Introduction
Ainsi que l’indique l’appel à projet invitant à participer à ce numéro de Déméter, la notion de réparation a été fortement et fréquemment sollicitée depuis plusieurs années et dans plusieurs registres (droit, politique, médecine, etc.), dont les domaines artistiques et culturels. L’intérêt de l’orientation de ce numéro de Déméter est qu’il invite à une lecture critique de cette notion dans la sphère artistique, cela sous diverses perspectives. Historienne de l’art contemporain, c’est en m’appuyant sur le programme de recherche mis en œuvre depuis 2022 sous le titre : « Projets d’artistes/Projets de musées » par Raphaël Gomérieux, Natacha Yahi et moi-même1 que je propose de contribuer à cette lecture critique.
Dans le cadre de ce programme de recherche, nous travaillons particulièrement avec certains musées d’histoire ou de société, dont ces musées qu’on désigne aussi aujourd’hui par musées de « civilisation » ou de « cultures du monde ». Nous nous intéressons au choix de certains et certaines chargé·es de collections d’inviter des artistes contemporain·es à réaliser dans ou hors de leurs murs des œuvres, des expositions, des interventions à partir des fonds des musées. Dans ce contexte, nous avons décidé de mettre en place des « ateliers de recherche » et proposons à des acteur·trices de ces musées (conservateur·trices, curateur·trices, chargé·es des résidences, etc.) d’inviter pour une séance de travail commune celles et ceux qui ont conçu avec eux un projet ou une exposition à partir de leurs collections. Cette façon de déléguer les invitations suscite des décalages intéressants. L’une de nos invitées, par exemple, n’a pas convié des artistes comme notre proposition y engageait, mais des chargées des publics ou de programmes spécifiques du Musée, l’idée étant que celles-ci pouvaient apporter un regard spécifique sur le développement de tel ou tel projet, ce qui fut le cas. On remarquera donc que nous avons choisi de ne pas avoir la totale maîtrise du choix des invité·es avec lesquel·les nous dialoguons, ce qui, pour un·e chercheur·e en sciences humaines et sociales, est assez peu courant. L’objectif de ce principe de travail est de favoriser l’émergence de descriptions, d’observations, de commentaires, d’analyses, de « récits », tous différents, parfois divergents, portant sur un même projet. Il s’agit par-là d’éviter toute reconstruction univoque du processus généralement multipolaire qui a mené à la réalisation du projet en question ; en bref, de lui conserver le plus possible sa complexité. On peut objecter à ce mode de recherche qu’il peut créer des biais, ce qui est juste, mais on conviendra aussi que définir strictement au préalable les « acteur·trices » sollicité·es pour une recherche, puis produire à une seule voix une interprétation des projets étudiés ne peut garantir l’absence de ces biais, parfois difficiles à identifier.
Le temps de ces ateliers est consacré à travailler selon un mode qu’on pourrait dire de « l’échange descriptif » sur un projet précis (œuvre, exposition, etc.), projet auquel nos invité·es et les invité·es de nos invité·es ont contribué à partir de « positions » différentes. D’un point de vue théorique, mais sans toutefois adhérer à l’ensemble de leurs présupposés, l’article proposé ici n’est pas sans relation avec les courants de pensée qui ont été regroupés sous les dénominations « épistémologie des points de vue » ou Standpoint theory2. Il en emprunte particulièrement une distance critique envers les méthodes analytiques qui se présentent comme fondée sur une neutralité scientifique et privilégie le choix de laisser entendre, tant dans le moment même de l’atelier de recherche que dans la restitution qui le suit (un article par exemple), les différents points de vue et les différentes positions des acteur·trices engagé·es dans tel ou tel projet. C’est dans le même sens et dans le même objectif que cet article s’appuie sur des présentations ou des relations de première main des projets étudiés (entretiens déjà publiés, communications données par les artistes ou auteur·es, etc.) ou bien sur la manière spécifique dont certains artistes définissent ce qu’ils entendent par le terme de « réparation ».
Dans le cadre de cet article, nous nous intéresserons particulièrement au travail considérable réalisé depuis plus de deux décennies dans une institution, l’AfricaMuseum - Musée Royal d’Afrique Centrale (MRAC), située à Tervuren, en Belgique, qui conserve, expose et étudie des objets issus de « collectes » majoritairement effectuées lors des différents moments de la colonisation des régions devenues l’actuelle République Démocratique du Congo, le Rwanda et le Burundi. Si j’utilise ainsi le mot collecte entre guillemets, c’est pour insister sur la réflexion en cours qui porte sur la manière dont certains termes, par exemple ce mot « collecte », peuvent unifier et neutraliser des actions ou des situations correspondant à des pratiques très différentes les unes des autres. Dans le cas présent, comme l’indiquent Sarah Van Beurden, Didier Gondola et Agnès Lacaille, éditeur·trices et auteur·es d’un des ouvrages sur lesquels je me suis appuyée pour rédiger cet article (La Fabrique des collections, origines, trajectoires et reconnexions, 2023, AfricaMuseum), la collecte n’est plus vue comme : « une transaction uniforme mais [comme une transaction] dont les modes d’acquisition varient d’une simple cession à des actes de violence, notamment parce qu’une large partie de l’inventaire du MRAC provient de “collectes” liées à la conquête coloniale3 ». Notre article va particulièrement s’intéresser à des travaux ou propos d’artistes et de chercheur·es ayant travaillé ces dernières années sur ces collections et objets, sur les modalités de leur « collecte », sur la manière dont ils ont été décrits, interprétés, rangés ou exposés au moment de ou après leur « acquisition » et sur les études qu’ils suscitent actuellement. L’une des principales questions que nous poserons à cet égard est de savoir si ces travaux et recherches, dans ce contexte particulier, sont ou non sous-tendues par la notion de réparation, et si oui, sous quelles formes.
