Compte-rendu « Perspectives » à l’Institut pour la photographie (Lille, 08 octobre – 05 décembre 2021)

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« Perspectives » à l’Institut pour la photographie, (Lille, 08 octobre – 05 décembre 2021)

Texte

En juin 2021, L’Institut a reçu quatre fonds d’archives photographiques et bibliographiques d’envergure, parmi lesquels deux dépôts (les fonds photographiques d’Agnès Varda, Jean-Louis Schoellkopf), et deux dons, l’un photographique avec la totalité du fond de Bettina Rheims et l’autre bibliographique avec la collection de livres photographiques de Lucien Birgé contenant à ce jour environ 25 000 ouvrages. Les travaux permettront alors d’accueillir ces fonds avec les normes de conservation en vigueur et de pouvoir proposer la consultation des ouvrages qui feront partie de la bibliothèque de l’Institut. Parmi ces grands noms de la photographie, sont aussi présentés la jeune génération avec deux expositions consacrées aux travaux de deux lauréats du Programme de soutien à la recherche et à la création – Aurélien Froment (1re édition) et Ezio d’Agostino (2e édition) – et du photographe Yoriyas, alors en résidence à Roubaix en collaboration avec la Condition Publique. Faire le compte‑rendu exhaustif de dix expositions est une tâche impossible, mais plusieurs thématiques communes permettent pourtant de structurer différentes réflexions qui traversent les œuvres présentées en cette fin d’année.

La question du portrait

Des travailleurs stéphanois de Jean-Louis Schoellkopf, aux détenues de Bettina Rheims en passant par la vie d’une petite fille belge anonyme, ou les « drôles de gueules » et les voisins d’Agnès Varda, le portrait est au cœur des différentes expositions, présentant autant de variations qui se répondent et se confrontent autour de la question de la représentation en photographie.

C’est Bettina Rheims qui ouvre le bal. Dès son arrivée, le visiteur est invité à entrer dans l’œuvre de la photographe française, par ses à-côtés, par un détour, par une immersion en réalité virtuelle dans son studio, à Paris1. D’immersion, il en est encore question dans sa « Chapelle2 », une des pièces de l’ancien lycée qu’elle a entièrement retapissée de ses photos faites pour le magazine Details entre 1994 et 1997 à Los Angeles. Couche après couche, des photos de stars, mannequins, actrices, chanteuses, composées comme un jeu de collage en déchirant certaines parties pour dévoiler les photos collées en dessous accaparent le regard de celui qui entre dans la pièce. Si bien que, une fois à l’intérieur, l’œil n’est jamais au repos. Des portraits géants de Madonna, Angelina Jolie, Mary J. Blige, Rose McGowan, Rose Witherspoon – entre autres – encerclent le visiteur, du sol au plafond. Bettina Rheims remet donc en scène des photos qui caractérisent un univers qui lui collera à la peau : glacé, sulfureux, provocant, ou érotique3.

La transition heurte, car sans ménagement, le visiteur passe d’une salle engloutie par les images, à un couloir froid et gris, le long duquel sont disposés une cinquantaine de portraits d’une autre nature, tous encadrés, enfermés, par une structure métallique. Projet plus contemporain initié par Robert Badinter en 2014, avec Détenues Bettina Rheims ne choisit plus des célébrités ou des professionnelles mais des détenues, des femmes parfois anonymes, parfois identifiées, mais qui toutes ont été photographiées pendant leur détention. Ici pas de papier peint, pas de nudité, ni même de poses artificielles. Un simple tabouret brinquebalant4 et un mur blanc pour arrière-plan constituent les seuls éléments imposés par la photographe. Le reste – pose, dénomination, vêtements et maquillage – est choisi par la femme photographiée. Le fond blanc est important pour Bettina Rheims car il permet d’extraire le corps du contexte dans lequel il se trouve en permanence. Nous ne verrons rien qui renvoie directement à l’espace carcéral, il y a une neutralisation de l’environnement réel dans lequel se trouve les détenues5. Et ceci pour que ces femmes apparaissent telles qu’elles sont, telles qu’elles pourraient être au quotidien. Cependant cette volonté de faire oublier l’espace de la prison à l’intérieur des photos ne se retrouve pas dans la scénographie de l’exposition. Les portraits sont encadrés deux fois : le cadre blanc des photos, et la structure métallique qui vient surcadrer le tout. De plus la série est commentée sporadiquement par des textes tirés du livre dans lequel les photos avaient été publiées au départ, qui sont des témoignages de Bettina Rheims écrits à la suite de chaque shooting, reprenant soit ses impressions personnelles, soit des paroles directes des femmes photographiées6. Si bien que la prison n’est oubliée qu’un instant.

