même que de la chose ou de l’idée auxquels il est censé renvoyer ?
Concernant plus spécifiquement le beau, dans sa partie strictement esthétique, Kant estimait que nous pouvions seulement nous en faire une Idée-normale, une image moyenne, liée empiriquement par l’imagination à mille autres images, que celle-ci additionne et divise synchroniquement comme le ferait un instrument optique. Cette Idée-normale, Kant la nommait prototype. Il le pensait valable pour tel pays, tel peuple, mais, précisait-il, sans qu’il soit pour autant dérivé de l’expérience : il était choisi par la nature pour chaque espèce et chaque sous-espèce. C’est à partir de lui qu’il devenait possible de juger tel individu ou tel spécimen de beauté. Pour contrer l’empirisme (et le relativisme), Kant naturalisait ainsi les normes esthétiques. Or, que font les images de Morning in America, et plus généralement toute image du bonheur, sinon naturaliser leur prototype, politique comme esthétique, afin de mieux l’imposer à notre imaginaire ? Tout le monde connaît la formule du bonheur, transmise en marge des contes, et marquée par le cycle naturel de la procréation : ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants… Que promet à son public le clip de Reagan sinon un avenir heureux où prospérité rime avec fécondité ?
Cette image moyenne, écrivait Kant, c’est une image qui flotte entre les intuitions singulières, entre leur diversité et leurs différences, une image générique et jamais spécifique, dépourvue de caractéristiques, purement formelle, valant pour l’espèce et donc jamais achevée dans un individu10. Or, n’est-ce pas l’un des premiers pouvoirs de ces vignettes de l’American Dream que de s’avérer flottantes et, en conséquence, de faire flotter le discours avec elles ? Kant avait prévenu, le bonheur ne s’obtiendra plus par l’application de principes, aussi le clip ne peut-il agir sur le spectateur en pleine conscience. Il lui faut jouer sur le flottement d’un inconscient collectif pour que la litanie des chiffres atteigne sa conclusion : croyez bien que demain le jour se lèvera sur l’Amérique. On chercherait en vain à démontrer la fausseté d’un tel énoncé11. On ne déconstruit pas par une démonstration critique ce qui repose sur une croyance ; l’entendement ne saurait raisonner l’imagination. Ou pour le dire autrement : s’il est aisé de contredire des mots, comment contredit-on une image12, a fortiori une série d’images ?
Pour Morning in America c’est finalement moins, comme nous pouvions le penser, le principe de causalité, moins la démonstration et ses atours scientifiques, moins le discours que la parole, sa puissance poétique première, doublée du pouvoir des images, qui agissent. La voix de Reagan fonctionne ainsi plus comme un mantra, destiné à actualiser le pouvoir hypnotique de l’imagerie du bonheur et ses clichés : leur substitution de la réalité par son simulacre, mais surtout la substitution d’un temps moderne, progressif, de l’Histoire, celui des révolutions et des réformes (déployé encore, mais en creux par le discours), par un temps pré-moderne, prévalant depuis au moins l’Antiquité tardive13 et durant le Moyen-âge : celui des cycles naturels14, de la fécondité et de la stérilité de la nature, des corps et des saisons, du déclin et du renouveau des époques (déplié, lui, par les images). À ces conditions, le bonheur, dans son aspect le plus normatif, a pu apparaître régénéré.
De Vertov à Reagan, tout se passe donc comme si la ruse de l’histoire avait dû en passer par ces images du bonheur et leur répétition : une première fois dans l’émerveillement de la contingence et du possible immanents du communisme, la deuxième fois dans sa réalisation, sa confirmation néo-libérale, et son registre inconsciemment parodique15. On ne sait à quel degré, premier ou second, prendre les discours de Reagan, ses images, car eux-mêmes restent indéterminés et flottants pour profiter d’un pouvoir d’attraction.