Réappropriation, réparation, reconstruction ou restauration ?
Les 13, 14 et 15 octobre 2023, dans le cadre du programme Forum, et sous le titre général de (Re)-appropriation – Artistes et archives, une équipe des « services orientés vers les publics » de l’AfricaMuseum a invité près d’une quarantaine d’artistes ayant travaillé ces dernières années sur les collections, mais également sur les archives du musée, dont ses fonds photographiques et filmiques4. Durant trois journées, sur un rythme dense, ces artistes ont présenté sous des manières diverses (conférences, performances, films, tables rondes, débats) les travaux qu’elles et ils ont réalisés dans le cadre de « résidences » dans le musée et hors du musée. Ces journées ont été exceptionnelles et je suis heureuse d’y avoir participé. En quelques jours, il a été possible de découvrir des œuvres, des projets, des points de vue singuliers, voire des positions parfois contradictoires sur les manières d’envisager des interventions en tant qu’artiste sur les collections.
Figure 1
Capture d’écran de la vidéo réalisée lors des journées (Re)-appropriation – Artistes et archives, 13-14-15 octobre 2023 (Tatiana Bohm, Christine Bluard), AfricaMuseum, Tervuren.
© AfricaMuseum, service orienté vers les publics.
Il est rarement possible de prendre ainsi connaissance, dans un temps aussi ramassé, de projets de nature différente portant cependant chacun sur les collections et archives d’un même musée. Il est également rarement donné de faire la connaissance non seulement des artistes eux-mêmes dans ce même temps bref, mais également de celles et ceux qui, au musée, ont travaillé avec eux, l’équipe organisatrice des journées ayant réservé des moments permettant que toutes les personnes présentes dans l’amphithéâtre puissent discuter les un·es avec les autres de manière informelle – avec les intervenant·es, les artistes, les chercheur·es invité·es, les auditeurs et auditrices présent·es. Enfin, signalons également que cette équipe a choisi de mettre en ligne les enregistrements vidéos de ces journées, ce qui permet de découvrir à la fois les projets réalisés dans le cadre des résidences au musée et leur présentation par les artistes eux-mêmes5.
À bien écouter les communications et conférences de ces journées, à regarder les projections, à éprouver les performances, à discuter avec les un·es et les autres, on observera que c’est sous plusieurs perspectives que les artistes ont décrit leur travail, dont celle de la « réappropriation », titre des journées. Ce titre fait écho à la réflexion contemporaine en cours sur les modalités de prélèvement des objets, réflexion que les organisateurs de l’exposition « ReThinking collections »6 ont ainsi résumée dans le glossaire, rédigé à l’intention des spectateurs et consultable dans l'exposition elle-même sous la forme d'un très grand livre, et dans lequel, à l’entrée Appropriation, on peut lire ceci :
Appropriation : « Durant la période coloniale, le musée a accru considérablement ses collections avec des objets du Congo. Dans le musée, ces objets sont ordonnés, catégorisés, numérotés, étiquetés dans un esprit colonial. Le musée s’est approprié ces objets dans une perspective idéologique, économique et esthétique. Ils n’étaient pas à l’origine destinés à être conservés dans des réserves ou exposés dans des vitrines ».
Ainsi que l’ont confirmé les présentations des journées d’octobre 2023, les résidences effectuées à Tervuren par des artistes contemporains sont l’occasion pour certains de travailler sur ces différentes pratiques d’appropriation mais sous des formes variées et spécifiques de « ré-appropriations » (de photographies, de films, d’objets). On peut prendre pour exemple le travail de Victoire Karera, réalisatrice, qui, dans son film Alberta’s Room7, se ré-approprie de manière critique une archive filmique qui avait retenu son attention lors de sa résidence à l’AfricaMuseum8, plaçant ainsi son travail dans et sur les archives du musée sous la perspective d’une dimension critique à l’égard des régimes de visualité repérables dans nombreuses photographies coloniales.
Figure 2
Victoire Karera (14 octobre 2023), capture d’écran, journées (Re)-appropriation – Artistes et archives, AfricaMuseum, Tervuren.
© AfricaMuseum, service orienté vers les publics.
Figures 3. et 4
Captures d’écran de la présentation par Victoire Karera de son film Alberta’s Room, Belgique, 2022, 18 min., film noir & blanc, 14 octobre 2023.
© AfricaMuseum, service orienté vers les publics.
