Réparer le monde par l’art : Mierle Laderman Ukeles et le tikkun olam

  • The repair of the world: Mierle Laderman Ukeles and the tikkun olam

DOI : 10.54563/demeter.1790

Abstracts

À la fin des années 1960, Mierle Laderman Ukeles développe le concept de maintenance art, l’« art de la maintenance », qui met en lumière le travail domestique, ainsi que les différents travaux de nettoyage urbain, notamment celui des éboueurs de la ville de New York.
Son œuvre intègre de nombreuses perspectives théologiques juives et notamment celle de tikkun olam, de « réparation du monde ». En examinant la présence de la pensée kabbalistique depuis son manifeste, mettant en avant un « art de la maintenance », il s’agit de proposer une piste de relecture de l’œuvre de Mierle Laderman Ukeles : l’art de la maintenance s’inscrit dans un projet participatif qui entend mettre sa pierre à l’édifice de réparation non seulement des environnements physiques, mais aussi les structures sociales et symboliques.

In the late 1960s, Mierle Laderman Ukeles developed the concept of maintenance art, which highlights domestic work as well as the various tasks of urban cleaning, particularly that of New York City’s garbage collectors.
Her work incorporates many Jewish theological perspectives, notably that of
tikkun olam, “repairing the world”. By examining the presence of Kabbalistic thought in his manifesto for an “art of maintenance”, the aim is to suggest a way of re-reading Mierle Laderman Ukeles’ work: the art of maintenance is part of a participatory project that aims to repair not only physical environments, but also social and symbolic structures.

Outline

Text

Introduction

En 2008, l’artiste américaine Mierle Laderman Ukeles (née en 1939) invitait les visiteurs et les visiteuses du Contemporary Jewish Museum de San Francisco à s’isoler à une table et à s’engager, par écrit, à accomplir une action concrète de tikkun (réparation, en hébreu). Au total, plus de six mille personnes ont contribué au Book of Agreement, un recueil de promesses touchantes, courageuses ou humoristiques. Tsimtsum/Shevirat Ha-Kelim: Contraction/The Shattering of the Perfect Vessels -> Birthing Tikkun Olam était une œuvre participative qui demandait aux personnes d’échanger une partie d’elles-mêmes, incarnée par ce mot, contre un fragment de miroir. Installation et performance, Birthing Tikkun Olam est une métaphore de la carrière de l’artiste, une ode à l’art comme un acte de partage, de communauté et de transformation. Comme l’écrit l’artiste à propos de ce projet : « nous avons le pouvoir [de réparer le monde] ; nous pouvons le faire, et je le crois. Je crois que nous pouvons le détruire, mais que nous avons aussi le pouvoir, comme le Créateur, de le soigner. Et de rétablir l’unité1. »

Fred Wasserman écrit, à propos de Unburning Freedom Hall (1997, Museum of Contemporary Art, Los Angeles) que le travail de Mierle Laderman Ukeles est entièrement ancré autour de : « questions éthiques juives – et, en effet, du concept de tikkun olam2 ». Le tikkun olam, qui signifie littéralement « réparation du monde », est une notion centrale dans la tradition juive. Il fait notamment référence à l’ensemble des actions destinées à guérir et améliorer le monde, tant spirituellement que socialement. Toutefois, le verbe hébreu t-k-n peut se traduire par « réparer », mais également par « établir », selon le contexte. « Olam », le monde, signifie aussi, dans un contexte biblique, l’éternité 3. À l’époque moderne, le tikkun olam a pris une connotation proche de la notion de justice sociale et écologique par le travail de la foi4. Le Tikkun olam n’apparaît pas dans la Bible et que très peu dans le Talmud, mais est au cœur de la cosmologie de l’école lourianique, selon laquelle les actions individuelles peuvent agir sur le monde : il s’agit de réparer la fracture originelle du monde, symbolisée par la brisure des vases (Shevirat Ha-Kelim), où des éclats de lumière divine furent dispersés dans le chaos. Comment cette notion de réparation s’articule-t-elle autour de l’œuvre de Mierle Laderman Ukeles ?

Née à Denver dans le Colorado en 1939, elle est la fille d’un rabbin orthodoxe et elle‑même juive pratiquante. Son rapport à la religion est parfois très évident, comme dans la série de Mikva, trois œuvres performatives de l’artiste créées dans les années 1970 et 1980 autour du mikvah, un rituel rabbinique d’immersion visant à restaurer la pureté du corps après le flux menstruel5. Pour autant, on retient souvent le travail de Mierle Laderman Ukeles issu du manifeste Manifesto! for Maintenance Art-Proposal for an Exhibition « Care »6, un tapuscrit de quatre pages annotées à la main en 1969 rédigé alors que l’artiste vient de devenir mère. Elle y développe une proposition d’exposition autour de son concept central, l’« art de la maintenance7 » : une pratique dans laquelle « le travail sera l’œuvre ». À une époque où devenir mère signifie cesser toute activité professionnelle pour se concentrer sur le travail domestique, les tâches ménagères sont élevées au rang d’art. Ce texte est envoyé au critique Jack Burnham qui en publie des extraits dans Artforum en 1971. Son article est repéré par la critique d’art, curatrice et militante Lucy Lippard qui invite Mierle Laderman Ukeles à joindre son exposition itinérante c. 7,500 entre mai 1973 et juin 1974. Cet évènement lance sa carrière autour de l’art de la maintenance, un art des soins et des actions ordinaires, des poids et des crasses quotidiennes. Dès lors, dans ses performances autour de l’art de la maintenance, Mierle Laderman Ukeles pense le rôle de l’artiste comme une sorte de héraut, comme celui ou celle qui peut donner aux gens les moyens d’agir, de changer les valeurs et les normes de la société.