À l’inverse, Jean-Louis Schoellkopf adopte une démarche qu’il dépliera des années 70 jusqu’à aujourd’hui avec la présentation dans une première salle de six séries de portraits de travailleurs et mineurs du bassin industriel de Saint-Etienne7. De plus petits formats, dans une sobriété scénographique, Schoellkopf organise la rencontre entre les classes ouvrières et les visiteurs de l’exposition. Car pour lui, la photographie est avant tout un objet d’interactions. Sa série La Ricamarie de 1983 synthétise cette idée. Ce sont des petits portraits de mineurs rentrant à la mine quelques années avant sa fermeture (les puis de mines étaient fermés mais l’exploitation se poursuivait), qui ont été recadrés pour ne laisser apparaître que le visage et le haut des épaules, dans leur environnement de travail8. Trois interactions sont alors en jeu ici :

  • Celle entre le photographe et le travailleur : Schoellkopf parlait beaucoup avec ses sujets avant, pendant et après la prise de vue. Il ne faisait généralement qu’une ou deux photos par personne.
  • Celle entre les travailleurs et leurs amis ou leur famille : le photographe leur rendait leur portrait (le petit format permettant de le transporter facilement), et ceux-ci étaient des supports propices à la conversation9 Bettina Rheims a également donné un exemplaire de leur portrait à chacune des détenues qu’elle a photographiée..
  • Et enfin, celle entre le travailleur et le visiteur : là le choix du format est important pour J.-L. Schoellkopf puisque le petit format oblige le visiteur à se rapprocher au plus près de la photo pour voir les détails des visages. Il y a donc une attention accrue qui est portée à chaque individu au moment de la visite.

De même que pour Bettina Rheims, il s’agit en partie de portrait négocié, ou d’autoreprésentation, puisque dans le cas des séries du c.a.t. ou des ouvriers de basf, chacun et chacune a pu choisir la pose et l’endroit dans l’entreprise où il voulait être portraitisé. Mais contrairement à la photographe de Détenues, Schoellkopf fait le choix d’inscrire les corps qu’il photographie dans leur environnement de travail, avec les vêtements et uniformes portés à l’usine. De fait, neutraliser l’environnement n’aurait pas de sens puisque le corps des ouvriers et des mineurs a été aussi façonné par le monde dans lequel s’exerce ce travail. Il est intéressant de voir que deux photographes français contemporains abordent la question du portrait de personnes invisibles dans la société de manière presque opposée : l’une en voulant extraire la figure de l’environnement qui le contraint, l’autre inscrivant les corps dans leur milieu de travail ; le grand format des détenues engage un face à face frontal avec le visiteur, tandis que le petit format des mineurs permet une rencontre intime avec la personne photographiée.

