Pour un traitement syntactico-sémantique des verbes de couleur rougir, bleuir, verdir et jaunir

DOI : 10.54563/lexique.321

p. 71-86

Résumés

This paper proposes a study of the polysemy of four colour verbs (rougir, bleuir, verdir and jaunir) based on Dubois & Dubois-Charlier’s (1997) electronic dictionary Les Verbes Français. They consider rougir and verdir as verbs of feeling; as opposed to bleuir and jaunir. After a presentation of some theoretical considerations with regards to the properties of verbs of feeling as opposed to light verbs, we will show that in a construction such as V<couleur> de Nsent, these colour verbs are not predicative as such but rather they are light verbs that take a predicative noun and give the construction an intensive meaning. A corpus analysis highlights the syntactic and semantic properties of these verbs and the adjectives they are morphologically similar to (rouge, bleu, vert and jaune).

Cet article étudie la polysémie de quatre verbes de couleur (rougir, bleuir, verdir et jaunir) à partir du dictionnaire électronique Les Verbes français de Dubois & Dubois-Charlier (1997). Ces derniers ont considéré rougir et verdir comme des verbes de sentiment, contrairement à bleuir et jaunir. Après avoir fourni un certain nombre de précisions théoriques sur les propriétés des verbes de sentiment par opposition aux verbes supports, nous montrons que dans une construction du type V<couleur> de Nsent, ces verbes de couleur ne sont pas prédicatifs mais que ce sont des verbes supports suivis d’un nom prédicatif et qu’ils confèrent un sens intensif à la construction. L'analyse des corpus permet de mettre en évidence les particularités syntactico-sémantiques de ces verbes et des adjectifs qui leur sont morphologiquement apparentés (rouge, bleu, vert et jaune).

Plan

Texte

1. Introduction

Ce travail s'inscrit dans la lignée des travaux de Harris (1976) qui considère qu'un prédicat1 peut être non verbal. En conséquence, ce prédicat, qu'il soit nominal, adjectival ou prépositionnel, nécessite un actualisateur externe qui permet de construire une phrase grammaticalement correcte en portant la personne, le temps, le mode et l'aspect. Ces verbes sont dits verbes supports (dorénavant Vsup).

L'étude que nous proposons se veut une description de la polysémie de quatre verbes de couleur : rougir, bleuir, jaunir et verdir. Pour cela, nous partons du dictionnaire électronique Les Verbes français de Dubois & Dubois-Charlier (1997) (dorénavant LVF) afin de cerner les différents emplois présentés, en nous focalisant sur leurs emplois psychologiques2, dans des constructions où ces verbes se combinent avec des noms de sentiment (dorénavant Nsent) dans des expressions du type V<couleur> de Nsent.

Dans LVF, ces verbes sont considérés comme des verbes polysémiques, plus précisément des verbes de transformation ou des verbes de sentiment. Nous faisons quant à nous l'hypothèse que, dans leur emploi psychologique, ces verbes possèdent davantage les caractéristiques des Vsup que celles des verbes de sentiment (Vsent) et qu'ils sont porteurs d’une modalité intensive. Pour le montrer, après avoir donné un aperçu des descriptions syntaxiques avancées par LVF, nous présenterons les différentes propriétés des verbes de sentiment (Ruwet, 1994), puis des verbes supports (Gross M., 1990 ; Gross G., 1994 ; Kiefer, 1998 ; Vaguer, 2004 et 2005). Nous pouvons ainsi, en confrontant les propriétés mentionnées au corpus que nous avons extrait de Frantext, montrer pourquoi ils s'éloignent des Vsent et se rapprochent des Vsup, notre objectif ultime étant d'affiner la classe sémantique P de LVF en y ajoutant d'autres propriétés. Pour finir, nous élargissons notre étude aux adjectifs morphologiquement apparentés à ces verbes de couleur et tenterons de montrer leurs similitudes avec les verbes.

2. Les verbes de couleur (V<couleur>) dans LVF

Les quatre verbes retenus (rougir, jaunir, bleuir et verdir) apparaissent dans le LVF. Celui-ci répertorie 12 310 verbes français – soit 25 610 entrées verbales – qui sont partagés en quatorze classes. Les auteurs proposent une définition sémantico-syntaxique des différentes classes selon laquelle à chaque construction syntaxique correspond un sens :

La classification syntaxique des verbes français repose sur l'hypothèse qu'il y a adéquation entre les schèmes syntaxiques de la langue et l'interprétation sémantique qu'en font les locuteurs de cette langue : à la différence syntaxique entre venir à Paris et venir de Paris correspond une différence sémantique entre la destination et l'origine. (Dubois & Dubois-Charlier, 1997 : III)

Plusieurs entrées, pour chacun de ces verbes, illustrent des emplois qui diffèrent à la fois sur le plan syntaxique et sémantique.

