1. Introduction
Les travaux les plus avancés qui ont examiné ok dans des dialogues spontanés et oraux, notamment Beach (1993), Condon (1986, 2001) et Bangerter & Clark (2003), montrent que cette unité linguistique joue un rôle indéniable dans la structuration du discours. Ce rôle structurant a été nettement mis en évidence dans la perspective collaborationniste et d’activité conjointe développée par Clark (1996). Bangerter & Clark ont montré par ailleurs que ok se caractérise comme le marqueur d’un certain type de transition dans le dialogue, et se distingue d’autres marqueurs comme par exemple (en anglais) right, uh-uh ou yeah.
L’étude que nous présentons cherche à préciser le rôle de ok dans la navigation dans le dialogue, notamment son rôle de marqueur de transition entre projets et entre sous-projets. Elle tente, à l’aide de nouvelles données et de nouveaux corpus (corpus de jeu de Tangram réalisé par Dominique Knutsen et Gilles Col à l’Université d’Essex ; corpus d’entretiens d’embauche réalisé par Julie Brosy dans le cadre de sa thèse à l’Université de Neuchâtel), de prendre en compte les traits prosodiques qui jusque-là ont été mentionnés mais jamais vraiment exploités dans la perspective des activités conjointes1. Bangerter & Clark (2003, p. 221) signalent effectivement le rôle régulateur joué par la prosodie dans les changements de tour de parole, mais n’exploitent pas cette piste à proprement parler.
Notre objectif est de prendre en compte certains traits prosodiques lors de l’utilisation de ok en français dans le but d’apporter des éléments permettant de nuancer le rôle de ce marqueur de transition verticale mis en évidence dans l’étude de Bangerter & Clark (2003). La prosodie, ayant la double fonction d’« orienter l’interprétation de la formulation en cours mais également de la stabiliser et la réorienter si nécessaire, permettant ainsi d’asseoir et de préparer le discours à venir » (Lacheret, 2007, p. 208), est une dimension fondamentale de l’interprétation et de l’organisation du dialogue oral. Son analyse, à travers des descriptions fines d’exemples, fournira des arguments pour alimenter une réflexion sur l’« accès au sens » qu’elle crée (Col, 2007, p. 261) et sur la fonction marquée par une unité linguistique comme ok.
Notre démarche, qui se veut surtout exploratoire, n’a pas l’ambition de prendre en compte tous les paramètres de la prosodie et nous nous focaliserons ici sur l’observation de la fréquence fondamentale (f0). Notre objectif est de prendre en compte de manière simultanée la caractérisation fonctionnelle et prosodique de ok (à travers f0), de manière à pouvoir dégager des régularités. Cette double analyse nous permet de suggérer pour le moment que la hauteur mélodique de ok quand celui-ci indique une transition « verticale » (Bangerter & Clark, 2003) se distingue bien de celle de ok quand il n’indique pas une telle transition. Le premier cas offre une hauteur mélodique en courbe dynamique (montée, descente ou cloche) alors que le profil du second cas est plutôt plat et avec une fréquence basse.
2. Usages de ok dans le dialogue ; point de vue psycholinguistique
En analysant n’importe quelle conversation, on ne peut manquer d’être frappé par la diversité de particules produites par les interlocuteurs pendant le tour de parole des locuteurs. En anglais, quelques exemples fréquents sont uh-huh, mhm, ok, right, all right, yes ou yeah. Ces particules ont d’une part été analysées comme back-channels (Yngve 1970), correspondant à une division du dialogue entre un front channel (sorte d’avant-plan) et un back-channel, « the speech and other signals from those who don’t currently have the floor » (Bangerter & Clark, 2003, p. 198). La fonction de ces particules (qu’on traite comme une classe unitaire) serait de montrer la compréhension de la part de celui qui écoute, et ainsi d’encourager le locuteur à continuer à parler. Cette explication a été par la suite nuancée dans de nombreux travaux qui suggèrent par exemple que certaines particules (p. ex. yeah en anglais) signalent l’intention de prendre la parole. Les travaux en analyse conversationnelle effectuent également une distinction entre continuer et assessment (Schegloff, 1982), et les travaux de Bavelas, Coates & Johnson (2000) suggèrent que les interlocuteurs peuvent produire des signaux génériques (comme mhm) ou spécifiques (adaptés à ce que le locuteur est en train de raconter). En 2003, Bangerter & Clark ont proposé que le dialogue est souvent finalisé, c’est-à-dire déployé au service de la coordination d’activités concrètes. Vu le caractère universel de l’activité humaine, les différentes langues devraient disposer de particules linguistiques spécialisées dans le marquage des transitions d’une partie de l’activité (action, sous-tâche) vers une autre. Les auteurs ont distingué les transitions horizontales (entre deux étapes successives d’une même action) et verticales (entre deux actions différentes). En analysant de nombreux corpus de dialogues finalisés, ils ont déterminé que les transitions horizontales sont typiquement marquées en anglais par uh-huh, mhm, yeah ou right, tandis que les transitions verticales sont marquées de préférence par ok ou all right.
