De la disparition d’une lettre

Les traductions anglaise et américaine du Ravissement de Lol V. Stein

DOI : 10.54563/cahiers-duras.258

Abstracts

Cet article lit les traductions anglaise et américaine du Ravissement de Lol V. Stein réalisées par Eileen Ellenbogen et Richard Seaver comme le prolongement de la dynamique du ravissement à l’œuvre dans le roman de Duras. Entre capture et abandon, l’acte de traduire témoignerait de l’impossibilité de réaliser une fusion érotique et langagière avec une histoire originelle qui échappe toujours. Partant du destin des lettres dans les traductions de langue anglaise – l’absence ou l’expansion de ces éléments stylistiques si essentiels à la poétique durassienne –, l’article étudie les effets qu’impliquent les choix des traducteurs quant aux questions de musicalité, d’identité et d’érotisme. Les différences des deux traductions sont mises au jour à travers l’étude de leurs efforts pour aborder la répétition et le rythme de l’écriture durassienne. La traduction, qui ne peut que trancher dans l’ambivalence du texte source, se lit comme une forme de réappropriation subjective et nécessairement incomplète, une expression renouvelée du désir.

This article reads the English and American translations of Le Ravissement de Lol V. Stein undertaken by Eileen Ellenbogen and Richard Seaver as a prolongation of the dynamics of ravissement at work in Duras’s novel. Between capture and abandonment, translation bears witness to the impossibility of achieving an erotic and linguistic fusion with an ever-escaping original story. Beginning with the fate of certain letters in the English-language translations – the absence or expansion of these stylistic elements which are so essential to Duras’s style – the article studies how the translators’ choices affect questions of musicality, identity and eroticism. The differences between the two translations are demonstrated through a study of their efforts to deal with the repetitions and the rhythm of Duras’s prose. Translation, which must make choices amidst the source text’s ambivalence, can be read as a form of subjective and necessarily incomplete reappropriation: a renewed expression of desire.

Text

Lorsque Lol V. Stein parle du bonheur à la demande de son amie Tatiana Karl, c’est une image de la mer vue dans un miroir qui lui vient à l’idée :

L’autre soir, c’était au crépuscule, mais bien après le moment où le soleil avait disparu. Il y a eu un instant de lumière plus forte, je ne sais pas pourquoi, une minute. Je ne voyais pas directement la mer. Je la voyais devant moi dans une glace sur un mur. J’ai éprouvé une très forte tentation d’y aller, d’aller voir (R1, p. 366).

Dans cet instant fugace, où une diaphanéité crépusculaire s’allie à une opacité murale, la mer vue par Lol est à portée de main et pourtant très lointaine. L’image sous ses yeux est à la fois frontale et indirecte, éveillant en elle le désir de s’en approcher. Lire un roman de Marguerite Duras en traduction, c’est comme voir la mer dans un miroir. La glace promet le reflet d’un ailleurs qu’on rêve de rejoindre – le texte source dans sa langue de départ, là où l’histoire s’origine –, tout en nous confrontant à l’impossibilité de rallier totalement ce texte, de résorber l’écart esthétique entre la version en langue étrangère et l’histoire originelle. Plonger dans le miroir, céder à la tentation d’aller voir, c’est appréhender la traduction et ses rapports avec le roman d’origine dans leur distance, mais aussi être sensible aux merveilleuses iridescences de signification qui viennent au jour dans le passage d’une langue à l’autre. De loin, l’océan textuel présente un aspect étal, uni, mais il suffit d’y entrer pour prendre la mesure des difficultés lexicales, syntaxiques et stylistiques que le traducteur rencontre à chaque phrase, telles les profondeurs qui se forment entre le creux et la crête de chaque vague. Avec Le Ravissement de Lol V. Stein (1964), celle qui tient son nom de l’entre-deux-mers ne pourrait être mieux servie en matière de traduction. Il existe deux éditions anglophones du roman : l’une britannique, réalisée par Eileen Ellenbogen, The Rapture of Lol V. Stein, l’autre américaine, préparée par les soins de Richard Seaver, The Ravishing of Lol Stein2. Dans cette triangulation de textes, il s’agit de percevoir les miroitements de sens qu’implique le déplacement du Ravissement vers une autre langue et d’approcher, par le biais de l’analogie, ce que traduire Duras veut dire.

