« La fonction de l’artiste est fort claire : il doit ouvrir un atelier et y prendre en réparation le monde »
Francis Ponge, « Le murmure »1
Réparer le monde ?
En 1961, Francis Ponge faisait déjà ce constat : « Jamais, depuis que le monde est monde, jamais… le monde n’a si mal fonctionné 2 », attribuant à l’artiste la fonction de prendre soin du monde et d’ouvrir un atelier pour le réparer. Mais est-ce à lui seul de le faire ? Dans quelle mesure la société civile peut-elle y contribuer et, si oui, comment ? « Voilà bien ce qu’on leur demande (aux œuvres comme au monde) : la vie 3 », affirme Francis Ponge. Mais quelle vie ? Cette question est omniprésente chez Judith Butler et Joan Tronto, deux figures représentatives du care, une notion définie comme une : « activité caractéristique de l’espèce humaine, qui recouvre tout ce que nous faisons dans le but de maintenir, de perpétuer et de réparer notre monde, afin que nous puissions y vivre aussi bien que possible 4 ». Que faut-il entendre par « monde » ? « Ce monde comprend nos corps, nos personnes et notre environnement, tout ce que nous cherchons à relier en un réseau complexe en soutien à la vie », précise Judith Butler5. Le philosophe et géographe Augustin Berque lui préfère le mot milieu6, toujours à créer entre nous-mêmes, nos corps et l’environnement donné, par une relation dynamique et réciproque, condition pour que ce milieu devienne humain7.
Cette manière de prendre soin de soi, du monde et d’autrui se retrouve dans la pratique d’orchestre. Qu’est-ce qu’un orchestre ? Un orchestre est une communauté dont la caractéristique essentielle et exclusive est de se former dans le but de s’accorder et de pouvoir « s’opposer sans se massacrer », pour reprendre la formule de Marcel Mauss8. Dans l’orchestre, chaque musicien est indispensable à l’ensemble et se voit considéré à la fois dans sa singularité et dans sa relation à autrui, apprenant à (s)écouter toute cette vie des sons, des silences et des timbres qui circule entre les gens et les relie entre eux et au monde. Cette expérience individuelle et non verbale, vécue au sein de la communauté de l’orchestre, a des retentissements dans un lieu comme la prison où la méfiance est la règle : toute relation (avec d’autres détenus et/ou avec le personnel) représentant un risque et nécessitant une adaptation à des logiques relationnelles construites autour de la règle du soi contre l’autre.
En prison, la question de la réparation et de ses limites est centrale pour les détenus (certains ayant parfois commis l’irréparable). Mais comment (se) réparer dans des lieux d’enfermement tenus à l’écart de la société où les citoyens ne vont jamais ? À cette fin a été créé le dispositif de l’Orchestre Participatif (l’OP), dont le but est de transformer l’environnement hostile de la prison en milieu humain (au sens mésologique du terme).
L’Orchestre Participatif
L’OP est un dispositif qui repose sur l’accueil (tout le monde peut venir, y compris ceux qui ne connaissent pas la musique ni ne jouent d’un instrument) et l’entraide : musiciens et non‑musiciens apprennent à s’écouter et à se répondre mutuellement, en prenant appui sur les silences à partir desquels se crée la musique. L’apprentissage se fait en grande partie oralement, mais les non-musiciens apprennent à lire la musique au fur et à mesure de leur assimilation technique de l’instrument, afin de pouvoir mémoriser un assez grand nombre de partitions de 6 à 10 au bout d’une semaine. Tout repose sur les arrangements, de difficulté variable (la même partition se décline en deux niveaux : facile et difficile), suivant son destinataire. Chaque musicien prend soin d’un non-musicien, placé à ses côtés pour lui apprendre à jouer et à lire la musique. Les plus avancés aident les autres dans les groupes qui se constituent par pupitres (les cordes, les percussions, les vents) et la plupart du temps, en collectif (tutti) au cours des séances quotidiennes (6H/jour). L’esprit convivial, qui est la marque de cet orchestre, n’implique nullement de faire le deuil de l’art et une grande exigence est requise, même si le but n’est pas de former des musiciens, mais de partager le plaisir de jouer ensemble, afin de donner l’amour de la musique avant les connaissances techniques. Le premier tutti a lieu dès le premier jour où l’on peut assister à l’émerveillement des détenus qui, se sentant enveloppés par les sons, ont l’impression de jouer l’ensemble (et non pas seulement leur partie) : « Je suis fier-e » : telle est la première parole que l’on entend le plus souvent.
