Performer le mythe cannibale : la stratégie réparatrice de Rébecca Chaillon

  • Performing the cannibal myth: Rébecca Chaillon’s restorative strategy

DOI : 10.54563/demeter.1669

Abstracts

Dans plusieurs de ses œuvres, Rébecca Chaillon donne corps au mythe cannibale. En s’appropriant les clichés véhiculés par la culture occidentale, l’artiste française questionne la persistance de ce mythe dans l'imaginaire collectif de l'ancien pays colonisateur. Elle met ainsi en lumière les discours préconçus qui sont produits, jusqu'à aujourd’hui, sur les corps racisés et conteste l’idée de race, « l’instrument de domination sociale le plus efficace inventé ces 500 dernières années1 ». Cette incarnation du mythe cannibale dans son propre corps, ou dans le corps de ses partenaires, constitue, à l’instar des théories décoloniales, une « volonté de déranger les récits établis et d’interroger la persistance des inégalités sociales, épistémiques et représentationnelles héritées du colonialisme2 ».
Les créations de Chaillon entraînent une décolonisation de la pensée et du regard par un travail d’appropriation des stigmates persistants. L'incarnation du·de la cannibale, initialement un préjugé subi, issu des discours coloniaux, est à présent un choix scénique de l’artiste dans une tentative de réparation du présent. La violence infligée par le regard ou le jugement des autres devient, dans ses performances, le « revers positif d’une énergie néfaste3 ». Avec sa performativité, elle renvoie la violence subie en direction du public et s’extrait de la place de victime qui lui est traditionnellement assignée en tant que femme racisée et hors-norme. Cette démarche contribue, d’une certaine manière, à soigner ou à réparer « les préjudices moraux qu’une société peut générer, en faisant de la performance un espace de liberté, entre expression cathartique et réécriture du présent4 ».

In several of her works, Rébecca Chaillon embodies the cannibal myth. By appropriating the clichés conveyed by Western culture, the French artist questions the persistence of this myth in the collective imagination of the former colonising country. She sheds light on the preconceived notions that are still being produced about racialised bodies, and challenges the idea of race, « the most effective instrument of social domination invented in the last 500 years5 ». This embodiment of the cannibal myth in her own body, or in the bodies of her partners, is, like decolonial theories, a « desire to disturb established narratives and to question the persistence of social, epistemic and representational inequalities inherited from colonialism6 ».
Chaillon's creations lead to a decolonisation of thought and perception by appropriating persistent stigmas. The embodiment of the cannibal, initially a suffered prejudice stemming from colonial discourse, is now a scenic choice of the artist in an attempt to repair the present. In her performances, the violence inflicted by the gaze or judgement of others becomes the « positive flip side of a harmful energy
7 ». Through her performativity, she reflects the violence she has suffered back to the audience, removing herself from the position of victim traditionally assigned to her as a racialised, non-standard woman. In a way, this approach helps to heal or repair "the moral prejudices that a society can generate, by making performance a space of freedom, between cathartic expression and rewriting of the present8 ».

Outline

Text

Performer, mettre mon corps en sacrifice, me laisser traverser par une audience pour qu’elle se raconte ses histoires à travers mes clichés, ceux qui ont construit ma vie. Que j’aie cherché à y coller ou à m’en éloigner. M’exposer frontalement, fragilement et raconter mon intime à un public majoritairement blanc. Un danger ou une prise de pouvoir ? J’opte pour la deuxième proposition de toute évidence. Je me réapproprie la violence, je la fais mienne, j’exerce un pouvoir sur elle en la filtrant et en la sublimant9.

Rébecca Chaillon, artiste performeuse, dramaturge et metteuse en scène française, intègre dans ses œuvres les discours produits sur son corps afin de les interroger et de les mettre en question. Au sein de sa compagnie de théâtre Dans le ventre, fondée en 2006, Chaillon travaille sur et avec un ensemble de stéréotypes, souvent liés au mythe cannibale, pour créer des œuvres à vocation politique, abordant notamment les problématiques de racisme et de sexisme, héritées de la colonisation. Le nom de sa compagnie est d’ailleurs programmatique : c’est en avalant et en digérant les discours sur son propre corps que Chaillon réussit à les transformer. Ses spectacles sortent du cadre traditionnel du théâtre. Elle en parle comme de performances, même si certaines se déroulent dans des salles de spectacle. Selon elle, la différence réside dans l’absence de fiction et de personnage, la durée réelle de l’action et l’existence d’un « défi posé de [elle] à [elle]-même ou au public10 ». Même si la frontière est ténue, l’engagement sur scène du propre corps des artistes, et de leur intimité, à travers des protocoles préétablis, caractérise les travaux de Chaillon dans le champ de la performance.

L’artiste, qui a grandi en France et dont les parents sont originaires de la Martinique, explore à travers ses œuvres la persistance des préjugés raciaux dans une société française qui peine à reconnaître les corps racisés comme une composante légitime de son identité. La décolonisation n’a pas conduit à un effacement des stéréotypes racistes, ceux-ci restent présents dans la conscience collective. Dans plusieurs de ses créations, l'artiste donne vie au mythe cannibale, un ensemble de préjugés associés aux corps noirs. Elle peut incarner elle-même ce mythe mais aussi créer des espaces et des protocoles permettant à d'autres artistes racisé·e·s de lui donner corps. C'est par exemple le cas dans le spectacle Carte noire nommée désir de 2021.

Le cannibalisme dans les travaux de Chaillon fait davantage référence au mythe qui lui est associé qu’aux pratiques culturelles impliquant l’ingestion de chair humaine, telles que décrites dans certains travaux d’anthropologie. L'origine du terme cannibale remonte à l'arrivée de Christophe Colomb dans les îles des Caraïbes. Le navigateur a entendu parler des Cariba ou Caniba, peuples locaux pratiquant l'anthropophagie. Le terme, « placé au cœur d’une véritable constellation sémantique11 », résonne phonétiquement avec la racine latine canis et construit un lien, plus ou moins conscient, avec les monstrueux cynocéphales, des hommes à tête de chien décrits par Pline, Saint-Augustin et Isidore de Séville12. Dès sa naissance, le cannibalisme est donc associé à la bestialité et à la monstruosité. Cet imaginaire s'est perpétué à travers les œuvres littéraires, les films, la publicité, les bandes dessinées, voire les émissions pour enfants. Le cannibalisme y est souvent associé à une autre culture, à des personnes non-blanches qui sont la plupart du temps présentées à moitié nues, portant pagnes et plumes, dans un cadre de nature exubérante avec un chaudron ou un barbecue à disposition. Roland Barthes a identifié ce mythe dans son ouvrage Mythologies, notamment dans le chapitre intitulé « Bichon chez les nègres », où il évoque les « nègres cannibales menaçant de manger le petit Bichon13 ». Zenkine explique que, pour Barthes, le mythe est un mécanisme sémiotique visant à « faire passer en contrebande14 » des idées générales. Ainsi, comme le souligne Sophie Dulucq, le mythe cannibale a historiquement contribué à animaliser et à établir une hiérarchie entre les peuples :

Ces discours et ces représentations s’insèrent dans un entrelacs de notations dépréciatives qui achèvent de renvoyer les populations non-européennes, et singulièrement africaines, dans le camp de la sauvagerie, de l’instinct, de la bestialité et de la non-civilisation. Depuis longtemps, en effet, l’anthropophagie a été un marqueur d’inhumanité15.

