Introduction
L’imitation joue-t-elle un rôle au niveau de l’apprentissage ? Le fait d’imiter a-t-il une fonction au sein du développement ? Et si ce n’est pas le cas, quelles seraient alors les raisons de sa présence ? Car il n’est pas rare d’observer un jeune enfant copier un geste, une attitude ou des sons produits par autrui. Ainsi, nombre de chercheurs – depuis au moins le 18ème siècle (Condillac, [1755] 2004) jusqu’à des travaux plus récents (Bruner, [1983] 2002, Baudonnière, 1997) – s’accordent-ils sur l’existence d’une faculté imitative prépondérante chez l’humain et déjà très présente chez l’enfant (Baldwin, [1897] 2006 ; Guillaume, [1926] 1968 ; Wallon, [1942] 1970 ; Vinter, 1985, Winnykamen, 1990 ;). Mieux, selon Meltzoff, le nourrisson se montrerait capable d’imiter le sourire du parent 24 à 72 heures après la naissance (1990 : 155). Quelle est alors la genèse de l’imitation ? Emerge-t-elle d’un réflexe conditionné ou provient-elle d’une construction sociale ? Est-elle davantage liée à un développement biologique (Piaget) ou se développe-t-elle plutôt sous l’influence sociale (Vygotski [1934], Wallon [1942], Bruner [1983]) ?
Piaget dans son ouvrage La formation du symbole chez l’enfant apporte des réponses claires à ces questionnements. Dans sa théorie, la genèse imitative représente six stades1 où chaque étape dénote une fonction développementale spécifique. Quels apports cognitifs constitue chacune de ces étapes ? Quels gains qualitatifs représentent-ils au sein des processus développementaux ? Telles sont les questions auxquelles cet article se propose de répondre. Il s’agira donc, ici, de discuter l’ensemble des enrichissements cognitifs attribués à chacun de ces stades par Piaget.
Pour Piaget, l’imitation est « l’acte par lequel un modèle est reproduit » (Piaget, 1976 : 13). Le psychologue opère ici un décalage essentiel à nos yeux. En effet, habituellement l’imitation est associée à la reproduction d’un modèle. Bien évidemment, dans cette configuration, tout se passe comme si l’imitation était aisée et innée. Imiter, dès lors, ne réclame ni effort particulier ni compétence spécifique. L’imitateur se contente de reproduire, répéter, copier à la manière d’une photocopieuse, de façon quasi magique. En revanche, en plaçant l’imitation du côté de « l’acte » par lequel un modèle est reproduit, Piaget lie l’imitation à des schèmes d’actions élaborés à partir de processus perceptivo-moteurs complexes. En effet, l’acte imitatif ne saurait advenir de manière innée. Ces schèmes*2 moteurs nécessitent d’associer et de coordonner des gestes par la vue et de mettre en œuvre des compétences sensori-motrices évolutives. Ainsi, Piaget considère l’imitation comme une fonction construite par un apprentissage. Or, cette faculté se développe progressivement et en parallèle avec l’intelligence (Winnykamen, 1990 : 39). De fait, d’une manière très similaire à ce qu’il propose quant aux sous-stades de l’intelligence sensori-motrice, Piaget expose le développement de l’imitation en six étapes. Ces « stades » révèlent la présence d’une continuité fonctionnelle (Piaget, 1976 : 13) ayant pour moteur un développement imitatif nécessitant des coordinations et des adaptations intelligentes (Piaget, 1976 : 11). Dans ces conditions, la structure d’ensemble est hiérarchisée de manière à intégrer successivement les étapes précédentes au sein des suivantes. Naturellement, l’âge auquel ces stades apparaissent est indicatif tant ces derniers varient en fonction des individus3. En revanche, l’ordre de succession des étapes ne varie pas. Les stades4 sont les suivants : 1. La préparation réflexe (0 à 1 mois). 2. L’imitation sporadique (1 à 3/4 mois) 3. L’imitation systématique des sons appartenant déjà à la phonation de l’enfant et des mouvements exécutés antérieurement par le sujet de manière visible pour lui (4 à 8 mois). 4/1. L’imitation des mouvements déjà exécutés par le sujet, mais de manière invisible pour lui (8 à 11 mois). 4/2. Le début d’imitation des modèles sonores ou visuels nouveaux (8 à 11 mois). 5. L’imitation systématique des modèles nouveaux y compris ceux qui correspondent à des mouvements invisibles du corps propre. 6. Le début de l’imitation représentative et l’évolution ultérieure de l’imitation (1 an à 1 an et 6 mois).
1. La pré-imitation ou préparation réflexe du premier mois
Dans le cas de pleurs relayés d’un bébé à l’autre, il ne saurait s’agir d’imitation, mais d’un déclenchement réflexe suscité par un excitant externe (Piaget, 1976 : 14). Cette contagion prépare l’imitation future : elle prolonge un élément extérieur en produisant un schème réflexe similaire. On retrouve ici l’idée chère à Piaget selon laquelle il existe une continuité fonctionnelle telle qu’une structure se développe en s’appuyant non seulement sur les précédentes, mais en les réorganisant (1976 : 13). Bien évidemment, le réflexe n’est pas sans lien avec l’imitation en ce qu’il reprend et répète un état psychique sans pour autant imiter le cri lui-même.