L’OP a fait l’objet d’une recherche-création en art9, menée de 2011 à 2014 dans les onze établissements pénitentiaires de la région des Hauts-de-France et dans des hôpitaux psychiatriques (autres lieux de privation de liberté) dans le cadre du programme Chercheurs‑Citoyens, financé par le Conseil Régional en partenariat avec l’Université de Lille et des associations de la société civile10. Réalisée avec une équipe internationale de chercheurs (sociologues, psychologues, chercheurs en sciences de l’éducation, musiciens) d’étudiants (licence master doctorat) et enseignants de l’Université de Lille, ainsi que des citoyens de la société civile, cette recherche-action-collaborative a été menée avec les détenus et le personnel de la prison. Notre démarche partait d’une réalité (la vie en prison et l’absence de relations entre les gens) susceptible d’être transformée par la collaboration de tous-tes. Contrairement au modèle de la recherche universitaire, habituée à partir de la discipline pour révéler un problème auquel une solution est attendue, notre démarche s’est inscrite dans l’interdisciplinarité. Il nous a donc fallu inventer une méthodologie nouvelle pour répondre aux besoins et difficultés rencontrées dans ce contexte de la prison, qui est aussi le reflet d’une société et d’une époque où le vivre-ensemble pose problème. Cela nous a amenés à créer de nouvelles notions et concepts, aboutissant à un nouveau paradigme de connaissance.
Notions et concepts
Après avoir présenté le contexte particulier de la prison, j’exposerai les notions et concepts fondamentaux de l’Orchestre Participatif pour le mettre ensuite en résonance avec d’autres expériences (en théâtre, littérature, peinture), témoignant du rôle de l’art dans les situations extrêmes que connaissent les êtres humains et des possibilités de vie réparatrices qu’il peut engendrer. Je m’appuierai pour cela sur les réflexions d’artistes ayant connu l’incarcération et posé les fondements d’une poétique de la blessure et/ou de la fêlure (Wilde, Genet, Gatti).
Inhérente à l’humain « souffrant et agissant11 », selon Ricoeur, la blessure oblige à trouver en soi des ressources inconnues pour lutter contre la destruction, une notion opposée à la créativité dans la vie ordinaire, qu’il distingue de la création (artistique). C’est sur ce potentiel que nous nous sommes appuyés dans l’OP pour libérer chez les détenus cette vie « créatrice », définie comme : « Le fait de ne pas être tué, annihilé continuellement par soumission ou par réaction au monde qui empiète sur nous » et « le fait de porter sur les choses une regard toujours neuf12 ». Donald W. Winnicott assure que, même en cas de soumission, il existe, cachée quelque part, une vie secrète qui est satisfaisante parce que créative.
Certains artistes cherchent à révéler la blessure en tant que vérité humaine d’où jaillit la beauté, s’éloignant ainsi d’un discours uniquement esthétisant (au sens philosophique du terme), pour puiser dans cette poétique réparatrice et créatrice, les ressources nécessaires à la résistance et à l’oppression. C’est dans ce cadre de pensée que s’inscrit ma réflexion sur les effets de la pratique musicale collective en prison, avec pour seul but la création (et non le « social » ou la thérapie par l’art), qui seule permet de réinventer « le monde » par la libération de la vie que l’homme a emprisonnée13, fonction attribuée à l’art par Gilles Deleuze et Paul Audi. Sans prétendre vouloir réparer, soigner ou guérir quoique ce soit, la création peut avoir un effet thérapeutique, même si là n’est pas notre but. Créer redonne le goût de l’effort et du travail chez les détenus, transformant les rapports humains entre eux et avec le personnel, réunis dans l’orchestre, pour produire un son commun.
Avec l’OP, je cherche à échapper aux catégories du social, du thérapeutique, de l’éducatif, dans lesquelles pourrait être « rangée » cette « activité » pour créer d’autres notions et concepts que ceux qui sont fabriquées par une idéologie de contrôle encore plus efficiente en prison. Ainsi, la notion de non-savoir14 (condition du poétique selon Bachelard) est devenu un paradigme permettant d’instaurer la confiance entre les non-musiciens et les musiciens, auxquels il était demandé de changer d’instrument au cours de la séance, afin d’apprendre à faire ce qu’ils ne savaient pas faire, pour se retrouver sur un même plan d’égalité avec les détenus. Engagé dans un processus d’émancipation-individuation, chacun prend ainsi la mesure de ce qu’il peut faire quand il est porté et encouragé par autrui. D’où la présence de la société civile au nom de laquelle sont prononcées les peines de prison et qui ne pénètre jamais dans ces lieux. L’OP cherche ainsi à se démarquer des « activités culturelles » occupationnelles réalisées le plus souvent par une seule personne (artiste ou éducateur) et autorisées depuis le premier protocole Culture-Justice initié par Jack Lang et Robert Badinter en 198615.
Mais si l’OP a permis à ces deux mondes (ouvert et clos) de se rencontrer autour d’une réalité très peu connue des citoyens, la prison reste aujourd’hui une zone d’ombre instaurant une ligne de partage entre deux mondes et deux sortes d’humains (libres et contraints).
