Les Infidèles dans l’Estoire de la guerre sainte d’Ambroise

DOI : 10.54563/bdba.905

p. 69-80

Texte

Rédigée par Ambroise à la fin du xiie siècle, l’Estoire de la guerre sainte1 relate en vers les épisodes de la troisième Croisade. Ce récit qui tient de la chronique s’apparente aussi à un récit de voyage dans la mesure où l’auteur décrit par le menu l’avancée des chrétiens vers les lieux saints. Mais, entreprendre, au nom de la foi, le voyage vers l’Orient, c’est en même temps aller à la rencontre de populations qui sont fréquemment évoquées à l’époque2. Les chansons de geste, en effet, nous permettent bien souvent d’assister à la confrontation entre Occidentaux et Orientaux et les auteurs d’épopée ne manquent pas de s’arrêter sur la description de ces étrangers dont ils brossent souvent un tableau horrifiant, afin de susciter chez l’auditoire la peur mais aussi l’intérêt, voire la fascination.

C’est donc dans un contexte bien particulier que se trouve notre Estoire de la guerre sainte, puisqu’il apparaît que, quoique chronique et récit de voyage, c’est-à-dire texte à dimension authentique, cette œuvre est aussi influencée par la littérature qui lui est contemporaine3. Il importe donc de mesurer l’ampleur de cette influence. En nous attachant à la représentation des Infidèles dans le récit, nous tâcherons de mettre au jour l’exotisme du texte4. Pour cela il appartiendra de s’occuper des dénominations, puis des descriptions avant d’observer la mise en place d’un réseau d’images propres à Ambroise reposant sur de subtiles variations autour d’un matériau bien connu.

Le public auquel s’adresse l’Estoire de la guerre sainte est un public occidental, français, à qui Ambroise rapporte le parcours des croisés en terres étrangères et leurs confrontations avec les différentes populations. Bien sûr, l’essentiel du récit se concentre sur les abords des territoires saints où vivent les musulmans. Ceux-ci sont évoqués à de très nombreuses reprises et les termes utilisés par Ambroise pour les désigner ne surprennent guère l’auditoire du xiie siècle. En effet, un regard rapide sur les appellations choisies par l’auteur prouve qu’elles sont suffisamment éloquentes. Aux nombreuses occurrences de termes optant pour une présentation géographique comme par exemple « Sarazins », « Turc », « Persant », « Bedoin »5, ou bien pour une présentation religieuse comme « Paens »6, s’ajoutent des formules synthétisées dans le tableau suivant :

 

Les termes utilisés et combinés les uns avec les autres situent l’œuvre dans le droit fil de la littérature épique. Comme dans les épopées, les hommes mentionnés sont la plupart du temps dévalorisés par les termes employés7. Les formules d’Ambroise, ses périphrases pourraient paraître tirées tout droit de chansons de geste8. Le public perçoit ainsi les Infidèles tantôt comme des monstres (par les nombreuses allusions à leur férocité et leur cruauté morale), tantôt comme des animaux (avec l’assimilation fréquente aux chiens9), tantôt comme des diables. Progressivement s’insinue alors dans l’esprit de l’auditoire l’idée que ces Infidèles en question sont assimilables aux Sarrasins d’épopées, voire semblables à eux, puisque pareillement désignés.

Ainsi, Ambroise désigne ceux qu’il voit comme ceux dont lui et son public ont maintes fois entendu parler. Par les mots, il cherche à faire coïncider une réalité objective (celle de son témoignage) et une représentation littéraire qui repose sur des fantasmes : sa restitution de la réalité, à travers la dénomination, est fortement influencée. Si l’exotisme est la recherche du spectaculaire10, celui-ci est en substance suggéré grâce à la façon dont les Infidèles sont désignés.

Par les noms employés, Ambroise s’inscrit dans la tradition littéraire de l’épopée. Il reste toutefois à vérifier si cette assimilation est confirmée par les descriptions des Infidèles. Par description, nous entendons toute notation faite dans le texte qui permet au public de se faire une idée de ce à quoi ressemblent les individus mentionnés. Aussi ne faut-il pas s’étonner que soient retenus comme descriptifs des passages s’étendant sur un vers, voire sur seulement un ou deux mots.