La question de la traduction et de ses difficultés irrigue Le Ravissement de Lol V. Stein, dont les personnages féminins sont autant de belles infidèles et les personnages masculins autant de faux amis. Peu après la conversation entre Lol et Tatiana sur le bonheur à laquelle il assiste, Jacques Hold avouera : « Je vois des murs, lisses, qui n’offrent aucune prise, ils n’étaient pas là tout à l’heure, ils viennent de s’élever autour de nous. […] Mon ignorance elle-même est enfermée. Lol se tient devant moi, elle supplie de nouveau, je m’ennuie brusquement à la traduire » (R, p. 347). Le verbe à l’infinitif est d’emblée associé à la force d’un refus. Et, en effet, quand les protagonistes arriveront enfin à entreprendre le voyage projeté de T. Beach, Lol, parlant à nouveau d’une vision marine perçue dans un miroir – celui de la salle d’attente de la gare –, se présente avec un corps « si lointain, et pourtant indissolublement marié à lui-même, solitaire » (R, p. 377). Obstacle herméneutique pour le narrateur, elle ne se laisse pas saisir. De surcroît, cette difficulté s’étend au-delà de la diégèse. Évoquant la première soirée chez Lol, laquelle mène les personnages à cette ultime conjoncture, Duras elle-même remarque : « L’attitude de Lol V. Stein, cette connivence qu’elle a avec Jacques Hold pendant ce dîner et qui a changé la fin du livre, je ne sais pas la traduire » (La Vie matérielle [1987], OC, IV, p. 324). Ignorance et négation encore. Les constats du narrateur et de l’auteur concourent pour soulever la résistance du roman et de ses personnages à être traduits. Or, c’est en ceci que la traduction rejoint à sa manière le défi inhérent à toute écriture : « Ce premier mot, ce premier cri on ne sait pas le crier. Autant appeler Dieu. C’est impossible. Et cela se fait » (Le Navire Night [1979], OC, III, p. 451-452). Puisque la résistance à être traduit émerge du texte lui-même, et que cette impossibilité de rejoindre une première langue se trouve inscrite à même l’histoire du Ravissement, il sera surtout question ici de voir comment la traduction, dès lors qu’elle prend au sérieux la langue de l’écrivain, porte témoignage dans son élaboration du dilemme de langage à l’œuvre dans l’écriture de Duras. Autrement dit : lire l’acte de traduire comme on lit le verbe ravir, dans son double sens d’enchantement et d’enlèvement, en ce qu’il implique de capture et d’abandon. Prendre acte de l’impossibilité afin d’étudier ces traductions nécessite, bien entendu, de renoncer à suivre les ornières somme toute scolaires de l’axiologie, d’abandonner de vaines tentatives pour qualifier les choix de Richard Seaver ou d’Eileen Ellenbogen – dont la compétence est au-dessus de tout soupçon – de bonne ou de mauvaise traduction. C’est pourquoi je m’emploierai surtout à analyser les effets de sens qu’impliquent les choix stylistiques retenus par les traducteurs, et à interroger la dynamique que leurs traductions entretiennent avec le texte source.

C’est sous le signe de la disparition que s’écrit l’histoire de Lol et que s’élabore la traduction de cette œuvre. L’héroïne est constituée par la fragilité de son identité, associée sans cesse aux motifs de la fuite (« elle vous [fuit] dans les mains comme l’eau » – R, p. 288) et de la fadeur (de son manteau gris à son alliance inodore, en passant par ses cheveux blonds). L’effacement de son identité, qui mêle le deuil et le désir, culmine dans un scénario érotique où, omise des rapports sexuels qui se déroulent sous ses yeux « dans l’encadrement de la fenêtre, ce miroir qui ne reflétait rien », Lol peut enfin « délicieusement ressentir l’éviction souhaitée de sa personne » (R, p. 350). Or la perte constitutive du personnage de Lol affleure d’une manière toute particulière dans la traduction réalisée par Richard Seaver, The Ravishing of Lol Stein. Dès son titre, la version américaine omet systématiquement le V. du nom de l’héroïne éponyme, répercutant la crise de nomination du roman, la redoublant dans la langue étrangère. En effet, le choix de Seaver est l’écho d’un processus en cours dans l’écriture de Duras, car le nom de l’héroïne a déjà subi une première ablation quand Lola est devenue Lol. Dans la version américaine, l’apocope durassienne se mue en ellipse et le V. s’envole à son tour. Toutefois, c’est plus qu’une simple lettre qui disparaît dans ce rapt. On le sait : les noms donnés à Lol ne sont jamais anodins. Si Lola est le nom de l’enfance, entendu surtout dans la bouche de son amie d’autrefois Tatiana, Lol Stein (sans V.) est celui de l’ouï-dire, de sa réputation dans la ville de S. Tahla. C’est ainsi qu’elle est connue de Jean Bedford au moment où il la croise errant dans la rue : « elle était peut-être Lol Stein » (R, p. 297), pense-t-il. Dire de l’héroïne, comme l’affirme la version américaine, qu’après le bal de T. Beach : « She uttered her own name with anger: Lol Stein – she always referred to herself by her full name » (RS, p. 14), là où le français précise qu’elle « prononçait son nom avec colère : Lol V. Stein – c’est ainsi qu’elle se désignait » (R, p. 294) confine le personnage à une certaine version de son identité – celle d’avant le bal – et prive Lol de la possibilité de se désigner comme elle l’entend. L’ironie n’éclate que davantage par l’utilisation du terme « full name » (nom complet) dans la traduction anglaise : car c’est précisément ce qui est dénié à Lol dans cette transformation linguistique. Il est alors tentant de lire ce V. enlevé comme une métonymie de ce qui se perd dans le passage d’une langue à l’autre. À la manière d’une nouvelle vague qui recouvre la plage, la traduction participe à son tour de l’érosion de l’identité de la protagoniste : Lol, l’être disparu. Par ailleurs, la décision de Seaver efface quelque peu l’effet incantatoire de ce nom qui contribue à son charme et ébranle les éventuelles significations qu’on peut attribuer à ces initiales, dont la fameuse formulation de Lacan suggère toute la richesse cryptée : « Lol V. Stein : ailes de papier, V., ciseau, Stein, la pierre, au jeu de la mourre tu te perds »3. Ici, le ciseau fait lui-même l’objet d’une coupure. « Soleil cou coupé »4.