Comme l’écrit David Sperber, les critiques et les historien·nes de l’art ont souvent marginalisé les œuvres de Ukeles en rapport à la religion et mis de côté une interprétation religieuses des œuvres de l’artiste8. En effet, les travaux sur Ukeles se concentrent fréquemment sur des thématiques comme le care, l’art écologique et le féminisme, parfois l’écoféminisme, sans parvenir à établir un lien entre ces catégories qui restent fragmentées. David Sperber a notamment étudié les œuvres Mikva dans le contexte plus général du slogan « le personnel est politique » et du discours de la « Grande Déesse »9 dans les années 1970 et 1980. Cependant, en s’appuyant sur la piste ouverte de Fred Wasserman, il apparait pertinent de réexaminer le projet artistique de Ukeles sous un angle plus global, celui du tikkun olam. Une analyse plus exhaustive de son corpus serait nécessaire pour saisir toutes les subtilités de ses projets, mais, dans un souci de concision, nous nous concentrerons ici sur quelques œuvres marquantes à partir de l’écriture du Manifeste et Birthing Tikkun Olam (2008) afin d’examiner comment ces performances s’articulent autour d’une vision cosmologique de la réparation du monde.

Situer le tikkun olam dans l’œuvre de Mierle Laderman Ukeles depuis le Manifesto! pour un art de la maintenance–proposition pour une exposition « care » de 1969

« La vision du monde naturel comme sacré est issue du système de croyance juif. Nous avons le pouvoir de transformer – comme le Créateur, et cela vient directement du livre de la Genèse – mais aussi la responsabilité de réparer ce qui est cassé. Tikkun Olam.10 »

L’art de la maintenance chez Ukeles montre que la réparation du monde commence par des actions quotidiennes : des gestes simples et répétitifs qui, loin d’être anodins, se transforment en actes politiques. Dans son manifeste, la maintenance est décrite comme une série d’activités banales mais essentielles, souvent ingrates, qui s’accumulent sans fin :

C. La maintenance, c’est chiant ; ça bouffe tout ton temps.
Le cerveau s’enlise et s’énerve sous l’effet de l’ennui. Notre culture accorde un statut minable aux boulots de maintenance = salaire minimum, femmes au foyer = gratuit.
nettoie ton bureau, lave la vaisselle, nettoie le sol, lave ton linge, lave tes orteils, change la couche du bébé, […] change les draps, va faire les courses, je n’ai plus de parfum, répète – il ne comprend pas, rebouche la fuite – ça coule, va au travail, il est poussiéreux cet art, débarrasse la table, rappelle-le, tire la chasse, reste jeune11.

La maintenance n’est pas une création, mais un ensemble d’actes visant à préserver l’existence. Elle est omniprésente et fondamentale au bon fonctionnement des sociétés. Mierle Laderman Ukeles explique que le mot hébreu tikkun signifie « soigner » et « transformer »12, ce « qui signifie que vous pouvez soigner, restaurer, réinventer, recréer et même transformer quelque chose dans le monde qui est dégradé ou cassé, et les cœurs qui sont brisés13 ». Dans It’s Okay to Have a Babysitter (Including Long Distance) réalisée à l’Institute of Contemporary Art de Boston, le 15 janvier 197414, l’artiste illustre l’importance d’avoir un·e baby-sitter, dans un contexte où les rabbins s’opposent au travail des mères et aux crèches15. Pendant cette performance « un peu embarrassante16 », elle appelle sa nounou à New York, puis crie : « Pour le bien de ma famille, je dois faire mon travail. Pour faire mon travail, j’ai besoin d’un·e baby‑sitter. C’est normal d’avoir un·e baby-sitter pour que je puisse faire mon travail. Pour mon bien aussi, enfin, je peux faire mon travail17 ». Cette phrase est imprimée sur des feuilles A4 tamponnées d’un « Maintenance Art Original » et accrochées en mille exemplaires dans la salle d’exposition. Elle se présente non seulement comme une mère qui travaille, mais surtout qui le veut car cela lui est vital. Par l’art de la maintenance, l’artiste répare son identité qu’elle avait dû diviser entre son rôle d’artiste et son rôle de mère18. Elle souligne notamment la double difficulté d’être une femme juive, confrontée à une difficile intégration au sein de sa propre communauté. La performance de maintenance art était une réparation de son moi fragmenté : la mère, la femme et l’artiste. Le rejet des femmes de l’espace public est au cœur d’une dynamique plus large d’effacement de l’histoire, où leur séclusion19 en tant que mères dans le foyer empêche l’exercice de leur liberté. Faire de l’art à partir des tâches domestiques est une manière de s’approprier un espace et, d’une certaine manière, de réparer un monde de l’art trop genré, cadre d’une socialité non-mixte, mais aussi de proposer un exemple émancipateur à celles qui sont dans le même cas. Il s’agit de revendiquer l’existence de ces gestes invisibles, mais fondamentaux, en choquant : réduite à son rôle de femme et de mère, elle n’a que le choix d’en faire de l’art pour exister en tant qu’artiste. La maintenance n’est pas émancipatrice, elle reste une limite, d’autant qu’elle incarne l’impossibilité de finitude, c’est l’art qui permet à l’artiste de se libérer d’un paradigme d’enfermement.

