Entre musique et philosophie : les passions, l’âme et le logos

DOI : 10.54563/revue-k.1490

Notes de la rédaction

Ce texte a été publié en italien par Lidia Palumbo sous le titre Tra musica e filosofia: le passioni, l’anima e il logos, dans la revue « Archivi delle emozioni », ISSN 2723-925X, v. 4, n. 1, 2024, pp. 31-42

Note de Lidia Palumbo

Giovanni Casertano est né le 6 mars 1941 à San Prisco, près de Santa Maria Capua-Vetere, dans la province de Caserte. Il a obtenu son diplôme universitaire à Naples en 1963 avec un mémoire de recherche sur la signification de la violence dans la pensée de Marx, sous la direction d’Aldo Masullo. Éminent historien de la philosophie, lecteur infatigable, écrivain brillant, homme d’une grande intelligence et d’une grande puissance de communication, athée et communiste, il a enseigné l’Histoire de la philosophie antique à l’Université de Naples pendant quarante ans, formant des générations d’étudiants à la pensée critique, à l’étude historique des fragments présocratiques et à la compréhension philosophique et littéraire des dialogues de Platon. Toujours attentif aux relations entre philosophie et littérature, entre pensée et pratique, entre texte et contexte, Casertano a consacré sa vie à l’étude des grands thèmes de la philosophie antique, en particulier chez les présocratiques, les sophistes et surtout Platon. Il a toujours contesté cette image de la philosophie de Platon qui établit des frontières nettes entre l’âme et le corps, entre les sens et la raison, entre les choses et les idées, entre l’opinion et la connaissance. Entre le vrai et le faux. Dans ses écrits, il a toujours montré qu’une lecture directe de la page platonicienne ne confirme jamais cette image. Casertano a enseigné que les textes acquièrent une vie toujours nouvelle dans l’interprétation de ceux qui les aiment.

Texte

1. Imaginons un piano, et un homme qui s’assied devant et commence à jouer quelques phrases. C’est un homme amoureux, d’une femme ou d’une idée de femme, peu importe. Il commence à jouer comme pour s’amuser, puis, peu à peu, malgré la légèreté de son toucher, il s’aperçoit que les motifs qu’il est en train d’ébaucher commencent à se développer, à s’entremêler, à se teinter de nuances. Les deux premiers thèmes, en effet, sont brefs, ils ne sont qu’esquissés, de manière assez traditionnelle, avec un phrasé plus technique qu’inspiré. Mais les deux autres thèmes l’entraînent dans leur élan : il se laisse aller à des accords inattendus, parvient à trouver la traduction de motifs tragiques, comme la douleur, ou joyeux, comme l’amour, en un seul et unique tissu de notes à la fois légères et profondes, pensives et gaies. Lorsque cet homme s’arrête, il a composé une sonate qui a été pour lui un jeu, certes sérieux, tandis que pour cette femme, ou pour cette idée de femme, c’était un éloge.

Cet homme était Gorgias, le Sicilien ; cette femme était Hélène, la Spartiate. La sonate Pour Hélène est composée de quatre mouvements. Le premier est un Andante largo et il se développe en seulement en huit mesures : Hélène fit ce qu’elle fit par la volonté aveugle du Hasard, ou par le décret de la Nécessité, ou sur la décision des dieux. Elle est donc exempte de toute culpabilité. Le second mouvement est un Forte agitato, et il se développe en onze mesures : Hélène fit ce qu’elle fit parce qu’elle fut enlevée, violée et outragée. Elle est donc exempte de toute culpabilité.

Le troisième mouvement est un Andante pensoso : Helena fit ce qu’elle fit parce qu’elle fut persuadée et trompée dans son âme par les paroles d’Alexandre. Et il est facile de le comprendre : « le discours est un tyran très puissant ; cet élément matériel d’une extrême petitesse et totalement invisible porte à leur plénitude les œuvres divines1 » (Hel. En. : § 8). Le discours, donc, “suscite” le sentiment : en écoutant de la poésie, « le discours provoque en l’âme une affection qui lui est propre » (§ 9). Le discours enchante, trompe, convainc : « Les incantations enthousiastes nous procurent du plaisir par l’effet des paroles, et chassent le chagrin. C’est que la force de l’incantation, dans l’âme, se mêle à l’opinion, la charme, la persuade et, par sa magie, change ses dispositions » (§ 10). L’exercice de cet enchantement est le “propre” du logos : séduire l’âme et l’entraîner n’en sera qu’une conséquence naturelle.

