Ok, d’un état mental à l’autre : dialogue entre la sémantique et la prosodie

DOI : 10.54563/lexique.758

p. 89-114

Abstracts

The current study focuses on the production of okay (ok in French) in French spoken dialogues. We investigate the use of this discourse marker from two different perspectives. Our examples are taken from Frantext, from the French TV show "Maison à vendre", but also from an experimental corpus created in a psychology experiment involving goal-oriented dialogues between pairs of participants. On the one hand, a semantic approach seeks to list the different uses of okay in dialogue by placing them on a continuum between mutual comprehension and miscomprehension. On the other hand, a prosodic approach seeks to link the different uses of okay to the speaker's state of mind, in particular by focusing on the correspondence between the production of okay and the timescale of the action performed by the dialogue partners. We conclude by pointing out potential overlaps between the two approaches while highlighting the specificity of each of them.

L’objet de notre étude est l’analyse croisée des dimensions sémantique et prosodique de ok dans des dialogues en français oral. Pour ce faire, notre analyse revêtira deux volets, l’un consacré à la sémantique et le second à la prosodie. Les exemples utilisés sont tirés de Frantext, de l’émission de téléréalité française « Maison à vendre », mais aussi d’un corpus expérimental créé dans le cadre d’une expérience de psychologie impliquant des dialogues finalisés entre des paires de participants. Dans un premier temps nous proposerons une organisation des différents sens de ok selon le degré de compréhension exprimé (à l’aide d’un continuum allant de la compréhension mutuelle à l’incompréhension), en cherchant à observer ce qu’il y a de commun à tous ces emplois. Dans une seconde partie, nous étudierons la part de la dimension prosodique dans l’interprétation de ok en lien notamment avec les états mentaux des locuteurs et le décours temporel de l’action en cours de réalisation La conclusion portera sur les chevauchements potentiels entre les deux approches, mais nous veillerons également à mettre en avant la spécificité de chacune d’entre elles.

Outline

Text

1. État de l’art

Indépendamment de la question de l’accord ou des objectifs convergents ou divergents des interlocuteurs, un dialogue peut être caractérisé comme une activité collaborative où au moins deux locuteurs cherchent à se comprendre (Clark, 1996). Chaque locuteur fait alors un certain nombre d'efforts en vue de permettre la compréhension mutuelle. L'une des stratégies mises en place dans ce contexte consiste à essayer de produire des énoncés adaptés à autrui, c'est-à-dire des énoncés dont le locuteur sait que son partenaire est capable de les comprendre facilement et de manière univoque. Ces comportements d'adaptation ont fait l'objet d'un grand nombre d'études dans le cadre de la psychologie du dialogue (e.g., Achim, Achim, & Fossard, 2017 ; Clark & Wilkes-Gibbs, 1986 ; Fussell & Krauss, 1992 ; Gorman, Gegg-Harrison, Marsh, & Tanenhaus, 2013). Une autre stratégie, moins souvent étudiée, consiste à produire des feedbacks positifs ou négatifs qui permettent à chacun des locuteurs d'indiquer à l'autre son niveau de compréhension actuel (Clark & Brennan, 1991 ; Clark & Schaefer, 1989 ; Fox Tree, 2010). Les locuteurs exploitent différents types de feedback tout au long de l'interaction. Tout d'abord, il peut s'agir de feedbacks linguistiques (ok, ouais, hm-hm, etc.), mais aussi de feedbacks non-linguistiques (hochement de tête, sourire, regard, etc.). Ensuite, lorsqu'un feedback linguistique est produit, celui-ci peut être plus ou moins explicite. Par exemple, un locuteur peut répéter tout ou partie de l'énoncé produit par son partenaire, dire ok, d'accord, non ou hm-hm, ou encore tout simplement passer au tour de parole suivant (chaque locuteur étant responsable de signaler ses difficultés à l'autre, le passage au tour de parole suivant indique de manière implicite que le tour précédent a été compris correctement). Ce n'est qu'une fois que ce type de feedback a été fourni et que les locuteurs ont établi qu’ils ont réussi à se comprendre1 qu’ils peuvent poursuivre l’interaction ; l'information produite est alors considérée par les locuteurs comme faisant partie de leur terrain commun, qui est constitué des connaissances qu’ils ont conscience de partager, ou connaissances mutuelles (Clark, 1996 ; Clark & Marshall, 1981).

Bangerter & Clark (2003 ; voir aussi Bangerter, Clark & Katz, 2004) ont montré que certains marqueurs de feedback sont utilisés par les locuteurs non seulement pour indiquer leur degré de compréhension, mais aussi pour expliciter leur progression dans l'interaction. Plus précisément, ces auteurs suggèrent que tout dialogue peut être divisé en un certain nombre de projets et de sous-projets. Par exemple, si deux locuteurs, A et B, interagissent en vue de planifier une réunion, leur projet (planifier une réunion) peut être divisé en un certain nombre de sous-projets (trouver une date, se mettre d'accord sur l'horaire, réserver une salle, etc.) qui vont devoir être réalisés afin de compléter le projet. Certains marqueurs vont alors être utilisés comme des outils permettant la navigation au sein de chaque projet, et d'un projet à l'autre, dépassant alors la simple fonction de marqueur de feedback. Ces marqueurs incluent des mots comme ouais, hm-hm, ok ou j'ai compris et sont appelés marqueurs de projet lorsqu’on fait référence à leur fonction dans la structuration de l’interaction. Il est important de souligner que certains marqueurs de projet tels que ouais ou hm-hm sont spécialisés dans les transitions horizontales, c'est-à-dire les transitions au sein d'un même sous-projet, tandis que d'autres marqueurs de projet tels que ok sont spécialisés dans les transitions verticales, c'est-à-dire les transitions d'un sous-projet à l'autre (ces marqueurs verticaux sont utilisés aussi bien pour fermer le projet en cours que pour ouvrir un nouveau projet2).

L'objectif du présent article est d'enrichir cette classification en nous interrogeant sur l'utilisation d'un de ces marqueurs, ok, à l'oral, en nous appuyant sur l'étude d'un corpus large et varié. La classification initiale de Bangerter & Clark (2003) laisse entendre que ok est principalement utilisé dans les situations où un locuteur est d'accord avec ce qui a été dit précédemment, et qu'il se sent prêt à terminer le sous-projet en cours en vue de commencer un nouveau sous-projet. L'analyse sémantique et prosodique que nous rapportons ci-dessous n'invalide pas ce point de départ, mais le nuance en montrant qu'il s'agit d'une unité particulièrement riche et que le passage d'un sous-projet à l'autre peut se réaliser de différentes manières. En ce sens, le présent article se veut faire écho à l'article de Col, Bangerter, Knutsen & Bory (ce volume) aussi bien sur le plan théorique (en proposant un questionnement autour du rôle de ok dans la progression dans l'interaction) que sur le plan méthodologique (en s'appuyant notamment sur une analyse prosodique de ok). Il s'en distingue toutefois à travers son emphase sur le lien entre la production de ok dans le dialogue et l'état mental du locuteur ; les corpus utilisés sont également différents.

