Réparer l’histoire ? L’image du lynchage de Laura Nelson entre les mains d’Agnès Geoffray

  • Repairing history? The image of Laura Nelson’s lynching in the hands of Agnès Geoffray

DOI : 10.54563/demeter.1681

Abstracts

Cet article s’intéresse à la série Incidental Gestures de l’artiste Agnès Geoffray. Cet ensemble de 16 images hétéroclites est présenté dans des accrochages muraux éclatés, parfois entremêlés à d’autres séries. Sur chacune d’elles, l’artiste a retouché un élément visuel, donnant à des photographies triviales des airs menaçants et vice-versa. Elle entend, à travers ses retouches, « réparer » les images et « rendre leur dignité » aux sujets photographiés. L’article propose d’étudier en particulier la photographie du lynchage d’une femme noire, intitulée Laura Nelson. L’artiste a en effet supprimé la corde à laquelle le corps était pendu, transformant ainsi radicalement l’image.
En prenant en compte le contexte historique de cette image et les études récentes sur les pratiques de réemploi d’images, l’article vise à déterminer la portée du geste de retouche de l’artiste. Est-il possible, et même souhaitable, de transformer l’image d’un corps supplicié en un « geste de douceur », comme l’affirme Agnès Geoffray, qui entend ainsi « faire acte de réparation » ? Quelles sont les conséquences de cette retouche sur la composition de l’image et sa réception ? Comment l’œuvre dialogue-t-elle avec l’histoire du lynchage et sa mémoire, encore active aujourd’hui ? Enfin, en retour, dans quelle conception des images et de l’art cette retouche inscrit-elle l’œuvre de l’artiste ? 
L’article s’attache dans un premier temps à déterminer l’ampleur des opérations de sélection et de retouches effectuées par l’artiste pour mesurer le déplacement opéré dans l’œuvre. Dans un second temps, l’article contextualise l’image à partir de sa source historique, afin de saisir la place accordée à l’histoire de ce lynchage dans l’œuvre. Enfin, il analyse la façon dont les choix curatoriaux prolongent les effets de la retouche pour faire advenir une nouvelle image, en contradiction avec la source historique.

This article studies the series Incidental Gestures by the artist Agnès Geoffray. This set of 16 images is presented in fragmented wall hangings, sometimes intertwined with other series. In each of them, the artist has retouched a visual element, giving trivial photographs a menacing air and vice versa. Through her retouching, she intends to repair” the images and restore dignity” to the subjects photographed. The article focuses on the photograph representing the lynching of a black woman, entitled Laura Nelson. Agnès Geoffray removed the rope from which the body was hung, radically transforming the image.
Taking into account the historical context of this image as well as recent studies on the practices of image reuse, the article aims to determine the scope of the artist's gesture. Is it possible, and even desirable, to transform a tortured body
into a gesture of gentleness” as stated by Agnès Geoffray who thus intends to make an act of reparation”? What are the consequences of this retouching on the composition of the image? How does the work engage with the history of lynching and its memory, which is still active today? Finally, what image and art theory does this retouching evoke? 
The article first focuses on determining the extent of the selection and retouching carried out by the artist in order to measure the shift visible in the work. Secondly, it contextualizes the image from its historical source in order to understand the place given to the history of this lynching in Geoffray’s work. Finally, the article analyzes the way in which curatorial choices extend the effects of retouching to create a new image, in contradiction with its historical source.

Outline

Text

Dans la série Incidental Gestures constituée entre 2011 et 2015, Agnès Geoffray a rassemblé des photographies trouvées. Cet ensemble de 16 images hétéroclites est présenté dans des accrochages muraux éclatés, parfois entremêlés à d’autres séries. Sur chacune d’elles, elle a retouché un élément visuel, donnant à des photographies triviales un aspect menaçant ou inversement. L’artiste a ainsi supprimé sur l’une les trapèzes du voltigeur, abaissé sur une autre le bonnet sur les yeux d’une nageuse, ou encore reconstitué le visage d’une gueule cassée et rhabillé d’une robe une femme accusée de collaboration à la Libération, humiliée et mise à nu par une foule vindicative. L’artiste, à travers ses retouches entend « réparer » les images et « rendre leur dignité1 » aux sujets photographiés.

Une des images de cette série attire l’attention, c’est la photographie d’une femme noire aux cheveux courts, la bouche entrouverte, les bras ballants2. La longue robe blanche qu’elle porte resserrée à la taille par une ceinture retombe sur ses pieds nus. Elle est en suspension au‑dessus d’un cours d’eau. Son corps semble flotter, comme en lévitation. Rien ne retient sa tête inclinée qui se détache nettement du ciel gris à l’arrière-plan. Le corps adopte alors une position ambiguë, entre la présence spectrale et le cadavre désarticulé difficile à saisir. Cette position provoque un sentiment de malaise, car lartiste a effacé de l’image la corde par laquelle cette femme a été pendue. Le titre de la photographie, Laura Nelson porte le nom de la femme représentée. C’est l’une des milliers de victimes de lynchages de Noirs commis dans le Sud des États-Unis au début du xxe siècle3.