C’est donc une puissance redoutable que celle du discours, qui joue avec les soubassements fluides de notre être au point de déterminer, dans le seul sens possible, à tel moment précis et dans telle situation particulière, notre être même, notre manière de nous retrouver, de nous comporter, avec nous-mêmes et avec les autres. C’est la puissance de la persuasion (peithō), qui, si elle n’a pas la forme de la nécessité, n’en a pas moins sa puissance (Hel. En. : § 12). Une puissance bien plus forte que celle d’un fait naturel, que la loi nécessaire de la survenance, car lorsque nous persuadons l’autre, nous mettons en jeu une puissance qui a son point de force dans la conscience et la volonté même de l’autre, lequel, “spontanément”, “librement”, fait sien ce que nous nous voulons. « Car le discours persuasif a contraint l’âme qu’il a persuadée (§ 12 : ἠνάγκασε) tant à croire aux discours qu’à acquiescer aux actes qu’elle a commis ». Et en fin de compte, nous nous retrouvons contraints, justement, par nos propres mots, par lesquels nous nous convainquons nous-mêmes et convainquons les autres, à être ce que nous sommes.

« Il existe une analogie entre la puissance du discours (τοῦ λόγου δύναμις) à l’égard de l’ordonnance de l’âme (τῆς ψυχῆς τάξις) et l’ordonnance des drogues à l’égard de la nature des corps. De même que certaines drogues évacuent certaines humeurs, et d’autres drogues, d’autres humeurs, que les unes font cesser la maladie, les autres la vie, de même il y a des discours qui affligent, d’autres qui enhardissent leurs auditeurs, et d’autres qui, avec l’aide maligne de Persuasion, mettent l’âme dans la dépendance de leur drogue et de leur magie » (§ 14). Le médicament peut guérir, mais il peut aussi tuer le corps ; la parole peut procurer de la joie, mais elle peut aussi tuer l’âme : et il n’y a pas de différence substantielle entre un genre de vie et un autre, tout comme il n’y a pas de différence substantielle entre un genre de mort et un autre. Car la mort du corps est aussi la mort de l’âme, et la mort de l’âme éteint à sa racine tout mouvement vital en nous, parce qu’elle lui ôte tout sens. Ainsi, si Hélène a été bien convaincue par les paroles d’Alexandre, elle n’est pas coupable.

Le quatrième et dernier mouvement est un Allegro vivace : le motif est l’amour. Il est lié, tout d’abord, à la beauté : Helena « hérita d’une beauté toute divine : recel qu’elle ne céla pas. En plus d’un homme elle suscita plus d’un désir amoureux » (§ 4). Il est donc toujours, naturellement, lié au désir. Et l’amour et le désir sont liés à la vue. « Par la vue, l’âme est impressionnée jusque dans ses manières propres » (§ 15).

C’est la dernière touche, et peut-être la plus importante, qui vient compléter le phrasé gorgien. L’âme est intimement liée à notre œil, c’est-à-dire à notre implication physique dans le monde ; l’œil ne regarde pas simplement les choses : à travers l’œil, c’est toute notre attitude envers le monde qui est déterminée ; à travers l’opsis nous voyons le monde d’une certaine manière, et ce fait de “voir” le monde exprime toujours le rapport très particulier dans lequel nous sommes toujours acteurs et non pas simples spectateurs. Tout comme le logos possède en lui-même un pouvoir redoutable, et peut guérir, mais aussi empoisonner l’âme, l’opsis a la capacité redoutable de tuer notre âme : « Certains, dès qu’ils ont vu des choses effrayantes, perdent sur le champ la conscience de ce qui se passe. C’est ainsi que la terreur peut éteindre ou faire disparaître la pensée. Nombreux sont ceux qui furent frappés par de vaines souffrances, par de terribles maux, par d’incurables folies. C’est ainsi que l’œil a gravé dans leur conscience les images de ce qu’ils ont vu » (§ 17). Mais l’œil peut aussi réjouir notre âme : « De même, les peintres procurent un spectacle charmeur pour la vue lorsqu’ils ont terminé de représenter un corps et une figure, parfaitement rendus à partir de nombreuses couleurs et de nombreux corps. La réalisation de statues, d’hommes ou de dieux, procure aux yeux un bien doux spectacle » (§ 18). Tout comme le discours peut calmer la peur, dissiper le chagrin et susciter la joie, l’œil peut susciter en nous toute la gamme des sentiments, de la peur à l’horreur en passant par la joie. Mais l’œil a une autre possibilité, qui était refusée même au logos : la possibilité de révéler immédiatement, en un seul instant, ἐν τῷ παρόντι χρόνῳ, si la capacité de raisonner que l’homme se vante de posséder est bien une caractéristique inhérente à son esprit, ou si elle n’est qu’une façade, un masque que l’on ne porte que pour complaire aux mille rites que le nomos nous impose. Cette attitude que le discours peut dissimuler et mystifier par mille tournures de phrases, l’œil la révèle dans sa vérité, en un seul instant. Et donc, si les regards d’Hélène et d’Alexandre ont inspiré à leurs âmes le προθυμίαν καὶ ἄμιλλαν ἔρωτος, la propension et le désir d’amour, il n’y a pas lieu de s’en étonner ni d’accuser personne (§ 19).

