La danse de Charlot, de la géométrie à la mécanique

DOI : 10.54563/revue-k.540

Résumé

It has been said a lot that the character of the Tramp was a dancer, but how could we define his choreographic style more precisely? The Tramp is actually torn between two types of dance: classical dance with a geometric character, and contemporary dance that works more with the laws of mechanics (gravity, inertia,...). Thus, the Tramp’s dancing gesture leads him from academism and a desire for mastery to the elaboration, with a set of physical phenomena, of a more uncontrolled movement.

Index

Keywords

burlesque, dance, mechanics, body, comic

Plan

Texte

La seule vraie tradition, c’est de tout recommencer à partir de ses propres ressources.
Carolyn Brown1.

Charlot danseur, c’est une évidence. D’abord parce qu’il danse en effet, lors de réceptions (Charlot et le comte, 1916 ; Charlot s’évade, 1917), dans des cabarets (Une Vie de chien, 1918 ; La Ruée vers l’or, 1925), des magasins (Les Temps modernes, 1936), des hôtels (Charlot fait une cure, 1917) ou dans ses rêves (Une Idylle aux champs, 1919). Quelques notes de musique et le voilà lancé sur la piste de danse, sautillant, le coude haut et le rond de jambe facile. Ensuite, plus généralement, parce que ses gestes qui oublient leur fonction participent à la définition d’un cœur chorégraphique propre au personnage : dansant est Charlot qui s’incarne à travers ses gestes libres et sans passé. Inefficace dans les tâches qui lui sont confiées, ses actions ne valent souvent que pour le plaisir de leur accomplissement et l’enivrement de leur prolongement. Dans Charlot à la banque (1915), un balai à la main, il envoie d’une pièce à l’autre sans jamais les ramasser les morceaux de papier qu’il vient de faire tomber d’une corbeille. L’un d’eux reste collé à terre : répétant incessamment le même geste inutile jusqu’à avoir l’idée de se baisser, d’en faire une boule et de s’en débarrasser enfin, Charlot en vient à balayer comme on exécute, le pied en pointe, un dégagé. Une fois le papier éjecté, il se retourne d’ailleurs sur un pied et dodeline en s’éloignant avec une grâce égale. Plus tard, balayant le balai, il confirmera qu’épousseter revient moins à enlever la poussière qu’à secouer la main, le poignet et le coude. Cette « fourmi danseuse » (Král, 1986, p. 100) « dit d’abord à travers [s]es soli sa seule “bougeotte” : son élan vital et sa disponibilité à tout ce qui se présente, pour la seule joie d’agir. [Elle] ne s’attache pas plus à ses actes qu’à l’histoire ; agissant davantage par excès d’énergie que par un intérêt précis, [elle] cherche avant tout dans l’action une “dépense” pure » (p. 102). Chaplin est un « poète du geste “décalé” et amplifié » (p. 103), d’un geste qui « tire sa force de sa relative gratuité, de son inachèvement dans l’intention, ou du mystère de son incomplétude » (Dreux, 2007, p. 156).

Les gestes de Charlot qui ignorent autant l’usage habituel des objets que leur propre nécessité, et par lesquels le personnage trouve « son seul mode d’existence » (p. 152), font de lui un danseur au repos ou en action, mais toujours sur le point de céder à sa propension. Les tics de Charlot en sont les symptômes, comme un bouillonnement : ses petits coups de pied lancés en arrière, ses levers d’épaules, le placement de ses doigts, ses pieds de ballerine toujours en première position, sa grâce moqueuse et séductrice indiquent à chaque instant que la danse n’est pas loin et qu’elle est sa nature. Mais au-delà de l’importance existentielle de cette joie du geste, Charlot danseur, c’est encore évident pour une question de rythme. Entre les années 1910 et 1920, cinéastes, critiques et théoriciens débattent sur les modalités de représentation de la danse, du « mouvement corporel rythmé » (Guido, 2014, p. 333) au cinéma. « La danse s’impose alors autant comme une facette essentielle d’une nouvelle spectacularisation de la corporalité que comme une forme d’expression emblématique de la maîtrise rythmique du mouvement » (p. 335). D’où vient le rythme des images et des corps filmés ? Pour certains, la danse filmique tient principalement à l’enregistrement des performances des acteurs ; pour d’autres, majoritaires, elle engage l’usage de techniques spécifiquement cinématographiques tels que le montage, les mouvements de caméra ou les variations d’échelles, et appelle l’intervention d’autres éléments comme l’éclairage ou les décors (Guido, 2015, pp. 326-340). Mais par-delà ces oppositions, Chaplin est considéré déjà comme « le sommet abouti de l’expression cinématographique, un rythme corporel qui finit par se confondre avec celui de la représentation filmique » (p. 338). Sa danse à lui est donc cinématographique parce qu’elle ne repose pas seulement sur ses propres performances, mais également sur « le réglage précis des mouvements montrés à l’écran » (ib.) dont Louis Delluc, André Lavinson ou Juan Arroy admirent le caractère chorégraphique. Ce sont donc les déplacements « synchronisé[s] au quart de soupir2 » (Nysenholc, 2020, p. 37), les agencements rythmiques et les changements de direction de leur personnage qui font des films de Chaplin, pour la critique des années 1920, de « véritables ballets3 » (Guido, 2014, p. 339). Chaplin aurait donc été l’un des premiers à inventer une danse proprement cinématographique, fondée sur la mobilité de son personnage, forme plastique toujours en cours de modification, ligne souple qui traverse l’image bien au-delà du drame qui se joue autour d’elle. Quoi qu’il fasse, Charlot n’échappe pas à la danse – qui lui est de toute façon favorable. Elle lui permet de laisser croire aux autres qu’il est hors d’atteinte. La danse est sa stratégie de défense et le moyen de son insolence ; puisque de toute façon, il organise un ballet, autant s’y donner à fond : au moment où s’engage une bagarre dans les bureaux d’un grand magasin, Charlot envoyé à terre riposte par un entrechat, puis des petits pas en arrière montés sur demi-pointes, bras levés (Charlot chef de rayon, 1916). Ces moments de pieds-de-nez ouvertement dansés sont les manifestations les plus explicites de ce qui qualifie par ailleurs tous les gestes et les mouvements du personnage.