Enfin, la photographie vernaculaire intéresse aussi l’Institut qui consacre une exposition à une inconnue, une petite fille née à la fin des années 20. Paul et Nadine Catry, « collecteurs de regards » comme ils aiment se définir, chinent de brocantes en marchés à la recherche de ces photos abandonnées, perdues, oubliées. Le hasard fait que, un jour, ils reconnaissent la petite fille dans un lot de photos qu’ils venaient d’acheter, ils l’avaient déjà vue, dans un des lots acquis récemment. C’est à leur grande surprise, et à la nôtre aussi, qu’ils ont pu alors reconstituer la vie de cette petite, de sa naissance jusqu’à ses 27 ans, à travers des photos d’album de famille. Nous n’aurons pas plus d’informations qu’eux pendant l’exposition, même pas son prénom. Les seules choses auxquelles s’accrocher sont les annotations faites à l’époque et laissées derrière les photos (des dates, des lieux, des numéros…). C’est à partir de ces photos non professionnelles que plusieurs pistes sur l’étude de la photographie vernaculaire sont proposées le long des deux salles occupées par cette petite fille : les photos de plage, de vacances, entre frère et sœur, à côté de la nouvelle voiture, des trains, des bateaux, au moment de la visite d’un monument. Des photos comme nous en avons toutes et tous en somme. En plus des photos de cette famille belge, les Catry et la commissaire Anne Lacoste (directrice de l’Institut pour la photographie) entourent certaines de ces photos caractéristiques avec d’autres photo de leur collection. C’est la récurrence du motif qui fait de la photographie vernaculaire un objet d’étude pour les historiens. À travers des photographies prisent en des temps et des endroits différents, la similarité des poses et des moments photographiés construisent une histoire du regard photographique et renvoient directement aux photos que nous prenons aujourd’hui, qui ne sont pas tellement différentes9.

Autre fonds photographique déposé à l’Institut pour la photographie cette année, celui d’Agnès Varda. Surtout connue pour son cinéma et les installations qu’elle fera à la fin de sa carrière, sa première formation est pourtant la photographie, qu’elle apprend à l’École Vaugirard (1949) et qu’elle pratique aux côtés de Jean Vilar au Festival d’Avignon et au Théâtre National Populaire. L’Institut choisit de présenter, comme une introduction, Expo54, composée des photos d’origine qui ont constitué l’exposition qu’elle fait dans sa rue (rue Daguerre, 14e arrondissement de Paris) en 1954. Le portrait photographique est aussi au cœur de cette exposition en trois parties. Il y a d’abord une série de photos qu’elle réalise à Sète, tournée vers le formalisme (constructions géométriques, intérêt pour la matière minérale) dans lesquelles la figure est intégrée, absorbée, devient elle‑même une ligne ou une boule de chair, parmi des brise-lames en bois ou une montagne de sel dont la diagonale sépare la photo en deux. La deuxième série de portraits s’est faite avec les voisins et voisines de la rue Daguerre (parmi eux, des anonymes mais aussi Brassaï et Calder10), des objets trouvés par-ci par-là, qu’elle ré-agence pour en faire des visages (qu’elle appellera des « drôles de gueules »), et pour terminer, déjà en 1954, une pomme de terre en forme de cœur. Cette série est beaucoup plus tournée vers le corps, l’organique, ou la recomposition. Enfin, au centre, un nu, en noir et blanc. Une femme de dos, tellement recroquevillée que l’on ne distingue plus ses bras, ses jambes et son visage. Ce corps est entre le galet et la pomme de terre, ce portrait effectuant parfaitement la dialectique entre les deux séries qui l’entourent. L’Institut propose dans une deuxième salle, les archives photographiques (planches-contact, tirages, négatifs…) qui entourent cette exposition. Si bien que l’on peut voir les choix effectués et les recadrages ou changements de contrastes opérés pour les photos finalement exposées.

Photographie entre continuité, discontinuité et séquençage

L’exposition d’Agnès Varda est intéressante aussi car c’est en 1954 qu’elle réalise son premier film La Pointe Courte, qu’elle tournera à Sète dans le quartier de pêcheurs de la commune11. Pour Varda, les pratiques photographiques et filmiques ne peuvent être dissociées, loin de là… – « Photographie et Cinéma. Les deux mamelles de Dame représentation12 », sera même le nom d’une des salles de son exposition Y’a pas que la mer en 2012. Et pour cause, la photographie et le cinéma entretiennent des relations fécondes justement parce que la photo est « la plus petite unité décomposable de l’image soumise au défilement13 ».

Nous pouvons le voir avec l’exposition d’Aurélien Froment et son « Théâtre optique » recréé à partir des photographies de plateau de Pierre Zucca. Ce dernier se posait aussi la question du lien qui unissait photographie et cinéma, puisqu’il s’interrogeait sur la manière la plus pertinente de capter une scène de film sachant que la photographie arrêterait un instant d’une séquence pensée en mouvement. La photo ne doit pas trahir le film en question. Il opte alors plutôt pour le tableau vivant, pratique (couramment utilisée fin xviiie et début xixe) qui consiste à demander à des modèles de se figer dans les postures de la scène en question14. Aurélien Froment choisit alors d’assembler ces photos pensées comme des tableaux vivants dans une scénographie qui renvoie à la pratique du « théâtre optique » (cette fois fin du xixe) puisqu’il entoure le visiteur de ces photos de manière quasi‑circulaire, redonnant du mouvement aux photographies qui viennent pourtant de films différents.