Il est important de souligner que nous favorisons dans le présent article la notion plus générale « d’état mental » à celle d’émotion. En effet, dans le cadre de la psychologie expérimentale, une émotion est habituellement définie au regard de sa valence (c’est-à-dire sa dimension positive ou négative) et du niveau d’éveil (fort ou faible) qu’elle suscite chez l’individu. Le présent article ne porte pas sur ces dimensions, mais bien sur l’état de compréhension et/ou d’accord de l’individu suite à la production d’un énoncé en situation de dialogue.

2. Considérations méthodologiques

Cette répartition en deux volets distincts (sémantique et prosodique), s’explique par la difficulté rencontrée lors de la constitution de notre corpus oral. Nous partons en effet du principe que seules des données orales authentiques3 permettent d’avoir accès à la multiplicité des emplois d’une unité polysémique et, partant, à la finesse de la caractérisation prosodique donnant la possibilité d’exprimer ces différentes nuances de sens. Si ok est un petit mot très fréquent dans le discours oral spontané, il s’avère difficile de le rencontrer dans la plupart des corpus déjà établis ou bien simplement dans les discours audiovisuels. En effet, à moins de disposer en très grande quantité de discours oral informel analysable, il est très difficile de rencontrer des occurrences de ok dans les grands corpus oraux habituels (corpus ESLO 1 et 2, corpus Rhapsodie…). Ce petit mot se prête en effet assez peu à des cadres formels, et lui sont souvent préférés ses voisins de paradigme, d’accord, ça marche ou très bien4. Il semblerait par ailleurs que l’âge des locuteurs soit corrélé à la production de ok mais cette remarque intuitive mériterait d’être étayée par des observations scientifiques.

Comme nous le verrons au cours de cet article, nous disposons toutefois d’un corpus en français de France homogène et riche en occurrences de ok, le Corpus Tangram. Ce corpus a été constitué dans le cadre d'une expérience de psycholinguistique visant à tester l'effet de la charge mentale (c'est-à-dire l'intensité du traitement cognitif engagé par un individu lors de la réalisation d'une tâche donnée ; Tricot & Chanquoy, 1996) et de la visibilité mutuelle sur la production de marqueurs de projet, dont le marqueur « ok » (il est à noter qu’un corpus s’appuyant sur une méthodologie similaire en anglais est décrit dans l’étude de Knutsen, Col & Le Bigot, 2018). Dans cette expérience, des paires de participants avaient pour tâche de résoudre ensemble des puzzles de type « Tangram ». L'un des locuteurs, ci-après le directeur, avait sous les yeux une figure de Tangram complète. Cette figure était constituée de sept formes géométriques de taille variable (triangles, carrés, etc.). L'autre locuteur, ci-après l'exécutant, avait à disposition les formes constituant la figure complète, mais celles-ci étaient disposées devant lui de manière aléatoire. Les participants devaient interagir de manière à ce que l'exécutant reconstitue la même figure que celle visible du directeur, sans la voir, et sans que le directeur ne voie l'état d'avancement de l'exécutant. Pour la moitié des paires, chaque participant pouvait voir le visage de son partenaire ; pour l'autre moitié des paires, le visage du partenaire n'était pas visible. De plus, chaque paire réalisait deux sessions du jeu. Dans l'une des sessions, la charge mentale ressentie par les participants était augmentée en les mettant en situation de pression temporelle (les participants avaient dix minutes pour réaliser la tâche, et le temps restant leur était rappelé toutes les deux minutes). Dans l'autre session, les participants n'étaient pas en situation de pression temporelle. Les dialogues entre les participants ont été intégralement retranscrits5. L’intérêt prosodique de ce corpus est incontestable, les locuteurs étant amenés à exprimer différents états mentaux tels que l’appréhension, la perplexité, la satisfaction etc., en produisant parfois simplement une occurrence de ok comme support énonciatif. En revanche, les tâches à effectuer lors d’une partie de Tangram étant toutes du même ordre, à savoir placer une figure géométrique comme demandé par l’interlocuteur, il s’agit essentiellement pour le locuteur de signaler que la tâche attendue est effectuée ou que la consigne transmise est comprise (même si, comme nous le verrons plus bas, ok est parfois produit sur un ton interrogatif, suggérant que le locuteur cherche à susciter la production d'un marqueur de feedback chez son partenaire), la diversité sémantique n’étant ainsi pas au rendez-vous.

C’est ce constat qui nous a conduites à constituer un autre corpus qui nous permettrait de mener à bien l’analyse sémantique de ok, indispensable à l’établissement de liens stables sémantique/prosodie. Même si chronologiquement ce second corpus a pris forme dans un second temps, nous adoptons depuis Petit (2009) le parti de débuter par une analyse sémantique fine des emplois d’une unité polysémique avant d’y appliquer des observations prosodiques, nos différents travaux antérieurs, notamment sur enfin (Petit, 2009), oui (Hacine-Gharbi, Petit, Ravier & Nemo, 2015) ou encore voilà (Petit ,à paraître 2019) nous amenant à penser que la prosodie, dès lors qu’elle s’applique à des unités lexicales et se trouve non contrainte syntaxiquement, a pour effet de créer des sous-sens (ou emplois-types6). Nous reviendrions bien entendu sur ce point au cours de la présentation de nos résultats.

Les enregistrements audio correspondant aux exemples utilisés peuvent être écoutés et téléchargés à l'adresse web suivante : https://osf.io/mhpfk/. Il est à noter qu'aucun enregistrement n'est associé aux exemples extraits de Frantext (exemples (2), (4) et (7)).

3. Analyse sémantique

3.1. Présentation du corpus 1

Après avoir prêté attention à un grand nombre d’émissions télévisées et radiophoniques, partant notamment de l’hypothèse que le ton serait très informel dans les émissions de téléréalité et que peut-être des stratégies appelant des validations par ok seraient présentes, force a été de constater que le recueil de données a été très faible. Certaines émissions de « Maison à vendre7 » (désormais « MAV ») nous ont permis de disposer de quelques occurrences intéressantes, mais bien insuffisantes à elles seules pour obtenir une diversité des sens satisfaisante. Le recours à Frantext a donc été un moyen de contourner le problème, jusqu’à trouver une autre solution plus satisfaisante, afin d’obtenir sans la créer nous-même, cette diversité sémantique, ou du moins une partie de cette diversité tant recherchée. Ce vaste corpus permet d’obtenir du discours écrit – reproduisant du discours oral – et comportant des occurrences de ok.

3.2. Analyse

L’analyse des différents extraits nous a permis de dégager plusieurs critères qui ont fait apparaître différentes nuances sémantiques de ok : nous avons notamment considéré la « nature » de l’énoncé situé dans le contexte gauche de ok, celui-ci donnant à cette marque de validation différentes colorations portant sur ce que nous pourrions appeler « le degré d’acquiescement ». Nous avons également observé les collocations présentes et dans une moindre mesure le ton avec lequel a été prononcé ok, lorsque le medium oral était disponible.