On croit avoir tout dit et éclairé le mystère de ses gestes quand on a fait de Charlot un danseur. Voyez comme il se trémousse : ce Charlot, vraiment, quelle ballerine ! Voilà la réponse qui arrive comme une pirouette, au détour d’une phrase ; voilà le point final et les têtes qui opinent. On a alors pourtant dit peu de choses. Charlot danseur, mais encore ? Pour que s’approfondisse la compréhension du personnage, il faut aller plus avant : quand Charlot danse-t-il ? Quel type de danse préfère-t-il ? A-t-il un style chorégraphique propre ? Qu’énoncent ses chorégraphies ? Charlot est avant tout le point précis où coexistent les contraires. Sa veste est trop petite, son pantalon trop grand ; c’est un vagabond qui a la dignité d’un dandy ; un personnage qui pour Král « développe […] son action, d’un rebondissement à l’autre, en véritables cascades de métaphores » (Král, 1986, p. 108) par lesquelles les choses glissent vers ce qu’elles ne sont pas, du chapeau au gâteau et de la chaussure au steak ; ou qui pour Deleuze illustre la « petite forme » de son image-action : « une très petite différence dans l’action, ou entre deux actions, qui va faire valoir une distance infinie entre deux situations, et qui n’existe que pour faire valoir cette distance » (Deleuze, 1983, p. 231). De la tête aux pieds, de son apparence à sa force comique en passant par son caractère, tout chez lui est fondé sur l’antinomie. « [C]e personnage […] me semble à saisir en termes de duplicité. Celle-ci lui est même si fondamentale qu’il est littéralement impossible, parlant de lui, de ne pas accumuler des oppositions » (Král, 1986, p. 125). Il serait donc étonnant que la dimension chorégraphique des gestes de Charlot ne soit pas elle-même équivoque, au-delà même du fait que la danse semble signaler chez lui un dédoublement de personnalité (Godin, 2016), et que « plusieurs films de Chaplin transforment cette question lancinante de l’identité en une formule rythmique : je suis alternativement, au gré d’une fantaisie dont je ne suis pas le maître, vagabond et millionnaire4 ». Si le personnage se qualifie par une accumulation d’oppositions, la nature du lien de Charlot à la danse mérite elle-même d’être interrogée : la danse ne doit pas être qu’une dérobade, une simple stratégie pour ouvrir la brèche qui rendra la fuite possible.

En réalité, Charlot amène de la contradiction au cœur même du geste dansé5. Il semble travaillé au corps par deux genres de danse, ou selon l’expression de Noé Soulier, danseur et chorégraphe, deux « paradigmes d’appréhension » (Soulier, 2016, p. 12) du mouvement : celui de la danse classique, académique, qui pour le personnage fait figure de « danse rêvée, ou danse de rêve » (Gauville, 2012, p. 222) ; et celui de la danse contemporaine qui finit toujours, malgré tous ses efforts, par le rattraper. Deux paradigmes d’appréhension du mouvement, c’est-à-dire deux « modes de définition et de monstration du mouvement » (Soulier, 2016, p. 11), deux manières « d’orienter et de transformer l’expérience du mouvement », deux manières « d’y prêter attention » (ib.) tant pour le danseur que pour le spectateur. Appréhender le mouvement selon la perspective de la danse classique ou de la danse contemporaine, cela revient à ne pas prendre en compte les mêmes paramètres, à ne pas prendre conscience des mêmes modes d’appariement du corps à son environnement ; « surtout, cela permet d’être actif et même créatif dans sa manière de ressentir le mouvement en choisissant de l’observer sous tel ou tel angle » (p. 60) : dans la fameuse « danse des petits pains » de La Ruée vers l’or, à quel monde rêvé Charlot donne-t-il une forme ? Quel est le corps utopique qui s’invente ? Dans la séquence du patinage des Temps modernes, qu’est-ce qui compte le plus : le parcours harmonieux de l’espace, l’aisance et la grâce du geste, ou la chute toujours déjouée que le spectateur pense imminente ? L’alignement maîtrisé ou la soumission confuse aux lois de la physique ? Un peu des deux, sans doute, mais on comprend déjà que la description des gestes dansés de Charlot doit être précisée, tant se joue à leur endroit, dans leur immédiateté, le rapport au monde propre au personnage, ses aspirations et ses échecs, sa condition burlesque et tout ce à quoi elle nous engage à nous rendre attentifs.