Le V. n’est pas la seule lettre à disparaître quand le roman passe par le crible de la traduction. Traduire, c’est faire œuvre de déchiffrement herméneutique aussi bien qu’onomastique. Par un procédé inverse – l’étoffement plutôt que l’ellipse – mais qui produit paradoxalement le même effet d’effacement alphabétique, les noms de lieux se transforment sous la plume de Richard Seaver. S. Tahla devient South Tahla ; T. Beach devient Town Bridge ; U. Bridge devient (le très peu poétique) Uxbridge. Finie l’abréviation. Les toponymes gagnent en précision géographique, et paraissent plus ancrés dans une géographie anglo-américaine, apparemment rapprochés d’un univers référentiel familier aux lecteurs anglophones. Et cependant, comme nous l’apprend le coup de projecteur qui soulève le cri de Lol lors de son retour à la salle de bal, un excès de clarté peut éloigner d’un lieu originaire bien plus qu’il n’en rapproche. Ainsi éclairés, les lieux désignés par ces termes courent le risque de retourner à leur banalité. Déchiffrés, ils perdent leur qualité énigmatique à laquelle s’attache le drame de ces personnages, plongés qu’ils sont dans un monde qu’ils ne savent ni comprendre ni habiter. « Il en sera comme pour S. Tahla maintenant, ruinée sous ses pas du présent » (R, p. 379-380). Cette fois-ci, Seaver travaille dans le sens inverse de Duras, dont les partis pris, quoique tardifs, vont dans le sens d’une écriture chiffrée ou cryptée, si bien que dans la version américaine du roman, la perte résulte d’un trop-plein5. Chez Duras, ce que ces lettres S, T, U… charrient en elles, c’est moins la localisation qu’un effet d’égarement. Elles font signe par un élément graphique suspendu « dans l’orient pernicieux des mots » (R, p. 350) vers un ailleurs inaccessible, que l’œuvre n’aura de cesse de faire résonner par la suite6. Mais l’anglais de Seaver peine à laisser flotter l’ailleurs dans sa dimension insituable. De sorte qu’au moment où il lui faut traduire le mot ailleurs, le traducteur a recours à des guillemets : « I suspect that it was there, in the monotony of the rain, that she found that “elsewhere,” that uniform, insipid, and sublime “elsewhere” which she cherished more than any other moment in her present existence, that “elsewhere” she had been looking for since her return to South Tahla »7 (RS, p. 34). Il semblerait que devant tant d’étrangeté comme devant un horizon qui recule, la traduction hésite entre transparence et opacité, et rejoint cette incertitude que Jacques Hold devine chez Lol : « La transparence m’a traversé, je la vois encore, buée maintenant, elle est allée vers autre chose de plus vague, sans fin, elle ira vers autre chose que je ne connaîtrai jamais, sans fin » (R, p. 368). Aussi la traduction ne devine-t-elle que de loin ce lieu qui n’existe pas, porté par la petite musique du texte, « plus vague et plus soluble dans l’air / Sans rien en lui qui pèse ou qui pose »8.