Cet outil de domination a nourri et s’est nourri du développement d’un racisme politique à l’encontre des populations racisées dès les premiers temps de la colonisation du continent américain16. Cette « construction intellectuelle de l’infériorité naturelle des Noirs17 » a constitué un « changement préjudiciable18 » pour ces populations, qui perdure dans les sociétés actuelles. Johann Michel, dans son ouvrage Le Réparable et l’Irréparable, évoque le caractère irréparable (qui ne peut pas être réparé), voire « a-réparable19 » (qui ne doit pas être réparé), de ces « plaies historiques du passé20 ». Selon lui, la distance temporelle et l’incommensurabilité de l’esclavage sont de « redoutables obstacles21 » à un éventuel processus de réparation historique. L’impossibilité de revenir en arrière implique de chercher à soigner « les blessures du passé qui se ressentent toujours au présent22 ». Or la spécificité des discours stigmatisants, par exemple du mythe cannibale, réside dans le fait que, plusieurs siècles après leur construction, ils continuent à déchirer la société. À l’image d’un outil tranchant qui empêcherait une plaie de cicatriser, l’association des personnes racisées avec le sauvage, le primitif continue à nourrir un ensemble de comportements discriminatoires à leur encontre. En choisissant de prendre à bras le corps cet encombrant héritage, de le faire sien et de le mettre en scène, Rébecca Chaillon propose un cheminement qui met en lumière la persistance de ces préjugés, ouvre la voie à la construction d’un regard décolonial et pourrait conduire, selon Judith Butler, à une forme de neutralisation de ces discours stigmatisants.

S’approprier le mythe cannibale pour mieux le déconstruire

Même s’il s’agit d’une constante dans l’ensemble de son travail, l’appropriation du mythe cannibale est plus flagrante dans certaines créations de Rébecca Chaillon. Dans la performance Sa bouche ne connaît pas de dimanche de 2019, réalisée en collaboration avec Pierre Guillois, les deux artistes travaillent en co-écriture à partir de leur genèse intime. Sur scène, Chaillon incarne une bouchère, semi-nue, portant un tablier métallique (Fig. 1). L’artiste joue avec le cliché cannibale en consommant de la viande crue à pleine bouche. Dans deux autres créations plus anciennes, Cannibale‑laisse moi t’aimer et Monstres d’amour, de 2015, elle se met en scène, les seins nus et vêtue d’une simple jupe, dévorant là encore de la viande crue sur le corps nu, mince et blanc de sa partenaire de scène, Élisa Monteil. Elle commence par placer des morceaux de viande sur le corps d’Élisa avant d’y verser du vin rouge, à la manière d’une cérémonie rituelle. Après avoir récité un texte parlant d’elle-même comme étant grosse, petite, fragile et décrivant le corps de sa victime et amante comme étant admiré et désiré, elle se jette sur le corps d’Élisa et, à quatre pattes, commence à manger la viande, presque sans utiliser ses mains. Élisa, le corps métaphoriquement dévoré, récite un texte parlant de son désir d’être consommée, mangée.

Figure 1

Figure 1

Rébecca Chaillon dans le spectacle Sa Bouche ne connaît pas de dimanche, 2019.
Photo Christophe Raynaud de Lage.

La scène questionne, dans le même mouvement, la normalité et l’anormalité des corps. D’un côté, Chaillon incarne la cannibale avec son corps hors norme et de l’autre, Élisa met en lumière la réification du corps féminin blanc et mince, bon à être consommé. En mangeant, léchant, avalant les morceaux de foie, de cerveau et de saucisse disposés sur le corps d’Élisa, à grands renforts de bruits de déglutition, Chaillon active les représentations associées au mythe cannibale. La position de Chaillon, à quatre pattes sur le corps d’Élisa, comme le fait de manger directement avec la bouche, font référence à l’animalité supposée des cannibales. Sa performance résonne parfaitement avec la description d’une scène de bataille entre tribus cannibales, fantasmée par Jules Verne, en 1863, dans son livre Cinq semaines en ballon :

Mais il ne partit pas si vite qu’il ne pût voir la tribu victorieuse, se précipitant sur les morts et les blessés, se disputer cette chair encore chaude, et s’en repaître avidement. [...] les hurlements de cette horde en délire le poursuivirent pendant quelques instants ; mais enfin, ramené vers le sud, il s’éloigna de cette scène de carnage et de cannibalisme23.

Le caractère cru de la viande ingérée par l’artiste participe de cette appropriation du mythe cannibale. En effet, Claude Lévi-Strauss a bien montré dans son ouvrage Mythologiques. Le cru et le cuit que le cru est associé dans les mythes à l’absence de civilisation, à l’état de nature24. Dévorer de la viande crue relève donc du sauvage, du non-civilisé. Mondher Kilani explique :

Pour revenir au triangle culinaire cannibale, on peut considérer que les deux pôles du cru et du cuit (subsidiairement le pourri) dessinent un espace de transformation de la nature à la culture dans lequel l’humanité déploie ses différentes formes d’expression. Dans cette configuration, le cru, ou une certaine définition du cru, serait le signe de la cruauté, de la dévoration solitaire et déréglée, le signe de l’absence de civilité25.

Pour sa démonstration, Kilani mobilise aussi des expressions courantes telles que « parler crûment », « ne pas mâcher ses mots », d’autres signes de « cruauté ». Pourtant, les exemples de consommation rituelle de chair humaine impliquent majoritairement une cuisson préalable. En choisissant de représenter le cliché, plutôt que la réalité, en se glissant dans la peau de la sauvage mythifiée, Chaillon désarme l’insulte, comme l’a bien expliqué Judith Butler :

Reprendre le nom que l’on vous donne, ce n’est pas se soumettre à une autorité préexistante, car le nom est ainsi déjà arraché au contexte qu’il avait auparavant, et prend place dans un travail de définition de soi. Le mot injurieux devient un instrument de résistance au sein d’un redéploiement que détruit le territoire dans lequel il opérait auparavant26.

La sexualité sans pudeur dans le travail de Chaillon relève aussi de ce caractère prétendument bestial du cannibalisme. Dans Monstres d’amour et Cannibale : laisse-moi t’aimer, la metteuse en scène s’approche d’une forme de pornographie dans l’espace public. La dévoration d’Élisa Monteil, la manière dont Chaillon la chevauche, et les soliloques des actrices font clairement référence à un acte sexuel. Ici, l’artiste s’approprie les discours dégradants entourant la sexualité des personnes noires. Dans l’imaginaire collectif, le corps noir est perçu comme un corps naturellement plus soumis aux pulsions sexuelles. En mettant en scène un cannibalisme exagéré, Chaillon dévoile et déconstruit ce que Sylvie Chalaye et Pénélope Dechaufour définissent comme « l'éroticolonie27 ».

