La phénoménologie du social selon Marc Richir

  • The Phenomenology of the Social according to Marc Richir

DOI : 10.54563/mosaique.2545

Abstracts

Comment concilier la reconnaissance des identités symboliques – leur diversité et le « déterminisme » qu’elles semblent impliquer – avec notre liberté, et donc la possibilité qu’à travers celle-ci nous puissions « communiquer » ensemble, et partager un « monde » ou un « sens commun » ? Il s’agira d’examiner ce problème à l’aune de la phénoménologie de Marc Richir (1943-2015), et des développements qu’il consacre au symbolique et à sa dimension sociopolitique, en insistant, d’une part, sur la spécificité de la perspective phénoménologique (notamment eu égard à la démarche des sciences sociales) et en montrant, d’autre part, qu’un tel « sens commun » n’est concevable, de ce point de vue, que comme l’universalité indéterminée d’une phénoménalité du social, dont le statut est autant utopique que critique. L’enjeu est de savoir sous quelles conditions concrètes une telle universalité est possible, et d’examiner la manière dont la phénoménologie contemporaine peut contribuer à cette réflexion.

How can we acknowledge both the existence of diverse symbolic identities that determine us, and our freedom, that gives us the possibility of communicating and sharing a common world, or a common sense? The paper examines this problem in the light of Marc Richir’s phenomenology (1943-2015), and the developments he devotes to the “symbolic” and its socio-political dimension, insisting, on the one hand, on the specificity of the phenomenological perspective – as opposed to the approaches in social sciences – and, secondly, by showing that such a “common sense” is only conceivable, from this point of view, as the indeterminate universality of the phenomenality of the social, whose status is as much utopian as it is critical. The issue at stake is to know under what concrete conditions this form of universality is possible, and to examine how contemporary phenomenology can contribute to this reflection.

Index

Mots-clés

phénoménologie, symbolique, Marc Richir, social, sciences sociales, utopie, critique, universalité

Keywords

phenomenology, symbolism, Marc Richir, social sciences, sociology, utopia, critique, universality

Outline

Text

Introduction

L’un des traits particulièrement marquant de notre époque, au moins depuis la seconde moitié du xxe siècle, est peut-être la reconnaissance de la prégnance et de la force déterminante de ce que l’on a coutume d’appeler le symbolique. Le succès intellectuel de cette notion est notamment attesté par la grande diversité des courants et des pensées qui en ont fait usage. Autant Lévi-Strauss que Lacan ou Bourdieu nous ont ainsi habitués à voir, sous les termes de « systèmes » ou d’« ordres » symboliques, une réalité autonome constituée de représentations, de significations, de valeurs, caractérisant en propre le monde, et particulièrement le monde social. Ainsi, malgré les nettes divergences qui existent entre ces cadres théoriques, il est possible d’identifier quelques traits fondamentaux du symbolique1. Tout d’abord, le symbolique configure le monde en lui conférant un sens – ou plutôt des sens divers – rendant ainsi possible qu’on en fasse l’expérience – ou des expériences, politiques, esthétiques, techniques, religieuses, etc. Dans le cadre plus spécifique du monde social, le symbolique est configurateur de rapports entre les individus, auxquels sont assignés des places et des rôles associés. De cette première caractérisation, trois autres s’en suivent : (1) en tant qu’il configure le monde dont nous faisons l’expérience, le symbolique est toujours déjà là, toujours déjà prédonné ; il n’est pas le résultat d’une libre volonté, individuelle ou collective, et se donne, par conséquent, dans une relative opacité. (2) Le symbolique possède ainsi une force normative ou déterminante : il est ce qui code toujours par avance autant les rapports entre individus que les identités sociales de ces derniers. Nos gestes, nos paroles, nos représentations sont ainsi déterminées en fonction des dimensions sociales dans lesquelles nous évoluons. (3) Par conséquent, ces déterminations symboliques sont constitutives d’identités particulières, propres à un groupe social spécifique, que ce dernier soit constitué par la culture d’un peuple ou d’une nation, ou par la classe, la race ou le genre des individus. Prédonation, force déterminante ou normative, et effet particularisant constituent les traits principaux de ce que nous appellerons par la suite la socialité symbolique.

Or, se pose ici un double problème, qui est l’objet de notre réflexion. D’une part, comment penser, à partir de cette socialité symbolique, l’appartenance à une même humanité2, c’est‑à‑dire la possibilité de communiquer, ou mieux, d’élaborer collectivement du sens, par-delà les différences et les particularités de nos identités symboliques ? Faut-il renoncer, au nom de la reconnaissance de ces dernières, à l’idée même d’universalité ? D’autre part, si cette socialité symbolique structure toujours déjà tout rapport possible au monde, faut-il en conclure à un déterminisme absolu, d’après lequel nos comportements sociaux ne seraient que les actualisations d’un scénario écrit d’avance selon une mise en scène intangible ? Comment dès lors expliquer que les formes de socialité soient pourtant l’objet d’élaborations collectives et susceptibles d’être renouvelées, bouleversées, voire inventées ? Le propre de ces deux questions ne consiste pas à nier la socialité symbolique, mais à se demander si, une fois reconnue, cette dernière épuise l’intégralité de l’expérience humaine, ou s’il n’existe pas une autre forme de socialité qui rendrait compréhensibles autant l’appartenance commune à une humanité universelle que la liberté dont nous disposons à l’égard des cadres symboliques.

Nous proposons ainsi d’éclairer ce problème à partir d’une perspective phénoménologique, en nous appuyant plus particulièrement sur celle de Marc Richir. Décédé en 2015, son œuvre est aujourd’hui de plus en plus lue et discutée et il est reconnu comme l’un des représentants majeurs de la troisième génération de phénoménologues3, aux côtés de Jean-Luc Marion ou Bernard Waldenfels. L’une des forces principales de son œuvre4 tient selon nous à sa capacité à tenir ensemble deux positions : reconnaître d’une part la force déterminante et particularisante du symbolique, sans renoncer d’autre part à l’exigence de liberté et d’universalité qu’il s’agit alors d’attester concrètement. Richir défend ainsi l’idée d’une socialité phénoménologique plus originaire que la socialité symbolique, et dont la caractéristique principale est d’être le lieu – ou plutôt l’utopie – d’un sens commun librement et universellement élaboré. La pensée richirienne nous invite ainsi à comprendre la manifestation du sens dans l’espace public selon deux dimensions qui se recroisent dans toute expérience. D’une part une structuration symbolique du sens, qui code et particularise l’espace public en fonction des divers rapports sociaux qui s’y déploient ; d’autre part, un sens qui se manifeste dans ce même espace, tout en excédant le codage symbolique de ce dernier, et à travers lequel apparaît, ou se phénoménalise, une socialité universelle, non plus symbolique, mais phénoménologique. Alors que la socialité symbolique serait déterminée et particularisée, la socialité phénoménologique serait libre et universelle.