Les épopées du xiie siècle, même si elles n’accordent pas la primauté aux descriptions, présentent malgré tout des spécimens intéressants de Sarrasins : les auteurs de chansons de geste raffolent en effet des étrangers laids et ils rivalisent d’inventivité pour présenter des individus monstrueux11. L’Estoire de la guerre sainte, comme les chansons qui lui sont contemporaines, offre peu de descriptions physiques des personnages mentionnés et, qui plus est, les quelques descriptions ne sont pas animées du même souffle inventif. En effet, par opposition aux auteurs d’épopées qui ne se préoccupent pas de réalisme ou de vraisemblance et, donc, n’hésitent pas à mettre en scène des monstres en tous genres, Ambroise s’en tient, pour présenter les Infidèles, à des notations qu’on pourrait qualifier de conventionnelles et, d’ailleurs, il donne très peu de détails physiques. Une fois seulement, il relève un détail pittoresque en qualifiant les Orientaux de « gent retaillee » (v. 6112) : la simple allusion à la circoncision suffit à introduire dans la présentation de ces individus une touche dépaysante qui permet au public de mesurer des écarts de civilisation.

La plupart du temps, il en reste à une approche classique de l’étranger. Celle-ci passe notamment par l’évocation du système pileux. Les cheveux et les poils sont, en effet, un bon moyen de connoter l’animalité, voire la monstruosité ou encore le satanisme, si l’on songe aux représentations du diable. Dans l’Estoire de la guerre sainte, les Turcs portent des « barbes » (v. 6153)12 et, visiblement, des cheveux longs comme semble l’attester la description d’une scène de douleur collective :

en l’ost des paens tel doel firent,
ço conterent cil qui ço virent,
que li Turc lor tresces trenchouent.
(vv. 2293-95 ; éd. anglaise, vv. 2289-91)

L’expression du désespoir frappe par sa proximité et ses différences avec ce qui se passe pour les chrétiens, puisque, quand ceux-ci sont profondément affligés, ils s’arrachent plutôt les cheveux13. Le verbe « trenchier » employé pour les Turcs rend la scène plus violente encore. Le public note de surcroît le détail pittoresque des tresses14 qui symbolise leur différence tout en se chargeant de connotations qui ternissent leur image. Dans le reste de la littérature, les tresses ne sont-elles pas en effet un ornement typiquement féminin ? De plus, cette coiffure jugée artificielle est souvent condamnée par les Pères de l’Église15. Ce détail anecdotique est ainsi discrètement révélateur de la faiblesse de ces Turcs. D’ailleurs, cet ornement finit par leur être fatal, puisqu’il est à l’origine de leur perte au cours de la prise d’une galère sarrasine :

La veissiez femes venir
e coltels en lor mains tenir
e prendre les Turcs par les tresces
e traire a els par granz destresces,
e puis les testes lor trenchouent
e a terre les en portouent.
(vv. 3309-14 ; éd. anglaise, vv. 3304-09)

Ambroise recourt volontiers à des modes de représentation encore plus frappants. S’il ne mentionne qu’une fois la laideur seule des Infidèles en affirmant que ce sont de « laides genz enemies » (v. 6608), il l’associe à deux reprises à l’évocation de leur couleur quand il parle d’une « hisduse gent oscure » (v. 3349) et de « laides genz brunes » (v. 7719). Leur peau foncée suffit à les enlaidir. En arrière-plan se retrouve sûrement l’idée qu’ils sont démoniaques, cette noirceur de peau induisant leur noirceur morale. C’est d’ailleurs cette couleur foncée que l’auteur signale le plus souvent : il parle ainsi de « neir oscur » (v. 6095), de « gent oscure » (vv. 7322, 11628) et de « gent troble » (v. 6292). Pour les rendre plus terrifiants encore, il n’hésite pas à suggérer qu’ils déteignent sur le paysage, puisque, quand ils surgissent en grand nombre devant les croisés, ceux-ci ont l’impression que « la terre [est] si coverte e troble » (v. 3343). De plus, cette couleur est si emblématique qu’elle détermine le nom de certains individus :

Aprés venoit une gent noire :
les Noirez ont non, ço est la voire ;
e Sarazins de la berrue,
isdos e neirs plus que n’est sue16.