Chaillon joue aussi sur l’association de son corps avec celui de Saartjie Baartman28, plus connue à travers son personnage de Vénus hottentote. Originaire du peuple Khoïkhoïs d’Afrique australe, cette jeune femme a été présentée, au début du xixe siècle, lors de spectacles de monstres sous les traits d’une dangereuse cannibale, enfermée dans une cage, tenue en laisse. En même temps, son corps à moitié nu, ses seins et fesses mis en valeur, étaient exploités, exotisés et érotisés à travers l'indissociation de son corps avec celui de son personnage29. Au début du spectacle Carte noire nommée désir, Sylvie Chalaye note que Rébecca Chaillon renforce cette association en apparaissant nue avec une cigarette à la bouche, une référence à l’habitude qu’avait Saartjie Baartman de fumer la pipe30. Mais contrairement à l’actrice du xixe siècle, qui ne contrôlait pas totalement son image, Chaillon choisit ce qu’elle montre et la manière dont elle le montre. Alors que Saartjie apparaissait au bout d’une chaîne tenue par un homme blanc, la performeuse est libre de ces mouvements, sans entrave. Elle s'oppose alors à la représentation plus courante du·de la cannibale. Que ce soit dans le récit de Jules Verne, dans les zoos humains ou dans les bandes dessinées pour enfants, les personnages Blancs sont soit séparés des sauvages cannibales par une barrière ou un moyen technologique (avion, ballon), soit sauvés par leur astuce, ceux-ci et celles-ci étant capables dans la plupart des histoires d’échapper à la marmite en se jouant de leurs ravisseur·euse·s. Dans les performances de Chaillon, aucun artifice ne permet de contrôler cette menace cannibale. Plus encore, le corps blanc y apparaît passif, sans réaction, là où il se démarque normalement par son caractère actif. Dans les scènes de dévoration avec Élisa Monteil, l’acte sexuel devient une consommation agressive de l’Autre et brise l’hétéronormativité. En associant cannibalisme et sexe, l’artiste parvient à désarmer le regard concupiscent du public31 et contrecarre la mécanique de réification du corps féminin noir.

En prêtant son corps au mythe cannibale, qui domine le corps blanc, l’avale et le consomme, Rébecca Chaillon trouve dans la puissance du mythe, dans l’appropriation de ce passé, un outil qui la rend à la fois forte et menaçante. L'incarnation de ce stéréotype contribue aussi à rouvrir la plaie mal-cicatrisée de ces discours dégradants. Elle récuse de ce fait un processus de réparation qui viserait à faire disparaître les stigmates d'un passé encombrant. Au contraire, elle les expose pour contester la norme imposée par les colonisateur·rice·s blanc·he·s. Une démarche d'a-réparation, que Johann Michel définit comme « une neutralisation de l’injonction à la réparation au nom d’une reconnaissance positive de l’anomalité32 ». En jouant à la cannibale, l'artiste admet ce mythe comme une composante de son identité qui, bien que construite par le regard occidental, ne la rend pas inférieure mais juste différente.

Le·la cannibale, un objet de consommation

Dans le spectacle Carte noire nommée désir, Rébecca Chaillon invite huit artistes racisées venant de différents univers artistiques, à prendre la parole. Les récits personnels, les discours qui stigmatisent leurs corps sont sollicités dans ce travail. Une ligne émancipatrice déjà empruntée par Amandine Gay dans le documentaire Ouvrir la voix33 en 2017. Chaillon, influencée par le concept de biomythographie34, propose une démarche scénique qui fusionne des expériences intimes avec des épisodes historiques. Cette exposition du privé permet de faire émerger la persistance de l’association entre le corps noir et le mythe cannibale. La performance devient un acte social et politique. Dans son article « La performance comme force de combat dans le féminisme », Anne-Julie Ausina analyse la démarche de quelques artistes féministes.

Le point de vue des artistes féministes [...] est structuré par le choix de parler en leur nom, ce qui façonne ainsi une œuvre sociale et politique où le « je » devient un « nous », de manière à consciencieusement diriger le spectateur ou la spectatrice, sans prendre la parole de quiconque. Ce faisant, ces artistes féministes, selon Preciado (2008), « soignent » d’une certaine manière les préjudices moraux qu’une société peut générer, en faisant de la performance un espace de liberté, entre expression cathartique et réécriture du présent35.

La parole réparatrice est au cœur du processus. Serge Escots en identifie trois formes qui se conjuguent dans les spectacles de Chaillon : « La parole peut “réparer” soi par le réaménagement de l’organisation psychique. La parole peut “réparer” la relation par la modification des modalités d’être ensemble. La parole peut “réparer” les liens par la transformation de l’objet psychique que l’autre constitue en soi36 ». En s’exprimant sur scène et par la scène, les artistes de Carte noire parviennent à donner corps à leurs ressentis de femmes racisées, mais aussi à participer à une tentative de réparation d’une société divisée par le racisme à travers une déconstruction des représentations associées à l’Autre.

Pour Chaillon, cette déconstruction passe notamment par un retournement du préjugé cannibale, particulièrement à l’œuvre dans le spectacle Carte noire. Au début d’une scène, Fatou Siby est debout, les bras ballants et les jambes entrouvertes. Des pics pointent devant et derrière son buste. Une autre artiste fait sortir plusieurs poupées d’entre les jambes de Fatou Siby, comme un acte d'accouchement, et les met sur le pic saillant de son corps. D’autres artistes se déplacent sur scène avec des poupées dans les bras. Une d’elles avance vers un micro et prend la parole.

Méloée a six mois, et c’est vrai que depuis sa naissance j’ai un petit peu fait un baby blues. Voilà, je me trouvais grosse et moche et puis je voulais reprendre le travail parce que je suis une femme autoentrepreneuse. Mais heureusement, Fatou s'occupe de tout. Merci Fatou ! 37

Elle marche ensuite vers Fatou Siby pour empaler la poupée sur le pic pointant devant elle. En même temps, une autre artiste prend la parole :

Fatou elle est extraordinaire. Elle n'est jamais fatiguée. Elle fait vraiment beaucoup de choses. À tout moment elle me dépanne. C’est incroyable. Je ne sais pas comme elle fait. Mais vraiment je l'admire beaucoup. Elle travaille très dur38.

Celle-ci vient à son tour planter la poupée sur le pic porté par Fatou Siby, et ainsi de suite. Cette scène fait se croiser les questions sociales et raciales. En se glissant dans la peau stéréotypée des femmes actives, indépendantes, qui sous-traitent encore leurs préoccupations maternelles à des femmes très souvent racisées39, les autres artistes adoptent les codes linguistiques de la classe sociale dominante, majoritairement blanche. Le corps de Fatou Siby, lui, est toujours passif durant la scène. Ce sont les paroles et les actions des autres qui construisent son identité. Un corps apte à procréer, duquel une multitude de poupées est retirée ; une personne toujours à disposition : « Mais heureusement, Fatou s'occupe de tout » ; un corps qui est fait pour le travail : « Fatou elle est extraordinaire, elle est jamais fatiguée ». Cependant ce corps très utile ne l’est que s’il est contrôlé comme le montre la réplique qui conclut la scène :

[...] C’est vrai qu’avec Fatou, j’ai hyper confiance, mais c’est vrai que ma mère m’a toujours dit que la confiance n'exclut pas le contrôle. LA CONFIANCE N’EXCLUT PAS LE CONTRÔLE40.

