1. Introduction
Le travail qui suit est en partie le fruit d'un échec. A la suite d'une étude sur le marqueur de discours voilà, où les divers corpus oraux disponibles fournissaient largement assez d'exemples et de contextes variés, plusieurs tentatives équivalentes se sont révélées infructueuses dans le cas de ok. Il est vrai que les deux marqueurs n'ont pas tout à fait la même place du point de vue sociolinguistique. Si voilà appartient, y compris dans son usage absolu (sans complément), à la langue orale et familière, il est malgré tout ancien dans la langue et parfaitement admis par tous les locuteurs sans restriction. En revanche, ok est évidemment un emprunt à l'anglo-américain et son succès ne se manifeste clairement qu'après 1945, pour des raisons assez évidentes. Mais ce n'est pas seulement un emprunt, c'est un mot qui, dans l'échange linguistique, suppose une relation dénuée de formalité, « décontractée » et marquée par une certaine représentation de la culture américaine. Les locuteurs du français soucieux de respecter un certain formalisme, voire une certaine norme, répugneront donc fréquemment à recourir à ok pour exprimer leur accord. Il faut dire par ailleurs que les marqueurs d'accord sont déjà assez nombreux en français, oui, d'accord, entendu, parfait, bon, hm, avec leurs variantes en sont quelques exemples. Mais en tout cas, la consultation de nombreux corpus oraux s'est avérée beaucoup moins fructueuse que je ne m'y attendais. Beaucoup de locuteurs n'utilisent pas ou très peu ok. Le nombre d'occurrences de plusieurs corpus se trouve ainsi très faible. Et non seulement les occurrences sont en petit nombre dans l'absolu mais leur contexte d'emploi s'avère assez monotone, simple réplique exprimant une forme d'acquiescement et dénuée de tout commentaire particulier ou d'une autre propriété distributionnelle significative. J'ai ensuite tenté d'écouter à la radio ou à la télévision des émissions présentant des débats ou des discussions où on aurait pu s'attendre à rencontrer des ok. Le résultat là aussi a été assez décevant. Mon étonnement était d'autant plus grand que, dans ma pratique du français, je constate que beaucoup de locuteurs font un usage assez régulier de ce marqueur. Il me restait alors à reprendre le carnet plus ou moins modernisé de Damourette et Pichon pour noter en toute circonstance les apparitions de ce mot aussi insaisissable qu'Ondine. Malheureusement cette solution n'a pas pu non plus fonctionner car il aurait fallu noter ou enregistrer dans l'instant même le contexte antérieur et le contexte postérieur à ok pour pouvoir l'interpréter de façon satisfaisante.
J'ai alors choisi en désespoir de cause de faire un sondage dans la base de données Frantext. Deux orthographes principales s'y rencontrent : o.k. et ok le plus souvent en majuscules. La première orthographe comporte 245 occurrences et la seconde 311. La première commence en 1939 avec quelques occurrences de Simone de Beauvoir, et les suivantes sont à partir de 1946. Cette orthographe est aussi la plus générale dans les textes les plus anciens. En effet la seconde orthographe a ses premières occurrences dans Frantext en 2000 (99 francs de Frédéric Beigbeder). L'orthographe attachée se prolonge jusqu'en 2018, mais celle avec des points continue jusqu'en 2013 et on ne peut donc pas vraiment en tirer de conclusions absolues, mais la forme attachée implique peut-être davantage de lexicalisation et les exemples que je privilégierai ici sont les exemples avec ok sans points. Évidemment étudier les emplois de ok à partir d'un corpus exclusivement écrit n'est pas du tout suffisant et il faut compléter les observations que je propose par des données orales, même si elles seront certainement assez longues à collecter si l'on se fie à mon expérience décrite plus haut. En tout cas, l'avantage du texte écrit, c'est la possibilité de disposer d'un contexte discursif très élargi. Et même si les occurrences relevées sont extraites de textes non seulement écrits mais rédigés, on sait que les auteur(e)s contemporain(e)s cherchent depuis longtemps à écrire dans une langue la plus proche possible de l'oralité. C'est pourquoi la majeure partie des exemples relevés appartiennent à des dialogues. Un autre avantage de ce corpus, c'est la grande diversité des emplois qu'il propose. Bien sûr, compte tenu du corpus sur lequel j'ai travaillé, je considère que mes observations doivent être considérées simplement comme des pistes hypothétiques et non comme des résultats définitifs. Les remarques qui suivent constituent des observations en ce sens qu'elles ne reposent pas sur un cadre théorique précis. Elles reposent sur la mise en relation supposée d'un type d'emploi de ok et des propriétés contextuelles qui paraissent le favoriser. Mais il est clair que les propriétés invoquées correspondent à des catégories linguistiques précises. Cela permettra à terme de dessiner une architecture des emplois de ok.
2. Ok, un style de vie, un look ?
Une petite série d'occurrences réfère à un magazine des années 70 :
(1) |
Tu traînes ta grolle devant la glace ou tu fais la chandelle sur la moquette ? Tu n'aimerais pas t'installer peinard sur ton lit pour lire « OK magazine » ou t'instruire avec « Phosphore » ? Bof ! - Si ça t'emmerde, lis carrément ton bouquin sérieux ou feuillette une B.D. (A.Grimm, La Flambe, 1982-1983, p. 15) |
Voici la description dans Wikipédia de l'origine de ce magazine :
Mlle Âge Tendre opère donc une mutation, consciente « du phénomène d'usure du lectorat et du vieillissement des idoles yé-yés ». Le magazine devient mixte en changeant son nom en Âge Tendre pour traiter de sujets concernant les deux sexes. Les idoles yé-yés cohabitent désormais avec les vedettes du rock (Mick Jagger, Michel Polnareff) et du disco (Donna Summer). Mais le magazine n'est plus, comme le stipulait à son origine une bande sous le titre, « dans le vent ». M.A.T. reprend un temps son nom original puis disparaît, laissant place à OK Âge Tendre, qui devient ensuite OK Podium. C'est également le début d'une scission journalistique entre les magazines pour adolescentes traitant de musique et ceux consacrés à la mode.