3. Observations sur corpus annoté d’un point de vue linguistique
Nous avons souhaité dans un premier temps caractériser ok à travers une étude sur corpus annoté dans le but d’observer son comportement en dialogue (essentiellement sa place selon les locuteurs et les collocations dans lesquelles il apparaît). Nous nous servons d’interactions finalisées de manière à pouvoir effectuer des comparaisons entre situations de locution similaires, ainsi que des comparaisons interlangues. Effectivement, les résultats présentés ci-dessous sont issus de données en anglais, mais ils nous permettent d’avoir une vision globale du comportement de ok sur laquelle asseoir des observations sur le français.
3.1. Présentation du corpus
Le corpus utilisé dans cette étude est constitué de dialogues en anglais, enregistrés et transcrits2. Les locuteurs participent à la réalisation de figures du jeu de Tangram (puzzle chinois) : des pièces géométriques (carré, triangle, etc.) doivent être assemblées de telle sorte qu’elles forment une figure (bateau, patineur, canard, etc.). Il s’agit donc d’un corpus de dialogues finalisés. Chaque participant joue un rôle bien déterminé : l’un connait la figure à décrire et va diriger l’interaction (le directeur), l’autre (l’exécutant) ne connait pas la figure et exécute les consignes que lui donne le directeur. L’interaction résultante est ainsi structurellement fortement asymétrique car le directeur a une information que l’exécutant n’a pas. Le directeur dispose en général d’une autorité épistémique selon le principe de responsabilité car il doit guider l’interaction, même s’il arrive que l’exécutant prenne l’initiative de décrire les formes et que le directeur dise où il faut les placer
Le corpus est composé de 31 dyades de 20 minutes chacune, avec différentes conditions. On distingue deux types de dyades : des dyades où les participants se voient (ils se font face mais ne voient pas ce que fait l’autre) et des dyades où ils ne se voient pas (ils sont dos à dos). À cela s’ajoute une seconde série de conditions : existence ou non d’une charge cognitive. La charge cognitive imposée aux participants était manipulée à travers la pression temporelle. Dans la condition avec charge, l’expérimentateur indiquait un temps limité (10 minutes) et rappelait toutes les deux minutes le temps restant. Dans la condition sans charge, aucune indication concernant la durée de la tâche n’était fournie aux participants. Chaque paire de participants réalisait la tâche successivement dans les deux conditions. L’ordre de réalisation des deux conditions était contrebalancé : la moitié des dyades a réalisé la condition avec charge, puis la condition sans charge, tandis que l’autre moitié des dyades a réalisé les conditions dans l’ordre inverse.
Le corpus ainsi obtenu comprend plus de 5 heures d’enregistrement, transcrits sans codage spécifique. Il contient 83173 mots et 10385 tours de parole. Nous avons relevé 6397 mots servant de « marqueurs de projet », selon la définition de Bangerter & Clark (2003). Parmi ces marqueurs, nous avons relevé 1978 occurrences de ok (603 pour le Directeur, soit 30,4 %, et 1331 pour l’exécutant, soit 67,2 %). Ce que l’on observe à l’échelle du corpus entier, c’est avant tout la répartition des différents marqueurs de projet qui donne une place importante à ok au regard des autres marqueurs :
On remarque immédiatement la part importante des ok mais aussi la prépondérance de yeah. Nous revenons sur le rôle d’affirmation/confirmation de certains marqueurs plus bas, mais il est clair qu’une différence pragmatique et sémantique sera à établir entre ces deux mots.
Afin de réaliser des analyses fines sur corpus annoté, nous avons choisi de travailler sur un échantillon de notre corpus et d’effectuer une sélection de 200 ok, répartis pour moitié entre des ok produits sans visibilité entre locuteurs et des ok produits avec visibilité entre locuteurs, et pour chaque situation (visibilité vs. non visibilité), ces ok étaient observés soit dans la condition avec charge cognitive, soit dans la condition sans charge cognitive.
3.2. Schéma d’annotation pour l’analyse du sous-corpus
L’analyse des 200 ok du sous-corpus a été faite suivant une série de critères choisis et discutés par les chercheurs du groupe « Discours et Cognition » de l’Université de Poitiers. Ces critères tâchent de prendre en compte les aspects syntaxiques, sémantiques et pragmatiques de l’unité considérée. On a ainsi établi 3 grands groupes de critères sur trois aspects différents de ok. Ces critères ont servi par ailleurs à analyser d’autres corpus comme un corpus de SMS, de messages Facebook, tweet, vidéo, radiophoniques, téléphoniques, etc. Ces critères prennent alors en compte cette variété de données mais ont leur pertinence pour chacun de ces corpus.
Le premier groupe de critères concerne l’identité même de ok : sa source textuelle (fiction, presse, radio, SMS, tweets… ), la situation dans lequel il est produit (monologue, dialogue, interaction à plusieurs interlocuteurs), sa graphie (okay, OK) ou encore une image s’il s’agit d’une image et non de la transcription ou de l’oralisation de ok, ou bien enfin « ORAL » si ok provient d’une source sonore (peu importe la graphie utilisée dans une éventuelle transcription), afin de ne pas avoir à décider arbitrairement entre les deux graphies possibles), son type de locuteur (directeur ou exécutant), sa place dans l’énoncé ou dans la proposition (initiale, finale, isolée, médiane ou superposée à un autre mot, dans le dialogue par exemple ou lorsque ok est employé en même temps qu’un autre mot/tour de parole et prend une place difficile à déterminer), son statut (adjectival, adverbial ou davantage verbal), le type d’énoncé dans lequel il apparaît (affirmation, exclamation, interrogation ou indécidable).
