Victor Serge, Memoirs of a Revolutionary, Avant-propos d’Adam Hochschild

p. 127-129

Bibliographical reference

Victor Serge, Memoirs of a Revolutionary, Avant-propos d’Adam Hochschild New York, New York Review Book, 2012

Text

Il faut commencer ce compte rendu par un rappel : Victor Serge, le pseudonyme sous lequel nous est connu Viktor Lvovitch Kibaltchitch, est un écrivain francophone. Il est né en effet à Ixelles (Belgique), certes d’une famille russe fuyant les persécutions tsaristes, mais c’est en français qu’il écrivit et publia ses romans, ses nouvelles, ses essais politiques et historiques. Les mémoires d’un révolutionnaire ont ainsi paru, en français, et de manière posthume, en 1951, au Seuil, avec une réédition en 1978. Ils ont paru également au Club des éditeurs en 1957. Plus près de nous, on les trouve édités par Robert Laffont en 2001, dans la collection Bouquins, accompagnés d’écrits politiques. Et, outre-Atlantique, toujours en français, en 2010, à Montréal, aux éditions Lux. L’ouvrage présenté ici est donc une traduction en anglais ; à ce titre son existence même ne laisse pas quelque peu d’intriguer. D’où ce réflexe universitaire de commencer l’ouvrage par la recherche de l’histoire du texte, car d’elle dépend bien souvent le sens de ce que l’on va lire.

Les deux pages numérotées xli à xlii, signées par Richard Greeman, commencent ainsi: « This is the first complete, unexpurgated edition of Victor’s Serge classic Memoirs of a Revolutionnary to be published in English, and thereby hangs a tale. » Toute une histoire donc !

On avait déjà signalé que le récit premier, en français, parut de manière posthume, quatre ans après la mort de son auteur. Autant dire son espèce d’inactualité. Cette apparente inactualité peut aussi se prolonger si l’on considère la situation de Victor Serge lorsqu’il rédige ses Mémoires, et qui peuvent du même coup éclairer ladite rédaction. Anarchiste souvent emprisonné pour ses convictions et ses actions (en Belgique, à Paris, à Barcelone), ayant rallié en 1919 l’URSS et le parti bolchevik, Victor Serge s’opposera comme d’autres à Staline, sera exclu du PCUS en 1928, mais contrairement à tant d’autres ne sera que banni d’URSS en 1936. En 1940, grâce à Varian Fry (dont le rôle est maintenant de mieux en mieux connu, notamment depuis la réédition en 1999 par Phébus de Planète sans visa de Jean Malaquais), il peut fuir et les nazis et le régime de Pétain, pour atteindre – comme d’autres, là aussi… – le Mexique, où il décèdera en 1947. Sa fidélité aux idéaux de nécessaires et radicales transformations sociales ne lui laissaient guère d’espace dans le monde dit libre ; et sa rupture avec Staline, et la théorie bureaucratique et policière du socialisme dans un seul pays, encore moins auprès du monde dit socialiste et de ses soutiens. Il ne lui restait même pas l’atmosphère romantique de l’Internationale plus ou moins informelle que l’on nomme trotskyste, puisqu’il avait rompu politiquement avec leur chef de file. Victor Serge ne pouvait donc apparaître que comme un hapax idéologique : inclassable, guère désirable. Ces prisons, ces exils, ces solitudes isolent encore plus, après sa mort, son œuvre.

Si l’on revient maintenant à ce nous apprend cette note, on constate donc qu’il a fallu attendre 2012 pour avoir de ce récit une version complète en anglais, soit en fait la traduction d’un texte aisément disponible dans sa langue originale. Si cela est vrai, on en est d’autant plus surpris que l’œuvre est qualifiée, à juste titre, de « classic ». Une œuvre de référence, donc, importante mais tronquée ! On constate alors deux faits importants.