On voit que la référence à ok correspond à un style, un élément révélateur d'une mode linguistique : dire ok c'est un signe de connivence générationnelle. Cela corrobore le statut peu formel du marqueur si on admet que les générations antérieures ont tendance à cette époque à condamner l'usage de ok1. Sans doute aussi que certaines composantes de la culture américaine ont joué un rôle dans ce choix. Et c'est un phénomène qui dépasse le strict domaine du langage puisque, si l'on s'intéresse au vêtement, il est évident que la place sémiologique d'un pantalon comme le jean a profondément évolué entre les années 60 et aujourd'hui. Et on pourrait en dire autant du rôle de la norme linguistique, dont la pression par exemple dans les situations dites formelles a nettement régressé2.
3. OK réfère à du factuel
Une autre propriété qui caractérise certains emplois de ok est le fait qu'il réfère volontiers à des aspects concrets et pratiques. Non que ok lui-même renvoie à de tels phénomènes, mais il est en rapport avec ces phénomènes. C'est par exemple le cas de l'emploi attributif de l'extrait suivant :
(2) |
Vasseur poussa un juron qui calma les deux capitaines. Ils avaient peut-être compris que c'était OK, qu'ils auraient leurs quatre caisses demain. (F.-R. Bastide, Les Adieux, 1956, p. 184) |
L'aspect pratique peut concerner le résultat évoqué par ok :
(3) |
– Ma foi, t'as peut-être raison. Leboeuf a déniché une paire de chaussures assorties, un feutre taupe et un pardess' du même tonneau. L'ensemble se tenait. – OK, je prends. Un coup de fer et ça roule. Reste les cheveux. (p. Pécherot, Les brouillards de la Butte, 2001, p. 168) |
Un autre emploi attributif concerne le fait que quelque chose fonctionne correctement. Tout est en ordre dirait-on, à la façon du sens littéral d'un équivalent grec de ok, en daxi ‘en ordre’ :
(4) |
Treize inspecte le module lunaire, il tâte la pierre, il se penche à l'intérieur du puits. Tout semble OK. Soudain il se ravise. Et Dieu, alors ? Où est-il passé, celui-là ? On n'avait pas rendez-vous avec lui ? On ne devait pas discuter ensemble ? Il est en retard ? Ou bien il se cache ? (O. Rolin, Tigre en papier, 2002, p. 257) |
Cet aspect de bon fonctionnement du réel se retrouve d'une certaine manière dans la collocation fréquente aujourd'hui à l'oral : OK, ça marche ! Car on notera que s'il y a évidemment l'expression d'un accord dans cette formule, cet accord porte sur un aspect pratique et non une discussion plus théorique.
4. Le locuteur de OK s'aligne sur son interlocuteur
Un certain nombre de propriétés récurrentes dans les emplois de ok, comme on peut s'y attendre, mettent en jeu les relations entre les interlocuteurs. C'est ainsi que l'on rencontre souvent des formes d'acquiescement où le locuteur d'ok s'aligne sur son interlocuteur. Cet alignement peut avoir des interprétations différentes. Cela peut être neutre comme dans l'exemple suivant :
(5) |
– À quoi bon attendre puisque j'ai pas le fric ? – OK, on n'attend pas. (C. Rochefort, Encore heureux qu'on va vers l'été, 1975, p. 21) |
L'alignement consiste ici après ok à énoncer la proposition attendue par l'interlocuteur. Je qualifie cet alignement de neutre parce que, précisément, il s'agit d'un alignement et que la responsabilité de l'assertion reste finalement celle de l'interlocuteur. On pourrait dire qu'il y a accord sans responsabilité.
Dans d'autres cas, l'alignement comporte un aspect restrictif, l'acquiescement se trouvant limité à un point de vue et introduisant un élément non consensuel. C'est ce que nous avons par exemple dans (6) et (7) :
(6) |
Jacques était d'accord avec Pierre comme toujours, et ce n'était même pas des vrais paysans en plus. Paul les trouvait bizarres comme paysans ok, mais marrants. Tu trouves tout marrant, dit Pierre. (C. Rochefort, Encore heureux qu'on va vers l'été, 1975, p. 156 |
(7) |
tu pourrais me dire merci ! Et de quoi ? dit la grenouille, de pas m'avoir tuée ? C'est vraiment aimable de ta part de m'avoir laissé la vie dit-elle. Ok, lui dit Paul, mais alors qu'est-ce que je vais bouffer moi ? (C. Rochefort, Encore heureux qu'on va vers l'été, 1975, p. 201) |
Ces exemples confirment le caractère neutre de l'alignement par ok, qui autrement entrerait en contradiction avec la réserve qui suit.
D'autres emplois donnent à l'alignement une valeur qui, sans être négative, accentue l'absence d'implication du locuteur, comme s'il cherchait à se débarrasser des questions ou des problèmes soulevés par son interlocuteur. C'est, semble-t-il le cas dans l'extrait suivant:
(8) |
« I am bad, I am bad, I am bad, I won't do it again, I promise! » Tout ça se passait sur le petit palier, Montand en robe de chambre lui tapotait les cheveux en lui disant : « OK, OK, tâche d'être à l'heure demain matin. » (S. Signoret, La nostalgie n'est plus ce qu'elle était, 1976, p. 333) |
Ici le ok répété, en écho au geste de tapoter les cheveux de l'interlocutrice, apparaît comme une tentative d'évacuer le désarroi de l'interlocutrice. L'alignement ici est plutôt implicite : il ne s'agit pas cette fois de donner son accord à une proposition de l'interlocuteur.