Ainsi Gorgias concluait-il sa sonate, qui pour lui avait été un παίγνιον, un « jeu », alors que pour cette femme, ou cette idée de la femme, c’était un éloge.

2. Imaginons à présent que la partition de cette sonate soit tombée sous les yeux d’un autre homme, un Athénien, cinquante, soixante ans plus tard. Platon en voit immédiatement le jeu et le sérieux, le tragique et le comique ; et sa réflexion, mais aussi son imagination, sa créativité imaginative, entrevoient immédiatement le réseau des variations possibles qui peuvent en enrichir et compliquer les phrases, en développer et approfondir les amorces, en entrelacer ou isoler les motifs, jusqu’à offrir une partition où les colorations possibles de chaque note ouvrent un horizon infini de lectures, d’implications et de suggestions.

La sonate devient ainsi un véritable concerto pour piano et orchestre, presque une symphonie, dans laquelle trois thèmes sont essentiellement condensés, chacun étant divisé en trois mouvements, entre lesquels le compositeur crée une multiplicité de renvois, de reprises, de crescendos et de diminuendos, qui, tout en semblant morceler le thème inspirateur, en constituent en réalité l’unité profonde et puissante.

2.1. Le premier thème, ce sont les émotions ; en langage platonicien, les passions. Les mouvements de ce premier thème sont un Allegretto, un Presto agitato et un Fortissimo, sforzando.

2.1.1. (Premier thème, Premier mouvement, Allegretto) La vie de l’homme est constitutivement connotée par deux émotions fondamentales, qui en marquent chaque instant et en établissent la coloration particulière. Il s’agit du plaisir et de la douleur, deux « sources qui ont de nature leur libre cours2 » (Leg. I 636d-e). Naturellement, donc, elles coulent à côté, ou mieux avec et dans la vie même de chaque homme ; naturellement : cela signifie que, qu’il choisisse ou non de s’y abreuver, le plaisir et la douleur sont structurellement inséparables de chaque acte et de chaque pensée de l’homme. En d’autres termes encore, tout acte et toute pensée sont toujours connotés émotionnellement. Et ce ne sont pas deux émotions quelconques : elles sont au contraire si importantes qu’elles déterminent la qualité même de la vie et donc la réalisation ou non du but de toute vie humaine, qui pour Platon, comme pour tout Grec, est le bonheur : « est heureux qui y puise au point qu’il faut, quand il faut et autant qu’il faut, pareillement un État et un simple particulier, aussi bien que tout être animé sans exception ; tandis que celui qui le fait, à la fois sans savoir s’y prendre et hors des moments voulus, doit vivre une existence contraire à celle du précédent » (ibid.).

Puiser à la source implique déjà une décision, donc une conscience et un choix. L’émotion est donc toujours liée à l’esprit, à la raison. Quand nous disons que pour Platon les passions s’opposent à la raison, nous disons quelque chose d’imprécis : la grande image platonicienne de l’âme tripartite vise précisément à exprimer la difficile unité de ce qui est différent, laquelle n’est jamais donnée mais doit être conquise ; le temps, le lieu, la mesure, le discernement, l’opportunité sont comme des notes qu’il faut savoir accorder correctement, sous peine d’une fausse note, justement, et donc de la douleur, et donc du malheur. Car, comme il est dit dans le Phédon, toute chose qui détonne (115e : πλημμελές) n’est pas seulement non belle, ἀλλλὰ καὶ κακόν τι ἐμποιεῖ ταῖς ψυχαῖς : elle fait aussi mal aux âmes.

2.1.2. (Premier thème, Deuxième mouvement, Presto agitato) Choisir les plaisirs, satisfaire les désirs est donc propre à tout homme, mais le faire avec des fausses notes est dangereux, et fait mal. Le livre IX de la République dépeint le mouvement agité qui se trouve dans les profondeurs les plus intimes et refoulées de chaque homme. Platon dépeint la figure du tyran, cette figure exécrée de l’imaginaire grec depuis le Ve siècle au moins. Mais il ne parle pas seulement du tyran en tant que figure politique funeste à toute constitution de toute cité, il construit aussi une métaphore qui s’applique à tout homme, car en chacun est présente la possibilité de devenir un tyran dans sa propre vie, et donc d’être, dialectiquement, non plus tyran, mais esclave d’une tyrannie de la plus grande violence. Il existe en chaque individu un certain type d’appétits, redoutables et sauvages, contraires à toute loi : et même chez certains d’entre nous qui passent pour être des personnes modérées (IX 572b). Cette sorte de plaisirs et de désirs, dont certains sont contraires à toute loi, surgissent chez tous, mais chez certains, réfrénés par les lois et par des désirs meilleurs accompagnés de logos, ils s’évanouissent ou restent peu nombreux et faibles ; chez d’autres, ils se montrent de plus en plus en plus vigoureux et nombreux (IX 571b). Le lieu et le moment où ils éclatent librement est le sommeil, quand la partie rationnelle de l’âme est endormie, tandis que l’élément sauvage et féroce est débridé et ose tout, comme s’il était délié et libéré de toute pudeur et de toute prudence, et il n’est de folie et d’impudeur qui lui fassent défaut (IX 571c-d).