Pour Meltzoff, il s’agit d’un « miroir social » présent dès la naissance, une forme de communication primaire où les deux protagonistes peuvent reconnaître réciproquement la similarité de leurs actes (Meltzoff, 1990 : 158). Ces imitations, selon Meltzoff, constituent de « vraies » imitations : le nourrisson se montrant capable de les différer (Vinter, 1985 : 51). Cette présence précoce du social remet en cause l’idée d’un apprentissage (Meltzoff, 1990 : 159)5. Néanmoins, Meltzoff l’énonce lui-même, le nourrisson ne peut pas tout imiter dès ses premiers jours. Les imitations observées sont uniquement de quatre ordres : la protrusion de la langue, celle des lèvres, l’ouverture de la bouche, le mouvement séquentiel des doigts (Vinter, 1985 : 51). Il reste donc bien, par-delà les précisions et critiques apportées à Piaget sur ce point, l’idée d’un développement imitatif progressif : d’une pré-imitation.
2. L’imitation transformatrice et émancipatrice du deuxième stade
Trois idées importantes seront développées dans cette partie : d’abord l’aspect recognitif de l’imitation, ensuite la fonction de passerelle de l’imitation entre soi et l’autre et, enfin, l’imitation comme moyen de faire durer un spectacle intéressant.
a) L’aspect recognitif de l’imitation
La reproduction présentée précédemment s’accompagne de l’incorporation d’éléments extérieurs. Piaget cite le cas de la succion du pouce. Dans ce cas, le nourrisson suce divers objets, mais n’a encore jamais utilisé son pouce ; il va alors associer le pouce à un objet connu tel que la tétine et lui appliquer le schème de succion. Ici, le point important à souligner est la condition de l’imitation : cette dernière a pour exigence un schème de « base » déjà maîtrisé. Elle se réduit donc à du connu. L’enfant parvient à raccrocher un schème moteur extérieur – qu’il n’a donc pas encore exercé – à un schème déjà acquis qu’il va prolonger. Ceci est particulièrement visible au sein du second exemple souligné par Piaget, soit celui du son imité. L’enfant, ayant entendu un « aaa », le reprend en y ajoutant un « rrrrr ». Un son peut être prolongé par un autre : le « aaaa » pouvant devenir « aaarrrr » si le « a » représente une donnée familière. En d’autres termes, l’enfant recombine des schèmes présents et crée ainsi une donnée nouvelle. L’acte imitatif n’a donc rien d’automatique : il se produit en fonction de l’intérêt représenté par l’objet. Il y a finalement « prolongement de l’accommodation au sein des réactions circulaires déjà en fonction, c’est-à-dire des activités complexes d’assimilation* et d’accommodation* réunies » (1976 : 19). Ce qu’exprime ici Piaget n’est pas tant la reprise et la copie des gestes (choses maintes fois dites sur l’imitation et en ce sens dénuées d’intérêt), mais un aspect tout à fait original de recognition. En effet, les schèmes s’assimilent à ceux déjà acquis et ainsi opèrent une reconfiguration de l’ensemble.
Piaget effectue ici un retournement conceptuel original : l’imitation est conditionnée par la proximité des schèmes. L’appropriation représente donc la mise en acte de mouvements déjà présents, mais sous d’autres formes. Cette conception sera vivement critiquée par Wallon6. À ses yeux, le fait de tourner la tête comme un adulte ou de réaliser des réactions circulaires ne constitue pas des imitations, mais des écopraxies. Wallon s’oppose ici à l’idée d’une continuité fonctionnelle progressive et régulière. Non seulement cette théorie ne laisse aucune place à la maturation des organes, explique-t-il en critiquant Piaget, mais elle suppose un développement graduel et linéaire des compétences trop restrictif (1970 [1942] : 39)7. La critique s’avère sans doute justifiée (Siegler [1998] 2010, Houdé, 2000) bien que trop radicale. Le développement est certes graduel chez Piaget, mais le passage entre un être en devenir et un sujet mature fait l’objet de changements qualitatifs repérables. Or ces sauts se réfèrent naturellement à un phénomène de maturation cognitive. Pour Piaget, ces imitations du jeune enfant traduisent des mouvements actifs d’assimilation et d’accommodation du réel.