Monde
Selon Arendt, il n’y a de monde que commun, lié à l’action politique dans « un espace où les choses deviennent publiques et au sein duquel l’art fait naturellement son apparition16. »
Car ce qui rend possible un « monde » (qu’elle distingue, comme Heidegger, de « la Terre », en tant que cadre géographique et condition générale de la vie)17, c’est la possibilité d’y instaurer des relations entre « une pluralité d’individus singuliers18 ». Telle est la condition du politique selon Arendt, compris comme « vouloir-vivre ensemble » et base d’un régime démocratique. Si « le monde, comme tout entre-deux, relie et sépare en même temps les hommes19 », le théâtre lui est apparu comme « l’art politique par excellence… », car le seul art, à ses yeux, dont le sujet est l’homme dans sa relation aux autres20 : « C’est sans doute la relation qui définit fondamentalement le théâtre [explique-t-elle]. Lieu d’attachements et de croisements multiples, il ne vit que par les liens qu’il crée ou maintient à tous les niveaux21. » C’est cet Entre qui répare et transforme l’environnement hostile de la prison en milieu humain dans l’OP, grâce au dialogue non verbal établi entre les gens, invités à expérimenter de nouvelles manières d’être et d’agir : non plus prisonniers mais musiciens.
Faire vivre cet Entre, dont l’intensité échappe à tout contrôle, est le but de cette pratique musicale collective, susceptible de révéler en chacun un potentiel inconnu et ainsi, de réinventer du social par l’art.
Antimonde
En prison il n’y a pas d’Entre : tout est fait pour qu’il n’y en ait pas. Ce qui rend ces lieux proprement inhumains : « Arrivé en prison, on perd son statut d’humain », affirment les détenus qui en font l’expérience, dès leur entrée dans ces lieux, où ils échangent leur identité contre un numéro d’écrou. Séparée du monde et de ses semblables, la personne détenue apprend qu’elle n’est rien et n’a plus rien22 : toute sa vie tient désormais dans ce numéro d’écrou par lequel on l’identifie. Mais la séparation opère aussi dans l’architecture de ces lieux, où la « population » carcérale est répartie en unités, visant à séparer non seulement les hommes des femmes, mais les détenus jugés les plus dangereux ou ceux que l’on met momentanément en quartier d’isolement. Dans les nouvelles constructions, les cellules, ateliers, salles de classe, cours de promenade, sont des prisons dans les prisons :
Ces espaces sont reliés entre eux par des circulations dans lesquelles les détenus ne font que passer pour aller d’une micro-prison à une autre, sous le contrôle, direct ou indirect, des surveillants. Aussi, il n’y a pas d’espace dans la prison qui ne réponde à un usage spécifique, l’entre-deux, la frange, n’a pas d’existence propre23.
En ce sens, la prison constitue un « antimonde24 », un « trou noir », le produit d’une société : « qui prend part à l’édification d’un centre et de marges sociaux et spatiaux25 ». Il s’agit d’un lieu : « articulé aux réseaux de la marginalité et aux systèmes de contrôle et de régulation26 ». Lieu où l’on « prend » le corps pour extraire l’individu de la société et lui imposer un isolement qui le place dans une absolue solitude affective, la prison27 est toujours pour les autres, radicalement autres.
La séparation des humains et des espaces y est imposée au nom de la sécurité ; le droit de s’associer étant perçu comme une subversion par l’institution pénitentiaire qui cherche à éviter les rassemblements des hommes et des femmes confinés dans des « quartiers » où ils ont l’obligation de ne pas se croiser28. D’où l’idée (subversive) de réunir hommes et femmes détenues au sein de l’Orchestre Participatif, pour créer un son commun dans un contexte caractérisé par la méfiance et la peur et où manque ce qu’il y a de plus humain dans l’homme29 : la confiance. Selon la sociologue Antoinette Chauvenet : « La peur est une des caractéristiques essentielles de la condition de prisonnier […] La prison doit faire peur […]30. » Elle doit faire peur du dehors ; mais elle doit aussi faire peur au-dedans, ajoute Jean-Marie Delarue31, ex‑contrôleur des prisons. Car : « la peur est au principe de construction de la prison : loin d’être irrationnelle, elle est délibérément attachée à sa finalité dissuasive32 ». Selon lui, les rapports de force qui s’établissent en prison, la violence verbale et éventuellement physique qui s’y produit en sont partie constitutive.
La détention dans un espace restreint (à 6 dans 9m2 en maison d’arrêt) et un temps minutieusement programmé ne peut que générer des conflits et de la violence, en particulier en France où la surpopulation peut atteindre (et même dépasser) 200% dans certains cas (Nîmes, Perpignan ou Béthune). Cette violence se manifeste déjà dans l’architecture de ces lieux « hors du commun » censés favoriser la réinsertion (cf. la loi du 24 novembre 2009) 33par la séparation des espaces et des êtres, mis à l’écart de la société, afin de la protéger des individus ayant parfois commis l’irréparable.