Cette description est construite selon un principe maintes fois repéré dans les épopées quand l’évocation de la noirceur de peau débouche sur une comparaison avec une substance noire17.

Enfin, dans un passage descriptif, l’auteur se plaît à accumuler diverses caractéristiques afin de terroriser son auditoire. En effet, en mentionnant une partie de l’armée turque, Ambroise mêle différents éléments qui invitent le public à voir en ces individus à la fois des animaux, des monstres et des diables :

une hisdose gent oscure,
contre Deu e contre nature,
a roges chapels en lor testes,
onc Deus ne fist plus laides bestes,
de cels i aveit grant plenté
od felenesse volenté,
que de la gent qui ondeioient
e des chapels qui rojeioient
sembloient cerisiers meurs18.

L’animalisation est explicite au vers 3352 ; le caractère monstrueux est affirmé au début et à la fin, puisque ces créatures sont contre nature et que la description se clôt sur une comparaison avec des végétaux. Ces êtres sont donc hybrides et leur dimension diabolique, suggérée au premier abord par leur couleur noire, repose sur le fait qu’ils soient présentés « contre Deu » : tout les rend donc fort inquiétants. À cet égard, on peut même se demander si Ambroise ne joue pas sur les couleurs autant que sur les souvenirs littéraires. En effet, il semble vouloir attirer particulièrement l’attention du public sur la couleur de leurs chapeaux de fer : ce rouge, mentionné plusieurs fois19, établit un fort contraste avec le noir de leur peau, mais ne s’agirait-il pas d’une variation autour d’un souvenir épique ? Aliscans comme Le Couronnement de Louis présentent respectivement Agrapart et Corsolt, Sarrasins rendus terrifiants notamment par leurs yeux « rouges aussi come charbon » ou « roges com charbon en brasier »20.

Tout se passe donc comme si Ambroise avait conscience d’être nettement à la frontière du genre épique avec son Estoire de la guerre sainte : d’un côté, il est sensible aux codes en vigueur dans l’épopée et donc il s’y conforme pour décrire les Infidèles ; mais, d’un autre côté, il voit parfaitement le problème que poseraient des descriptions de personnages extraordinaires. Elles situeraient l’œuvre complètement dans la lignée des chansons de geste et ruineraient toute recherche de vérité21. Or, dans la mesure où de manière récurrente il se présente en témoin oculaire22, il préfère ménager son public en lui donnant un certain nombre d’éléments objectifs attendus dans la représentation d’Orientaux tout en renvoyant à l’imaginaire épique par le simple biais de réminiscences ou de connotations.

En modérant son élan descriptif et en le contenant dans les limites du vraisemblable, Ambroise ne fait donc que suggérer à son auditoire une possible assimilation entre les Infidèles et les Sarrasins épiques. C’est par l’écriture, par les procédés rhétoriques, qu’il invite le public à aller plus loin en déduisant lui-même une parenté entre Infidèles et Sarrasins.

Pour représenter les Infidèles, l’auteur procède par accumulations. Dans la perspective militante qui est la sienne, le but recherché est évidemment de donner globalement une mauvaise image de ces ennemis23. Les descriptions empruntent beaucoup, on l’a vu, aux recettes épiques. Or il en est de même pour caractériser les Infidèles, puisque ces caractérisations se conçoivent comme les prolongements logiques des descriptions.

Ainsi, Ambroise se montre souvent sensible aux bruits émis par ces individus. Il éprouve une prédilection pour le verbe « huer »24, mais il choisit à l’occasion le verbe « braire »25, aux connotations animales plus évidentes. D’une manière très conventionnelle, les Infidèles sont ceux qui se signalent particulièrement par les bruits terrifiants qu’ils émettent.