Le second groupe de critères décrit ce qu’on a appelé le « prédicat de référence », c’est-à-dire ce qui précède ok et ce sur quoi porte ok. Ce prédicat peut être long et parfois difficile à définir. L’identité du locuteur du prédicat de référence constitue un premier critère. Il recoupe généralement l’identité du locuteur produisant l’énoncé entier mais il permet de faire d’éventuelles distinctions avec d’autres locuteurs. Les deux autres critères sont consacrés à la nature de ce prédicat, d’une part le type de phrase dans lequel il apparaît (affirmation, injonction, interrogation ou négation) et d’autre part, le type d’acte de discours qu’il caractérise (assertion, confirmation, conflit (au sens de non alignement de points de vue), conseil, consigne, demande ou excuse).
Le dernier groupe de critères décrit ce que nous appelons les « commentaires ». Il s’agit de ce qui se trouve à droite de ok et qui explicite l’emploi de ok ou qui fait directement suite à l’énonciation de ok. Il est difficile de qualifier précisément ce qui relève du commentaire de ok car ok est souvent clôturant et ce qui va se trouver ensuite va de fait introduire un nouveau thème. Le locuteur de ces commentaires est le premier critère (« C-identité du locuteur »3), ce qui permet de prendre en compte les éventuels changements de locuteurs entre le prédicat de référence et les commentaires. Un second critère permet justement d’annoter ce changement s’il a lieu (« C-locuteur »). Comme pour les prédicats de référence, le statut du commentaire est annoté sous l’angle du statut assertif, avec le choix entre « affirmation », « interrogation » et « négation ». Le dernier critère permet quant à lui d’annoter la présence et la nature du ou des mots qui servent à introduire le commentaire dans le discours, et qui peuvent ou non être associés à ok (le plus souvent right, then, so, etc.) :
(1) |
Matcher: ok |
Director: ok so the first bit is erm it's like a small triangle is that the medium triangle |
|
(D1, 006) |
|
(2) |
Matcher: erm maybe my thing is facing the wrong way then cause I've unless it's like erm I think I've erm I have no idea can you start again sorry |
Director: ok right so you've got the let's start from the square |
|
(D1, 0114) |
Ces deux extraits illustrent l’introduction du commentaire par deux collocations différentes, ok so et ok right, chacune composée de ok et d’un adverbe.
3.3. Observations
Dans le sous-corpus contenant un échantillon de 200 occurrences de ok, la première observation générale est d’ordre purement quantitative : 65,5 % des ok annotés apparaissent dans les tours de parole de l’exécutant, soit 131 occurrences de ok sur 200. L’utilisateur principal de ok est donc un locuteur qui manque ou qui a besoin d’informations et qui les reçoit du directeur. Ces informations sont potentiellement fournies en vue de savoir comment exécuter telle ou telle instruction dans le jeu de Tangram et elles sont par conséquent aussi reliées à des consignes en cours, ce qui, par extension, pourrait expliquer l’emploi plus important de ok chez l’exécutant.
Une répartition de ce type ne doit cependant pas faire oublier que plusieurs conditions sont manipulées lors de cette expérimentation, notamment la condition de visibilité, qui, associée au critère de la position de ok dans l’énoncé, montre certaines nuances. Dans la condition sans visibilité, la répartition décrite plus haut (65 % des ok produits par l’exécutant et le reste pour le directeur) est quasiment identique. En revanche, quand les locuteurs peuvent se voir, on relève une différence importante. Si la caractéristique de la condition sans visibilité est que le directeur utilise la majorité de ses ok en position initiale dans l’énoncé, l’exécutant choisit plutôt de les utiliser en position isolée (32 cas pour 62 occurrences) :
(3) |
D: ok well this one just so you know looks like a bunny rabbit |
E: ok |
|
D: ok so the first bit is erm it's like a small triangle is that the medium triangle |
|
E: ok |
|
(D1, 0004) |
Mais quand les locuteurs peuvent se voir, les ok de l’exécutant se répartissent sur deux positions différentes : en position isolée mais également en position initiale (cf. Tableau 2), comme le directeur le fait aussi :
(4) |
D: yeah(?) and then above that is gonna be the rectangle |
E: rectangle oh ok the weird rectangle [above] |
|
D: [yeah] |
|
(D01, 0328) |
On note ainsi une plus grande latitude dans l’utilisation de ok chez l’exécutant en condition de visibilité, que chez le directeur, toutes conditions de charge cognitive confondues. Alors que ce dernier utilise ok essentiellement en position initiale, l’exécutant l’utilise dans des positions un peu plus variées, isolée, initiale, et médiane autant que finale. Le tableau 2 propose une synthèse des différentes positions de ok, suivant le type de locuteur et les conditions de visibilité :
Condition |
Sans visibilité |
TOTAL |
Avec visibilité |
TOTAL |
||
Position de ok |
Directeur |
Exécutant |
Total |
Directeur |
Exécutant |
Total |
finale |
2 |
8 |
10 |
3 |
7 |
10 |
initiale |
25 |
10 |
35 |
16 |
25 |
41 |
isolée |
5 |
32 |
37 |
6 |
27 |
33 |
médiane |
6 |
3 |
9 |
5 |
8 |
13 |
superposée4 |
0 |
9 |
9 |
1 |
2 |
3 |
TOTAL |
38 |
62 |
100 |
31 |
69 |
100 |
Tableau 2. Places de ok dans les tours de parole.