À côté des phénomènes d’érosion graphique et d’éclairage sémantique qui empêchent le texte traduit de se raccorder avec une langue originelle, laquelle paraît cependant étrangement anticiper ces difficultés, affleure un troisième écueil : l’écho. Duras s’emploie à faire entendre les mots dans leur pureté sonore, consciente que l’érotisme d’un texte tient avant tout au bruissement de la langue, à la signifiance plus qu’à la signification9. En témoigne le lyrisme des descriptions de Tatiana, où la sensualité de l’attribut tient au rythme du phrasé et à son effet incantatoire : « Ses yeux sont veloutés comme seuls les yeux sombres le sont » (R, p. 328), « Tatiana est nue sous cheveux noirs » (R, p. 346). De cette dernière phrase Jacques Hold dit : « Je l’entends avec une force assourdissante et je ne la comprends pas » (ibid.). Tenue par la fragile musicalité de la prose, la charge érotique de l’écrit pâtit du passage d’une langue à l’autre chez Seaver comme chez Ellenbogen. « Her eyes are like the way only dark eyes can be » (RS, p. 74) et « Her eyes are velvety, as only dark eyes can be » (EE, p. 56), traduisent-ils respectivement10. En l’absence des effets allitératifs portés par certaines lettres, la volupté due aux sifflantes et aux nasales dans le texte français se dissipe, la luxuriance du rythme disparaît. Mais, là aussi, l’échec de la sensualité, l’échec de la rencontre charnelle, est l’une des caractéristiques du roman, où l’ambition érotique et les moyens pour y parvenir sont en général dans l’inadéquation. De même qu’un écho s’entend forcément dans l’imperfection de sa reprise d’un son initial, de même, tout effort de traduction tente de reproduire une écriture et faillit, immanquablement, dans son dessein. Cette situation est particulièrement perceptible dans la traduction des pronoms personnels de la troisième personne. On le sait : Duras ménage constamment dans son écriture une mélopée autour du mot elle(s). Toutefois, ce pronom est doté d’une souplesse que ne possède pas la langue anglaise, qui, pour sa part, fait appel à de nombreux mots pour accomplir les fonctions que peut occuper la seule forme elle(s). Variations qui tiennent au singulier et au pluriel (she/they), au statut animé ou inanimé de l’antécédent (she/it), à la fonction grammaticale (she, her, they, their). En anglais, elle(s) vole en éclat. Mélopée minorée donc, à quoi s’ajoute – et c’est plus grave encore – la blessure de l’ambivalence. Car la possibilité de confusion qu’offre le pronom français et qui se trouve, tout autant que la musicalité des mots, au cœur de l’érotisme que le pronom convoie, n’existe plus en anglais. C’est comme si l’impossibilité de la fusion fantasmée que le texte français soupçonne se voyait désormais entérinée, définitivement fendillée11. Obligé de retrancher, l’anglais opère une exclusion là où l’on rêvait d’inclure voire d’engloutir. Il arrache les personnages de la zone de flou érotique où ils aimeraient se tenir. Il en va de même d’ailleurs pour d’autres pronoms de la troisième personne : « on », « la », « lui ». En français, lorsqu’à l’Hôtel des Bois, Jacques Hold tient Tatiana dans l’encadrement de la fenêtre, alors que Lol est allongée dans le champ de seigle, il est impossible de savoir au profit de quelle femme il met en scène l’autre : « Ainsi, Tatiana, je la lui ai montrée » (R, p. 349). La langue anglaise, ne supportant pas grammaticalement cet érotisme trouble de Jacques, tranche : « Thus it was that I showed her to Tatiana » (RS, p. 112) ; « Thus, I pointed her out to Tatiana » (EE, p. 85). Si la traduction échoue – comme elle ne peut manquer de le faire – sur ces écueils, c’est que l’écriture durassienne l’égare, l’entraînant au large des Sirènes ou dans l’étroit passage entre Charybde et Scylla, vers les récifs d’une chimérique fusion contre lesquels la langue anglaise ne peut que se fracasser, au bord de l’oblitération et de l’oubli.

Face aux ambiguïtés foncières de l’écriture durassienne, Richard Seaver et Eileen Ellenbogen tentent alors d’amarrer le discours. Leurs efforts pour comprendre le texte les conduisent par moments à adopter des approches similaires. Dans la mesure où ils s’évertuent à domestiquer la sauvagerie d’un texte qui rechigne à tout effort d’appropriation, ils procèdent tous deux à la manière de Jacques Hold, qui tente de faire tenir ce qui lui résiste. À l’instar du narrateur, le traducteur doit à son tour « inventer les chaînons qui [lui] manquent dans l’histoire de Lol V. Stein » (R, p. 37), échafauder des hypothèses, inventer de quoi combler les lacunes. De ce fait, les traductions tirent l’écriture durassienne vers certains topoï, privilégiant parfois des images bien établies au risque d’anéantir une certaine étrangeté présente dans la langue de départ. Aussi la « dormeuse debout » (R, p. 300) qu’est Lol se transforme-t-elle en une « sleeping beauty » (une Belle au Bois dormant), dans les deux versions anglophones (RS, p. 24 ; EE, p. 18) et l’expression se rapproche de l’univers familier du conte. De même, le « palais fastueux de l’oubli » (R, p. 305) que constitue S. Tahla se métamorphose en une fête foraine, « a gaudy fun-fair for her to wander in » (EE, p. 25), tandis que la figure d’Anne-Marie Stretter, « Ève marine que la lumière devait enlaidir » (R, p. 290), est réinventée en une muse balnéaire dont la beauté passe inaperçue, « a seaside Eve whom the light did not do justice to » (RS, p. 6). Ce mouvement des traductions vers un registre topique est particulièrement remarquable dès que le roman évoque la folie de Lol. Le sfumato durassien autour de cette folie se dissipe au profit d’un langage diagnostic aux arêtes plus définies, où des mots associés à la pathologie et des termes aux accents psychanalytiques sont plus appuyés. Chez Seaver « l’ordre rigoureux » (R, p. 300) de Lol est rendu par « obsessive orderliness » (RS, p. 22) ; une « crise douloureuse » (R, p. 305) par « a traumatic experience » (RS, p. 32), la « crise de Lol » (R, p. 324) par « Lol’s breakdown » (RS, p. 67). Quant à Ellenbogen, elle voit dans la « vie mentale » (R, p. 295) une question de « mental health » (EE, p. 11), dans « Lol […] profondément atteinte » (R, p. 299) une jeune femme « incurably insane » (EE, p. 16), et, au-delà du qu’en dira-t-on qui pourrait éventuellement justifier la formulation qu’empruntent ces hâtifs jugements médicaux, dans le jugement de Tatiana sur la « passion » (R, p. 324), « the delirium of love » (EE, p. 50). Évidemment l’étrangeté du personnage n’est pas niée en ces occurrences, mais l’aliénation qui la caractérise est prise en charge par un langage pathologique qui lui assigne un sens autre, plus proche d’une étude de cas.