La bienveillance de façade des discours contribue dans les faits à une forme de contrôle et d’instrumentalisation des personnes racisées. Celles-ci ne sont acceptables que lorsqu'elles sont au service des autres.

Une photo de cette scène où l’on voit Fatou Siby portant une broche de poupées (Fig. 2) a largement circulé sur internet. Face à cette concrétisation symbolique du mythe cannibale, certain·e·s ont dénoncé un « racisme anti-blancs41 ». Pourtant, remise dans son contexte, cette image parodique n’est que le dernier élément d’une scène qui vise à faire apparaître et à déconstruire tout un ensemble de discours produits pour dominer le corps noir. En effet, si l’image renvoie l’impression d’une dangereuse cannibale, l’ensemble de la scène témoigne plutôt de l’oppression des femmes noires surreprésentées dans les métiers du care. Car, comme le remarque Bérénice Hamidi : « C’est quand même avant tout Fatou qui est empalée42 ».

Figure 2

Figure 2

Fatou Siby dans le spectacle Carte noire nommée désir, 2021.
Photo Christophe Raynaud de Lage.

Les artistes de Carte noire nommée désir développent aussi cette idée de consommation des corps féminins noirs en mobilisant et en revisitant les discours publicitaires. Ce désir de consommation de l’Autre a été notamment mis en lumière par bell hooks : « Dans la culture matérialiste, l'ethnicité devient une épice, un assaisonnement qui peut relever le plat terne qu'est la culture blanche dominante43 ». Ainsi, certaines publicités ont joué et jouent encore sur le rapport entre consommation alimentaire et sexuelle. Une scène du spectacle Carte noire joue sur ces références publicitaires présentant les corps féminins racisés comme consommables. Tournant sur elle-même dans une posture figée, l’artiste Aurore Déon (dans une des versions du spectacle) avec sa poitrine nue, vêtue d'une jupe et d’un turban sur la tête, reprend a capella la célèbre chanson de la publicité de la marque de café Carte noire Try to remember. Pendant sa danse, d’autres artistes viennent verser sur son torse nu des tasses contenant un liquide sombre évoquant le café, avant de le saupoudrer de paillettes dorées. Le résultat rappelle les scènes finales des publicités Carte noire des années 90 qui se terminaient toutes par une femme vêtue d’une robe noire tournant dans les bras d’un homme jusqu’à ce que la robe envahisse l’écran pour former une tasse de café.

La scène questionne la longue tradition d’association publicitaire entre les corps racisés et les produits exotiques44, de la célèbre Aunt Jemima, et son équivalent masculin Uncle Ben's, au tirailleur sénégalais de la publicité Banania. Ces corps sont associés aux produits exotiques mais aussi à la couleur du produit, comme par exemple le café et le chocolat. Dans ces cas, comme l’explique Vanina Géré : « Le corps racisé est visé à être consommé, tout en fonctionnant comme repoussoir. Il doit être évacué, mais toujours présent dans l’imagination45 ». Dans le spectacle, cette dialectique d’une consommation-repoussoir est mise en lumière lors d’une scène de banquet gastronomique, Chaillon y montre la consommation des corps racisés et s’amuse à en déconstruire les enjeux notamment en y invitant des références scatophiles :

[Un] banquet gastronomique qui tourne à la pantalonnade ubuesque et grinçante, les plats servis ont tout de la consistance du caca et tous les dialogues ramènent à des jeux de mots sur les excréments jusqu’à ce que toutes les convives se barbouillent frénétiquement le visage et le corps46.

Le détournement de cette association entre nourriture et corps racisés est utilisé par plusieurs artistes qui abordent la question raciale. Kara Walker utilise, par exemple, différentes formes de sucres pour réaliser son œuvre monumentale A Subtlety or the Marvelous Sugar Baby en 2014. Elle utilise la mélasse, un sous-produit du processus de production du sucre, pour réaliser treize sculptures inspirées des bibelots Americana. Le sucre raffiné, lui, est utilisé pour construire une grande sphinge anthropomorphe, qui s’en trouve blanchie, métaphoriquement plus raffinée et domestiquée, plus apte à être consommée par la classe dominante blanche. Le corps servile se trouve ainsi « lactifié47 », pour reprendre le terme développé par Fanon qui fait référence à un désir, selon lui névrotique, qu’ont certaines personnes racisées de devenir blanches.

Dans Carte noire, Chaillon se présente littéralement aveuglée par cette blancheur. Au début de la première scène, elle porte des lentilles oculaires blanches, est vêtue de blanc et sa peau est couverte d’une couche blanche. Cette image de blanchiment résonne avec la sphinge de Kara Walker, mais aussi avec l’œuvre de l'artiste afro-américain Michael Ray Charles intitulée (Forever free) To be or not to be datant de 1997. Dans cette caricature, le personnage se peint entièrement en blanc, utilisant une laque ornée de symboles de dollar. Le pot de peinture, nommé de manière suggestive “the color of $”, suggère que la valeur du personnage est accrue grâce à cette couleur de peau, mais sa tête reste emprisonnée dans une cage à oiseaux, montrant l’illusion de liberté à laquelle pense accéder le personnage. En introduisant dans le titre l'expression shakespearienne to be or not to be, l'artiste questionne ce désir de « lactification48 », soulignant une fausse métamorphose vers la civilisation.

Blanchie jusqu'à l’œil, Chaillon continue la scène en se mettant à quatre pattes pour nettoyer le sol avec de la javel, son corps semble alors blanchi par son travail. Cette scène révèle la domination des corps racisés qui, sous couvert des discours progressistes et civilisationnels de la colonisation, ont été utilisés comme outils de travail. Cependant, dans Carte Noire le processus s’inverse. Au terme de sa session de ménage, qui la voit se déshabiller jusqu’à nettoyer le sol avec son propre corps, Chaillon s’assoit finalement sur une chaise et est lavée par une autre artiste jusqu’à ce que sa peau retrouve sa propre couleur. Une manière de clamer une « négritude49 » assumée et complexe et d'ingérer cet héritage colonial, qui la renvoie sans cesse à sa sauvagerie cannibale, pour le digérer et le transformer. Elle récuse une nouvelle fois l'injonction, contenue dans le mythe cannibale, d'une normalisation des corps noirs qui devraient adopter les codes blancs dits civilisés. Elle exprime avec force l'idée que le corps noir n'a pas besoin d'être réparé, pas besoin d'être blanchi.