Une telle thèse ne manque pas de susciter d’emblée de nombreuses questions, si ce n’est des suspicions tout à fait légitimes. Quelle serait la teneur concrète de ce sens ou de ce monde commun s’il n'est pas déterminable par des caractéristiques symboliques ? De quelle universalité parlons-nous au juste ? Existe-t-il réellement quelque chose comme « une » socialité universelle, quelque chose comme « la » socialité ? Ne court-on pas le risque de voir resurgir un universalisme négateur des particularités culturelles et historiques ? Nous essayerons de répondre à ces questions en exposant la thèse richirienne selon laquelle, s’il existe une socialité originaire et universelle, cette universalité est fondamentalement indéterminée. Si le concept d’universalité indéterminée n’apparaît pas tel quel sous la plume de Richir5, il nous paraît néanmoins particulièrement fécond et utile pour exposer ce qui fait la force de sa pensée, c’est-à-dire la capacité de cette dernière à répondre aux enjeux du monde contemporain, en discussion avec les sciences sociales.

Nous procéderons en trois temps, qui auront chacun pour objectif de répondre à une interrogation. Tout d’abord, pourquoi mobiliser une telle catégorie de socialité phénoménologique ? Qu’est-ce qui, en l’état actuel de nos connaissances sur le monde social, rend légitime le recours à cette perspective phénoménologique ? Ensuite, que signifie précisément cette dimension phénoménologique ? Si, selon Richir, sa principale caractéristique est d’être indéterminée, qu’est-ce que cela implique concrètement pour la socialité ? Enfin, si cette socialité supposément universelle est indéterminée, qu’avons-nous à en dire ? Si la phénoménologie est une description des phénomènes, n’est-il pas absurde de vouloir décrire quelque chose d’indéterminé ? Dès lors, comment se manifeste une telle socialité ? De quel type de phénomène s’agit-il ici ?

De la socialité symbolique à la socialité phénoménologique

Si Richir propose une phénoménologie du social, il ne faut pas comprendre cette dernière comme une tentative de description des comportements sociaux du point de vue du vécu individuel ou subjectif des agents. Il s’agit bien plus plutôt d’interroger le social comme tel, non pas eu égard à ce qui serait comme son essence éternelle et intangible, ou comme son concept a priori, mais eu égard à sa phénoménalité ou à son apparaître.

Richir entend dégager « la socialité dans son irréductible dimension phénoménologique » (1988a : 58). En quoi consiste ce caractère irréductible, proprement phénoménologique ? En tout premier lieu, d’être distinct de la dimension symbolique de l’expérience, de « l’institution symbolique du social, c’est-à-dire des hommes en ce qu’ils ont une identité, des rapports, des pratiques et des croyances déterminés » (Richir, 1991a : 68). Richir a pour ambition de mettre au jour une « communauté phénoménologique » distincte de la « communauté symbolique » (1988a : 162), et qui est même la « condition de possibilité » de cette dernière (1990 : 94). Avant d’expliquer en quoi consistent précisément ces deux registres, il est nécessaire d’exposer au préalable les raisons qui conduisent à envisager une « socialité phénoménologique » plus originaire que la « socialité symbolique » (ibid.) et de comprendre le statut de cette originarité.

Remarquons d’emblée que le registre phénoménologique du social n’a pas vocation à se substituer au registre symbolique – remarque qui a pour corollaire celle-ci : la phénoménologie du social n’a aucune vocation à se substituer au discours des sciences sociales en produisant un discours concurrent. Richir tient ainsi pour acquis les analyses – en premier lieu structuralistes – défendant la primauté des structures sociales symboliques, la manière dont celles-ci façonnent les individus tout en instituant la société comme ensemble de rapports. Le social se donne ainsi, de prime abord, comme institution symbolique du social, c’est‑à‑dire comme « codage » (Richir, 1996 : 14) des pratiques et des représentations, qui précède toujours déjà les individus. Par conséquent, Richir critique de manière virulente « l’illusion néfaste de l’idéologie libérale, et aujourd’hui néo-libérale6 » (1996 : 16) d’un individu souverain. Néanmoins, s’il défend « l’ordre symbolique dans sa primauté apparente » (id., 1991a : 74) contre l’individualisme et l’atomisme social, il refuse de considérer cet ordre comme une dimension autonome, positive et absolument déterminante. Il s’agit de rejeter l’individualisme et l’illusion de la liberté souveraine des volontés individuelles sans rejeter la liberté comme capacité de recul envers – et de réflexion de – l’ordre symbolique, tout en dénonçant, donc, une autre illusion, aussi néfaste que la première, à savoir l’illusion d’un ordre symbolique qui fonctionnerait seul, de manière machinale, comme un système clos sur lui-même, une combinatoire dont les individus ne seraient que des pièces réalisant les « performances » (id., 1992a : 366). Telle est, selon Richir, l’illusion constitutive du structuralisme – lévi-straussien et lacanien (cf. Richir, 1991a : 74). La primauté de l’ordre symbolique n’est pas absolue, mais « apparente » ou relative : s’il est vrai de dire que tout ce qui se donne à nous relève d’un ordre symbolique que nous n’avons pas voulu et qui va jusqu’à déterminer nos identités, il est faux, en revanche, de penser que nous sommes entièrement « capturés » dans et par ces déterminations.

En effet, la force des déterminations symboliques n’annule jamais la possibilité d’en prendre conscience, c’est‑à‑dire de les réfléchir par une mise à distance qui témoigne de l’impossibilité d’une capture intégrale7. Ainsi, Pierre Bourdieu, qui a toujours défendu l’idée d’un déterminisme social contre « le lieu prétendu de la subjectivité », soutenait néanmoins que ce n’était que par « la conscience des déterminations » qu’il était possible de « contribuer […] à la construction […] de quelque chose comme un sujet » (Bourdieu, 1980 : 39-40). Quelque chose comme un sujet qui s’élabore non pas indépendamment du symbolique, mais par relation avec ce dernier, relation qui n’est ni purement passive, ni totalement maîtrisée, et qui laisse place, même lorsqu’il s’agit de l’apprentissage et de la reproduction des normes sociales, à une certaine marge de jeu et d’interprétation (id., 1997 : 233-234). La question étant précisément d’interpréter la possibilité de cette marge ou de cet écart qui se loge dans toute relation, pratique ou théorique, avec le symbolique. C’est à cet endroit que resurgit la double question de la liberté et de la singularité des individus, non plus comme libre-arbitre d’une intériorité séparée du monde social, mais, selon Richir, comme « écart irréductible » d’avec ce qui est donné par l’institution symbolique du social et de l’humanité :