En prenant en compte le contexte historique de cette image, on peut se demander quelle est la portée du geste de retouche de l’artiste. Est-il possible, et même souhaitable, de transformer l’image d’un corps supplicié en un « geste de douceur4 », comme l’affirme Agnès Geoffray, qui entend ainsi « faire acte de réparation5 » ? L’acte de retouche constitue-t-il un « geste de réparation […] qui rend sa dignité à la victime6 » ? Quelles sont les conséquences de cette retouche sur la composition de l’image et sur sa réception ? Et comment l’œuvre dialogue‑t-elle avec l’histoire du lynchage et sa mémoire encore active aujourd’hui ? Enfin, en retour, dans quelle conception des images et de l’art cette retouche inscrit-elle l’œuvre de l’artiste ?

Cet article propose ainsi d’interroger les limites et les impasses du geste de réparation d’Agnès Geoffray, dont la portée controversée n’a pas soulevé de critique dans la presse ou les travaux académiques. Nous nous appuierons pour cela sur les récents travaux qui ont démontrés tout l’intérêt d’une étude des pratiques artistiques de réemploi d’images en plaçant les œuvres et leur description au cœur de l’analyse7. Pour y parvenir, notre étude mettra en regard l’œuvre avec sa source photographique avant de se consacrer à ses modalités d’exposition.

Retoucher l’image

La retouche d’Agnès Geoffray paraît presque insignifiante et anodine, du moins au premier abord. C’est en tout cas ce que suggère le titre de la série Incidental Gesture, que l’on peut comprendre au double sens d’une action marginale ou d’un geste accidentel. L’artiste semble intervenir exclusivement sur la corde, qu’elle efface par un geste qui prétend, visiblement, « libérer » le corps de Laura Nelson du fardeau d’une mort violente. Pourtant, en remontant jusqu’au tirage d’origine, on remarque par comparaison que l’image présentée par Agnès Geoffray comporte d’autres retouches, ce qui n’a encore jamais été mentionné à propos de l’œuvre8.

L’effacement de la corde se révèle tout d’abord plus complexe qu’il n’y paraît, car l’artiste a visiblement supprimé la boucle de la corde qui barrait le visage de la victime, au niveau de la joue. Cela implique que pour reconstituer l’image, Agnès Geoffray a recomposé une partie du visage de Laura Nelson.

Outre la corde, la suppression la plus évidente est celle de la mention manuscrite qui figure au bas de l’image : « copyright-1911-g.h. farnum, okemah. okla 2898 » et dont on sait qu’elle était gravée directement sur le négatif, et donc présente sur tous les tirages9. En apportant des précisions concernant la date, le lieu et l’auteur de la photographie, cette mention situait l’image dans le Sud ségrégué des États-Unis, tout en attirant l’attention sur ses conditions de production.

L’absence de la poutre, qui dépasse à peine du haut du cadre sur le cliché d’origine, est tout aussi frappante. Il s’agit d’un morceau du pont depuis lequel le corps de Laura Nelson a été pendu. En rognant l’image, afin d’en exclure ce détail, l’artiste occulte à mon sens un élément décisif pour saisir ce qui est montré. En fermant l’image par le haut, cette poutre signalait ostensiblement la pendaison. Le recadrage modifie ainsi fondamentalement l’image avec pour conséquence d’isoler le corps de son environnement et d’associer la verticalité à une élévation et non plus à la pendaison.

Par ailleurs, d’autres clichés ont été pris de ce lynchage. Sur l’un d’eux, le corps de Laura Nelson, de dos, est visible à quelques mètres de celui de son fils. Le plan large intègre le pont et une foule qui s’y presse pour voir les corps, mais aussi pour être photographiée10. On y voit des hommes, des femmes et des enfants sourire, certains agitant la main en direction du photographe, exprimant ainsi le caractère exceptionnel de la scène (l’occasion est suffisamment importante pour porter une cravate, un chapeau et une chemise blanche) et le motif réjouissant que représente pour eux la mort de cette famille. C’est, à mon sens, toute cette épaisseur visuelle que contenait en puissance le petit morceau de pont rogné par Agnès Geoffray et qui ouvrait l’image vers son hors-champ.

Une autre modification apportée par l’artiste concerne la couleur. L’œuvre est en noir et blanc et non plus dans la teinte sépia d’origine, typique des tirages anciens11. Agnès Geoffray semble avoir privilégié ici la cohérence à l’échelle de la série plutôt que l’historicité du tirage original (la gamme des gris, visiblement étalonnée, est homogène d’une image à l’autre).

Enfin, s’il ne s’agit pas directement d’une intervention de l’artiste, rien ne subsiste non plus de la dimension matérielle de l’image. Ce lynchage a non seulement été photographié mais l’image était ensuite reproduite et diffusée sous forme de cartes postales, ce qui est visible sur le verso12. Autrement dit, l’œuvre oblitère ce qui inscrit cette image dans une véritable pratique sociale instituée autour des lynchages13.

L’effacement de la corde, renforcé par le rognage du pont, mais aussi par la modification de la teinte, la suppression de l’inscription du photographe et finalement l’absence du verso de l’image sont autant de choix et d’interventions de l’artiste qui mettent à mal l’historicité de l’archive et transforment un document en pur « visuel » malléable et modifiable impunément. Tout en voulant gommer la mort de Laura Nelson, l’œuvre ôte toute implication humaine au crime dont la photographie conservait pourtant la trace.