La liberté est fondamentale pour Mierle Laderman Ukeles, car elle définit l’art comme la possibilité même d’être libre : « Travailler la liberté, c’est le travail de l’artiste20 ». Si l’art est par excellence l’espace de la liberté, l’artiste doit être libre de créer et être décisionnaire de sa liberté ; or la liberté est excluante si les femmes n’ont pas les mêmes droits que les hommes. En arrière-plan de cette performance, il y a l’idée que l’exclusion des femmes dans l’art ne permet pas à l’art de fonctionner dans sa pleine liberté non plus. L’artiste l’utilise comme médium politique pour réparer ce qui met en danger son fonctionnement. Cependant, l’art de la maintenance ne se réduit pas à transférer le travail ménager dans le monde valorisé de l’art. Il s’agit d’un projet plus vaste visant à mettre en lumière le travail invisible et les dynamiques de pouvoir en jeu, comme l’illustre ses performances de 1973 au Wadsworth Atheneum Museum of Art21.

Dans Transfer: The Maintenance of the Art Object: Mummy Maintenance: With the maintenance man, the maintenance artist, and the museum conservator (20 juillet 1973), l’artiste nettoie la vitrine d’une momie à l’aide d’un lange, réalisant une « peinture de poussière » (dust painting)22 avant de tamponner son travail de l’inscription « Maintenance Art Work ». Par cet acte, la vitrine devient une œuvre d’art et ne peut plus être entretenue par l’agent d’entretien, mais uniquement par le conservateur. Le statut prend le dessus sur la compétence. Dans son manifeste, l’artiste présente déjà une proposition d’exposition (qui n’aura jamais lieu) intitulée « CARE » qui comporterait trois sections : une partie personnelle dans laquelle « mon travail sera mon œuvre23 », puis une partie générale où l’artiste interrogerait cinquante personnes de divers métiers et les visiteur·euse·s sur leur lien personnel entre maintenance et liberté, puisque : « tout le monde s’échine à effectuer de stupides tâches de maintenance24 ». La troisième partie, « maintenance de la terre » aurait consisté en la purification, dépollution et réhabilitation de différentes matières souillées25.

Ces trois concepts – purification, dépollution et réhabilitation – sont essentiels à la maintenance puisqu’ils désignent des actions permettant de maintenir un objet ou un environnement dans un état optimal de fonctionnement. Il s’agit de réparer les effets du temps sur les choses. La maintenance est un pilier nécessaire qui contribue au fonctionnement du monde en tant qu’écosystème environnemental, mais également social. L’art de la maintenance est mipnei tikkun ha’olam26, « pour la réparation du monde » ou « pour la préservation du système en tant que tout »27. Sans maintenance, l’ordre social, et donc spirituel, serait en péril. Les gestes quotidiens et d’entretien deviennent alors des actes de tikkun, c’est-à-dire des moyens qui permettent une élévation sociale et spirituelle. Pour comprendre pourquoi le tikkun olam est une réparation du monde, il faut revenir sur sa signification religieuse.

Dimensions théologiques : l’importance de la réparation du monde et ses méthodologies

Le tikkun olam est donc au cœur de l’installation/performance de Mierle Laderman Ukeles au Contemporary Jewish Museum de San Francisco, Tsimtsum/Shevirat Ha-Kelim: Contraction/The Shattering of the Perfect Vessels -> Birthing Tikkun Olam28. Cette œuvre fait partie d’une exposition consacrée à la Genèse, In the Beginning: Artist Respond to Genesis. Ici, la réparation du monde est corrélée à la participation de chacun dans le processus artistique.

L’artiste a divisé l’espace d’exposition à l’aide d’un voile translucide noir. Des rangées de miroirs (189 en tout) sont suspendues à des chaînes et sont accompagnées d’une feuille de papier pliée contenant une invitation à rédiger un potentiel engagement pour les visiteurs et les visiteuses. Un vase de cristal au bord brisé, éclairé par une ampoule en son sein, trônait sur une simple étagère en hauteur29. Des enregistrements en langues ashkénaze et sépharade de la Genèse étaient diffusés dans la pièce, chantant la création des êtres humains à l’image de Dieu et le monde qui nous soutient.

Deux notes de l’artiste accompagnaient l’installation : l’une faisait le récit de la Création dans la Kabbale et l’autre invitait à participer à l’œuvre. Les personnes étaient invitées à s’asseoir à une table, cachée derrière le rideau, et à prendre le temps de réfléchir avant de s’engager, par écrit, à réaliser un acte de tikkun olam. Cet engagement était ensuite ajouté au Livre des accords (Book of Agreement) mis à disposition du public. Lors des Journées de Transfert et d’Échange (Days of Transfer and Exchange), l’engagement était échangé contre un miroir, que les participants prenaient avec eux. En tout, plus de 6000 personnes ont écrit des mots et 150 ont échangé leur engagement contre un miroir, complétant ainsi l’œuvre de l’artiste qui note que : « l’idée que l’art est incomplet, qu’il nécessite que l’autre y entre et le complète parce qu’il est un créateur – c’est une sorte de position écologique à adopter, d’interdépendance30 ». Quel lien ici avec le tikkun olam et l’idée de réparation ? En impliquant le public dans l’acte de tikkun, elle illustre que la réparation du monde n’est pas un acte isolé, mais une action partagée, portée par la communauté qui s’inscrit dans un temps long insaisissable.