Voici le classement sémantique (organisé en allant de la compréhension à l'incompréhension, et en ajoutant une catégorie supplémentaire, à savoir celle de l'interrogation) auquel nous avons abouti et dont nous allons analyser un exemple pour chaque degré afin d’illustrer nos propos. En accord avec Clark (1996), nous suggérons par ailleurs que quelle que soit la signification associée à ok, ce marqueur inclut systématiquement une signification de ratification (ainsi dans tous les cas le locuteur accuse réception). En effet, qu'un locuteur utilise ok pour indiquer sa compréhension ou son incompréhension, l'utilisation de ce mot signifie à minima que le locuteur reconnaît qu'un énoncé a été produit et qu'il prête attention à ce qui a été dit.

Nous verrons que différentes prosodies pourraient être proposées pour chacun des sens listés, même s’il est toujours difficile de rendre compte de la dimension orale par le biais de l’écrit. Nous avons tenté de renseigner le « ton8 » employé par le locuteur au moment de la réalisation de ok. Nous sommes systématiquement confrontés lors de ce type de travail à une difficulté liée à la détermination des étiquettes. Ceci étant, il nous a semblé important de faire figurer ici cette information, en la considérant avec toute la prudence requise. Nous avons défini le ton de manière perceptuelle en nous aidant d’indices co-textuels, mimo-gestuels et contextuels.

Sens9

Contexte

Ton

1

Ok comme marqueur de compréhension

1a : Ok associé à un comportement, une information ou une tâche attendu(e).

Sévère

1b : Ok produit dans une situation où le comportement, l'information où la tâche n'était pas particulièrement attendu(e) mais où il n'y a pas de désaccord avec ce qui a été dit.

1c : Ok produit dans une situation où le locuteur avait initialement du mal à comprendre l'information produite, mais où cette incompréhension initiale a été dépassée.

1d : Ok comme réponse à une question à laquelle le locuteur de la question attend un oui comme réponse.

1e : Ok utilisé pour accepter un projet proposé avec l'autre locuteur

Neutre

2

Ok comme marqueur de concession

2a : Ok utilisé à la place de admettons : l'information entendue n'était pas attendue (elle peut paraître surprenante) et reste à vérifier, mais les locuteurs parviennent tout de même à se comprendre.

Non-convaincu

2b : Ok utilisé à la place de certes (souvent suivi de mais) : l'information entendue n'était pas attendue (elle peut paraître surprenante), mais le fait décrit est réel et n'est pas remis en question.

3

Ok comme marqueur d’incompréhension

3a : Ok utilisé pour indiquer que l'information n'a pas été comprise ou est difficile à comprendre10.

Non-convaincu

4

Ok interrogatif

4a : Ok utilisé pour solliciter un feedback de la part du partenaire de dialogue (ok ?)

Enjoué

Tableau 1. Classement des différents sens de ok dans les corpus Frantext et MAV.

Revenons sur chacun de ces sens. L’analyse prosodique sera proposée dans cette première partie lorsque cela est possible, c’est-à-dire lorsque nous disposons d’extraits oraux.

 1a. Ok associé à un comportement, une information ou une tâche attendu(e)

Le locuteur vérifie qu’un évènement attendu s’est produit. Dans ce contexte, ok est plus ou moins l'équivalent de l'expression ça, c'est fait.

(1)

L1 (Plazza) : très bien on enlève le rouge ça bosse les filles hein très bien Ok

L2 (voix off) : la chambre de Katia va devenir le bureau il faut donc déménager toute sa garde-robe11

 

 

Figure 1. Spectrogramme mettant ok en évidence (exemple 1).

Nous constatons que la mélodie est en forme de cloche (montante-descendante) et que l’occurrence est entourée de pauses. La prosodie témoigne notamment de l’implication12 du locuteur dans ses propos. Nous percevons également la satisfaction13 de ce même locuteur.

 1b. Ok produit dans une situation où il n'y a pas de désaccord, même si l'information n'était pas particulièrement attendue.

Dans ce contexte, ok est synonyme de je prends note ou encore de bien reçu

(2)

Montparnasse. La grue en face de chez nous. Ce qu'elles se disent quand elles se rencontrent (elles se taillent une bavette à chaque fois), eh dis donc, là-bas y a un beau tas de brindilles, ok j'y cours de ce pas. Oublie pas de rapporter le pain. Dis où t'a mis mes chaussettes ? Eh tu peux pas faire attention où tu mets les pieds t'as marché sur mon œuf (ROCHEFORT Christiane, Encore heureux qu'on va vers l'été, 1975, p. 159)

 1c. Ok servant à indiquer qu'une incompréhension initiale a été levée

S’il y a une incompréhension avant il est logique de trouver une marque d’accord après ok (ouais) qui ne marque que la compréhension.

(3)

L1 (voix off) : et son stress grandit en découvrant la voile qui recouvre la terrasse

L2 (Plazza) : ben normalement c’est pour le soleil hein mais bon ben aujourd’hui il pleut bah oui c’est pour pas qu’on ait trop de soleil

L3 (propriétaire) : ah Ok ouais

L2 (Plazza) : et tu trouves ça joli ?

L4 (femme du propriétaire) : RIRES

L3 (propriétaire) : non

L2  (Plazza) : alors tu trouves ça comment ? Non mais profites-en parce que c’est peut-être la seule couleur que tu vas avoir dans la maison hein

L4 (femme du propriétaire) : RIRES

Prosodiquement, l’occurrence est brève, très intégrée, sans pause en collocation et présente une mélodie peu modulée. Un léger chevauchement de parole a pour effet de biaiser la représentation de ok sur un spectrogramme. Ok est peu affirmé, ce qui correspond tout à fait à une compréhension tardive de la part du locuteur. Nous verrons dans la seconde partie que lorsque l’incompréhension demeure, un assourdissement se produit sur ok. Il y a ainsi une corrélation entre la hauteur et la modulation de la mélodie et le degré de compréhension (et de consensus entre les locuteurs). Ok se trouve ici en collocation avec ah, ce qui a aussi pour effet de signaler qu’une compréhension se produit.

 1d. Ok comme réponse à une question attendant un oui

De même que pour le ok interrogatif, le locuteur de la question posée attend un accord, sa question est orientée. Si la question n’attendait pas un oui, on pourrait difficilement produire un ok en réponse.

(4)

ébouillanté qui sort d'au fond des cours, Mathias essaie d'écrire son roman policier. Il écrit à la main, sur du papier d'école.

« Joséphime arrêta la voiture :

- tu veux descendre ici ?

- Ok, sonny, dit Doug. À peine descendu, il le regretta.

- T'aurais mieux fait de ne pas faire le con.