b) L’imitation comme passerelle entre soi et l’autre
L’enfant piagétien est égocentré et « autiste ». Les implications de ces particularismes psychologiques sont multiples. En effet, dans Le langage et la pensée chez l’enfant, Piaget emprunte à Baldwin et Janet cette idée de non-différenciation entre le soi et l’autre. En 1948, Piaget parle d’identification à l’objet imité, l’enfant « imitant de tout son être » (Piaget, 1948 : 20). Néanmoins, en 1976, cette vision d’indifférenciation entre soi et l’autre, sans être totalement remise en cause, est complexifiée. Piaget, développe l’idée baldwinienne de réaction circulaire*. Il s’agit d’une reprise en boucle d’un schème moteur à but d’appropriation et de perfectionnement. Aussi, en associant à l’imitation des facteurs d’assimilation et d’accommodation, l’imitation prend une place essentielle au sein des processus développementaux. En effet, Piaget évoquait déjà à l’époque une fonction imitative indispensable à l’acquisition du langage. Dans La formation du symbole chez l’enfant, le rôle actif de l’imitation dans les processus d’apprentissage est particulièrement détaillé. Il y a imitation à la condition que les schèmes des mouvements de l’autre soient coordonnés aux schèmes de ses propres mouvements. Lorsque les gestes de l’autre présentent un intérêt parce qu’ils interviennent dans le fonctionnement d’une action, il y a désir d’assimilation ; et donc imitation.
Première conséquence, cette fonction se produit en raison d’un but sensori-moteur de perfectionnement lié au désir de s’incorporer des schèmes d’action. L’imitation n’est pas passivement subie. Deuxième conséquence, elle est durable et se répète de manière prolongée jusqu’à ce que le mouvement soit « incorporé », d’où son caractère circulaire. En ce sens, l’imitation constitue un prolongement des mouvements d’accommodation (Piaget, 1976 : 20). Troisième conséquence, la réaction circulaire imitative est une imitation « vraie » car elle présente un intérêt. Dernière conséquence, l’indifférenciation génère une confusion entre les mouvements du moi et ceux venus de l’extérieur. Plus tard, ce processus peut engendrer un déni d’imitation. Ainsi, même à trois ans et demi, Laurent (le fils de Piaget) peut croire être l’inventeur d’une action qu’il a pourtant copiée sur sa sœur. En revanche, lorsque de légers décalages entre soi et l’autre sont observés, alors le jeune enfant réalise ses différences avec l’autre : il fait l’expérience d’autrui comme étranger à soi. Wallon s’accorde avec cette idée de passerelle : l’imitation est à la fois une fusion, une adhésion avec la chose imitée et une distinction de cette dernière. Reprendre l’autre implique de s’effacer en endossant des gestes, voire une personnalité qui ne sont pas siens (Wallon, 1970 : 130). À ce titre, l’imitation s’accompagne d’une certaine abnégation de soi (Wallon, 1970 : 120). Néanmoins, pour effectuer cette imitation, l’imitateur doit se figurer l’acte d’autrui. Or c’est dans cet intervalle créé entre la reprise indistincte et le soi que la personnalité émerge. En ce sens, selon Wallon, l’imitation est porteuse d’individuation. Meltzoff voit en cela une théorie de l’esprit : le bébé détecte la similitude des états émotionnels. L’autre devient ainsi un semblable doté d’une subjectivité interprétable (Meltzoff, 1990 : 161). L’enfant discrimine donc peu à peu son l’environnement. Piaget établit les éléments provoquant l’émergence du phénomène.
c) L’imitation afin de faire durer un spectacle intéressant
La notion d’intérêt pour l’enfant est importante. Piaget cite les écrits du psychologue Guillaume, lequel a rédigé un livre reprenant nombre d’études relatives à l’imitation. Piaget s’accorde avec lui sur l’idée d’une imitation produite par un intérêt découplé du résultat. L’imitateur désire en effet prolonger un son apprécié sans que le sens n’intervienne dans cette action. Cette véritable imitation se différencie de la pseudo-imitation. La pseudo-imitation se produit après l’action artificielle d’un adulte. On l’observe lorsqu’un parent grimace afin de faire réagir à l’identique le nourrisson. Ici, l’imitation, une fois intégrée, va générer des progrès favorisants eux-mêmes les prochaines imitations. En effet, l’imitation développe l’accommodation, laquelle constitue un outil d’adaptation et de réorganisation des schèmes (moteurs ou de pensées) futurs.
3. Le perfectionnement par imitation systématique des gestes déjà maîtrisés du troisième stade
Au sein de ce troisième stade, s’exerçant de 4 à 8 mois, l’imitation biologique spontanée côtoie une imitation sociale. La première représente, selon Piaget, une imitation accommodatrice et assimilatrice progressive, la seconde, une imitation de dressage.