1. Une danse de rêve

Noé Soulier le précise, la plupart des mouvements pourraient être appréhendés selon différents paradigmes d’appréhension6 ; mais définis d’abord comme des « focales d’attention » (p. 52), ils ne permettent pas d’observer les mêmes choses. Tout l’enjeu devient dès lors d’élire le paradigme le plus fertile, celui à travers lequel l’expérience du mouvement devient « plus riche ou plus intrigante » (p. 61), sa perception se renouvelle et se précise. Or, c’est bien le paradigme d’appréhension de la danse classique qui semble s’imposer à l’évocation du personnage de Charlot. De façon générale, celui-là se définit par la « structuration géométrique » du mouvement : « [la géométrie] est utilisée pour définir le parcours des danseurs sur la scène, leur position et les relations spatiales qui les unissent. Elle permet aussi de déterminer les formes que créent les différents segments du corps et les trajectoires qu’ils décrivent dans l’espace » (p. 16). De là s’ensuit l’importance des notions d’alignement et d’étirement : le « centre du corps est le point d’où se propagent ces différentes lignes dans l’espace » (p. 38). À plusieurs égards, ce sont donc plus précisément la géométrie et le contrôle spatial qu’elle permet qui définissent dans un premier temps la danse de Charlot.

Il est d’abord saisissant de voir à quel point, lorsqu’il est endormi, Charlot rêve explicitement de danse classique. Dans la « danse des petits pains », les figures « sont empruntées au vocabulaire académique, depuis les grands battements jusqu’aux sissonnes en passant par les ronds de jambe » (Gauville, 2012, p. 222). Avant cela, dans L’Idylle aux champs, Charlot, assommé, rêve d’un ballet dansé avec quatre nymphes vêtues de robes blanches et vaporeuses. Là encore, les figures sont bien connues, de la succession des différentes positions classiques des bras et des pieds au grand jeté. Dans d’autres films, et alors qu’il est bien éveillé, la danse classique donne forme au monde tel que Charlot le souhaiterait, comme si elle autorisait la suspension soudaine mais indiscutable du chaos, du conflit et de l’inégalité. Petr Král a insisté sur la manière dont Charlot, par les innombrables mésusages d’objets dont il se rend coupable, imprime sur le monde son imagination souveraine7. La danse classique serait pour le personnage, si l’on veut, le mésusage de son corps ou une nouvelle manière, idyllique, de le mouvoir parmi les autres : au lieu de se battre, danser quelques pas, sautiller sur place, agiter les cils (Charlot fait une cure, Charlot chef de rayon) ; patiner, bras-dessus bras-dessous et oubliant ses rivaux, avec la jeune fille qu’il aime bien (Charlot patine, 1916) ; les yeux bandés – puisqu’ils ne s’agit pas là d’y voir clair mais de s’abandonner à ses désirs – patiner encore sur un pied, les bras ouverts et la pointe tendue presque au-dessus du vide (Les Temps modernes). Quoi qu’il en soit, éveillé, endormi ou assommé, Charlot conçoit la danse classique comme un état désirable du corps et le signe de relations harmonieuses avec son environnement.

Mais remarquons ici que rêver de danse classique revient avant tout à rêver de légèreté. L’une et l’autre vont toujours de pair : pour Adolphe Nysenholc, la « plastique dans le temps » que Chaplin a inventée doit pour beaucoup à « la danse qui fait que rien ne pèse tout comme dans un rêve » (Nysenholc, 2020, p. 39). À ce titre, il devient évident pour l’auteur « que son modèle de danse est celui de son époque, avec la ballerine en tutu, dont il fait lui-même plus d’une fois la parodie. […] la danse de Charlot lutte contre la gravité de ses godillots » (ib.). Le patinage des Temps modernes laisse entrevoir la possibilité d’un parcours fluide de l’espace et d’un mouvement libéré de toute entrave. Dans La Ruée vers l’or, c’est ce même défi à la loi de la gravité que retient Hervé Gauville : « l’effet de légèreté est particulièrement sensible dans le rythme impulsé par le personnage du prospecteur solitaire interprété par Chaplin. Le pantin fourchette-pain est soulevé du plateau de la table avec une aisance et une grâce que lui envierait n’importe quelle ballerine » (Gauville, 2012, p. 222). Dans Une Idylle aux champs, Charlot se redresse avant d’entamer son ballet en battant des bras comme un oiseau. Le fait est plus clair encore si l’on pense au film Le Kid (1921) : le sommeil y ouvre un espace au sein duquel chaque mouvement est frappé d’une grâce inédite et d’une capacité nouvelle à s’affranchir de l’attraction terrestre. Une fois ses ailes d’ange achetées, Charlot s’envole, son kid à ses côtés, et regagne depuis l’arrière-fond le premier plan de l’image. Dernier exemple, celui du film Le Cirque (1928), où Charlot rêve à nouveau d’une légèreté surnaturelle : contraint par le patron du cirque à remplacer le funambule, il met en place une ruse avec l’aide du régisseur. La corde qu’il attache à son pantalon et que retient son acolyte, plus encore que de le sécuriser, confère à tous ses gestes une aisance remarquable : à peine a-t-il saisi le câble qui doit lui permettre d’atteindre laborieusement son perchoir, Charlot s’élance dans les airs, corps à l’horizontal et fesses tirées vers le haut. La suite de son numéro, qui figure parmi les séquences les plus drôles de la filmographie de Chaplin, joue avec ce même principe : la suspension – toute illusoire soit-elle – de la pesanteur.