La belle Joséphime avait sorti un petit revolver incrusté d'argent (LE CLÉZIO Jean-Marie Gustave, Le Procès-verbal, 1963, p. 192)

 1e. Ok exprimant un accord vis-à-vis d'un projet

Un plan est annoncé sans concertation préalable avec le locuteur de ok. Il est différent des autres usages de ok car il y a une proposition qui est faite. Dans ce contexte, ok équivaut à je suis d'accord. Dans l’exemple qui suit on pourrait le trouver directement en ligne 3.

(5)

L1 (architecte) : trente-huit réellement ?

L2 (Plazza) : trente-huit phares on te laisse tout ça et puis on se retrouve dans quelques temps

L3 (propriétaire) : d’accord

L2 (Plazza) : allez

L3 (propriétaire) : Ok

 

 

Figure 2. Spectrogramme mettant ok en évidence (exemple 5).

L’occurrence est longue et sa mélodie descendante : le locuteur de ok donne un accord plein (longueur) et exprime le fait qu’il n’y a pas de conflit (mélodie descendante).

 2a. Ok comme équivalent de admettons

Il s’agit d’un emploi concessif de ok, l’information entendue est à vérifier. La différence avec une interprétation telle que je comprends est qu’il y a une mise en doute des paroles de l’interlocuteur. La collocation avec ben témoigne d’ailleurs de ce doute.

(6)

L1 (Plazza) : tu fais quoi toi ?

L2 (mari de la propriétaire) : je l’ai initiée au bebop

L1 (Plazza) : c’est quoi le bebop ?

L2 (mari de la propriétaire) : c’est comme du rock mais un peu plus sophistiqué

L1 (Plazza) : Ok ben j’aimerais bien une démonstration parce que là je crois

L3 (architecte) : ah oui

L1 (Plazza) : [je pense que tu nous prends pour un lapin] de garenne

L2 (mari de la propriétaire) : [non non non non non ]là il faut payer là

 

 

Figure 3. Spectrogramme mettant ok en évidence (exemple 6).

La mélodie est montante et se trouve au début dans un registre grave. Le locuteur signale un problème dans l’interlocution.

 2b. Ok comme équivalent de certes

A la différence d’admettons le fait admis est réel et n’est pas à prouver. Il peut y avoir changement de locuteur ou non.

(7)

de la rainette, lui dit-il, eh, tu pourrais me dire merci ! Et de quoi ? dit la grenouille, de pas m'avoir tuée ? C'est vraiment aimable de ta part de m'avoir laissé la vie dit-elle. Ok, lui dit Paul, mais alors qu'est-ce que je vais bouffer moi ? Elle était déjà loin de toute façon. Plus haut, il se coucha dans l'herbe. Il avait les jambes molles. (ROCHEFORT Christiane, Encore heureux qu'on va vers l'été, 1975, p. 201)

 3. Ok comme marqueur d’incompréhension

Voir les exemples 15 et 16 dans la partie suivante.

 4. Ok interrogatif

Il s’agit ici d’une véritable question à laquelle le locuteur de ok espère obtenir un accord.

(8)

L1 (Plazza) : je t’embrasse

L2 (propriétaire) : merci c’est gentil [merci beaucoup]

L1 (Plazza) : [bon bah tu profites de tes phares hein] et tout ça

L2 (propriétaire) : d’accord

L1 (Plazza) : parce que tu ne vas pas les voir longtemps hein

L2 (propriétaire) : ouais

L1 (Plazza) : Ok ?

L2 (propriétaire) : merci au revoir

L1 (Plazza) : à très vite

L2 (propriétaire) : à bientôt

Dans cet exemple le ton est enjoué mais on l’imagine très bien menaçant, inquiet, etc. dans d’autres circonstances.

Figure 4. Spectrogramme mettant ok en évidence (exemple 8).

Figure 4. Spectrogramme mettant ok en évidence (exemple 8).

Comme attendu lorsqu’une question est posée, la mélodie est très montante et atteint un registre élevé (lié au ton enjoué).

3.3. Remarques

La marque d’une validation supplémentaire de type d’accord, ça marche, peut être exprimée dans les cas où ok marque peu l’accord et a simplement pour effet d’accuser réception.

Cette première analyse nous permet d’observer les nuances sémantiques très fines apparaissant au niveau de la valeur d’acquiescement de ok. Nous rejoignons complètement Frédéric Lambert (dans ce volume), d’une part, lorsqu’il mentionne que l’accord n’est jamais pleinement enthousiaste lorsqu’il est exprimé par cette particule de l’oral et d’autre part, en signalant que ok est une unité qui est finalement assez vide sémantiquement, et que, en ce sens, il s'agit véritablement d'un marqueur pragmatique qui ne prend sens qu'au regard du contexte interactionnel dans lequel il est produit.

Si nous ne pouvons nous attarder à ce stade de notre travail sur la question des états mentaux ressentis par les locuteurs, faute de données orales suffisantes, nous pouvons toutefois facilement constater que différents états mentaux pourraient se superposer à ces différents emplois et ce grâce à la prosodie : le fait par exemple d’être convaincu ou non lorsque l’on manifeste sa compréhension, ou bien enjoué ou menaçant lorsque l’on interroge par un ok ou encore relativement neutre ou perplexe lorsque l’on répond à une question par ce même ok.

4. Analyse prosodique

C’est ce lien prosodie / état mental qui va nous intéresser à présent et nous allons nous attacher à mener une analyse prosodique plus fine sur notre second corpus, qui, comme nous l’avons déjà mentionné, se prête bien davantage à ce type d’étude, mais nous permettra également de préciser l’analyse sémantique.

4.1. Présentation du corpus 2

Du corpus Tangram en français, nous avons exploité deux séquences mettant chacune un binôme en situation. Chaque séquence est elle-même composée de deux séances de jeu, l’une chronométrée, et avec précision du temps qui passe aux joueurs toutes les deux minutes (ceci correspondant à une manipulation de la charge mentale, comme spécifié ci-dessus), et l’autre non. Chaque séance dure environ dix minutes. Nous avons obtenu 28 occurrences de ok exploitables pour la séquence 1 et 44 occurrences pour la séquence 2, soit un total de 72 occurrences. L’intérêt d’un tel nombre d’occurrences pour un nombre si limité de locuteurs est l’importance des paires minimales qu’il est possible d’obtenir, ok étant par ailleurs souvent produit de manière isolée.

4.2. Analyse

Ce qui a été frappant lors de l’observation des données, c’est d’une part, l’importance de la dimension temporelle (et plus précisément le moment où ok est produit par rapport à la temporalité de l'action qui accompagne le discours, comme par exemple déplacer une pièce du puzzle en vue de compléter la figure, ok pouvant être produit soit en même temps que l’exécution de l’action, soit après) et d’autre part, les deux objets possibles sur lesquels peut porter ok, à savoir l’action (ce qui n’était pas le cas dans le corpus précédent) ou le discours. Nous avons tenté de rendre visuellement compte de ces deux paramètres dans le graphique suivant et également de faire apparaître et de synthétiser la diversité des interprétations de ok et l’apport de la prosodie dans le processus interprétatif.

