1. Introduction
Apparu en 2006 aux États-Unis, Twitter compte 321 millions d’utilisateurs actifs dans le monde au premier trimestre 2019, dont 10,3 millions en France1. Malgré ces chiffres et le nombre considérable de publications sur le site (500 millions de tweets chaque jour2) seuls 5,4 % des internautes français possèdent un compte Twitter et les utilisateurs réguliers du réseau social ne peuvent pas être considérés comme un échantillon représentatif de la population. En effet, selon les chiffres publiés par la plateforme, les utilisateurs de Twitter sont majoritairement des hommes (55 %) appartenant à la tranche d’âge des 16-24 ans (33 %) ou des 35-44 ans (25 %).
On peut noter également que 75 % des twittos3 accèdent au réseau à l’aide de leur téléphone4 (75 %), ce point d'entrée technologique est à prendre en compte puisque les fonctionnalités du site diffèrent en fonction du type de connexion utilisée.
En prenant en compte ces différents biais de représentativité (des utilisateurs et des interfaces), il semble utopique de viser une forme d'exhaustivité ou de généralisation des travaux présentés dans cet article. Aussi, l'analyse de l’utilisation de ok dans les tweets de notre corpus, telle que nous la présenterons dans cet article, doit s'entendre dans un panorama plus large d'analyses de micro-corpus, qui seule pourra mener à une vision d'ensemble à long terme. Il s’agit d’une étude de cas, effectuée à partir d'un corpus constitué dans une perspective d’analyse du discours numérique telle que le définit Marie-Anne Paveau :
L’analyse du discours numérique consiste en la description et l’analyse du fonctionnement des productions langagières natives d’internet, et plus particulièrement du web 2.0, dans leurs environnements de production, en mobilisant à considération égale les ressources langagières et non langagières des énoncés élaborés.
On appelle natives les productions élaborées en ligne, dans les espaces d’écriture et avec les outils proposés par internet, et non portées après numérisation d’espaces scripturaux et éditoriaux prénumériques aux espaces numériques connectés. L’analyse du discours numérique met en place des dispositifs méthodologiques et théoriques qui puissent rendre compte du fonctionnement spécifique des discours natifs d’internet. (Paveau, 2017, p. 27)
Nous avons choisi la plateforme de micro-bloging Twitter comme terrain car elle permet d'observer des discours nativement numériques. Les tweets sont des objets fortement multimodaux constitués de différents types de technogenres de discours (Paveau, 2017, p. 296).
Dans cet article nous nous intéresserons à la forme énonciative de ok, telle qu’elle apparaît dans les énoncés linguistiques des tweets. Nous choisissons de laisser de côté (dans l'espoir d'y revenir dans des travaux futurs) la technoforme « #ok » ainsi que les technographismes5 comprenant ok apparaissant dans les pseudonymes ou dans le corps des tweets.
Ce choix est guidé par la visée collaborative de cette thématique qui s’inscrit dans le cadre de l’équipe de recherche DisCo6. Le travail collectif amorcé sur ok rassemble des approches très différentes, comme en témoigne ce numéro de Lexique, dont le point commun est de prendre l'énoncé linguistique comme point de départ. On ne peut ignorer la nature technolinguistique des énoncés présents sur la plateforme, pourtant, sans l'exclure, nous ne focaliserons pas notre attention dessus dans cette première approche des corpus.
Dans cet article nous nous focaliserons sur l’analyse discursive de la locution ok à partir d’un micro-corpus de 50 tweets collectés depuis notre compte personnel7 entre 2018 et 2019 et annotés sur ANALEC8 à partir d'une grille d'annotation définie collectivement avec les autres membres du groupe de recherche.
Nous nous intéresserons à la place de ok au sein des tweets mais également au sein des fils de discussions et des threads9. Cette approche nous permettra de distinguer les différents types de ok rencontrés dans notre corpus en fonction de leur rôle dans l'énoncé et de proposer une analyse contextualisée de la place et du rôle de ok sur Twitter.