Sentir autrement les images clichées du bonheur
Trois ans après Morning in America et la réélection de Reagan, sortait un film à première vue semblable, dont voici la séquence pivot : un cyborg pousse la porte d’entrée d’une maison à vendre. Un agent immobilier virtuel, dont le visage apparaît sur un écran de télévision, l’accueille : « Welcome shopper, let’s take a stroll through your new home… ». Avant de lui débiter : les caractéristiques du logement ; la compagnie de construction ; sa situation (écoles et commerces à proximité) ; son facteur de progression sur le marché immobilier. N’y prêtant pas attention, le cyborg avance dans le living, dépouillé, d’un blanc presque immaculé. Une cheminée, en carrelage noir réfléchissant, occupe le centre latéral de la pièce : elle marque un seuil, spatial (et bientôt temporel), que le cyborg franchit bientôt lorsque sa vue se brouille. Il rétrograde et redécouvre alors un salon plein d’objets et de décoration, avant d’apercevoir un jeune garçon, de dos, en train de regarder une série télévisée. À l’image, un shérif du futur fait tourner son revolver laser avant de le glisser dans son holster. Impressionné, le garçon se retourne et s’écrie : « Can you do that dad ? ».
Cut. Vu de loin, depuis un coin opposé de la pièce, le cyborg est seul dans l’espace évidé du séjour. Il reprend alors son cheminement vers la cuisine. De quelques déchets traînant sur la gazinière, il extrait un polaroid. Celui-ci figure, tout sourire, un homme, sa femme et leur jeune garçon. À nouveau, sa vue se brouille. Halloween : la femme et le jeune garçon de la photo s’affairent tandis que l’avatar spectral du héros (la caméra) les rejoint. Ils se rapprochent et posent, tandis qu’un appareil sur retardateur se prépare à capturer leur image.
Flash. Retour à la cuisine dépeuplée. Le cyborg froisse dans sa main le cliché. Il poursuit dans un long couloir qui le mène vers la chambre à coucher. À son arrivée, sans que sa vue ne se soit cette fois brouillée pour opérer la transition, il y retrouve la femme, simplement vêtue d’un peignoir rose bonbon. Celle-ci bondit depuis le lit pour s’adresser à lui : « I really have to tell you something… », avant de reculer doucement, tandis qu’il progresse, pas à pas, dans sa vision : « I love you… ». À cet instant, l’image champ de la femme, contre-champ du cyborg, s’apprêtent à s’embrasser, au propre comme au figuré. Mais au dernier moment, la première disparaît tandis que réapparaît brusquement la chambre, déserte. Non loin, la voix de l’agent immobilier virtuel se fait à nouveau entendre. Le cyborg se précipite alors vers la source, l’autre écran, situé dans la pièce adjacente : « Why not make me an offer ? ». D’un coup de poing, il détruit le poste.
La légende veut que le cinéaste Paul Verhoeven, pour son premier long-métrage en Amérique, ait accepté le scénario de RoboCop (1987) pour cette scène. À première vue, nous y retrouvons les éléments prototypiques aperçus avec Morning in America. Mais, qu’il s’agisse là d’images clichées du bonheur, le film le sait et nous le fait savoir. Et pourtant, que ce soit dans notre séquence et de manière générale, nul recul critique chez Verhoeven : aucun personnage, aucune instance de distanciation brechtienne, de prise de conscience et d’activation de notre passivité de spectateurs, n’intervient. Pourquoi alors représenter des images clichées du bonheur, en le sachant bien, et en nous le faisant savoir, si la démarche aboutit, comme Morning in America, à une adoration partagée, à un culte de ces clichés, fut-il à prendre au premier ou dans un indécidable second degré ? Qu’est-ce qui distingue la démarche de Verhoeven du reaganisme ?
Pour bien le comprendre, il faut interroger le moins kantien des philosophes français, Gilles Deleuze. Dans les années 1980, ce dernier faisait écho à l’indétermination, au caractère flottant des images prototypiques relevé par Kant (sans le citer). Il évoquait alors les clichés comme « ces images flottantes, ces images anonymes, qui circulent dans le monde extérieur, pénètrent et constituent les mondes intérieurs de chacun »16. On notera, entre autres différences, que la nature a disparu de l’équation, et avec elle son choix électif d’un prototype transcendantal qui servirait de norme. Entre temps, la substitution de la nature par l’artifice (dans RoboCop celui d’images-marchandises et d’un cyborg), non seulement démultiplie les clichés strictement empiriques, elle fait aussi que ce sont désormais les intuitions singulières qui flottent, car elles s’avèrent au fond, elles-mêmes, génériques.