L’artiste a notamment été influencée par la théologienne féministe Rachel Adler qui se désigne également comme juive orthodoxe. Dans Heresies (Issue 5 : The Great Goddess Issue), Ukeles paraphrase Adler, qui réinterprète le mikva comme un rituel libérateur, loin de l’idée traditionnelle d’impureté. Adler le présente comme : « un espace d’immersion dans de l’eau sacrée31 », une expérience personnelle et salvatrice32. À la fin de son texte, Mierle Laderman Ukeles écrit : « Dans tout le maintien de l’amour continu, son propre type spécifique, particulier de corps de sang de lune dans la nature meurt dans ces eaux et naît à nouveau. Et s’immerge à nouveau33 ». Pour l’artiste, le rituel d’immersion est un renouveau d’elle-même. En rendant public ce qui est relégué au rang de l’intime par dégoût, il s’agit également de réintégrer dans un processus de réparation et d’élévation, tout comme l’art de la maintenance, ce qui était considéré comme sale et pollué.

Figure 1

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Mierle Laderman Ukeles, Mikva Dreams–A Performance, Issue 5: The Great Goddess Issue, printemps 1978, p. 54.
© Heresies PDF Archives–The Heretics

Cette photographie en noir et blanc, qui clôt le texte de Mierle Laderman Ukeles, la montre de dos, enveloppée dans un drap blanc, contemplant l’eau de l’Hudson River, alors gravement polluée. L’image est encadrée de 210 inscriptions Immerse again (« Immerge-toi encore ») – une phrase symbolisant le nombre d’immersions rituelles qu’elle doit accomplir dans l’eau tout au long de sa vie.

Ces termes de « sale » et de « pollué » méritent une attention particulière. En effet, le rejet de ce qui est sale, de ce qui est considéré comme pollué se trouve au cœur de la conception de l’art de la maintenance. À travers son œuvre, l’artiste critique les associations symboliques entre les femmes et l’impureté, ainsi que la réduction de leur rôle à des tâches domestiques dévalorisées. De même, elle dénonce la stigmatisation des éboueurs34, associés aux déchets qu’ils collectent. L’art de la maintenance pourrait alors être vu comme un moyen de ritualiser, de « purifier » ce qui est sali par les préjugés. Il répare la dignité de celles et ceux qui assurent, dans l’ombre, le bon fonctionnement de la société.

Dans Heresies, Mierle Laderman Ukeles évoque la divinité juive « Matronit‑Shechina ». Elle la mentionne aussi dans une lettre de l’artiste à Lucy Lippard, datant du 5 avril 1978. Elle y dit lire d’anciens textes théologiques dans lesquels apparaissent « Scheckina » et « Matronit ». Dans The Hebrew Goddess (1967), Raphael Patai explique que « Shekhinah »35 ne désigne pas uniquement une forme féminine de la présence de Dieu, mais qu’elle est une déesse en soi, incarnée plus tard dans la Kabbale sous le nom de Matronit. Dans sa lettre, Ukeles évoque les quatre aspects sociaux et écologiques de Matronit : « elle est vierge et est l’amante passionnée des hommes + des démons (!) et elle est la mère nourricière et elle défend et est dévorée36 ». Dans un article publié dans Art Journal en 1992 intitulé « A Journey: Earth/City/Flow »37, elle reprend une partie de l’exposition évoquée dans son Manifeste : « Chaque jour, les déchets suivants seront livrés au Musée dans un container […] chaque container fera l’objet d’un traitement particulier : purification, dépollution, réhabilitation, recyclage, et conservation38. » Elle développe ensuite quatre images de la Terre : comme une mère (« capable de nous nourrir pour toujours, aimante et omnipotente »), comme une Vierge (« toujours fraîche, passionnée, toujours disponible »), comme une Épouse (« savamment domestiquée par son Mari nous laissant la certitude de sa disponibilité constante ») et enfin comme une Pute (« elle est libre à fatiguer, endommager et détruire jusqu’à son inutilité, à ce moment elle devient […] celle dont on ne veut plus, la méprisée39»). Cette représentation montre que la Terre est considérée comme une ressource gratuite et due ou presque, tout comme le sont les femmes, les travailleur·ses précaires et les services publics : les trois ressources non‑économiques dont le capitalisme se nourrit et qu’il assèche. Le féminisme de Mierle Laderman Ukeles peut être vu comme une critique éco-marxiste40 de la destruction de l’environnement, corrélée à l’exploitation matérielle et humaine : en réaffirmant la nécessité de la réparation du monde, Ukeles présente son art comme une forme de dépollution, non seulement de l’environnement physique, mais aussi des structures sociales et économiques qui perpétuent l’injustice et l’exploitation. Cela fait écho à l’évolution des usages du terme pollution. Avant le xixe siècle, il portait un sens religieux et moral, dérivé du latin pollutio, la souillure41. Ce n’est qu’à partir des années 1960 que le terme, dans son sens moderne de dégradation environnementale par l’action humaine, est utilisé à grande échelle dans les milieux anglophones. La publication en 1966 de Purity and Danger, ainsi que l’entrée « pollution » dans l’Encyclopedia of the Social Sciences de l’anthropologue Mary Douglas témoignent de la coexistence de ces deux sens à l’aube de l’écologie politique42. Les pratiques artistiques de Mierle Laderman Ukeles gravitent autour de différentes dimensions de la pollution, cherchant à réparer les torts causés, notamment par la revalorisation du travail dit « sale », la réappropriation des rituels et la dépollution de la terre. Il s’agit d’un processus qui affirme une forme d’impossibilité de sa propre réalisation. Ces actions visent à restaurer ce qui a été endommagé par un tort originel, représenté ici par la Chekhina, figure de la féminité divine englobant les archétypes de la mère, la vierge, l’épouse et la prostituée.