Tableau 2. Classement des différents sens de ok dans le corpus Tangram

Tableau 2. Classement des différents sens de ok dans le corpus Tangram

Les différents sens observés et mentionnés ci-dessus sont les suivants, sachant qu’il est toujours très difficile de rendre à l’écrit de très fines nuances interprétatives :

Lorsque le locuteur est « en train de » comprendre ce qui lui a été dit (discours) ou de réaliser une figure (action), nous pouvons obtenir deux sens possibles de ok :

  • ‘Je réfléchis’ = ‘je suis en train d’essayer de comprendre ce qui m’a été dit’

  • ‘Je fais l’action’ = ‘je suis en train d’essayer de réaliser la figure demandée’

Dans les deux cas (réfléchir ou exécuter une action), un processus est en cours et peut se trouver abouti à la fin de la réalisation de ok. Ces deux formes de ok peuvent notamment être mises en lien avec le sens 1c de l’analyse sémantique : ok est produit dans une situation où le locuteur avait initialement du mal à comprendre l’information produite, mais a finalement réussi à dépasser son incompréhension initiale.

(9)

‘Je réfléchis’

L2 : euh maintenant tu vas tu retournes au premier grand triangle

L1 : ok

L2 : tu reprends tu prends le moyen le c triangle moyen

L1 : ok

L2 : tu

 

 

Figure 5. Spectrogramme mettant ok en évidence (exemple 9).

Nous pouvons observer que l’allongement est très net sur la fin de la réalisation de ok. Il est aussi intéressant de souligner ici que la production du mot ok dans ces deux situations est plus longue que dans toute autre situation (précisément parce que le o et/ou le k14 sont allongés dans cette situation). Cet allongement peut être mis en lien avec la littérature sur la prise de tour de parole en dialogue dans ce genre d'échange, les pauses sont peu nombreuses, et tout silence peut être interprété comme un désir du locuteur de passer son tour de parole (voir par exemple Levinson, 2016 ; Levinson & Torreira, 2015). L'allongement de ok dans ce genre de situation peut éventuellement être interprété comme un signal utilisé pour indiquer à l'autre que le locuteur ne souhaite pas passer son tour de parole, mais qu'il a besoin d'un peu plus de temps pour réaliser l'action en cours et/ou pour planifier la suite de son énoncé.

Lorsque le locuteur a un « flash » et comprend quelque chose d’un coup (notion d’immédiateté), il peut exprimer deux choses :

  • ‘Je viens de comprendre’ (sous-entendu, ‘mais ce n’était pas clair au début’). À la différence de l’exemple du sens précédent (‘je fais l’action’), pour lequel le décours temporel de la production du mot ok accompagne le décours temporel de l’action en train d’être réalisée, ici, ok n’est produit qu’une fois que l’action a été réalisée et est terminée.

  • ‘Je finis par comprendre’ (sous-entendu, ‘mais cela m’a pris du temps’)

Selon qu’il soit dans la première ou dans la seconde situation, le locuteur ne met pas l’accent sur le même aspect de l’évènement, soit il préfère considérer que le problème est fini, soit il préfère mettre l’emphase sur le temps que le problème a mis à se résoudre15. Tout comme les situations précédentes (‘je réfléchis’ et ‘je fais l’action’), c’est du sens 1c de l’analyse sémantique que ‘je viens de comprendre’ et ‘je finis par comprendre’ se rapprochent le plus.

(10)

‘Je finis par comprendre’ :

L1 : euh donc le deuxième grand triangle il z juxtapose à l’autre grand triangle c’est ça ?

L2 : oui en bas

L1 : ok

L2 : pour former un angle droit en fait

L1 : ok et ensuite

L2 : et le losange

 

 

Figure 6. Spectrogramme mettant ok en évidence (exemple 10).

Nous nous intéressons toujours au mouvement mélodique sur ok afin d’observer une signification spécifique et constatons dans le cas présent que celle-ci est montante puis descendante signifiant qu’un problème s’est posé puis a été résolu. Ces notions de problème et de compréhension sont fondamentales dans l’interlocution, tout l’enjeu du dialogue étant de se faire comprendre et d’aboutir à un consensus.

Une fois l’action faite ou le discours compris, le locuteur peut exprimer sa disponibilité pour la suite à l’aide de ok. Celui-ci s’interprétera comme suit, selon qu’il porte sur du discours ou sur une action :

  • ‘J’ai compris et je suis prêt à continuer’

  • ‘J’ai fini et je suis prêt à continuer’

Notons qu’un ok-j’ai fini peut tout à fait succéder à un ok-j’ai compris sans que ce soit forcément le même locuteur qui prononce les deux.

Nous avons observé, à l’échelle de notre corpus, que c’est dans ces deux cas que la diversité des états mentaux est la plus importante, probablement car ce sens est le plus fréquent à l’échelle de notre second corpus. Quoi qu'il en soit, cet usage de ok est sans doute le plus facile à mettre en lien avec les propositions de Bangerter & Clark (2003) concernant l'utilisation des marqueurs de projet pour naviguer au sein de l'interaction. En effet, comme mentionné ci-dessus, ok sert à marquer la navigation d'un projet à l'autre (fin du projet en cours et/ou début du projet suivant). L'utilisation de ok après la fin d'un événement pour indiquer la disponibilité du locuteur pour la suite s'inscrit tout à fait dans ce contexte.

(11)

Absence de stress16

L3 : et je colle quoi la longueur ou la largeur

L2 : euh la longueur

L3 : ok

 

 

Figure 7. Spectrogramme mettant ok en évidence (exemple 11).

La mélodie de ok est descendante au début et présente un assourdissement sur la fin de l’occurrence. Il n’y a aucun problème dans le dialogue. Beyssade, Delais-Roussarie, Marandin, Rialland & Fornel. (2004) ont montré que le contour descendant sur une unité s’interprète comme une absence de conflit entre les interlocuteurs, à l’inverse d’un contour montant. Cette situation se rapproche particulièrement des sens a1 et 1b de l’analyse sémantique : ok est associé soit à une information attendue, soit à une information qui n’était pas particulièrement attendue mais qui n’induit pas particulièrement de désaccord.

(12)

‘Passons à autre chose’

L2 : oui

L3 : enfin c’est il va sur la droite quoi

L2 : euh ouais c’est ça ouais c’est ça

L3 : ok donc le grand triangle

 

 

Figure 8. Spectrogramme mettant ok en évidence (exemple 12).

Cet exemple est assez proche du précédent même si une nuance est perceptible à l’interprétation. La mélodie de ok est relativement plate sur l’intégralité de l’occurrence. On est encore une fois proche des sens 1a et 1b de l’analyse sémantique.