Cependant l’observateur qu’est Jacques Hold, plus amant que médecin, n’est pas à une contradiction près. Si les traducteurs suivent tous deux ces pas, par moments ils divergent dans la manière dont chacun réajuste le rythme et les procédés de répétition propres au style durassien. Une telle divergence, les couleurs dont se teint chaque traduction, témoigne de cette faille que Michael Sheringham constate chez le narrateur-personnage12. Le critique voit Jacques Hold comme étant écartelé entre le désir de prolonger son expérience avec Lol (en tant que personnage) et le désir de la comprendre, de faire d’elle un objet de connaissance (en tant que narrateur). Jacques Hold doit lutter pour la possession de ce récit, pour raconter « [son] histoire de Lol V. Stein » (R, p. 289). Il en va de même pour les traducteurs qui lui emboîtent le pas, et dont la subjectivité influe forcément sur l’histoire et sa narration. Robert Seaver procède surtout par étoffement, variant les synonymes dans les répétitions durassiennes, comme si, pour lui, la souffrance exprimée par le texte trouvait encore et toujours d’autres voies pour se dire. Il est attentif à dévoiler l’implicite du langage ramassé de Duras, et tâche de le délayer pour en illustrer l’étendue. Différence dans la répétition. À titre d’exemple, la phrase : « elle ne luttait jamais contre l’ennui, jamais une larme de jeune fille » (R, p. 326) se déplie dans ses méandres : « she never made the least effort to combat boredom, nor had she ever been known to shed a sentimental schoolgirl’s tear » (RS, p. 71). L’explication qu’offre l’anglais pointe les sous-entendus, met au jour la lassitude de Lol, son atonie affective. À l’inverse, Eileen Ellenbogen compacte la phrase et accentue la sécheresse du style de Duras, jusqu’à en faire un style coupé. Elle privilégie systématiquement le point plutôt que la virgule, et coupe les phrases longues plutôt que d’en reproduire les amples enchaînements de subordonnées. Ainsi, l’ampleur de la phrase complexe décrivant la chevelure de Tatiana et sa sensualité aussi débordante qu’enivrante se voit scindée en sept phrases plus courtes :

Elle était vêtue discrètement d’un tailleur de sport noir. Mais sa chevelure était très soignée, piquée d’une fleur grise, relevée par des peignes d’or, elle avait mis tout son soin à en fixer la fragile coiffure, un long et épais bandeau noir qui, au passage près du visage, bordait le regard clair, le faisait plus vaste, encore plus navré, et ceci qui aurait dû n’être touché que par le seul regard, qu’on ne pouvait sans détruire laisser au vent, elle avait dû – Lol le devine – l’avoir emprisonné dans une voilette sombre, pour que le moment venu il soit le seul à en entamer et à en détruire l’admirable facilité, un seul geste et elle baignerait alors dans la retombée de sa chevelure, dont Lol se souvient tout à coup et qu’elle revoit lumineusement juxtaposée à celle-ci (R, p. 314).

But her hair was elaborately styled, pinned up with gold combs, and threaded through with a grey flower. She had been at pains to secure the whole precarious structure with a broad head-band, which outlined her face, accentuating her huge, limpid eyes, and deepening their expression of anguish. Surely, hair dressed with such consummate art was only to be looked at, not touched, even by the lightest breeze. It must, Lol realizes, be held in place by a dark net. And all this so that, when the moment comes, it will be his privilege and his alone to send the whole magnificent edifice tumbling. A single movement, and the coils of hair will cascade about her body. Suddenly, Lol remembers that rippling cascade of hair, and sees it superimposed on Tatiana’s hair as it is now (EE, p. 37).

En anglais, l’écriture paraît plus escarpée, plus abrupte. Un procédé semblable est évident dans l’évocation de la peau de Tatiana (R, p. 323 ; EE, p. 49). C’est en effet la corporalité qui s’intensifie dans la traduction d’Ellenbogen. Le corps souffrant voire supplicié est mis en avant. Tatiana, jalouse de Lol, cherche à blesser Jacques Hold :

Elle ramasse ses forces, essaye de frapper plus loin, plus fort.
   – As-tu remarqué cette allure, ce corps, de Lol, à côté du mien comme il est mort, comme il ne dit rien ? (R, p. 371).

She braces herself to strike. This time she means it to be a hard, crippling blow.
   “Have you noticed how she holds herself, stiff as a corpse? Look at her, and then at me.
   You’ll never hear the blood pounding in those veins”
(EE, p. 114).

Dans la version anglaise, la frappe devient plus dure encore et l’aspect cadavérique du corps de Lol est amplifié, saisi dans la brutalité de sa physionomie.