Boire sans discernement à la source du plaisir est donc mauvais, rend malade, empoisonne l’âme. Nous sommes ici en présence d’une autre métaphore puissante de la partition platonicienne : la maladie de l’âme. Dans le Sophiste, la κακία, c’est-à-dire la mauvaise condition de l’âme, est définie précisément en tant que maladie (νόσος) et en tant que difformité (αἶσχος). Et c’est là le poison de l’âme de l’homme : le fait de ne pas réussir à trouver l’accord entre les nombreuses notes qui le composent ; c’est-à-dire, pour reprendre une autre très belle métaphore platonicienne, l’ἀνδρείκελον, la « couleur » humaine (Resp. VI 501b).

2.1.3. (Premier thème, Troisième mouvement, Fortissimo, sforzando) La maladie d’une âme est donc le conflit, qui se traduit immédiatement par la πονηρία, la méchanceté ; le méchant, en effet, est celui qui se comporte mal envers les autres : mais principalement parce que lui-même va mal (Soph. 227d-230d). Et en effet, l’injustice, la véritable injustice, comme la tyrannie, n’est pas seulement cette forme de stasis qui caractérise la vie d’une cité, mais aussi celle qui peut caractériser la vie d’un individu. Si l’injustice dans la cité est le désaccord, le conflit permanent entre les différentes parties qui la composent, l’injustice dans l’homme est encore le désaccord qui ne parvient pas à trouver une résolution. Dans les Lois, on en trouve une véritable définition : « Ce que j’appelle “injustice”, c’est, d’une façon générale, le pouvoir tyrannique qu’exercent dans une âme, qu’il en résulte ou non quelque dommage, l’ardeur du sentiment ou bien la crainte, le plaisir ou la peine, l’envie ou les convoitises » (IX 863e-864a). L’irruption incontrôlée de ces émotions, de ces passions dans l’âme, et leur établissement disharmonieux, constitue justement une dysharmonie, un véritable σεισμόν, c’est-à-dire un tremblement de terre qui ébranle l’homme dans son entièreté de corps et d’âme.

Et parmi les conséquences de ce tremblement de terre, il y a non seulement l’injustice, le fait d’aller mal et de faire du mal, à soi-même et aux autres, mais surtout le fait de rester nu et épuisé face à cette émotion fondamentale qu’est pour tout le monde la mort. Comme il est dit dans les Lois (XI 922c7-8), c’est toujours chose difficile, en effet, qu’un homme sur le point de mourir : face à la mort, quand on a la chance d’en connaître le moment, l’homme peut redevenir enfant, et ressentir de la peur. Car la peur de la mort, comme il est dit de façon splendide dans le Phédon, n’est que l’émotion conclusive d’une vie qui a été esclave des émotions ; c’est la passion ultime de celui qui n’a pas su ordonner ses passions ; c’est la mauvaise conscience finale de celui qui est conscient d’avoir mal vécu.

2.2. Le deuxième thème de cette symphonie est l’âme. Les mouvements de ce deuxième thème sont un Allegro ma non troppo, un Andante molto espressivo, un Sostenuto, in crescendo.

2.2.1 (Deuxième thème, Premier mouvement, Allegro ma non troppo). L’homme est pour Platon une totalité d’âme et de corps, indissolublement consubstantiels l’un à l’autre, marquant son être en tant que vivant mortel. L’immortalité de l’âme et la mortalité du corps appartiennent au mythe. Certes, ce dernier a eu, a et peut continuer à avoir, pour celui qui le souhaite, toutes les valeurs religieuses, éthiques et politiques que l’on a voulues et que l’on veut encore, mais il ne peut s’élever au rang d’une démonstration rationnelle et philosophique. Ainsi, dans le Phèdre, par exemple, au-delà du mythe, l’homme vivant/mortel est clairement opposé au « modèle » de la divinité, vivant elle aussi avec une âme et un corps, mais dont l’immortalité est au-delà de notre sensibilité et de notre pensée : « c’est à l’ensemble formé d’une âme et d’un corps qui est un assemblage, qu’on a donné le nom de vivant, c’est lui qui possède l’épithète de mortel. Quant à la dénomination de vivant immortel, d’aucune façon raisonnable on n’en a rendu raison (146c6-7) ; mais, sans l’avoir vue et sans nous en être fait une conception convenable, nous nous forgeons (246c7 : πλάτττομεν) de la Divinité cette conviction, qu’elle est un vivant immortel, qui possède une âme, qui possède un corps, mais chez qui l’union naturelle de ces deux choses s’est faite pour une durée éternelle ».