Dans sa lettre à Lucy Lippard, l’artiste mentionne des « kabbalistes du xvie siècle » qu’elle est en train de lire. Il s’agit très probablement d’Isaac Louria, un kabbaliste et rabbin dont les écrits ont profondément influencé la conception du tikkun olam, « la réparation du monde ». Le tikkun olam est au cœur de la conception de l’école lourianique selon laquelle : « la rédemption [doit] être achevée […] en reprenant le chemin qui conduit aux tout premiers commencements de la création et de la révélation. […] Celui qui a connu le chemin par lequel il est arrivé peut espérer éventuellement revenir sur ses pas43. » Le tsimtsum, ou retrait de Dieu, crée un espace vide permettant l’existence du monde. Ce retrait permet la création, mais aussi la dispersion de la lumière divine. Dans la Kabbale lourianique, cette lumière divine, au moment de sa dispersion, est captée dans des vases. Cependant, six de ces vases se brisent, provoquant la dispersion de la lumière divine dans le chaos. Après la « brisure des vases » (Shevirat Ha‑Kelim), le mal a pris une existence réelle : « l’exil de la Chekhina […] est un symbole authentique de l’état de “brisure” des choses dans le royaume des puissances divines. La Chekhina est tombée […] quand les vases se sont brisés44 ». Cet évènement cosmique symbolise la fracture originelle du monde. Dès lors, la restauration du cosmos, « tikkun olam », devient « la fin secrète de l’existence45 » : pour Louria, chacun·e a le pouvoir d’agir dans un sens ou dans l’autre du processus de restitution des lumières et de retour de la « Shekhinah », celle que Patai nomme « la déesse hébraïque46 ».

Dans ce contexte, l’installation participative de Mierle Laderman Ukeles propose une forme d’action collective, invitant les visiteur·euse·s à participer à la réparation de la déesse. L’« invitation à participer » leur rappelait que le sixième jour de la Genèse les a remplis de cette lumière originelle :

Depuis le commencement, vous avez le pouvoir de l’Éternel en vous et vous avez le pouvoir de faire jaillir la lumière du chaos des ténèbres…
J’ai laissé le centre de la pièce vide ; cet espace vous invite à y prendre place, à l’habiter. Je vous invite à y participer. Comment ? Je vous demande de reprendre mon œuvre inachevée en créant votre propre projet de tikkun. Vous en avez l’idée, vous décidez, vous vous engagez, cela vient de votre immense liberté de créer, pas la mienne. Vous pouvez agrandir cette œuvre pour qu’elle devienne vivante dans le monde47.

Ce contexte spirituel éclaire la pratique de Ukeles, où l’art devient une manifestation de tikkun, un outil de prise de conscience et de transformation du monde et d’autrui. La participation d’autrui revient constamment dans les performances de l’artiste – qui est finalement rarement seule. Elle a souvent proposé des questionnaires (Maintenance Art Questionnaire, 1973-1976) ou des entretiens (Maintenance Art Interviews with Passerby on the Sidewalk, 15 juin 1974, A.I.R Gallery) en plus d’avoir travaillé avec des agents d’entretien (I Make Maintenance Art One Hour Everyday, 55 Water Street, New York, 1976) ou avec les éboueurs de la ville de New-York48. Le tikkun olam est un devoir de préservation du système en tant que tout dans le but de restaurer la perfection divine. Les actions exercent une influence sur les écosystèmes et donc sur le monde divin. Dans la Kabbale, Dieu n’est pas vu comme une entité statique, il évolue selon les actions des êtres humains49. Il faut donc mettre en valeur les acteur·rice·s de la maintenance qui prennent soin du monde tout en faisant communauté en comprenant la place et la responsabilité de chacun·e dans le cosmos.

Conclusion

Le tikkun olam agit sur plusieurs formes de réparations et de soins. Tout d’abord, il fonctionne comme une destruction des impuretés qui empêchent la manifestation divine. Dans l’œuvre de Mierle Laderman Ukeles, l’art de la maintenance se présente comme le piédestal des actions de nettoyage réalisés par les travailleurs·euse·s invisibles. L’action quotidienne des éboueurs de la ville de New York régénère la ville et lui permet de rester vivante tout comme le nettoyage des vitrines des musées est une des conditions nécessaires de l’activation de l’œuvre d’art. Le tikkun olam est une recherche individuelle d’établissement d’un monde durable par l’entretien physique de la création tout en œuvrant à la création d’un système social et religieux viable. Dans cette perspective, le tikkun olam devient un mandat visant à reformer les dysfonctionnements des systèmes sociaux – mais il y a quelque chose de l’ordre d’un but inatteignable. Au sein de cette conception rabbinique, la croyance lourianique affirme que nos actions peuvent avoir un effet permanent sur le cosmos mais une action ne saurait agir indéfiniment, ni ne suffirait à pleinement réparer le monde. Le tikkun olam redéfinit alors la notion même de réparation comme un acte de transformation positive. L’art de la maintenance valorise, répare et soigne le contexte et ses acteurs, leur attribuant un rôle central souvent occulté dans la société. Mierle Laderman Ukeles se sert de la liberté que lui offre l’art et sa force de médiation pour engager le plus d’acteurs dans le processus de tikkun olam. Ce n’est que par l’ensemble des gestes de réparation que le tikkun olam peut advenir, mais cela demande du temps et beaucoup d’actions infimes de réparation – aussi invisibles que les tâches ménagères. Ce qui est considéré comme un déchet représente un échec, une blessure marquant une forme d’entropie – une rupture du cosmos. La pollution, tant au sens physique que symbolique, reflète une fracture de l’ordre cosmique, l’art de la maintenance, selon Ukeles, s’impose comme une réponse directe : un moyen de réhabiliter ce qui est marginalisé et de redonner une dignité à ces actions invisibles. Dans cette cosmologie, la figure de la Shekhina incarne une force réparatrice féministe et un appel à l’interconnexion, une figure qu’incarne l’artiste comme médiatrice.