Cette archive montrait en effet une famille rwandaise dans une scène qui parut peu commune à l’artiste (le père montré comme revenant du travail, la mère tissant chez elle un panier), scène que commenta ainsi Victoire Karera :
J’ai choisi d’insérer ces images dans mon film parce qu’à un moment je devais parler d’un foyer [et ces images m’ont frappée]… Traverser les archives coloniales, c’est toujours un peu douloureux car le discours qui est apposé aux images est souvent d’une grande violence, mais là, pour le coup, je les ai trouvées drôles, ces images ; j’ai trouvé très drôle cette façon qu’il y avait de mettre en scène une famille rwandaise, comment dire, à l’européenne [comme une famille nucléaire]. J’ai trouvé drôle de juxtaposer comme ça un modèle, qui vient d’ailleurs, à un territoire [le Rwanda]. Je ne peux pas dire que je suis une experte du Rwanda ancien mais j’ai l’intuition que les familles ne sont pas structurées de cette façon-là, tout simplement aussi parce que dans mon environnement proche […], j’ai observé une façon [de s’organiser] qui ne correspond pas du tout à ce qui est présenté dans ce film, lequel ressemble vraiment à un spot publicitaire des années 19609.
Cette archive, remarqua l’artiste, contribua en son temps à former une certaine interprétation des modes de vie des personnes filmées. Une partie de la conférence de Victoire Karera a porté sur la manière dont les films et les photographies coloniales, ainsi que les discours qui les encadrent solidement, construisent des représentations figées des individus et leur assignent une certaine place10, cela notamment par le choix des scènes et des plans, par la construction des images et par le titre des films, selon un processus aboutissant ainsi ce que l’artiste désigne, à la suite de Fred Moten ou de Michael Parenti, comme une forme de « renversement de la réalité »11. L’exemple qu’elle donne est celui des nombreuses photographies présentes dans les archives qui montrent un individu, fonctionnaire colonial, soldat ou explorateur par exemple, entouré par des Africains, le cercle ainsi formé suggérant implicitement une forme de menace là où celle-ci n’est pas exercée par ces derniers mais bien par la personne qui s’est volontairement placée au centre du cercle dans une mise en scène imposée au moment de la prise de vue12.
Lors des journées d’octobre 2023, rares sont finalement les artistes qui ont évoqué directement la perspective de la « réparation » et, lorsque cela fut le cas, ce fut généralement plutôt pour critiquer cette perspective ou en montrer les difficultés, comme par exemple Tatiana Bohm dans son choix d’intituler l’une de ses œuvres Impossibles réparations13.
Figure 5
Capture d’écran de la présentation par Tatiana Bohm de sa pièce Impossibles réparations, journées (Re)-appropriation – Artistes et archives, 14 octobre 2023.
©AfricaMuseum, service orienté vers les publics.
Figure 6
Tatiana Bohm, Impossibles réparations, Installation, technique mixte, images d’archives, 2021-2022.
© Tatiana Bohm.
L’artiste décrivit elle-même cette dernière comme une installation de type participative portant sur l’extraction de matières premières (par exemple aujourd’hui celle du coltan, minerai utilisé pour les téléphones portables et les ordinateurs). Les visiteurs et visiteuses étaient invité·es, pour suivre la description de l’artiste, à dévider de grosses bobines (formant des cônes de fil d’or suggérant le « butin de l’occident »), afin de révéler leur support constitué d’images imprimées sur des feuilles A4. Les bobines dévidées rendaient alors visibles des photographies extraites de fonds d’archives coloniales du musée. L’ensemble retraçait un pan de l’histoire industrielle de ces extractions minières et de ses violences, la pièce se concluant par une invitation à s’interroger sur la possibilité de « reconstruire autrement » en utilisant : « les chutes, restes, traces et résidus [résultant des manipulations premières et servant] désormais à tisser une nouvelle trame commune, une histoire à tisser ensemble14 ». Présente en arrière-plan par la force du titre choisi par Tatiana Bohm, pour laquelle la fonction réparatrice de l’art ne paraît pas une évidence, la question de la « réparation » semble ici céder la place à un projet de « reconstruction » fondé, du moins est-ce ce qui est souhaité explicitement, sur l’écriture d’une histoire commune, sans qu’il soit aisé de savoir ce qui, en dehors du fait de réaliser la pièce à plusieurs mains, forme ce « commun ».
Se ré-approprier certaines archives filmiques peut permettre, Victoire Karera l’a indiqué, de montrer des formes de « renversement de la réalité » résultant de la construction même des images. C’est peut-être également ce renversement qu’Aimé Mpane désigna également durant les journées d’octobre 2023 lorsqu’il commenta les œuvres qu’il réalisa dans le musée pendant et après les travaux entrepris entre 2013 et 2018, commentaire qui, on le verra bientôt, porte également sur ce qu’évoque, à ses yeux, la « réparation » :
Une question s’est posée au moment de la rénovation [du musée de Tervuren] : fallait-il détruire ? C’est facile de déboulonner, c’est aussi facile d’écrire de nouvelles histoires, mais c’est trop facile pour moi. Effacer tout ? Est-ce qu’en effaçant, on va oublier ? Je ne crois pas […]15.