En conséquence, le diagnostic et le problème changent de nature. Tout se passe comme si l’effectuation technologique de la communicabilité universelle du goût, pour parler comme Kant, par le biais d’une prolifération de clichés optiques et sonores, avait actualisé un unanimisme puissant et autrement menaçant. Pourtant, face au tableau d’un tel péril, Deleuze, à l’instar de Verhoeven, choisissait de se priver de la ressource kantienne du jugement. Pour la raison que même les réactions contre les clichés ne font qu’engendrer d’autres clichés17 : tout le monde voit la paille du cliché dans l’œil de son voisin sans voir la poutre dans le sien18. On comprend alors la méfiance de Deleuze, et celle de Verhoeven, à l’égard du jugement, fut-il de goût. Et on imagine la radicalisation possible lorsque le jugement de goût s’applique, sans désintéressement dépassionné possible, aux clichés du bonheur.
Deleuze n’en affrontait pas moins cette hydre des clichés. Il proposait le modèle majoritaire suivant : extraire d’authentiques Images (avec « i » majuscule), pour les dresser contre les clichés – autant de motifs, polémiques et héroïques, repris par les commentaires deleuziens19. Plus intéressant selon nous, il suggérait un autre projet, minoritaire, plus trouble, plus incertain, resté à l’état d’esquisse : sentir les clichés autrement, de telle manière qu’ils ne soient plus tout à fait des clichés20. Contre le désintéressement kantien, contre sa logique du tribunal, Deleuze proposait-il un addendum à sa logique de la sensation ? Une forme d’empathie, de sympathie pour les images clichées, du bonheur dans notre cas, qui ne verse pas dans la curiosité bienveillante ? Mais comment faire pour sentir des clichés du bonheur autrement ? Et qu’espérer comme résultat de cette opération ? Notre hypothèse est que cette logique suggérée par Deleuze, encore à l’état virtuel dans sa pensée, Verhoeven l’actualise à sa manière dans ses films. S’il ne s’agit pas de juger des images clichées du bonheur de RoboCop, demandons-nous donc ce qui nous y est donné à sentir.
Ce que font sentir les plans de RoboCop, c’est d’abord que le bonheur, tout cliché soit-il, est non seulement fondé dans notre relation à autrui, mais aussi dans notre relation avec notre propre corps – comme condition première de nos affects, du plaisir, de la joie et de notre mémoire psychosomatique. De fait, la séquence décrite articule ses images à une technique du souvenir. Pénétrant dans sa maison, le cyborg du futur, réactive en effet, sans le savoir, la méthode des locii, un art de la mémoire de l’Antiquité. Celui-ci consistait à emmagasiner un maximum d’idées, associées à des images frappantes, en les disposant dans un lieu mental, basé sur architecture réelle ou fictive, que l’on puisse parcourir intérieurement, de manière à ce que le mouvement actionne la mémoire.
Ainsi de cette étrange maison, tout en enfilade, où les souvenirs et les scènes de bonheur peuvent être montés en série et dans un certain ordre que le film peut débobiner21. S’il s’agit de se remémorer le bonheur, quel autre lieu que celui du foyer pour y loger et y retrouver nos images-souvenirs ? Et déjà, l’art de la mémoire antique se fondait sur le fonctionnement de la mémoire naturelle, tout en proposant de l’augmenter d’une mémoire artificielle : la mémoire d’un corps marqué par son existence dans des étendues, et celle d’un cerveau, d’une vision intérieure évoluant dans un espace peuplé d’images. L’important est que cette mobilisation, du cerveau et de la carte mentale qu’il projette dans l’intégralité du corps, y crée des zones d’affects22.
Dans la scène décrite de RoboCop, ce qui est ainsi convoqué, c’est tout le schème sensori-moteur des images d’un certain bonheur qui constitue non seulement le monde intérieur du héros, mais également son schéma corporel, public et privé. Depuis l’image télévisée de la main du shérif futuriste que regarde le fils à la télévision, jusqu’à la main de chair et d’os du père qui l’imite23, en passant, plus tard, par le membre fantôme (sa main arrachée par un tir), qui le hante d’autant mieux qu’il est réactualisé par sa prothèse robotique. Dès son « démarrage », le cyborg fera tourner son revolver comme auparavant (première zone d’affect liée à son amour paternel). Agencée à ce geste, lui reste aussi la punchline de la même série télévisée : « Dead or alive, you’re comin’ with me », que le héros répétait lorsqu’il était encore un policier humain (deuxième zone d’affect liée à son amour pour son garçon, l’uniforme et la justice). Ce geste et cette parole, les plus génériques, les plus clichés qui soient (un tour et une phrase de cow-boy), semblent rendre palpable, derrière l’armure anonyme du cyborg, la rémanence de son identité humaine. Un gangster qu’il recroise et qui croyait l’avoir tué le reconnaît de cette manière, ce qui engage le cyborg dans l’enquête qui va le mener vers son ancienne maison (troisième zone d’affect liée à son amour pour son fils et sa femme).