L’expérience humaine n’est donc humaine, véritablement (et non « animale » […]) que si elle est expérience de la liberté, expérience de l’écart irréductible entre ce qu’il y a et qui lui est donné, et ce qu’il n'y a pas, qui se réserve dans une non-donation que rien ne prédestine à la donation […]. Il est vrai que nous ne serions pas des hommes si l’institution symbolique n’accompagnait notre venue-au-monde en nous donnant une identité symbolique, en nous inscrivant dans une circularité signifiante de signifiants. Mais il est non moins vrai que s’il n’y avait que cela, nous serions, de part en part, des animaux symboliques, tous pris, sinon de pathologie symbolique individuelle, du moins de pathologie symbolique collective. Si notre identité symbolique ne nous capte pas entièrement dans ce qui serait une identification symbolique aliénante et pathogène, c’est qu’elle reste à distance, comme une identité que nous avons sans l’être, tenue à l’écart par un indéterminé qui nous fait et où nous nous faisons, indéfiniment, chacun avec notre style propre, qui est le style même de notre apparaître, de notre être-au-monde avec sa singularité, style que nous pouvons reconnaître, toujours après coup, en chacun de nous, mais que nous ne pourrons jamais « déduire » d’une quelconque ‟logique du signifiant”
(Richir, 1988a : 373-374).

L’idée essentielle défendue par Richir consiste à soutenir que si l’humanité est toujours coextensive d’une certaine institution symbolique du social, son expérience n’est proprement humaine et non animale que par un « écart » fondamental avec cette même institution symbolique. En d’autres termes, si l’humanité n’est telle que dans la mesure où elle est symboliquement instituée (ce que Richir reconnaît à la suite du structuralisme), une telle institution n’épuise jamais le fond de l’expérience (par où la phénoménologie richirienne se démarque du structuralisme), sauf à envisager l’être humain du seul point de vue de son « animalité symbolique ». Sans entrer dans le détail de ce concept8 et des nuances complexes qu’il implique quant au statut phénoménologique de l’animalité9, indiquons seulement que Richir entend par là une certaine dimension de l’expérience humaine où l’individu est pris dans « la rigidité de comportements stéréotypés » (Richir, 1988a : 279), où, en d’autres termes, il est capturé par l’environnement social, dont les déterminations symboliques (les normes pratiques, les injonctions, etc.) constituent des sortes de stimuli déclenchant des comportements adaptés. Or cette dimension ne se présente jamais à l’état pur si l’on peut dire, sauf cas de « pathologie symbolique », puisque l’expérience humaine n’est jamais celle d’une adhérence totale des individus à l’environnement symbolique, mais au contraire celle d’un écart. Pour bien saisir ce point, on peut encore se référer à Bourdieu, et à sa reprise d’un célèbre paradoxe pascalien transposé à la réalité sociale : « le monde me comprend, m’inclut comme une chose parmi les choses, mais chose pour qui il y a des choses, un monde, je comprends ce monde » (Bourdieu, 1997 : 189). C’est pourquoi les habitus, même s’ils impliquent « le repérage et la reconnaissance des stimuli conditionnels et conventionnels auxquels [les agents sociaux] sont disposés à réagir », donnent lieu à des « stratégies adaptées et sans cesse renouvelées » : les schèmes de l’habitus « permettent de s’adapter sans cesse à des contextes partiellement modifiés et de construire la situation comme un ensemble doté de sens » (ibid. : 200-201). Par conséquent, dirions-nous avec Richir, si les comportements induits par les déterminations symboliques ne sont pas machinaux, c’est qu’une autre dimension est constitutive de l’expérience humaine, à savoir celle de la liberté. Mais une liberté en tant qu’écart, donc comme relation à un donné symbolique qu’il est nécessaire de reconnaître – à moins de retomber dans la conception du libre-arbitre – tout en le relativisant. Si l’on poursuit notre lecture du texte richirien, on comprend que la liberté est coextensive de la singularité : nous ne sommes pas uniquement des agents sociaux, remplissant des rôles ou des fonctions prédéfinies, parlant et agissant selon des schémas prévisibles. Même si nos identités symboliques nous constituent, elles demeurent néanmoins à distance ; si nous remplissons des rôles et agissons selon des stratégies adaptées à ces derniers, c’est toujours selon notre style propre, sans lequel nous serions toutes et tous remplaçables et interchangeables.

Mais ce style propre n’est-il pas le résultat de nos interactions avec l’environnement, et ne sommes-nous pas ainsi reconduits aux habitus, et au constat de leur relative plasticité ? De quelle singularité parle Richir ? La réponse à cette question n’est donnée qu’à partir de la publication des Méditations phénoménologiques (1992) et de l’introduction des concepts de facticité et d’interfacticité. La facticité est à distinguer du factuel « qui relève du fait ou de l’état de fait, par essence répétable » (Richir, 2014 : 77) et à comprendre ainsi comme « la singularité irréductible à l’essence, donc en principe absolue et non répétable » (ibid.). Richir vise donc non pas une singularité déjà déterminée ou se déterminant par des habitus, mais une singularité encore « anonyme » (2014 : 77) relevant de l’écart de soi à soi par lequel paradoxalement nous sommes en contact avec nous-mêmes et en vertu duquel notre identité symbolique reste à distance, comme une singularité se faisant, au rythme de notre histoire personnelle. Dit autrement, il ne s’agit pas de la réflexivité d’une conscience déjà posée ou d’un sujet déjà symboliquement institué, mais de la « généralité ‟anonyme” » (id., 2014 : 82) d’un « tact intérieur » (ibid.) qui précède toujours déjà et rend possible l’acquisition d’habitus comme déploiement d’un style propre. Surtout, cette facticité est une interfacticité, comme « rapport originaire ou archaïque de telles singularités, mais encore anonymes » (id., 2014 : 77), où « du contact de soi à soi entre […] entre en contact avec du contact de soi à soi » (id., 2014 : 82)10.

Ainsi liberté et singularité sont précisément ce qui nous ouvre à l’aventure commune du sens. La socialité suppose en effet que les échanges avec autrui ne soient pas de simples « communications » d’informations déjà existantes sur l’état du monde. Parler ou agir avec autrui, c’est participer ensemble à la libre invention du sens, hors de toute direction a priori déterminable, ce que Richir thématise sous l’expression de « sens se faisant ». La liberté en question, précise-t-il, « n’est pas l’arbitraire d’une subjectivité imaginairement toute puissante, mais liberté de chercher et de faire du sens, sens qui implique toujours, de lui-même et par lui-même, les autres. » (Richir, 2006 : 530). L’une des thèses fondamentales défendues par la phénoménologie richirienne est en effet de soutenir que la constitution du sens n’est pas l’apanage d’un sujet isolé mais d’une « pluralité originaire » de singularités ouvertes les unes aux autres, qui « dansent comme autant d’amorces de sens » (id., 2014 : 82), non réductibles aux significations instituées dans l’espace social symbolique, et qui relèvent ultimement de l’interfacticité. Cela ne veut pas dire que tous nos échanges relèvent de facto d’une telle ouverture permanente au sens se faisant, mais que cette ouverture constitue une dimension originaire de la vie sociale, sans laquelle celle-ci consisterait en la répétition machinale de structures préalables et absolument déterminées.