Pour mener cette analyse nous commencerons par décrire le corpus, de sa constitution à ses caractéristiques techniques. Cette description est nécessaire pour situer nos recherches dans un environnement numérique précis et réduire le biais induit par l'évolution rapide des données numériques. Nous reviendrons également sur le statut énonciatif du tweet que nous distinguerons de celui de l'énoncé du tweet. Nous avons déjà souligné la nature technolinguistique des tweets et notre volonté (dans un premier temps) de mener une analyse relativement logocentrée. Nous essaierons dans cette partie de déterminer le rôle de la part technologique inhérente des tweets sur la production des énoncés et notamment celle de ok. Enfin, en nous appuyant sur ces observations, nous proposerons une typologie des usages de ok dans notre corpus.
2. Méthodologie de collecte et présentation des données du corpus
Collecter des données numériques en vue de la constitution d’un corpus est complexe et s’apparente plus à un travail de terrain au sens ethnologique du terme. La constitution d'un lieu de corpus (Bibié, 2016), qui pourrait consister en l'ouverture d'un compte dédié sur l'écosystème numérique pris pour terrain, a été écarté dans le cadre de cet article à cause des particularités de Twitter.
La plateforme donne accès au discours des utilisateurs par défaut et plusieurs chemins permettent d'y accéder sans pouvoir les lier à un lieu de corpus fixe. Les discours des utilisateurs auxquels le compte est abonné apparaissent (selon les paramètres algorithmiques) sur la timeline et directement sur les profils des utilisateurs publiants. Tous les tweets portant un # sont recensés et proposés aux utilisateurs dans la suggestion personnalisée des top tweets. Il est également possible d'accéder à des discours en ciblant des mots clés dans l'outil de recherche du site (méthodologie utilisée pour ce corpus).
2.1. Collecte des données sur le Twitter francophone
Les données du corpus ont été collectées directement depuis le compte utilisateur de l'auteure, elles sont donc issues de la partie francophone de Twitter. L'accès au compte s'est fait très majoritairement à partir d'un ordinateur et plus rarement via un smartphone.
Les environnements numériques sont des univers mobiles et multiformes, comme nous venons de le souligner, le point d'accès technologique aux données peut changer de manière significative leur présentation, il en va de même pour le temps. L'évolution des fonctionnalités proposées par les environnements est extrêmement rapide. Ce corpus a été constitué entre septembre 2018 et septembre 2019, les données sont donc situées dans le temps et constituent un instantané de la situation d'énonciation sur Twitter à cette période précise.
Nous rappelons également que les évolutions structurelles des environnements numériques sont susceptibles d'affecter les données de manière rétroactive. En d'autres termes, il n'est pas toujours possible d'aller consulter les données du corpus directement en ligne dans leur environnement d'apparition. Procéder à des captures d'écran permet de figer les données en vue de les analyser, il faut tout de même garder à l'esprit qu'il ne s'agit que d'une représentation des données et non des données elles-mêmes.
Figure 1. Twitter capturé depuis un ordinateur le 09/09/19.
Pour constituer ce premier corpus nous avons utilisé la fonction de recherche proposée par Twitter qui permet d’afficher tous les éléments contenant le ou les mots clés et de les observer dans leur environnement d’origine en les ouvrant10 un par un. Dans la capture d'écran ci-avant on voit que pour la recherche « ok » une liste apparait contenant ici un profil d'utilisateur (dont le pseudonyme contient ok) et un premier tweet (dans lequel ok apparaît).
Nous avons ensuite procédé à des extractions contextualisées des données par captures d’écran. Nous parlons ici de contexte pour faire référence au fil de discussion ou au thread dans lequel s'intègre le tweet ciblé par la recherche. Autrement dit, pour chaque tweet contenant ok apparaissant dans les résultats de la recherche nous remontons au fil de discussion ou au thread dans lequel il est apparu.
Enfin nous avons procédé à des extractions plus restreintes afin de pouvoir utiliser ANALEC et utiliser la grille de lecture commune au groupe de recherche DisCo. Nous insistons sur le fait que ces extractions de travail, centrées sur les énoncées, constituent une réduction du corpus qui ne permet pas de prendre en compte sa numéricité. Il s'agit de données figées, non évolutives et strictement linguistiques qui ne doivent pas être confondues avec les tweets qu'elles représentent. Toutefois, c'est à partir de cette petite portion des tweets que nous pouvons envisager un travail collectif, en l'état de notre avancement.