Que Charlot rêve de légèreté jusqu’à l’envol, c’est-à-dire d’une liberté maximale de mouvements, rapproche d’emblée ses gestes du paradigme classique selon lequel « le rapport à la gravité et à l’inertie seront traités comme des “variations accidentelles et futiles8” ». Mais ce n’est pas tout. Au-delà de ces clins d’œil explicites à la grâce des ballerines classiques, Charlot s’efforce plus généralement de s’imposer comme un centre géométrique autour duquel s’agenceraient tous les corps environnants. « Chaplin s’inscrit dans un espace-temps circulaire, qui a donc un centre spatial occupé par lui et un cycle temporel rythmé par lui. Charlot occupe le terrain, impose sa gestion rondement menée de l’espace et du temps, conçus en forme de cercle, de sphère » (Revault D’Allonnes, 1997, p. 44). Charlot ainsi défini rayonne et organise la course, comme au cœur d’un manège, de tout ce qui semble voué à tourner autour de lui. S’il tombe au milieu de la piste, comme dans Charlot patine, c’est en entraînant ses voisins et sous le regard d’un groupe organisé en demi-cercle autour de lui. Mais ne nous y trompons pas : son rêve de danse classique n’indique en rien un penchant pour tous les types d’alignements ; Charlot, pour se satisfaire, doit être le seul organisateur. Au début de Charlot soldat (1918), sous le regard de son commandant, il échoue à rester dans le rang et à régler ses gestes sur ceux des autres. Ce qu’il réussit avec brio dans d’autres contextes – pivoter sur un seul pied – se révèle ici impossible à réaliser. Son bataillon part sans lui, ses pieds refusent de rester parallèles et forment obstinément l’angle à quarante-cinq degrés qu’on leur connaît : géométrie, oui, mais à condition d’en dessiner soi-même les formes.

Charlot occupe par ailleurs le centre de l’image et compte bien y rester : pour Francis Bordat, cela prend la forme d’une résistance centripète caractéristique du personnage. Le gag prend, là encore, une forme circulaire : il « est une boucle, une façon d’avoir circulé un moment en rond dans l’image » (Bordat, 1998, p. 128). Charlot est donc au centre d’un cercle organisé par lui et contenu dans le cadre ; mais il ne s’agit pas là seulement d’une question de composition de l’image. Son corps au centre est également un centre à partir duquel, pour assurer sa position, s’élabore une série de droites à la manière d’un danseur classique : « dans la danse classique, les membres du corps ne sont pas appréhendés comme des segments géométriques finis mais comme le commencement de lignes qui se prolongent à l’infini » (Soulier, 2016, p. 38). Dans le burlesque où tout se voit, de tels vecteurs sont rendus matériels : les innombrables objets trop longs qui « dépassent » du corps de Charlot sont une autre manière de faire de lui l’endroit où se pose la pointe du compas. Il y a d’abord sa canne, extension de son bras qui régule en permanence la trajectoire des corps qui l’environnent, les repousse ou les attire ; il y a aussi l’haltère (Charlot boxeur, 1915), la fourche (Le Vagabond, 1915), le pilier antique (Le Machiniste, 1916) ou le balai (Charlot à la banque). Au-delà d’assommer ses adversaires et de détruire les décors, à travers eux le corps de Charlot s’étire dans l’espace, en devient le roi – sinon le seul habitant.