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Notes

1 « We have that power; we can do that, and I believe that. I believe we can destroy it and maybe we are doing that, but we also have the power, like the original Creator, to heal. And to make whole », Natalie Hegert, « Interview with Mierle Laderman Ukeles », Nathalie Hegert. Arts writer|editor, 22 juin 2008. URL : https://nataliehegert.com/post/162955614388/interview-with-mierle-laderman-ukeles-artslant/amp [consulté le 5 décembre 2024]. Return to text

2 Fred Wasserman, « From Maintenance to Repair: Mierle Laderman Ukeles and Birthing Tikkun Olam », dans Rupture and Repair: In Art, Judaism, and Society, Emily D. Bilski and Avidgor Shinan (eds.), Jerusalem, Adi Foundation, 2010, p. 54. Return to text

3 Jill Jacobs, « The History of “Tikkun Olam” », Zeek, Juin 2007. URL : http://www.zeek.net/706tohu/index.php?page=2 [consulté le 5 décembre 2024]. Return to text

4 Ibid. Return to text

5 À propos des trois versions de la série de Mikva, voir notamment les travaux de David Sperber : « Reclaiming Feminine: Spirituality and Ritual. The Art of Mierle Laderman Ukeles in the Light of the Great Goddess Discourse of the 1970s », dans Atlan, Eva, Hrsg. Die weibliche Seite Gottes: Kunst und Ritual = The female side of God: art and ritual. Cat. Exp. (Frankfurt, Jüdisches Museum Frankfurt, 23 oct. 2020-14 feb. 2021), Frankfurt, Jüdisches Museum Frankfurt/Kerber, 2020 ; « Mikva Dreams : Judaism, Feminism, and Maintenance in the Art of Mierle Laderman Ukeles », Panorama, 5 (2), Fall 2019 ; Devoted Resistance. Jewish-Feminist Art in Israel and the United States, Jerusalem, Magnes Press, 2021. Return to text

6 Texte en ligne : https://queensmuseum.org/wp-content/uploads/2016/04/Ukeles-Manifesto-for-Maintenance-Art-1969.pdf [consulté le 5 décembre 2024] Return to text

7 La traduction littérale d’« art de la maintenance », qui est notamment celle de Sophie Cras, permet une fidélité au texte initial. Toutes les traductions issues du Manifeste sont de : Sophie Cras (dir.), Écrits d’artistes sur l’économie, une anthologie de modestes propositions, Paris, B42, 2022, p. 94-97. Return to text

8 David Sperber, « Mikva Dreams : Judaism, Feminism, and Maintenance in the Art of Mierle Laderman Ukeles », op. cit. Return to text

9 Le mouvement de la « Great Goddess » est un mouvement spirituel néopaïen qui remet au centre d’une foi cosmologique et ésotérique des figures de déesses issus de diverses religions matriarcales. Il s’agit d’un mouvement syncrétique, à la fois spirituel et politique. Return to text

10 “The view of the natural world as sacred comes out of the Jewish belief system. We have the power to transform – like the Creator, and that's right out of the Book of Genesis – but also the responsibility to repair what is broken. Tikkun Olam”, Mierle Laderman Ukeles citée par Simi Horwitz, « Jewish Enviro-Artists Have the Whole World in Their Hands », Forward, 21 september 2014. URL: https://forward.com/culture/205884/jewish-enviro-artists-have-the-whole-world-in-thei/ [consulté le 5 décembre 2024]. Return to text

11 Sophie Cras (dir.), Écrits d’artistes sur l’économie, op. cit., p. 95. Return to text

12 « Tikkun is Hebrew for “heal” and even “transform” », Mierle Laderman Ukeles. Maintenance Art, cat. exp. (New-York, Queens Museum, 18 sept. 2016-19 fév. 2017), Munich, Del Monico Books-Prestel, 2016, p. 168. Return to text

13 “Means that you can heal, restore, re-invent, re-create, even transform something in the world that is degraded, broken, hearts that are shattered”, Ibid., p. 168. Return to text

14 L’artiste est représentée par la Ronald Feldman Gallery (New York). Des photographies des performances sont disponibles sur le site internet de la galerie : https://feldmangallery.com/exhibition/193-maintenance-art-works-ukeles-5-8-6-13-1998 [consulté le 8 novembre 2024]. Return to text

15 Lisa E. Bloom, « Negotiating Jewishness in the 1970s: The Work of Judy Chicago and Mierle Laderman Ukeles », dans Jewish Identities in American Feminist Art. Ghost of ethnicity, London: Routledge, 2006, p. 51. Return to text