L’objectif de cette construction élaborée de corpus est de conserver une trace de chaque étape afin de pouvoir accéder à des données les plus contextualisées possible et de ne pas fermer la porte à des analyses futures sur les éléments numériques et technolinguistiques des tweets.
2.2. Caractéristiques techniques des données du corpus
Le micro-corpus collecté comprend 50 fils de discussions et threads, il s’agit d’enchaînements de tweets simples, de réponses à des tweets ou de retweets. Les conversations sont construites sur Tweeter à partir de la fonctionnalité de réponse incluse dans les tweets.
Sur la Figure 2.1 (page suivante), elle est entourée d’une ellipse rouge. Il s’agit d’une fenêtre de texte qui n’entrera en interaction avec le tweet qu’une fois que l’utilisateur aura valider en cliquant sur le bouton de réponse (indiqué par une flèche verte).
Figure 2.1. Twitter, capturé depuis un ordinateur le 13/11/2019
On peut reconnaitre un fil tweet appartenant à un fil de discussion grâce aux citations des inter-actants, générées automatiquement par le site, signalée sur la Figure 2.1 par une flèche bleue.
Figure 2.2. Twitter, capturé depuis un ordinateur le 13/11/2019
Le thread est un dispositif communicationnel qui permet à un utilisateur de poster plusieurs tweets de manière simultanée. Cette fonctionnalité (comme de nombreuses autres sur les réseaux sociaux) s'inspire d'un détournement de l'outil par les utilisateurs qui utilisaient la fonction réponse pour se répondre à eux-mêmes. Cela leur permettait notamment de contourner la politique de Twitter concernant le nombre de caractères. Désormais automatisée, cette fonctionnalité permet, en cliquant sur le bouton + (signalé par une flèche rouge sur la Figure 2.2), d'ajouter un (ou plusieurs) tweet à la suite du premier et de les envoyer ensemble dans un thread en utilisant le bouton « Tout tweeter » (également signalé par une flèche rouge). Une fois publié le thread se présentera comme un fil de discussion (flèches violettes), chaque message pourra faire l'objet de réponses mais toutes les réponses apparaîtront à la fin du thread.
Le corpus est constitué de 50 fils de discussions et thread au sein desquels la locution ok apparaît 54 fois. Nous verrons plus précisément dans la suite de l'article l'importance de la distinction entre les occurrences apparaissant dans les threads, c’est-à-dire en situation de monologue et celles apparaissant dans les fils de discussion, c’est-à-dire en situation d'interaction.
Sur les 54 ok attestés dans le corpus, 48 % apparaissent en position initiale (26 occurrences), 27 % en position médiane (15 occurrences) et 24 % en position finale (13 occurrences). Toutes les occurrences apparaissant en position finale sont produites dans des monologues (tweets simples et threads).
La prédominance dans le corpus de ok en position initiale semble confirmer la fonction introductive de cette particule discursive, nous nous pencherons plus spécifiquement sur le rôle des ok en position finale dans les monologues.
3. Statut et positionnement énonciatif du tweet
3.1. Un monologue ambigu
Dans cet article nous utiliserons le terme « monologue » pour décrire un discours adressé à une audience, même potentielle. Le tweet est une publication publique, dans le sens où, contrairement par exemple à la publication sur Facebook qui s'adresse à un réseau choisi par l'utilisateur, il n'appartient pas à l'utilisateur publiant de choisir son audience.
Nous considérons également que le tweet est une publication avec un seul énonciateur. Il ne faut pas entendre ici énonciateur comme l'expression d'une individualité ou d'une entité mais bien comme l'identité numérique portée par le compte publiant. Chaque compte Twitter, qu'il soit géré et entretenu par un ou plusieurs utilisateurs, n'exprime qu'une seule identité numérique. La question n'est pas tellement de savoir qui mais ce qu'on en voit. Les tweets portent donc cette ambiguïté de relever du monologue, et donc d'une expression de soi, et de restreindre cette expression de soi à la partie que l'utilisateur voudra bien en montrer.