C’est à cela que Charlot rêve avec la danse classique : à une circulation régulée des corps, à un agencement rectiligne qu’il ordonne, à une entente harmonieuse et policée des différents éléments qui l’environnent. Son corps seul en porte le stigmate : si pour Hervé Gauville, sa « colonne verticale […] fait office de tige autour de laquelle pivotent les membres en fonction du rythme » (Gauville, 2012, p. 223), Michel Chion considère pour sa part que « Chaplin réalise ce miracle […] d’une unité immédiate, totale, sans coupure, entre la tête et les jambes9 […] ». Le corps de Charlot est ainsi lui-même un axe unifié, érigé comme un centre solide et stable. Finalement, il semble guidé, à la manière d’un danseur classique, « selon des coordonnées géométriques » (Soulier, 2016, p. 27). Les trajectoires angulaires qu’il effectue dans Charlot à la banque sont à ce titre exemplaires. Prenons l’ouverture du film : la trajectoire qui le conduit des abords du bâtiment à son coffre-fort est faite d’un ensemble de lignes perpendiculaires que Charlot, robotique, dessine scrupuleusement. Son buste et ses pieds pivotent sèchement, arrivés au terme d’une droite et à l’orée d’une autre, partant toujours vers la droite du cadre comme si rien ne pouvait contrarier son avancée irrémédiable vers son objectif. Pas question de contourner quoi que ce soit : le caillou invisible qui risque, lors du premier plan du film, de le faire dévier est éjecté du chemin ; l’un de ses collègues est « déplacé » pour lui permettre de rester sur le fil imaginaire qui trace sa route rectiligne. En outre, Charlot semble toujours conscient de ce qui se trouve derrière lui, comme si la représentation de son environnement en termes géométriques allait jusqu’à intégrer ce qu’il ne pouvait pas voir. Évaluant les distances qui le séparent des autres corps aussi bien sur les côtés que dans son dos, Charlot distribue les coups de pied en arrière sans même se retourner. D’ailleurs, le devant est tout comme le derrière et vice-versa : dans Charlot policeman (1917), effectuant une ronde dans un quartier mouvementé, le personnage, en un clin d’œil, fait demi-tour sur un seul pied. Ces deux gestes par lesquels Charlot est souvent identifié – coup de pied en arrière et demi-tour sur une seule jambe – rendent équivalentes des directions opposées et accentuent le caractère orthogonal de l’espace qu’il parcourt.

2. La redécouverte des lois de la mécanique

L’influence du classique sur la danse de Charlot ne fait ainsi aucun doute, qu’elle prenne la forme d’un rêve de légèreté ou d’un rapport géométrique à son environnement. Néanmoins, elle est loin de venir qualifier l’ensemble des gestes dansants du personnage. Que Chaplin vienne du music-hall et que sa gestuelle soit toute empreinte de ses talents de mime ne doit pas faire oublier qu’à l’époque où il développe son personnage de vagabond, danseurs et chorégraphes s’interrogent activement sur la nature du mouvement chorégraphique et posent les jalons d’une danse nouvelle : la danse moderne. Les uns et les autres, chacun différemment, se détournent du geste académique ou codifié pour explorer, théoriser, inventer de nouvelles façons de se mouvoir10. Les critiques des années 1910-1920 ne s’y sont pas trompés, comparant Charlot à Loïe Fuller ou Isadora Duncan, pionnières de la modern dance (Guido, 2014, p. 338). Qu’ont en commun ces « nouveaux états de corps [qui] se multiplient alors » (Louppe, 1997, p. 46), et qui concernent aussi bien la danse que le cinéma ? Laurence Louppe propose d’identifier ce qu’elle nomme des « valeurs » communes à toutes les conceptions du geste libre qui ont traversé, depuis la fin du XIXe siècle, l’histoire de la danse. Parmi elles, « l’importance de la gravité comme ressort du mouvement (qu’il s’agisse de jouer avec elle ou de s’y abandonner) » (p. 37). C’est précisément ce rôle du poids qui, pour Noé Soulier, distingue le paradigme de la danse contemporaine11 : « avec la définition géométrique, le corps devient un volume mobile qui crée des lignes, des formes et des vecteurs. Avec la définition mécanique, le corps est encore un volume, mais il possède une masse et il est soumis à des forces : la gravité, l’inertie et la force musculaire » (Soulier, 2016, p. 68).

Un tout autre répertoire de gestes et des liaisons d’une nature nouvelle se distinguent alors chez Chaplin. L’harmonie du geste que son personnage espérait atteindre est ainsi contrariée au profit de l’« incomparable élégance d’un équilibre en constant péril » (Gauville, 2012, p. 226). La loi de la pesanteur s’impose avec d’autant plus de force que Charlot rêve de s’en affranchir ou, a minima, d’en avoir la maîtrise. Petr Král y voit le signe d’un échec de la danse, sans identifier qu’il s’agit peut-être de celui d’un certain type de danse et du triomphe d’un autre : « quoi qu’il fasse, les “danses” de Charlot ne nous font pas oublier la lutte dont elles sont l’ultime prolongement, restant fatalement marquées par cela même à quoi elles s’opposent : la cruauté du monde, la matière des choses et leur poids. Comme Lloyd, Chaplin n’est qu’un aérien constamment menacé par la chute – son patinage dansé se déroule au bord du vide » (Král, 1986, p. 121). Dans Charlot et le comte comme dans Charlot patine, le personnage lutte contre son déséquilibre en répétant frénétiquement le même mouvement de jambe. Son corps, dangereusement penché en arrière, accomplit le prodige de ne pas tomber tout de suite : sa virtuosité n’est ni dans sa souplesse, ni dans sa grâce, mais dans la résistance active qu’il mène contre la gravité. Au début de L’Émigrant (1917), sur un bateau et dans un cadre qui tanguent, il cherche, la jambe en l’air, son équilibre sur un pied. La posture est assez semblable à celle d’une figure académique, mais les petits soubresauts de son corps trahissent la nature véritable de son geste : c’est avec son propre poids qu’il travaille, avec des ressources qui lui sont propres qu’il tente de se maintenir debout et fait éclore, ici sans le vouloir, un geste dansant.