Et c’est aussi le cas dans l’autre dialogue, le Phédon, où Socrate démontre l’immortalité, ou plutôt l’éternité de l’âme, comme principe universel de vie, comme synonyme de la vie même, pourrions- nous dire, qui en tant que telle ne meurt jamais même si elle passe par toutes les morts des êtres qui naissent et meurent. Dans le dialogue, face à l’incrédulité de Cébéthée qui a besoin de savoir que, lorsque l’homme meurt, l’âme existe encore quelque part et n’est pas détruite, et périt, on ne peut que répéter que ce serait un grand et bel espoir (70a8), mais la seule chose que l’on puisse faire à cet égard est de continuer à raconter des mythes (70b6 : διαμυθολογεῖν), afin que cet espoir semble plausible. Car la peur de la mort ne se combat pas par des discours démonstratifs, mais par des discours incantatoires : χρὴ .... ἐπᾴδειν (77e8), il faut enchanter (114d7), conclut Socrate, dans la mesure où « Sans doute ne convient-il pas à un homme qui réfléchit, de vouloir à toute force qu’il en soit de cela comme je l’ai exposé » (114d2).

2.2.2. (Deuxième thème, Deuxième mouvement, Andante molto espressivo) Mais dire âme, pour Platon, signifie dire l’homme dans son entièreté ; ce n’est que pour simplifier que nous distinguons une âme d’un corps, mais l’homme est toujours entier. Cette inséparabilité de l’élément-corps de l’élément-raison est soulignée par Platon dans de nombreux passages, du Carmide au Phédon, du Colloque au Philèbe.

La démarche déconcertante de Platon, en effet, consiste précisément dans la “réduction’’ de l’homme à l’âme : c’est ce qui se passe, comme on le sait, dans les partitions du Phèdre et de la République, où c’est toujours l’âme qui pense, qui ressent des émotions, qui éprouve les sensations. Et l’explication de tout cela se trouve dans le Théétète, où la distinction entre les organes corporels et la faculté sensible est établie avec génie : nous disons communément que nous éprouvons des sensations avec notre corps et que nous pensons avec notre âme, mais ce n’est pas le cas. En effet, nos sens corporels ne sont que les organes, les instruments à travers lesquels nous éprouvons la sensation, ce au moyen de quoi nous sentons, alors que l’âme est toujours ce avec quoi nous sentons (184c-d). L’inséparabilité, mais aussi bien sûr la non-identifiabilité du sentir et du penser sont alors données précisément par le fait que c’est l’âme qui éprouve les sensations, lesquelles ne sont rien d’autre que les παθήματα qui « par l’entremise du corps, tendent vers l’âme » (186c) ; de même que c’est toujours l’âme qui, en établissant desἀναλογίσματα, c’est-à-dire des analogies, des comparaisons, mais toujours à propos de ces παθήματα, avec le temps et l’éducation parvient à construire ses pensées ; et même les plus abstraites, comme justement les catégories de l’être (186b-c).

2.2.3. (Deuxième thème, Troisième mouvement, Sostenuto, in crescendo) Le discours est donc lui aussi toujours lié aux émotions. Parmi celles-ci, l’une des plus puissantes, et qui plus que toute autre est significative du lien indéfectible unissant le corps et l’âme, est certainement l’amour. Platon a consacré à eros au moins deux de ses plus beaux dialogues, le Phèdre et le Banquet, et c’est pour souligner ce caractère indéfectible qu’il a créé l’image/métaphore des « yeux de l’âme ». Les yeux, cet instrument du corps qui, comme l’avait vu Gorgias, est l’un des modes les plus importants de relation au monde et aux autres hommes, appartiennent aussi à l’âme : la vue (ὄψις), qui est la plus vive des sensations qui parviennent à l’âme à travers le corps, est aussi le propre de l’âme et de la pensée, comme il est dit dans la République (533d2), mais aussi dans le Sophiste (254b1) et dans le Banquet (219a) : et les yeux, du corps et de l’âme, deviennent ainsi l’instrument principal dont se sert Éros.