Il faut ajouter une seconde source d'instabilité énonciative qui est l'évolution potentielle (comme nous l'avons décrite pour les fils de discussions et les threads) du monologue en dialogue ou polylogue.
3.2. Un statut énonciatif instable
Nous considérerons les tweets comme des formes de monologues numériques au sein desquels l’interaction est une potentialité affordée par l’environnement numérique. Selon Gibson (1977) l'affordance est la capacité d'un objet ou d'un système à évoquer son utilisation, sa fonction. L'affordance provoque une interaction spontanée entre un environnement et son utilisateur au sein d’une culture et d’une temporalité donnée. On peut considérer que les boutons d’interaction proposés par Twitter à ses utilisateurs affordent l’interaction.
Figure 3. Fenêtre de tweet, capturé depuis un ordinateur le 10/12/2018
Dans la Figure 3 nous avons entouré les boutons (en rouge) et les outils (en vert) d’interaction disponibles sur la plateforme de micro-bloging. On voit, entouré en rouge, de gauche à droite, les boutons permettant de répondre, retweeter11, liker, envoyer un message privé à l’auteur du tweet. La fenêtre de réponse (redondante par rapport au bouton de réponse) verbalise l'affordance avec l'énoncé « Tweeter votre réponse ici ».
Le statut énonciatif des tweets est instable, notamment à cause de l’évolutivité qu’induit la plateforme de micro-bloging. On pourrait comparer le tweet à un billet de blog par exemple, puisque cette forme de discours numérique présente beaucoup de similitudes énonciatives (monologue augmenté de commentaires potentiels). Seulement, dans le cas du billet de blog la structure visuelle de la présentation des données met en avant le monologue auquel les commentaires sont subordonnés : ils apparaissent en dessous, sont plus petits et présentés dans une fenêtre dédiée. La structure visuelle du fil de discussion sur Twitter est beaucoup moins lisible, en particulier si l'on considère que le récepteur peut accéder à un fil de discussion par une réponse s'il est abonné à l'utilisateur qui publie la réponse et pas à celui qui a posté le tweet auquel elle s'adresse par exemple. Il est bien sûr possible d'identifier la réponse d'un tweet auquel elle s'adresse en relevant les indices comme la citation du profil publiant (Figure 2.1). En ouvrant tout le fil de discussion les réponses sont classées par ordre d'apparition en dessous du tweet de départ ce qui n'est pas sans rappeler la structure du blog mais la répartition spatiale à l'écran est beaucoup moins explicite. L'interaction est moins hiérarchisée et peut se diviser en multiples conversations puisqu'il est possible de répondre à des réponses sans créer de rupture visuelle dans la chaine d'apparition des messages.
Concernant le statut énonciatif, le tweet est un monologue qui va potentiellement devenir un polylogue. L’auteur du tweet n’a pas d’influence sur ce processus, le changement de statut (monologue > dialogue / polylogue) ne se fera qu’en fonction de l’entrée en interaction d’autres utilisateurs de la plateforme avec le tweet, et n’interviendra donc qu’après sa publication. Même s’il existe des stratégies permettant d’inciter à l’interaction (citation, retweet) elle ne devient effective qu’une fois que d’autres inter-actants sont entrés en jeu.
Cette instabilité fondamentale du statut énonciatif du monologue est fortement liée au temps de l’énonciation. Nous verrons que les utilisateurs ont recours à des stratégies visant à affermir le statut énonciatif du monologue, notamment au travers de l’utilisation du marqueur discursif ok en position initiale et finale.
4. Typologie des occurrences de ok rencontrées dans le corpus
Nous avons construit notre typologie à partir de 5 variables : la graphie utilisée, le type d’interaction, le type d’énoncé, la position dans l’énoncé et le statut grammatical des ok rencontrés dans le corpus. Ces variables ont été choisies, parmi celles élaborées collectivement avec l'équipe DisCo pour l'étude des corpus sur ok, parce qu'elles se prêtaient a priori à l'analyse des énoncés de tweets.