5. Différentes formes de conflit
Même si ce n'est pas toujours le cas, l'utilisation de ok correspond souvent à une situation de conflit ou de tension entre les interlocuteurs. Là aussi, plusieurs cas peuvent se présenter.
5.1. Acceptation sous la responsabilité de l'interlocuteur après un refus
Dans l'exemple suivant le conflit entre les interlocuteurs est clairement présent dans l'échange qui précède ok dont la ponctuation ne signale pas le changement d'interlocuteur. Le locuteur qui énonce le ok accède finalement à la demande de son interlocuteur, mais il est évident que ce changement d'avis n'est porté par aucune conviction, ce que j'interprète comme relevant de la responsabilité de l'interlocuteur. La formule qui suit, « entre, on se serrera » correspond d'ailleurs à cette réticence. Quoi qu'il en soit, ok exprime la suspension du conflit.
(9) |
Moi je les ai essuyées. Moi je les ai cuites. Moi aussi je me souviens. Et moi aussi. Et moi et moi et moi ! Qui es-tu toi ? Tu n'étais pas là ! Alors je n'ai pas le droit de me souvenir ? Ok, entre, on se serrera. (C. Rochefort, Ma vie revue et corrigée par l'auteur à partir d'entretiens avec Maurice Chavardès, 1978, p. 129) |
5.2. Résistance au souhait de l'interlocuteur puis acceptation sans enthousiasme
Dans l'exemple (10), le locuteur est censé accéder au souhait de l'interlocuteur supposé après une phase probable de résistance qu'implique justement ok et la suite de la phrase dont il est le premier mot. La situation est très proche du cas précédent mais cette fois le locuteur revendique son autonomie face à l'impatience de l'interlocuteur, contestant finalement à celui-ci l'existence même du conflit, source de son impatience.
(10) |
Avec tout ça j'ai bien peur que je ne reverrai jamais plus Ninive, je crois que ça n'a jamais été à ce point-là. Ok, j'y vais, bousculez pas. D'ailleurs on n'est plus très loin, je commence à sentir l'écurie. (C. Rochefort, Ma vie revue et corrigée par l'auteur à partir d'entretiens avec Maurice Chavardès, 1978, p. 276) |
5.3. Un accord de compromis
Certains emplois réfèrent à une transaction, qui, sans être un conflit ouvert, implique un désaccord sur un prix à payer. Le type d'accord que signe ok sur ce fond de tension est donc un compromis puisque, en principe, aucun des deux partis n'obtient exactement ce qu'il souhaite. On notera que dans ce type de négociation, comme dans un jeu de rôle, il importe de ne jamais donner l'impression que l'on est totalement satisfait. C'est précisément la fonction de ok de donner à l'autre l'impression que l'on s'est rendu à ses arguments sans être intégralement satisfait. Voici deux exemples révélateurs :
(11) |
– Trente ? - Cinquante, dit-il. Au moins. Je suis un peu gêné. Je suis certain qu'il ne les vaut pas. Mais pour une fois, dans ma vie, que je ferais une affaire... – OK, dis-je, va pour cinquante. (J.-L. Benoziglio, Cabinet portrait, 1980, p. 51) |
(12) |
– 7 francs c'est trop cher. Cinq francs ? – OK. Enchanté de cette discussion financière digne du souk de Marrakech, votre petit-fils fonce vers la cuisine en faisant l'avion. (N. de Buron, "Chéri, tu m'écoutes ? : alors répète ce que je viens de dire...", 1998, p. 75) |
Dans (11) « va pour » se présente évidemment comme une concession à l'autre. Dans (12), le vendeur renonce à sa proposition initiale mentionnée par son interlocuteur, et c'est donc cette fois le vendeur qui est dans la concession.
5.4. S'il y a une solution c'est qu'il y a un problème
Dans le passage suivant, ok se trouve intégré dans un contexte de compromis qui suppose que l'accord affirmé et présenté comme ne faisant pas difficulté (« no problem ») implique en réalité de ‘se débrouiller’ avec les obstacles qui justifient le compromis.
(13) |
La voyant dans de si bonnes dispositions, il avait dit que d'accord, OK, no problem : il se débrouillerait. (J.-L. Benoziglio, Tableaux d'une ex, 1989, p. 244) |
On notera ici la position plutôt rare des marqueurs d'acquiescement en proposition subordonnée, où la présence de d'accord autorise celle, en seconde position, de ok, qui serait, peut-être pour des raisons phonétiques, exclu en première position. Ce qui est intéressant c'est que, si l'on essaie de remplacer les marqueurs subordonnés par une proposition bien formée et « correcte », ce n'est pas évident, ce qui montre la condensation sémantique des marqueurs.
5.5. Une tension plus ou moins élevée, plus ou moins longue
Dans les exemples suivants, le contexte d'emploi de ok suggère soit une tension élevée (ex. 14) soit une tension relativement longue (15). Le marqueur permet donc de faire retomber la tension, mais au prix, comme on l'a vu ailleurs, d'une concession (« ne vous énervez pas ») ou d'un retour à une cordialité de principe (« merci »).