De la lourdeur plutôt que de la légèreté, mais aussi des lignes droites rompues : dans Charlot et le comte, alors qu’il tente de danser avec distinction, Charlot se déhanche comme malgré lui et ne parvient décidément pas à réaligner son corps ; de la même manière, les mouvements coordonnés du ballet qui se joue dans le bureau de recrutement d’Une vie de chien le laissent en marge. Sa place lui est systématiquement prise, sur le banc d’abord d’où il est éjecté, puis au guichet devant lequel les autres sont toujours plus rapides à arriver. L’ensemble de la scène donne lieu à une rythmique parfaite, mais elle sonne aussi l’échec de l’agencement régulé et égalitaire des corps auquel Charlot aspirait. Le premier arrivé est le dernier servi, et la géométrie qui devait organiser son rapport aux autres fait un violent tête-à-queue. Par ailleurs, les nombreuses séquences de course-poursuite de Charlot peuvent être conçues comme des chorégraphies fondées sur l’esquive et les mouvements de répulsion dont le propre est, là encore, de contrarier les lignes droites. Dans Charlot s’évade, chaque policier croisé dévie la trajectoire du personnage, lui impose le demi-tour et la rupture de rythme. L’espace domestique se jonche ainsi de murs mobiles, d’obstacles à contourner, de pôles magnétiques contraires qui engagent, même si Charlot excelle dans ce jeu du chat et de la souris, autant de déséquilibres et de transferts de poids.

La mécanique remplace la géométrie ; le corps se dote d’un poids et définit ainsi son propre style chorégraphique. Le geste dansant de Charlot vient reproduire un même parcours qui le conduit de l’académisme et d’une volonté de contrôle à la négociation du mouvement avec un ensemble de phénomènes physiques. Attiré par le centre de la Terre, intégrant le déséquilibre et la chute à son répertoire gestuel, Charlot résiste également à d’autres types de forces. Il est parfois cloué au sol, empêché dans ses mouvements : dans Une vie de chien, sur le dancing avec Edna Purviance, il est arrêté par un chewing-gum qui rend ses gestes laborieux et terrestres. Aux pas sautillants qu’il exécutait s’ajoute l’impératif reconduit d’extraire son pied du sol. Dans Charlot s’évade, il se marche lui-même sur la chaussure et s’immobilise, le temps de libérer sa jambe droite en la tirant avec effort. Ici, Charlot est retenu contre son gré ; ailleurs, il est expulsé, entraîné là où il ne veut pas. Dans tous les cas, le corps est travaillé par des forces en lutte. Son énergie centripète, celle qu’il convoque pour rester au centre du cadre, est ainsi constamment menacée par une « pression centrifuge12 » : des dynamiques contraires s’opposent et contraignent le corps du personnage à intégrer des figures nouvelles. Dans Charlot à la plage (1915), chapeaux attachés à une ficelle pour éviter qu’ils s’envolent, Charlot et un inconnu s’emmêlent. Les couvre-chefs sont emportés dans les airs, les fils se nouent et les deux hommes n’arrivent plus à se séparer. Un drôle de duo s’élabore alors dans la profondeur du champ, comme engagé dans un mouvement de balancier : l’inconnu tente de s’éloigner mais tire Charlot qui tombe et le déséquilibre ; en réponse, celui-ci se redresse, se rapproche de la caméra et entraîne dans la direction opposée le second homme, qui tombe à nouveau, et ainsi de suite. Dans La Ruée vers l’or, valsant cette fois-ci avec Georgia Hale, le personnage ceinture son pantalon, sans le savoir, avec la laisse d’un chien. Ce dernier, poursuivant un chat en hors champ, le conduit violemment au sol, en-dehors de la piste de danse. Dans Les Lumières de la ville, alors qu’il essaie de consoler un suicidaire, Charlot est entraîné dans l’eau par une corde qui vient malencontreusement l’enserrer. D’une manière ou d’une autre, le personnage est contraint de faire l’expérience de la résistance des choses. Pour rester là où il veut, ou tout juste debout, il doit savoir faire contrepoids, contracter le muscle pour opposer à son environnement une force au moins équivalente. Masse parmi les masses, le danseur travaille ici avec son poids « comme on travaille une matière vivante et productive » (Louppe, 1997, p. 97).

Finalement, Charlot se distingue par sa sensibilité au principe d’inertie : un rien lui suffit pour initier un mouvement à l’ampleur décuplée, et que l’on imagine sans fin. Pour André Bazin, la mécanique le guette dès que son geste s’inscrit dans une forme de durée ; très vite, Charlot se laisse emporter par son propre mouvement : « sa liberté à l’égard des choses et des événements ne peut se projeter dans la durée que sous une forme mécanique, comme une force d’inertie qui continue sur une lancée initiale » (Bazin, 1985, p. 19). De là, sans doute, sa capacité à devenir lui-même un mécanisme à la cadence millimétrée, « un corps qui à la fois se confronte et s’ajuste à la mécanique et à ses lois » (Moure, 2022, p. 29). Nul besoin cependant d’aller jusqu’à devenir un pantin mécanisé pour que ses gestes s’enivrent d’eux-mêmes, se prolongent et s’épanouissent, entraînés par la masse de son corps. Dans Charlot fait une cure, les portes tournantes d’un hall d’entrée font pour lui figure de tremplin. Ne se limitant jamais à n’en faire qu’un seul tour, Charlot est alors comme dans un tambour : une fois sorti, emporté par le mouvement de leur rotation, il tournoie sur lui-même, buste en avant, à travers le hall de l’hôtel, l’escalier central, le couloir et sa chambre. Si Charlot est danseur, c’est alors surtout en tant que poète de la pesanteur et des jeux multiples qu’elle autorise.