L’interaction entre la photographie et le cinéma se pense aussi par la dialectique de la continuité, la discontinuité et le séquençage, et ceci, aussi bien avec les films utilisant la photographie, qu’avec les planches‑contact qui alignent les unes à côtés des autres chaque photo qui se trouve sur le négatif, ou encore avec le livre photographique, moyen privilégié pour la diffusion de la photographie. C’est l’objet d’une des dix expositions que propose l’Institut. En effet, Lucien Birgé, collectionneur privé de livres photographiques, a fait don de toute sa collection (20 000 monographies et 5 000 ouvrages collectifs), et place ainsi la bibliothèque de l’Institut dans les dix plus grandes bibliothèques mondiales dédiées à la photographie. Une petite partie de cette collection est ainsi exposée pour en montrer la richesse et l’étendue. L’axe choisi par l’Institut est justement d’interroger le livre photographique comme objet qui pense le séquençage de la photographie. Ainsi le visiteur voit les différents effets de mise en page provoqués par le nombre de photos que les éditeurs et photographes ont décidé de mettre sur la double page. Cette double page devient ainsi un espace de composition à part entière : immersif quand on enlève les bords qui cernent les images (Rome, William Klein, 1956), différentes échelles de plans quand il y a plusieurs photos dans le même espace (Paris Mortel, Johann Van der Keuken, 1958‑1963), créant un rythme de lecture pour la construction d’une narration (Liebe in Saint-Germain des Près, Van der Elsken, 1956), le montage et la fusion des images entre-elles quand deux images sont face-à-face (Case History, Boris Mikhaliov, 1997-1998), donnant la part belle à l’image quand les deux pages ne sont réservées qu’à une seule image (Chemins de la vie, Jean-Philippe Charbonnier, 1957), et enfin offrant la possibilité d’études sérielles, des typologies (In Almost Every Picture 6, Erik Kessels, 2007). Ajouté à cela des pièces devenues rares aujourd’hui comme les deux éditions côte à côte de Barakei de Eikoh Hosoe ou encore 122 Colour Photographs, de Keld Helmer-Petersen pionnier dans la photographie couleur puisqu’il le publie en 1948. Ainsi la collection de Lucien Birgé permet aussi de mettre en avant cette question du séquençage des photographies, à l’intérieur d’un objet conçu et composé par les éditeurs et les photographes.

Perceptions dans l’espace urbain

Après le portrait et la question du séquençage une autre idée relie certaines expositions de l’Institut pour la photographie, celle de relation à la ville et de la perception de l’espace urbain, avec notamment le travail à nouveau de Jean-Louis Schoellkopf mais aussi d’Ezio d’Agostino et de Yoriyas.