Figure 7
Capture d’écran de la présentation par Aimé Mpane de la pièce RE/STORE lors des journées (Re)-appropriation – Artistes et archives, 14 octobre 2023, AfricaMuseum, Tervuren.
©AfricaMuseum, service orienté vers les publics.
Figure 8
Aimé Mpane, Jean-Pierre Müller, La Grande Rotonde du Musée royal de l’Afrique centrale, RE/STORE, AfricaMuseum, Tervuren, 2019.
© AfricaMuseum et les artistes.
Aimé Mpane évoque ici le projet qu’il a conçu pour la grande rotonde, ancienne entrée majestueuse du musée de Tervuren, ornée de sculptures coloniales insérées progressivement dans des niches entre 1910 et 1965. Face au « renversement de la réalité » que représentent ces sculptures, telle par exemple celle d’Arsène Matton, La Belgique apportant la civilisation au Congo (1922), et se refusant toute destruction ou tout effacement, Mpane choisit de mener une collaboration spécifique avec un artiste bruxellois, Jean Pierre Müller16. Ensemble, ils conçoivent de grands voiles semi transparents sur lesquels sont imprimées des images contemporaines conçues par les deux artistes, images qui, chacune à leur manière, forment des commentaires visuels des sculptures de la première moitié du xxe siècle. Notons que, accrochés devant les sculptures à une trentaine centimètres, les voiles et leurs images ne cachent pas les sculptures ; il ne s’agit effectivement pas de les « effacer », mais plutôt, d’une part, de susciter le désir de s’en approcher ; d’autre part, et peut-être surtout, de mettre en lumière une de leur dimension révélée par les images imprimées sur les voiles17. Selon l’artiste, l’ensemble – et cela nous intéresse particulièrement – questionne ce qu’il appelle « l’idée de réparation »18 :
J’aime toujours jouer avec les mots… Depuis longtemps, je me sens mal à l’aise avec l’idée de « réparation », ce que ça peut donner. Depuis le début des années 2000, je ne me pose plus cette question-là. Parce que dans mon travail, ce que j’ai développé, c’est une idée de la dignité humaine, un rapport horizontal… La notion d’horizontalité est toujours présente dans mon travail. Je ne peux pas supporter quelqu’un d’autre se mette sur un piédestal, regarde l’autre, déconsidère l’autre. Quand je vois l’idée, ou le mot « réparation », j’ai tout de suite cette sensation-là. Je me suis alors posé la question suivante : quel mot pourrais-je utiliser, qui donnerait plus ou moins le même sens que celui de « réparation », mais dans lequel on aurait cette idée d’horizontalité, cette idée de la dignité, du respect des dignités, des différentes communautés, de la dignité dans tous les sens du terme. J’ai effectué une recherche dans le dictionnaire des synonymes […]. Quel mot pouvais-je prendre qui aurait encore plus ou moins la même signification ? […] [j’ai choisi le mot] « restauration » […]. Re/Store19.
Si je me permets de citer aussi longuement certain·es des artistes présent·es lors de la manifestation (Re)-appropriation, c’est qu’il me paraît très important de faire lire, et si possible faire entendre leurs propos concernant la question de la réparation. On le constate, certain·es interrogent cette notion ou cherchent à s’en défaire. Si, parfois, leurs projets mettent en tension la question du « réparable », et son corollaire, celle de « l’irréparable », plusieurs préfèrent réfléchir à partir d’autres notions, telle celle de restauration, ici énoncée plusieurs fois sous la forme Re/Store dans les textes de présentation rédigés par les deux artistes, qui jouent ainsi sur les idées de reprise et de dévoilement, les images présentées par les voiles laissant donc voir les sculptures tout en transformant leur apparence, ou plutôt en en faisant apparaître ce qu’on pourrait considérer comme un « hors-image », ou un « hors-champ ». Ce hors-image, ou ce hors‑champ peut être par exemple celui de certaines des pratiques des missionnaires dans le contexte colonial.
Figure 9
Paul du Bois, La Charité, 1922-1923, La Grande Rotonde du Musée royal de l’Afrique centrale, RE/STORE, AfricaMuseum, Tervuren, 2019.
© AfricaMuseum et les artistes.
Figure 10
Aimé Mpane, Charity RE/STOREd (charité bien ordonnée commence par soi-même), 2019, La Grande Rotonde du Musée royal de l’Afrique centrale, RE/STORE, AfricaMuseum, Tervuren, 2019.
© AfricaMuseum et les artistes.
L’un des voiles semi transparents montre en effet une photographie en noir et blanc présentant un membre de l’Église assis dans une sorte de véhicule à une roue, véhicule déplacé par deux « natifs » eux-mêmes à pied. Ce voile se superpose à la sculpture La Charité (1922-1923) de Paul du Bois, cette superposition suscitant une image double en son centre. On y voit alors la tête de l’homme d’Église qui, s’entrelaçant au visage de la Charité, semble porter lui-même l’enfant que cette dernière tient dans ses bras. L’ensemble met alors en tension l’allégorie traditionnelle du don de soi représenté par l’enfant, plus précisément le message de miséricorde associé à la charité (nourrir les affamés, soigner les malades, etc.), et la réalité crue désignée par l’image représentant l’homme d’Église véhiculé par deux porteurs. Bien loin de rendre confuse la perception de chacune des deux parties, cette superposition aimante le regard de l’une à l’autre, permet une attention décuplée envers les sculptures de la rotonde et oriente leur compréhension en regard du contexte politique, social et religieux de leur apparition, ici mis en lumière par les figures du voile qui s’y superposent.