L'ensemble de ces emplois apparaissent en majorité dans la classe T, les verbes de transformation, et plus précisément, la sous-classe T3a glosée « Verbes intransitifs ou pronominaux à sujet non-animé, de type « devenir tel (adj) », avec adjectif intégré dans la forme du verbe. ». On retrouve trois constructions :

  1. Les verbes intransitifs à sujet non-animé, avec une transformation possible en forme transitive avec factitif dont le sujet et l'objet sont non-animés (A30 T3300). Quatre emplois sont prévus : rougir 01 (sens3 de « rougeoyer » : Le fer rougeoie le feu4), jaunir 02 (sens de « faire pâlir », devenir jaune : Le temps a jauni les teintures), jaunir 03 (sens de « donner teint jaune » : La maladie a jauni son visage) et verdir 01 (sens de « colorer de vert » : La lumière verdit les feuilles).

  2. Les verbes intransitifs à sujet non-animé. Sont classés dans cette catégorie bleuir 01 (sens de « devenir bleu » : La montagne bleuit à l'horizon), verdir 02 (sens de « verdoyer » : Les prairies verdissent au printemps) et verdir 03 (sens de « vert-de-griser » : Le cuivre verdit très vite).

  3. Les verbes intransitifs à sujet non-animé avec une transformation possible en construction transitive avec factitif à sujet humain, objet non-animé et complément instrumental (A30 T1308). Deux emplois sont concernés : bleuir 02 (sens de « chauffer pour rendre bleu » : Le métallurgiste bleuit l'acier) et jaunir 01 (sens d'« enduire de jaune » : On jaunit les dents avec le tabac).

Ces différentes descriptions syntaxiques montrent que ces emplois ne concernent pas notre étude étant donné que la construction V<couleur> de Nsent qui nous intéresse accepte en sujet exclusivement un nom humain (dorénavant Nhum) alors que ces verbes de la classe T ont en position sujet un nom non-animé (dorénavant Nnon-animé).

Dubois & Dubois-Charlier (1997) estiment que rougir 02, rougir 03 ainsi que verdir 04 font partie des verbes psychologiques (classe P) et plus précisément des verbes de sentiment5. Dans cette hyperclasse, les auteurs intègrent aussi bien des verbes de sentiment que des verbes de cognition (penser, réfléchir, etc.). Toutefois, ils ne mentionnent pas les propriétés qui leur ont permis de considérer ces emplois verbaux comme relevant des sentiments, ce qui est attendu vu que LVF est un dictionnaire où rien n'est rédigé, mais les propriétés syntaxiques retenues sont codifiées.

Dans LVF, rougir 03 (synonyme d'« être honteux de » : On rougit d'avoir été maladroit) se trouve dans la classe P1i glosée par les auteurs par « avoir tel sentiment à l'égard de quelque chose ». Il s'agit d'un verbe transitif à sujet humain dont l'objet est soit une complétive, soit une infinitive (T1500). Là encore, bien qu'il relève du domaine psychologique, ce verbe ne répond pas pour autant aux critères syntaxiques recherchés. Certes, le sujet est humain dans ce cas, mais le complément n'est pas prépositionnel en de suivi d'un nom de sentiment ; il s'agit d'une complétive ou d'une infinitive.

Concernant rougir 02 et verdir 04, ils appartiennent à la sous-classe P1c, glosée par « avoir telle manifestation physique du fait de tel sentiment, manifester tel sentiment pour ou contre quelqu'un ou quelque chose ». Rougir 02 (synonyme de « devenir rouge de plaisir » : On rougit de plaisir, de honte) et verdir 04 (synonyme de « blêmir, blanchir » : On verdit de peur) sont tous deux des verbes transitifs à sujet humain dont le complément exprime la cause (A17). Au verbe rougir 02, les auteurs associent le nom rougissement, mais verdir 04 ne semble pas avoir de nom morphologiquement apparenté.

De toutes les descriptions des verbes de couleur sélectionnés présentées par Dubois & Dubois-Charlier (1997), seuls ces deux derniers emplois sont retenus dans notre étude. A cela, nous rajoutons deux autres emplois qui ne sont pas prévus dans LVF : bleuir et jaunir dans le domaine psychologique. En effet, ces deux verbes ne sont envisagés que comme verbes de transformation et non comme verbes psychologiques. Pourtant, bleuir de Nsent ou jaunir de Nsent sont possibles comme le montrent ces exemples attestés :

(1)

(…) mon Esternome se coucha bien gaillard, sans même s'apercevoir que notre idoménée n'avait pas dit un mot, qu'elle avait soupiré en même temps que le coq, que dans ses yeux bleuis d'une terreur silencieuse, tout sourire égaré, elle balbutiait (sans madras ni foulard) comme un adieu au monde. (Chamoiseau, Texaco, 1992)

(2)

Une retenue de près de mille et cent hectares d'eau avec des profondeurs à vous faire jaunir de peur (110 mètres au barrage), des berges abrupts qui n'ont rien à enviées à celles de notre chère barrage de Vouglans (sic). (http://clubcarpecorreze.forumactif.org/t212-bienvenue-a-bort-recit-de-peche-c-a)6

La classification établie par Dubois & Dubois-Charlier a permis de montrer un emploi psychologique de certains verbes de couleur en tenant compte du schéma argumental, de la sélection lexicale, des différentes constructions et transformations possibles. Ces propriétés retenues pour classifier ces verbes ne sont pas toujours données explicitement. C'est au lecteur de les identifier. Les auteurs ne différencient pas les emplois pleins des emplois vides de sens des verbes, en d'autres termes, ils ne distinguent pas entre emploi prédicatif et verbe support. Il nous semble intéressant d'apporter cette nuance syntactico-sémantique au travail établi dans LVF et plus particulièrement concernant les verbes de sentiment.