En reprenant le titre d’un ouvrage de Bernard Lahire, nous dirions ainsi que nous sommes des plis singuliers du social. Néanmoins, si ce discours sociologique a pour objectif de montrer comment le social s’immisce « dans les plis les plus singuliers de chaque individu » (Lahire, 2019 : 11) en concourant à former cette singularité, c’est en laissant de côté sa facticité irréductible. La phénoménologie richirienne, à l’inverse, tente d’attester cette facticité, comme interfacticité, du point de vue non naturaliste et non symbolique d’une dimension phénoménologique non pas déterminée et particulière, mais indéterminée et universelle.

Par conséquent, ce qui rend l’expérience – et la socialité – véritablement humaines réside dans l’écart entre, d’une part, l’institution symbolique de l’humanité dans et par des communautés particulières et, d’autre part, « un indéterminé qui nous fait et où nous nous faisons, indéfiniment » (Richir, 1988a : 374), c’est‑à‑dire une dimension qui est à strictement parler inhumaine11, en ce qu’elle excède toujours toutes les formes par lesquelles l’humanité s’institue comme telle en se déterminant et en se particularisant. La seule universalité qu’a l’humanité en partage réside paradoxalement dans l’ouverture à cette dimension inhumaine en vertu de laquelle elle ne coïncide jamais absolument avec l’institution symbolique qu’elle se donne. La socialité phénoménologique comme interfacticité est donc en tant que telle inhumaine, mais c’est elle qui, précisément, rend humaine la socialité symbolique. L’exploration de cette dimension est ainsi la tâche d’une

anthropologie phénoménologique, qui a précisément pour objet, non pas de dévoiler ce qu’il y a de proprement humain en nous – le saurons-nous d’ailleurs jamais ? La nature humaine n’est-elle pas précisément de n’avoir pas de nature ? – mais […] ce qui, en nous, est irréductiblement sauvage, car non susceptible d’être ‟domestiqué” dans une institution
(Richir, 1983 : 250).

C’est ici que surgissent plusieurs questions, toutes dirigées vers cette universalité non symbolique12. Premièrement, qu’est-ce qui nous assure que cette universalité, constituée par la liberté et la singularité de chacun, n’est pas une détermination symbolique, relevant d’une société particulière (occidentale, démocratique) ? Deuxièmement, quelle est la portée de l’affirmation d’une telle socialité universelle ? N’est-ce pas, en définitive, un vœu pieux, qui risque bien de masquer les déterminations symboliques et de rendre invisibles les dominations qu’elles impliquent ? Surgit alors une troisième question : l’universalité de cette socialité ne vient-elle pas contredire tout un discours des sciences sociales qui s’attache bien plutôt à faire reconnaître les identités symboliques, les dominations qu’elles impliquent ou qui s’exercent sur elles, et les luttes qui leur sont associées ?

Nous venons de voir en quelle mesure la dimension symbolique ne peut, à elle seule, rendre compte de la socialité en ce qu’elle a de proprement humaine, et en quelle mesure il peut être justifié de faire appel à un autre registre, celui de l’interfacticité ; mais cela ne nous dit rien encore du statut d’un tel registre, et surtout de son articulation avec la socialité symbolique. Comment défendre à la fois la perspective d’une socialité universelle, où des singularités anonymes s’ouvrent mutuellement et librement les unes aux autres, et la perspective d’une reconnaissance des particularités symboliques et des déterminations qu’elles impliquent sur les individus ? Si la socialité relève « d’abord », « avant tout », ou « originairement » d’un registre phénoménologique universel, cela n’entraîne-t-il pas un primat de ce registre, et donc une secondarisation, voire une marginalisation des réalités symboliques du monde social ? Nous aimerions montrer que c’est précisément la force de la phénoménologie richirienne d’offrir les moyens conceptuels qui permettent de tenir ensemble reconnaissance des identités symboliques particulières et ouverture à une dimension universelle du social.

L’architectonique et l’universalité indéterminée du social

On peut identifier deux concepts qui permettent de répondre à l’objection précédemment formulée : le premier, celui d’architectonique, a pour principal mérite de penser les dimensions symboliques et phénoménologiques dans leur articulation, de les distinguer tout en pointant le lieu de leur rencontre. Le second, celui d’universalité indéterminée permet de préciser le statut de la socialité phénoménologique en la rendant compatible avec la reconnaissance des identités symboliques.

Le concept d’architectonique caractérise, en première approche, la distinction entre les registres phénoménologique et symbolique de l’expérience, distinction qui constitue l’ossature de l’œuvre richirienne. Puisqu’il n’est pas possible, dans le cadre présent, d’en exposer toutes les dimensions13, nous nous limiterons à quelques remarques fondamentales qui concernent notre problème.

Tout d’abord, si Richir qualifie cette distinction d’« architectonique » c’est avant tout pour indiquer que les termes en question n’ont pas d’existence positive indépendamment l’un de l’autre. Autrement dit, la distinction n’est pas ontologique et relève de l’analyse phénoménologique elle-même, laquelle se donne pour tâche de dégager des registres de l’expérience qui sans cela resteraient entremêlés et indistincts. L’interfacticité, mobilisée précédemment, est un tel registre. Par conséquent, s’il arrive à Richir de parler de « communauté phénoménologique » il ne faut pas entendre par là une communauté qui existerait dans un temps et un espace donné, mais bien une modalité de l’existence, au même titre que la dimension symbolique. Le phénoménologique « pur » n’existe pas. Cela signifie également, comme nous l’avons vu, que l’existence humaine n’est jamais purement symbolique, mais qu’y joue toujours la dimension phénoménologique. Nous ne pouvons pas faire du sens autrement que par l’utilisation de significations déjà symboliquement instituées, mais cette utilisation n’est précisément pas reproduction machinale, mais appropriation, par une mise à distance où se « loge » pour ainsi dire la dimension phénoménologique interfacticielle, qui donne aux significations, d’une part, leur relative indétermination, et aux identités symboliques, d’autre part, leur style ou leur singularité.