3. Keaton seul en piste ?

Les théoriciens des années 1910-1920, on l’a dit, ont fait de Chaplin le danseur de cinéma par excellence. Aujourd’hui pourtant, le danseur burlesque, celui dont on loue la grâce chorégraphique, n’est plus Chaplin mais Keaton. Vincent Amiel évoque à son sujet une « accordance du rythme […] essentielle, en ce qu’elle ouvre l’horizon du monde à l’individu sans qu’il soit besoin d’avoir recours à la conscience » (Amiel, 1998, p. 18). En adaptant sa propre cadence à celle des différents éléments de son environnement, ses courses à d’autres courses, « ses mouvements aux mouvements de l’autre », Keaton élabore des « trajectoires [qui] deviennent ballets, chorégraphies duelles », et « qui reposent sur la mesure et l’acceptation de l’autre » (ib.). Keaton danse avec les autobus et les locomotives, avec les corps dont il croise la route et dont il emboîte le pas, si bien que « la vitesse qui entraîne les corps est elle-même relation, accrochage au monde » (ib.). S’énonce bien plus qu’une gestuelle singulière ; c’est le noyau du personnage que l’on atteint ainsi : Malec, en-deçà de tout projet et de toute volonté consciente, sans « aucune posture “romanesque” » (p. 23), est celui qui danse avec le monde. Ce rôle inédit du corps et de son mouvement qui prend en charge les émotions du personnage va jusqu’à distinguer Keaton de ses contemporains : « entre le chaos ravageur et immature du slapstick des années 1910, et les manières théâtrales d’un Charlot, il y a une voie étroite pour la silhouette précise, élégante et aérienne de Buster Keaton, et pour qu’apparaisse avec elle ce qui est sans doute le premier projet de faire un cinéma du corps […] ; comme cinéaste, il a inauguré la vision et l’art d’un cinéma pour le corps et selon les puissances du corps » (Bouvier, 2008, pp. 4-5). Face à lui, le personnage de Chaplin s’est progressivement doté d’une morale, d’une psychologie, et finalement d’une « existence au-delà du geste » (Amiel, 1998, p. 34). Charlot est le sauveur, le défenseur des opprimés : « quel que soit le piteux état dans lequel il se trouve, [il] fait preuve d’une volonté salvatrice et d’un comportement héroïque dès qu’il est mis au contact d’une victime, ou victime lui-même d’une situation délicate » (Mongin, 2002, p. 50).

Keaton du côté du corps et de la danse, Chaplin de celui, exclusif, de la psychologie et des sentiments qui « portent un nom » (Amiel, 1998, p. 34) ? N’allons pas si vite, et tentons pour finir de mieux circonscrire l’endroit de leur opposition. Repartons de la danse keatonienne. Vincent Amiel évoque « la vitesse qui entraîne les corps » (p. 18), dit de Keaton qu’il est « happé par l’extériorité » (p. 19), « porté par le flot des voyageurs » (ib.), « soulevé de terre » (p. 24) par le mouvement d’une locomotive, parle enfin d’un « “laisser aller”, un “lâcher de corps” », de ces « corps transportés, dont seuls le poids, le déséquilibre et l’élan, la pente ou le vent peuvent expliquer la mobilité » (ib.). En d’autres termes, le répertoire gestuel de Keaton s’élabore avec les lois de la mécanique. Sa divergence avec Chaplin ne se joue donc pas là, tant on a vu que Charlot lui aussi se soumettait sans cesse à l’action des forces contraires, attirantes ou répulsives, de son environnement. Mais à la différence de Keaton, un désir conscient chez Chaplin trouve à se formuler par la danse, celui de permettre « à chacun de retrouver sa place respective » (Mongin, 2002, p. 52). Le propre du style chorégraphique de Charlot est ainsi d’osciller entre deux types de danse aux ressources contradictoires : l’un serait la formulation d’un projet social ; l’autre, plus impensé, arrimerait le corps à son environnement physique. D’un paradigme de perception du mouvement à l’autre, les imaginaires se heurtent et s’ajustent. Même s’il finit toujours par s’y soumettre, et parfois même par en jouir, Charlot est délibérément réfractaire à l’autorité des lois de la physique : son aspiration est ailleurs, dans la légèreté, l’agencement parfait des corps et la mise en ordre du chaos. Le poids chez lui n’est pas acquis et nécessite un sempiternel réapprentissage, si ce n’est une résignation. L’existence de Charlot n’a donc pas lieu « au-delà du geste », mais dans un geste multiple. Les sentiments qui le portent, « révolte, tendresse, compassion » (Amiel, 1998, p. 34) n’ont pas que des noms : des demi-pointes et des ronds de jambe les formulent corporellement. En définitive, l’utopie de Charlot prend la forme d’une chorégraphie géométrique, mais ce rêve de maîtrise est mis à mal par les lois de la physique qui prolongent autrement la danse. Tout son personnage est là. La dimension mélodramatique des films de Chaplin ne doit donc pas faire oublier qu’il est, tout comme Keaton, décidément un danseur. L’un et l’autre à cet endroit se rejoignent. Leur opposition se situe ailleurs, au niveau plus précis de l’un des deux versants du geste chorégraphique chaplinien. Là où l’un confère aux seuls abandons musculaires et accordances rythmiques une résonnance existentielle, l’autre lutte, s’acharne et gesticule pour leur opposer, avec ses pieds, l’insolence d’un angle droit.