Mais qui va en prison en France ?
De la réparation à la punition
Contrairement à ce que pensent la majorité des citoyens, ce ne sont pas les criminels qui remplissent les prisons (de 0,05% à 1,5%), mais la petite délinquance et l’immigration illégale, les infractions et les délits34. Autrement dit, ce sont des actes réparables, sanctionnés par la punition, car l’infliction d’une souffrance est ce que le sens commun retient de plus juste en Occident où : « la peine est restée, du moins en partie, une œuvre de vengeance35 », affirme Didier Fassin, en rappelant que punir c’est faire souffrir36.
Le verbe punir vient de poenire (châtier, venger, dérivé de poena ; mot qui à l’origine signifie « la dette pour réparer un crime, obtenir réparation d’un délit37 ». Ce n’est que plus tard que le mot prendra la signification de « peine ». Autrement dit, ce qui aujourd’hui est devenu une souffrance à infliger (une punition) relevait autrefois de la dette à payer grâce à un échange, ce que résume le verbe « rétribuer » (du latin retribuere = « donner en échange »). Mauss a montré que la réparation, pensée dans le cadre d’une circulation des biens et des personnes, était au fondement de sociétés extra-européennes, lesquelles fonctionnaient par l’échange et la triple obligation de donner, recevoir, rendre sans toutefois se sacrifier. Ainsi, quand l’ordre social était perturbé par la violation d’une norme, la dette était acquittée par le groupe et non par l’individu, qui n’était pas jugé seul responsable de ses actes, contrairement à la juridiction française où la responsabilité est individuelle ; l’individu devant expier sa faute et endurer sa peine par un emprisonnement, ce qui, pour certains peuples (les Aborigènes de Nouvelle Guinée par ex.) est inconcevable et en opposition avec leur philosophie de vie commune.
La manière dont nous expulsons les individus dangereux, commente Claude Lévi-Strauss :
hors du corps social en les tenant temporairement ou définitivement isolés, sans contact avec l’humanité, dans des établissements destinés à cet usage, à la plupart des sociétés que nous appelons primitives, cette coutume inspirerait une horreur profonde ; elle nous marquerait à leurs yeux de la même barbarie que nous serions tentés de leur imputer en raison de coutumes symétriques38.
La découverte de ces pratiques traditionnelles a inspiré une autre forme de justice, dite « réparatrice » ou « restaurative », instaurant le dialogue entre l’infracteur et la victime afin d’envisager un avenir, au lieu de se focaliser sur le passé. Intégrées dans le système pénal canadien, ces pratiques indigènes très anciennes de réparation des conflits (cf. les « cercles de paix » des communautés autochtones du Canada ou en Nouvelle Zélande) incluent la famille, les Anciens (des communautés) dans des dispositifs de médiation qui cherchent à restaurer l’harmonie sociale par une reconnaissance des actes et du dommage causé. En France, ce dispositif a été introduit à l’orée du xxie siècle39, sous la forme de la « médiation pénale », mais celle-ci ne peut être appréciée que sur l’accord de la victime, dérogeant ainsi au principe même de cette justice d’écoute : « qui se veut collaborative et “inclusive” de toutes les parties (y compris donc l’infracteur)40 ». Pourquoi ne pas appliquer le modèle canadien d’une justice de réparation à une justice de la punition privilégiée dans le modèle français ?
Si l’infliction d’une souffrance apparaît encore « naturelle » en France, c’est que l’on accorde une place « excessive » à la victime dans ce pays où le christianisme a laissé des traces dans le dispositif pénal, selon Fassin. Une autre raison est invoquée par Michel Foucault qui, dans La société punitive41 parle d’une « guerre civile des riches contre les pauvres » que l’on enferme en masse, alors qu’il existe des peines alternatives (comme le bracelet électronique, les TIG (5€/jour) ou des prisons ouvertes42 peu coûteuses (cf. Casabianda, où l’on relève peu de suicides et un taux très faible de récidive, contrairement aux autres lieux d’enfermements43). Alors pourquoi maintenir un système carcéral qui coûte cher à l’État (100 €/jour et par personne) et ne fait pas baisser le taux de récidive ?