Soustraction historique

Dans l’œuvre d’Agnès Geoffray où rien n’évoque l’histoire de cette carte postale, elle n’est définitivement plus un objet, mais devient une image. Tout cela participe d’une soustraction tout autant visuelle qu’historique :

Sans doute, ce qui fait la singularité de ce travail sur le pouvoir, c’est ce par quoi nous commencions : le manque. Geoffray soustrait la photographie à l’histoire : à sa petite histoire, celle de ses conditions de production, son sujet, son lieu, sa date – combien de photographes se fourvoient dans ce prétexte, l’intérêt d’une photo viendrait de ce qu’elle montre et de comment elle fut prise –, mais son travail se soustrait aussi à l’histoire collective14.

Cette libre appropriation des images et leur décontextualisation constituent pour Philippe Artières la première qualité du travail de l’artiste. Cette analyse venant d’un historien qui a consacré sa carrière à reconstituer la vie des gens ordinaires, et surtout celle des parias et des marginaux à partir des moindres traces qu’ils ont laissées d’eux, est pour le moins surprenante. En effet, le sens historique est-il contenu « par défaut » dans les images comme le suggère ici Philippe Artières ? On peut au contraire penser que le sens historique n’est pas déposé dans les images dans l’attente que quelqu’un en révèle l’absolue vérité ou se conforme à son autorité, mais qu’il s’y construit perpétuellement. Car c’est bien de construction toujours, et de reconstitution parfois, qu’il s’agit.

Ce n’est ainsi certainement pas un hasard si la contribution du critique d’art J. Emil Sennewald porte sur cet aspect paradoxalement absent de l’œuvre. Dans une conversation avec Agnès Geoffray, il explique le cheminement qui l’a amené à s’intéresser par lui-même à cette photographie :

En regardant cette œuvre j’ai commencé à faire des recherches, parce que je me suis posé la question : « c’est qui cette Laura Nelson ? ». Aujourd’hui sur Internet on tombe très vite sur l’histoire de cette lynchée. Mais ce que je trouve beaucoup plus intéressant encore, c’est l’histoire de l’image même, parce que pour pouvoir prendre cette image, il faut rappeler qu’elle est pendue au-dessus d’un fleuve dans l’Oklahoma aux États-Unis, et alors comment prendre cette image ? Le photographe qui a pris cette image était le seul à avoir un studio atelier dans la petite ville dans laquelle elle était en prison, puis retirée de la prison pour être pendue à une vingtaine de kilomètre de cette petite ville. Donc le photographe vient, il se met dans une barque avec son assistant et son matériel de l’époque (faut pas oublier) et se mettent en plein milieu du fleuve pour pouvoir prendre la photo, et il prend soin de ne pas seulement prendre la photo mais aussi la foule qui est arrivée15.

Plus important encore que cette femme noire pendue – à propos de laquelle rien n’est dit –, ce qui compte ici pour J. Emil Sennewald c’est la prouesse du photographe qui se démène pour réussir avec les moyens techniques de l’époque à photographier la scène sous plusieurs angles. Pourtant, la photographie n’est pas neutre. Elle était prise avec la complicité des spectateurs du lynchage, mais aussi celle des bourreaux dont elle flattait les crimes. L’image faisait ainsi office de véritable trophée de chasse, dont la circulation prolongeait le lynchage.

L’histoire de la femme photographiée est-elle vraiment secondaire, comme le suggère J. Emil Sennewald ? Elle est évoquée dans un autre commentaire de l’œuvre proposé par le critique à partir d’une chanson de Woody Guthrie, « un chansonnier engagé16 » qui fut marqué durant son enfance par la photographie du lynchage de Laura Nelson et de son fils, auquel son père, un membre actif du Ku Klux Klan, avait participé quelques années plus tôt. En reprenant les paroles de la chanson « Don’t kill my baby and my son » de Woody Guthrie le critique file la métaphore de l’histoire comme une corde de violon « mise délicatement en vibration par l’archet sur la note d’un fa dièse majeur17 ». Cette « corde de l’histoire18 », dont la « vibration se propage19 » jusqu’à se confondre, au fil de la lecture, avec celle qui émane de l’image (ou de la victime ? on ne saurait dire) qui « circule, émettant sa vibration20 », jusqu’à finalement s’enrouler, vibrante toujours, autour du cou de Laura Nelson « tendue par le poids du corps, “ferme comme une grosse corde de vielle”21 ». Le passage illustre la façon dont la photographie, à travers l’œuvre d’Agnès Geoffray, sert finalement de prétexte à des arguties davantage qu’à une exploration du lien entre la photographie, l’œuvre et l’histoire.

La photographie de Laura Nelson semble susciter chez celles et ceux qui la regardent un sentiment ambivalent. James Allen voyait par exemple en elle la persistance d’une « indissoluble féminité malgré l’horreur qui lui a été infligée22 ». Trouver de la beauté dans la douleur ou la mort des victimes, au-delà de l’obscénité particulièrement sexiste que cela implique, participe ici à l’occultation des violences historiquement exercées sur les femmes noires.

Le geôlier de Laura Nelson l’avait étranglée, au prétexte qu’elle l’aurait attaqué pour lui voler son arme. Cependant, comme le souligne Gay Pasley, une infirmière médico-légale enquêtant sur ce lynchage dont elle considère la photographie comme une scène de crime, il est peu probable que cette femme, qui allaitait encore son nourrisson et s’occupait d’un jeune enfant de 2 ans, ait risqué sa vie en menaçant celle d’un policier23. Cette façon de justifier les violences à l’encontre de Laura Nelson en lui prêtant un comportement agressif participe ici d’une inversion de la culpabilité.