En exposant l’actuelle exploitation des corps noirs, notamment dans les métiers du care, Chaillon et les artistes de Carte noire rappellent qu’à l’époque de la traite atlantique et de la colonisation, le·la cannibale n’a jamais vraiment été le·la sauvage semi-nu·e mais bien le·la marchand·e d’esclaves, le·la maître·sse de plantation, le·la colon·e et, au final, le·la consommateur·rice occidental·e qui se sont nourri·e·s des corps noirs exploités50. De dévorateur, le corps noir devient symboliquement dévoré. Il ne s’agit plus alors de s’approprier l’offense pour la désarmer, mais de remettre en cause la construction même de ce discours stigmatisant. Si les faits historiques ne peuvent être réparés, le regard que les sociétés contemporaines portent sur ces événements peut évoluer. En retournant le mythe cannibale, Chaillon invite à une décolonisation de la pensée, ce que Pénélope Dechaufour définit comme un nettoyage de « nos esprits de tout un tas d’idées reçues, préconçues, si profondément ancrées dans nos systèmes de représentations qu’elles imprègnent – même inconsciemment – nos imaginaires51 ».

Public cannibale – public cannibalisé

En choisissant d’auto-exotiser son corps, Chaillon crée une sorte de piège pour le public qui se trouve simultanément séduit par la concrétisation de ses propres idées reçues et choqué par la violence de cette adjonction entre le corps de l’artiste et du·de la cannibale. Chaillon attire l’attention particulièrement sur le rôle de ce public en tant qu'acteur voyant. Aussi bien dans les zoos humains que dans les freak shows, le public constitue le troisième élément permettant que l’image du·de la cannibale existe. Comme l'explique Clélia Barbut :

Dans le processus que Rebecca Chaillon décrit et invite à penser, la matérialité du corps, ses caractéristiques organiques et physiques – comme le poids ou la couleur de la peau – sont construites par les regards extérieurs, ceux du public. C’est le regard et, suivant le terme qu’elle emploie [...], le « désir » du public qui produisent ces aspects de sa corporéité, indépendamment de sa volonté. Dans le phénomène qu’elle décrit, les caractéristiques physiques matérielles de son corps sont le produit non pas de sa propre conception ou intention, mais d’un processus qui lui préexiste et la dépasse. D’une certaine façon et si l’on reprend les termes de Judith Butler, le corps de Rebecca Chaillon a été « matérialisé » par le public52.

Les artistes racisées de Carte noire n'incarnent pas la cannibale simplement en se mettant en scène, c’est le regard du public qui les aident à devenir des cannibales. C’est à travers l’héritage colonial et l’association des corps racisés au mythe que Chaillon parvient esthétiquement à expliciter ce mythe et la relation de celui-ci avec son propre corps ou celui des autres artistes. On retrouve cette même idée dans un autre travail de Kara Walker. Dans sa gravure Vanishing Act de 1997, l’artiste représente deux personnages sur une scène : un personnage noir, à genou, portant un turban, avale, la bouche grande ouverte, une petite fille blanche qui ne réagit pas. Le public apparaît dans l'œuvre au premier plan avec la tête des personnes qui assistent à la scène cannibale. Dans la performance de Chaillon, les spectateur·rice·s sont directement présent·e·s. Ces artistes mettent en lumière que, dès son origine, le·la cannibale est conçu·e pour être vu·e et consommé·e par le public dans un basculement des lectures53. Ces œuvres révèlent la dissociation de l’image de l’artiste avec l’image du mythe et démontrent que les zoos humains ne constituent qu’un spectacle des corps racisés consommés par un regard affamé d’exotisme.

L’artiste utilise une stratégie d'appropriation et de mise en lumière de ce regard qui l’aide à donner corps au mythe cannibale. Elle nous explique métaphoriquement sa démarche artistique : « Ça m’arrive souvent d’imaginer que je suis un tunnel. Pas seulement parce que j’ingère, mais un tunnel entre moi et le public, et que ce que je fais leur permet d’accéder… Je suis faite pour être traversée54 ». Ainsi pour Clélia Barbut, lorsque Rébecca Chaillon dévore sur scène :

Il y a un changement d’échelle, car ce n’est pas la nourriture ou l’amant·e, mais le public que son corps tend en réalité à ingérer. La performance est un dispositif qui permet que l’on passe à travers elle, la succion et la déglutition sont employées comme des techniques scéniques pour susciter cette traversée des spectateur·rices55.

C’est un autre aspect cannibale : la consommation de son propre public. En l’avalant, elle se l’approprie et l’inclut dans son spectacle. Dans Carte noire nommée désir, Chaillon va plus loin. Au début du spectacle, elle invite les personnes racisées à s’installer face aux gradins, sur des canapés dans un « carré VIP » de l’autre côté de la scène.

En séparant ainsi les spectateurs en fonction de leur couleur de peau et de leur genre, en assignant à sa place le public « blanc », bien obligé de constater sa troublante homogénéité, en inversant les termes de la discrimination, Rébecca Chaillon n’en est qu’à son premier coup d’éclat56.

Le public se scinde alors en deux. D’un côté, les personnes racisées qui vont vivre le spectacle comme une catharsis : « [Le] traitement d’un (être humain) oppressé, (traitement) qui ne cherche pas à transformer (ou à refouler) l’élément qui oppresse, mais (qui) veut (au contraire) exciter cet élément et le mettre en avant par poussées pour provoquer par là le soulagement de l’oppressé57 ». En face dans les gradins, l’autre partie du public, majoritairement blanc, affronte la réaction virulente d’artistes lassées de subir continuellement la violence d’un racisme récurrent. De part et d'autre de la scène, les deux publics s’observent mutuellement. Cela vient troubler la cohésion de la communauté des spectateur·rice·s telle que définie par Broth : « Il semble qu’il soit crucial, pour se définir continuellement comme un membre du public, qu’un spectateur interprète “correctement”, c’est-à-dire de la même manière que tous les autres, ce qui se passe sur la scène et dans le public58. » Dans le cas de Carte Noire, il n’y a plus d’homogénéité de la réaction. Ceux et celles « d’en face » ne font plus tout à fait partie du public et deviennent des acteur·rice·s du spectacle. Leurs réactions souvent divergentes, silences gênés d’un côté, rires libérateurs de l’autre, génèrent des questionnements fructueux. Non seulement, chacun·e est invité·e à réfléchir au ressenti de l’Autre mais aussi à s’interroger sur l’homogénéité des comportements de sa propre catégorie de public. Ce jeu de miroirs pousse ainsi à questionner ses propres perceptions par rapport aux mises en scène, à se mettre à la place de l’Autre et permet d’envisager un éventuel raccommodage de ce tissu social déchiré par le poids colonial. Une réparation qui ne cherche pas à effacer les traces du passé mais qui passe à l'inverse par leur exposition, par une volonté de les faire exister et le refus d'une démarche réparatrice qui conduirait à une forme d'atténuation ou d'oubli des violences subies.