Et dans le Banquet, dans ce dialogue considéré depuis des siècles comme le texte exemplaire de l’amour qui transcende le corporel et l’humain pour puiser dans un prétendu ciel d’idées, de pures essences transcendantes, sont tracées la chaîne et la trame de ce tissu compact qu’est l’homme, qui seul sur terre éprouve des émotions, pense et construit ses discours. Car quelle est la cause de l’amour et du désir amoureux, de cette ἐρωτικῶς διατίθεσθαι (207b7-c1), de cette disposition amoureuse ? Le fait que la nature mortelle cherche autant que possible à être immortelle (207d1-2). Et ne peut l’être que par la génération, car celle-ci « à la place de l’être ancien, en laisse toujours un nouveau » (207d3). Mais ici, le thème s’élargit immédiatement dans des cadences de plus en plus larges : l’immortalité pour l’homme ne consiste pas à “vivre éternellement’’, mais à pouvoir participer, dans sa vie mortelle, à l’immortalité d’une vie qui est un processus toujours nouveau et en renouvellement. Il y a une “fiction linguistique’’ à dire d’un homme qu’il est toujours le même (207d4-5). En effet, dire qu’un homme est toujours la même personne, qu’il est toujours le même (207d7), depuis son enfance jusqu’à sa vieillesse, est une fiction linguistique car en réalité cet homme n’a jamais les mêmes choses en lui, au contraire, il devient toujours nouveau (207d6-7). L’identité d’un homme est ainsi donnée par “sa propre manière’’ d’être toujours différent.

Mais si, de la cause de l’amour, nous passons à l’examen des fins de l’amour (209e5-212a7), la “fuite’’ platonicienne nous apparaît comme tout autre chose qu’une “fuite du monde’’. Celui qui aime la beauté qui est dans les corps (210a-b), la beauté qui est dans les âmes (210b6-7), dans les occupations et dans les normes (210c3-4), et qui finalement conquiert la science unique de la beauté (210d7), réussit à acquérir ce moment de la vie qui plus que tout autre devrait être vécu par un homme (211d). Dans ce “crescendo’’, l’inéliminabilité du corps, qui n’est pas seulement le corps de l’homme, mais la “visibilité’’ de tout ce qui est perceptible dans notre condition d’être au monde, dans la plénitude de notre être physicité et intelligence, est un contrepoint à l’activité de cet homme qui accroît sans cesse sa capacité à reconnaître et à comprendre les choses, à élargir l’horizon de sa “sensibilité’’. Il s’agit donc d’un processus éducatif, et non d’une “évasion’’ du monde de la sensibilité : avec l’amour, on atteint la capacité de voir et de comprendre un nombre de plus en plus grand de détails : c’est l’élargissement, l’ouverture de nouveaux horizons. C’est la conquête d’un plus grand souffle “vital’’ qui permet de comprendre et de faire davantage. Et en effet ici, après qu’il ait déjà acquis une certaine “belle’’ manière de se comporter dans la vie privée et publique, s’ouvre à l’homme le champ infini de la connaissance, de l’ἐπιστῆμαι. C’est là, entre autres, que se trouve pour Platon l’horizon de la liberté, d’une liberté qui ne sépare pas, qui ne peut pas séparer l’action de l’entendement. L’homme qui a atteint la capacité de regarder dans l’horizon du beau dans un sens toujours plus large, c’est l’homme qui s’est libéré de la servitude, c’est l’homme libre. Car ce qu’atteint l’homme qui aime, ce n’est pas l’aphasie de la contemplation extatique, mais l’élargissement de l’horizon des discours qu’il devient capable de tenir : l’homme esclave est celui dont l’horizon est limité, l’homme libre est celui qui regarde le πρὸς πολύ ; l’homme esclave est celui qui tient de petits discours, voire son propre discours, petit et limité (cf. 210d3 : σμικρολόγος) ; l’homme libre est celui qui est capable de faire des discours nombreux, beaux et excellents, qui est capable de concevoir ses propres pensées dans le cadre d’une philosophie non pas mesquine, mais aux vastes horizons (210d5-6 : διανοήματα ἐν φιλοσοφίᾳ ἀφθόνῳ).

2.3. Nous arrivons ainsi au troisième thème, suggéré, préparé, évoqué dans les précédents : le discours, pétri d’émotions et imprégnant toute l’âme de l’homme. Les mouvements de ce troisième thème sont un Allegro, come scherzando, un Andante largo, un Largo appassionato.

2.3.1. (Troisième thème, Premier mouvement, Allegro, come scherzando) Le logos, le discours, est l’activité qui, plus que toute autre, marque et caractérise la vie du vivant mortel qu’est l’homme. Sur lui, et bien sûr avec lui, Platon construit une très longue et très colorée série de variations. Car les discours sont semblables aux hommes.

Nous vivons en effet immergés dans une « mer de discours », selon la belle image du Théétète, dans laquelle, si nous n’avons pas de boussole, il est facile de perdre nos rames et de faire naufrage (191a) ; et un discours sans issue (191a3) nous donne le mal de mer, parce qu’on peut être à la merci des discours comme d’une tempête (Phil. 29b2). Cette mer de discours, parmi lesquels il faut choisir ceux qui sont vitaux, et en prendre soin, donne lieu, entre le Théétète et le Philèbe, à toute une série d’images qui se succèdent et se superposent, dans un “scherzando’’ où elle subit des métamorphoses qui passent du naturel à l’humain et à l’animal.