En dehors de la question de la place de ok, on constate dans nos données que la domination de l’exécutant comme locuteur des ok doit être complétée avec l’observation des prédicats de référence et leurs locuteurs. Effectivement, le locuteur principal des prédicats de référence est le directeur, qui produit 76 % des tours de parole de cette valeur. L’exécutant, comme on le voit plus bas, reste quant à lui le principal locuteur des commentaires.
L’autre caractéristique relevée à propos des prédicats de référence est que ces derniers sont essentiellement des énoncés assertifs ou confirmatifs, que ce soit pour le directeur ou l’exécutant. Ils contiennent aussi des consignes, dans le discours du directeur, ce qui en soi est parfaitement prévisible vu la spécificité de la tâche que les locuteurs ont à accomplir.
3.4. Collocations
Pour l’analyse des collocations, nous avons utilisé le logiciel d’annotation Analec développé au laboratoire LaTTiCe par Bernard Victorri5. Cette analyse montre clairement une différence entre le contexte gauche et le contexte droit de ok.
Principales collocations à gauche de ok |
oh ok (80 occ.) |
erm ok (66 occ.) |
yeah ok (63 occ.) |
ah ok (12 occ.) |
Tableau 3a. Principales collocations (gauche).
Principales collocations à droite de ok |
ok so (245 occ.) |
ok yeah (147 occ.) |
ok and (79 occ.) |
ok erm (66 occ.) |
ok right (27 occ.) |
ok then (23 occ.) |
Tableau 3b. Principales collocations (droite).
Ainsi, les collocations les plus fréquentes relevées à gauche de ok dans le corpus entier sont constituées de marques d’hésitations (erm ok) ou des marques de « changement d’état » (change of state tokens, oh ok, ah ok) pour les plus importantes. Ces collocations peuvent s’interpréter comme des marques de rétablissement de l’interaction, après une hésitation par exemple, ou une surprise, ou bien encore une réponse à une question fermée :
(5) |
Director: yeah (?) and then underneath that big triangle should be the other big triangle at like a ninety degree angle so it's like the long side of that triangle is touching the short side of the first triangle |
Matcher: oh ok [ok] |
|
Director: [yeah (?)] |
|
Matcher: yeah |
|
(D1, 0161) |
|
(6) |
Director: so the two two short sides of that erm the big triangle should be touchin |
Matcher: so does it make like one big [triangle] |
|
Director: [yeah] yeah yeah yeah |
|
Matcher: ok yeah erm ok |
|
Director: ok(?) |
|
Matcher: yeah |
|
Director: and then to the left of that |
|
(D1, 0239) |
On relève également des marques d’affirmation comme yeah ok, ce qui n’est en fait guère surprenant vu la compatibilité de ok lui-même avec la valeur affirmative.
Pour ce qui est du contexte droit, on relève essentiellement des marques de coordination, voire de continuation (ok so, ok and, ok then), ou de confirmation (ok yeah ok right) :
(7) |
Director: do you get what I mean |
Matcher: not really |
|
Director: ok so you have erm. |
|
(D8, 2501) |
|
(8) |
Matcher: ok yeah I think I've got it |
Matcher: ok hit me |
|
Director: ok ok this is really hard to explain ok so you have one big triangle |
|
Matcher: yeah |
|
Director: on the left handside pointing towards the window |
|
Matcher: yeah |
|
(D8, 2631) |
Ces différentes collocations observées sur le contexte droit permettent de mettre en évidence, dans une première approximation, des différences intéressantes suivant le type de locuteur et leurs relations avec les commentaires (ce sur quoi porte le ok). Effectivement, le directeur se caractérise comme étant le locuteur principal des commentaires. Autre particularité relevée, il est aussi locuteur des prédicats de référence et donc locuteur des ok du cotexte gauche. On constate donc une forme de continuité discursive chez le directeur, continuité marquée justement par l’usage privilégié de marqueurs introductifs de commentaires, comme les conjonctions relevées plus haut. Cette continuité semble ainsi se doubler d’une idée de consécution, thématique ou temporelle. Du côté de l’exécutant, la situation est différente. On relève en effet une tendance à la réduplication dans les commentaires, sous la forme de « ok ok » ou à l’absence de marques tout simplement (mais à travers 16 commentaires seulement) :
(9) |
Director: alright no it flops as a diamond cause we moved it |
Matcher: oh |
|
Director: yeah so the big triangle is but the bottom one the bottom triangle |
|
Matcher: ok ok |
|
Director: ok then there's another little triangle right(?) |
|
Matcher: wait what wh wow |
|
(D10, 3130) |
3.5. Mise en perspective
Les observations faites sur un tel ensemble de données appellent quelques commentaires et remarques.