Tout d’abord l’importance des ciseaux. La note déjà citée nous apprend en effet qu’en 1963 les éditions Oxford University Press demandèrent, pour des raisons économiques, que la version traduite fût réduite d’un huitième. Ce que fit donc le traducteur, Peter Sedgwick, en opérant à peu près deux cents coupes, pour tenter de maintenir tant bien que mal le propos de l’œuvre. Comme on ne connaît pas le contexte précis de la demande de l’éditeur, on n’en tirera pas de conclusions autres que celle-ci : que les Mémoires ne sont pas considérés, en général, comme des œuvres littéraires, puisqu’on en use éditorialement avec une liberté qui ne s’appliquerait certainement pas à d’autres genres, ou à des auteurs peut-être plus renommés. Appliquerait-on ce même argument économique à Lawrence Sterne, à Dickens, à Joyce ?

Le second fait à remarquer est le dévouement qu’il a fallu pour mettre au jour cette nouvelle traduction. Celui, déjà signalé, de Peter Sedgwick, que manifeste également sa préface de 1963. Celui de Georges Paizis, un Grec, qui a minutieusement retrouvé et complété tous les passages disparus. Ceux encore que l’on retrouve dans l’avant-propos d’Adam Hochschild, sur le post-soviétisme, dans une longue citation de François Maspero, dans le précieux glossaire historique et l’index à la fin du volume. Bel hommage, au fond, aux convictions de Victor Serge, que ce travail collectif, international et politique de traduction et d’édition.

Reste évidemment la question pertinente : pourquoi lire aujourd’hui ces Mémoires d’un révolutionnaire, au-delà de la question, déjà importante, de la fidélité ? On peut évoquer la curiosité, au sens noble du terme, pour une période certes révolue mais dont les spectres continuent sans doute de nous hanter. Ou bien celle pour une si singulière traversée de la première moitié du siècle dernier. Ou encore celle de trouver de nouvelles matières à réflexion pour cette question certainement dure à résoudre, mais qui engage tant : pouvait-on, ou pas, éviter un Staline ?

Toutes ces questions ne peuvent être ni oubliées ni effacées. Mais peut-être aujourd’hui peut-on être sensible, ou pour le dire mieux, encore plus sensible, pour des raisons propres à ce début du XXIe siècle, à ce double mouvement, celui de la réversibilité permanente de la vie publique et de la vie privée, de l’articulation (souvent aujourd’hui idéologiquement voilée ou déniée) de l’individu et de l’Histoire, et celui qui consiste à tout le temps lutter contre le sentiment d’impuissance qui gagne ou peut gagner face au cours des choses. Pour terminer, il faut donc commencer, avec la première page, avec les premières lignes, que nous citerons bien évidemment en français :

Dès avant même de sortir de l’enfance, il me semble que j’eus, très net, ce sentiment qui devait me dominer pendant toute la première partie de ma vie : celui de vivre dans un monde sans évasion possible où il ne restait qu’à se battre pour une évasion impossible. J’éprouvais une aversion, mêlée de colère et d’indignation, pour les hommes que je voyais s’y installer confortablement. Comment pouvaient-ils ignorer leur captivité, comment pouvaient-ils ignorer leur iniquité ?

Avec cela, comme disait, certes en un tout autre contexte, Blaise Pascal, nous voilà, nolens volens, embarqués. Et, avec Victor Serge, nous pouvons apprendre à le vouloir.

References

Bibliographical reference

Frédéric Briot, « Victor Serge, Memoirs of a Revolutionary, Avant-propos d’Adam Hochschild  », Grandes figures historiques dans les lettres et les arts, 3 | -1, 127-129.

Electronic reference

Frédéric Briot, « Victor Serge, Memoirs of a Revolutionary, Avant-propos d’Adam Hochschild  », Grandes figures historiques dans les lettres et les arts [Online], 3 | 2014, Online since 22 janvier 2014, connection on 06 novembre 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/figures-historiques/177

Author

Frédéric Briot

Université Lille 3 - Alithila

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