La deuxième salle consacrée à l’exposition de J.-L. Schoellkopf, a pour objet les villes de Gênes et Paris, et plus précisément la manière dont les constructions urbaines et aménagements du territoire façonnent la perception de celui ou celle qui la traverse. Les deux projets sont des commandes de la part des municipalités autour de deux objets précis : le projet de la nouvelle ligne de tramway Boulevard des Maréchaux à Paris et la « sopraelevata » à Gênes. Il s’agit principalement de la question de la frontière aussi bien visuelle que physique qu’inscrivent ces deux aménagements dans l’espace. Le Boulevard des Maréchaux, entre le 13e et le 15e, est la limite entre Paris intra-muros et sa banlieue. Deux frontières physiques et symboliques existaient déjà : le boulevard et le périphérique. Pour le photographe, la construction de cette ligne de tram vient tracer une troisième frontière, qui exclurait encore davantage (géographiquement) la banlieue. Schoellkopf met alors en place un protocole bien particulier (démarche fondamentale pour lui dans son travail photographique), puisqu’il descend à chaque arrêt de métro qui longe le tracé de la future ligne de tram, et prend une photo instantanément en sortant. Il constitue ainsi en série le trajet visuel qu’aura à parcourir celui ou celle qui prendra la future ligne de tram. De même que la « sopraelevata », un pont construit dans les années 60 pour désengorger le trafic routier de la ville, bouche complètement la vue à tous ceux qui sont dans Gênes ou qui arrivent par le port. Quand on arrive de la mer on ne voit plus la ville, et quand on est dans la ville on ne voit plus la mer. Cette ligne horizontale forme une frontière visuelle pour celui qui passe à cet endroit de la ville. Dès lors, autre protocole particulier, Schoellkopf fait ce qu’il appelle un travail de couturier, c’est‑à‑dire que, à pied, il longe le pont en prenant une photo de chaque côté en dessous du pont, puis monte dessus, puis redescend, jusqu’à former un lacet autour de la construction. Si bien que les photos exposées en série viennent constituer un point de vue complet sur ce que perçoit un habitant quand il passe près, sur ou sous la « sopraelevata ».

La ville est aussi le théâtre de perceptions fugaces, d’apparitions bien réelles pour certains. Le lauréat de la bourse de recherches et de création de l’Institut, Ezio d’Agostino, met littéralement en lumière, le travail qu’il a commencé il y a une dizaine d’années autour des apparitions religieuses en Italie. Archéologue de formation, il se sert de l’appareil photo comme d’un outil capable d’aller creuser un lieu pour rendre visible des choses qui ne le sont pas dans un premier temps. Il explique que l’Italie est le pays où sont recensées le plus d’apparitions dans le monde. Il part alors à la rencontre des personnes qui disent avoir vu le Christ, Marie ou Padre Pio dans la fissure d’un mur, un rideau de douche, une enseigne de restaurant, les parois d’une grotte ou dans une composition florale. Les photos des lieux – ektachromes développés sur transparents rétroéclairés – s’éclairent et surgissent de l’obscurité quand quelqu’un s’en approche. Et si l’on ne voit rien dans ces branches, ces guirlandes, ces tâches, non plus ne voit rien. Ce qui l’intéresse ici, c’est tout d’abord d’apposer un regard mécanique sur des objets qui sont constitués uniquement de l’imaginaire iconographique de ceux qui ont eu l’apparition. Il interroge ainsi la question de la révélation de l’invisible grâce à l’appareil photographique, une question qui structure une partie de son histoire15. De plus le fait de cadrer un espace qui paraît à première vue anodin, de le sélectionner et de le présenter, pousse le visiteur à scruter, à la manière d’une enquête, chacun de ses recoins pour en trouver les images latentes, les paréidolies qui ont pu être celles des premiers témoins. Enfin, à l’entrée de la salle, les visiteurs sont incités à s’emparer d’un petit carnet contenant tous les témoignages liés aux photographies. Ainsi la photo seule déjà interprétée en partie par notre imagination, se nourrit une deuxième fois pour être à nouveau regardée. La photo a besoin d’un récit pour se dévoiler, elle a besoin d’un texte, d’une parole pour être cernée, pour s’animer. La photo seule est bien peu de choses ici, si elle n’est pas accompagnée du récit de l’œuvre qui l’a interprété en premier. Si bien que, les photos de rues, de portes, de chantier, de restaurant, d’arbre ou de murs, s’ouvrent au fur et à mesure de la visite.

Enfin, les murs mêmes de l’Institut deviennent aussi les supports d’exposition d’un autre travail sur la ville, par le photographe Yoriyas en résidence alors dans la ville de Roubaix. D’abord danseur de hip‑hop, une blessure va arrêter net sa carrière et l’oriente alors vers la photographie. Cependant il n’oubliera pas sa première vie, puisque sa manière de photographier est directement inspirée par les mouvements de danse qu’il maîtrise encore parfaitement : prise de vue près du sol, des contre‑plongées, décadrages, etc. Les photos présentées à l’Institut sont prises à Roubaix pendant le temps de sa résidence, qu’il a effectuée avec des groupes de traceurs – les sportifs qui pratiquent le parkour – pour parcourir la ville. Les grands formats affichés en extérieurs sont un bon exemple de sa manière de pratiquer la ville et la photographie.