Il est tout d’abord nécessaire de bien avoir conscience que les données utilisées sont issues d’un corpus de dialogue finalisé. Ceci implique que le dialogue est structuré en fonction des phases du jeu de Tangram. Cette structuration autour de ces phases de jeu mais aussi de l’objectif à atteindre, influence vraisemblablement les résultats dans la mesure où par exemple le directeur étant en charge de l’interaction, c’est lui qui est en charge du découpage en projets et sous-projets. Il n’en reste pas moins que la majorité des ok produits le sont par l’exécutant. Le rôle de ok se retrouve par conséquent lui-même attendu en tant que marque de réception de la consigne du directeur. Ce dernier produit alors moins de ok car son rôle, attendu lui aussi, est plutôt d’assurer la continuité du discours ; les développements autour de la position des pièces du jeu sont également attendus de sa part en priorité. Bangerter & Clark (2003) précisent d’ailleurs à ce propos que le directeur produit plus de ok initiaux et l’exécutant produit plus de ok finaux. Leur utilisation de ok correspond ainsi au rôle qu’ils occupent dans la tâche.
Par ailleurs, la notion même de projet et de sous-projet pourrait elle-même être discutée. On peut effectivement se demander, même si on suit l’idée qu’un projet est lié à l’activité conjointe avant tout, quel est le rôle dans l’organisation du discours et du dialogue des ok médians, situés dans un tour de parole et dont il ne semble pas délimiter l’entrée ou la sortie. Ou alors, si ces ok médians délimitent quelque chose – ce qu’ils semblent faire effectivement – on doit se poser la question de savoir quoi exactement.
Afin de pouvoir apporter des éléments de réponse à ces remarques, nous proposons de travailler maintenant sur une autre dimension de la production et de l’usage de ok, la dimension prosodique. Nos analyses vont alors s’appuyer sur des données interactionnelles (plus de deux locuteurs) et non pas seulement dialogiques, et nous nous focaliserons essentiellement sur l’analyse de la fréquence fondamentale (f0) de ok et de sa contribution au marquage des transitions. La dernière partie de cette étude est par conséquent consacrée à l’examen critique de la notion de marqueur de transition verticale associée à ok à travers l’examen de cette dimension orale. Afin de mettre en œuvre ces analyses, nous utilisons un autre corpus comprenant des données en français cette fois-ci, de façon à pouvoir comparer les usages de ok dans deux langues différentes mais dans des conditions de locution proches.
4. Les traits prosodiques de ok en français
4.1. Présentation du corpus
Le corpus est constitué par 80 entretiens d’embauche, conduits au sein de 2 organisations publiques dans un canton de la Suisse francophone (Brosy, 2019). Les entretiens impliquent un candidat qui est interrogé par un ou plusieurs recruteurs. Il s’agit d’interactions finalisées, avec des buts définis, des rôles clairs, et un script que les participants suivent. Néanmoins, la manière dont l’entretien peut se dérouler est moins prévisible que pour les interactions autour de la tâche Tangram. L’analyse de ce corpus permet d’observer l’utilisation de ok par des locuteurs francophones, dans une situation de conversation naturelle.
4.2. Critères prosodiques pertinents
Nous avons choisi de nous intéresser aux propriétés prosodiques de ok car après quelques observations initiales, nous avons constaté des disparités concernant la hauteur mélodique et plus globalement la fréquence fondamentale (f0), qui nous semblent pertinentes entre différents emplois du marqueur. Nous avons pris en considération plusieurs paramètres prosodiques, comme la forme de la mélodie portée par le marqueur, la présence de continuité ou de rupture mélodique (présence de pause par exemple, avant ou après ok), et enfin la hauteur mélodique sur le marqueur. Avec ces critères d’analyse, nous avons observé en priorité des exemples dans lesquels nous avons interprété ok comme marquant soit nettement une transition (comme en (10), (11), (12) et (13) en indiquant le passage d’une partie de l’entretien à une autre, soit une forme de compréhension de la part de celui qui écoute et réagit (exemples (14), (15) et (16)).
Cette série de critères nous a permis de mettre en évidence que certains ok prennent un caractère franchement « transitionnel », dans le sens où le locuteur passe d’un sujet, ou « projet », à un autre, de manière non ambiguë et en donnant la parole à un autre locuteur :
(10) |
CA : c’est ça reste à l’autorité de aux membres je dirais (rires) j- aux membres de l’autorité de de voilà de continuer le les le j’ai plus le mot (rires) la procédure [de] |
INTA : [mhm] |
|
CA : d’auditionner les gens enfin voilà de pouvoir se faire une opinion eux-mêmes et puis euh prendre des décisions [voilà un petit peu] |
|
INTA : [ok [10.33] d’accord] merci beaucoup |
|
CA : (rires) |
|
INTA : Alfonse je te passe la parole ou si besoin est [de quittancer ça] |
|
INTD : [ou- ouais ouais] vous avez une vous avez effectivement une bonne une bonne vision du du poste hein [vous savez ce qu’on fait donc euh voilà] |
|
CA : [mhm ouais ouais] |
|
(source : fichier 15011030) |
|
(11) |
INTA : admettons que ce soit vous vous avez c- trois mois je pense |
CA : j’ai trois mois |
|
INTA : ouais |
|
CA : mhm pas avant euh fin avril hein |
|
INTA : ouais ça nous fait début [mai en fait] |
|
CA : [mhm] |
|
INTA : ok [28.14] chais pas toi tu as des questions Alfonse |
|
INTD : non ça joue |
|
INTA : Madame Hortensia |
|
CA : pour moi c’est bon |
|
(source : fichier 15011030) |
Ce qui est frappant dans ces deux exemples est que ok se comporte prosodiquement de deux manières très différentes, malgré un rôle qui semble identique. Le locuteur opère effectivement une transition vers un autre sujet dans la mesure où il passe la parole à un collègue dans les deux extraits, mais quand on fait une analyse avec le logiciel Praat6, on constate que la fréquence fondamentale (f0) correspondant à chaque utilisation du marqueur se distingue radicalement. Dans le premier exemple, cette fréquence sur ok (dessinée par la courbe bleue qui apparaît au centre de la fenêtre de la Figure 1 ainsi que dans les autres Figures plus bas) se caractérise par une courbe de fréquence plutôt plate suivie d’une descente :
Le second cas, correspondant à l’exemple (11) et comportant aussi une transition nette (parole donnée à un autre locuteur), est différent sur le plan prosodique. Comme le montre la Figure 2 la fréquence se caractérise par une montée suivie d’un plateau :
Étant donné cette différence de comportement prosodique, on peut se poser la question de la nature, ou du moins des propriétés, de ces deux transitions. De manière plus générale, qu’apportent les traits prosodiques à l’interprétation de la transition marquée par ok ?