a) L’imitation spontanée : faire durer une compétence pour conserver en mémoire et agir sur autrui
Le 7ème jour du 6ème mois, Jacqueline, la fille de Piaget, se montre capable de produire des « pfs », imités par ses parents, puis repris par elle. Dans le cas d’un nouveau son, tel que « bva », Jacqueline répète d’abord le « pfs », puis « bva ». Le même jour, elle répète inlassablement « abou », un dérivé de « bva ». Le psychologue en tire plusieurs conclusions. D’abord, il existe un effet de conservation du son entendu dans le but manifeste de faire durer ce dernier. Ensuite, la fillette désire produire un effet sur autrui. L’idée de produire un effet sur autrui est également soulignée dans Le langage et la pensée chez l’enfant (1948 : 23). Le langage émerge chez l’enfant comme un besoin d’agir sur ses parents (les appeler, par exemple). Mais dans un premier temps, seul l’intérêt pour la répétition compte et non, bien sûr, le sens de ce qui est dit. Jusqu’à 8 mois, elle n’imite aucun son « nouveau », c’est-à-dire extérieur et très différent des sons habituels. Le sens n’intervient nullement ici, il s’agit d’une imitation purement auditivo-motrice. L’assimilation recognitive et reproductrice engendre une imitation intentionnelle afin de faire durer le son. À ce stade, les mouvements font également l’objet d’imitations sous la même condition de maîtrise préalable. Ce qui est nouveau, c’est la coordination visuo-motrice plus aiguisée de l’enfant. Concrètement, l’enfant remue les doigts aisément à l’imitation de ce geste tandis que le fait d’ouvrir et de fermer la paume ne l’est pas. À ce titre, le cas de son fils, Laurent âgé de 4 mois est éloquent. Piaget ouvre et ferme la main sous ses yeux. Laurent ne sait pas reproduire le geste, mais effectue un mouvement connu : ce dernier agite les doigts tout en semblant comparer son geste aux mains paternelles par un va-et-vient du regard. Or, pourquoi regarde-t-il ses mains sinon afin de reproduction du geste d’autrui ? Cette curiosité, selon Piaget, ne saurait être générée seulement par le geste lui-même ou simplement par l’attrait du résultat consécutif au mouvement : il s’agit d’une attraction produite par les deux phénomènes à la fois. Ceci, ajoute Piaget, est particulièrement visible lorsque Jacqueline secoue la fenêtre en plastique de son landau. Ici, la jeune enfant prend à la fois plaisir aux mouvements de la main exercés sur le plastique et à l’effet produit sur la matière. C’est un cas emblématique d’imitation « vraie », autrement dit apparaissant spontanément par accommodation et assimilation progressive. Ce type d’imitation est biologiquement inscrit dans le développement. Il fait suite aux réactions circulaires « différenciées » issues des schèmes réflexes.
Néanmoins, Piaget ne développe pas cette observation sociale8 en la traduisant en termes d’avantages (comme par exemple, le fait d’une imitation susceptible de renforcer les schèmes moteurs). Ici, il s’attache davantage à la composante « motrice » du schème au détriment de sa composante perceptivo-sociale. Aux yeux de Vygotski, le jeune enfant n’est pas égocentré mais – au contraire – socialo-dépendant9. De la qualité des interactions sociales, notamment avec la mère, dépendra sa survie. Le développement va donc du social vers la pensée intérieure et non comme Piaget l’entend, de l’individuel égocentré vers le social (Vygotski, 1997 : 117). En ce sens, les développements ontogénétiques et phylogénétiques recouvrent des réalités différentes tout en nouant des rapports complexes (Vygotski, 1997 : 346). Le psychologue scinde ainsi deux types d’imitation différents : d’un côté, il y a l’imitation héréditaire (liée à un acte réflexe, à une copie non volontaire) appartenant à la phylogénèse, d’un autre côté, se situe l’imitation acquise (issue d’une volonté, attachée à la maturation intellectuelle) déterminée par l’ontogenèse. Cela fera dire à Vygotski que Piaget s’appuie d’abord sur des critères biologiques ; « l’apprentissage » étant « à la remorque du développement » (Vygotski, 1997 : 340). Ce positionnement théorique a des conséquences. En effet, aux yeux de Vygotski, l’apprentissage (scolaire, social) va conforter et améliorer les anciennes structures tout en en favorisant l’émergence de nouvelles (1997 : 339)10. En ce sens, l’apprentissage (l’imitation) viendrait en quelque sorte « optimiser » le développement, c’est-à-dire en générer les pleines potentialités. Piaget d’un avis opposé, développe de son côté de fortes réticences à l’égard des imitations sociales. Ainsi, ces dernières font l’objet de dépréciations et de dévalorisations marquées.
b) Une pseudo-imitation ou imitation par dressage opposée à la « vraie » imitation ?