De la photographie urbaine, à la photographie vernaculaire, en passant par la photographie de mode ou tout simplement par le portrait, les dix expositions présentées permettent de saisir le projet et les enjeux de l’Institut pour la photographie, enrichis par des fonds photographiques futurs et une réorganisation complète des lieux. Le rendez-vous est pris pour 2023.

1 Faisant don de toutes ses œuvres et archives photographiques à l’Institut pour la photographie, et se retirant de la profession, B. Rheims quitte

2 Elle s’inspire de Aleph Sancturay de Mati Klarwein (1963-1970), une temple cubique démontable contenant des peintures de différentes tailles

3 En déchirant des bouts de photos pour en révéler d’autres partiellement, elle propose de lire ses anciennes images à travers la dialectique du

4 Le tabouret provoquait un déséquilibre chez les femmes, qui les obligeait à chercher une pose plus dynamique et donc plus représentative de ce qu’

5 Choix discutable, qui avait aussi été une critique faite à l’encontre de sa série sur les Femen (Naked War, 2017) qui, par l’extraction de ces

6 Détenues a d’abord été un livre dans lequel se trouve une préface de Robert Badinter, un texte de l’historienne de l’art Nadeije-Dagen et de

7  On peut voir une partie de ce travail autour de Saint-Etienne ici : https://fr.calameo.com/read/0000946062e5680b20f05

8 Ces petits portraits individuels sont aussi particuliers dans l’histoire de la photographie ouvrière. Comme l’explique Céline Assegond dans « ‘Je t

9 Bourdieu s’est notamment intéressé à l’album de famille comme objet d’étude sociologique (voir Un art moyen. Essai sur les usages sociaux de la

10 Les portraits sont plus classiques, les personnes sont les sujets de la photo, assis et posant regard vers l’objectif.

11 Les photos exposées en 1954 sont donc à la fois un travail photographique en soi mais aussi un travail de repérage formel pour le film à venir.

12 On pense par exemple à la photo Ulysse qu’elle réalise à Sète en 1954, et qui fera l’objet d’un court‑métrage trente ans plus tard, ou encore à

13 Raymond Bellour, L’Entre-images. Photo, cinéma, vidéo, [Éditions de la Différence, 1990, 2002], Mimésis, 2020, p. 17.

14 Pierre Zucca, Images du cinéma. Photographies de plateau, Édition A. Moreau, 1980.

15 On pense ici a un événement important dans l’histoire de la photographie : l’apparition de l’empreinte du Christ sur le négatif photographique du

Notes

1 Faisant don de toutes ses œuvres et archives photographiques à l’Institut pour la photographie, et se retirant de la profession, B. Rheims quitte, et donc débarrasse, son lieu de travail. Reconstitué pour l’exposition en vues 360°, chacune commentée par la photographe elle-même, on entre donc dans son univers : salle d’attente, studio, bureaux, bibliothèque, tout y est. Le projet était de garder une trace d’un univers photographique qui s’est constitué depuis les années 80, et de préparer le visiteur à entrer dans les trois autres expositions qui lui sont consacrées sur place.

2 Elle s’inspire de Aleph Sancturay de Mati Klarwein (1963-1970), une temple cubique démontable contenant des peintures de différentes tailles faisant référence à toutes les religions, et parfois à des illustrations de tarot.

3 En déchirant des bouts de photos pour en révéler d’autres partiellement, elle propose de lire ses anciennes images à travers la dialectique du caché et du montré. Ce qui est visible ou non, dissimulé ou frontalement exposé, est au cœur de sa réflexion justement parce qu’elle s’intéresse à la nudité du corps féminin. D’autre part, comme dans sa série Chambre close (2007) par exemple, Bettina Rheims place souvent ses modèles devant des papiers peints à motifs floraux ou ornementaux, si bien que l’espace qui entoure les corps est saturé de détails et de couleurs. Ici donc, les photos dans lesquelles le papier peint est un élément important de la composition deviennent elles-mêmes tapisserie. Comme le caché/montré des corps se retrouve dans le dispositif des collages, l’apparat de leur environnement devient la manière d’habiller les murs de l’exposition.