Une autre conséquence importante concerne le statut « originaire » de la socialité phénoménologique. En tant que registre architectonique, il ne s’agit pas d’une origine comme un lieu ontologique vers lequel il serait possible de faire retour, en faisant fi de toute institution symbolique du social. Si la socialité phénoménologique est plus originaire que la socialité symbolique c’est parce que son universalité traverse les diverses communautés historiques. Cela signifie donc qu’elle se manifeste toujours à travers les diverses institutions symboliques du social. Ainsi que le précise Richir, « il n’y a pas et ne peut y avoir de social originaire et apolitique, asymbolique – sinon par une abstraction que la pensée ne pose qu’en vue de l’explication à vrai dire tautologique qu’elle possède déjà par-devers soi » (1991a : 40). Toute tentative de retour à une origine perdue du social ne peut ainsi se solder que par une reconstruction qui élève indûment au statut d’originaire des déterminations symboliques déjà existantes. En d’autres termes, il n’y a pas d’origine pure et simple, mais toujours déformée. De la sorte, cette déformation, induite par l’institution symbolique, est tout aussi originaire que le registre phénoménologique, et est constitutive de cette originarité. Si l’on peut dire que la socialité phénoménologique est plus originaire que la socialité symbolique, c’est à la condition de préciser qu’elle est tout aussi originairement déformée par celle-ci. On retrouve ici le sens profond de l’architectonique richirienne, qui est avant tout une pensée de la rencontre : poser la question d’une socialité phénoménologique, c’est poser, dans le même temps, la question de sa rencontre avec la socialité symbolique.

Mais alors, dans ce cadre architectonique, quelle forme concrète peut encore prendre cette socialité originaire si elle est d’emblée prise dans les diverses institutions symboliques du social ? L’universalité de la communauté phénoménologique n’est-elle pas dès lors condamnée à n’être qu’une universalité vide ou formelle, et la liberté et la singularité qui la caractérisent vouées à n’être jamais qu’anonymes ?

L’exigence phénoménologique de Richir est justement d’essayer d’attester, pour reprendre une expression de Merleau-Ponty, l’existence d’un « universel concret » (2015 : 149) : non pas l’abstraction illusoire d’un « universel de surplomb » (Merleau-Ponty, 1960 : 150), lequel n’est rien d’autre qu’un particulier survalorisé, mais la concrétude d’un « universel latéral » (ibid.), qui ne surgit que dans l’intervalle des significations et des différentes déterminations symboliques. L’universel phénoménologique ne s’ouvre donc pas par l’adhésion à un contenu déterminé, surplombant les particularités symboliques, mais dans l’expérience de l’écart vécu vis-à-vis de ces dernières. L’un des grands enjeux de la pensée richirienne est donc de penser cet universel latéral dans toute l’indétermination qui le constitue, c’est‑à‑dire, dans les termes de Merleau-Ponty, dans sa dimension « sauvage » ou « barbare14 », « radicalement hors-institution » (Richir, 1991a : 451). Si la communauté phénoménologique est originaire parce qu’universelle, cette universalité est, en tant qu’originaire, foncièrement indéterminée. En d’autres termes, l’universalité « du » social est à la mesure de son indétermination.

Cette indétermination est d’abord pour Richir un trait constitutif de la phénoménalité même des phénomènes. Le propre de la phénoménologie richirienne est ainsi d’envisager « le phénomène comme rien que phénomène » (Richir, 1987 : 11), c’est‑à‑dire avant toute interprétation qui en ferait le phénomène de quelque chose, suivant une conceptualité préétablie. La perspective richirienne n’est donc pas une herméneutique, puisqu’elle entend interroger le phénomène en tant que tel, avant son codage ou son institution symbolique. Il s’agit d’interroger « la phénoménalité comme dimension universelle des phénomènes qui est seule susceptible de donner consistance et cohésion aux phénomènes » (id., 1992 : 106). Mais cette cohésion doit être, en toute rigueur, « sans concept » – Richir reprenant là une autre exigence merleau-pontienne – c’est‑à‑dire sans détermination a priori. Irréductible aux déterminations symboliques particulières qu’il peut recevoir, le phénomène en sa phénoménalité est porteur d’une telle universalité indéterminée et donc, à ce titre « immédiatement coextensif d’un ‟sens commun”, c’est-à-dire d’un lieu où nous, hommes, sommes susceptibles de nous rencontrer » (id., 1987 : 27) mais à l’écart des institutions symboliques. C’est pourquoi la phénoménologie du social n’est pas une « spécialisation » qui conférerait un « objet » au phénomène, et le déterminerait : l’analyse même du phénomène comme rien que phénomène implique d’interroger la socialité qui en est constitutive. Dès lors, l’interrogation portant sur la phénoménalité du social comme telle se doit d’en maintenir l’« indéterminité caractéristique » (id., 1991a : 77), et non pas en déduire les déterminations conceptuelles à partir d’une illusoire essence éternelle du social.

Mais, pourra-t-on nous objecter, n’a-t-on pas donné précédemment des caractéristiques précises de la communauté phénoménologique, telles que la liberté et la singularité ? N’a-t-on pas ainsi déterminé le social ?

Nous pouvons y répondre en avançant que la liberté et la singularité constitutives de la communauté phénoménologique impliquent d’emblée une indétermination foncière. Ce qui distingue une personne en sa singularité, et non du point de vue de ses particularités – qu’elle partage avec d’autres – c’est précisément la part imprévisible de ses faits et gestes, qu’il est impossible de « ‟déduire” d’une quelconque ‟logique” » (Richir, 1988a : 374), puisqu’elle relève de sa facticité irréductible. Et puisque la communauté phénoménologique est constituée par une multiplicité indéfinie de telles singularités factices ouvertes les unes aux autres, elle est également libre, puisque le sens, ou plutôt les sens qui s’y font, ne peuvent être non plus déduits d’une logique quelconque. Si Richir parle d’un « sens commun », coextensif de cette communauté phénoménologique, c’est dans l’acception littérale de l’expression, et non comme « bon sens », lequel n’est rien d’autre qu’un sens institué et dominant qui prétend édicter ce qui est « réel » et ce qui ne l’est pas, « vrai » ou « faux », « raisonnable » ou « naïf », « possible » ou « impossible ». C’est pourquoi Richir mobilise, pour caractériser la modalité de ce sens phénoménologique, la notion de « transpossible » (qu’il emprunte à Maldiney15) : un possible est toujours relatif à une certaine institution symbolique du langage – ce qui paraît possible pour l’une, paraît impossible pour l’autre. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter aux mythes, qui nous décrivent des possibilités bien étranges et « fantastiques ». S’il y a donc un « sens commun » phénoménologique, qui fait toute la vivacité des élaborations symboliques, il est constitué non par des possibles, mais par des trans-possibles, indéterminables et imprévisibles, en ce qu’ils excèdent ou transcendent ce qu’une communauté de langage particulière a institué comme étant possible ou impossible. C’est en cette mesure que la communauté phénoménologique relève d’une universalité strictement indéterminée, qui recouvre l’« apparaître indéfini du social » (Richir, 1991a : 77), c’est‑à‑dire toutes ses formes transpossibles.