(14) |
– Et qu'est-ce qui me prouve que vous n'appelez pas tout simplement de chez vous ? – Rien. Vous me croyez sur parole ou vous allez vous faire... – OK, a fait l'autre, ne vous énervez pas. Comprenez, on s'est déplacés si souvent pour rien que... Bon, j'envoie une équipe faire un constat. (J.-L. Benoziglio, Cabinet portrait, 1980, p. 154) |
(15) |
Pas connu que des printemps, mon moineau ! Je pige illico qu'il vaut mieux soutenir le regard d'un mec de ce genre. Sinon, balpeau pour la converse. ça marche. |
Une dernière remarque à faire concernant les contextes de tension dans lesquels apparaissent les ok que nous avons vus, c'est que, du fait que le marqueur diminue ou annule la tension précédente, cela lui donne un aspect conclusif, la menace de désordre issu de la tension s'éloignant et permettant le retour à l'ordre. En daxi, comme dit le grec.
6. Ok interrogatif
Un ensemble d'occurrences de ok dans Frantext ont une valeur interrogative. Ces emplois sont intéressants car ils mettent souvent bien à découvert les valeurs du marqueur, en particulier la façon dont il organise les relations entre interlocuteurs. Voici les principaux types d'emplois que j'ai pu dégager.
6.1. Demande appuyée d'acquiescement
Un premier type vient appuyer une demande de confirmation ou d'acquiescement. C'est ce qui est illustré par l'exemple (16). Ok y apporte deux composantes. La première c'est que le marqueur ok porte pratiquement la marque de l'interrogation, car une phrase complexe comme celle qui contient ok ne pourrait pas comporter ni intonation ni valeur interrogative sans lui. La deuxième c'est une dimension qu'on pourrait qualifier d'empathique, comme souvent bien sûr les demandes de confirmation, mais qui se trouve renforcée ici par la familiarité du mot. On notera enfin que l'on retrouve dans cet usage la tentative d'échapper à un conflit. La différence c'est que le ok a en quelque sorte changé de locuteur, du fait qu'il est suggéré dans le cadre de l'interrogation.
(16) |
L'histoire de notre Peuple fourmille de ce genre d'abjurations. Puisque tu es sépharade, on se dit « tu » OK ? (J.-L. Benoziglio, Cabinet portrait, 1980, p. 106) |
Une variante de ce type d'interrogation est illustrée par (17), où on notera que c’est alors une tournure coordonnée à laquelle ok confère un statut interrogatif. D'autre part, comme dans le cas précédent, l'aspect empathique introduit une complicité en rapport avec le sens de l'énoncé.
(17) |
traditionnel et inévitable arrêt de dix minutes, faire halte dans une cradingue buvette en tôles ondulées du bord de la route (« tu arrêtes chez moi tes touristes et on partage la recette OK ? »). (J.-L. Benoziglio, Tableaux d'une ex, 1989, p. 307) |
6.2. Une question rhétorique
Comme pour d'autres interrogatives, les ok interrogatifs peuvent avoir une fonction rhétorique, comme dans (18). Encore faut-il s'entendre sur ce terme. Ce qui en fait une interrogation rhétorique c'est le caractère contraint de la réponse, qui du coup est validée d'avance par la question. Mais si une telle question force la validation, cela ne veut pas forcément dire qu'un acquiescement, même gestuel, n'est pas exigé.
(18) |
Je suis pus un bébé, tu sais. Je me garde tout seul. Les ceuses qui m'appelleront pas monsieur Émile, je vas leur crisser un coup de pied sur la jambe, OK ? (Y. Beauchemin, Le Matou, 1981, p. 88) |
6.3. Ok interrogatif accompagné d'un impératif
Une variante apparente de ce ok interrogatif est présente dans (19), où il porte sur un impératif, ce qui peut paraître contradictoire. Mais il me semble que sur un plan pragmatique, l'impératif est disjoint de l'interrogation, qui cette fois vient corriger et non renforcer la contrainte. Il fonctionne ici plutôt pour donner à la contrainte un caractère consenti. Il anticipe donc sur un risque de rejet qu'aurait entraîné le simple impératif.
(19) |
- Fais-moi du pain doré comme l'autre matin, OK ? fit-il en se jetant contre les genoux d'Élise tandis que Florent s'essuyait le nez. (Y. Beauchemin, Le Matou, 1981, p. 502) |
Au contraire dans (20) et (21) l'impératif accompagné d'une négation est renforcé par le ok interrogatif, qui lui donne une valeur plus autoritaire. Il implique même une certaine irritation sous-jacente du locuteur. Il se produit alors effectivement une inversion des rôles, le locuteur n'attendant plus du tout autre chose qu'une soumission à sa demande. Il y a en effet dans la tension entre les interlocuteurs sous-jacente à ok, une sorte de lutte pour occuper la position directive : dire ok c'est en principe se soumettre à la demande de l'autre, mais c'est en même temps refuser d'en assumer la responsabilité. En ce sens on pourrait qualifier, en durcissant un peu le trait, les emplois de ok où ces enjeux de domination/soumission sont présents de ok « à la fourrure » en référence à l'ouvrage de Sader Masoch de 18703.
(20) |
Moi, je tiens beaucoup à ce projet. Il faudrait que Luidgi nous en dise plus. Luidgi : Alors ne m'interrompez pas, OK ? (R. Robin, L'immense fatigue des pierres, 1996, p. 168) |
(21) |
– Excuse-moi de t'interrompre mais c'est toi le malade drogué qui sors de cure, alors n'inverse pas les rôles, OK ? (F. Beigbeder, 99 francs, 2000, p. 44) |
L'agressivité peut être plus nette encore quand l'injonction n'est pas à l'impératif mais à l'indicatif, comme c'est le cas souvent même sans ok. Il y a simplement avec le ok interrogatif une demande de validation contrainte. C'est le cas dans (22).