16 Alexandra Schwarz, « Entretien avec Mierle Laderman Ukeles réalisé le 8 décembre 2008 », dans From Conceptualism to Feminism: Lucy Lippard’s Numbers Shows, 1964-74, Cornelia H. Butler (dir.), Anvers, Afterall, 2012, p. 280-288. Return to text

17 “For the good of my family, I must do my work. To do my work, I need a babysitter. It’s okay to have a babysitter, so I can do my work. For my good, too, finally, I can do my work.” Return to text

18 “I was the favorite student of a famous sculptor. The first time I came to class when it was obvious that I was pregnant, he took a look at me, and said: « Well, I guess now you can't be an artist. » You know, things were different then. It threw me. […] I entered this, this time of « Who am I? » and « How am I going to do this? » I literally divided my life in half. Half of my time I was The Mother. I was afraid to go away from my baby. I was very nervous about leaving her with people that l didn't know. And half of the time, l was The Artist, because I was in a panic that if l stopped doing my work l would lose it.”, Tom Finkelpearl, « Interview: Mierle Laderman Ukeles on Maintenance and Sanitation », Dialogues in Public Art, Cambridge: The MIT Press, 2001, pp. 301-302. Return to text

19 Le CNRTL donne la définition suivante du mot séclusion : « Isolement protecteur d’un organisme par rapport au milieu » : https://www.cnrtl.fr/definition/seclusion [consulté le 19 novembre 2024]. Le travail d’entretien confine dans des espaces fermés ou invisibles et enferme dans une invisibilité et une marginalisation pourtant essentielle pour préserver le fonctionnement collectif. Return to text

20 « Working Freedom – That’s an artist’s job », Mierle Laderman Ukeles, « Why Sanitation can be used as a model for public art », The Act, 2 (1), winter/spring 1990, p. 85. Return to text

21 Pour plus d’informations, voir le livret réalisé par le musée : https://www.thewadsworth.org/wp-content/uploads/2011/06/Matrix-137.pdf [consulte le 24 octobre 2024]. Return to text

22 Tout au long de sa carrière, Mierle Laderman Ukeles a beaucoup cité et tiré son inspiration de Marcel Duchamp, un artiste qu’elle explique souvent considérer comme son « grand-père ». Return to text

23 « Désormais, je vais simplement faire toutes ces activités de maintenance quotidiennes, et je vais les hisser jusqu’à la conscience, je vais les exposer en tant qu’art. Je vais vivre dans le musée comme je vis habituellement chez moi, avec mon mari et mon bébé (bon d’accord, si vous ne voulez pas de moi la nuit, je viendrai chaque jour), pendant toute la durée de l’exposition, et je ferai toutes ces choses en tant qu’activités artistiques en public : je balayerai et cirerai le parquet, je dépoussiérerai tout, je laverai les murs (c.à.d : “peintures au sol, œuvres de poussière, sculptures sur savoir, peintures murales”), je cuisinerai, inviterai des gens à manger, nettoierai, débarrasserai, changerai les ampoules. Je mettrai peut-être de côté les déchets produits pour les amasser ou les disposer d’une façon ou d’une autre. L’espace d’exposition paraîtra sans doute “vide” d’art, mais il sera un lieu de maintenance au vu et au su de tous. », Sophie Cras (dir.), Écrits d’artistes sur l’économie, op. cit., p. 57. Return to text

24 Ibid. Return to text

25 « Chaque jour, les déchets suivants seront livrés au Musée dans un container […] chaque container fera l’objet d’un traitement particulier : purification, dépollution, réhabilitation, recyclage, et conservation. », Ibid. Return to text

26 Jill Jacobs, « The History of “Tikkun Olam” », op. cit. Return to text

27 “For the sake of the preservation of the system as a whole”, Ibid. Return to text

28 En 2016, Mierle Laderman Ukeles expose pour sa rétrospective au Queens Museum Birthing Tikkun Olam: Your Idea To Repair the World, une sorte de seconde version de l’œuvre fonctionnant sur le même concept. Return to text

29 Le bâtiment est une création de l’architecte Daniel Libeskind. Les murs sont notamment hauts de près de 17 m (50 ft) et sont inclinés. Return to text

30 “The notion that art is incomplete, that is requires the other to enter and complete it because they are a creator – that's sort of a ecological position to take, of interdependency”, Mierle Laderman Ukeles citée par Tom Finkelpearl, « Interview: Mierle Laderman Ukeles on Maintenance and Sanitation », op. cit., p. 169. Return to text

31 « Mikva is a sacred water immersion place », Mierle Laderman Ukeles, Issue 5: The Great Goddess Issue, pintemps 1978, p. 52. Return to text

32 Rachel Adler, « Tum’ah and Toharah: Ends and Beginnings », Response: A Contemporary Jewish Review, été 1973, p. 117-127. Return to text

33 “In all the maintenance of continuing love, her own specific, particular kind of moon-blood body in nature dies in those waters and is born again. And immerse again”, Mierle Laderman Ukeles, Issue 5: The Great Goddess Issue, op. cit., p. 54. Return to text

34 Nous n’utilisons pas l’écriture inclusive ici car les performances principales de Mierle Laderman Ukeles avec les éboueurs de N.Y.C (projet Touch Sanitation, 1977-1984) ont eu lieu avant que la ville embauche deux femmes pour la première fois, en 1986, pour balayer les rues, puis l’année suivante pour les camions. Voir Robin Nagle, Picking Up. On the Streets and Behind the Trucks with the Sanitation Workers of New York City, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2014, p. 82. Return to text