3. Verbes de sentiment ou verbes supports ?

Afin d'affiner la classification établie par Dubois & Dubois-Charlier (1997) sur les verbes psychologiques, et plus particulièrement sur les verbes de sentiment, nous tentons de trouver des propriétés syntactico-sémantiques qui permettront de résoudre le problème posé : dans la construction du type {rougir + bleuir + verdir + jaunir} de Nsent, sommes-nous en présence d'un verbe à sens plein qui a un complément prépositionnel en de suivi d'un Nsent ou est-ce un Vsup accompagné d'un prédicat nominal de sentiment ? Pour pouvoir répondre à cette question, il semble nécessaire de répertorier, dans un premier temps, les propriétés qui permettent d'identifier les verbes de sentiment.

3.1. Verbes de sentiment

Ruwet (1994) explique que les verbes de sentiment se divisent en trois classes : la classe 1 du type aimer, mépriser, la classe 2 du type amuser, impressionner et la classe 3 du type plaire, déplaire.

Salinas (2016 : 78) montre que dans LVF, ces trois classes sont bel et bien représentées. En effet, la classe 1 correspond aux verbes ayant l'expérienceur (ou humain affecté) en position sujet et le complément désigne l'objet du sentiment. Ces verbes répondent à l'opérateur « sent. » et ils se trouvent dans la classe P1 :

(3)

Pierre aime / méprise Marie.

Quant aux classes 2 et 3, l'expérienceur est en position complément, ce dernier étant construit directement pour la classe 2 et par l'intermédiaire d'une préposition pour la classe 3. Le sujet représente la cause du sentiment. L'opérateur attribué à ces verbes est « f. sent » qui indique que l'on est en présence de verbes factitifs et qui sont répertoriés dans la classe P2 :

(4)

Marie amuse / impressionne Pierre.

(5)

Marie plaît à Pierre.

Les emplois verbaux de rougir, bleuir, verdir ou jaunir suivis d'un complément prépositionnel en de Nsent n'entrent dans aucune de ces classes étant donné que, bien que le sujet soit humain et désigne l'expérienceur comme pour les verbes de la classe 1 de Ruwet ou P1 dans LVF, le complément ne réfère pas à l'objet du sentiment puisqu'il s'agit d'un Nsent. Pourtant Dubois & Dubois-Charlier (1997) ont attribué l'opérateur « sent. » à rougir et verdir, ce qui nous semble donc discutable si nous tenons compte de la place des actants (expérienceur et objet du sentiment) dans les critères de classification.

3.2. Verbes supports

Harris (1976) explique que tous les verbes ne sont pas nécessairement prédicatifs. En effet, le prédicat peut appartenir à d'autres catégories syntaxiques comme le nom, l'adjectif ou la préposition. Dans ce cas, il est nécessaire d'ajouter un actualisateur que l'on appelle Vsup. Ce dernier accompagne le prédicat de la phrase et porte le temps, le mode, la personne et l'aspect, ce que ne peut faire le prédicat non-verbal. Il opère également des sélections sur les noms ou les adjectifs et ainsi permet de construire des classes sémantiques. Par exemple, Gross M. (1990 : 108) évoque les Vsup du type arriver, avoir lieu, se produire, intervenir ou encore se passer compatibles avec des noms décrivant un événement. Quant à Gross G. (1994 : 16), il explique que les Vsup permettent de distinguer deux noms comme table et bruit car bruit accepte de se construire avec se produire, avoir, éclater ou survenir contrairement à table. Ces Vsup permettent d'identifier les événements et non les noms concrets. Il en conclut donc que bruit appartient à la classe des événements acoustiques.

Neveu (2018) rappelle quant à lui que :

Les verbes supports présentent la particularité de construire, avec un complément nominal prédicatif, voire avec un adjectif ou un syntagme prépositionnel, une forme verbale complexe dont le fonctionnement sémantique équivaut à celui d'un verbe simple. (Neveu, 2018)

Vaguer (2004) confirme cela et énumère un ensemble de propriétés (a-j) qui permettent de distinguer le Vsup d'un verbe à sens plein :

(a) La combinaison Vsup avec un nom ou un adjectif prédicatif est généralement commutable par un verbe sémantiquement plein et morphologiquement apparenté au nom :

(6)

L'abandon de poste de Max est intervenu à telle heure.

(7)

Max a abandonné son poste à telle heure.

(8)

Cette action de Max s'est passée en présence de témoins.

(9)

Max a agi en présence de témoins.

Dans ces phrases, empruntées à Vaguer (2004), les verbes abandonner et agir sont respectivement équivalents de la combinaison des Vsup intervenir et se passer avec les prédicats abandon et action. Toutefois, cette propriété n'est valable que si le verbe morphologiquement apparenté au nom ou à l'adjectif existe, ce qui n'est pas le cas de prendre peur :

(10)

Max prend peur.

(b) Lors de la nominalisation, le Vsup s'efface :

(11)

L'abandon de poste de Max à telle heure.

(12)

Cette action de Max en présence de témoin.