Ce que nous font sentir les images clichées de RoboCop, c’est que le bonheur dépend d’une mnémotechnie du bonheur, comme Baudelaire parlait d’une mnémotechnie du beau24, capable de nous faire sentir, par la clôture de la perte, du passé et de notre finitude, que le maximum du bonheur n’est jamais quantifiable selon une mesure spatiale du temps : du fait de cette limitation, il s’intensifie qualitativement. Deux mémoires se télescopent alors : celle qui répète (schème sensori-moteur) et celle qui imagine, sans que l’on sache si la première supplée, donne l’illusion25, ou si elle bascule dans la seconde.
Car la séquence d’images que nous venons de décrire est déjà intervenue plus tôt dans le film, pendant les premières minutes du décès clinique du héros lorsqu’il était humain. Dans cet instant, les yeux grands ouverts, il était traversé par ces visions, caractéristiques d’un syndrome de mort imminente. Du point de vue de la fiction, le statut ontologique de telles images, encore humaines ou déjà cybernétiques, résidu spectral d’une âme qui s’en va, ou bien d’un corps et de ses derniers signaux électro-chimiques, est incertain. Ce sont des clichés, sans être seulement des clichés, justement parce que leur nature flottante, teintée d’artifice, mais sans issue dans l’action ou quelque utilité, nous est rendue sensible.
Comment saboter des images flottantes ?
Cette épaisseur temporelle du bonheur, portée à son degré d’intensité maximal, n’est pourtant pas attestée comme un passé historique dans le film. Plutôt qu’à l’histoire du personnage, ce bonheur semble bien plutôt renvoyer à un complexe de fantasmes autorisés et de pulsions inavouables, révélateur d’un inconscient policier et néo-libéral : le fantasme du sujet en gloire, l’imaginaire de celui qui s’engage à défendre la veuve et l’orphelin (qui se trouvent être devenus sa propre veuve et son propre orphelin), auxquels répond la jouissance pulsionnelle de la violence sadique, déchaînée contre le dehors où se projette le non-soi26 : population délinquante en puissance, « ensauvagée », dont le port de l’uniforme, vestimentaire puis métallique, autorisera la brutalisation et, dans une scène mémorable et hautement symbolique, la castration27. Cette population, dans le film, c’est celle de Détroit, ville américaine de la classe ouvrière, perçue comme dégénérée après la décadence de son industrie jadis florissante. Rappelons la situation qui ouvre le film : les policiers, travailleurs de la violence et de l’ordre, sont eux-mêmes en grève, menacés de lumpenprolétarisation, autrement dit de sombrer, eux aussi, dans le non-soi.
C’est cette libido du bonheur, fondée sur l’effroi de l’altérité, cette libido au fond policière, que le film parvient à nous faire sentir. Nombreux sont sûrement celles et ceux qui refoulent sinon ce fantasme du moins cette pulsion néo-libérale, dont les institutions investissent, par transaction pulsionnelle, leurs ultimes gardiens28. La vertu de RoboCop est de nous confronter à l’insuffisance de ce refoulement, à son hypocrite conscience critique. Elle est de nous faire sentir comment cette libido policière, toute grossière soit-elle, agit tout de même sous nos lignes de flottaison, combien la castration des infâmes peut être banalement jouissive29, et ce que cet inconscient a, au fond, de collectif30 : nous le savions sûrement, mais le sentions-nous ?
Comment saboter de telles images du bonheur ? Répétons la définition par Kant du prototype du beau que nous proposions plus tôt d’appliquer au bonheur : une image qui flotte entre les intuitions singulières, entre leur diversité et leurs différences, une image générique et jamais spécifique, dépourvue de caractéristiques, purement formelle, valant pour l’espèce et donc jamais achevée dans un individu31. Exception faite, précisait Kant, de ces modèles aux traits parfaitement réguliers dont rêvaient les peintres de son temps32. Le problème devient alors celui de l’incarnation du prototype dans l’individu. Ce problème, le prototype du cyborg dans RoboCop le résout en apparence puisqu’il combine la standardisation de la machine et la plasticité de l’humain. Mais pour Kant : soit l’incarnation finit par relever d’une forme de caricature et donc du monstre paradoxalement hors norme, au sens de la moyenne empirique ; soit, notait-il, elle se révèle intérieurement médiocre, fade, sans expression, car le prototype échoue, par définition, à exprimer l’individu (biologique), mais surtout la personne (morale).