Considérés ensemble, ces réagencements, répétition avec des variations d’un côté, travail de rythme et sa violence de l’autre, illustrent les multiples nuances du mot ravissement. Faire exister Lol, c’est revenir constamment à sa séduisante histoire, l’explorant sous différents angles, mais c’est aussi l’en arracher, réordonner son récit. Le travail de réappropriation qu’implique l’acte de traduire est particulièrement frappant dans la réorganisation syntaxique entreprise par Seaver et Ellenbogen, laquelle infléchit le regard que l’on porte sur les événements. L’écriture de Duras est empreinte d’une force de révélation qui tient à l’usage de la dislocation grammaticale. Dans cet usage de la syntaxe, le complément d’objet se place à l’attaque de la phrase, souvent accompagné d’un déterminant démonstratif, avant le sujet et le verbe qui le prennent en charge et qui le reprennent sous la forme d’un pronom anaphorique. Cela crée une impression de confrontation, suivie seulement dans un deuxième temps par un effort de compréhension. Mais les versions anglophones semblent affirmer le contraire, portant atteinte à la qualité épiphanique de la prose.

Ce qu’il peut advenir de Tatiana lorsqu’elle se recoiffe, nue, dans la chambre de l’Hôtel des Bois, je l’ignore déjà moins il me semble (R, p. 326).

It seems to me I already know a trifle more about what is going on inside Tatiana when, naked, she rearranges her hair in the room in the Forest Hotel (RS, p. 71).

Le texte traduit semble affirmer un savoir et une maîtrise épistémologique que le texte de départ désavoue, dans sa syntaxe et par ses procédés de modulation. Autre modification, plus loin :

Lol est toujours seule, des disques dans ses mains passent (R, p. 371).

Lol is […] going through the stack of records in her hands (RS, p. 149).

She is turning over the records (EE, p. 112).

Le réagencement syntaxique ici à l’œuvre confère à Lol une volonté dont elle est dépourvue. Mais cette emprise sur les événements est un leurre, un vœu que le roman ne saurait assouvir. Chez Duras, la vision se présente en même temps que la brisure qu’elle engendre, avec une simultanéité que les versions anglophones peinent à capter. Comparer les deux traductions d’une formule ramassée exprimant l’effondrement épiphanique ressenti par le narrateur confirme cette difficulté. À l’occasion de la rencontre entre Lol et Jacques dans le salon de thé à Green Town, ce dernier remarque : « Sa vue seule m’effondre » (R, p. 353). En anglais, la phrase devient « I feel myself crumbing at the mere sight of her » (EE, p. 91) ou bien « Merely seeing her unnerves me terribly » (RS, p. 119). Avec le choix du verbe « crumbling », le parti pris d’Ellenbogen insiste sur l’ébranlement, tandis que le verbe « unnerves » retenu par Seaver atténue quelque peu le trouble éprouvé. Cependant, la version de Seaver, grâce au gérondif « Merely seeing her », met davantage en avant la force de la vision par rapport à la modification syntaxique opérée par Ellenbogen, laquelle fait de Jacques le sujet de la phrase. Le français parvient à convoyer ces multiples nuances de concert.

C’est que Le Ravissement de Lol V. Stein, en proie à la répétition et à la réappropriation constantes, montre que chaque nouvelle itération de l’histoire porte la trace de son ultime incomplétude. Toujours reflet fuyant plutôt que restitution impeccable. Le récit s’écrit d’emblée à partir de cet inachèvement, que les tentatives de traduire le mot lui-même cristallisent. Dans le temps d’avant l’action du roman, Tatiana se pose une question concernant la relation entre l’héroïne et Michael Richardson : « Lol ne faisait-elle pas une fin de son cœur inachevé ? » (R, p. 288). Richard Seaver reprend l’expression « faire une fin » au sens de l’adoption d’une vie stable, et ouvre par ce choix la possibilité, fût-elle provisoire, d’un apaisement au mal-être de la protagoniste, voire l’espoir d’un accomplissement : « was this not a means whereby Lol was ending the days when her heart was not yet touched completely? » (RS, p. 4). Eileen Ellenbogen, en revanche, entend l’expression au sens d’une mise à mort : « was Lol perhaps in the act of strangling her heart at birth? » (EE, p. 3). Dans cette hésitation se lit le vacillement de l’espoir et son extinction. De sorte qu’à y retourner, le texte de départ semble nous souffler un troisième sens : « faire une fin », au sens d’un dessein, d’un projet d’inachèvement : « que d’inachèvements sanglants le long des horizons, amoncelés, et parmi eux, ce mot, qui n’existe pas, pourtant est là » (R, p. 309). Ellenbogen rend la phrase par « the welter of murderous suppressions and bloody abortions that pile up everywhere » (EE, p. 29), suggérant dans l’image d’avortements une forme brutale et démultipliée d’inaboutissement. Le récit existerait alors, comme son héroïne, dans cette béance-là, en attente d’un terme – dans toutes les acceptions de ce mot – qui jamais n’advient. On sait que c’est précisément la fin du bal qui retient l’attention de Lol parce qu’elle ne peut la retenir. Et que le mot-trou, ce point où le langage échoue, relève de cette fin qui se refuse. Après tout, Lol a raté l’échange entre Michael Richardson et Anne-Marie Stretter à la fin de leur danse (R, p. 340), elle ne peut que l’inventer. Et elle n’a trouvé aucun mot dont les rets auraient permis de retenir les amants auprès d’elle. Échec de l’écoute autant que de l’expression. Faillite sur toute la ligne. Il n’est donc pas surprenant que les paroles de Lol soient ponctuées de phrases incomplètes (R, p. 362, 366, 380). Sacrifice sanglant de toute équivalence exacte, la traduction met radicalement en scène l’inadéquation entre le mot et la chose, la redoublant de l’inadéquation entre les langues. Elle fait résonner, c’est-à-dire fait entendre à nouveaux frais, le langage dans son affligeante vacuité.