(c) Le Vsup ne peut pas être nominalisé.

(13)

*L'intervention de l'abandon de poste de Max à telle heure.

(14)

*Le passage de cette action de Max.

Les verbes intervenir et se passer sont polysémiques. Leur nominalisation n'est possible que lorsqu'ils sont employés en tant que verbe à sens plein et non en tant que Vsup.

(d) Il existe une coréférence entre le sujet syntaxique du verbe support et le sujet sémantique du prédicat :

(15)

Marie est murée dans son silence.

(16)

*Marie est murée dans le silence de Paul.

Ces exemples de Vaguer (2004 : 127) montrent que l'adjectif possessif son se réfère obligatoirement à Marie. Lorsque la coréférence est absente, comme dans (16), l'énoncé est inacceptable.

Toutefois, concernant les prédicats événementiels, on ne peut parler de coréférence entre sujet syntaxique du Vsup et sujet argumental du prédicat nominal. La construction de ces phrases diffère de celles décrites par Vaguer. En effet, celle-ci expose le cas de combinaisons où le prédicat nominal est placé après le Vsup, et donc est l'objet du verbe. Pour les Vsup combinés avec les prédicats événementiels, le prédicat nominal n'est pas l'objet mais le sujet du Vsup :

(17)

La discussion entre Max et Luc a eu lieu en présence de témoins.

(18)

Max et Luc discutent en présence de témoins.

(e) Une double-analyse est possible dans les constructions du type N1 Prép N2. En effet, Giry-Schneider (1978) explique que l'extraction en c'est… que permet d'isoler soit N1, soit N2, soit le tout, à condition que le verbe soit un Vsup :

(19)

a.

Max a une grande confiance en Luc.

b.

C'est une grande confiance en Luc que Max a.

c.

C'est une grande confiance que Max a en Luc.

d.

C'est en Luc que Max a une grande confiance.

Si l'on confronte les différentes propriétés relevées par Vaguer aux V<couleur> combinés à un Nsent, il en ressort que :

(f) l'équivalence Vsup + Nsent avec un verbe à sens plein est possible à condition que le Nsent soit un verbe morphologiquement apparenté, ce qui est impossible pour colère, honte, fureur ou peur qui n'ont pas de verbes correspondants. Et si un tel Vsent existe, il doit appartenir à la classe des verbes dont l'expérienceur est en position sujet :

(20)

a.

Pierre rougit de rage.

b.

Pierre enrage.

(21)

a.

Pierre rougit de plaisir.

b.

#Pierre plaît.

Bien que plaisir soit un équivalent verbal de plaire, celui-ci ne peut se substituer à la construction rougir de plaisir. En effet, ces deux termes ne sont pas équivalents sémantiquement car dans (21a), Pierre est l'expérienceur, l'humain affecté par le sentiment de plaisir, tandis que dans (21b) Pierre est la cause du sentiment. L'expérienceur ici n'est pas exprimé, mais on pourrait enchaîner par à Marie et ainsi préciser l'expérienceur. N'oublions pas que le verbe plaire appartient à la classe 3 de Ruwet (1994). La substitution par un verbe plein est contrainte par la place occupée par les actants (expérienceur, et cause du sentiment ici).

Pour les Nsent qui n'ont pas de Vsent morphologiquement apparenté, la commutation du V<couleur> par un autre Vsup, approprié au sentiment, est possible :

(22)

a.

Pierre rougit de colère.

b.

Pierre éprouve / ressent de la colère.

(23)

a.

Pierre verdit de jalousie.

b.

Pierre éprouve de la jalousie / ressent de la jalousie.

Cette substitution par un verbe comme éprouver ou ressentir, qui sont considérés comme des Vsup « génériques » pour les prédicats nominaux de sentiment, implique une perte d'informations. Les énoncés (22a) et (23a) sont des périphrases de (22b) et (23b). Vaguer (2005) montre que les constructions du type V dans Némotion sont des hyponymes de être :

Ȇtre peut donc être identifié comme une sorte d'hyperonyme. Par rapport à cet hyponyme, qui doit rester très général (mais être justifié formellement, par la commutation au moins), certains hyponymes peuvent être considérés comme des modalités (aspectuelles et/ou intensionnelle) de l'hyponyme. (Vaguer, 2005, §18)

Comme être, éprouver ou ressentir peuvent être envisagés comme des hyperonymes et les V<couleur> leurs hyponymes. L'information perdue lors de la substitution porte sur l'intensité du sentiment et non de la couleur puisque, selon Kleiber (2007), les couleurs ne sont pas gradables.

Les Nsent dans tous ces énoncés sont prédicatifs et les V<couleur> permettent de les actualiser.

(g) Quant à l'effacement du Vsup lors de la nominalisation, la propriété en question semble être respectée puisqu'aux énoncés (22) et (23) correspondent les nominalisations :

(24)

La colère de Pierre

(25)

La jalousie de Pierre

(h) Certains de ces V<couleur>, en tant que Vsup, ne peuvent être nominalisés.