Il apparaît alors que le prototype de cyborg de Verhoeven tombe dans ces deux travers qui culminent pour Kant dans le vice de fabrication suivant : sans défaut, l’individu qui incarne la norme, comme l’image prototypique elle-même, est sans génie, c’est-à-dire sans originalité33. En restant fidèle à l’esprit de Kant, ne pourrait-on en dire de même du bonheur et de son Idéal ? N’existe-t-il, lui aussi, qu’à l’état d’Idée-normale, d’images flottantes, plus ou moins virtuelles, plus ou moins actuelles, autrement dit de prototypes, purement esthétiques, et finalement sans âme ? N’est-ce pas au fond cette étrange familiarité, cette facticité médiocre, sans génie et en même temps hors norme de nos images du bonheur que nous fait sentir le film ? Dès lors, toutes et tous, ne soupçonnons-nous pas, à des degrés divers, que notre image moyenne du bonheur a toutes les chances de se révéler monstrueuse ?
Les images du bonheur de Verhoeven nous révèlent une monstrueuse jouissance de la norme. La logique des clichés, dans son cinéma, est sentie autrement, par hypertrophie, par amplification – au sens jungien qui révèle les archétypes d’un inconscient collectif –, en les portant à leur degré d’intensité maximal, en les faisant jouer sur nos schèmes sensori-moteur autant que sur nos zones d’affects, en l’occurrence celles des jouissances bassement corporelles, animales autant qu’artificielles de notre bonheur. Mais comment faire sentir de telles images tout en les sabotant ? Pour Verhoeven, par exhibition, par monstration du dispositif mnémotechnique, fantasmatique et libidinal, dans ce qu’il recèle de plus monstrueux, de plus grotesque, tout en nous empêchant le confort d’un recul critique comme moral qui s’excepterait et s’arrogerait, à nouveau, le mérite d’une norme supérieure. Car, selon nous, le cinéma d’affects de Verhoeven n’espère ni n’ambitionne de catharsis : on ne purge jamais totalement une passion comme le bonheur par des images, fussent-elles fantasmatiques et pulsionnelles, pas plus qu’on ne produit une prise de conscience toute-puissante, souveraine. Tout au plus peut-on s’en servir pour faire sentir les complicités inconscientes dans lesquelles elle nous engage.
Comment transfigurer le banal des images du bonheur ?
Nous demandions pour commencer quelle part jouent les images dans notre bonheur médusé ? En explorant une matrice reaganienne de nos images actuelles du bonheur, nous avons montré comment leur indétermination, leur flottement esthétique, résultant d’un complexe de fantasme et de pulsion, pouvait être utilisés de deux manières faussement semblables : la première pour normaliser (Morning in America), la seconde pour faire sentir le caractère monstrueux de la norme (RoboCop). Terminons, par une dernière séquence, une autre logique de la sensation et un autre dispositif, que nous qualifierions cette fois de transfiguration des images du bonheur34.