Si la photographie de Laura Nelson est une exception, car c’est la seule à représenter le lynchage d’une femme noire, Jennifer D. Williams rapporte qu’elles ont été au moins 121 à mourir aux mains de ces foules anonymes entre 1880 et 193024. Ces femmes étaient violées, torturées et tuées avec la même brutalité que les hommes noirs. Sauf que les statistiques des lynchages collectées par les militants ne prenaient en compte que les crimes qui débouchaient sur la mort des victimes, passant ainsi sous silence la violence quotidienne dirigée contre les femmes noires, et les atrocités dont elles étaient la cible25. En construisant la lutte contre les lynchages autour de la figure de l’homme noir, les militants avaient de fait participé à leur invisibilisation.

C’est ce processus de mise à l’écart des femmes noires dans la stratégie militante que décrit Leigh Raiford à propos du drapeau utilisé par la NAACP pour annoncer par la fenêtre de leur siège de New York les crimes par lynchages26. La mention « Un homme a été lynché hier [A man was lynched yesterday] » était inscrite en capitales blanches sur le drapeau noir. En désignant exclusivement des victimes masculines, l’annonce « déracialisait et dégenrait27 » les victimes pour en faire un sujet universel capable de toucher tous les passants. Toutefois, en évacuant la spécificité des violences subies par les femmes, il était possible, dans un retournement de la faute tout à fait compatible avec la morale conservatrice de certains militants, d’attribuer aux femmes la responsabilité des viols dont elles étaient pourtant les victimes28.

Une place leur était toutefois assignée par les militants antilynchages, celle des victimes endeuillées par la perte d’un proche29. Leigh Raiford explique que même les victimes des crimes les plus odieux étaient toujours ramenées à leur fonction maternelle. Laura Nelson, par exemple, était présentée comme une mère courageuse qui s’était sacrifiée pour protéger son fils accusé d’avoir tué un officier de police30. Sans contester la véracité de cette affirmation, l’historienne interroge l’instrumentalisation des femmes par les militants pour qui, même lorsqu’elles étaient lynchées, elles « servaient à incarner la perte des victimes masculines, mieux comprise comme la perte d’un fils par sa mère31 ». Leur mort était ainsi envisagée comme une stratégie militante qui ne les prenait pas en compte. Même leur souffrance et leur deuil ne leur appartenaient pas.

Le voisinage des images

Si certaines images de la série Incidental Gestures sont présentées sous forme de diptyques aux côtés ou à distance de leur image source, l’image de Laura Nelson semble se suffire à elle-même. L’artiste n’a pas estimé nécessaire d’intégrer la photographie d’origine à la série car pour elle, « on peut immédiatement comprendre qu’elle a été lynchée parce que c’est une image irrationnelle32. » Cette affirmation suppose donc une familiarité du public avec l’histoire et l’iconographie du lynchage. Si la source de l’œuvre n’est pas citée, c’est aussi, semble-t-il, pour laisser libre cours aux échos iconographiques que l’artiste suscite dans ses montages d’images. Deux expositions permettent d’en interroger la portée.

Le premier exemple est issu d’une exposition personnelle de l’artiste, Before the eye lid’s laid, du 8 octobre au 23 décembre 2017 au Centre photographique d’Île-de-France à Pontault-Combault. À l’occasion, les murs du CPIF avaient été peints dans un rose pastel pour s’accorder visuellement avec le traitement réparateur que réservait Agnès Geoffray aux images et certainement pour provoquer un effet de contraste entre la violence supposée des images et la douceur de la couleur. Elle entourait ainsi les images d’attention. Celle du lynchage de Laura Nelson était accrochée sur ce mur rose, à proximité d’un insert rédigé par le critique J. Emil Sennewald. On pouvait ainsi lire la mention suivante en haut du mur : « Toucher l’image pour soigner le réel », qui installait une narration continue dans l’espace d’exposition où figuraient d’autres mentions. Deux autres photographies se trouvaient à proximité directe. L’une représentait une femme se renversant en arrière tout en souriant. Elle fait partie des images que l’artiste a volontairement dramatisées, ici en effaçant (ou plutôt recouvrant) la personne qui retenait la jeune femme. L’image répond à Laura Nelson en suggérant que rien n’est encore joué dans ce point de bascule.

La seconde photographie présentée sur le mur de l’espace d’exposition montrait une femme appuyée contre un poteau, transformé en potence, car l’artiste a prolongé l’une des cordes pour l’attacher au ruban qui entoure sa tête. Le détail est ténu, mais suffit à faire basculer l’image dans une autre réalité, notamment par contamination avec les autres images situées à proximité. La corde au cou de Laura Nelson glisse ainsi jusqu’à un autre cliché, suivant le modèle visuel de l’anadiplose, qui instaure une dimension presque ludique dans le geste de l’artiste. Au-delà du sens nouveau auquel participent ces rapprochements d’images, il y a bien quelque chose de l’ordre du jeu qui opère dans l’espace d’exposition sur le mode de la « constellation », selon la définition qu’en donne Garance Chabert à partir du travail d’artistes comme documentation céline duval, mais aussi Thomas Hirschhorn, ce qui peut surprendre :

Le ressassement mélancolique des images qui caractérisait l’artiste archiviste et appropriationniste semble peu à peu laisser place à une réorganisation des hiérarchies par l’utilisation ludique et subjective des images dans les constellations. En bref, créer une agora plutôt qu’un monument33.