(26)

*Le bleuissement de peur

(27)

*Le verdissement de jalousie

Toutefois, un contre-exemple vient nuancer cette affirmation étant donné que le rougissement de +Nsent est possible. Nous avons pu trouver plusieurs occurrences sur Google :

(28)

Car dans le cas suscité, pas de silence, pas de rougissement de confusion, pas d'excuses a posteriori. (http://lespenseesdemanu.hautetfort.com/tag/histrionisme)

(29)

(…) la colère comme la honte se manifestent par le rougissement, si bien qu'il n'est pas rare qu'un rougissement de colère se mue en un rougissement de honte. (http://adrastia.org/transition-2017-4-programme-ethique-transition/)

Rougissement combiné avec confusion semble rare car un seul exemple est présenté par Google. Avec colère et honte, cela est plus courant.

Il semblerait donc que rougir, verdir, bleuir se distinguent face au test de la nominalisation.

(i) Le sujet syntaxique du V<couleur> et le sujet argumental du Nsent sont coréférents. En effet, dans (20), (21) et (22), le verbe rougir a comme sujet syntaxique Pierre qui représente l'argument sujet du Nsent, respectivement rage, plaisir et colère. Il en va de même pour verdir dans (23), Pierre est également le sujet argumental de jalousie. Cet argument du Nsent désigne l'expérienceur.

(j) La double-analyse des Vsup ne peut s'appliquer à nos emplois étant donné qu'ils ne répondent pas à la construction N1 Prép N2.

De plus, Kryzanowska & Augustyn (2008) rappellent qu'il existe quatre sous-classes de verbes supports pour les noms d'affect : les Vsup sémantiquement vides (être, avoir), les « génériques » (éprouver, ressentir), les porteurs de dimensions aspectuelles inchoative, durative ou terminative (entrer [dans une colère noire], tomber [dans la tristesse] ou sortir [d'inquiétude]) et, pour finir, les verbes « sémantiquement autonomes mais employés secondairement comme supports » (nourrir [la haine], baigner [dans la joie], sombrer [dans le désespoir], bouillonner [de colère]...). Les V<couleur> rentrent dans cette dernière catégorie. Les auteures expliquent qu'employer des verbes à sens plein comme Vsup n'est pas anodin car ceux-ci « gardent une partie du sens du verbe prédicatif auquel ils sont associés » (Kryzanowska & Augustyn, 2008 : 12). Leur effacement suppose une perte d'une partie de l'information véhiculée par le Vsup.

Pour conclure, la construction V<couleur> de Nsent présente plutôt les caractéristiques d'un Vsup que celui d'un Vsent. Toutefois, les couleurs qui nous occupent ne semblent pas présenter exactement les mêmes propriétés quant à cet emploi. Il est donc nécessaire de confronter notre hypothèse à un corpus de phrases attestées tirées de Frantext.

4. Les V<couleur> dans Frantext

Le corpus choisi est extrait de la base de données Frantext7, tous genres de textes confondus. La période choisie est de 1980 à 2019, révélant des emplois récents. Le corpus 88milSMS8, qui relève davantage du français parlé, a été également consulté mais n'a pas présenté l'emploi qui nous intéresse. Le V<couleur> combiné à un Nsent le plus représenté est rougir (34 occurrences sur 1000), bleuir (2 occurrences sur 114), verdir (1 occurrence sur 84) et aucune pour jaunir (sur 282 occurrences).

La comparaison avec LVF ne s'avère pas entièrement concluante puisque, d'une part, bleuir et jaunir n'étaient pas envisagés dans cet emploi par Dubois & Dubois-Charlier (1997) ; et d'autre part, verdir, même s'il est dans LVF, se trouve peu représenté dans le corpus.

Ces V<couleur> sont plus appropriés à certains sentiments qu'à d'autres. En effet, dans Frantext, rougir est employé avec honte (11 cas), avec plaisir (9 cas), avec colère (6 cas), avec confusion (3), fureur et peur (2 cas), rage, chagrin, aise, gratitude et mépris (1 seul cas pour chaque) :

(30)

Quand elle m'aperçut, elle se dégagea en rougissant de honte ou de peur alors qu'une expression de surprise entrouvrait ses lèvres mouillées. (Giesbert, L'affreux, 1992)

(31)

Ma chère Lydie, fit-elle en prenant les mains de son assistante, qui rougit de plaisir, faites porter à ma chambre un bol de bouillon maigre et une petite salade au thon avec beaucoup de persil et de tomates. (Beauchemin, Le Matou, 1981)

(32)

Moulard rougit de colère et lui dit sèchement : « Nous plaire ici ? Il n' y a pas un chat. Moi je n'ai qu' une envie : c'est d'en foutre le camp. (Sartre, Carnets de la drôle de guerre : septembre 1939-mars 1940, 1983)

(33)

Le Roi était étendu sur son lit, à demi nu, les chausses baissées ; je rougis de confusion à la pensée de ce que Monsieur allait croire en nous trouvant dans une situation qui, à défaut de mariage, eût été contraire à la bienséance. (Chandernagor, L'Allée du Roi, 1981)

(34)

Il faut hurler pour ne pas tuer / pour ne pas mourir en chantant / pour ne pas rougir de honte / et de fureur (Soupault, Odes : 1930-1980, 1980)

(35)

Mais j'étais on ne peut plus sérieux, et dans l'après-midi, en y repensant, je me suis senti rougir de rage. (Huguenin, Journal, 1993)