Un an avant RoboCop, un autre film, qui aurait lui aussi pu passer pour une déclinaison reaganienne du bonheur, sortait en salles. Le générique de début fini, en voici les premières images : un ciel bleu, trop profond d’abord pour ne pas être l’effet d’une « nuit américaine ». L’atmosphère s’éclaircit à mesure que l’image (le regard ? mais de qui ?) redescend sur terre pour déployer une journée ensoleillée. Fugitif, un oiseau fend cette carte postale ; d’autres pépient hors champ. Presque une à une, sept roses rouges paraissent, plantées dans un parterre propret, magnifiées par une légère contre-plongée (une scène subjective, originaire, vue et souvenue par un enfant couché dans l’herbe ?). Ces fleurs nous toisent, comme éclairées par un astre surnaturel, dont la lumière semble se réfléchir sur le fond blanc de la palissade où se détachent leurs silhouettes. Comme le glacis d’un tableau, un léger halo nimbe le plan. Une brise légère anime la scène, y berce délicatement les pétales qui semblaient d’abord figés, surréels, idéalisés par le violent contraste du bleu du ciel, de leur rouge brillant de rouge à lèvres et du blanc virginal de la clôture. Coïncident l’horticulture et la cosmétique, la nature et l’artifice, la réminiscence et le fantasme, l’onirique et le publicitaire, la pastorale et le soap opera, le peinture de paysage et le chromo. Dès les premiers instants, l’image s’est accompagnée de son : une chanson, trop suave pour ne pas venir d’un autre temps : She wore blue velvet / Bluer than velvet was the night / Softer than satin was the light / From the stars… Comme de longs échos qui, de loin se confondent35, affleurent les correspondances : le satin et le scintillement stellaire, un tempo adagio et le balancement ralenti des fleurs…
Qu’est-ce que l’archétype du beau et du bonheur, sinon ces images, optiques et sonores, d’un jardin d’Éden comme tombé du ciel ? Dans notre imaginaire collectif, qu’est-ce que le bonheur sinon l’image printanière d’un pavillon nécessairement avec jardin fleuri, qu’on soupçonne occupé par une famille ? Qu’est-ce alors que notre image du bonheur (qu’elle attire ou qu’elle répugne), sinon celle, domestique, promue par l’American Way of life depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ? Pourtant, sans d’abord pouvoir bien l’exprimer, nous sentons bien que cette séquence diffère du spot de campagne de Reagan, alors même qu’elle aussi partage avec lui un air de famille. Pour mieux sentir la singulière texture des images du bonheur de Blue Velvet, il est opportun d’en évoquer l’épilogue : fondu au blanc, les paroles d’un chant éthéré s’étirent dans l’espace. Elles résonnent : Sometimes a wind blows / And you and I / Float / In love / And kiss forever / In a darkness / And the mysteries of love / Come clear… Transition à l’image vers les concavités d’une oreille en très gros plan. Un lent zoom arrière nous en éloigne pour découvrir le visage d’un jeune homme, serein, les yeux fermés. Le pépiement d’un oiseau, hors champ, lui fait battre les paupières : il s’éveille. Posé sur une branche au-dessus, le volatile poursuit son chant. Le jeune homme l’observe, allongé sur une chaise longue. On l’appelle depuis la maison, il se lève, s’arrête avant le seuil de la porte pour demander à deux hommes, au fond du jardin, qu’on devine être son père et son beau-père, ce qu’ils font. Et le premier de lui répondre, comme dans un dialogue de sourds, qu’il se sent bien mieux maintenant. Tandis qu’il monte quelques marches, la musique se poursuit, désormais sans paroles : profondes nappes de violons et de synthétiseurs. Tandis qu’il franchit le seuil de la maison, il annonce à deux autres femmes, discutant au salon (sa mère et sa belle-mère, devine-t-on36), que le dîner est prêt. Dans la cuisine, sa petite amie finit la vaisselle avec une femme âgée (sa grand-mère ?). Cette dernière l’interpelle et attire son attention. Elles observent le même oiseau, posé cette fois sur une jardinière, accrochée au bord la fenêtre et attirent le jeune homme pour qu’il admire le volatile, avant qu’il ne s’envole. L’oiseau, un merle, est aperçu de plus près. Il paraît animé par les mouvements saccadés d’un automate. Deux vers encore frétillants, bientôt morts, en travers du bec.
Nous retrouvons dans cet épilogue l’émerveillement naïf de l’ouverture, cette sensation flottante d’un bonheur qui mêle familiarité et étrangeté, l’analogie du bonheur et de l’oiseau renvoyant à celle de la beauté et des fleurs. Pourquoi y sentons-nous autre chose qu’un plat cliché ? D’abord, parce que l’oiseau intervient à la fin du film, que dans son image se sont sédimentées toutes les épreuves par lesquelles en sont passés les personnages : l’intrication de la vie et de la mort, la beauté toujours bizarre, dixit Baudelaire, du monde, de ses contraires et de ses correspondances, dès lors le caractère précieux et fragile du temps présent où une joie tranquille est toujours possible, où l’on est heureux car on sait ce que notre bonheur doit à l’expérience du malheur, au fantasme et au refoulement toujours précaire de nos pulsions. Un tel bonheur ne se raconte peut-être pas, pas plus qu’il ne se définit, pas plus qu’il ne peut faire l’objet d’un projet volontaire et rationalisé. Il peut néanmoins être donné à sentir. Le dire ainsi appauvrit sans doute la portée de cette séquence, en banalisant sa charge affective, sa singularité, aussi est-il plus intéressant de l’aborder au niveau justement plus affectif des images, des opérations cinématographiques par lesquelles en passe Lynch.