(22) |
– Ah ouais c'est vrai, t'as un peu grossi on dirait... – Hé, lâcha-t-elle en se retournant, je juge pas ta vie et tu juges pas la mienne, OK ? Au fait, tu devais pas aller vivre chez un pote après les fêtes ? Si, c'est ça, hein ? Bon, alors y nous reste qu'une semaine à tenir... On devrait pouvoir y arriver, non ? (A. Gavalda, Ensemble, c'est tout, 2004, p. 228) |
Le ok interrogatif confirme ainsi son rôle de contrôle des relations de tension entre les interlocuteurs.
7. Caractère relatif de l'acquiescement
Les tensions généralement sous-jacentes à l'usage de ok et sa neutralité donnent le plus souvent au marqueur une valeur d'acquiescement relative ou provisoire. On peut trouver de nombreuses traces de ce fonctionnement.
Dans (23), la présence de la formule « d'un ton las » montre en particulier la faible implication du locuteur.
(23) |
Non, pas de corps, juste un infâme tas de mauvaises chaussures, une vingtaine peut-être. Avec les pieds dedans. Oui, toute l'équipe, Dennison. OK, passez-le-moi, acheva le surintendant d'un ton las. (F. Vargas, Un lieu incertain, 2008, p. 27) |
Dans (24) et (25), on constate que le compromis indiqué par ok est suivi de mais qui apporte une restriction immédiate.
(24) |
Et Richard (je ne peux plus dire papa) nous a proposé un deal : « Je veux bien emmener la chienne dans le bateau, mais vous nettoyez tous ses vieux poils le soir ! » Alors OK. Mais je trouve grotesque de nettoyer pour rien puisque le lendemain, le carnage recommence. ( A. Grimm, La Flambe, 1982-1983, p. 72) |
(25) |
Aidez-moi, quoi ! La secrétaire : OK, je vous passe le trombinoscope, mais il s'appelle revient. (É. Rochant, Un monde sans pitié, 1990, p. 26) |
Dans (26), la restriction arrive avant ok.
(26) |
Les mygales sont dangereuses (sautent et piquent !) ; alors je les aime pas. Mais sinon OK. Les araignées à gros corps, ce sont les plus ignobles. (A. Grimm, La Flambe, 1982-1983, p. 25) |
Dans (27), le ok n'empêche nullement l'échec du « topo ». Le discours de l'autre a été mentalement reçu par le locuteur mais il ne parvient pas à l'influencer.
(27) |
J'en fus à ce point « ému » en mon corps que j'allai m'en confier au père Varillon. Il me fit un « topo » sur l'art et la sublimation. OK. Quoi qu'il en soit, j'eus très nettement le sentiment que je cessais d'être croyant en fonction d'une incompatibilité frappante entre ma foi et mes désirs sexuels (L. Althusser, L'Avenir dure longtemps, 1985, p. 237) |
Le passage cité en (28) va plus loin dans la violence des rapports entre les interlocuteurs. Là aussi on note un décalage entre l'acquiescement marqué par ok et le rejet de la proposition de Clara, qui manifeste verbalement et physiquement son désaccord. Mais le locuteur paraît particulièrement méprisant et négatif dans ce qui suit ok. Comme dans (27), le locuteur a entendu et compris l'interlocutrice mais il n'en tire pas les conséquences qu'elle en attend, ce qui provoque une réaction violente.
(28) |
– Clara, c'est tout ? — Non, Léonard n'était pas seul. — Il y avait au moins celui qui le photographiait. – Celui-là et quelques autres. Trois ou quatre selon le nouveau cheminement du petit feutre rouge dans les profondeurs obscures de la vieille photo. Et peut-être d'autres, hors champ. — OK ma chérie, ça suffit comme ça. Tu me planques soigneusement tout ça, et dès demain je rends la photo à Théo pour qu'il l'envoie à la police. — Pas question, plutôt crever ! Cela dit en abattant si violemment sa fourchette sur son assiette et en gueulant si fort, malgré le désir de se retenir, que les clients les plus proches sursautent et se retournent. (D. Pennac, Au bonheur des ogres, 1985, p. 202) |
Dans (29), on note une nuance ironique de relativité soulignée par le verbe « passe » et le « goût de vieilles vacances et d'origan ».
(29) |
Toute chaude, la pizza passe OK, avec un goût de vieilles vacances et d'origan. La chaleur de ce début d'aprème et celle de la bière, ça s'épouse douillettement dans ma petite carcasse rassasiée. (J.-L. Degaudenzi, Zone, 1987, p. 127) |
Dans (30), le locuteur « baisse les bras » montrant par là le caractère minimaliste de son accord.
(30) |
– Ma surprise à moi est bien meilleure, reprend Jérémy qui commence à faire la gueule. (Il ajoute, mauvais :) Mais si t'en veux pas, je la ramène où je l'ai trouvée. – OK, je baisse les bras. (D. Pennac, La Fée Carabine, 1987, p. 244) |
Dans (31), le locuteur le caractère minimal et sans enthousiasme de l'accord correspond à un changement de point de vue.
(31) |
– Si tu veux te la faire, c'est pas le moment, il a dit fermement. J'ai haussé les épaules. – OK, il a continué, t'as raison. (J.-B. Pouy, La Clef des mensonges, 1988, p. 31) |
Même limitation, exprimée par « en ce cas » dans (32).