L’imitation de « dressage » est artificielle selon Piaget car elle est suscitée par un adulte demandeur. Cette imitation induite s’observe chez la personne soucieuse de « pédagogie » ; la pseudo-imitation ne résulte donc pas d’un besoin assimilatif personnel. En conséquence, son caractère est peu durable. Elle s’arrête spontanément dès qu’elle n’est pas sanctionnée par une nouvelle incitation. L’éducateur se lamente alors de l’absence d’imitation de l’enfant. D’ailleurs, même en cas de réussite, l’imitation ne se répète que dans les cadres définis par le dressage. Piaget prend le cas du sourire stoppé dès l’arrêt du sourire adulte. En conséquence, d’une part, ces dernières disparaissent dès qu’elles ne sont pas suscitées, d’autre part, c’est la croissance intellectuelle qui provoque leur assimilation et non l’inverse. Cette pseudo-imitation représente donc davantage un « transfert » qu’une assimilation reproductive et recognitive. Or, selon Piaget, cela s’oppose au procédé actif de la « véritable » imitation. Ainsi, le psychologue évoque-t-il des progrès plus lents chez ces enfants au niveau de l’assimilation et de l’accommodation imitative « naturelle ». En revanche, même dans le cas d’imitations provoquées par des nurses soucieuses de pédagogie, les enfants vont présenter des progrès imitatifs. Ce point semble particulièrement important à souligner. Ici, Piaget admet d’un côté une amélioration des imitations et, de l’autre, met en garde contre une artificialité susceptible de freiner l’imitation spontanée. Pour lui, obliger un enfant à imiter ce dont il n’a pas besoin est susceptible de ralentir le véritable processus des stades biologiques.
Vygotski n’est, quant à lui, pas de cet avis. À son sens, l’aspect social prime sur le biologique. L’enfant ne peut établir de significations logiques par lui-même puisque la signification est tracée par l’adulte et la société (1997 : 236-237). En conséquence, l’entourage joue un rôle primordial en « prédéterminant » les voies du développement. L’apprentissage se joue donc par imitation dans une relation inter-psychique, laquelle deviendra ensuite intrapsychique. Pour Vygotski, l’imitation consiste à reprendre ce que l’on a vu faire ou ce que l’on nous a dit. Ainsi, lorsqu’un élève résout un problème explicité en classe par le maître, il s’agit d’un acte imitatif par excellence. De même, la résolution d’un problème à la maison, y compris en absence du maître, demeure un travail collaboratif (Vygotski, 1997 : 375). L’autonomie est selon lui artificielle, l’enfant reprenant ce qui a été appris ou dit (1997 : 376). En effet, l’élève apprend sous le contrôle de l’enseignant et avec sa collaboration. C’est dans cette zone d’imitation où l’élève ne sait pas encore faire seul, mais suit les explications du maître que se situe sa zone de développement. Vygotski établit deux conclusions : Là où l’imitation est possible, le futur apprentissage l’est tout autant. Le seul apprentissage intéressant et enrichissant est celui qui précède le développement (1997 : 365). En l’occurrence ici, pour reprendre l’exemple piagétien, les nurses échouent dans leur pédagogie par dépassement de cette zone proximale, non par la nature de leurs méthodes.
4. L’imitation de schèmes nouveaux au quatrième stade
La coordination des schèmes d’imitation a lieu de 8, 9 mois à 12 mois. Ce stade est divisé en deux parties : la partie I concerne la coordination des schèmes visuels aux schèmes tactilo-kinesthésiques, la partie II correspond à un début d’imitation des modèles sonores ou visuels nouveaux.
a) Partie I : une imitation renforcée par exercice avec autrui
Afin de mieux saisir la teneur de la combinaison des schèmes, reprenons l’exemple de la fille du psychologue. À 8 mois, Jacqueline reproduit un son entendu, mais cette fois en observant la mâchoire de son père. À 11 mois elle imite le son et le mouvement du bâillement sans contagion. Ainsi, l’imitation s’acquiert et se renforce au fur et à mesure de son exercice avec autrui. Elle est le produit d’un apprentissage. C’est le début des explorations recherchant la nouveauté pour elle-même. Apparaît ici, une aptitude à imiter des sons nouveaux, l’accommodation peut dès lors précéder l’assimilation. L’imitation se développe à ce stade de manière spectaculaire, néanmoins elle n’est pas encore différée ni accompagnée de réelles représentations.
1° L’enfant sait prendre des indices afin d’imiter. 2° La petite effectue des imitations de transfert par ressemblance, par exemple va mordiller ses lèvres quand le modélisateur tire la langue. 3° La fillette sait saisir par « indices » intelligents une situation et effectuer un transfert moteur. Selon Piaget, cette dernière commet des « erreurs » intelligentes : elle traduit le fait d’ouvrir et fermer les yeux par une ouverture et une fermeture de la main ou de la bouche. Sa fille assimile donc le mouvement à un schème analogue, traduisant ainsi le visuel en kinesthésique. L’enfant produit un schème équivalent au schème qui aurait dû être réalisé et ce de manière appropriée. La prise d’indices appelle des correspondances réclamant une pensée. Les progrès de l’imitation et les progrès de l’intelligence vont de pair.
b) Partie II : début d’imitation des modèles sonores ou visuels nouveaux par coordination de schèmes et explorations
L’évolution de l’intelligence engendre des progrès. En effet, auparavant, l’enfant utilisait dans son imitation des schèmes simples non-coordonnés entre eux. Mais à présent il se montre capable de les combiner et passe donc d’un schème « simple, rigide » à une « souplesse » où l’accommodation commence à se différencier de l’assimilation (Piaget, 1976 : 50). L’enfant opère une distinction nouvelle entre sa personne et celle du modèle et se montre capable d’imiter des gestes nouveaux. Ce saut qualitatif fait dire à Wallon (1970 : 117) et Guillaume (1968 : 135)11 qu’il existe une rupture entre les imitations circulaires et ce type d’imitation (davantage conforme à la définition courante du terme). Pour Piaget, il y a au contraire continuité et non discontinuité. Il existe donc un lien étroit unissant l’imitation de soi-même par réaction circulaire et l’assimilation médiatisée par la prise d’indices intelligemment coordonnés.