L’on a souvent mis en relation l’inlassable répétition que suscite l’écriture durassienne avec l’idée d’un traumatisme non maîtrisé. Depuis longtemps, cette interprétation a eu tendance à s’imposer dans la sphère critique anglophone, tant par la proximité des termes « rapture » et « ravishing » avec celui de « rape » (le viol), signe de la violence du ravissement et des rencontres charnelles du roman, aussi bien que par la prégnance des théories du trauma dans la critique littéraire anglo-américaine. À adopter cette perspective, Le Ravissement de Lol V. Stein en traduction prend l’air d’un acte de témoignage, un terme que Seaver et Ellenbogen emploient d’ailleurs de manière récurrente dans leurs textes. Témoigner, chez Duras, c’est reprendre un événement dans un autre temps, par l’intermédiaire d’une autre voix. C’est tenter d’ouvrir l’accès pour soi et pour les autres à un événement que l’on a manqué. Cela nécessite de réciter, raconter, redire, réécrire de multiples fois, dans la conscience des limites du langage à exprimer ce qui a été (ou n’a pas été) vécu. Si l’esthétique du « cycle indien » porte les traces de « la fin sans fin, [du] commencement sans fin de Lol V. Stein » (R, p. 385), cette quête du dire se renouvelle dans l’acte de traduction. Quête d’une origine perdue, traduire témoigne du mouvement saccadé du ravissement, entre le trépignement obstiné de la sidération et l’inépuisable poursuite du désir. Afin d’exister, elle est contrainte d’arrêter des choix, de fixer, fût-ce momentanément, une version de l’histoire, mais elle porte en même temps les stigmates de l’inévitable insuffisance de ses choix, sa nécessité de relance13. Elle insiste dans et malgré son temps de report, à travers ses déplacements, à travers ses lettres déportées, tel le h dans l’orthographe de S. Tahla, qui devient S. Thala dans L’Amour. C’est l’œuvre quand « un rêve est presque atteint », quand « elle est débordée par l’aboutissement, même inaccompli, de son désir » (R, p. 354).

Le Ravissement de Lol V. Stein est enté sur ce paradoxe du désir selon lequel les tentatives de l’épuiser ne font que le raviver. Danse des mots, le devenir de l’histoire de Lol ressemble à ce bal sans cesse revisité, qui s’étend jusqu’à son arrivée dans une sphère anglophone. Duras nous le dit : « C’est le bal qui grandit. Il fait des cercles concentriques autour d’elle, de plus en plus larges. Maintenant ce bal, les bruits de ce bal sont arrivés à New York » (La Vie matérielle, OC IV, p. 323). La remarque de l’écrivain entre en résonnance avec celle de Walter Benjamin qui, dans son essai, « La tâche du traducteur », prétend que dans une traduction « la vie de l’original, dans son constant renouveau, connaît son développement le plus tardif et le plus étendu »14. Ce renouveau, ce retour qu’est la traduction ressemblerait alors à cette scène où Jacques Hold tente de regarder les lieux du bal de T. Beach avec les mêmes yeux que Lol, si ce n’est les yeux mêmes de Lol. Ces efforts pour se mettre à la place de l’autre sont l’occasion de percevoir de « similitudes profilantes évanouies aussitôt qu’entrevues dans la nuit noire de la salle » (R, p. 383), de s’approcher à travers l’« autrement dit » d’une histoire originelle désormais perdue. Mais, après la visite de Jacques et de Lol au casino, assis sur la plage, enfin au bord de cette mer que Lol a entrevue dans le miroir, un autre spectacle s’offre à leurs yeux, tout aussi significatif :

La mer monte enfin, elle noie les marécages bleus les uns après les autres, progressivement et avec une lenteur égale ils perdent leur individualité et se confondent avec la mer, c’est fait pour ceux-ci, mais d’autres attendent leur tour. La mort des marécages emplit Lol d’une tristesse abominable, elle attend, la prévoit, la voit. Elle la reconnaît (R, p. 386).

Image d’engloutissement, d’étreinte, d’enlèvement. Attente d’une confusion rêvée mais jamais rejointe. Image de ravissement, donc. Comme cette scène, l’art désirant et endeuillé de la traduction consacre la mise en abyme du miroir, la course à l’abîme qu’est la reconnaissance, la faillite de l’identification. Traduire c’est alors faire l’épreuve tragique de notre incapacité, d’une langue à l’autre, à résorber l’écart avec les mots dans leur existence élémentaire, et cependant persister à témoigner de ce désir de ramener à soi l’écriture, dans le rapt d’une lettre disparue.