Cette classification nous permet de dégager des critères fortement contrastifs comme le type d’interaction ou le type d’énoncé et d’autres plus homogènes comme la graphie utilisée. Nous nous appuierons sur ces écarts pour étudier plus particulièrement le comportement de ok en situation monologale.
4.1. Trois graphies différentes
Dans le corpus nous rencontrons trois graphies différentes12 : ok (21 occurrences), OK (13 occurrences), Ok (20 occurrences).
La graphie Ok s’explique par les règles de typographie de la langue écrite que l’on retrouve partiellement sur Twitter, les occurrences apparaissent soit en position initiale (16 occurrences), soit après une ponctuation (4 occurrences). Il est impossible de déterminer s'il s'agit d'un choix des utilisateurs ou si l'utilisation des règles typographique est contrainte par les réglages techniques des claviers. Nous avons dit que Twitter était le plus souvent consulté à partir d'un smartphone par les utilisateurs, or, les claviers des smartphones sont configurés pour intégrer automatiquement les règles typographiques de la langue écrite, notamment l'utilisation de la majuscule en début de phrase et après une ponctuation.
Figure 4. Twitter, capturé depuis un ordinateur le 10/12/2018
La forme « OK » apparaît majoritairement en position finale (6 occurrences) et on retrouve deux occurrences de redoublement « OK OK » qui fonctionnent comme des marqueurs prosodiques. L’utilisation de majuscules est souvent associée à une volonté d’accentuation comparable à la prosodie dans les discours numériques comme l’ont décrit Pankhurst (2007) et Marcoccia (2010).
Dans la Figure 5 (page suivante) on voit que l’accentuation de ok répond à un prédicat conflictuel assez long, l’intensité de la réponse (accentuation) pourrait être liée à la taille du champ sémantique à prendre en compte13.
En position médiane deux occurrences adjectivales sont en majuscules alors que le reste de l’énoncé ne l’est pas. Là encore les majuscules marquent la prosodie, elles jouent le rôle de marqueurs d’enthousiasme « c’est OK », d’intensificateurs « je suis OK ».
Figure 5. Twitter, capturé depuis un ordinateur le 08/01/2019
4.2. Position de ok dans l'énoncé
Dans le corpus on constate que 26 occurrences de ok apparaissent en position initiale (48 %), 13 en position finale (24 %) et 15 en position médiane (27 %).
Nous reviendrons plus tard sur les ok apparaissant en position finale qui ne sont présents que dans les monologues.
En position initiale, la locution ok semble servir de marqueur discursif et situationnel comme on le voit dans la Figure 6.1.
Figure 6.1. Twitter, capturé depuis un ordinateur le 10/12/2018
L’énonciateur n’ajoute pas de contenu sémantique mais place un repère pour annoncer le début de son propos. Dans la Figure 6.2 en revanche il s'agit d'un faux-amis, la position de ok n'est pas réellement une position initiale, il répond au prédicat présent dans le retweet.
Figure 6.2. Twitter, capturé depuis un ordinateur le 08/01/2019
Les occurrences de ok apparaissant en position médiane sont des marqueurs d’interaction, ils remplissent un rôle phatique en renvoyant un feedback à l’interlocuteur, ou marquent la concession par rapport à un prédicat comme on le voit dans la Figure 6.2. Ils sont à rapprocher des ok apparaissant à l’oral pour maintenir la conversation ou la prolonger.
4.3. Types d'énoncés et statut grammatical
92 % des occurrences de ok apparaissant dans le corpus font partie d’énoncés affirmatifs et 88 % ont un statut adverbial.
Figure 7. Twitter, capturé depuis un ordinateur le 08/01/2019
Le corpus compte 6 occurrences de ok construits avec un statut adjectival comme on le voit dans la Figure 7. Ils se trouvent tous dans des situations d’interaction et, au-delà de la fonction phatique qui peut leur être attribuée, on observe un rôle de renforcement de la validation « je suis ok » ou « complètement ok ».