Questions
Peut-être est-il temps maintenant de revenir sur quelques-unes des questions posées dans l’appel à projet ayant suscité ce numéro de Déméter, en particulier celles-ci : « existe-t-il une portée réparatrice de l’art ? Si oui, quel en est le périmètre poétique, esthétique, social, politique, voire thérapeutique ? Est-ce l’art et la culture eux-mêmes qui réparent ou les usages qui en sont faits ? Quels en sont les possibilités, les limites, les échecs ? ». Pour passionnantes qu’elles soient, ces questions nous semblent avoir été formulées dans un régime discursif qui privilégie une certaine forme d’abstraction. Qu’entend-on ici par « l’art et la culture » ? Comment fonctionnerait cette « portée réparatrice de l’art ? » Est-il possible de réfléchir à cette question de la réparation sans interroger quel pourrait être, dans ce champ même de l’art et de la culture, le « sujet » (individu ou collectivité), qui, éventuellement, demanderait réparation, ou bien « réparerait », ou souhaiterait le faire ; par ailleurs, qui serait, éventuellement, celui ou celle qui « serait réparé·e » ; quelle serait aussi la place de laquelle en tant que chercheur·e ou artiste on décrirait ou mettrait en œuvre ces processus de « réparation », ou bien en évaluerait l’efficacité ? Dans d’autres champs disciplinaires, certain·es se sont également posé la question, dont par exemple Ibou Diop, chercheur en littérature. Dans un article publié en 2023 et intitulé : « Qui répare ? Qui répare qui ? Comment et pourquoi ? Une éthique et une esthétique de la relation », Ibou Diop donne une interprétation de ce que pourrait être cette éthique de la relation par la réparation en suggérant que certain·es écrivain·es – par exemple Césaire, Glissant, mais aussi Fatou Diome et Chinua Achebe – seraient capables de : « redresser par de nouvelles connaissances la marche du monde20 ». Par-là, il évoque des savoirs précis émanant de certaines communautés, savoirs transmis par ces écrivain·es. Ici, il en va de la question de la production des connaissances. Photographies, films, sculptures, objets collectés et conservés dans les musées de société et de civilisation, tous ont été le support de productions de connaissances sur les personnes et les populations dites alors « étudiées », connaissances aujourd’hui interrogées par certain·es chercheur·es et artistes, qui s’emploient à transmettre et produire d’autres connaissances qui, quant à elles, ne « renverseraient » plus la réalité, en faisant appel à de tout autres sources.
Le musée comme espace de réparation ?
Si, finalement, la notion de réparation a été moins convoquée qu’on aurait pu le penser par les artistes lors des journées d’octobre 2023, elle est souvent directement posée par les scientifiques des musées en regard de l’histoire des collections. Ainsi, Sarah Van Beurden, Didier Gondola et Agnès Lacaille, auteur·es et éditeur·trices déjà évoqué·es de l’ouvrage déjà cité La Fabrique des collections, demandent-ils et elles : « Les musées peuvent-ils être des espaces de réparation pour le passé colonial ?21 ». L’une des réponses apportées par l’ouvrage touche précisément au fait que les musées puissent mettre en perspective certaines des connaissances déjà produites :
Dans l’immédiat, les expositions pourraient refléter davantage d’informations historiques sur les collections, indiquer où il y a des silences, et pourquoi. Le débat sur la restitution des collections peut être un moyen de discuter des histoires violentes de ces collections, du rôle du musée en tant qu’agent impérial et des inégalités globales qui sous-tendent les connaissances développées sur la base de ces collections22.
Plus loin, ils affirment :
Cette approche ne considère plus les musées comme des dépositaires du patrimoine mais comme des lieux d’expérimentations sociales laissant la place à de multiples modes de connaissance et de co-création, dans lesquels un avenir décolonial est un avenir durable23.
À cet égard, les auteur·es, qui reprennent de James Clifford l’idée du musée comme « zone de contact », « lieu d’interaction entre différentes cultures » ou encore « lieux d’échange et de changement »24, rappellent que se développent, depuis au moins deux décennies, par exemple en Afrique, au Canada et en Australie, des initiatives spécifiques faisant entrer au musée de nouvelles catégories d’objets. Ils insistent également sur le développement de projets qui se situent dans des lieux inédits, hors des musées, cela pour traiter d’histoires sociales conflictuelles (voire en particulier les projets du Centre d’art Waza de Lubumbashi). Enfin, les auteur·es présentent des projets qui donnent au sein de certains musées une véritable place à l’histoire orale, ce qui permet d’enrichir les sources et les savoirs concernant des objets précis.