Notes

1 Les références au Ravissement de Lol V. Stein (1964) sont données entre parenthèses, sous la forme abrégée R, suivie du numéro de page, et renvoient à l’édition de référence parue dans les Œuvres complètes, t. II, éd. par Gilles Philippe, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2011, p. 285-388. Les autres textes de Duras sont également cités dans l’édition des Œuvres Complètes, éd. par Gilles Philippe, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2011 (t. I et II) et 2014 (t. III et IV) : dorénavant, OC, suivi de la tomaison et de la page. Return to text

2 Marguerite Duras, The Rapture of Lol V. Stein, trad. par Eileen Ellenbogen, Londres, Hamish Hamilton, 1967 (dorénavant : EE). Return to text

Marguerite Duras, The Ravishing of Lol Stein, trad. par Richard Seaver, New York, Grove Press, « Pantheon Modern Writers », 1966 (dorénavant : RS).

3 Jacques Lacan, « Hommage fait à Marguerite Duras du ravissement de Lol V. Stein », in Marguerite Duras, par Marguerite Duras, Jacques Lacan, Maurice Blanchot et al., Paris, Albatros, « Ça/cinéma », 1975, p. 131. Return to text

4 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools [1913], Paris, Gallimard, « Poésie », 1971, p. 14. Return to text

5 Voir Bernard Alazet, « Notice [du Ravissement de Lol V. Stein] », OC II, p. 1681-1701. Return to text

6 Voir dans Les Yeux bleus cheveux noirs (1986) le « nom d’une sonorité insolite, troublante, faite d’une voyelle pleurée et prolongée d’un a de l’Orient et de son tremblement entre les parois vitreuses de consonnes méconnaissables, d’un t par exemple ou d’un l » (OC IV, p. 216). Return to text

7 « Je crois qu’elle devait trouver là, dans la monotonie de la pluie, cet ailleurs, uniforme, fade et sublime, plus adorable à son âme qu’aucun autre moment de sa vie présente, cet ailleurs qu’elle cherchait depuis son retour à S. Tahla » (R, OC II, p. 306). Return to text

8 Paul Verlaine, « Art poétique », Jadis et Naguère, Œuvres poétiques complètes, éd. par Yves-Gérard Le Dantec, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1962, p. 326. Return to text

9 « Qu’est-ce que la signifiance ? C’est le sens en ce qu’il est produit sensuellement. » (Roland Barthes, Le Plaisir du texte, Paris, Seuil, « Tel Quel », 1973, p. 97). Thomas Baldwin interroge l’articulation de la signifiance, du rythme et de l’éros à partir de l’écriture proustienne dans son ouvrage Roland Barthes: The Proust Variations, Liverpool, Liverpool University Press, « Contemporary French and Francophone Cultures », 2019, p. 47-78. Return to text

10 On eût pu imaginer une traduction qui conserverait davantage ce rythme envoûtant : « Her eyes are of velvet in that way that only dark eyes ever are », mais les sonorités n’en demeurent pas moins absentes. Return to text

11 À titre d’exemple : « et Lol attend vainement qu’il la reprenne, de son corps infirme de l’autre elle crie, elle attend en vain elle crie en vain » (R, p. 310) est rendu par Eileen Ellenbogen « Lol waits in vain for him to resume it [Jack Hold’s task of ritual unveiling]. The frail body of her other self cries out in vain. It waits and whimpers in pain » (EE, p. 31). Image s’il en est de la solitude de Lol, réduite à un corps souffrant. La difficulté de l’anglais à faire signe vers cette impossible fusion est également illustrée dans les rapports sexuels entre Lol et Jacques Hold dans les dernières pages du roman (voir R, p. 387 ; RS, p. 179 ; EE, p. 136). Return to text

12 Michael Sheringham, « Knowledge and Repetition in Le Ravissement de Lol V. Stein », Romance Studies, nos 1/2, 1983, p. 124-140. Return to text

13 Que ce mouvement de relance émerge de l’écriture durassienne elle-même est évident. Analysant les déplacements du personnage dans les textes du « cycle indien », Florence de Chalonge remarque que « le mouvement, focalisé non pas tant sur son accomplissement que par sur ses contrecoups, ses effets-retard, continue, par-delà son achèvement, à témoigner du geste qui l’a porté » Ce phénomène se confirme à l’échelle de l’écriture tout entière (Florence de Chalonge, Espace et récit de fiction : le cycle indien de Marguerite Duras, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, « Objet », 2005, p. 103). Return to text

14 Walter Benjamin, « La tâche du traducteur » [1923], Œuvres, t. I, trad. de Maurice de Gandillac, Pierre Rusch et Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, « Folio-Essais », 2000, p. 247-248. Return to text

References

Electronic reference

Neil Malloy, « De la disparition d’une lettre : Les traductions anglaise et américaine du Ravissement de Lol V. Stein », Cahiers Marguerite Duras, [online], 1 – 2021, Online since 01 janvier 2021, connection on 19 septembre 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/cahiersmargueriteduras/258

Author

Neil Malloy

University of Warwick
neil.w.malloy@gmail.com