Agnès Geoffray participe à cette rupture engagée par les « artistes iconographes‑astronomes » avec les pratiques d’appropriation plus anciennes, que Garance Chabert place dans le registre de la mélancolie, que l’on comprend comme une forme d’apitoiement sur les images. Si l’opposition entre deux générations d’artistes semble quelque peu artificielle, l’identification d’une famille de pratiques contemporaines autour de l’assemblage d’images paraît pertinente pour problématiser le travail d’Agnès Geoffray. La part ludique du travail de l’artiste ne saute pas instantanément aux yeux. Toutefois, une fois identifiée, il paraît incongru de se féliciter de l’enrichissement du sens de la photographie d’un lynchage par sa proximité avec d’autres images qui en modifient les interprétations possibles, mais dans un sens toujours très éloigné de son histoire. Au fond, est-il souhaitable de ne plus voir une mise à mort brutale dans la photographie qui montre non pas Laura Nelson, mais son cadavre ?

Le second exemple d’exposition relève lui aussi d’un amalgame problématique entre les images. Dans l’exposition Soulèvements, présentée par Georges Didi-Huberman au Jeu de Paume à Paris du 18 novembre 2016 au 15 janvier 2017, le soulèvement était considéré comme un motif naturalisant s’incarnant dans des gestes et des attitudes en regard de leurs contextes historiques et politiques34. Georges Didi-Huberman entendait bien : « inventer de nouveaux montages capables de faire naître de nouvelles émotions et de délivrer de nouveaux paradigmes pour la pensée35 ». Le travail d’Agnès Geoffray était présenté dans la section 2 de l’exposition intitulée « Par gestes (intenses) » qui s’attachait plus qu’aucune autre à la dimension visuelle des images. Pourtant, y inclure l’image du lynchage de Laura Nelson ne pouvait-il pas suggérer en premier lieu le soulèvement populaire raciste des communautés blanches ? À quel type de soulèvement l’exposition faisait-elle appartenir le corps de Laura Nelson ?

La sous-section qui présentait Laura Nelson portait l’intitulé « Quand les corps disent non ». Georges Didi-Huberman pouvait ainsi suggérer que le corps pendu de cette femme témoignait de son insubordination à la domination blanche, ce qui n’est d’ailleurs pas une idée nouvelle. Leon Litwack faisait l’hypothèse, en s’appuyant sur les propos de Walter White, qui fut directeur de la NAACP et ceux de Frederick Douglass, figure du mouvement abolitionniste, que l’existence même des lynchages pouvait témoigner du refus des populations noires de se soumettre aux discriminations et à la domination que leur infligeaient les Blancs36. Il considérait ainsi ces images comme le signe d’un système de domination incomplet.

Pourtant, dans l’espace d’exposition, les images entourant Laura Nelson ouvraient vers une autre interprétation. Sur la droite, en effet, deux images issues de différentes séries de l’artiste Agnès Geoffray étaient mises en regard avec Laura Nelson : Catalepsie appartenant à la série Incidental Gestures (2011-2015) et Métamorphose II de la série Métamorphoses (2012‑2015).

Catalepsie est le titre de l’image représentant une femme renversée en arrière décrite plus haut, car elle était déjà associée à Laura Nelson dans l’exposition personnelle de l’artiste. Le terme appartient au domaine médical, il désigne une pathologie psychiatrique proche de l’hystérie. Sans même lire le cartel, il était possible de déduire cette orientation donnée à l’image à partir du cliché voisin qui représentait un homme en lévitation sur un lit dans une chambre aux murs capitonnés par du papier journal. Des photographies prises par le médecin Désiré‑Magloire Bourneville d’une femme se contorsionnant sur un lit d’hôpital qui figuraient à gauche de Laura Nelson allaient également dans ce sens37.

Impossible ainsi d’échapper totalement à la contamination visuelle et symbolique que provoque la réunion de ces trois images au sein de l’espace d’exposition. En effet, ce type de montage guide l’interprétation davantage qu’il n’ouvre le sens des images. La proximité des images possède une force d’évocation semblable à l’effet du montage cinématographique que décrivait Lev Kouléchov38. Selon lui, ce n’est pas tant le jeu d’acteur qui est déterminant dans un film, mais le montage qui est fait des séquences. Ainsi, le spectateur perçoit ce qui lui est suggéré par le montage. Et cela, même lorsque celui-ci assemble des séquences distinctes. Au milieu des autres images, le corps de Laura Nelson peut lui aussi devenir celui d’une femme hystérique39, ce qui n’est pas si éloigné du portrait que faisaient d’elle ses bourreaux.

Par ailleurs, le principe de lévitation et de psychokinésie, accentué ici par la position des trois corps, range également les images dans le registre des photographies spirites, celles des spectres que dès ses débuts la photographie a cherché à capturer40. Cette mise en relation à partir du motif d’un phénomène paranormal est à mon sens recherchée par l’artiste et témoigne de sa propre façon d’envisager ces images qui « nous hantent41 », selon ses propres mots.