Tout discours est comme un nourrisson, qu’il faut faire se promener au pas de course pour voir justement s’il mérite d’être élevé ou s’il n’est qu’une bulle d’air et un faux (Theaet. 160e-161a). Il faut donc “sauver’’ le discours qui le mérite (163e-164a), empêcher qu’il ne tombe dans un piège (179b), ou que, après nous être tombé des mains, il ne s’évanouisse (Phil. 13d6) et finisse en mythe (14a3-4) ; le défendre contre d’autres discours qui pourraient le gêner (14c), l’abîmer (13a6). Il faut en somme le “suivre’’ et en prendre soin, l’accompagner à tout moment (Phil. 45d, 25c), monter la garde près de lui (Symp. 189b). Et bien veiller à toujours le rattraper, car le discours est semblable à un cheval qui peut s’emballer, nous entraîner de sa force brute et nous faire tomber de selle (Leg. III 701c-d) ; veiller à le dominer, car le discours est également semblable à un fleuve au courant rapide qui peut provoquer des vertiges et des étourdissements, en nous emportant (Leg. X 892d-893a) ; à le dominer, en somme, parce que « nous ne sommes pas les esclaves des discours, mais les discours sont nos esclaves » (Theaet. 173c1-2).

2.3.2. (Troisième thème, Deuxième mouvement, Andante largo) “Avoir soin du discours’’ est donc le thème dominant de la symphonie platonicienne et c’est une opération inéluctable si on veut le sauver, puisqu’il est le seul instrument dont dispose l’homme pour construire un ordre, un kosmos, qui gouverne bien sa vie (Phil. 64b). Les points faibles du discours sont, en effet, au nombre de deux : y être attentif est à la fois nécessaire, car c’est sur eux que s’appuient les ennemis du discours, ses mystificateurs et ses détracteurs, et difficile, car ils constituent deux caractéristiques du discours que l’on ne peut éliminer.

Le premier point faible réside dans le fait que le discours, bien que se présentant sous les traits de la logique et de la rigueur rationnelle, a toujours besoin d’images, d’εἰκόνες, comme il est dit dans le Phédon (87b). Et s’il est vrai que pour certaines réalités, faciles à comprendre, apparaissent naturellement des ressemblances sensibles (Pol. 285d-e) pouvant être démontrées facilement, et ce même sans aucun raisonnement (285e3-4), en revanche, pour les réalités plus grandes et plus dignes, celles qui ne sont ni physiques, ni sensibles, il n’y a aucune image (286a1 : εἴδωλον) qui puisse les rendre plus évidentes aux hommes et elles ne peuvent être démontrées de façon claire et exhaustive (285e-286a) si ce n’est au moyen du logos ; il est cependant également vrai qu’il est difficile de démontrer ces réalités avec exhaustivité (277d2) sans recourir à des exemples (Pol. 277d1 : παραδείγμασι).

Il y a, donc, une “nécessité’’ de l’image qui s’applique toujours, aussi bien pour décrire que pour démontrer. Et comme l’image est toujours porteuse d’une émotion, il est facile à ceux qui veulent “jouer’’ avec le discours et qui savent le faire de se jouer de nous (Phil. 53e ; cf. 15e) : il existe en effet une certaine technique du discours (Soph. 234c2-3), que le sophiste possède et qui lui permet de séduire (234c5 : γοητεύειν) par ses paroles des jeunes qui sont encore très éloignés de la vérité, en leur montrant pour toute chose de simples images verbales (234c6 : εἴδωλα λεγόμενα περὶ πάντων), de sorte à donner l’impression que la vérité a été dite (234c6-7). Mais le sophiste est aussi, pour ainsi dire, l’Héraclitéen politique de tous les temps, avec lequel il est impossible de converser : comme piqué par un taon, perpétuellement en mouvement, dans ses écrits comme dans ses discours, il est tout à fait incapable précisément de construire un discours qui en soit un avec la tranquillité nécessaire (ἡσυχίως). Au lieu de dialeghesthai, il lance de petites phrases énigmatiques à son interlocuteur (ῥηματίσκια αἰνιγματώδη) comme s’il s’agissait de flèches ; et, incapable de donner un logos, une raison à ce qu’il a dit, bien qu’expert en mots, il ne répondra jamais à tes questions qu’en te lançant d’autres petites phrases (Théétète. 179e-180b).