Conclusion

Dans la démarche de Chaillon, l'incarnation du mythe cannibale n’est plus un préjugé subi mais devient un choix stratégique pour déconstruire et interroger les réminiscences contemporaines de ce mythe. En ingérant métaphoriquement le public dans ces créations, elle révèle les regards exotisants portés sur les personnes noires. De ce fait, la violence infligée par le regard ou le jugement des autres se transforme à travers ses créations performatives en un acte émancipateur et réparateur. En questionnant le mythe cannibale, l’artiste s’extrait de sa position de victime tout en renvoyant la violence subie en direction du public. En incarnant la cannibale, Chaillon réinterprète un mythe qui contribue à la perpétuation d’une domination coloniale sur son propre corps, mais l’ambivalence de sa création et son caractère interprétatif constituent un outil de questionnement du mythe lui-même59. Chaillon crée ce qu’Anne Creissels décrit comme un acte de « résistance poétique60 ». Comme les artistes-femmes étudiées par Creissels, Chaillon parvient à prendre position avec son propre corps et à redéfinir ses propres limites. Cet acte créatif entraîne une décolonisation de la pensée et du regard, transcende les conditions de soumission d’autrefois et permet de se libérer de la domination culturelle et épistémique de l’ancien colonisateur61.

De nombreuses artistes racisées comme l’États-unienne Kara Walker, la Sud-africaine Tracey Rose, la Brésilienne Rosana Paulino ou encore la Française Latifa Laâbissi utilisent comme matière première les représentations péjoratives dont elles sont l’objet. Pour Pénélope Dechaufour, c’est l’essence même d’une démarche décoloniale :

Il s’agit de ne pas réactualiser des faits historiques vecteurs d’aliénation mais de se tourner davantage vers une esthétique – toute plurielle soit-elle – de la « réappropriation », et c’est ce qui explique aussi les fascinants maillages intertextuels que proposent ces écritures. Par diverses superpositions – surimpressions – les artistes donnent à voir un autre point de vue sur le récit historique en prenant pour matériau premier des images ou des objets patrimoniaux qui furent au cœur des représentations d’un Occident tout puissant62.

Cette appropriation d’un passé irréparable, voire « a-réparable63 », permet de participer à une forme de réparation du présent. Ces artistes retrouvent leur parole et leur visibilité en créant des dispositifs qui leur permettent de déplacer les stéréotypes, qui collent jusqu'à aujourd'hui à leur peau, et ouvrent des possibilités de prise en main de leurs identités multiples et complexes.

Bibliography

Marie-Laure Allain Bonilla, « Processus décoloniaux dans l’art : institutions et savoirs », Critique d’art, n° 52, 2019, p. 58-70. DOI : https://doi.org/10.4000/critiquedart.46179 [consulté le 31 octobre 2024].

Renata Andrade, « O mito canibal na obra de Rébecca Chaillon : um monstro decolonial », Anais da 61a Jornada da Associação brasileira de críticos de arte, Resistências poéticas, arte, crítica et direitos humanos, Brasilia, edição ABCA, 2020.

Anne-Julie Ausina, « La performance comme force de combat dans le féminisme », Recherches féministes, vol. 27, n° 2, 2014, p. 81-96. DOI : https://doi.org/10.7202/1027919ar [consulté le 31 octobre 2024].

Clélia Barbut, Performance Matters, 2023. URL : https://performancesources.com/analyses-et-critiques/performance-matters [consulté le 31 octobre 2024].

Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1957.

Mélissa Bertrand, « Usages “anti-cosmétiques” de la nourriture dans les performances de Karen Finley, Rébecca Chaillon et Nadège Grebmeier Forget », Les chantiers de la création, n° 16, 2023. DOI : https://doi.org/10.4000/lcc.6493 [consulté le 31 octobre 2024].

Pascal Blanchard, Gilles Boetsch et Nanette Snoep (dir.) Exhibitions. L’invention du sauvage, Arles, Actes Sud, 2011.

Mathias Broth, Agents secrets. Le public dans la construction interactive de la représentation théâtrale, Uppsala, Acta Universitatis Upsaliensis, 2002.

Judith Butler, Le Pouvoir des mots. Politique du performatif, Paris, Éditions Amsterdam, 2017, trad. par Charlotte Nordmann.

Judith Butler, Ces Corps qui comptent, Paris, Éditions Amsterdam, 2009, trad. par Charlotte Nordmann.

Aimé Césaire, « Nègreries : conscience raciale et révolution sociale », L’Étudiant noir : Journal Mensuel de l’Association des Étudiants Martiniquais en France, n° 3, mai-juin 1935.

Rébecca Chaillon, « En digestion », dans Décolonisons les arts !, Leïla Cukierman, Gerty Danbury et Françoise Vergès (dir.), Paris, L'Arche, 2018.

Sylvie Chalaye, « Carte noire nommée désir, de Rébecca Chaillon au 77e Festival d’Avignon. Une secousse théâtrale pour décoller la pulpe raciste du fond », Africultures, 10 août 2023. URL : https://africultures.com/carte-noire-nommee-desir-de-rebecca-chaillon-au-77e-festival-davignon-15788/ [consulté le 30 octobre 2024].

Sylvie Chalaye, « L’invention théâtrale de la “Vénus noire” : de Saartjie Baartman à Joséphine Baker », dans L’altérité en spectacle : 1789-1918, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.

Sylvie Chalaye et Pénélope Dechaufour, « Nudité et performance décoloniale : quand la sur‑exhibition du corps racisé fait voler en éclats l’éroticolonie », Corps, vol. 19, n° 1, 2021, p. 261-271.

CNCDH. La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, année 2019, Paris, La documentation française, 2020

Anne Creissels, Prêter son corps au mythe, Paris, Félin, 2009.

Fabienne Darge, « Rébecca Chaillon dans l’inconscient colonial », Le Monde, 25 juillet 2023, p. 14.

Pénélope Dechaufour, « L’Arche décoloniale ? », dans L’Arche Éditeur, Florence Baillet et Nicole Colin (dir.), Aix en Provence, Presses universitaires de Provence, 2021.

Sophie Dulucq, « L’imaginaire du cannibalisme : anthropophagie, alimentation et colonisation en France à la fin du xixe siècle », dans Histoire de l’alimentation humaine : entre choix et contraintes, actes du 138e congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Sandrine Costamagno (dir.), Paris, Éditions du CTHS, 2014.

Enrique Dussel, « Europa, modernidad y eurocentrismo », dans La Colonialidada del saber. Eurocentrismo y ciencias sociales. Perspectivas latinoamericanas, Edgardo Lander (dir.), Caracas, CLACSO, 2000, p. 221-244.

Serge Escots, « De la parole réparatrice, à la parole transformatrice », Rencontres nationales UFNAFAAM, 20 et 21 octobre 2007. URL : https://www.i-ac.fr/wp-content/uploads/2019/04/Intervention-De-la-parole-reparatrice-a-la-parole-transformatrice-UFNAFAAM-Egletons-10-2007.pdf [consulté le 30 octobre 2024].

Frantz Fanon, Peau noire et masques blancs, Paris, Seuil, 1952.

Catherine Gallouët, « Topique du cannibalisme et ensauvagement de l’Africain dans les discours européens », Topiques, études satoriennes / Topoï Studies, Journal of the SATOR, vol.  5, 2021, p. 51-76. DOI : https://doi.org/10.7202/1081523ar [consulté le 31 octobre 2024].

Amandine Gay (réalisatrice), Ouvrir la voix, Bras de fer production, 2017.