Cette animalisation suggérée par les bruits est prolongée par des comparaisons plus ou moins précises : Ambroise évoque les Infidèles qui « fueient come bestes » (v. 7360) ou ceux dont on coupe « les testes […] come de bestes » (vv. 8965-66). L’image du chien revient souvent dans la dénomination26 et on la retrouve dans la présentation de Paien de Chaiphas qui « faus iert e fel plus d’un gaignon » (v. 1838) ou dans des formules de malédiction comme « honie soit foi de chien ! » (v. 11052).

Mais notre auteur s’émancipe parfois de l’épopée et utilise d’autres comparaisons qui, originales, n’en sont pas moins expressives. Quand il veut rendre compte du mouvement empressé des Turcs qui sortent de la ville, il fait un rapprochement avec des « formiz ki de formilliere / s’en issent devant e deriere » (vv. 3273-74). Leur acharnement au combat les assimile à des « musches » (v. 3338) et cette image est même développée une fois :

et quant li Turc est tant seuz
qu’il ne poet estre aconseuz,
si a la custume a la mosche
enuiose e plaine d’entusche :
toz jorz chasciez e il fuira,
retornez e il ensivra.
Alsi feseit la gent engresse
Al rei illoques meinte presse :
E il poigneit e il fuirent,
E retorneit e il siwirent27.

Le choix de l’animal associé aux jeux de parallélismes et d’antithèses permet de suggérer le caractère néfaste des individus ainsi caractérisés.

Par ailleurs, Ambroise ne se cantonne pas dans le registre animalier. Les Infidèles paraissent ainsi plus angoissants quand ils sont assimilés à des fléaux naturels : ils sont alors perçus comme des phénomènes qu’il faut subir. L’auteur recourt exclusivement à des images relatives à l’eau, comme si, dans ces contrées arides, l’eau n’était que métaphorique. Les hommes noirs à chapeaux rouges sont décrits comme une véritable vague déferlante grâce à la périphrase « la gent qui ondeioient » (v. 3355). Devant le surgissement des ennemis, les croisés se sentent « entr’els noié » (vv. 7518, 10015). Enfin, ils sont souvent comparés à la pluie. Pour cela, Ambroise joue sur les verbe « aplovoir » et « esploveir »28. Cette image récurrente est un autre moyen d’insister sur leur caractère néfaste et leur effet de masse.

Enfin, c’est par glissements successifs qu’Ambroise forge une mauvaise image des Infidèles. Il suggère pour cela que la région où ils sont est globalement hostile et, selon un principe de relation métonymique, le public en vient à tirer une conclusion similaire à propos des hommes. Dans leur route vers l’Orient, les chrétiens connaissent l’épreuve des déserts et des famines. L’environnement général est malfaisant et des images fortes entretiennent constamment l’auditoire dans un univers à la fois extraordinaire et terrifiant. Cet Orient est en effet la région de toutes les vermines. Les hommes, on l’a vu, sont animalisés et perçus comme néfastes, mais les chrétiens sont de surcroît confrontés à des animaux réels qui se révèlent tout aussi redoutables, tels ces crocodiles qui dévorent deux pèlerins (v. 5992) ou encore ces « vers poignanz e […] tarentes »29 qualifiés de « vermines »30 qui se jettent sur les croisés. Cette attaque frappe l’imagination des auditeurs car elle est relatée dans les mêmes termes que les attaques d’Infidèles. Ambroise dit que « les tarentes presse lor firent » (v. 5915) alors qu’il vient d’affirmer à propos des Turcs comparés à des mouches qu’« alsi feseit la gent engresse / al rei illoques meinte presse » (vv. 5663-64) et, plus loin dans l’œuvre, il note que « li Turc granz presses nos firent » (v. 7214). L’univers oriental est donc l’espace où toutes les attaques, animales comme humaines, reviennent au même. Le tableau de ces créatures hostiles ne serait complet sans l’évocation de serpents : la description du chargement d’un navire turc voguant au secours d’Acre signale « uit cenz Turcs toz esleuz / que diable eurent esmeuz » ainsi que « dous cenz serpenz laides e grises »31. Ici encore la proximité des termes et des connotations (le serpent est créature diabolique comme les Turcs justement) invite une fois de plus l’auditoire à mêler les deux. Toutes ces images suggèrent donc de confondre les Infidèles avec ces animaux redoutables, car venimeux. Ceci pourrait rejoindre, de manière détournée, une constante de l’imaginaire médiéval qui veut que soit étroitement associée « la figure de l’étranger avec celle de l’empoisonneur »32.