(13)

Satisfaction/dynamisme

L1 : donc attends premier petit triangle il a l’hypoténuse vers la gauche et l’autre vers la droite c’est ça ?

L2 : ouais c’est ça

L1 : ok donc ça c’est bon

L2 : voilà

 

 

Figure 9. Spectrogramme mettant ok en évidence (exemple 13).

Nous pouvons cette fois-ci remarquer une cloche mélodique dans un registre de hauteur nettement élevé (par rapport au reste du discours réalisé par le même locuteur) sur la première syllabe de ok. Cette prosodie peut s’interpréter selon nous comme ‘il y a quelque chose à remarquer’, en l’occurrence la bonne volonté du locuteur. Cet emploi est proche du pourquoi pas, là encore frappant à l’oral mais difficile à définir à l’écrit qui sera évoqué un petit peu plus tard dans cet article et laisse entendre une manifestation de ce que l’on serait tentés de qualifier de « bonne humeur »17.

(14)

Irritation/lassitude

L2 : bah il y en a un qui est associé au petit triangle

L1 : ouais

L2 : de départ et l’autre qui est associé au grand

L1 : ok

L2 : c’est bon ?

L1 : c’est bon

 

 

Figure 10. Spectrogramme mettant ok en évidence (exemple 14).

A présent, la première syllabe de ok est longue, et à l’inverse de l’occurrence précédente, réalisée dans un registre grave. Nous observons également un long chuintement à la fin. Ces deux particularités nous permettent d’interpréter ce ok comme empreint de lassitude. Nous pouvons rapprocher cet exemple de l’emploi 1b du tableau sémantique présenté dans la partie 4.2. Une information non mise en doute est donnée, simplement le locuteur exprime en plus de la lassitude.

(15)

Perplexité

L3 : mais ses deux angles aigus sont pris

L2 : whaou euh ok

 

 

Figure 11. Spectrogramme mettant ok en évidence (exemple 15).

Ok est assourdi sur la première syllabe, comme pour marquer un effacement de la compréhension. La seconde syllabe est longue et dans un registre grave. Cette occurrence laisse transparaître la perplexité qui anime le locuteur.

(16)

Appréhension

L2 : euh

L3 : il faut faire les figures dans l’ordre

L2 : d’accord ok donc euh tu prends un des petits triangles

 

 

Figure 12. Spectrogramme mettant ok en évidence (exemple 16).

Ce dernier exemple appartenant à la catégorie ‘j’ai fini’ est long. La première syllabe présente une mélodie haute alors que la seconde est sourde et suivie d’un long chuintement qui correspond à la seconde marque de voisement sur le spectrogramme). Nous pourrions gloser cet état mental du locuteur par ‘j’y vais mais je ne sais pas à quoi m’attendre’, que nous avons plus simplement étiqueté appréhension.

Les exemples 15 et 16 correspondent à la catégorie 3 incompréhension dans le tableau 1 et pour laquelle nous n’avions pas d’illustration dans notre premier corpus.

Il y a enfin un emploi que nous situons un petit à part sur l’échelle temporelle, c’est lorsque le locuteur de ok incite fortement l’interlocuteur à poursuivre et qui pourrait se comprendre de la manière suivante (on est alors particulièrement proche du sens 4 de l’analyse sémantique : ok est utilisé dans sa forme interrogative) :

  • J'attends la suite’

Celui-ci aurait pu se trouver dans la catégorie précédente mais il nous a semblé être plus incitatif à poursuivre que les autres sens mentionnés précédemment, raison pour laquelle nous avons fait le choix de le placer un petit peu à part.

(17)

‘J'attends la suite’

L3 : donc sur la longueur

L2 : oui euh oui sur la longueur

L3 : ok

L2 : voilà

 

 

Figure 13. Spectrogramme mettant ok en évidence (exemple 17).

L’occurrence est relativement longue et la mélodie est très montante, et de fait se rapproche du ok interrogatif, d’où la perception d’une demande de poursuivre le jeu de la part du locuteur.

Autres sens :

A ces sens-là s’ajoutent les sens suivants de ok, qui font suite à une suggestion, déjà mentionnés lors de l’étude sémantique et également observés dans le corpus Tangram mais qu’il est plus difficile de situer sur le même axe temporel que les autres :

(18)

‘D’accord’

L1 : ensuite euh bah [incompris] repartir partir de là

L2 : ok donc après il y a le au-dessus

 

 

Figure 14. Spectrogramme mettant ok en évidence (exemple 18).

La mélodie est peu modulée. L’occurrence est assez longue. Le locuteur montre un certain dynamisme dans sa réponse tout en laissant entendre qu’aucun problème ne se pose à ses yeux (on retrouve les sens 1a et 1b de l’analyse sémantique).

(19)

‘Pourquoi pas’

L2 : normalement ça fait une espè un espèce de crochet euh tout ensemble

L1 : ok

L2 : ouais ?

L1 : ok

 

 

Figure 15. Spectrogramme mettant ok en évidence (exemple 19).

Cette occurrence est très particulière à l’oreille et à l’observation du spectrogramme : la mélodie est très haute sur la première syllabe puis assourdie sur la seconde. Le locuteur se veut sympathique tout en n’étant pas convaincu (assourdissement), ce qui nous permet d’interpréter la réponse comme un pourquoi pas et de la distinguer un petit peu de la précédente. On peut rapprocher cet exemple des sens 2a et 2b de l’analyse sémantique : le sens de ok est proche de celui de admettons ou de certes.

4.3. Paramètres prosodiques pertinents

Au terme de cette étude, nous considérons comme pertinents les paramètres prosodiques suivants :

  • la forme de la mélodie (ainsi que les assourdissements)

  • le degré de pente mélodique

  • la longueur de l’unité ou des syllabes

  • le registre (aigu/grave) atteint

Il s’avère également, comme l’avaient notamment constaté Beyssade et al. (2004), que des patrons mélodiques conservent la même interprétation, même si l’unité sur laquelle ils portent diffère. Nous pouvons rappeler ci-dessous les patrons récurrents que nous avons observés pour notre part également sur les autres marqueurs de validation que sont voilà et oui :

  • occurrence très intégrée prosodiquement à son contexte : neutralité, faible affirmation

  • assourdissement : incompréhension

  • mélodie descendante : consensus, absence de problème

  • mélodie montante : absence de consensus, problème

  • registre haut : quelque chose à remarquer

  • mélodie montante-descendante (cloche) : implication du locuteur

Par ailleurs, comme constaté suite à l’analyse de enfin ou de voilà, la prosodie ne permet pas de distinguer les différents sens d’une même unité lexicale mais de préciser ces sens en apportant une information sur l’état mental du locuteur notamment.