Bibliographie

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Soulier, N., 2016, Actions, mouvements et gestes, Pantin, Centre national de la danse, 2016.

Notes

1 1968, « Dance Perspective », Numéro spécial consacré à Merce Cunningham, citée dans Louppe, L., 1997, Poétique de la danse contemporaine, Bruxelles, Contredanse, 1997, p. 44. Retour au texte

2 L’auteur qualifie ici en particulier les courses-poursuites qui constituent selon lui le climax des ballets mis en scène par Chaplin. Retour au texte

3 Arroy, J., 19 juin 1925, « La Danse photogénique » in Cinémagazine, n°25, cité dans GUIDO, 2014, p. 339. Retour au texte

4 Chion, M., 1989, Les Lumières de la ville, Charles Chaplin. Étude critique, Paris, Nathan, cité dans GODIN, 2016. Retour au texte

5 Le geste « dansé » se distingue selon nous du geste « dansant » dans la mesure où il émerge d’une volonté consciente et explicite du personnage de danser. Un glissement s’opère néanmoins de l’un à l’autre, tant l’épanouissement du geste dansé finit souvent par échapper au personnage. Entre le geste dansé et le geste dansant que seul le spectateur perçoit, les frontières ici se brouillent. L’enjeu de notre étude est moins d’examiner les usages délibérés de la danse que de déterminer les différents types d’attention au mouvement que les gestes de Charlot nous engagent à adopter. Les gestes en question seront donc tantôt dansés, tantôt dansants. Retour au texte

6 « La plupart du temps, les séquences de mouvements combinent plusieurs modes de définition successivement ou simultanément. On peut alors repérer des entre-deux et des polarités, observer les modes de définition dominants et périphériques » (Soulier, 2016, p. 53). Retour au texte

7 « Même identique, à l’instar de Charlot lui-même, l’objet ne vaut encore que par les métamorphoses qu’on lui fait accomplir. Pendant le célèbre repas dont elle est le plat de résistance, la chaussure de The Gold Rush change d’identité aussi facilement que, par ailleurs, le personnage du comique : elle est découpée comme un canard, ses clous sont dégustés comme des arêtes de poisson, son lacet, soigneusement enroulé autour d’une fourchette, sera mangé comme un spaghetti. […] Pendant des séquences entières, […] Chaplin développe de la sorte son action, d’un rebondissement à l’autre, en véritables cascades de métaphores et d’“aiguillages” de sens où les choses, littéralement, se métamorphosent à l’infini – n’importe laquelle d’entre elles pouvant à la rigueur devenir n’importe quelle autre » (Král, 1986, p. 108). Retour au texte

8 Jakobson, R., 1976, Six leçons sur le son et le sens, notes des cours donnés à l’École libre des hautes études de New York en 1942, Paris, Éditions de Minuit, p. 95, cité dans SOULIER, 2016, p. 21. Retour au texte

9 Chion, M., 1989, Les Lumières de la ville, Charles Chaplin. Étude critique, Paris, Nathan, p. 96 cité par MONGIN, 2022, p. 55. Retour au texte

10 Voir à ce sujet Cappelle, L., (dir.), 2020, Nouvelle histoire de la danse en Occident, de la préhistoire à nos jours, Paris, Seuil. Retour au texte

11 Nous ne ferons ici pas de distinction particulière entre la danse dite moderne et la danse contemporaine, à l’instar de Laurence Louppe dans son ouvrage (« pour moi, il n’existe qu’une danse contemporaine, dès lors que l’idée d’un langage gestuel non transmis a surgi au début de ce siècle : mieux, à travers toutes les écoles, je retrouve, peut-être pas les mêmes partis pris esthétiques […] mais les mêmes “valeurs” […] », p. 36). Nous ne nous concentrons ainsi que sur ce qui constitue le « paradigme d’appréhension du mouvement » propre à la danse qui s’invente à partir de la fin du XIXe siècle, sous l’impulsion de Loïe Fuller et d’Isadora Duncan. Retour au texte

12 Voir à ce sujet les travaux de Francis Bordat ; par exemple, Bordat, F., 1997, « Réflexion sur le gag », dans Le genre comique, Montpellier, Université Paul Valéry (Montpellier III), Centre d’étude du XXe siècle. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Mathilde Grasset, « La danse de Charlot, de la géométrie à la mécanique », K [En ligne], 10 | 2023, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 17 février 2025. URL : http://www.peren-revues.fr/revue-k/540

Auteur

Mathilde Grasset