2.3.3. (Troisième thème, Troisième mouvement, Largo appassionato) L’autre point faible du discours est ce que Platon appelle sa “maladie éternelle’’ (Phil. 15d8 : ἀθάνατον πάθος), son inévitable construction d’identités entre des diversités. Il s’agit là d’un aspect difficile à prendre en compte, car cette affection troublante et inguérissable du discours, générée par le discours lui-même (Phil. 15d4-5), met dans un état de ταραχή, de trouble (16a8), ou de δυσχέρεια, de mécontentement (66e2) ; mais elle constitue en même temps ce qui est, de la manière la plus spécifique, son trait propre et caractérisant. En effet, le discours ne peut qu’unir, établir des identités, des analogies, des relations, entre des choses différentes : il est par nature un κόσμος ἐπέων, comme l’avait dit Parménide (DK 28B 8.52), c’est-à-dire un agencement ordonné de mots qui en eux-mêmes désignent des choses différentes, mais qui, dans cet ordre, acquièrent un sens nouveau. Et c’est justement sur cet aspect, à la fois logique et émotionnel, que joue le sophiste : pour créer, entre autres, cette “culture de l’applaudissement’’ que Platon identifie dans la République et dans les Lois. En d’autres termes, ce traitement de la pure image, visuelle ou auditive, qui, dans la culture, réduit le dialogue au théâtre, donnant lieu à cette véritable “théatrocratie’’ (Leg. III 701a2-3) où l’applaudissement d’incompétents consacre l’illusion dangereuse et impudente que tout le monde sait tout ; et, en politique, engendre cette illusion plus dangereuse encore d’être de vrais politiciens parce que l’on est applaudi par la majorité (Resp. IV 426d1-3).

Pourtant, c’est toujours et seulement dans le discours que l’homme peut trouver le guide pour s’orienter dans cette tragédie et comédie qu’est sa vie, où se mêlent simultanément plaisirs et peines (Phil. 50b-d) ; et la maladie de la dialectique, comme il est dit dans la République, n’est pas dans la dialectique, mais dans la παρανομία, dans le désordre moral de ceux qui s’en servent (VII 537e). “Se réfugier dans les discours’’, et avec eux et en eux rechercher la vérité des choses qui sont, en posant des hypothèses et en les vérifiant, est la seule voie possible pour l’homme, comme il est dit dans le Phédon (99e-100a), car avoir l’illusion de pouvoir regarder une quelconque vérité en dehors du discours, c’est faire tomber la nuit sur ses propres yeux en plein midi, comme il est dit dans les Lois (X 897d-e). Et le discours, lorsqu’il en est vraiment un, est dialectique et philosophie : la dialectique est la vraie science des hommes libres (Soph. 253c-d), celle qui caractérise vraiment le philosophe par rapport à tous les autres hommes. Se priver de cet instrument, c’est se priver de la philosophie même (260a).

Mais la manière philosophique de construire ses propres discours n’est pas une prérogative seulement technique, elle suppose également l’implication émotive de celui qui prononce les discours ; celui qui fait de la philosophie est en réalité “pris’’ par la philosophie, comme il est dit dans le Parménide (130e), ou bien, comme il est dit dans le Banquet (217e-218a), il a été mordu par la vipère. Le philosophe n’est donc pas seulement empoisonné par cette noble forme de folie, mais il aime sa maladie : il faut être amoureux de cette dernière, qui est le καλλίων ὀδός, le chemin le plus beau, non pas difficile à indiquer, mais très difficile à emprunter, et qui bien souvent peut même échapper à celui qui le suit, le laissant dans une solitude sans issue (Phil. 16b).

Car l’homme peut aussi être considéré comme un jouet sorti des mains des dieux, comme il est dit dans les Lois (VII 803c4-5), ou du hasard, ou de la nécessité, ou de n’importe quoi d’autre, qui jouent avec lui comme à πεττεία, en l’utilisant comme un pion (X 903d6) ; toutefois il demeure vrai qu’en fin de compte nous sommes toujours nous-mêmes les ποιηταί, les auteurs de cette comédie et de cette tragédie, καὶ παίζοντα ὅτικαλλίστας παιδιὰς πάντ’ ἄνδρα καὶ γυναῖκα οὕτω διαβιῶναι : et « tout homme et toute femme » doivent apprendre à vivre leur vie en jouant leurs jeux les meilleurs (VII 803c7-8).

Notes

1 Gorgias, Éloge d’Hélène, in Les écoles présocratiques, édition établie par Jean-Paul Dumont avec la collaboration de Daniel Delattre et de Jean-Louis Poirier, Paris, Folio-Essais, 1991, pp. 710-714. Retour au texte

2 Les textes de Platon sont cités dans la traduction de Léon Robin pour la Pléiade : Platon, Œuvres complètes, 2 voll., introduction, traduction et notes par Léon Robin, avec la collaboration de Joseph Moreau, Paris, Gallimard, 1950 [1943]. Retour au texte

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Référence électronique

Giovanni Casertano, « Entre musique et philosophie : les passions, l’âme et le logos », K [En ligne], 13 | 2024, mis en ligne le 01 décembre 2024, consulté le 06 février 2025. URL : http://www.peren-revues.fr/revue-k/1490

Auteur

Giovanni Casertano

Traducteur

Melinda Palombi