Cette représentation de l’Orient pourrait aussi avouer sa dette à une autre œuvre littéraire qui fait la part belle à l’exotisme : le Roman d’Alexandre, mentionné par Ambroise, accorde en effet une large place à l’avancée du Macédonien dans le royaume indien où il est amené à rencontrer des créatures effrayantes. Mille hippopotames dévorent des chevaliers, comme le font les crocodiles chez Ambroise ; les armées d’Alexandre sont attaquées par de nombreux monstres parmi lesquels la « vermine [qui] les pince » ou « ceraste et li escorpion »33. De la sorte, le récit d’Ambroise se nourrit de diverses influences qui ne peuvent que résonner dans l’esprit du public tant elles sont chargées d’échos.

Il apparaît en conséquence que la représentation des Infidèles dans l’Estoire de la guerre sainte frappe par son habileté. Alors qu’il présente un peuple lointain à un public sédentaire, Ambroise met tout en œuvre pour rendre compte de différences tout en veillant à ne pas considérablement le dépayser. Il prend bien soin de placer son texte au centre de tout un réseau d’influences. Si l’Estoire de la guerre sainte se donne d’abord pour un témoignage authentique, l’œuvre est aussi dépendante de la production littéraire de son temps, ce qui est un moyen, parmi d’autres, d’opérer cette « continuelle réduction de l’inconnu au connu » habituelle dans les récits exotiques34. L’ancrage épique est évident ; Ambroise n’est pas non plus insensible au genre romanesque35 : le public est ainsi invité à faire coïncider les images d’Orientaux dans ces œuvres avec celles des Infidèles.

Mais la pratique de l’intertextualité est très fine chez Ambroise. Si la chanson de geste ou le Roman d’Alexandre, par exemple, regorgent d’éléments pittoresques, extraordinaires qui participent de leur exotisme, Ambroise avec son Estoire de la guerre sainte opère tout en nuance : bien conscient qu’un public sédentaire a des attentes à propos de ces contrées lointaines, il satisfait ce désir en ne retenant que des éléments qui ne compromettent pas son exigence de vraisemblance. C’est seulement par des jeux stylistiques (métaphoriques ou métonymiques) qu’il rejoint la démesure des textes fictionnels. L’œuvre d’Ambroise se propose donc comme un juste compromis et elle frappe par le constant souci de rationaliser36 la relation exotique : elle est vraisemblable, mais reste, en même temps, poétique.

Notes

1 Notre édition de référence sera celle de G. Paris, Paris, 1897. Nous avons aussi consulté The History of the Holy War : Ambroise’s Estoire de la guerre sainte, éd. et trad. anglaise M. Ailes et M. Barber, Woodbridge, Boydell Press, 2003, 2 vol.. Retour au texte

2 Aborder le thème de l’Orient, c’est aborder l’espace du rêve : « l’Orient ainsi conçu est un fourre-tout, mirage ou repoussoir à l’usage des Occidentaux. En son illusion première, il est la source de toutes les rêveries exotiques de l’Europe […]. Définissant une vague altérité orientale, objet de toutes les chimères, il répond à ce partage fondateur de l’exotisme qu’est l’opposition du lieu, réellement habité, connu, et du lointain, mal exploré, favorisant tous les jeux de l’imagination », J.-M. Moura, L’Europe littéraire et l’ailleurs, Paris, PUF, 1998, p. 17 (même idée dans La Littérature des lointains. Histoire de l’exotisme européen au xxe siècle, Paris, Champion, 1998, pp. 43-44). Retour au texte

3 C. Croizy-Naquet, « Les festivités dans l’Estoire de la guerre sainte d’Ambroise », Le Moyen Âge, 1, 108, 2002, p. 61. Voir l’éd. anglaise, t. 2, pp. 12 et 20. Retour au texte