(32) |
et je lui ai expliqué ma petite idée, et il a dit qu'en ce cas oui, OK, d'accord, il déposait l'client, j'avais d'la chance il créchait plus ou moins dans le quartier, et il revenait me prendre à mon adresse : dans une p'tite d'mi-heure ça allait ? (J.-L. Benoziglio, Tableaux d'une ex, 1989, p. 226) |
Dans (33), c'est la conditionnelle en si qui marque le caractère restrictif de ok.
(33) |
- Ok. Si je pars à neuf heures, c'est bon. - Alors, tu restes ? - Ça m'en a tout l'air, non ? (M. Garat, Tranquille, 2013, p. 21) |
Dans (34), on retrouve la tension entre interlocuteurs et le locuteur emploie ok comme marque d'apaisement mais sans que les interlocuteurs se soient véritablement compris.
(34) |
Virginia ne devina que les derniers mots. – Quoi portable ? Où ça ? Il faillit hurler. Sentit des centaines d'yeux posés sur sa nuque. Rétablit l'équilibre à l'extrême limite. – OK bébé ! Assieds-toi sur le lit et note. (M. Embareck, Sur la ligne blanche, 1984, p. 179) |
Même renoncement après une tension, qui menace tout de même de ressurgir dans (35).
(35) |
HIPPO J'aime pas le thé. NATHALIE Tu veux boire autre chose ? HIPPO Qu'est-ce que tu as ? NATHALIE Rien... de l'eau... HIPPO Bon OK ça ira... NATHALIE Je m'excuse... HIPPO écoute, je comprends que tu regrettes de m'avoir fait venir, mais putain, fais un effort quoi ! (É. Rochant, Un monde sans pitié, 1990, p. 43) |
(36) et (37) illustrent à leur tour une tension résolue si l'on peut dire de façon négative, le locuteur n'étant pas satisfait par la situation qu'il se sent obligé d'accepter.
(36) |
XAVIER Allô ? Oui je vous le passe... Hippo retient son souffle. XAVIER Halpern, téléphone ! Hippo éteint le gaz, écrase ce qui reste de son cigare et se décide. HIPPO OK... Éric Rochant, Un monde sans pitié, 1990, p. 68 |
(37) |
elle a compris le truc : dès que je l'ai, elle me jette. Je la laisse... Bon le lendemain, je lui téléphone : Allô ? salut c'est Hippo... Salut... Qu'est-ce que tu fais ? Je travaille... OK, on peut pas se voir ? Non ! OK, alors... Salut... Salut ! (É. Rochant, Un monde sans pitié, 1990, p. 81) |
En résumé, tous ces exemples, qu'on pourrait multiplier, confirment l'orientation minimaliste de ok, qui, s'il met un terme à un épisode de tension d'une façon assez factuelle, par une décision qui permet de maintenir le dialogue, correspond rarement à une satisfaction complète du locuteur.
8. Valeur concessive de OK
Si on récapitule un peu les différents aspects du fonctionnement de ok, on s'aperçoit qu'une propriété récurrente est que le marqueur joue un rôle de régulation des tensions entre les interlocuteurs d'un dialogue. En ce sens on peut dire que sa fonction n'est pas métadiscursive mais métapragmatique. Elle n'articule pas les différentes composantes du discours mais les relations des interlocuteurs. Comme celles-ci sont extrêmement variées, l'intérêt de ok c'est précisément son caractère vague4 et polyvalent, un peu comme un joker.
Si l'on s'interroge maintenant sur ce qui caractérise les relations entre les interlocuteurs, on constate, à travers les différents exemples que nous avons examinés dans notre parcours, qu'il y a une sorte de tension sous-jacente au dialogue, les deux interlocuteurs ne poursuivant pas nécessairement exactement le même but. Le fait même de dialoguer implique nécessairement des tentatives d'ajustement des points de vue et des formulations. Une des fonctions de ok est alors de permettre au dialogue de parvenir à un ajustement sans qu'il y ait identité absolue des points de vue.
C'est ce qui explique notamment le caractère volontiers concessif de ok. Cette valeur concessive est illustrée par exemple dans l'alignement que nous avons vu entre le point de vue du locuteur (celui qui dit ok) et celui de son interlocuteur. Mais le phénomène est plus large. Il joue aussi un rôle dans ce que j'ai appelé le côté « à la fourrure » où les interlocuteurs cherchent alternativement à prendre le dessus. La concession peut d'ailleurs être une stratégie pour prendre en main la situation. En effet, dire ok c'est mettre un terme à une partie au moins de ce qui fait débat, même si l'on fait une concession à l'autre pour cela.
On peut définir la concession en disant que c'est une façon de faire pénétrer le discours de l'autre dans son propre discours, mais cette pénétration s'accompagne en général d'une restriction et c'est précisément cette combinaison qu'on nomme concession. Autrement dit, la concession proprement dite est partielle.
Un premier type de concession avec ok est représenté par les énoncés où ok est pratiquement en corrélation avec mais. Cet emploi, illustré par (38), a beau ne pas se trouver en contexte dialogique, il met en scène tout de même un point de vue qui est posé comme extérieur au locuteur.
(38) |
Oui, pendant l'été, j'y allais très souvent. En ce moment, je les déserte plutôt. Se faire fumer dans la gueule (je fume pas) et pas avoir la place de réellement danser, salut ! L'été, OK, c'est les vacances, mais pendant l'année, l'ambiance est différente, plutôt plouc. (A. Grimm, La Flambe, 1982-1983, p. 132) |
Ensuite on trouve à nouveau, accompagnant la concession, une tension plus ou moins marquée. Dans (39), le premier ok, répondant à « T'as compris ? », une formule à la fois autoritaire et menaçante, apparaît comme une concession à laquelle le point d'exclamation à l'écrit confère une certaine agressivité, où l'on retrouve l'idée conclusive que l'on vient d'analyser. Le second ok semble clore la discussion sans restriction mais la dernière réplique confirme le caractère concessif du second également.