La prison est un marché (cf. la privatisation des programmes de construction), un « business carcéral » (Gregory Sallé)44 conçu pour des entreprises privées (Sodexho entre autres) qui ont investi dans ce lieu en vue de sa commercialisation et de sa marchandisation. Mais, surtout, la prison permet d’enfermer les plus défavorisés économiquement (cf. les indigents qui ne vivent qu’avec un minimum de 50€/mois) les plus vulnérables socialement et scolairement (1 personne/5 ne sait pas lire ni écrire, 44% de personnes n’ont aucun diplôme, moins de 10% ont le bac). Il s’agit d’une pratique discriminatoire qui sert de « poubelle » à la société45, jouant un rôle d’exclusion et de ségrégation sociale en se focalisant sur les étrangers et les classes populaires. Autrement dit, ce sont les caractéristiques sociales qui conduisent en prison : les jeunes de banlieue, les personnes de couleur, les toxicomanes, les alcooliques, les SFD sans diplômes et malades psychiques (enfants autistes en EPM, comme j’ai pu le constater) forment sa « clientèle ». D’où une surpopulation notoire créant des conditions de vie dégradantes. Ainsi, La France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir violé l’article 3 de la convention européenne selon lequel : « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains dégradants46 ».
Quelle(s) fonction(s) peut avoir la pratique musicale dans cet antimonde où règnent la méfiance et la peur ? Est-il possible d’établir des relations entre les gens, par les sens, les silences et les sons, les regards et les gestes ?
Restaurer de l’Entre
Restaurer cet Entre47 fut notre priorité dans l’antimonde de la prison. Pour cela, certaines conditions sont requises sans lesquelles aucun travail musical n’est possible à mes yeux. Je demande aux autorités des établissements pénitentiaires de pouvoir travailler avec les détenus volontaires, hommes et femmes, toute la journée (8h30-11h30 et 13h30 15h30 ou 16h) et pendant au moins une semaine (jusqu’à trois) au bout de laquelle un concert est donné. Ce qui a pour effet de bouleverser la routine carcérale et la vie du personnel, opérant un décadrage susceptible d’occasionner des conflits avec la direction de la prison, dont les objectifs attendus (les « calmer », entre autres) ne sont pas les mêmes que ceux de l’OP, visant à développer l’empowerment en ce lieu où les détenus sont infantilisés et rendus dépendants de l’ouverture et de la fermeture d’une porte (entre autres).
Pour qu’une véritable rencontre puisse avoir lieu, il faut apprendre à quitter son identité (de chercheur, d’étudiant, d’enseignant ou de détenu) et s’ouvrir à l’altérité en abandonnant tout préjugé. D’où la création d’un nouveau paradigme, le non-savoir, qui n’est pas l’ignorance, mais « un dépassement difficile de la connaissance48. » Car pour pouvoir apprendre des personnes et de ces lieux, l’accueil et la disponibilité sont les conditions sine qua non pour qu’une relation de confiance puisse s’établir par l’écoute réciproque. Jouer ensemble est notre seul but. Cela a pour effet (paradoxalement) de délier les langues, en particulier dans les pauses, moments informels où nous apprenons beaucoup des détenues, qui prennent souvent l’initiative de nous écrire spontanément pour exprimer leurs ressentis et leurs remerciements. Tous-tes participent à la recherche et ne sont pas des « objets » d’étude mais des agents dotés de capacité de sentir et de penser.
L’expérience m’a montré qu’il est possible d’obtenir un résultat musical très satisfaisant grâce à l’enthousiasme de ces personnes, dont les qualités d’écoute et d’attention se révèlent au contact de musiciens bienveillants qui savent répondre à leur désir d’apprendre. En cela, la présence des étudiants est essentielle, en particulier à l’EPM (Établissement Pénitentiaire pour Mineurs 12-18 ans), où les jeunes se retrouvent entre « pairs », ce qui facilite le travail et permet de maintenir ce degré d’enthousiasme49.
Rassembler hommes et femmes pour jouer de la musique permet d’interrompre la routine carcérale quotidienne pour commencer quelque chose de neuf. Car nous sommes nous‑mêmes des commencements, explique Hannah Arendt avec le concept de natalité, l’une des conditions du politique selon elle : « le miracle qui sauve le monde c’est la natalité dans laquelle s’enracine la faculté d’agir. En d’autres termes : c’est la naissance d’hommes nouveaux50 »
Chez les personnes dont la subjectivité a souvent été détruite par la vie carcérale ou l’exclusion sociale et qui n’éprouvent plus le sentiment d’exister, découvrir en eux de nouveaux potentiels, leur permet de se réparer et/ou de se (re)créer. Car se sentir capable et être reconnu par les autres est rare en ces lieux. Encouragé par le collectif qui contribue ainsi à sa « réparation », chacun progresse à une vitesse étonnante, déployant une énergie et une volonté d’apprendre inédites, dans la mini-société de l’orchestre.
Mais comment développer concrètement la capacité d’agir chez les détenus dans l’OP ?