4 Dans son chapitre de définition, J.-M. Moura écrit : « peu importe que celui-ci soit péjoratif […] ou mélioratif, « exotique » amorce alors une évolution qui le mène à désigner non plus un simple éloignement mais le caractère étrange, bizarre, séduisant ou répugnant, bref « spectaculaire », né de cet éloignement », La Littérature des lointains…, op. cit., p. 24. Retour au texte

5 Ces termes sont lexicalisés et apparaissent sans grandes nuances de sens. Voir P. Ménard, « Les combattants en Terre sainte au temps de Saladin et de Richard Cœur de Lion », Guerre, pouvoir et noblesse au Moyen Âge, Mélanges Ph. Contamine, Paris, PUPS, 2000, p. 507 ; A. Winkler, Le Tropisme de Jérusalem dans la prose et la poésie (xiie- xive siècle), essai sur la littérature des croisades, Paris, Champion, 2006, pp. 234-242. Retour au texte

6 À ces termes s’ajoutent tous les dérivés comme « paeinisme » (v. 5810), « paienie » (vv. 2326, 6337, 8968) ainsi que le nom même d’un infidèle : Paien de Chaiphas (v. 1837) ; à son sujet, voir l’éd. anglaise, t. 2, p. 57, note 141. Retour au texte

7 Certes, il est des Infidèles qui échappent au blâme et se trouvent même valorisés (comme certains Sarrasins d’épopée, d’ailleurs). G. Paris le mentionne bien dans l’introduction de son édition. Voir aussi P. Bancourt, « De l’Image épique à la représentation historique du musulman dans l’Estoire de la guerre sainte d’Ambroise (l’Estoire et la Chanson d’Aspremont) », Senefiance, 20, 1987, pp. 230-231. Retour au texte

8 Nous nous permettons de renvoyer à notre thèse : Représentations littéraires de l’étranger au xiie siècle, Paris, Champion, 2007, chapitre 1. Retour au texte

9 G. Bührer-Thierry, « Des païens comme chiens dans le monde germanique et slave du Haut Moyen Âge », Impies et païens entre Antiquité et Moyen Âge, Paris Picard, 2002, pp. 175-187. Retour au texte

10 « Paysage, faune, hommes, détails de mœurs, la fonction première de l’exotisme est, nous semble-t-il, de “donner à voir”. […] Il s’ensuit que les écrivains exotiques ne peuvent jamais éluder la description », R. Antoine, « La relation exotique », Revue des sciences humaines, 37, 1972, p. 374. Retour au texte

11 Le seul exemple d’Aliscans, œuvre datée d’environ 1185, donc quasi contemporaine de notre Estoire de la guerre sainte, est représentatif de cette tendance. Il n’y a qu’à songer aux figures particulièrement pittoresques de Flohart ou d’Agrapart. Retour au texte

12 Ce détail fait la différence entre Occidentaux et Orientaux, voir P. Ménard, « Les combattants… », art. cit., p. 507 ; P. Bancourt, « De l’Imagerie au réel : l’exotisme oriental d’Ambroise », Senefiance, 11, 1982, p. 32. Retour au texte

13 Ce type de scène est extrêmement fréquent. Voir C. Bouillot, « La Chevelure : la tirer ou l’arracher, étude d’un motif pathétique dans l’épique médiéval », Senefiance, 50, 2004, pp. 35-45. Retour au texte

14 Cet élément figure dans Aspremont, comme le rappelle P. Bancourt, « De l’image épique… », art. cit., p. 235. Voir A. Moroldo, « Le Portrait dans la chanson de geste », Le Moyen Âge, 86, 3-4, 1980, pp. 400-401. Retour au texte

15 Voir la mise au point de F. Laurent, « ‘Si li a coupee la trece, dont el a au cuer grant destrece’. De l’art du tressage à la science du piège dans le fabliau Des tresses », Senefiance, 50, 2004, pp. 245-246. Retour au texte

16 Vv. 6215-18 (éd. anglaise, vv. 6208-11). Le nom de ce peuple peut faire songer aux « Nigres », peuple sarrasin cité dans la Chanson de Roland (v. 3229), éd. et trad. G. Moignet, Paris, Bordas, 1989 (3e éd.). Retour au texte