Selon Piaget, ce stade marque un début de distinction entre le sujet et l’objet. La différence partielle entre soi et l’objet provoque une résistance qui enclenche l’imitation (1976 : 54). En conséquence, toute imitation réclame une ressemblance et une différence partielles à la situation présentée. Et aucune imitation n’est possible sans cette proximité entre les schèmes du sujet et ceux de la situation proposée. Or, c’est ce décalage partiel qui provoque une tension, un « malaise » poussant l’enfant à imiter afin d’assimiler cette différence. Cette distinction est nouvelle pour l’individu puisque, souvenons-nous, le sujet très jeune ne la pratique pas. Le nourrisson se confond avec son environnement. Or, cette objectivation développe de nouveaux schèmes assimilateurs. L’enfant observateur de l’autre va s’intéresser à tous les gestes partiellement différents d’avec ceux qu’il maîtrise déjà. Il en résulte un désir imitatif décuplé par l’envie de s’accommoder ces mouvements. Néanmoins, comme l’imitation se produit toujours à partir de schèmes propres à l’enfant, il en résulte un effet de tâtonnement, une sorte d’« exploration des objets nouveaux ». Le psychologue évoque à ce propos l’apprentissage d’un son inconnu – « poupou » – initié par des recombinaisons de phonèmes – « bv », « abou », « bvou », « bou » – pour aboutir à « pou ». En conclusion, au lieu de combiner des schèmes afin de reproduire le modèle, l’enfant part plutôt de celui qui lui semble le plus proche et le déclinera jusqu’à obtenir une convergence avec le modèle. Cette notion d’exploration est donc importante à ce stade. Il en résulte deux écueils : à ce niveau, l’imitation demeure fortement liée aux schèmes de l’enfant (dont il s’éloigne peu). Quant à l’accommodation, cette dernière demeure globale et peu nuancée.
5. L’expérimentation active par imitation du cinquième stade
Au sein de ce nouveau stade, la « réaction circulaire tertiaire » continue à supplanter les « explorations », comme cela avait déjà été enclenché au stade précédent. Autrement dit, à cette période, le très jeune enfant se montre capable de coordonner et d’ajuster ses actions vers un but, celui, par exemple, d’expérimenter afin de déterminer les propriétés nouvelles des objets. En l’occurrence, deux phénomènes agissent de concert lors d’une imitation de gestes ou de paroles : l’un est une coordination de schèmes usuels, l’autre, une accommodation tâtonnante et progressive de ces schèmes au modèle. Bien évidemment la coordination du nombre de schèmes, à ce stade, s’est beaucoup développée. Non seulement la distinction de ces derniers les uns par rapport aux autres a pris de l’ampleur, mais l’enfant sait changer de schème afin d’atteindre son but.
Piaget prend l’exemple du fait de se toucher le front. Jacqueline repère visuellement où se situe le front de son père, puis essaye de localiser le sien. L’enfant part de son œil, se touche l’oreille, les cheveux pour enfin, atteindre le front. Comment sait-elle qu’il s’agit du front ? Le psychologue gage qu’elle prend des indices : les cheveux sont longs et soyeux par texture, elle ne peut donc se tromper même si elle ne les voit pas. Ses joues lui fournissent également des analogies. La correspondance entre le tactile et le visuel ne fait aucun doute. L’imitation devient ainsi une sorte d’accommodation systématique. Les schèmes sont revus et modifiés en fonction de l’objet. L’assimilation se dissocie donc de plus en plus de l’accommodation. Néanmoins, l’imitation demeure encore étroitement liée à la situation quand l’intelligence incorpore un système d’usages variés. La représentation est donc étroitement attachée à l’imitation associée à l’intelligence. Effectivement, qu’est-ce qu’imiter sinon se représenter les choses ? Et qu’est-ce que développer son intelligence sinon se construire une image pertinente de la situation ? Or le 6ème stade voit justement apparaître un large développement des représentations.