(36)

(…) elle en rougit de chagrin. (Garat, L'Enfant des ténèbres, 2008)

(37)

Sous sa casquette, Raymond rougit d'aise. (Poirot-Delpech, L'été 36, 1984)

(38)

« Merci, merci beaucoup » - et je rougissais, et je me confondais, ou du moins c'était ce qu'on appelle en français, je crois, rougir de gratitude et se confondre en remerciements. (Quignard, Le Salon du Wurtemberg, 1986)

(39)

Au bout presque de ma trajectoire je trouve ça plutôt positif ; je n'ai pas eu à me conformer à quoi que ce soit et je n'avais aucune disposition pour rougir de honte ou de mépris. (Boudard, Mourir d'enfance, 1995)

Ces noms sont aussi bien connotés positivement (plaisir par exemple) que négativement (rage, peur, fureur...). Toutefois, ils semblent tous appartenir à la catégorie des Nsent exogènes car ils sont tous combinables avec la préposition devant / à la vue de, test proposé par Anscombre (1995) pour les identifier. En effet, Anscombre (1995 : 47) explique que les noms de sentiment et d'attitude exogènes sont ceux où leur origine est vue comme extérieure au lieu psychologique, il s'agit donc d'une réaction à un événement externe.

De plus, les Nsent ne peuvent être précédés d'un déterminant, il semblerait que la présence de ce dernier renvoie à l'emploi prédicatif du V<couleur> et non au Vsup :

(40)

(…) je suis l'ami qui les regarde vivre, qui vit avec eux, en eux, essayant de les aider, de les sauver, me désespérant de leur chute, rougissant de leurs confusions ; je suis leur destin et pourtant je ne fais que transmettre un destin supérieur qui les commande, auquel moi-même je ne peux échapper. (Huguenin, Journal, 1993)

En effet, rougir, dans cet exemple, n'est pas commutable avec éprouver ou ressentir :

(41)

a.

(…) *je suis l'ami qui les regarde vivre, qui vit avec eux, en eux, essayant de les aider, de les sauver, me désespérant de leur chute, éprouvant de leurs confusions.

b.

(…) *je suis l'ami qui les regarde vivre, qui vit avec eux, en eux, essayant de les aider, de les sauver, me désespérant de leur chute, ressentant de leurs confusions.

On remarque qu'après le V<couleur>, le déterminant est absent alors qu'après éprouver, on retrouve le déterminant partitif. Cette différence ne contredit pas notre hypothèse de départ car, comme le rappelle Ben Arbia (2011), « dans les constructions à verbe support (CVS), le nom apparaît avec ou sans déterminant ». En effet, on aura un déterminant dans des constructions du type avoir de l'inquiétude, avoir de la pitié, contrairement à avoir peur. Or la présence ou l'absence de déterminant partitif avec avoir ne vient en aucun cas remettre en cause son statut de Vsup.

Quant aux trois autres verbes, peu d'exemples sont présents dans Frantext et aucun dans 88milSMS.

Deux occurrences présentent bleuir avec un Nsent : dans (1), il est combiné à terreur et dans (42) à colère :

(42)

Aux Chaumots, Phrasie et Gustave bleuissent de colère. (Szczupak-Thomas, Un diamant brut Vézelay-Paris 1938-1950, 2008)

Comme pour rougir, bleuir est commutable par un Vsup du type éprouver ou ressentir :

(43)

Aux Chaumots, Phrasie et Gustave éprouvent de la colère.

La préposition de est suivie directement du Nsent, sans aucun déterminant possible et le Nsent est connoté négativement.

Quant à verdir, le seul exemple de Frantext le combine avec jalousie :

(44)

Au moins, il lui a été épargné d'apprendre la dévastation de Nagasaki et Hiroshima : le pauvre aurait verdi de jalousie. (Mertens, Les Eblouissements, 1987)

Le TLFi propose d'autres combinaisons possibles avec ce verbe (colère, peur et rage), combinaisons confirmées par les exemples extraits de Google, auxquelles s'ajoute surprise :

(45)

Delmare verdit de colère et de surprise. (Sand, Indiana, 1832, http://george2etexte.free.fr/ extrait.php ?id =61)

(46)

Mme Barondis verdit de peur :

– Vous... vous allez me faire une piqûre ? (http://www.hautefeuille92.fr/Redactions-de-Cinquieme-promo-2021)

(47)

Je suis allée faire un tour sur le site officiel de Flashman qui compte un très grand nombre de fans chez les anglo-saxons et à la lecture des résumés des livres parus, j'en verdis de rage... le public français a choisi d'ignorer Flashman, et pour quelle raison ? (http://lectures-au-coin-du-feu.over-blog.com/article-19478599.html)

La commutation de verdir avec les Vsup éprouver ou ressentir est également possible :

(48)

Delmare éprouve de la colère et de la surprise.

(49)

Mme Barondis éprouve de la peur.

(50)

J'en éprouve de la rage.

Même si ces trois V<couleur> sont commutables avec les Vsup qui permettent d’introduire les Nsent, ils n’en sont pas pour autant exactement les équivalents. En effet, ils apportent une nuance d'intensité supplémentaire. En effet, les équivalents de rougir de colère, verdir de jalousie ou encore bleuir de peur seraient respectivement éprouver une grande colère (ou être très en colère), éprouver une jalousie excessive ou éprouver une peur intense.