Vers une Créativité réparative (Reparative creativity) ?
Parmi les nombreuses questions qui se posent dans le contexte des anciens musées coloniaux, l’une d’elle nous intéresse particulièrement : que faire lorsque les usages de certains objets sont perdus ? Les scientifiques du musée de Tervuren formulent par exemple en termes de dommages irréparables les pertes associées aux instruments de musique, dont nul ne sait plus jouer : « Les pertes de cultures, de savoir-faire et de mémoire sont en effet irréversibles pour que ces objets réintègrent sans heurt leur milieu et recouvrent leur agentivité25 ». Certain·es chercheur·es associé·es au musée (par exemple On Ying Adila Yip, percussionniste et chercheure) « préconisent une restitution accompagnée et activée par la participation artistique (participatory creative action) d’acteurs locaux et diasporiques26 ». « Réparer », au sens de recréer l’état premier de l’instrument, y compris ses usages, est impossible ; estimer la fonction réparatrice dans cette pratique désignée comme une forme de « reparative creativity » nous paraît quant à nous délicat ; mais le fait que les objets puissent être à nouveau des agents dans des situations inédites, qui elles-mêmes créeront d’autres situations inédites et peut-être de nouveaux usages, est évidemment très intéressant.
Les restitutions ou retours des objets, une façon de « réparer » les histoires violentes de ces collections ?
Le lecteur ou la lectrice aura sans doute remarqué dans les paragraphes qui précèdent l’introduction notre réflexion du débat actuel sur la restitution. Cette association entre réparation (de spoliations effectuées dans des contextes violents, mais, aussi, on vient de le faire, de pertes d’usages) et restitution (ici d’items muséaux) est moins simple qu’il n’y paraît. D’abord, rappelons que les demandes de restitution ont déjà une longue histoire. « Les demandes de restitution d’objets ont parfois eu lieu au moment du pillage, ou immédiatement après27 ». Notons aussi qu’elles ne concernent pas seulement des artefacts, ou un ensemble d’artefacts, mais également des archives, comprenant elles-mêmes des fonds de natures diverses, dont des fonds photographiques ou filmiques par exemple, et, plus largement, qu’il est ici question non seulement d’objets, mais de ressources ou de patrimoine. Au moment de l’indépendance de la République Démocratique du Congo, par exemple, les demandes de restitutions ont été effectuées dans cette perspective : « les médias […] ont [alors] comparé l’importance des collections en tant que ressources culturelles pour une nouvelle nation indépendante aux richesses économiques que représentaient les gisements miniers 28 ». Enfin, car il y a une véritable histoire des demandes de restitution, formulées différemment à des moments historiques différents, les demandes plus récentes de restitution, comme le soulignent les auteur·es de La Fabrique des collections, s’inscrivent actuellement : « dans le contexte des réparations, en soulignant non seulement le pillage colonial des objets eux-mêmes, mais aussi les dommages [produits par] la disparition des objets et l’impact global du colonialisme […]29 ».
Les demandes de réparation sont donc variées et formulées en des termes chaque fois spécifiques et selon des modalités précises, la restitution d’objets étant loin d’être une demande systématique30. Dans le cadre de demandes de retours d’objets et/ou de fonds, la question de la réparation est souvent formulée selon des enjeux spécifiques eux-mêmes soutenus par des questions liées au développement économique et culturel des pays concernés, et les traiter de manière globale, non contextualisée, sans tenir compte des enjeux spécifiques, apparaît d’une certaine façon comme une forme nouvelle de « renversement de la réalité » tel qu’évoqué plus haut31.
Restitution et provenance
Les recherches effectuées actuellement par l’AfricaMuseum sur les circonstances et le lieu du prélèvement des objets des collections, ce travail sur ce qu’on désigne maintenant souvent par la « provenance » de ces objets, sur leur trajectoire, sur le fait qu’ils soient passés éventuellement de main en main jusqu’au moment où ils ont été stockés dans les réserves ou exposés dans les salles d’expositions du musée, ce travail récent concernant l’histoire de ces objets peut-il être considéré comme l’une des formes possible de « réparation » dans le contexte actuel ? Il semble là encore que du point de vue des équipes impliquées dans ces recherches, comme du point de vue par exemple d’artistes travaillant eux aussi dans ces domaines, la question est souvent formulée en d’autres termes.
Si cela fait de nombreuses années que ces recherches dites de provenance ont débuté dans les musées possédant des collections d’origine coloniale, des programmes sont actuellement plus largement mis en œuvre dans différents musées32. L’AfricaMuseum est engagé dans ces recherches, en particulier pour répondre à la mission qui lui a été donnée par le gouvernement belge, en 2022, d’identifier les objets susceptibles d’être ou non restitués (au sens du transfert de leur propriété) et retournés (au sens de leur transfert matériel). Plus précisément, il s’agit d’un travail :
[d’]identification établie par une étude et une évaluation scientifique historique (recherche de provenance) censée permettre un classement des acquisitions en trois parties : - acquisition illégitime (à restituer) ; acquisition légitime (non éligible à la restitution) ; acquisition indéterminée (potentiellement restituable)33.