6. L’imitation représentative du sixième stade afin de se souvenir d’un phénomène ou d’en comprendre la cause
Au 6ème stade, plusieurs fonctions de l’imitation vont émerger de manière plus explicite. L’imitation permet alors de s’approprier un phénomène et de saisir intellectuellement une causalité. La représentation est associée au sens large chez Piaget à la pensée (donc à l’intelligence) et au sens étroit à une image mentale12. Reste à déterminer, interroge Piaget, si la représentation renforce l’imitation ou si l’imitation génère la représentation.
a) L’imitation pour s’approprier un phénomène
Le psychologue s’appuie à nouveau, ici, sur des exemples concrets. Jacqueline, à 1 an et 4 mois, voit un petit garçon piquer une colère dans son parc (observation 52, Piaget, 1976 : 64). Or, le lendemain, la petite fille agit de même en tapant du pied et en criant. À 1 an et 6 mois (observation 53, ibid.), elle imite spontanément la mimique d’un visage repéré dans un magazine. Pour Piaget, la colère est le signe d’une certaine représentation de la scène : il existe des éléments de pré-représentation soutenus par un décalage dans le temps. Cette période marque nombre d’imitations différées, parfois assez difficiles à reconnaître comme le fait de dire « au pas » en pleine rue (observation 54, ibid.). Dans le cas du magazine, cette dernière semble devoir mimer l’expression pour la comprendre. Les cas 52 et 53 semblent bien emblématiques – et là, c’est nous qui le soulignons – d’un désir de comprendre et de s’approprier une situation. Ce type d’imitation peut naturellement déboucher sur toutes sortes d’imitations symboliques effectuées sous forme de jeu.
b) L’imitation comme saisie intellectuelle d’une causalité et apparition de l’imitation différée
Jacqueline accroche par accident le décolleté de sa robe en jouant avec son clown. Après quelques tentatives afin de reproduire l’accrochage à l’aide du pied du clown, la petite place son doigt en crochet et reproduit l’exacte trajectoire en parvenant à tirer sur sa robe. On voit ici combien l’acte symbolisé par le doigt en crochet (représentation du pied du clown) a pour but de se construire une représentation de la situation afin d’en saisir les relations de causalité. Un autre exemple particulièrement éloquent est celui de la boîte d’allumette, dont l’ouverture est symbolisée par la bouche ou la main des enfants. Laurent en imite le bruit tout en ouvrant et fermant la main (observation 58). Il semble vouloir saisir la causalité globale de l’ouverture, c’est-à-dire en construire la combinaison visuelle, kinesthésique et auditive. Ici, Laurent s’approprie l’objet en jouant et en étant lui-même la boîte. La fonction représentative de l’imitation est prédominante. Il s’agit donc d’une « expérience mentale ». L’imitation, cependant, n’est pas encore intérieure puisqu’elle est jouée. Cette dernière est externe et précède l’image.
Nous pouvons à présent répondre à la question posée en introduction de cette partie. Effectivement, les boîtes d’allumettes montrent combien l’imitation va nourrir la représentation, puisque les deux enfants ont eu besoin de « mimer » le mouvement de la boîte, « d’être la boîte » afin de se la représenter. Le psychologue écrit d’ailleurs à ce sujet : « On voit assez, dans ces exemples, combien l’imitation elle-même en vient à jouer le rôle de l’image intérieure et presque de l’expérience mentale » (Piaget, 1976 : 73). En d’autres termes, l’image développée était au départ externe à l’individu, contenue dans l’objet même, mais encore inaccessible à leur entendement. Aussi, ce n’est qu’en « jouant » la boîte, en la symbolisant par une imitation représentative que cette image mentale s’est construite. L’imitation représentative, pour Piaget, précède donc l’image. Autre conséquence, l’image mentale est liée à l’imitation représentative qui précède. La subjectivité y représente une part importante. Néanmoins, au stade 6, tout change. Non seulement l’image mentale se fait interne, mais précède l’imitation. Cette autonomie de l’image est telle que le sujet imitateur a l’impression que ce qu’il fait vient de lui (Piaget, 1976 : 77). L’idée est importante car elle explique pour bonne part la présence du déni imitatif. En effet, généralement, le phénomène imitatif est soit dénoncé, lorsqu’il est particulièrement visible, soit nié. Deux facteurs semblent expliquer ce phénomène. Le premier est celui de l’indifférenciation entre soi et l’autre dont nous avions précédemment parlé. Le second, le fait d’une image mentale qui précède l’imitation. Au sixième stade, en effet, l’image mentale attachée à l’imitation se détache complétement du modèle initial jusqu’à acquérir une « vie propre » (1976 : 77). Dans ce cas, les personnes ne perçoivent pas l’imitation là où elle se trouve pourtant. Selon Piaget, c’est l’activité perceptive, une « sorte de schème ou copie résumée de l’objet perçu » qui constitue l’image mentale. Autrement dit, l’individu visualise la scène, puis produit une image mentale de l’action à effectuer. Or, cette production d’une image mentale semble jouer un rôle d’appropriation des gestes exécutés par l’individu. L’enfant effectue donc une imitation représentative : il ouvre par exemple la main afin de signifier une bouche qui s’ouvre, puis s’en fait une image interne à la manière d’un langage intérieur. Dans le cas de l’imitation différée, l’image mentale précède la copie. Si le concept n’intervient pas toujours dans ce type d’imitation, cette dernière requiert néanmoins bien une « représentation » ou « image souvenir ».