Dans son travail, Agnès Geoffray s’emploie à : « faire en sorte, par la photographie, que les personnes ne soient pas figées pour l’éternité dans un état de victime, mais que le rajout ou le prélèvement, les fasse rebasculer dans une forme de dignité, d’apaisement42. » L’artiste oppose ainsi le statut de victime, qu’elle identifie au corps pendu, à la question de la dignité, dont on peut toutefois penser qu’elle relève d’une essence humaine vidée de toute portée politique puisqu’elle l’associe à une forme d’apaisement des images, c’est-à-dire qu’elle en confine la portée au champ des représentations plutôt que de l’envisager sous l’angle des considérations matérielles qu’implique, par exemple, la notion juridique de réparation43.

N’est-ce pas contre de telles impasses théoriques que mettait en garde le philosophe Grégoire Chamayou lorsqu’il identifiait le « dilemme de la victime44 » :

dans lequel les sujets se voient présenter le faux choix entre la reconnaissance de leur statut de victime au prix d’une négation de leur puissance d’agir, et la reconnaissance de leur puissance d’agir au prix de la négation de la culpabilité de leurs bourreaux45.

Pour sortir de ce dilemme il s’agirait, selon Grégoire Chamayou, de proposer une alternative qui n’enfermerait pas de façon naturalisante les victimes dans un statut, et qui n’écarterait pas la responsabilité des bourreaux ou la perspective émancipatrice des luttes. Au lieu de quoi, le dépaysement des images qu’Agnès Geoffray entend amorcer par ses retouches formelles, par ses montages iconographiques, et l’étrangement des êtres à leur propre sort et à leur propre état, relève d’une conception de la photographie qui considère les images comme un matériau malléable et avant tout producteur d’imaginaire, relevant à bien des égards de cette « photographie plasticienne46 » susceptible de considérer toute image comme un support de création sans prêter attention au fond, ou en cherchant le dissimuler.

En supprimant la corde, Agnès Geoffray rend au corps de Laura Nelson un semblant de vie, comme le firent avant elle les photographes des derniers portraits47. Et plus encore que l’illusion de la vie, l’intervention de l’artiste fabrique une icône, au sens littéral du terme. La verticalité devient pour l’artiste le signe d’une élévation angélique ou christique pourrait-on ajouter, et non plus celle de la pendaison. Ce déplacement dans une autre dimension confère à l’image un caractère potentiellement religieux, comme le suggère l’artiste, ou touchant, tout au moins, au divin. L’œuvre fabrique ainsi quelque chose de l’ordre d’une illusion. L’acte de suppression, envisagé comme une réparation, se heurte ainsi à l’irréparable. Lavée de son passé par la sélection, les retouches et les choix curatoriaux, la photographie n’a plus d’auteur, la carte postale n’a plus de support, le corps de Laura Nelson n’a plus de bourreaux, sa mort n’en est plus une, le lynchage plus aucun spectateur, et l’image, finalement, plus d’histoire.

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Notes

1 Janig Bégoc, « Face à la perte on se rattache aux restes. Entretien avec Agnès Geoffray », Tête-à-tête. Revue d’art et d’esthétique, n° 3, 2012, p. 78. Return to text

2 L’œuvre est consultable sur le site internet de l’artiste. URL : https://www.agnesgeoffray.com/photos/LN_gp1614793.html [consulté le 13 novembre 2024]. Return to text

3 Joël Michel, Le Lynchage aux États-Unis, Paris, La Table Ronde, 2008 ; Ida B. Wells, Les Horreurs du Sud, Genève, éditions Markus Haller (1892) 2016. Return to text

4 « Pour ce qui est de Laura Nelson, je suis donc tombée sur cette image de cette femme pendue et mon acte de retouche a été de retirer la corde qui l’a lynchée et du coup la posture même de la violence, ce cou brisé par la pendaison la transmue dans une figure quasi mystique, elle apparaît comme un ange, elle s’élève. Et la violence même de cette posture-là redevient un geste de douceur » Agnès Geoffray et J. Emil Sennewald, « C’est pas beau de critiquer ? », visite-rencontre filmée. (Vitry-sur-Seine, Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, 21 mai 2016). URL : https://vimeo.com/176511946 [consulté le 26 février 2024]. Return to text

5 Présentation de la série Incidental gestures sur le site internet de l’artiste. URL : http://www.agnesgeoffray.com [consulté le 13 novembre 2024]. Return to text

6 Pascal Mougin, « Renouveler l’attention à l’archive victimaire. À partir du travail photographique d’Agnès Geoffray », Focales, n° 1, 2017, p. 12. DOI : https://doi.org/10.4000/focales.1312 [consulté le 13 novembre 2024]. Return to text

7 Peter Geimer, Les Couleurs du passé, Paris, Macula, 2023 ; Sylvie Lindeperg et Ania Szczepanska (dir.), À qui appartiennent les images ? Le paradoxe des archives, entre marchandisation, libre circulation et respect des œuvres, Paris, Maison des sciences de l’homme, 2017 ; Michel Poivert, Contre-culture dans la photographie contemporaine, Paris, Textuel, 2022. Return to text

8 L’image utilisée par l’artiste provient d’un site internet de vente en ligne où de nombreux tirages d’époque, ou parfois même leur reproduction, sont mis en vente. Elle fait également partie de la collection controversée d’images de lynchages constituée par le collectionneur James Allen. L’image, qui ne sera volontairement pas reproduite ici, y porte la légende suivante : « G.H. Farnum, Le corps lynché de Laura Nelson, 25 mai 1911, Okemah, Oklahoma, photographie argentique, vraie carte postale, collection Allen-Littlefield ». Voir James Allen (dir.), Without sanctuary. Lynching photography in America, Santa Fe, Twin Palms, 2000. Return to text