Leeman (1991) explique que dans des constructions du type griller d'impatience, trépigner d'impatience, rougir de honte ou encore hurler de terreur..., il est difficile d'appliquer un modifieur d'intensité à de N :

(51)

*Luc bout de grande colère.

La restriction est également impossible puisqu'elle vient contredire l'intensité :

(52)

??En écoutant cela, Luc n'a que bouilli de colère.

Leeman (1991 : 85) ajoute que

différents indices permettent de penser que dans des énoncés tels que Luc tombe de fatigue, ce n'est pas de fatigue, le complément, qui modifie le verbe mais au contraire le verbe qui marque l'intensité du nom. On pourrait parler de verbe support, c'est-à-dire grammaticalement nécessaire pour associer le nom prédicatif à son argument, comme avoir ou être dans Luc a faim ou Max est en colère, ou plutôt d'une variante, incluant un sens de quantité, du verbe support approprié au nom. (Leeman, 1991, p. 85)

Ces remarques peuvent s'appliquer également aux verbes qui nous intéressent :

(53)

*Luc rougit de grande colère.

(54)

*Elle n'a que rougi de colère.

Par conséquent, étant donné les propriétés relevées, l'hypothèse qui consiste à considérer les verbes rougir, bleuir et verdir comme Vsup se confirme. Cependant, l'absence d'occurrences dans Frantext, dans 88milSMS du verbe jaunir combiné à un Nsent pose problème. En effet, même le TLFi ignore cet emploi. Faute de représentativité qui puisse déboucher sur des conclusions pertinentes et intéressantes, nous avons fait le choix d'écarter pour l'instant le verbe jaunir de la liste des Vsup.

5. Les adjectifs morphologiquement apparentés : rouge, bleu, jaune et vert

Comme pour les V<couleur>, la combinaison des adjectifs morphologiquement apparentés avec un Nsent est possible. Rouge, bleu et vert acceptent des Nsent appropriés. En revanche, aucune occurrence de jaune, comme pour jaunir, n'a été trouvée dans le corpus.

Dans Frantext, plusieurs exemples illustrent ces combinaisons, mais 88milSMS n'en présente aucune. On trouve rouge construit avec les Nsent confusion, colère, honte :

(55)

Je bondis vers la porte, l'ouvre à la volée et me trouve nez à nez avec deux rockers qui maintiennent un type rouge de confusion. (Manoeuvre, L'Enfant du rock, 1985)

(56)

Je suis rouge de colère. (Letessier, Le Voyage à Paimpol, 1980)

(57)

Mes mains rouges de honte d'être inactives se cachent au fond de mes poches. (Letessier, Le Voyage à Paimpol, 1980)

Ce dernier exemple a comme argument mains pour représenter, par métonymie, l'expérienceur.

Mais d'autres Nsent sont possibles comme plaisir, qui a une connotation positive :

(58)

Rouge de plaisir, Nîmes donne une leçon à Marseille (3-1). (https://www.lequipe.fr/Football/Article/Rouge-de-plaisir-nimes-donne-une-lecon-a-marseille-3-1/932155)

Rouge peut également occuper la fonction épithète d'un Nsent :

(59)

Le # Givemefive du 16.11.18 : Gilets jaunes, héros colorés et colère rouge. (https://www.phosphore.com/actu-en-clair/givemefive-16-11-gilets-heros-colere/)

Quant à l'adjectif bleu, il accepte de se combiner avec la classe des noms de peur (peur, terreur et trouille) ainsi qu'avec le nom colère. Toutefois, la majorité des exemples le placent comme épithète :

(60)

Après toi, Bensoussan pénétra dans le couloir avec une peur bleue qui lui glaçait les fesses. (Page, Tchao pantin, 1982)

(61)

Par le même réflexe de défense, j'avais une trouille bleue que la Vierge m'apparaisse, après j'aurais été obligée d'être une sainte et je n'y tenais pas. (Ernaux, La Femme gelée, 1981)

(62)

Jonathan Farren, critique cinéma du journal hésitait entre l'immense satisfaction de passer enfin devant les rocks critics, et la terreur bleue de rater l'interview. (Manoeuvre, L'Enfant du rock, 1985)

(63)

J'ai regardé le ciel. Pas le moindre nuage. Une colère bleue. (Pennac, Monsieur Malaussène, 1995)

Il accepte tout de même la construction avec le complément prépositionnel en de Nsent :

(64)

Une hilarité générale accueillit ma repartie ; un monsieur Marcel bleu de colère m'arrosa copieusement de coups de baguette, me fit passer le reste de l'après-midi, à genoux face au tableau. (Ollivier, Mille eaux, 1999)

(65)

Gilets jaunes, vert de rage et bleu de peur. (https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/gilets-jaunes-vert-de-rage-et-bleu-de-peur-1)

(66)

Je regardais mon frère, il était devenu bleu de terreur. (http://blog.ac-versailles.fr/classe402/index.php/pages/Nouvelle-fantastique-de-Vénus)

(67)