Par le jeu, un concept fondamental, défini par Johan Huizinga comme : « une activité ayant sa fin en soi… et qui s’accompagne d’un sentiment de joie, d’une conscience d’être “autre” que dans la vie quotidienne51. » Susciter cette joie de jouer est l’unique but de l’OP, Car la Joie est, selon Spinoza : « une affection par où la puissance d’agir du corps est accrue… (tandis que) la Tristesse est une affection par où la puissance d’agir du corps est diminuée ou réduite52. » C’est pourquoi les tyrans ont besoin, pour dominer, d’entretenir la Tristesse et la peur chez leurs « sujets », pour qu’ils leur restent soumis, explique Spinoza53.
C’est ce que l’on peut constater dans les prisons, où les détenus témoignent au début des sessions d’orchestre d’une sorte d’« impuissance apprise » (« je ne sais rien faire », « je ne suis pas capable », « je ne suis rien »). Or, jouer, c’est se sentir libre en vivant quelque chose de tout son être et en éprouver du plaisir.
Nous n’avons pas d’autre objectif que de libérer cette puissance de vie qui qualifie la musique (autre nom du mot Joie, yue, dans la langue chinoise, où ces deux termes sont équivalents).
En tant que langage du corps, la musique mobilise « la totalité des facultés, des ressources et des forces, connues et inconnues de nous54 », et renforce ainsi la capacité d’agir comme la connaissance de soi.
Une « pluralité d’individus singuliers » (condition du politique selon Hannah Arendt) naît dans l’OP, agissant au sein d’un milieu concret (= cum crescere) où ils peuvent croître ensemble par la synchronisation des corps et, ainsi, créer une brèche, une faille au cœur du système. Car, s’il est admis, en théorie, que « la finalité de la prison ne se résume pas à l’expiation mais implique la réparation à travers la transformation du détenu55 », celle-ci ne peut s’accomplir que dans un milieu propice à l’accueil des citoyens, comme des détenus, amenés à conscientiser leurs conflits par le jeu de l’opposition créatrice vécue dans le dispositif de l’orchestre. Ce fut le cas à l’EPM de Quiévrechain, où nous avons pu résoudre des situations conflictuelles entre détenu-e-s en leur dédiant des parties solistes à travers lesquelles elles pouvaient dialoguer en musique, de façon non verbale, ce qui a entraîné un changement de comportement notoire et durable, selon la direction de l’établissement. Chaque musicien ayant une place unique, il est irremplaçable au sein d’un tel dispositif, ce qui le valorise tout en lui faisant éprouver un sentiment d’appartenance à un collectif. L’écoute corporelle sollicite un « art de l’attention » qui demande un effort soutenu fondé sur la participation, principe même de l’OP.
Selon Joëlle Zask, « la participation est indispensable à une vie véritablement humaine56 » et l’art est, selon elle, l’un des rares domaines où l’on retrouve, indissolublement liées, les trois manières de participer (généralement dissociées) : prendre part au commun, en partageant la compagnie d’autrui ; contribuer en nourrissant le commun de ses apports personnels et en bénéficier grâce au processus de reconnaissance qui en résulte. Ces trois temps de la participation correspondent en tous points à ceux vécus dans l’OP, où il s’agit de répondre à et de répondre de, d’une manière non-verbale, en mobilisant les langages sensoriels pour communiquer. Un nouveau concept de responsabilité en émerge, qui n’a rien à voir avec l’idée de punition et de culpabilité sous-jacent à la notion dans le droit français, où un individu est tenu pour seul responsable de ses actes.
Si tout être humain a la responsabilité de transformer la passivité d’une identité reçue (ici de « prisonnier ») pour conquérir sa liberté, cette mutation ne peut se réaliser sans le soutien d’une société qui se montrera accueillante, prête à admettre que la délinquance n’est pas un état permanent et qu’il existe un processus de sortie de cet « état » appelé la désistance. S’ouvrent alors des possibilités de réparation.
Changer le regard et réparer les fractures d’âmes
Chez les personnes détenues, dont les sens ont été malmenés et parfois anesthésiés en prison, pratiquer la musique en collectif permet de réparer non seulement le mental, mais le corps en réactivant l’énergie et la façon de sentir, indissociable de la faculté de penser. Des forces nouvelles peuvent se déployer à partir d’un changement de regard de la part des citoyens, dont l’effet réparateur est effectif, comme nous le disent les détenus (particulièrement sensibles à l’appel de leur prénom, alors qu’ils ne sont plus que des numéros d’écrous). Ce seul « détail » contribue au processus de réparation et les met en disposition de jouer dans cette enveloppe sonore que constitue l’OP, transformé en une « sorte de cocon » précédant leur « natalité ».
Par sa nature enveloppante et atmosphérique, la musique peut-elle réparer « les fractures d’âmes » comme on répare celles des instruments à cordes ?