(39) |
HIPPO J'ai réussi à t'éviter l'exclusion définitive ! Alors maintenant tu te tiens à carreau. Tu fumes plus, tu donnes plus, tu vends plus ! T'as compris ? XAVIER OK ! Mais de quoi on va vivre, alors, tu peux me le dire ? HIPPO Pas au lycée, je te dis ! XAVIER OK. HIPPO Et si ça te fait un trou, tu n'as qu'à demander une augmentation à maman. Xavier range ses affaires. XAVIER Ouais, ça va pas être facile, mon vieux. (É. Rochant, Un monde sans pitié, 1990, p. 55) |
Les trois ok concessifs de (40) sont suivis immédiatement d'un « et alors ? » qui renforce la valeur concessive et invalide pratiquement le contenu de ce qui est l'objet de la concession. Ce qu'il faut noter c'est que, ici comme nous l'avons remarqué ailleurs, ok fait pénétrer dans le discours du locuteur le discours de l'autre5.
(40) |
- On n'a rien sur Aïcha. Rien, expliqua Rovère. Vous vous contentez d'une relation totalement aléatoire ! Martha connaissait et Aïcha et Helena, OK, et alors ? Ce n'est pas parce qu'elle leur a tiré le portrait à toutes les deux qu'il faut la placer au centre de nos préoccupations. Elle était mêlée à un trafic de faux papiers, OK, et alors ? Ce n'est pas parce qu'elle leur a tiré le portrait à toutes les deux qu'il faut la placer au centre de nos préoccupations. (T. Jonquet, Les Orpailleurs, 1993, p. 254) |
Dans (41), où à nouveau mais vient restreindre la concession dans une sorte de marchandage, on remarquera la répétition de ok, dont je pense qu'elle contribue à renforcer la valeur conclusive tout en présupposant une résistance à cette concession.
(41) |
Marche nuptiale de Mendelssohn. Elle me fait pleurer. Si tu t'opposes à ma Marche nuptiale de Mendelssohn, j'arrête immédiatement de m'occuper de ton mariage. Justine pâlit. – OK !... OK pour ta Marche nuptiale ! Mais on est bien d'accord pour l'arrivée en Roll's noire couverte de fleurs et de rubans blancs ? – C'est déjà prévu. (N. de Buron, "Chéri, tu m'écoutes ? : alors répète ce que je viens de dire...", 1998, p. 207) |
Enfin je cite (42) pour le caractère macro-syntaxique6 de la construction du ok concessif initial (comme (38) en contexte non directement dialogique), qui donne lieu à une série en parataxe : ok...mais bon... le hic…
(42) |
À tout cet effondrement s'est ajoutée une chose beaucoup plus pernicieuse encore : la mésestime de soi. OK, notre histoire avait tourné court mais bon... ça arrive à beaucoup de gens... Le hic, c'étaient ces trois années qui nous séparaient... (A. Gavalda, Ensemble, c'est tout, 2004, p. 463) |
9. Ok en début de discours direct
Pour terminer ce parcours des différents aspects de l'emploi de ok dans des textes écrits, je commenterai quelques exemples extraits de traductions proposées par le site Linguee français / anglais sur lesquelles je suis tombé un peu par hasard en interrogeant sur la séquence « je me suis dit : “ok…” ».
L'idée de cette interrogation est venue du fait que j'avais remarqué, sans avoir le temps de noter les occurrences au vol à l'oral, que l'on rencontrait assez souvent des ok en tout début de discours direct, presque comme des guillemets oraux. Les exemples ci-dessous, de (43) à (48), comportent tous une séquence dire + « ok », où ok est le début d'un énoncé direct en citation.
Dans une partie des exemples, on peut parler d'une intériorisation d'un reproche possible. Mais cette fois il y a un véritable alignement des points de vue car le reproche sous-jacent est pris en compte, et la suite en est le prolongement direct, ok indiquant alors à la fois cet alignement et le passage à l'acte qu'il permet. On retrouve là le caractère concret que nous avons relevé au début. C'est par exemple ce qui se passe dans (43), où l'auteur part d'un défaut supposé qu'il entend corriger. On peut parler ici de dialogue intérieur, avec une tension intérieure, ce qui favorise sans doute le dépassement du reproche. Mais entre ces deux voix, celle qui correspond au reproche est externe, tandis que c'est bien la voix du locuteur qui invente une issue qui ne lui était pas dictée par la première voix externe. On retrouve ainsi le schéma précédent puisque le ok concède à la première voix sa critique et seule la seconde est à l'origine de la solution, qui répond donc au reproche initial.
(43) |
Donc, au départ je me suis dit : "OK je vais faire un album plus mélodique, plus cool avec une dominante acoustique". |
Dans (44), on peut supposer quantité de situations initiales possibles mais ce sera en tout cas un obstacle quelconque, qui permet, une fois levé, le passage à l'acte.
(44) |
J'ai dit : "OK, j'y vais." |
Dans (45), on retrouve l'acceptation du reproche, mais le contexte droit n'est pas suffisant pour savoir ce qui se passe ensuite. Mais cet exemple comporte un tutoiement de soi-même qui a l'intérêt de concrétiser le dialogue intérieur. Et on s'attend à ce que la prise de conscience débouche sur un passage à l'acte du locuteur.
(45) |
Nous avons tapé deux ou trois fois du pied par terre et nous nous sommes dit : "Ok, tu t'es mis tout seul dans le pétrin" |
Dans (46), l'alignement fictif est en plus ironique. Mais c'est bien le locuteur qui reprend la main en donnant son accord.