Vinter discute cette question de la représentation piagétienne. Selon la chercheuse, l’imitation ne peut pas générer de représentation. Comment, en effet, imiter en absence de représentation du modèle ? (1985 : 45). Comment imaginer une reprise (c’est-à-dire effectuer une isométrie) sans un préalable au moins fait de parcelles imagées ? Vinter13 réfute la possibilité d’une imitation de schèmes sans la présence au moins partielle d’images mentales. Wallon, quant à lui, résout ce problème en dégageant deux types d’intelligences : l’intelligence des situations (celle qui fusionne avec l’objet) et l’intelligence des représentations et symboles. Les deux ne sont pas de même nature (Wallon, 1970 : 95). À ses yeux, seule la maturation cérébrale permet l’émergence d’une imitation « vraie ».
En somme, le stade 6 est celui de l’affranchissement de la perception immédiate et des expériences empiriques (Piaget, 1976 : 63). Les nouvelles combinaisons mentales acquises sont : l’imitation immédiate de modèles complexes inédits et ce sans tâtonnement ; l’imitation d’objets afin de se les représenter ; et l’apparition de l’imitation différée (Piaget, 1976 : 66). En outre, l’accommodation n’est plus extérieure et empirique, mais intérieure. Une question demeure néanmoins : celle du passage de l’imitation en acte à l’imitation intellectualisée. En effet, Piaget déconnecte l’imitation plastique de l’imitation intellectualisée. Il s’agit d’une représentation en acte, cette dernière précédant l’image (mentale). Puis, elle se généralise et s’épanouit avant de devenir réfléchie. Comment l’une passe-t-elle alors à l’autre ? Piaget reprend momentanément le développement de l’intelligence afin d’étayer son discours. En effet, dans ce cas, l’intelligence sensori-motrice coordonne les mouvements et les perceptions jusqu’à développer la permanence de l’objet.
De même avec l’imitation, l’activité perceptive (en opposition à la duplication de l’image) développe une imitation différée.
Selon Piaget, il ne peut donc exister d’opposition entre le représentatif et l’espace sensori-moteur14.
Conclusion
L’imitation constitue pour Piaget un « véhicule » indispensable à la croissance de l’intelligence, un outil incontournable à l’assimilation du monde. Aussi, le parallélisme réalisé par le psychologue entre les stades de l’imitation et ceux du développement de l’intelligence n’est-il pas un hasard. L’imitation est une « activité perceptive » qui s’acquiert par assimilations et accommodations combinées de manière active. Une fois l’accommodation effectuée, il se produit une réorganisation de l’ensemble, mais également une modification des préalables indispensables à cette accommodation. Ainsi, les adaptations perceptives, motrices ou intelligentes sont toujours liées à des activités antérieures : si A assimile b, c’est que b complète la structure de A. Cette thèse est assez convaincante puisqu’elle explique à la fois les motivations imitatives enfantines (plus vives et systématiques que celles de l’adulte) et, surtout, pourquoi historiquement l’idée de transfert a prédominé dans l’opinion générale liée à l’acte imitatif. On comprend également pourquoi l’imitation se trouve intimement liée à l’intelligence puisqu’elle émane d’un désir d’incorporation des savoirs. L’imitation vient élargir et augmenter les « adaptations sensori-motrices caractérisant la construction de l’intelligence elle-même » (Piaget, 1976 : 89). L’enfant incorpore (y compris et surtout dans les jeux symboliques imitatifs) des modèles.
Néanmoins, comme nous l’avons évoqué tout au long de ce texte, nombre de chercheurs ont nuancé la théorie piagétienne. La continuité fonctionnelle, la validation de l’existence d’imitations néonatales ou la survenue de phénomènes biologiques majeurs (myélinisation cérébrale) ont opposé à la linéarité piagétienne des arguments sérieux. Le modèle de l’escalier est contrebalancé par d’autres modèles où les biais cognitifs, les erreurs de perceptions, les régressions sont prises en compte (Houdé, 2004 : 18). Siegler notamment propose un développement cognitif où les stratégies se cumulent ou se contredisent (Houdé, 2004 : 19). Selon Houdé, au niveau des stratégies, l’heuristique (la solution rapide et efficace) s’oppose à l’algorithme réclamant une réponse plus lente accompagnée d’inhibitions (Houdé, 2004 : 73). Pour autant la présence imitative n’est pas remise en cause (Meltzoff, 1990). Au niveau social, des auteurs aussi divers que Wallon, Vygotski, Bruner, Bandura ont avancé l’idée d’un développement multifactoriel où le social joue un rôle déterminant. Ces interactions perturbent et modifient le développement par des mécanismes inhibiteurs ou accélérateurs.
Le mérite de Piaget reste de présenter une genèse de l’imitation complète. Baldwin l’avait certes précédé, mais non de manière aussi développée (1897 – 2006). Ainsi donc l’imitation, suivant tous ces chercheurs, joue non pas un, mais deux rôles clés : le premier correspond naturellement aux phénomènes d’apprentissage, le second, tout aussi primordial, est lié à la régulation des échanges lors des relations sociales (Winnykamen : 325).