Ainsi que Sarah Van Beurden, Didier Gondola et Agnès Lacaille le remarquent, ces recherches, coûteuses en temps et en budget, ne sont pas sans susciter des interrogations, dont celle-ci : quel pourrait être l’intérêt des pays concernés, par exemple la République Démocratique du Congo :
d’investir en temps et en énergie dans la recherche de provenance en Belgique, si ce n’est pour leur restitution (éventuelle). Mais pour des partenaires qui ont le plus souvent pris soin de parler de « reconstitution patrimoniale » plutôt que de « restitution », (s’évertuer à) établir la provenance légitime ou non des collections, est-ce le meilleur moyen de s’engager dans une démarche commune ?34
Qui doit prouver quoi à qui ?
Les scientifiques du musée ne sont pas les seul·es à s’interroger sur les recherches de provenance. Deux artistes, Prisca Tankwey et Paulvi Ngimbi, en résidence dans le cadre du programme Forum du MRAC, enseignant·es à l’école d’art de Kinshasa, ont travaillé lors de leur séjour à Tervuren sur les collections du Musée et plus spécifiquement sur les études de provenance qui y étaient effectuées au même moment35. Le temps précis de leur résidence fut en effet contemporain de la préparation de l’exposition ReThinking Collections, qui présenta entre janvier et novembre 2024 un premier bilan des recherches sur ces questions relatives à l’histoire de la « collecte » des objets et de leur trajectoire36. Les deux artistes ont réalisé dans ce contexte une performance saisissante rythmée par la phrase : « Pendant notre séjour au musée, nous avons effectué une recherche de provenance », performance lors de laquelle tous deux mirent en perspective les acceptions différentes de la signification de ce type recherche selon qu’elle est envisagée depuis la Belgique ou depuis la République Démocratique du Congo.
Figure 11
Capture d’écran de la performance (Autopsie) de Prisca Tankwey & Paulvi Ngimbi, performée le 23 novembre 2023 à l’AfricaMuseum, Tervuren.
Voir la vidéo en version courte sur https://www.youtube.com/watch?v=TuN6gvSssN4
© AfricaMuseum et les artistes.
Figure 12
Capture d’écran de la performance (Autopsie) de Prisca Tankwey & Paulvi Ngimbi, performée le 23 novembre 2023 à l’AfricaMuseum, Tervuren.
Voir la vidéo en version courte sur https://www.youtube.com/watch?v=TuN6gvSssN4
© AfricaMuseum et les artistes
Même s’il est peu défendable d’extraire, comme je vais le faire maintenant, la partie textuelle de l’ensemble de la performance, ôtant ainsi à cette dernière ses perspective visuelles, corporelles et spatiales, il est intéressant de considérer attentivement le texte performé par Prisca Tankwey et Paulvi Ngimbi à cette occasion – performé car il ne s’agit pas d’une lecture, mais bien d’une forme d’incorporation du texte – texte qui occupe une très large place dans la pièce. Prenons le temps de « l’écouter », en particulier ces premières phrases, qui sonnent comme un refrain, et qui reviennent à plusieurs reprises :
Nous sommes entrés dans le corps du musée pour en faire l’autopsie […] autopsie : action de voir par soi-même. […] Pendant notre séjour au musée, nous avons effectué une recherche de provenance. Quel est le but lorsqu’on fait une recherche de provenance ici ? La recherche de provenance n’a pas la même réalité en Belgique et en République Démocratique du Congo. En Belgique, il s’agit de chercher qui était le militaire ou le missionnaire qui a prélevé tel ou tel objet, et de déterminer dans quelles conditions il l’a fait. En République Démocratique du Congo, [il s’agit plutôt] d’une recherche sur la fonction, ou la fonctionnalité de l’objet, sur son utilité, […] c’est une recherche sur le terrain, une recherche d’informations, [il pourrait même s’agir de] créer un mythe – on aime l’imaginaire.