(46) |
Je ne veux pas d'une amitié politique avec un pouvoir autoritaire et dictatorial comme celui de Poutine. Nous pouvons et devons maintenir des relations politiques avec la Russie, mais ces [...] relations ne peuvent pas être des relations d'amitié où nous dirions "OK, Poutine, continuez à agir ainsi avec votre peuple…" |
Dans (47) et (48) enfin, ok est suivi d'instructions à valeur injonctive. On pourrait dire que dans ces exemples ok stabilise la situation pour permettre la prise de parole. En ce sens il n'est pas impossible que cet usage soit en voie de lexicalisation, puisque, un peu à la façon de voilà, mais par un autre chemin, il devient un marqueur initial de discours, mais après une période de tension quelconque. On pourrait de ce point de vue mentionner le fait que, lors de l'installation un peu problématique d'une projection vidéo par exemple, l'auteur d'une présentation commencera volontiers sa présentation (alors qu'il n'y a aucun interlocuteur en dialogue avec lui) par un ok de satisfaction.
(47) |
Ils avaient réuni un groupe, assez [...] grand, disons cinquante, soixante personnes, et nous ont dit : "OK, vous tous, vous allez à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, pour monter la garde." |
(48) |
C’est pourquoi, Monsieur le Commissaire, je voudrais que vous vous adressiez à ceux des États membres qui se comportent comme si les règles dont nous sommes tous convenus ne s’appliquent pas à eux, et c’est aussi ce que dit le rapporteur avec le soutien inconditionnel de tous les orateurs précédents : nous aimerions que vous leur disiez « OK, nous allons geler 10 % de vos fonds que nous allons mettre en réserve. Vous pourrez avoir cet argent quand vous aurez pris les mesures adéquates ». C’est une demande de bon sens du Parlement. Ce n’est pas un plan d’action : c’est une action pratique. C’est cela que nous attendons de la Commission et qui nous satisfera pleinement. |
Ces observations mériteraient bien sûr d'être approfondies en explorant un corpus spécifique plus important, mais cet emploi spécifique à l'initiale d'une prise de parole réelle ou imaginaire, corrobore néanmoins dans sa genèse les analyses précédentes.
10. Conclusion
Au terme de ce parcours, plusieurs remarques peuvent être faites à partir des observations précédentes.
La première est la grande intégration de ok dans l'échange dialogique en français. Les origines américaines du marqueur ont certainement contribué à délimiter ses valeurs. En particulier, le style de langue informel et aussi sans doute l'ancrage pragmatique correspondent à une certaine image de l'Amérique qui a pu influencer ses conditions d'usage en français.
Une seconde remarque qu'on peut faire est que ok implique une forme de tension entre les interlocuteurs réels ou virtuels, à laquelle ok met un terme d'une façon ou d'une autre. Cette tension plus ou moins inhérente au dialogue introduit des jeux de domination entre interlocuteurs, ce qui m'a conduit à parler de ok « à la fourrure », dans la mesure où les interlocuteurs peuvent échanger leur rôle au cours du dialogue.
En rapport avec cette tension, on a relevé que le marqueur pouvait hériter d'une certaine agressivité, par exemple dans les emplois interrogatifs, mais aussi dans les emplois qu'on pourrait qualifier d'exclamatifs, où le locuteur montre à la fois son acquiescement et son exaspération.
En ce qui concerne le degré d'acquiescement de ok, il est apparu que le plus souvent celui-ci était de faible intensité, ce qui contribue au rééquilibrage des rôles dans le dialogue. C'est d'ailleurs pourquoi les acquiescements par ok sont souvent suivis d'une restriction. Cela débouche aussi sur un caractère fréquemment concessif de ok, marqué par des tournures de type corrélatif comme ok…mais… Ces corrélations dépassent parfois le cadre de la phrase pour relever de la macro-syntaxe.
Un autre aspect qui est apparu dans nos observations, c'est que ok, en même temps qu'il concède un acquiescement même minimal, met fin à la tension préexistante. Là aussi il contribue à rééquilibrer les rôles entre les interlocuteurs. Et évidemment, sur le plan thématique il permet de changer de sujet ou de passer à autre chose.
Dans certaines configurations, nous avons vu que l'on pouvait faire l'hypothèse d'un début de lexicalisation, voire de grammaticalisation. C'est le cas par exemple quand ok fonctionne comme un marqueur d'interrogation. C'est le cas d'autre part quand il sert d'introducteur de discours.
La richesse d'emplois, dont ce que nous venons d'énumérer ne constitue qu'une partie, nous a également semblé devoir être signalée comme une propriété importante de ok, qui justifie de lui avoir donné l'appellation de mot joker, qui lui donne une souplesse un peu exceptionnelle et qui contribue à expliquer son extension en français et sans doute dans un grand nombre de langues.
Enfin il est apparu que la fonction de ok ne se situe pas au niveau discursif, ni métadiscursif, mais à un niveau que j'ai appelé métapragmatique : le marqueur n'articule pas les composantes discursives entre elles mais il règle en partie l'interaction entre les interlocuteurs.
Il reste finalement pas mal de tâches pour compléter cette étude. La première, comme on l'a dit, serait de construire un corpus issu de l'oral. La seconde de construire le paradigme des différents marqueurs concurrents de ok en français pour mieux situer ces marqueurs respectivement. C'est finalement toute la problématique de l'acquiescement qu'il faudrait étudier. Il faudrait ensuite examiner les collocations dans lesquelles rentre ok. Et enfin comparer les emplois du français avec ceux d'autres langues. En somme, ok n'a pas dit son dernier mot.