9 Ibid., p. 178. Return to text

10 G.H. Farnum, Le lynchage de Laura Nelson et de son fils, 25 mai 1911, Okemah, Oklahoma, photographie argentique, collection Allen-Littlefield. Voir James Allen (dir.), op. cit. Return to text

11 Jean-Pierre Montier, « Sépia, couleur de l’encre, teinte du temps », Polysème, n° 14, 2015. DOI : https://doi.org/10.4000/polysemes.570 [consulté le 14 novembre 2024]. Return to text

12 Le verso porte la mention « unmailable [interdiction d’envoyer] » Cette inscription renvoie à la décision de 1908 d’interdire l’envoi de cartes postales incitant au crime, au meurtre ou à l’assassinat, sans toutefois endiguer leur production ou leur circulation qui pouvait se poursuivre sous enveloppes. Voir Dora Apel, Imagery of lynching. Black men, white women and the mob, New Brunswick & London, Rutgers University Press, 2004, p. 30 et Amy Louise Wood, « Lynching photography and the visual reproduction of white supremacy », American Nineteenth Century History, n° 3, vol. 6, 2005, p. 393. DOI : https://doi.org/10.1080/14664650500381090 [consulté le 14 novembre 2024]. Return to text

13 Amy Louise Wood, op. cit. Return to text

14 Philippe Artières, « Agnès Geoffray, un art du piège », dans Les Captives, Agnès Geoffray, Philippe Artières et Sophie Delpeux, Bruxelles, La Lettres volée, 2015, non paginé. Return to text

15 Agnès Geoffray et J. Emil Sennewald, « C’est pas beau de critiquer ? », visite-rencontre filmée, op. cit. Return to text

16 J. Emil Sennewald, « Agnès Geoffray, Laura Nelson, série Incidental gesture, 2011 », in C’est pas beau de critiquer ? Tome deux, Thibault Caperan (dir.), Vitry-sur-Seine, Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, 2017, p. 23. Return to text

17 Précisons par ailleurs que le « fa dièse majeur » ne désigne pas une note, mais un mode. Return to text

18 J. Emil Sennewald, « Agnès Geoffray, Laura Nelson, série Incidental gesture, 2011 », art. cit., p. 23. Return to text

19 Ibid., p. 23. Return to text

20 Ibid., p. 23. Return to text

21 Ibid., p. 24. Return to text

22 James Allen (dir.), op. cit., p. 178, note 37. Return to text

23 Gay Pasley, « Fact Finding », Transition, n° 124 Writing Black Canadas, 2017, p. 190-196. DOI : https://doi.org/10.2979/transition.124.1.31 [consulté le 14 novembre 2024]. Return to text

24 Jennifer D. Williams, « “A woman was Lynched the other day”: memory, gender, and the limits of traumatic representation », in Gender and lynching: the politics of memory, Evelyn M. Simien (dir.), New York, Palgrave Macmillan, 2011, p. 83. Return to text

25 Ibid., p. 83. Return to text

26 Leigh Raiford, Imprisoned in a luminous glare: photography and the African American freedom struggle, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2011, p. 50 et suivantes. Return to text

27 Ibid., p. 62. Return to text

28 C’était notamment la position défendue par W.E.B. Du Bois qui souscrivait pleinement à la fable qui désignait les femmes noires comme des instigatrices sexuelles et entendait y remédier en exigeant d’elles une attitude vertueuse et soumise. Voir à ce sujet Shawn Michelle Smith, Photography on the color line: W.E.B. Du Bois, race and visual culture, Durham & London, Duke University Press, 2004, p. 77-80. Return to text

29 Ibid., p. 63. Return to text

30 Leigh Raiford, op. cit., p. 53 et Crystal N. Feimster, Southern Horrors. Women and the politics of rape and lynching, Cambridge, Massachusetts & London, Harvard University Press, 2009, p. 174. Return to text

31 Ibid., p. 174. Return to text

32 Agnès Geoffray et J. Emil Sennewald, « C’est pas beau de critiquer ? », op. cit. Return to text

33 Garance Chabert et Aurélien Mole, « Les artistes iconographes », dans Les Artistes iconographes, Garance Chabert et Aurélien Mole, Annemasse et Paris, Éditions Empire / Villa du Parc, 2018, p. 82-84. Voir aussi Anne Immelé, Constellations photographiques, Mulhouse, Médiapod éditions, 2015. Return to text

34 Voir par exemple, dans la riche production critique au sujet de l’exposition, Camille Paulhan, « Retour sur l’exposition “Soulèvements”. Entretien avec Georges Didi-Huberman », Hippocampe, n° 14, 2017, Sophie Cras et Hélène Valance, « Face à l’histoire : retour sur l’exposition Soulèvements », Histoire@Politique, 2017. DOI : https://doi.org/10.4000/histoirepolitique.7004 [consulté le 14 novembre 2024], Philippe Mesnard, « Ce qu’il reste de “Soulèvements” : à propos d’une exposition et de ses retombées », Mémoires en jeu, n° 3, 2017. URL : https://www.memoires-en-jeu.com/actu/ce-quil-reste-de-soulevements-a-propos-dune-exposition-et-de-ses-retombees/#_ftn1 [consulté le 14 novembre 2024], Katrie Chagnon, « Exposer les peuples, s’exposer aux peuples : les Soulèvements de Georges Didi-Huberman entre Paris et Montréal », exPosition, n° 6-1, 2021. URL : https://www.revue-exposition.com/index.php/articles6-1/chagnon-exposer-peuples-soulevements-didi-huberman-paris-montreal [consulté le 14 novembre 2024]. Return to text