5. Conclusion

En résumé, dans cet article, nous avons considéré deux manières différentes d’analyser l’utilisation de ok dans le discours. D’une part, l’analyse sémantique nous a amenées à considérer le sens de ok comme un continuum allant de la compréhension à l’incompréhension. D’autre part, l’analyse prosodique nous a amenées à nous intéresser plus particulièrement au décours temporel de la compréhension (ou de l’incompréhension), et à l’articulation de celui-ci avec le décours temporel de la réalisation de l’action. Il est cependant important de souligner que les deux analyses ne sont pas indépendantes l’une de l’autre. Par exemple, la prosodie a contribué directement à l’analyse sémantique en nous permettant de distinguer les cas de compréhension des cas d’incompréhension. De la même manière, le lien entre prosodie et état mental du locuteur fait écho à l’analyse sémantique de ok, étant donné que certains des états mentaux listés ci-dessus peuvent renvoyer tantôt à la compréhension (satisfaction/dynamisme, ‘passons à autre chose’), tantôt à l’incompréhension (perplexité, appréhension). La complémentarité des deux approches est par conséquent forte et nécessaire à une compréhension globale de l’utilisation de ok dans le discours. Un autre point qu’il est important de souligner concerne l’utilisation de ok en situation d’interaction. La plupart des exemples (et notamment des exemples oraux) listés dans le présent article sont extraits de situations de dialogue, c’est-à-dire des situations où un locuteur produit le mot ok et l’autre locuteur entend et cherche à comprendre le sens de ce mot. Dans nos analyses, nous nous sommes principalement intéressées à la manière dont l’utilisation de ok reflète la compréhension et l’état mental du locuteur qui réalise la production. Dans des travaux futurs, il serait intéressant de se pencher sur la perspective de l’autre locuteur. Deux questions nous semblent particulièrement pertinentes ici. D’une part, comment ce locuteur utilise-t-il la prosodie de ok pour déterminer si son partenaire a compris et est prêt à avancer dans l’interaction, ou non ? D’autre part, ok étant employé pour indiquer la ratification, la compréhension et/ou l’accord (voir par exemple Bangerter & Clark, 2003), dans quelle mesure le locuteur est-il capable d’inférer que ce mot est parfois utilisé pour marquer l’incompréhension ? Comment les locuteurs parviennent-ils alors à rétablir la compréhension mutuelle lorsqu’un ok d’incompréhension est interprété, à tort, comme un ok de compréhension ? D’autres perspectives de poursuite de cette étude sont envisagées. Nous souhaitons par exemple élargir l’analyse sémantique et pragmatique aux unités appartenant au même paradigme que ok, notamment d’accord ou ça marche, tout en observant les collocations (avec voilà entre autres) et les nuances de sens amenées par chacune de ces unités. Il s’agira ensuite de déterminer si et comment ces analyses peuvent être généralisées au-delà des situations de dialogue finalisé.

Bibliography

Achim, A. M., Achim, A. & Fossard, M. (2017). Knowledge likely held by others affects speakers’ choices of referential expressions at different stages of discourse. Language, Cognition and Neuroscience, 32, 21-36. https://doi.org/10.1080/23273798.2016.1234059.

Bangerter, A. & Clark, H. H. (2003). Navigating joint projects with dialogue. Cognitive Science, 27, 195–225. https://doi.org/10.1207/s15516709cog2702_3.

Bangerter, A., Clark, H. H. & Katz, A. R. (2004). Navigating joint projects in telephone conversations. Discourse Processes, 37, 1-23. https://doi.org/10.1207/s15326950dp3701_1.

Beyssade, C., Delais-Roussarie, E., Marandin, J.M., Rialland, A. & Fornel, M. de (2004). Le sens des contours intonatifs en français : croyances compatibles ou conflictuelles ?. In Actes de JEP-TALN 2004. Fès, Maroc. Avril 2004.

Clark, H. H. (1996). Using language. Cambridge, MA : Cambridge University Press.

Clark, H. H. & Brennan, S. E. (1991). Grounding in communication. In L. B. Resnick, J. M. Levine, & S. D. Teasley (Eds), Perspectives on socially shared cognition (pp. 127-149). Washington, DC : American Psychological Association.

Clark, H. H. & Marshall, C. (1981). Definite reference and mutual knowledge. In A. K. Joshi, B. L. Webber, & I. A. Sag (Eds), Elements of discourse understanding (Vol. 2, p. 1063). Cambridge, MA : Cambridge University Press.

Clark, H. H. & Schaefer, E. F. (1989). Contributing to discourse. Cognitive Science, 13, 259-294. https://doi.org/10.1207/s15516709cog1302_7

Clark, H. H. & Wilkes-Gibbs, D. (1986). Referring as a collaborative process. Cognition, 22, 1-39. https://doi.org/10.1016/0010-0277(86)90010-7

Col, G., Bangerter, A. & Knutsen, D. (ce volume). De quelles transitions discursives okay est-il le marqueur ?

Fox Tree, J. E. (2010). Discourse markers across speakers and settings. Language and Linguistics Compass, 3, 1-13. https://doi.org/10.1111/j.1749-818X.2010.00195.x

Fussell, S. R. & Krauss, R. M. (1992). Coordination of knowledge in communication : Effects of speakers’ assumptions about what others know. Journal of Personality and Social Psychology, 62, 378-391.

Gorman, K. S., Gegg-Harrison, W., Marsh, C. R. & Tanenhaus, M. K. (2013). What’s learned together stays together : Speakers’ choice of referring expression reflects shared experience. Journal of Experimental Psychology : Learning, Memory, and Cognition, 39, 843-853. https://doi.org/10.1037/a0029467.

Guerry, M. (2019). Perception interculturelle des affects sociaux multimodaux entre langues premières et secondes : cas de l’anglais, du français et du japonais. Thèse de doctorat. Université Bordeaux Montaigne.

Hacine-Gharbi, A., Petit, M., Ravier, Ph. & Nemo, F. (2015). Prosody based Automatic Classification of the Uses of French ‘Oui’ as Convinced or Unconvinced Uses. In Proceedings of the International Conference on Pattern Recognition Applications and Methods (p. 349-354). https://doi.org/10.5220/0005293103490354.

Knutsen, D., Col, G. & Le Bigot, L. (2018). An investigation of the determinants of dialogue navigation in joint activities. Applied Psycholinguistics, 39, 1345-1371. https://doi.org/10.1017/S0142716418000358

Lambert, F. (ce volume) Quelques observations sur les emplois de ok en français contemporain à partir de textes écrits.

Levinson, S. C. (2016). Turn-taking in human communication, origins, and implications for language processing. Trends in Cognitive Sciences, 20, 6-14. https://doi.org/10.1016/j.tics.2015.10.010

Levinson, S. C. & Torreira, F. (2015). Timing in turn-taking and its implications for processing models of language. Frontiers in Psychology, 6. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2015.00731

Nemo, F. & Petit, M. (2012). Sémantique des contextes-types. In L. de Saussure & A. Rihs (dir.), Études de sémantique et pragmatique françaises (p. 379-403). Berne : Lang.