C’est également à ce titre que la communauté phénoménologique est utopique16 : elle est en soi insituable dans un quelconque espace/temps donné. Elle n’est ni une origine perdue à retrouver, ni une cité idéale à instituer à l’avenir, puisqu’elle relève précisément du trans­possible, et non d’un possible défini et déterminé. Elle est ce qui ouvre les singularités à la fois les unes aux autres, mais aussi aux multiplicités indéfinis des sens à faire, et cela par-delà les ancrages symboliques des identités et significations instituées. C’est pourquoi vouloir instituer une telle communauté est un contre-sens : elle n’existe pas à la manière d’une communauté symbolique donnée, structurée et délimitée. Néanmoins cet « au-delà », parce que transpossible et utopique, n’indique aucune fin ou dépassement de la condition symbolique. Il s’agit d’un « au-delà » qui fait vivre ce monde symbolique dans son historicité même en l’ouvrant à l’imprévisible du sens se faisant. C’est cette thèse qu’il nous faut maintenant préciser et concrétiser en répondant aux deux questions suivantes : (1) comment affirmer d’une part que la communauté phénoménologique n’implique aucun dépassement de la condition symbolique, et, d’autre part, que cette communauté ouvre néanmoins la socialité à un « au-delà » du symbolique ? (2) Comment quelque chose comme une socialité utopique peut également être qualifiée de phénoménologique, c’est-à-dire : comment apparaît-elle ? Qu’est-ce qui apparaît, dans cet « apparaître indéfini du social » ? De quels phénomènes parle-t-on concrètement ?

Le sublime et l’épochè du symbolique

Énonçons d’emblée la thèse de Richir : la socialité phénoménologique ne s’ouvre ou n’apparaît que sous la condition d’une épochè, c’est-à-dire d’une « mise entre parenthèses » du symbolique. Remarquons d’emblée un trait remarquable du traitement richirien de ce concept : l’épochè n’est pas seulement une opération méthodologique, propre à la philosophie phénoménologique, mais aussi un moment de l’expérience elle-même où, les déterminations symboliques étant provisoirement suspendues, le social peut apparaître en sa phénoménalité, sous la forme de son incarnation. Ce moment, que Richir qualifie de « sublime », désigne le moment révolutionnaire. Explicitons cela.

La notion d’épochè désigne tout d’abord, selon le fondateur de la phénoménologie, Husserl, l’opération méthodologique fondamentale propre à cette manière de philosopher. Elle consiste en une suspension de « l’attitude naturelle », à savoir de notre vie sociale quotidienne, ou, plus précisément, de la croyance spontanée en l’existence des choses ou états de choses, et de l’adhésion aux valeurs et jugements qui sont tout aussi spontanément ou « naturellement » affectées à ces états de choses. En contexte richirien, l’attitude naturelle consiste à vivre, de manière irréfléchie, dans les institutions symboliques qui structurent notre monde quotidien. Le geste phénoménologique consiste alors à suspendre cette attitude, c’est-à-dire à mettre entre parenthèses toutes les déterminations, significations et identités symboliques qui constituent ce monde qui se donne à nous avec la force de l’évidence. Le résultat de ce geste est d’ouvrir la dimension proprement phénoménologique du sens se faisant, qui reste incompréhensible si l’on s’en tient aux possibles d’avance délimités par une communauté de langage particulière. Précisons que l’épochè n’est ni une négation pure et simple du symbolique, ni son dépassement vers la position d’un nouveau terme, mais l’exercice d’un recul par rapport à ce que ce dernier a toujours déjà institué comme allant de soi, et qui permet d’ouvrir « l’universalité sans concept de la dimension phénoménologique » comme « instance critique » de « toute institution symbolique en général » (Richir, 1990 : 114). L’épochè phénoménologique permet une meilleure compréhension, parce que critique, de la socialité symbolique. Il s’agit de comprendre la socialité autrement que par le biais des formes symboliques qu’elle peut prendre selon les temps et les espaces particuliers, et auxquelles elle n’est jamais réductible. Ce recul et cet écart peuvent en outre constituer une base, transculturelle et transhistorique, permettant de s’ouvrir à d’autres institutions symboliques que la nôtre (id., 1996 : 31), de les parcourir en interrogeant la manière dont ces dernières transposent l’universalité indéterminée du social dans un registre symbolique déterminé.

Surtout, ce geste d’épochè est méthodologique, et non démiurgique : il instaure les conditions de compréhension d’une dimension du sens qui resterait, sans cela, recouverte par les évidences du monde symbolique. Ce qui signifie que l’épochè ne crée pas de toutes pièces la communauté phénoménologique, laquelle est toujours « en fonction » – le terme est de Richir – dans toute communauté symbolique, et peut être concrètement attestée. En effet, l’épochè consiste à exposer, par un geste méthodologique ou réflexif de recul, un écart déjà constitutif de l’expérience humaine par où celle-ci est ouverte au registre phénoménologique. En d’autres termes, c’est parce que ce registre joue toujours déjà dans toute expérience qu’il est possible de pratiquer, méthodologiquement et philosophiquement, l’épochè17. Ce registre, non seulement, comme nous l’avons vu, n’est jamais absolument recouvert par les évidences symboliques, mais surtout il s’ouvre de lui-même ou spontanément, notamment lors des moments révolutionnaires. Ces derniers constituent ainsi l’attestation la plus remarquable, si ce n’est la plus « sublime », d’une épochè spontanée du symbolique par laquelle apparaît concrètement, mais de manière instable, la socialité phénoménologique.