Vanina Géré, Les Mauvais Sentiments : l’art de Kara Walker, Dijon, Les Presses du réel, 2019.

Bérénice Hamidi, « Faire fondre les images gelées – sur Carte Noire nommée désir de Rébecca Chaillon », dans Analyse Opinion Critique, 1er décembre 2023. URL : https://aoc.media/critique/2023/11/30/faire-fondre-les-images-gelees-sur-carte-noire-nommee-desir-de-rebecca-chaillon/ [consulté le 30 octobre 2024].

bell hooks, « Eating the other: Desire and resistance », dans Black Looks: Race and Representation, Boston, South End Press, 1992.

Mondher Kilani, Du goût de l’autre : fragments d’un discours cannibale, Paris, Seuil, 2018.

Frank Lestringant, Le Cannibale. Grandeur et décadence, Paris, Perrin, 1994.

Claude Lévi-Strauss. Mythologiques. Le cru et le cuit, Paris, Plon (1964) 2014.

Johann Michel, Le Réparable et l’irréparable. L’humain au temps du vulnérable, Paris, Hermann, 2021.

Laura Mulvey, « Visual pleasure and narrative cinema », Screen, vol. 16, n° 1, 1975, p. 6‑18.

Fabienne Pascaud, « Avignon 2023 : non, l’image d’une nounou noire avec des bébés blancs embrochés n’est pas scandaleuse », Télérama, 27 juillet 2023. URL : https://www.telerama.fr/theatre-spectacles/avignon-2023-non-l-image-d-une-nounou-noire-avec-des-bebes-blancs-embroches-n-est-pas-scandaleuse-7016602.php [consulté le 30 octobre 2024].

Anibal Quijano, « “Race” et colonialité du pouvoir », Mouvements, vol. 51, n° 3, 2007, p. 111‑118.

Pauline Rousseau, « Vous avez dit lesbienne, queer, au théâtre… Qu’est-ce à dire ? Étude comparée : la lesbienne invisible d’OcéaneRoseMarie et Monstres d’amour de Rébecca Chaillon », Horizons/Théâtre, n° 10-11, 2017, p. 38-56. DOI : https://doi.org/10.4000/ht.476 [consulté le 31 octobre 2024].

Jean-Frédéric Schaub, « Une naissance du racisme moderne au xve siècle », Communications, n° 107, 2020, p. 19-31.

Serge Tisseron, « La catharsis purge ou thérapie ? », Les cahiers de médiologie, vol. 1, n° 1, 1996.

Jules Verne, Cinq semaines en ballon, Québec, Bibliothèque électronique de Québec, s.d. (1863), p. 259. URL : https://beq.ebooksgratuits.com/vents/Verne-ballon.pdf [consulté le 30 octobre 2024].

Gregory Wallerick, « La représentation du Brésil et de ses habitants dans l’Europe de la fin du xvie siècle », Confins, n° 8, 2010. DOI : https://doi.org/10.4000/confins.6279 [consulté le 31 octobre 2024].

Serge Zenkine, « Les indices du mythe », dans Recherches & Travaux, n° 77, 2010, p. 21-32. DOI : https://doi.org/10.4000/recherchestravaux.418 [consulté le 31 octobre 2024].

Notes

1 Anibal Quijano, « “Race” et colonialité du pouvoir », Mouvements, vol. 51, n° 3, 2007, p. 111-118. Return to text

2 Marie-Laure Allain Bonilla, « Processus décoloniaux dans l’art : institutions et savoirs », Critique d’art, n° 52, 2019, p. 58-70. Return to text

3 Judith Butler, Le Pouvoir des mots. Politique du performatif, Paris, Éditions Amsterdam, 2017, trad. par Charlotte Nordmann. Return to text

4 Anne-Julie Ausina, « La performance comme force de combat dans le féminisme », Recherches féministes, vol. 27, n° 2, 2014, p. 81-96. Return to text

5 Anibal Quijano, op. cit. Return to text

6 Marie-Laure Allain Bonilla, op. cit. Return to text

7 Judith Butler, op. cit. Return to text

8 Anne-Julie Ausina, op. cit. Return to text

9 Rébecca Chaillon, « En digestion », dans Décolonisons les arts !, Leïla Cukierman, Gerty Danbury et Françoise Vergès (dir.), Paris, L'Arche, 2018. Return to text

10 Rébecca Chaillon citée dans Clélia Barbut, Performance Matters (en ligne), 2023, https://performancesources.com/analyses-et-critiques/performance-matters. Return to text

11 Frank Lestringant, Le Cannibale. Grandeur et décadence, Paris, Perrin, 1994, p. 48. Return to text

12 Ibid., p. 44-45. Return to text

13 Roland Barthes, « Bichon chez les nègres », dans Mythologies, Paris, Seuil, 1957. p. 64. Return to text

14 Serge Zenkine, « Les indices du mythe », dans Recherches & Travaux, n° 77, 2010, p. 28. Return to text

15 Sophie Dulucq, « L’imaginaire du cannibalisme : anthropophagie, alimentation et colonisation en France à la fin du xixe siècle », dans Histoire de l’alimentation humaine : entre choix et contraintes, Sandrine Costamagno (dir.), Paris, Éditions du CTHS, 2014, p. 269. Return to text

16 Jean-Frédéric Schaub, « Une naissance du racisme moderne au xve siècle », Communications, n° 107, 2020, p. 19-31. Return to text

17 Ibid., p. 28. Return to text

18 Johann Michel, Le Réparable et l’irréparable. L’humain au temps du vulnérable, Paris, Hermann, 2021. p. 9. Return to text

19 Ibid., p. 58. Return to text

20 Ibid., p. 343. Return to text

21 Ibid., p. 238. Return to text

22 Antoine Garapon, Peut-on réparer l’histoire ? Colonisation, esclavage, Shoah, 2008, cité par Johann Michel, op. cit.p.289. Return to text

23 Jules Verne, Cinq semaines en ballon, Québec, Bibliothèque électronique de Québec, s.d. (1863), p. 259. URL : https://beq.ebooksgratuits.com/vents/Verne-ballon.pdf [consulté le 30 octobre 2024]. Return to text

24 Claude Lévi-Strauss, Mythologiques. Le cru et le cuit, Paris, Plon, (1964) 2014, p. 152. Return to text

25 Mondher Kilani, Du goût de l’autre : fragments d’un discours cannibale, Paris, Seuil, 2018, p. 156. Return to text

26 Judith Butler, Le Pouvoir des mots. Politique du performatif, Paris, Éditions Amsterdam, 2017, trad. par Charlotte Nordmann, p. 236. Return to text

27 « Derrière l’entreprise coloniale et ses images industrieuses, il y a une face cachée faite de rêves exotiques, d'érotisation et d’appropriation sexuelle. Hérité de l’histoire coloniale, c’est ce territoire fantasmatique que la décolonisation politique n’a pas renversé, où continuent de prospérer clichés et stéréotypes racistes et qui occupe toujours la conscience collective que nous définissons comme “l’éroticolonie” » Sylvie Chalaye et Pénélope Dechaufour, « Nudité et performance décoloniale : quand la sur-exhibition du corps racisé fait voler en éclats l’éroticolonie », Corps, vol. 19, n° 1, 2021, p. 262. Return to text