L’âme est cette petite pièce invisible que l’on trouve dans la caisse de résonance d’un violon (d’un alto, d’un violoncelle ou d’une contrebasse) et qui, si elle est seulement déplacée ou fêlée, peut changer complètement la sonorité de l’instrument. Dans l’histoire d’un violon, les « fractures d’âme » peuvent être nombreuses, comme chez tout être humain. Pour certains, ces fractures sont si profondes qu’elles peuvent les empêcher, non seulement de jouer leur propre mélodie intérieure, mais d’entrer en « sympathie » avec les autres. L’un des remèdes possibles pour un instrument est d’ajouter des cordes, que l’on appelle « cordes sympathiques57 », et qui sont des cordes « libres », sur lesquelles aucune action n’a besoin d’être exercée : elles entrent directement en vibration par simple résonance avec les notes ayant la même fréquence et la même hauteur que celles qui sont jouées ; d’où le nom d’« instruments d’amour 58 » ou « violon d’amour », attribué à ces instruments qui rendent alors une sonorité plus ample, à la fois plus épaisse et plus libre. Nous avons vu que la fragilité constitutive de l’humain « souffrant et agissant » oblige à la réparation et à la (re)création permanente, comme en nous tous, qui sommes sujets à l’erreur et à l’errance, et forcés d’admettre la vulnérabilité de notre être, contrairement à l’image de maîtrise et de toute-puissance que notre société cherche à transmettre.
La reconnaissance, en tout être humain, de cette faillibilité est posée comme fondatrice de la création chez nombre d’artistes ayant su la transfigurer pour en faire une œuvre. Car « les œuvres, comme dans les puits artésiens, montent d’autant plus haut, que la souffrance a plus profondément creusé le cœur 59. »
Tel est le cas d’Armand Gatti, (1924-2017), poète, écrivain et dramaturge fondateur de La Parole Errante (1986), pour qui créer fut un acte de survie : interné dans les camps, il en fit l’expérience dès l’âge de seize ans. C’est dans ce lieu de la mort qu’il rencontra le théâtre avec trois autres déportés juifs qui décidèrent de monter une pièce en trois actes (Je suis, j’ai été, je serai) sur le thème de la conscience de soi et du rapport aux autres pour survivre à leur situation tragique. Depuis, Armand Gatti a consacré sa vie à faire émerger cette parole chez des personnes en situation d’exclusion sociale en montrant que l’art est aussi une éthique, un travail sur soi nécessaire pour libérer des forces créatrices.
Deux questions (Qui suis-je ? À qui je m’adresse ?60) furent le point de départ d’une restructuration intérieure réalisée à travers un projet (théâtral) collectif dont le but n’était ni social, ni politique (pas même artistique) : il s’agissait de « faire quelque chose qui donne une âme aux hommes61 » surtout lorsqu’ils vivent dans des conditions indignes, comme dans les camps ou dans les prisons.
L’artiste en prison
« L’artiste en prison » (1952) est le titre de la préface d’Albert Camus (1913-1960) aux deux textes d’Oscar Wilde (1854-1900), condamné à deux ans de travaux forcés en raison de son homosexualité. Dans De profundis et La Ballade de la geôle de Reading62, l’artiste témoigne de son expérience de la prison, épreuve révélatrice d’un autre approche de l’art, éloigné de l’esthétisme qui était le sien jusqu’alors, doté, selon lui, du vice suprême de la superficialité63, comme l’art de son époque. Livré à « une douleur inexprimable et à un muet chagrin64 », il sait maintenant que « ni la religion, ni la morale, ni la raison » ni même l’art, ne peuvent l’aider. Or, « l’art n’est rien s’il n’aide pas », affirme Camus65, dont la vision de l’art se trouve en affinité avec celle de Wilde. Selon lui, l’art peut permettre de (se) réparer à condition d’admettre que chacun porte en soi une douleur qu’il vient éclairer par son œuvre, d’une lumière singulière : tel est à ses yeux notre commun qui nous oblige à porter sur autrui un autre regard et tenter de comprendre au lieu de (pré)juger. « Pourquoi créer si ce n’est pour donner sens à la souffrance, fût-ce en disant qu’elle est inadmissible ?66 », demande Camus. Pourtant, la joie est aussi une autre vérité humaine liée à la création, comme il l’admet lui‑même, qui ne peut cependant s’affirmer dans la société dans laquelle il vécut : c’est « la culpabilité des sociétés serviles comme la nôtre, qu’il leur faille toujours la douleur et la servitude pour entrevoir une vérité qui pourtant se trouve aussi dans le bonheur67. »
Entre ces deux pôles de la douleur et de la Joie, de l’ombre et de la lumière, oscille l’artiste, selon Camus, qui sait les combiner à la manière du philosophe68 de Rembrandt pour « persévérer dans son être » (cf. le conatus de Spinoza69) et transfigurer la blessure en une poétique.