Pour répondre à cette question, nous allons examiner des exemples correspondant soit à des situations de transitions « nettes » (c’est-à-dire au passage d’une activité à l’autre, comme par exemple le passage d’une question à l’autre dans le décours de l’entretien), soit à une forme de compréhension (les cas de « back channel »). Il apparaît dans les premiers cas (exemples (10-11) et (12-13) en 4.3) que la prosodie de ok se caractérise par une courbe dynamique (montée ou descente, comme on l’a vu dans les Figures 1 et 2, et également dans les Figures 3 et 4 ci-dessous) alors que dans le second (exemples (14) à (16)) en 4.3, ce caractère dynamique disparaît pour laisser la place à des courbes plutôt plates et indiquant une fréquence basse (Figures 5 à 7 ci-dessous). Ce changement de physionomie de la fréquence fondamentale pourrait alors s’interpréter comme un changement de rôle de ok dans l’organisation des transitions et des tours de parole.
4.3. Analyses d’exemples
Dans les données que nous avons analysées, nous avons rencontré des ok qui jouent franchement un rôle de transition dite verticale, donc qui marquent le passage d’un projet à un autre ou d’un sous-projet à un autre. L’exemple suivant est une illustration adéquate de ce genre de transition :
(12) |
CA : on avait un petit peu un système de de remplacement ça veut dire que si si l’une et ou l’autre était en vacances euh [c’était] |
INTA : [mhm] |
|
CA : c’était une autre personne qui |
|
INTA : mhm |
|
CA : qui devait prendre sa place |
|
INTA : ok [27.04] |
|
CA : mhm |
|
INTA : et puis votre point d’effort ce serait quoi [euh] |
|
CA : [euh] |
|
(source fichier 02021000) |
Le locuteur, en l’occurrence celui qui mène l’entretien, passe clairement d’un sujet à un autre tout en gardant la parole, plus spécifiquement il passe d’une question sur les points forts de la candidate à la question corollaire introduite par « et puis », celle des points d’effort. L’analyse réalisée avec Praat révèle une pause avant (1.6 seconde) et une autre après ok (1 seconde), ce qui tend à isoler le marqueur et à renforcer son rôle de transition. La visualisation de la fréquence fondamentale permet également de caractériser davantage cet emploi :
Dans cette figure, on peut observer que la fréquence se caractérise par un contour mélodique plat et très légèrement remontant, et plutôt réduit sur le plan de la durée.
Un autre profil prosodique relativement fréquent des emplois de transition verticale de ok est son emploi comme mot conclusif d’une séquence. L’exemple suivant illustre ce cas-là :
(13) |
INTE : des personnes de l’administration ben vous aviez tac tac ce serait directement réglé |
INTA : ouais ouais moins de paperasse quoi |
|
INTE : voilà [35.50] |
|
CA : mhm |
|
INTE : là c’est vraiment euh |
|
INTA : ben |
|
INTE : mais bon ça coute des millions aussi hein |
|
INTA : ouais ouais |
|
CA : oui |
|
INTA : ouais bien sûr ouais |
|
INTE : mhm |
|
INTA : ok [35.57] |
|
CA : voilà [35.58] |
|
INTA : sauf si vous avez d’autres questions encore |
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CA : euh pf [non] |
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(source fichier 02021000) |
La visualisation avec Praat nous montre que, pour cet emploi et dans cet exemple, la courbe de fréquence présente un contour mélodique montant :
Si ce dernier exemple est bien un cas d’emploi conclusif de ok, et donc un cas typique où ce marqueur indique une transition verticale d’un sujet/projet à un autre, la situation est moins évidente pour l’exemple (14) comme le suivant dans lequel on peine à percevoir une véritable transition. En effet, au début de l’exemple, le candidat parle des aspects technologiques de sa profession actuelle et continue à parler de ce même sujet tout au long de l’exemple, même après la production de ok par le recruteur. Ce dernier semble de toute façon en difficulté pour interrompre le candidat, la négociation de la transition demande plus d’effort, et la transition ne se fait pas véritablement pour ces raisons également, d’où la poursuite par « mhm ».