35 Georges Didi-Huberman, « Introduction », dans Soulèvements, cat. exp. (Paris, musée du Jeu de Paume, 1er oct. 2016-15 jan. 2017) Paris, Gallimard / Jeu de Paume, 2016, p. 18. Return to text

36 « À la suite d’enquêtes approfondies, Walter White concluait que “le lynchage est bien plus l’expression de la peur de l’ascension des Noirs enracinée dans le Sud que la peur des crimes commis par des Noirs”. Dans cette optique, le lynchage n’a pas nécessairement servi la répression raciale ; au contraire, cette pratique suggérait le refus des hommes et des femmes noirs de se soumettre avec calme à cette répression. Frederick Douglass a suggéré en 1892 que la violence raciale et les lynchages pourraient en fait être “un symptôme favorable”. “C’est la preuve que le Nègre ne reste pas immobile. Il n’est pas mort, mais vivant et actif. Il ne dérive pas avec le courant, mais lui résiste vaillamment et se fraye un chemin vers de meilleures conditions que celles du passé, et meilleures que celles prescrites par l’opinion populaire. Il ne se contente pas de son environnement… Un navire pourri et immobile ne rencontre aucune résistance, mais lorsqu’il met les voiles sur la mer, il doit affronter des flots contraires. Les ennemis du Nègre voient qu’il fait des progrès et ils souhaitent naturellement l’arrêter et le maintenir dans ce qu’ils considèrent comme sa juste place” » Leon F. Litwack, « Hellhounds », dans Without sanctuary, James Allen, op. cit., p. 29. La citation de Frederick Douglass est tirée de sa préface au pamphlet rédigé par Ida B. Wells, The Reason why the colored American is not in the world's columbian exposition, 1893. Return to text

37 Elles étaient légendées : « Hystéro-épilepsie, hallucinations : angoisse, 1875 ». Return to text

38 Lev Kouléchov, « La bannière du cinématographe », dans L’art du cinéma et autres écrits, Lev Kouléchov, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1994, p. 46. Return to text

39 Sur la figuration de l’hystérie, entre intérêt scientifique et désir esthétique voir Georges Didi-Huberman, Invention de l’hystérie : Charcot et l’iconographie photographique de la Salpêtrière, Genève, Macula, 2012. Return to text

40 Clément Chéroux, Andreas Fischer, Pierre Apraxine, et al., Le troisième œil : la photographie et l’occulte, cat. exp. (Paris, Maison européenne de la photographie, 3 nov. 2004-6 fév. 2005 ; New York, Metropolitan museum of art, 26 sept.-31 déc. 2005), Paris, Gallimard, 2004. Return to text

41 Gwenaëlle Fenon et Paula Marie Consugera, « Entretien avec Agnès Geoffray », Radar, essais critiques, n° 4, 2019. DOI : https://dx.doi.org/10.57086/radar.275 [consulté le 14 novembre 2024]. Return to text

42 Ibid. Return to text

43 À ce propos, la philosophe Magali Bessone préfère quant à elle aborder la question de la réparation à partir de la notion de respect et non celle de dignité. Pour elle, la démonstration de Norman Ajari (La Dignité ou la mort, Paris, La Découverte, 2019) qui propose une contre-histoire de la dignité, cherche à revaloriser un essentialisme pour penser l’humanité et élaborer une éthique de la dignité qu’elle trouve problématique du point de vue de la pensée constructiviste. Séminaire « De la race : histoire comparée et matérielle des sciences sociales » proposé par Christelle Rabier, séance « Justice/ Réparations, restitutions », avec Magali Bessone et Noe Wagener, EHESS, vendredi 8 janvier 2021. Return to text

44 Grégoire Chamayou, Les Chasses à l’homme, Paris, La Fabrique éditions, 2010, p. 217. Return to text

45 Ibid., p. 217. Return to text

46 Dominique Baqué, La Photographie plasticienne, un art paradoxal, Paris, Regard, 1998. Return to text

47 Joëlle Bolloch, « Photographie après décès : pratique, usage et fonctions », dans Le Dernier Portrait, Emmanuelle Héran (dir.), Paris, Réunion des musées nationaux, 2002, p. 112-144. Return to text

References

Electronic reference

Natacha YAHI, « Réparer l’histoire ? L’image du lynchage de Laura Nelson entre les mains d’Agnès Geoffray », Déméter [Online], 12 | Été | 2024, Online since 29 janvier 2025, connection on 18 mars 2025. URL : https://www.peren-revues.fr/demeter/1681

Author

Natacha YAHI

Natacha Yahi est docteure en Arts (histoire, théorie et pratique) et chercheuse associée au CEAC, Centre d’étude des arts contemporains (ULR-3587) de l’Université de Lille. Ses recherches portent sur les pratiques de réemploi d’images dans l’art contemporain avec une perspective historique et éthique. Elle travaille également sur la représentation des lynchages américains dans l’art contemporain et sur les processus de racialisation par la photographie.

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