4.4. Les occurrences monologales
Les monologues représentent 80 % de notre corpus. Sur ces 44 occurrences 18 apparaissent en position initiale, 13 en position médiane et 13 en position finale. Nous l’avons vu précédemment, la position initiale semble marquer le tour de parole.
Figure 8. Twitter, capturé depuis un smartphone le 27/09/2019
Nous pouvons faire le parallèle avec le tour de parole en considérant la timeline dans laquelle le tweet apparaitra au(x) destinataire(s). La timeline (ou fil d’actualité)14 est, comme on le voit sur la Figure 8, constituée d’une suite de tweets émis par les utilisateurs auxquels le destinataire s’est abonné, édités en fonction de l’algorithme du RSN.
Cela implique une idionuméricité (Bibié, 2015) de la timeline, c’est-à-dire que la timeline de chaque utilisateur est unique et affichera les tweets en fonction de son utilisation de la plateforme et des données dont il aura nourri l’algorithme, du nombre d’autres utilisateurs auxquels il est abonné et de la fréquence avec laquelle il rafraîchira la timeline, entre autres variables.
L’émetteur du tweet connait les conditions d’apparition de son message puisqu’il utilise lui-même la plateforme. Il peut s'y adapter de la même façon que les inter-actants prennent en compte la situation de face à face pour adapter leur message. L’utilisation de ok en position finale, qui apparait uniquement dans les occurrences monologales de notre corpus, semble montrer, comme le font les ok en position initiale, une volonté de marquer le tour de parole.
Il est surprenant de rencontrer une particularité dialogale, un ok fermant un tour de parole, dans un monologue. Ce constat nous pousse à considérer les monologues sur Twitter comme des hybrides énonciatifs puisqu'ils tiennent à la fois du monologue (un seul énonciateur) et du dialogue (potentialité de l'interaction).
Figure 9. Twitter, capturé depuis un ordinateur le 10/12/2018
La capture d’écran représentée en Figure 9 offre un exemple de cette fonction de balise du tour de parole par ok. L'énoncé du tweet est physiquement encadré par les deux ok et le contenu sémantique est répété dans l'image qui présente un personnage de dos (joueur) et une manette à gauche. Il y a en fait un enchaînement de redondances : ok ouvrant / ok fermant, « joueurs »/ icône du personnage, « manette » / icône de la manette, énoncé /image. Deux éléments renforcent le discours dans cette boucle, le pluriel, la nature technographique du tweet et l'écosystème numérique.
L'utilisation du pluriel « les joueurs » renvoie à une communauté de joueurs, plus précisément à une communauté de joueurs utilisant une « manette » en opposition à une communauté de joueurs qui utiliseraient un clavier par exemple. Cette référence peut s'envisager à la fois comme un positionnement et comme un appel.
L'image présente sur l'écran ne se limite pas à illustrer l'énoncé, elle en fait partie, le tweet (pas uniquement les tweets iconiques d'ailleurs) est un technographisme.
On appellera technographisme une production sémiotique associant texte et image dans un composite natif d’internet. L’élément -graphisme, conformément à son étymologie (le verbe grec graphein, signifiant « tracer » et « écrire ») signifie ici à la fois le geste de tracer, renvoyant au dessin ou à l’image et celui d’écrire, renvoyant au texte. (Paveau, 2017, p 306)
Ici les caractéristiques techno-iconiques du tweet nous renseignent sur l'énonciateur puisqu'il s'agit d'une capture d'écran le situant au début d'une partie de jeu vidéo. La partie textuelle du tweet ne prend sens qu'en rapport avec l'image qui agit comme preuve de l'engagement de l'énonciateur. Le discours est doublement situé, par l'encadrement des ok et par la nature technographique.
Nous avançons également l’hypothèse, qu’il faudrait cependant confirmer sur un corpus plus étendu, que le rôle des ok en position finale et initiale dans le corpus, en plus de marquer le début ou la fin du tour de parole, est de stabiliser le statut de monologue.
On peut en effet différencier les ok initiaux apparaissant dans les monologues (Figure 10) et ceux apparaissant dans les polylogues (Figure 11).