17 Voir dans Aliscans, éd. C. Régnier, Paris, Champion, CFMA, 1990 : « noir com arrement » (v. 5927) ; « plus noirs que arrement triblez » (v. 4551) ; « noirs plus que n’est pois boillie » (v. 5322). Dans La Chanson de Roland : « plus sont neirs que nen est arrement » (v. 1933) ; « neirs come peiz ki est demise » (v. 1474). Retour au texte

18 Vv. 3349-57 (éd. anglaise, vv. 3344-52 ; t. 2, p.79, note 249). Retour au texte

19 Vv. 3351, 3356 ; cela permet même de forger une périphrase : « cil as roges chapels », v. 3367. Voir P. Bancourt, « De l’Imagerie… », art. cit., p. 33. Dans « L’Utilisation de l’Itinerarium peregrinorum par l’Estoire de la guerre sainte : traduction et adaptation », Par les Mots et les textes. Mélanges offerts à C. Thomasset, Paris, PUPS, 2005, pp. 812-813, F. Vielliard voit dans le texte d’Ambroise un calque de l’Itinerarium peregrinorum : « habentes in capitibus rubia tegumenta = a roges chapels en lor testes », traduction qui est ensuite amplifiée par Ambroise. Retour au texte

20 Respectivement Aliscans, v. 6262 ; Le Couronnement de Louis, vv. 506 (éd. E. Langlois, Paris, Champion, CFMA, 1925), 509 (éd. Y. Lepage, Genève, Droz, 1978). Cette réminiscence littéraire diminuerait alors la portée ethnologique de cette description dont parle C. Croizy-Naquet, « Les Figures du jongleur dans l’Estoire de la guerre sainte », Le Moyen Âge, 2, 104, 1998, pp. 244-245. M.-M. Castellani m’a renvoyé, pour sa part, à la description des Bédouins dans l’Histoire Orientale de Jacques de Vitry, traduite et annotée par M.-G. Grossel, Paris, Champion, 2005, p. 107 : « Ils portent des coiffes rouges avec des manteaux amples ». Je la remercie de cette suggestion. Retour au texte

21 Elle est signalée par P. Bancourt, « De l’Imagerie… », art. cit., p. 34 ; voir C. Croizy-Naquet, « Deux représentations de la troisième Croisade : l’Estoire de la guerre sainte et la Chronique d’Ernoul et de Bernard le Trésorier », Cahiers de civilisation médiévale, 44, 2001, p. 317. Retour au texte

22 C. Croizy-Naquet, « Les Figures du jongleur… », art. cit., p. 230. Retour au texte

23 Malgré l’existence des portraits contrastés auxquels nous avons déjà fait allusion. Retour au texte

24 Vv. 1527, 1592, 1605, 3817, 3896, 4684, 4988 ; combiné au verbe « crier » au v. 4902. Retour au texte

25 Vv. 6522, 9368 ; associé à « huer », v. 11162 ; associé à « huer » et « crier », v. 6038, 11452 ; associé à « taburer », v. 11444 ; « taburer e crier e braire », v. 4012. Retour au texte

26 « Chenaille », « chiens », « gent achenee ». Retour au texte

27 Vv. 5657-66 (éd. anglaise, vv. 5650-59). Cette tactique de guerre rappelle celle qui déconcerte les croisés : « les croisés ignoraient tout des méthodes de combat de leurs adversaires et, malgré les conseils d’Alexis, ils furent totalement désorientés par leur tactique. Ils attaquent en plusieurs colonnes, refusant la mêlée, virevoltant autour des formations ennemies en lançant, de loin, leurs javelots. Puis ils se débandent en tous sens avant de se reformer pour une nouvelle attaque. De plus, à la charge massive des chevaliers francs, ils n’opposent aucune charge en sens contraire, mais se dispersent en tous sens en une fuite réelle ou simulée. Enfin, même et surtout dans cette fuite, ils sont redoutables car ils attirent ainsi leurs poursuivants dans des embuscades, ou bien, se retournant, décochent sur eux de leurs petits arcs des flèches mortelles, sans cesser de chevaucher », J. Flori, Pierre l’Ermite et la première Croisade, Paris, Fayard, 1999, p. 326. Je remercie M.-M. Castellani qui m’a invité à faire ce rapprochement. Retour au texte