La première consiste à faire taire tout discours, toute parole (Morning in America), et à suspendre toute action dramatique pour laisser place à une pure contemplation – ce que RoboCop ne faisait qu’à moitié, en conservant une logique sensori-motrice (le cyborg avançant dans son ancienne maison, dans sa vision, dans sa mémoire). La seconde opération – de maximisation, d’intensification qualitative du bonheur –, Lynch l’obtient en dé-contextualisant partiellement ses clichés. Impossible par exemple de cerner si Blue Velvet se déroule dans les Eighties ou dans les Fifties. On comprend alors ce que le temps lynchéen a de bergsonien : pluriel et synchronique, il ne se déroule pas selon un ordre, une mesure et une découpe spatiales. Il s’inscrit dans une durée affective, où le présent n’est pas une pure actualité. Sans cesse, il est traversé par les virtualités entremêlées du passé et du futur, celles notamment des vies antérieures des aînés qui menacent de s’actualiser dans leurs descendants, et celles des vies postérieures de ces derniers qui vouent les premières à l’obsolescence.
Lynch parvient à dé-contextualiser les clichés, donc à rendre leur re-connaissance incertaine pour l’entendement du spectateur et, en conséquence, difficile leur appréciation par un jugement critique. Il réussit de la même manière à les ambiancialiser37. Le cliché n’est, en effet, plus sensori-moteur, il n’enclenche ni action ni réaction, ni dans le film ni pour le spectateur. Raison pour laquelle, l’enjeu dramatique de Blue Velvet n’est pas de résoudre la crise de l’image-action, en restaurant la puissance violente d’une figure paternelle (scénario que fait encore mine de suivre RoboCop). Au contraire, sans sa faillite – le père du héros de Blue Velvet est touché à l’issue de l’ouverture du film par un mal mystérieux et ne sort de l’hôpital qu’à la fin, pour se voir relégué au fond du jardin, à la fragilité du rescapé –, et sans son hystérisation pulsionnelle – le père de substitution, Frank Booth, interprété par Dennis Hopper –, c’est tout l’apprentissage du film qui aurait été impossible.
Le cliché n’est donc plus une cosa mentale, ni un effet mécanique d’une intellection réflexe, il devient un percept, à la lettre psychosomatique. Ainsi, le bonheur et ses clichés se donnent-ils à sentir à l’état flottant38, fantasmatique, vaporisés dans l’air, les particules de lumière, les nappes sonores, intensifiés dans les rêves, suintant dans les décors39. Enfin, par l’usage, souvent relevé, de l’inquiétante étrangeté40, Lynch parvient à faire coïncider d’authentiques singularités au sein de répétitions les plus génériques qui soient, en modulant la part affective d’inquiétude ou de sérénité, toujours mêlées, qui transpire de ses images et de leur son.
Une hirondelle ne fait pas le printemps, disait Aristote, exprimant par cette image que le bonheur ne se suffit pas de la joie d’un instant fugitif. Il ne s’apprécie que dans la durée, par l’épreuve du temps, voire dans cette curieuse rétrospection post-mortem qui, pour les Grecs antiques, pouvait, seule, garantir la valeur authentique d’une vie heureuse, un bonheur adjugé par autrui et conjugué au futur antérieur (ou futur de récapitulation) : « il, elle aura eu une vie heureuse ». Admettons l’insuffisance de l’hirondelle. Mais un merle ? Presque factice, deux vers, authentiques symboles morts-vivants au bec : quelle plus belle image du bonheur à conjuguer au temps présent ? Une interrogation demeure toutefois : de telles images du bonheur, cet oiseau et plus tôt le cyborg, ont-elles la puissance de nous exorciser des images reaganiennes du bonheur ? Ne s’agit-il pas plutôt, avec elles, d’une part de prendre une leçon d’humilité qui renvoie, dos à dos, la norme néo-libérale et la norme du jugement critique, et d’autre part d’un appel, pour pasticher Baudelaire à nouveau41, à créer un poncif du bonheur toujours bizarre, naïf, involontaire, inconscient, sans sortir tout à fait des rails de la vie pour en faire un monstre, mais assez pour lui octroyer une immatriculation, une caractéristique, une particularité qui en transfigure la banalité ?