(14) |
CA : que ce soit dans d’autres cantons on est obligé d’être toujours euh à jour dans la dans les technologies et puis euh il fallait bien prendre |
INTA : [mhm] |
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CA : [des notes] de euh |
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INTA : hm |
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CA : de [ce qu’on] |
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INTA : [ok] |
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CA : avait retenu |
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INTA : d’accord |
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CA : ou [ou] |
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INTA : [ok [20.23]] |
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CA : même s’il s’agissait d’une formation interne sur un logiciel ou |
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INTA : mhm |
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CA : un appareil il faut |
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INTA : mhm |
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CA : il fallait bien qu’on qu’on qu’on se fasse [notre petite euh] |
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INTE : [mhm d’accord mhm] |
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INTA : [pense-bête quoi ouais] |
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(source fichier 02021000) |
Ce moment de l’entretien est certes un peu confus dans la mesure où les tours de paroles se superposent parfois. Le ok qui nous intéresse (relevé à 20.23) est d’ailleurs lui-même énoncé en même temps que le discours de l’autre locuteur (celui de la candidate). De la même manière, alors que le sommet de la fréquence du ok précédent est autour de 200 Hz, celui-ci ne dépasse pas 163 Hz. Par ailleurs, son contour est franchement plat :
En d’autres termes, nous avons affaire ici à un ok qui, outre le fait qu’il n’est pas très audible parce que prononcé en même temps que d’autres paroles, présente des caractéristiques prosodiques différentes des autres exemples. Sur le plan pragmatique et dans l’organisation du dialogue, il se distingue aussi dans la mesure où en fait, il ne semble pas marquer de transition. La candidate continue en effet de parler sans qu’elle ne ressente que le responsable de l’entretien souhaite éventuellement passer à un autre sujet. Dans ce type de contexte, si ok doit marquer une transition, on pourrait dire que cette transition est plus proche d’un accord en demi-teinte, une invitation – peut-être pas assez marquée – à poursuivre sans changer de sujet, que d’une véritable transition.
On retrouve ce genre de contexte et d’emploi de ok dans l’extrait suivant :
(15) |
INTA : moi j’ai pas de questions à ce stade vous en avez peut-être vous |
CA : au stade de en tout cas des questions de euh |
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INTA : sur le contenu du job [sur la mission sur la] |
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CA : [le job pour moi je] c’est vrai que ben j- j’avais pris des renseignements parce que il y aussi des gens qui travaillent |
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INTA : qui travaillent ok [24.26] |
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CA : donc euh ça c’est vrai que [leur motivation a fait que j’ai aussi] |
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INTA : [ouais ouais ouais ouais] |
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CA : j’étais motivé aussi à |
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INTA : ouais |
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CA : à [à à] |
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INTA : [ouais ouais] |
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CA : postuler |
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(source fichier 10020900) |
Le marqueur ok ici ne montre pas que l’on passe à un autre sujet ni à un autre projet. Il semble plutôt avoir un rôle d’auto-confirmation. Le locuteur reprend des propos de l’interlocuteur (« qui travaillent ok ») et semble utiliser ok pour en quelque sorte les valider. La visualisation avec Praat est, de son côté, assez parlante car elle montre une fréquence encore moins élevée par rapport aux exemples vus plus haut (maximum 142.5 Hz) :
Bangerter & Clark (2003) rappellent qu’il existe plusieurs types d’étiquettes pour les différents rôles de ok (voir le rappel de ces étiquettes plus haut en 1.). Selon cette classification, les deux exemples relèvent de l’emploi de « back channel response », qui marque une forme d’expression de compréhension de la part de celui qui écoute (voir plus haut sous-section 3.1.). Ces réactions d’arrière-plan sont considérées comme des charnières dans le tour de parole en cours mais pas vraiment comme des marqueurs de changement de tour. Ces marqueurs signalent la participation active du locuteur (Oreström, 1983), comme dans cet autre extrait :
(16) |
INTN : donc il y a certaines choses dont il ne sera pas forcément au courant pis il faudra peut-être rechercher un petit peu dans dans l’histoire donc ça c’est pour répondre à votre question mais nous ce qu’on attend de ce poste ben outre le fait justement de pouvoir recréer euh un duo alors même s’il y a un responsable clair et puis un administrateur RH et finances qui dépend de du responsable euh de la pal’ A2 hein c’est lui qui répond je dirais à la cheffe d’office euh je on considère quand même que euh ben disons qu’il y a des compétences déléguées qui sont clairement RH finances et je dirais une troisième euh un troisième volet qui est la transmission à ISKA |
CA : ok (17.53) |
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INTN : et c’est euh euh c’est là-dessus que j’aimerais insister |
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INTA : [mhm] |