On s'ennuie, là-haut dans le Nord. Oui, on devient bleu de trouille et de solitude. (https://booknode.com/la_crucifixion_en_rose_tome_1_sexus_05335/extraits ?offset =4)

Pour finir, l'adjectif vert, dans notre corpus, se construit avec peur, rage ou trouille. Seule la construction avec le complément prépositionnel est possible. Vert ne peut être épithète d'un Nsent :

(68)

Puis apercevant un canot vermoulu, creusé d'une seule pièce dans un cèdre, il nous y fait monter de force ; Milhaud vert de peur blottit son imposante personne jusqu'au fond (…). (Hoppenot, Journal 1918-1933 : Rio de Janeiro, Téhéran, Santiago du Chili, Rio de Janeiro, Berlin, Beyrouth-DAmas, Berne, 2012)

(69)

Il ne relâcha le docteur Wilhem, vert de rage, qu'à dix heures du soir ! (Hoppenot, Journal 1918-1933 : Rio de Janeiro, Téhéran, Santiago du Chili, Rio de Janeiro, Berlin, Beyrouth-DAmas, Berne, 2012)

(70)

Le gros, là où il est pas rouge, il est vert de trouille. (Lasaygues, Vache noire, hannetons et autres insectes, 1985)

Les adjectifs rouge, bleu et vert, comme les verbes qui leur sont morphologiquement apparentés, apportent cette même nuance d'intensité aux Nsent auxquels ils se rapportent. Vert de rage équivaut à une rage intense, peur bleue à une grande peur et vert de trouille à une trouille extrême.

6. Conclusion

La consultation de LVF et la confrontation aux corpus (Frantext et 88milSMS) ont permis de montrer que, bien que rougir et verdir soient classés comme Vsent par Dubois & Dubois-Charlier (1997), contrairement à jaunir et bleuir, les trois verbes de couleur rougir, verdir et bleuir sont combinables à un Nsent, directement, sans déterminant. Dans ce cas, ils n'appartiennent pas aux Vsent puisqu'ils n'ont pas d'objet du sentiment mais peuvent être considérés comme Vsup d’un Nsent prédicatif. Ils permettent d'actualiser la phrase, ce qui est impossible pour un prédicat non verbal, et apportent une nuance intensive.

Ces Vsup s'appliquent à quelques Nsent. Rougir sélectionne des Nsent à connotation positive ou négative, alors que bleuir et verdir ne sont supports que de noms à connotation négative. Il nous semble envisageable de considérer ces noms comme des Nsent exogènes, mais cette hypothèse devra être étayée dans une recherche future.

Cette nuance intensive est également véhiculée par les adjectifs morphologiquement apparentés rouge, bleu et vert, qui acceptent la construction en de Nsent. Mais bleu et rouge, contrairement à vert, peuvent occuper également la fonction épithète du Nsent.

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Vaguer, C. (2005). Pourquoi ne peut-on dire *sombrer dans le bonheur ? Étude de constructions verbales « V ‘dans’ Némotion ». LIDIL, 32, 83-102.

Notes

1 Harris utilise le terme d'« opérateur ». Retour au texte

2 Dans LVF, la classe des verbes dits psychologiques (désormais classe P) englobe aussi bien les verbes de sentiment que les verbes de cognition. De plus, étant donné que tous les linguistes n'attribuent pas les mêmes contours définitoires pour sentiment, il nous semble important de préciser que nous l'utiliserons au sens large du terme, synonyme d'affect, qui se diviserait en deux catégories : les noms endogènes vs les noms exogènes (Anscombre, 1995) ou les noms de sentiment pur vs les noms d'émotion (Goossens, 2005 ; Grossman & Tutin, 2005). Retour au texte

3 Dans LVF, la rubrique SENS présente les parasynonymes ou de courtes définitions qui indiquent le sens de l'emploi en question. Retour au texte

4 Les exemples sont tirés de LVF. Retour au texte

5 Ces verbes voient apparaître dans l'opérateur la mention « sent » qui signifie ‘avoir tel sentiment’. Retour au texte

6 Frantext ne présente aucun exemple du verbe jaunir combiné avec un Nsent sur les 103 résultats extraits, mais nous avons trouvé des occurrences sur Google. Retour au texte

7 Celui-ci est composé de 550 textes situés entre 1980 et 2019, ce qui représente 35 939 491 mots. Nous avons également consulté le corpus 88milSMS (Panckhurst, Détrie, Lopez, Roche & Verine 2014), mais aucun exemple de V<couleur> combiné avec un Nsent précédé de la préposition de n'est représenté. Retour au texte

8 L'université de Montpellier a répertorié en 2011 plus de 88 000 sms authentiques en français. Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

Claudine Salinas-Kahloul, « Pour un traitement syntactico-sémantique des verbes de couleur rougir, bleuir, verdir et jaunir », Lexique, 24 | -1, 71-86.

Référence électronique

Claudine Salinas-Kahloul, « Pour un traitement syntactico-sémantique des verbes de couleur rougir, bleuir, verdir et jaunir », Lexique [En ligne], 24 | 2019, mis en ligne le 01 juillet 2019, consulté le 19 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/lexique/321

Auteur

Claudine Salinas-Kahloul

Université de Gabès (Tunisie) / ICAR UMR 5191 CNRS / ENS et Université de Lyon 2
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