Petit, M. (2009). Discrimination prosodique et représentation du lexique : application aux emplois des connecteurs discursifs, Thèse de doctorat. Université d’Orléans, dir. F. Nemo.

Petit, M. (à paraître 2019). La prosodie de « voilà » en français dans le discours médiatique. In G. Col, Ch. Danino et S. Bikialo (dir.), Polysémie usages et fonctions de « voilà ». Berlin : De Gruyter.

Rittaud-Hutinet, C. (1995). La phonopragmatique. Berne : Peter Lang.

Tricot, A. & Chanquoy, L. (1996). La charge mentale, « vertu dormitive » ou concept opérationnel ?. Introduction. Psychologie Française, 41, 313-318.

Notes

1 Dans certains cas, les locuteurs ne parviennent pas à se comprendre immédiatement et ont besoin de plusieurs tours de parole au cours desquels des informations supplémentaires sont fournies pour faciliter la compréhension mutuelle. Dans ce genre de situation, le feedback positif (qu’il soit explicite ou implicite) n’est fourni que plusieurs tours de parole après l’énoncé initial, et ce n’est qu’une fois que ce feedback a été fourni que les informations mentionnées dans l’énoncé sont considérées comme faisant partie du terrain commun des locuteurs. Return to text

2 Il est important de souligner qu’une des limitations des travaux sur les transitions verticales et horizontales est que les exemples sur lesquels ils s’appuient sont presque tous extraits de situations de dialogue finalisé, c’est-à-dire orienté vers un but (réserver un billet de train, résoudre un puzzle à plusieurs, etc.), soulevant la question de la généralisation de ces travaux à des conversations plus naturelles et spontanées. Le présent article n’a pas pour objectif de dépasser cette limitation (tous les exemples listés ici étant également extraits de dialogues plus ou moins finalisés : réaliser un puzzle, acheter une maison). Il présente néanmoins l’avantage de s’appuyer aussi bien sur des données extraites de corpus expérimentaux que sur des enregistrements d’interactions plus authentiques, car réalisées en-dehors du laboratoire. Return to text

3 Nous entendons par « authentiques » des conversations spontanées non préparées à l’avance, que les locuteurs soient des personnes habituées à la prise de parole en public ou non, même si ce paramètre peut bien entendu influer sur le discours. Return to text

4 L’étude des différents membres de ce paradigme serait très intéressante à mener également, notamment du point de vue de la complémentarité et des nuances de sens de ces derniers, mais elle ne fera pas l’objet du présent article. Return to text

5 Dans la présente étude, nous nous appuyons sur la version française du corpus. Ces données ont été collectées à l'Université de Poitiers par Gilles Col et Jean-François Rouet. Il est à noter que deux corpus similaires (c'est-à-dire impliquant l'utilisation de la même procédure expérimentale) ont été constitué dans deux autres langues ; l'anglais et le français du Québec. Return to text

6 Voir Nemo & Petit (2012) pour une définition détaillée des emplois-types. Return to text

7 Le principe de l’émission consiste à montrer la rénovation de maisons dans le but de les vendre ; à ce jour, l’émission est présentée par Stéphane Plaza. Return to text

8 Nous n’avons pu renseigner cette colonne que dans les cas où les occurrences ont été recueillies dans du discours oral. Même s’il est possible dans certains cas d’imaginer le ton employé en fonction du contexte dans du discours écrit, nous ne souhaitons pas faire apparaître ici des informations supposées mais non vérifiées. Return to text

9 Nous concentrant dans le cadre de ce travail uniquement sur la forme adverbiale de ok, nous n’avons pas pris en considération les emplois adjectivaux du type être ok ou allez ok. Return to text

10 Ces exemples se trouvent dans le corpus des Tangrams et correspondent à des emplois d’appréhension ou de perplexité. Il nous a toutefois semblé utile de faire figurer ce sens dès à présent afin de proposer un tableau relativement complet de la diversité des états mentaux observés. Return to text

11 Il est à noter que les numéros d’exemples correspondent aux numéros de fichiers disponibles en ligne. Par exemple, l’exemple (1) cité ici correspond au fichier « Exemple01.wav ». Return to text

12 Rittaud-Hutinet (1995) aborde notamment la question de l’implication du locuteur en lien avec ce qu’elle nomme des « signes vocaux ». Return to text

13 Voir notes 17 et 18 pour des précisions sur la définition des étiquettes. Return to text

14 Nous parlons bien entendu de la seconde syllabe kay et non de la consonne k uniquement. Return to text

15 Nous avons observé le même phénomène dans Petit (2009) à propos de enfin : dans le cas du sens de enfin habituellement désigné sous l’étiquette soulagement, il est possible de distinguer deux sous-sens, l’un mettant l’accent sur la résolution du problème (prenant ainsi un sens de véritable soulagement) et l’autre, que l’on pourrait gloser par « c’est pas trop tôt », qui focalise davantage sur le temps que le problème a mis à se résoudre. Ces deux sous-sens peuvent apparaître dans des contextes exactement identiques. Return to text

16 Il est très difficile de caractériser la présence ou l’absence de stress, des niveaux intermédiaires pouvant par ailleurs apparaître. De la même façon, l’attribution d’étiquettes aux états mentaux peut poser problème ou sembler subjective. Les nuances entre différents états mentaux sont très fines et il est parfois complexe de les distinguer, sans parler d’une éventuelle simultanéité de ceux-ci. Nous avons toutefois dû procéder à une catégorisation afin de rendre l’analyse possible. Return to text

17 Aucune étiquette ne convient parfaitement pour définir l’interprétation que nous faisons de cette prosodie très particulière. Le locuteur laisse entendre que tout va bien et qu’il est de bonne volonté. Des tests de perception pour l’interprétation de chacune des occurrences seraient nécessaires mais même dans ce cas, le travail doctoral de Marine Guerry (2019) montre qu’il y a rarement un consensus parfait autour des étiquettes. Pour autant nous ne souhaitons pas laisser de côté cet axe de recherche visant à explorer les relations entre patron mélodique et interprétation à un niveau lexical. Return to text

Illustrations

References

Bibliographical reference

Mélanie Petit and Dominique Knutsen, « Ok, d’un état mental à l’autre : dialogue entre la sémantique et la prosodie », Lexique, 25 | -1, 89-114.

Electronic reference

Mélanie Petit and Dominique Knutsen, « Ok, d’un état mental à l’autre : dialogue entre la sémantique et la prosodie », Lexique [Online], 25 | 2019, Online since 01 décembre 2019, connection on 10 octobre 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/lexique/758

Authors

Mélanie Petit

CLLE-ERSSàB (UMR 5263) - Université Bordeaux Montaigne
melanie.petit@u-bordeaux-montaigne.fr

Dominique Knutsen

Univ. Lille, CNRS, CHU Lille, UMR 9193 - SCALab - Sciences Cognitives et Sciences Affectives, F-59000 Lille, France
dominique.knutsen@univ-lille.fr

By this author

Copyright

CC BY