28 Renata Andrade, « O mito canibal na obra de Rébecca Chaillon : um monstro decolonial », Anais da 61a Jornada da Associação brasileira de críticos de arte, Resistências poéticas, arte, crítica et direitos humanos, Brasilia, edição ABCA, 2020. Return to text

29 Sylvie Chalaye, « L’invention théâtrale de la “Vénus noire” : de Saartjie Baartman à Joséphine Baker », dans L’altérité en spectacle : 1789‑1918, Isabelle Moindrot et Nathalie Coutelet (dir.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015. Return to text

30 Sylvie Chalaye et Pénélope Dechaufour, op. cit. Return to text

31 Laura Mulvey, « Visual pleasure and narrative cinema », Screen, vol. 16, n° 1, 1975, p. 6-18. Return to text

32 Johann Michel, op. cit., p. 59. Return to text

33 Amandine Gay (réalisatrice), Ouvrir la voix, Bras de fer production, 2017. Return to text

34 La biomythographie est un processus créatif développé par la poétesse américaine Audre Lorde, fusion d’épisodes historiques et de paroles intimes. Return to text

35 Anne-Julie Ausina, « La performance comme force de combat dans le féminisme », Recherches féministes, vol. 27, n° 2, 2014, p. 93. Return to text

36 Serge Escots, « De la parole réparatrice, à la parole transformatrice », Rencontres nationales UFNAFAAM, 20 et 21 octobre 2007. URL : https://www.i-ac.fr/wp-content/uploads/2019/04/Intervention-De-la-parole-reparatrice-a-la-parole-transformatrice-UFNAFAAM-Egletons-10-2007.pdf [consulté le 30 octobre 2024]. Return to text

37 Rébecca Chaillon (mise en scène), Carte noire nommée désir, 2021. Return to text

38 Ibid. Return to text

39 CNCDH. La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, année 2019, Paris, La documentation française, 2020, p. 129. Return to text

40 Rébecca Chaillon, op. cit. Return to text

41 Fabienne Pascaud, « Avignon 2023 : non, l’image d’une nounou noire avec des bébés blancs embrochés n’est pas scandaleuse », Télérama, 27 juillet 2023. URL : https://www.telerama.fr/theatre-spectacles/avignon-2023-non-l-image-d-une-nounou-noire-avec-des-bebes-blancs-embroches-n-est-pas-scandaleuse-7016602.php [consulté le 30 octobre 2024]. Return to text

42 Bérénice Hamidi, « Faire fondre les images gelées – sur Carte Noire nommée désir de Rébecca Chaillon », dans Analyse Opinion Critique, 1er décembre 2023. URL : https://aoc.media/critique/2023/11/30/faire-fondre-les-images-gelees-sur-carte-noire-nommee-desir-de-rebecca-chaillon/ [consulté le 30 octobre 2024]. Return to text

43 bell hooks, « Eating the other: Desire and resistance », dans Black Looks: Race and Representation, Boston, South End Press, 1992. Return to text

44 Vanina Géré, Les Mauvais Sentiments : l’art de Kara Walker, Dijon, Les presses du réel, 2019, p. 359. Return to text

45 Ibid. Return to text

46 Sylvie Chalaye, « Carte noire nommée désir, de Rébecca Chaillon au 77e Festival d’Avignon. Une secousse théâtrale pour décoller la pulpe raciste du fond », Africultures, 10 août 2023. URL : https://africultures.com/carte-noire-nommee-desir-de-rebecca-chaillon-au-77e-festival-davignon-15788/ [consulté le 30 octobre 2024]. Return to text

47 Frantz Fanon, Peau noire et masques blancs, Paris, Seuil, 1952, p. 80. Return to text

48 Ibid., p. 80. Return to text

49 Aimé Césaire, « Nègreries : conscience raciale et révolution sociale », L’Étudiant noir : Journal Mensuel de l’Association des Étudiants Martiniquais en France, n° 3, mai-juin 1935, p. 1. Return to text

50 L’autrice a travaillé sur cette question de la consommation métaphorique et littérale des corps noirs dans une table de recherche voir : Renata Andrade, « Appropriation dy mythe cannibale par des artistes-femmes contemporaines : une constellation émancipatrice », Les Jaseuses, 31 août 2022. DOI : https://doi.org/10.58079/qumv [consulté le 30 octobre 2024]. Return to text

51 Pénélope Dechaufour, « L’Arche décoloniale ? », dans L’Arche Éditeur, Florence Baillet et Nicole Colin (dir.), Aix en Provence, Presses universitaires de Provence, 2021. Return to text

52 Clélia Barbut, op. cit. Return to text

53 Renata Andrade, op. cit. Return to text

54 Rebecca Chaillon citée par Clélia Barbut, op. cit. Return to text

55 Clélia Barbut, op. cit. Return to text

56 Fabienne Darge, « Rébecca Chaillon dans l’inconscient colonial », Le Monde, 25 juillet 2023, p. 14. Return to text

57 Jacob Bernays, Grundzüge der verlorenen Äbhandlung des Aristoteles über die Wirkung der Tragödie, Breslau, 1858, cité par Serge Tisseron, « La catharsis purge ou thérapie ? », Les cahiers de médiologie, vol. 1, n° 1, 1996, p. 183. Return to text

58 Mathias Broth, Agents secrets. Le public dans la construction interactive de la représentation théâtrale, Uppsala, Acta Universitatis Upsaliensis, 2002, p. 39. Return to text

59 Anne Creissels, Prêter son corps au mythe, Paris, Félin, 2009, p. 11. Return to text

60 Ibid. Return to text

61 Voir Enrique Dussel, « Europa, modernidad y eurocentrismo », dans La Colonialidada del saber. Eurocentrismo y ciencias sociales. Perspectivas latinoamericanas, Edgardo Lander (dir.), Caracas, CLACSO, 2000, p. 221-244. Return to text

62 Pénélope Dechaufour, op. cit. Return to text

63 Johann Michel, op. cit., p. 58 Return to text

Illustrations

References

Electronic reference

Renata DA SILVA ANDRADE, « Performer le mythe cannibale : la stratégie réparatrice de Rébecca Chaillon », Déméter [Online], 12 | Été | 2024, Online since 03 février 2025, connection on 18 mars 2025. URL : https://www.peren-revues.fr/demeter/1669

Author

Renata DA SILVA ANDRADE

Renata Da Silva Andrade Doctorante rattachée au laboratoire Arts des images et art contemporain (AIAC) de l’Université de Paris 8 et enseignante en arts visuels, Renata Andrade prépare une thèse en recherche-création sur l’appropriation par des artistes-femmes du mythe cannibale dans leurs œuvres à des fins émancipatrices. Artiste plasticienne, elle développe des productions artistiques en lien avec sa recherche académique. Ses travaux ont déjà été exposés au Brésil, en Argentine, en France et en Chine.

Copyright

CC-BY-NC