35 Les trois orthographes différentes sont des citations exactes. Pour une étude des transcriptions de l’hébreu en langue anglaise, voir Zippi Lyttleton and Tamar Wang, Colloquial Hebrew, London, Routledge Taylor, 2003. Return to text

36 “She is the virgin and a passionate lover of men + demons (!) and she is the nurturing mother and she is the defender and devourer!”, Lettre de Mierle Laderman Ukeles à Lucy Lippard, datée du 5 avril 1978. Archives of American Art–Smithsonian Institution. Return to text

37 Déjà, en 1977, son projet Heal the Earth, Mongo Mirror Patchwork; This Land is Your Land/This Land us Our Land aurait pris la forme d’une installation vidéo révélant les quatre archétypes de la Femme : « Mère de la terre sacrée, femme au foyer apprivoisée, Vierge enjôleuse, Vieille pute malade »/“Sacred Earth Mother, Tamed Housewife, Beckoning Virgin, Old Sick Whore”, Ronald Feldman Fine Arts – Artist’s Book. Return to text

38 Sophie Cras (dir.), Écrits d’artistes sur l’économie, op. cit., p. 97. Return to text

39 “Earth as Mother: Able to nourish us and sustain us for ever […] Loving and Omnipotent”, “Earth as Virgin: Forever fresh, […] passionate, […] always available”, “Earth as Wife: […] thoroughly domesticated […] producing in us a certitude about her continuing availability”, “Earth as Whore: […] can be utterly depleted, damaged (oops!) and degraded unto use-less-ness, at which time she becomes […] the wanted and the despised”, Mierle Laderman Ukeles, « A Journey: Earth/City/Flow », Artjournal, 51 (2), Art and Ecology, 1992, p. 14. Return to text

40 “Maintenance art is rooted in Marxist feminism and the argument that women’s inferior economic status had led to their dependency on men, effectively rendering non autonomous beings”, David Sperber, Devoted Resistance, op. cit., p. 256. Return to text

41 Patrick Fournier, « De la souillure à la pollution. Un essai d’interprétation des origines de l’idée de pollution », dans Le Démon moderne. La pollution dans les sociétés urbaines et industrielles d’Europe, Christoph Bernhardt et Geneviève Massard-Guilbaud (dir.), Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2002, p. 33-56. Return to text

42 En 1962, Rachel Carson publie Silent Spring et en 1968 Paul R. Ehrlich sort l’ouvrage catastrophiste The Population Bomb. Pour une analyse de l’écologie politique et ses influences sur l’art, voir Bénédicte Ramade, Vers un art anthropocène. L’art écologique américain pour prototype, Dijon, Les Presses du Réel, 2022. Return to text

43 Gershom Scholem, Les Grands Courants de la mystique juive, Paris, Petite Bibliothèque Payot, (1946) 2014, p. 358-359. Return to text

44 Ibid., p. 401. Return to text

45 Ibid., p. 391. Return to text

46 Raphael Patai, The Hebrew Goddess, Detroit, Wayne University Press, 1990. Return to text

47 “From the very beginning, you have the power of the Eternal Creator in you and you have the power to bring light out of the chaos of darkness”, texte d’accompagnement de l’installation publié dans le catalogue d’exposition, Mierle Laderman Ukeles. Maintenance Art, op. cit., p. 222. Return to text

48 À ce sujet, on recommandera plusieurs études sur Mierle Laderman Ukeles et notamment : Toby Freilich Pearl, « Blazing Epiphany: Maintenance Art Manifesto 1969! An Interview with Mierle Laderman Ukeles », Cultural Politics, 16 (1), 2020, p. 14-23. DOI: https://doi.org/10.1215/17432197-8017214 [consulté le 5 décembre 2024] ; Lucy Lippard, « The Garbage Girls », dans The Pink Swan. Selected Feminist Essays on Art, New York, The NY Press, 1995, p. 258-265 ; Bénédicte Ramade, Vers un art anthropocène, op. cit. ; Sadie Renjulian, Mierle Laderman Ukeles: A History of Feminist Art and Social Change in the U.S., Wesleyan University, 2017. DOI: https://doi.org/10.14418/wes01.1.1341 [consulté le 5 décembre 2024]. Return to text

49 Rabin Jill Jacobs, « The History of “Tikkun Olam” », op. cit. Return to text

References

Electronic reference

Chloé GOURIOU, « Réparer le monde par l’art : Mierle Laderman Ukeles et le tikkun olam », Déméter [Online], 12 | Été | 2024, Online since 29 janvier 2025, connection on 18 mars 2025. URL : https://www.peren-revues.fr/demeter/1790

Author

Chloé GOURIOU

Chloé Gouriou est étudiante à l’École Normale Supérieure de Paris. Son mémoire, dirigé par Pascal Rousseau et soutenu en 2023 à l’Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, porte sur l’artiste contemporaine américaine Mierle Laderman Ukeles. Ce travail complète un premier mémoire de master 1 sur la notion psychanalytique de narcissisme dans l’art vidéo, telle qu’elle a été employée par l’historienne de l’art Rosalind Krauss en 1976. Elle a été co-commissaire de l’exposition « Après Vous » qui a eu lieu à la Maison Fraternelle (Paris 5e) en septembre 2023.

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