4 Le tabouret provoquait un déséquilibre chez les femmes, qui les obligeait à chercher une pose plus dynamique et donc plus représentative de ce qu’elle voulait dégager. Bettina Rheims exposera ce tabouret dans l’exposition de ces photos qu’elle fait au château de Vincennes en 2018.

5 Choix discutable, qui avait aussi été une critique faite à l’encontre de sa série sur les Femen (Naked War, 2017) qui, par l’extraction de ces figures de l’espace de révolte dans lequel elles manifestent, édulcore et en dépolitise le combat.

6 Détenues a d’abord été un livre dans lequel se trouve une préface de Robert Badinter, un texte de l’historienne de l’art Nadeije-Dagen et de Bettina Rheims en plus d’une soixantaine de portraits dont une partie se trouve dans l’exposition. Rheims Bettina, Détenues, Paris, Gallimard, 2018.

7  On peut voir une partie de ce travail autour de Saint-Etienne ici : https://fr.calameo.com/read/0000946062e5680b20f05

8 Ces petits portraits individuels sont aussi particuliers dans l’histoire de la photographie ouvrière. Comme l’explique Céline Assegond dans « ‘Je t’envoie ma bobine’. Carte-photos d’ouvriers dans le premier quart du XXe siècle » (dans la revue Transbordeur, n° 4, Éditions Macula, février 2020), la photographie ouvrière à la fin du XIXe siècle était surtout celle des patrons d’entreprises qui prenaient des photos de groupe, ouvriers outils à la main, dans une démarche promotionnelle pour vanter les mérites de leur entreprise. Si bien que les travailleurs n’avaient aucun contrôle sur leur représentation. Ce n’est qu’avec l’apparition de la carte-photo dans les années 10 que ces derniers ont pu se réapproprier leur image et la partager avec leurs proches. La carte-photo était une photo petit format, que l’on pouvait envoyer avec un petit mot au dos. Schoellkopf s’inscrit dans cette idée que la photographie d’ouvriers rend visible une population oubliée par la société, mais inscrit aussi la photographie comme un objet de contre-pouvoir.

9 Bourdieu s’est notamment intéressé à l’album de famille comme objet d’étude sociologique (voir Un art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Minuit, 1965), jusqu’à Clément Chéroux qui en fait un objet de recherche depuis le début de sa carrière de chercheur en photographie (voir Vernaculaires : Essais d’histoire de la photographie, Point Du Jour, 2013).

10 Les portraits sont plus classiques, les personnes sont les sujets de la photo, assis et posant regard vers l’objectif.

11 Les photos exposées en 1954 sont donc à la fois un travail photographique en soi mais aussi un travail de repérage formel pour le film à venir.

12 On pense par exemple à la photo Ulysse qu’elle réalise à Sète en 1954, et qui fera l’objet d’un court‑métrage trente ans plus tard, ou encore à Salut les Cubains (1963), film qu’elle réalise entièrement avec ses photos prises à Cuba (1962-1963). Il y a une porosité entre sa conception de la photographie et du cinéma.

13 Raymond Bellour, L’Entre-images. Photo, cinéma, vidéo, [Éditions de la Différence, 1990, 2002], Mimésis, 2020, p. 17.

14 Pierre Zucca, Images du cinéma. Photographies de plateau, Édition A. Moreau, 1980.

15 On pense ici a un événement important dans l’histoire de la photographie : l’apparition de l’empreinte du Christ sur le négatif photographique du suaire de Turin en 1898. Philippe Dubois, développe cet événement comme un « avènement du regard » par la photographie (Dubois Philippe, « Chapitre 5 : Le corps et ses fantômes », dans L’Acte photographique, Paris, Nathan, 1990, p. 205-211).

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Référence électronique

Hugo Duquennoy, « Compte-rendu « Perspectives » à l’Institut pour la photographie (Lille, 08 octobre – 05 décembre 2021) », Déméter [En ligne], 7 | Hiver | 2022, mis en ligne le 15 janvier 2022, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.peren-revues.fr/demeter/742

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Hugo Duquennoy

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