28 « Asplovoir » : vv. 5011, 6017, 6113, 11194 ; verbe utilisé une fois pour désigner les croisés, v. 298. « Esploveir » : v. 5706. Retour au texte

29 V. 5908. L’édition anglaise suggère que « by poignanz Ambroise possibly means scorpions », p. 113, note 396. Retour au texte

30 Vv. 5917, 5927, 5930. Retour au texte

31 Vv. 2173-74 et 2180. L’édition anglaise précise p. 63, note 174 : « according to an eighth- or ninth- century Byzantine text on tactics, scorpions and snakes might be thrown at the enemy », J. R. Partington, A History of Greek Fire and Gunpowder, Cambridge, 1960, p. 18. Retour au texte

32 F. Collard, « Une arme venue d’ailleurs. Portrait de l’étranger en empoisonneur », L’Étranger au Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2000, pp. 95-106. Retour au texte

33 Le Roman d’Alexandre, trad. L. Harf-Lancner, Paris, Livre de poche, 1994, v. 1241, 1322. Alexandre de Paris mentionne des serpents à de très nombreuses reprises (laisses 67, 68, 77, 78, 85, 87 par exemple). J. Le Goff, « L’Occident médiéval et l’océan indien : un horizon onirique », Pour un autre Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1977, p. 287 : « Avec lui [Alexandre] la science-fiction médiévale, le merveilleux géographique, la tératologie pittoresque débouchaient sur l’aventure, s’ordonnaient en une quête de merveilles et de monstres ». Retour au texte

34 R. Antoine, « La relation… », art. cit., p. 377 ; M. Guéret-Laferté, Sur les Routes de l’empire mongol. Ordre et rhétorique des relations de voyage aux xiiie et xive siècles, Paris, Champion, 1994, p. 211 : « Le regard du voyageur est fortement conditionné par son héritage culturel, ses propres habitudes mais aussi ses connaissances. Reconnaître « l’autre », c’est le rattacher au connu, et donc travestir son altérité ». Retour au texte

35 C. Croizy-Naquet, « Les Figures du jongleur… », art. cit., p. 256. Retour au texte

36 Ambroise opère donc déjà ce qu’observe M. Guéret-Laferté pour des auteurs postérieurs, Sur les Routes…, op. cit., 3e partie, chap. 3 : « la rationalisation du merveilleux », pp. 257-279. Quand F. Affergan écrit à propos du Moyen Âge : « à la place de l’altérité se substitue celle de l’imaginaire sous la triple figure du merveilleux / prodigieux, du monstrueux et de l’animalité. Font exception Marco Polo et Ibn Batuta. Quoi qu’il en soit, le visage de l’autre est altéré, car il apparaît à travers le voile fantasmagorique d’un univers de monstres et de bêtes déjà préconstruit. […] En ce sens, la figure de l’Autre, déjà construite avant le voyage, ne constitue ni une surprise ni un événement puisqu’elle a pour fonction épistémique d’épouser intimement le modèle », (Exotisme et altérité, Paris, PUF, 1987, pp. 11-12), il conviendrait de faire une mention spéciale à Ambroise : ce dernier souligne chez les Infidèles ce à quoi il pouvait s’attendre à partir de ses connaissances littéraires (ce qui est aussi le référent de son auditoire et qui constitue donc un horizon d’attente), mais il s’en tient à des éléments raisonnables sans céder à l’outrance. Le public voit ses attentes comblées seulement grâce au réseau d’images mises en place. Retour au texte

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Référence papier

Wilfrid Besnardeau, « Les Infidèles dans l’Estoire de la guerre sainte d’Ambroise », Bien Dire et Bien Aprandre, 26 | 2008, 69-80.

Référence électronique

Wilfrid Besnardeau, « Les Infidèles dans l’Estoire de la guerre sainte d’Ambroise », Bien Dire et Bien Aprandre [En ligne], 26 | 2008, mis en ligne le 01 mars 2022, consulté le 19 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/bien-dire-et-bien-aprandre/905

Auteur

Wilfrid Besnardeau

Université de Versailles-Saint-Quentin

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