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CA : [parce que] euh ben on vous savez peut-être même mieux que moi comment on décélère au niveau financier euh dans une branche comme euh comme euh celle-là euh le le le côté RH et transmission est assez lié c'est-à-dire que là maintenant au niveau RH on on il a été constaté quand même une euh une démotivation assez générale des personnes qui travaillent encore puisqu’il y a déjà eu des licenciements hein |
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(source fichier 01021330) |
Cet extrait est intéressant à plus d’un titre. On retrouve une prosodie qui se caractérise par une fréquence relativement basse (moins de 200 Hz) comme on a pu le voir dans les autres extraits. Mais ici, on assiste à un changement de locuteur : ce n’est plus celui qui mène l’entretien qui produit le ok mais le candidat. Cependant, nous remarquons que nous sommes toujours dans un cas de réaction d’arrière-plan, et le locuteur semble exprimer ici sa compréhension explicitée et « active », pour poursuivre l’idée d’Oreström, de ce que vient de dire le meneur de l’entretien. Et nous retrouvons ce que nous avions observé plus haut (Figures 5 et 6) : la fréquence fondamentale semble contribuer à indiquer une forme de continuité, et plus précisément dans cet exemple, une forme de compréhension transitoire, plus que de transition :
5. Bilan
Les observations effectuées sur deux corpus de langue différente (anglais et français) et menées sur deux dimensions linguistiques différentes (contextuelle et prosodique) nous ont permis de nourrir une analyse qui tend à mettre en évidence des nuances dans le rôle de ok comme marqueur de transition verticale. Sur le plan contextuel, nous relevons que la majorité des ok sont produits par l’exécutant. Ainsi, le rôle de ok se retrouve en quelque sorte attendu : il indique la réception de la consigne du directeur. Ce dernier produit alors moins de ok car son rôle, attendu lui aussi, est plutôt d’assurer la continuité du discours. Concernant la dimension prosodique, et après l’analyse de quelques exemples, nous observons une amorce de relation entre des courbes à caractère dynamique (plateau et légère descente en (10), montée et plateau en (11), plateau et remontée en (12) et montée en (13)) et une fonction de transition verticale de ok. À l’inverse, les exemples où ok semble marquer une forme de compréhension (back channel responses) plutôt que de transition se caractérisent plutôt par un courbe de fréquence plate (en (14) et (15) et basse (en (14) et (15) surtout). On remarque ainsi une amorce de relation entre ce type de courbe et la fonction de ok qui semble moins indiquer une transition qu’une forme de continuité. Ces observations rejoignent en partie celles effectuées par Hockey (1993) qui distingue de son côté trois configurations de f0 différentes pour ok (ainsi que uh-huh) : un premier contour (ct1) totalement plat, où les deux syllabes ont pratiquement la même valeur fondamentale, et qui selon l’auteur ne donne pas d’information concernant un éventuel changement de tour de parole ; un second contour (ct2) où la première syllabe est plus haute que la suivante et qui indique une frontière de segments discursifs (la fin d’un segment) ; et un troisième contour (ct3) avec une première syllabe plus ou moins plate et une seconde montante et qui termine à une fréquence beaucoup plus élevée que la première syllabe. Cette dernière configuration marque selon Hockey un changement de tour de parole de manière catégorique. Les deux derniers contours sont par conséquent considérés comme des marqueurs de segmentation, même s’ils diffèrent quant aux propriétés mêmes de la segmentation (segmentation sans nécessaire changement de tour de parole et segmentation avec changement de tour de parole). Les trois contours différents sont en fait présents dans nos observations. Ct1 correspond effectivement aux exemples (14-16) qui expriment davantage une forme de compréhension que de transition. Ct2 correspond aux exemples (10) et (12) qui, de leur côté, expriment un changement de sujet mais pas forcément un changement de tour de parole (en (10)) ; ok marque bien une frontière de segment discursif dans ce type d’exemples. Et enfin, ct3 est représenté par les exemples (11) et (13) où on a affaire à ce que Bangerter & Clark (2003) identifient comme une transition verticale entre deux projets ou sous-projets. Ce que nous pouvons finalement retenir de nos observations, et du fait qu’elles rejoignent celles de Hockey (1993), c’est la corrélation entre le caractère dynamique de la courbe de f0 (ct2 et ct3 de Hockey) et le marquage d’une forme de transition opéré par ok, et a minima une forme de segmentation.
Une difficulté demeure : elle concerne l’interprétation et la catégorisation de ok. Comme le suggère Hockey, le contour prosodique joue un rôle important dans l’interprétation du marqueur. Ainsi pour l’auteure, si ok contribue à segmenter le discours, un autre marqueur comme uh-huh le fait tout autant avec le même contour, en l’occurrence ct3 : « okay and uh-huh function in the same way when uttered with ct3 » (Hockey, 1993, p. 135). Pour Hockey, ct3 donne avant tout une interprétation interactionnelle, quel que soit le marqueur et son sens. En fait, ce dernier interagit et génère un contenu sémantique avec la prosodie. Uh-huh est cependant considéré par Bangerter & Clark comme un marqueur de transition horizontale et se distingue de ok. Cela soulève ainsi la question du rôle de la prosodie et de sa perception dans l’usage de ok (mais pas seulement) et dans sa « co-interprétation » comme marqueur de transition par les co-locuteurs. Une autre question, qui sera seulement mentionnée ici, est aussi de savoir quel est le véritable poids du contour prosodique par rapport à l’instruction sémantique donnée par l’unité considérée. Cette question ouvre finalement la possibilité qu’un même marqueur discursif puisse avoir plusieurs fonctions dans l’organisation du discours, voire des fonctions en apparence opposées, et ce au-delà des frontières entre langues si l’unité existe dans d’autres langues que sa langue d’origine comme on a pu le constater entre l’anglais et le français.