Mais entretenir une poétique de la blessure n’implique-t-il pas que celle-ci soit irréparable ? Tel est l’avis de Jean Genet (1910-1986), un écrivain ayant passé sa vie en prison, auteur d’un livre sur Rembrandt et d’un autre sur Giacometti (qui a fait son portrait).
Poétique de la blessure
Percevoir la blessure secrète, fondatrice de toute expérience humaine, est à l’origine de l’œuvre de Rembrandt, qui l’a reconnue en tout être (même le plus humble, au détour d’un regard, dans lequel il a perçu tout le sens de l’humanité) et de celle de Giacometti. « L’art de Giacometti me semble vouloir découvrir cette blessure secrète de tout être et même de toute chose, afin qu’elle les illumine70 », affirme Genet, qui a passé sa vie à l’entretenir71 et à la remettre mille fois sur le métier, pour en faire une œuvre et, ainsi, la transfigurer : « Et ta blessure, où est-elle ? Je me demande où réside, où se cache la blessure secrète où tout homme court se réfugier quand on le blesse ?72 », demande Genet selon lequel : « Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure que tout homme garde en soi et où il se retire quand il veut quitter le monde pour une solitude temporaire mais profonde73 ».
Cette blessure […] tout homme sait la rejoindre au point de devenir cette blessure elle‑même, une sorte de cœur secret et douloureux […]
C’est dans cette blessure (inguérissable puisqu’elle est lui-même)
qu’il pourra découvrir la force, l’audace et l’adresse nécessaire à son art74.
« Moi, mon âme est fêlée75 », dira Baudelaire en écho à un autre poète qui emploie la voix substitutive d’un vase brisé pour exprimer cette fêlure : « Toujours intact aux yeux du monde / Il sent croître et pleurer tout bas / Sa blessure fine et profonde : il est brisé, n’y touchez pas76. » Car si elle est bien la marque d’une défaillance de l’être, la fêlure peut devenir une ressource pour la création (cf. l’art japonais du kintsugi qui consiste à réparer les fêlures de la poterie ou de la porcelaine cassée en les remplissant d’or).
Créer, vivre
Acte vital, créer permet de résister aux expériences extrêmes de l’existence et de « libérer des possibilités de vie susceptibles d’accroître à la fois la puissance de la sensibilité et la jouissance du fait de vivre 77. » S’il existe une responsabilité de l’artiste, elle est dans cet acte visant à « répondre de » et « répondre à » autrui comme à sa propre nécessité intérieure pour créer des possibles. Or, derrière les possibles de la création se révèlent ceux de la vie : créer (creare) veut dire aussi « croître » rappelle Paul Audi ; faire s’accroître la vie (« sur-vivre ») et la joie (au sens spinozien) en chacun quand : « la souffrance de vivre, la douleur d’exister, s’empare de tout l’être78. » D’où l’efficacité de la pratique musicale collective en prison qui vise l’art et la création et non pas le social ou le thérapeutique, exigeant des détenus une présence attentive (à soi, au monde et aux autres). Or, la création ne s’applique pas seulement aux œuvres d’art mais aussi aux humains. En ce sens, elle peut avoir une vertu réparatrice, car (se) créer exige aussi de se sentir vivant (« Pour écrire un livre ou faire un tableau, il faut être soi-même bien vivant », assure Van Gogh79). De là l’idée que « l’antonyme de mourir n’est pas vivre mais créer » acte qui permet, selon Audi : « d’entretenir sa santé, de développer ses forces et ainsi, d’améliorer sa vie80. »
Dans nos sociétés où tout se mesure et où l’on doit tout faire rentrer dans une commune mesure, n’est-ce pas le rôle de l’art que de créer une fêlure au sein de ce système pour changer le rapport au monde ?
La pratique musicale collective, cet espace-temps de l’Entre, est révélatrice d’une autre vie possible dans la prison. Ces instants musicaux, qui ne se mesurent ni ne s’intègrent dans le temps chronologique et routinier de la prison, introduisent une faille dans le système carcéral. S’ouvrir à un autre milieu permettra de (se) réparer au contact de l’altérité qui apporte à ce monde clos et fragmenté, des possibles. Telle sera la fonction de l’artiste en prison qui n’est pas tant « d’ouvrir un atelier81 », comme l’affirmait Ponge, que d’ouvrir (tout court) un monde autre, qui ne se laisse pas mesurer. Dans cette existence hautement programmée qu’est celle des prisonniers, il s’agit de laisser passer de l’Entre, comme le donne à voir l’idéogramme du mot, représentant l’entrebâillement d’une porte traversée par la lumière du soleil (ou de la lune) venu-e l’éclairer. Puisse l’art tenter d’y ouvrir quelques portes pour transformer l’indifférence des sociétés envers cet antimonde où « le poids des murs ferme toutes les portes82 » et permettre une possible réparation aux yeux de la société.