Figure 10. Twitter capturé depuis un ordinateur le 10/12/2018
Dans le monologue, ok marque une forme d’étape qui n’est pas uniquement interactionnelle, on pourrait gloser ‘voilà où j’en suis et je vais vous dire pourquoi’. Si l’élément marque clairement un tour de parole il affirme également le statut de monologue en annonçant que le tweet se suffit à lui-même comme si l’utilisateur annonçait qu’il n’attend pas de réponse des récepteurs.
Cette analyse s’applique également aux ok rencontrés en position finale comme on le voit sur la Figure 11 page suivante. Cela pourrait représenter une forme de ménagement de soi-même par l’émetteur du tweet qui, sachant que dans le flot de la timeline son tweet risque de passer inaperçu ou d’être simplement survolé par les récepteurs potentiels, annonce dès le départ que cette situation de monologue est choisie et non subie. Cette hypothèse ne peut pas être vérifiée en l'état mais elle mériterait d'être développée dans une perspective ethnolinguistique.
Figure 11. Twitter, capturé depuis un ordinateur le 10/12/2018
Cette fonction situationnelle de ok pourrait être un dérivé de son emploi concessif et expliquerait la surreprésentation de cette particule discursive dans les environnements numériques. On pourrait considérer que l’utilisation massive de ok est liée à la contrainte de taille des messages sur Twitter mais cet argument n’explique pas sa faiblesse sémantique ni la présence de graphies alternatives comme okay.
5. Conclusion
L’analyse des occurrences de ok apparaissant dans le corpus à partir des 5 variables (la graphie utilisée, le type d’interaction, le type d’énoncé, la position dans l’énoncé et le statut grammatical) nous a permis de dégager 4 fonctions discursives de la particule.
On trouve une fonction de validation, notamment dans les emplois adjectivaux de ok comme « je suis ok » ou « complètement ok ». Il s’agit d’une validation simple qui marque l’accord sur un point de discussion. On retrouve cette fonction de ok uniquement en interaction dans notre corpus, ce qui est cohérent avec la notion d’accord.
Ok peut également dénoter la concession, dans ce cas il ne s’agit pas d’une validation simple mais d’un accord partiel ou de dépit. Ces occurrences sont souvent accompagnées de collocations comme « mais ».
La fonction la plus représentée de ok dans le corpus, nous l’avons détaillée plus haut, est celle de marqueur de tour de parole. Dans ce cas il intervient en début ou en fin de message et dans le cas des monologues il revêt également une fonction de stabilisateur monologal.
Il est intéressant de noter, bien que cela mériterait d’être vérifié sur des corpus comparatifs, que nous n’avons pas trouvé d’occurrence conflictuelle de ok dans notre corpus. Les ok rencontrés en interactions ont une fonction de validation (« je suis ok »). On trouve deux occurrences de ok après un prédicat conflictuel, dans un cas il s’agit de discours rapporté ce qui introduit donc une distance entre l’émetteur et son propos, dans le second cas il s’agit d’un ok concessif.
La pratique du micro-bloging, telle qu’elle apparaît sur Twitter, met les utilisateurs dans une situation d’énonciation ambigüe. L’auteur d’un tweet rédige un monologue qui va potentiellement devenir un dialogue, en fonction des interactions des autres utilisateurs de la plateforme avec son tweet. C’est-à-dire qu’au moment de la rédaction, le tweet est un monologue qui deviendra potentiellement un dialogue sans que l’utilisateur publiant ne puisse contrôler ce changement d’état.
La connaissance de cette instabilité énonciative joue un rôle dans la construction de l’énoncé du tweet. Elle explique notamment, comme nous l’avons vu en observant les variables de position, de graphie, de type d’énoncé, d’interaction et de statut grammatical, l’utilisation de ok comme stabilisateur dans les formes monologales et comme marqueur de tour de parole.
Il serait intéressant de se poser la question du rôle de l’environnement numérique d’apparition sur l’utilisation de ok en menant une étude reprenant les mêmes critères dans un ou plusieurs autre(s) réseau(x) sociau(x) numérique(s).