Richir a consacré une part importante de son œuvre aux phénomènes politiques, et en particulier aux phénomènes révolutionnaires qu’il interprète comme expériences du sublime. Cette notion, traditionnellement cantonnée au champ esthétique, est ici appliquée au champ socio-politique. Si l’on se réfère aux descriptions que donne Kant dans la Critique de la faculté de juger, est dit sublime un phénomène qui dépasse notre capacité d’imagination : montagnes formidables, océans déchaînés, volcans en éruption, etc. À chaque fois, il s’agit de la rencontre de quelque chose d’illimité, de gigantesque, qui peut donner lieu soit à une peur panique, soit, si l’on est à l’abri de tout danger, à une expérience positivement sublime. Le geste de Richir consiste à interpréter les moments révolutionnaires comme des moments où la vie sociale déborde, pour ainsi dire, tous les cadres connus, c’est-à-dire symboliques, lesquels sont, à cette occasion, mis en suspens, objets d’une épochè spontanée de « toute institution symbolique socio-politique existante » (Richir, 2006 : 526) qui ouvre la société à elle-même comme un « indéfini ou apeiron de gestes, de paroles et d’actions » (ibid.). La société se phénoménalise elle-même, non pas comme soudée ou transparente à elle-même, mais comme phénomène indéfiniment divisé en émotions, en fureurs, en terreurs, en amitiés, en vengeances, en sensations et sentiments, en discours, en actes, en élans insaisissables et passagers dans leur singularité » (ibid.). Ces moments peuvent donc être « effrayants par leur fantastique pouvoir de dissolution des repères symboliques, et en particulier de ceux qui identifient et différencient les individus empiriques » (id., 1991a : 78), par où nous entrevoyons de nouveau la dimension inhumaine de cette socialité phénoménologique, qui peut donner lieu soit à la peur et à la « crispation de l’ordre symbolique sur lui-même » (Perrier, 2024 : 90), soit à l’ouverture de cette « dimension nécessairement sauvage et barbare » où néanmoins « un sens commun se fait et a à se faire sans concept préalable » (Richir, 1991a : 78). Cette absence de concept, cette indétermination foncière du social en son apparition, fait du sublime un moment instable, hors-temps et espaces institués, où quelque chose d’une socialité universelle apparaît. Mais cette apparition est plutôt, dit Richir, une « phénoménalité affleurante » (id., 1988b : 147), impossible à stabiliser dans une forme conceptuelle définie, une sorte de « clignotement » (id., 1992a : 230) entre apparition et disparition, qu’il faut pourtant décrire, par le moyen d’une épochè phénoménologique, consciente et délibérée. La phénoménologie, comme discours philosophique, n’a donc pas vocation à faire advenir ces moments sublimes, qui relèvent d’une spontanéité immaîtrisable, ni à appeler à une révolution définitive par laquelle le social apparaîtrait dans une transparence absolue, puisque sa phénoménalité ne peut justement pas être instituée. Elle peut en revanche repérer les ouvertures à cette dimension utopique au sein des sociétés instituées, et contribuer à libérer l’horizon de leur sens, comme sens se faisant.

Ces quelques remarques sur la dimension sublime de l’apparition du social visent également à montrer que, loin d’une perspective formelle, il y va de l’incarnation sociale de l’humanité, avant tout comme question inlassable, c’est‑à‑dire de l’extrême difficulté de cerner le « lieu de ‟révélation” de notre incarnation, et d’une incarnation ‟vivante” dans la mesure où elle n’est jamais achevée. » (Richir, 1992b : 13). « [L]a socialité phénoménologique sauvage » est ainsi à comprendre également à partir de « la chair » (id., 1991a : 100), terme qui traduit ici le concept phénoménologique de Leib et que Richir interprète comme la dimension non temporelle et non spatiale d’une affectivité par laquelle une multiplicité indéfinie de singularités anonymes sont à la fois en contact avec elles-mêmes et avec les autres, à l’écart de leur institution c’est‑à‑dire depuis l’épochè de toute repère symbolique marquant et déterminant ces corps, comme Körper18, dans un temps et un espace particuliers. L’enjeu d’une telle phénoménologie de l’interfacticité est de pouvoir penser la socialité comme mise en rapport de singularités incarnées, c’est‑à‑dire de penser l’universalité d’une incarnation (d’une Leiblichkeit) par la diversité indéfinie et indéterminée des singularités qui la constituent. C’est là sa dimension sociale utopique, que la pratique philosophique de l’épochè doit réouvrir inlassablement, en étant à la mesure de cette épochè spontanée qu’est la révolution, à propos de laquelle Jean-François Perrier a écrit ces mots très justes : « La Révolution se passe au-delà ou en-deçà de l’institution symbolique, elle phénoménalise en son clignotement la société incarnée et utopique, le sens commun phénoménologique et la sauvagerie des phénomènes. Elle est affirmation des singularités contre la détermination et l’identité » (Perrier, 2024 : 373-374). Tout l’enjeu, néanmoins, est de comprendre l’ouverture à l’utopie du social à même son institution symbolique. C’est pourquoi la description phénoménologique du sublime n’est pas un appel à sortir des institutions symboliques par la Révolution mais à les subvertir de l’intérieur (ibid. : 356).

Conclusion

La force de la phénoménologie du social développée par Richir tient donc à cet appel à l’invention collective du sens qui ne dessine aucune route bien tracée et prédéterminée, qui ne s’appuie donc sur aucune idée préconçue du social, mais reprend ce dernier dans sa dimension foncièrement utopique, à partir de ce que, originairement, nous avons en commun, à savoir nos singularités en leur facticité irréductible. Une utopie comme horizon d’espérance qui se nourrit de « l’innocence du devenir » et de la « liberté de l’imprévisible » (Richir, 2014 : 89-90). Cette espérance dont Ernst Bloch disait justement qu’elle n’a rien à voir avec la confiance, puisqu’elle intègre la possibilité de son inaccomplissement, et ne dit rien de pré-figurable sur l’avenir qu’elle vise. Appel utopique, non pas à renoncer à notre condition symbolique, mais à la faire vivre depuis ses interstices, c’est-à-dire à la rendre libre. Richir nous invite ainsi « à réveiller le mouvement de l’institution symbolique se faisant et à le pousser plus avant » (id., 1992 : 19). Surtout, ce réveil s’annonce depuis une socialité phénoménologique qui n’a rien d’une origine ou d’une arché et qui ne prend pas non plus la forme d’une finalité prédéterminée. Elle est à ce titre « anarchique » autant qu’« atéléologique » (id., 1991a : 123), en quoi réside toute sa force critique envers les institutions existantes du social. Cette critique, s’appuyant sur une dimension universelle en tant qu’indéterminée, n’énonce aucune idée prédéterminée, et donc partiale, de ce que devrait être « le » social et propose ainsi un universalisme à la fois conscient de la prégnance de ses ancrages symboliques et apte à les mettre à distance, c’est-à-dire à les subvertir.

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Notes

1 Nous reprenons ici, en la synthétisant, la manière dont Marc Richir thématise lui-même cette dimension symbolique en référence – mais à travers une distance critique et phénoménologique – au structuralisme (cf. par exemple : Richir, 1996 : 14-19). Return to text

2 Précisons que nous écartons d’office toute réponse naturaliste qui ferait appel au partage de caractéristiques neuronales pour expliquer cette communication. Notre perspective, proprement phénoménologique, tente d’attester cette appartenance du point de vue du sens, de son apparaître ou de sa manifestation. Return to text

3 La première génération étant celle des fondateurs, Husserl et Heidegger, la seconde, celle de Sartre, Merleau-Ponty, Levinas, pour ne citer qu’eux. Return to text

4 Œuvre qui donne lieu, depuis plus d’une dizaine d’années, à de nombreux commentaires et lectures, qui se sont concentrés, pour la majorité, sur la dimension proprement phénoménologique de la pensée richirienne. Pour une introduction à cette dernière, voir Alexander Schnell (2011, 2020), Sacha Carlson (2020) ainsi que Laszló Tengelyi (2010). La recherche sur sa dimension politique et sociale est très récente, et a été inaugurée notamment par les travaux de Jean-François Perrier (2020), dont la thèse a été publiée sous le titre : La pensée politique de Marc Richir. Phénoménologie, anarchie et utopie (2024). C’est dans le sillage de ces recherches que nous situons notre réflexion. Return to text