Plus loin, Prisca Tankwey et Paulvi Ngimbi posent une série de questions, qu’il faut imaginer énoncées dans le cadre de la même performance, effectuée dans les salles du musée, et qui concernent toujours la « recherche de provenance » :
« Notre travail comprend une réflexion sur l’espace, essentielle dans notre performance, et c’est ainsi que nous sommes entrés au musée, dans le corps du musée ». […] « Est-ce qu’il y a un problème, un dysfonctionnement ? Nous mettrions en place une base de décolonisation » […] « Qui doit prouver quoi à qui ? Les dénominations du musée, les systèmes, les chercheurs, les systèmes… L’objet nourrit l’imagination de celui qui le rencontre ». […] « Pendant notre séjour au musée, nous avons effectué une recherche de provenance. Comment les objets sont-ils exposés ? […] « Je ne sais pas, je ne comprends pas, je cherche à comprendre […], qu’est-ce que je fais là ? » « Peut-être un rat de laboratoire ? Je me pose plein de questions car on me pose plein de questions dans ce musée. Qu’est-ce que tu [fais] là ? » « Tu es le fruit d’une expérimentation ? » « L’investissement sur les aspects matériels et immatériels. » […]. « Nous sommes entrés dans le corps du musée pour en faire l’autopsie. Est-ce qu’il y a un problème, un dysfonctionnement ? Qu’en est-il de la suite ? De toutes ces questions ? De la recherche de provenance ? Qu’est-ce qu’on fait ? Je ne sais pas. » […] « Base de décolonisation, j’en rigole, quelle prétention, comme si on pouvait faire autre chose. C’est de la prétention, mais je le dis quand même ». […] Qui doit prouver quoi à qui ? Ces questions, elles ont déjà été évoquées, elles ont déjà eu des réponses. Il y a des décideurs. […] « Pendant notre séjour au musée, nous avons effectué une recherche de provenance…37 »
On le constate, les deux artistes montrent peu d’intérêt pour les recherches sur la trajectoire des objets et les conditions de leur extraction de leur milieu d’usage. En revanche, tous deux adoptent dans leur performance une tout autre perspective et insistent sur le fait de parler d’un certain point de vue, chacun en son nom (« Nous sommes entrés dans le corps du musée pour en faire l’autopsie […] autopsie : action de voir par soi-même. »). Dans leur performance, ils choisissent clairement d’assumer un rôle d’enquêteur et d’enquêtrice à propos du musée (« Et si nous étions là pour détecter par nous-mêmes la cause d’un dysfonctionnement, d’un problème ? »), énonçant avec force certaines interrogations (« Qu’en est-il de la suite ? », « Qui doit prouver quoi à qui ? »)38. Il nous semble que leur questionnement ne renvoie pas exactement au registre de la réparation, mais rejoint d’autres interrogations posées également en leur nom propre par des artistes ayant travaillé dans ce même musée, artistes qui partagent le fait d’engager leur pratique non en regard d’un passé historique, dont il faudrait préciser les acteur·trices (par exemple, dans le cas de la recherche de provenance, dont il s’agirait de retrouver le nom, la fonction, etc.), mais en regard de perspectives concernant directement le présent et l’avenir : hors d’un contexte muséal, quels pourraient être, aujourd’hui, les usages et les fonctions de ces objets ou de ces archives ? Quels imaginaires contemporains pourraient-ils nourrir ? Quelles formes de co-création au sens large, d’échanges, de nouvelles perspectives, pourraient-ils susciter ? Pour répondre à ces questions, il serait très pertinent d'étudier de manière approfondie le travail de Teddy Mazina, en particulier les pièces Muzungu Tribes, (2022) et MY NAME IS-NOBODY (2023), présentées toutes deux à l'AfricaMuseum dans le cadre de résidences.
Figure 13
Présentation par Teddy Mazina de son exposition MY NAME IS-NOBODY, novembre 2023, AfricaMuseum, Tervuren.
© AfricaMuseum, service orienté vers les publics et l’artiste.
Figure 14
Échanges durant la présentation par Teddy Mazina de son exposition MY NAME IS-NOBODY, novembre 2023, AfricaMuseum, Tervuren.
© AfricaMuseum, service orienté vers les publics et l’artiste.
Conclusion
Dans le cadre de cet article, j’espère avoir réussi à indiquer que les conceptions des un·es et des autres de la notion de réparation sont variées et que, dans le contexte des divers chantiers ouverts par l’AfricaMuseum, parfois suscités par des acteurs ou actrices n’appartenant pas à la structure professionnelle de ce musée (activistes, artistes, associations, etc.), émergent des questions formulées différemment, qu’il faut tenter d’entendre, et de faire entendre. Dire cela, conclure comme cela, peut paraître bien banal. Mais s’il est bien une chose que notre propre programme de recherche nous aura apprise, fonctionnant comme il le fait en reposant en particulier sur des conversations attentives menées lors de journées ou ateliers d’étude avec des membres des équipes du musée, avec des artistes étant intervenu·es ici ou là, avec nos collègues et nos étudiant·es, c’est que dans un musée, comme dans toute autre structure ou institution, peuvent circuler ou se rencontrer des points de vue, des conceptions, des positions différentes, parfois opposées, voire conflictuelles, et qu’il est regrettable que les discours interprétatifs produits à leur propos et énoncés de manière univoque réduisent parfois ces différentes positions à une proposition homogène quelque peu abstraite. On aboutit ainsi à des propositions générales sur les travaux des artistes, les collections, « le musée », ou « les musées », qui ne prennent pas en considération que ces travaux et ces espaces muséaux peuvent constituer des champs de force et de tensions qu’il n’est pas pertinent de réduire. Dans cette perspective, et pour étudier les projets réalisés par des artistes dans des musées d’histoire ou de société, peut‑être peut-on plutôt proposer de faire attention aux voix et sujets rencontrés au cours de nos recherches, de les amplifier, de s’en faire d’une certaine manière l’écho – et non l’interprète. Il s’agirait alors d’adopter une approche ouverte, complexe, qui associerait par la multiplication des points de vue la déprise d’interprétations déjà effectuées et l’écoute de descriptions, d’observations, d’analyses et de « récits » portant chacun sur le même objet ou projet, le tout visant à parvenir ainsi à déjouer ce « renversement de la réalité » évoqué plus haut.