5 Il apparaît plutôt, dans les premiers travaux de Richir, sous la dénomination d’« universel sauvage », notamment dans le texte « Révolution et transparence sociale » (Richir, 1974 : 33sq) qui insiste sur la « fonction critique » d’un tel universel « à l’égard de l’ordre existant » (ibid. : 47), puis plus tard comme universalité « sans concepts pré-déterminés » (Richir, 1987 : 283). Return to text

6 Sur la critique du capitalisme à partir d’une lecture croisée de Richir et de Marx, voir l’article de Thomas Maurice (2019). Return to text

7 Précisons que cette conception est également avancée par l’herméneutique phénoménologique de Ricoeur qui insiste, d’une part, sur l’antériorité et la prédonation du symbolique par rapport à la réflexion mais aussi, d’autre part, sur l’ouverture intrinsèque du symbolique à cette réflexion : « c’est le symbole lui-même qui est aurore de réflexion » (Ricoeur, 1965 : 49). La différence avec la phénoménologie richirienne, comme on le verra, tient à ce que cet « appel à la réflexion » (ibid. : 48) n’est pas, pour Richir, un trait propre au symbolique lui-même, mais découle de son ouverture à la dimension phénoménologique. Return to text

8 Voir à ce sujet les travaux pionniers de Joëlle Mesnil (1994, 2014) sur la notion de symbolique dans l’architectonique richirienne, et notamment sur la dimension psychopathologique que recouvre le concept d’animalité symbolique. Return to text

9 Voir l’important travail de Jean-Sébastien Philippart (2022), qui non seulement expose de manière très précise les diverses positions richiriennes quant au statut de l’animal, mais encore propose, sur cette base, une phénoménologie originale des animalités. Return to text

10 Pour plus de précisions nous renvoyons à deux récentes contributions. Tout d’abord à celle de Jean-François Perrier qu’on trouvera sous la forme d’un article (2020), repris dans La pensée politique de Marc Richir (2024 : 212-237), où l’auteur présente le concept d’interfacticité à l’aune de la question du politique et du lien social. Ensuite à celle de Tudi Gozé (2024) qui, en croisant la psychopathologie clinique et la phénoménologie, tente de mettre au jour cet écart faisant le contact de soi à soi et de soi aux autres à partir de sa rupture dans la schizophrénie. Ces deux livres constituent des excellentes introductions à la phénoménologie richirienne, à partir du champ social et politique ou à partir du champ clinique et psychopathologique. Return to text

11 « Inhumanité » qui laisse entendre que cette dimension phénoménologique ne relève pas originairement de l’éthique, et qu’elle est bien plutôt foncièrement innocente en un sens nietzschéen. Voir à ce sujet la lecture richirienne de Levinas dans son article « Phénomène et Infini » (Richir, 1991b). Return to text

12 Nous laissons ainsi de côté la question des rapports entre humain et inhumain, qui est aussi celle de la rencontre avec l’inhumain, laquelle peut aussi être « malencontre » (cf. Perrier, 2024 : 88-93). Return to text

13 La question de l’architectonique traverse l’œuvre richirienne, particulièrement à partir des Méditations phénoménologiques de 1992, et n’est que rarement explicitée pour elle-même, Richir préférant mobiliser et déployer ce concept dans des analyses précises de tel ou tel phénomène. On pourra néanmoins se reporter utilement à la Sixième de ces Méditations (Richir, 1992 : 331-389), mais aussi à l’ensemble des travaux qui tentent d’expliciter ce que fait implicitement Richir, notamment ceux d’Alexander Schnell (2011, 2020), et au numéro de la revue AUC Interpretationes (2019/1) tout entier consacré à la question de la méthode et de l’architectonique dans la phénoménologie richirienne. Return to text

14 « La découverte du ‟principe” sauvage ou barbare en phénoménologie, c’est à lui que nous la devons » (Richir, 1987 : 62). Return to text

15 « Ce qui s’ouvre au-delà ou en-deçà de tout le possible et qui, au regard de la pensée positiviste, est impossible, c’est la transpossibilité » (Maldiney, 1991 : 313). La transpossibilité fait échos à la transpassibilité, ouverture à ce dont nous ne sommes pas passibles, à l’inanticipable – qui est la marque même, pour Maldiney, de l’événement, lequel, étant « inimaginable » est « en cela, réel » (ibid. : 322) : « le réel est toujours ce qu’on n’attendait pas » (ibid. : 316) et est donc de « l’ordre du transpassible » (ibid. : 323), de même, selon Richir, que la rencontre interfacticielle. Sur la reprise richirienne de ce couple conceptuel, voir la deuxième Méditation phénoménologique (Richir, 1992 : 27-65). Return to text

16 Sur cette dimension utopique, propre à l’interfacticité, qui permet de dégager une « exigence radicale de démocratie », distincte des régimes démocratiques institués, voir l’article de Jean-François Perrier (2020), repris dans La pensée politique de Marc Richir (2024 : 229-237). Return to text

17 La pensée richirienne se présente ainsi comme une tentative de comprendre la possibilité même de la phénoménologie comme discours et comme méthode philosophique à partir d’une dimension intrinsèquement phénoménologique de l’expérience elle-même (cf. à ce sujet Carlson, 2020 : 10). Return to text

18 Sur la distinction entre Leib, Leibkörper et Körper dans l’œuvre de Richir, à travers une discussion avec la conception merleau-pontienne, cf. Schnell (2011 : 149-181). Return to text

References

Electronic reference

Jérôme Watin-Augouard, « La phénoménologie du social selon Marc Richir », Mosaïque [Online], 21 | 2024, Online since 16 juillet 2024, connection on 20 janvier 2025. URL : https://www.peren-revues.fr/mosaique/2545

Author

Jérôme Watin-Augouard

Jérôme Watin-Augouard est professeur certifié de philosophie, doctorant à l’Institut de Philosophie de Grenoble (IPhiG, UGA, Grenoble, France). Ses recherches actuelles portent sur le concept de symbolique en phénoménologie (formes symboliques, institutions symboliques) depuis son traitement dans l’œuvre d’Ernst Cassirer, jusqu’à ses remaniements chez Maurice Merleau-Ponty, puis, plus récemment, chez Marc Richir. Ses thèmes de recherche sont les suivants : Phénoménologie, philosophie allemande et française, philosophie contemporaine, anthropologie, philosophie de l’institution, philosophie critique.
https://iphig.univ-grenoble-alpes.fr/fr/presentation/membres/doctorants/watin-augouard-jerome

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