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Le numéro 25 de la revue Lexique est consacré à des études linguistiques et pluridisciplinaires sur et autour du mot ok dans différentes langues, français, anglais, allemand et coréen, et selon différentes approches des sciences du langage.

L’apparition en français du mot ok serait contemporaine de son utilisation en anglais américain, du moins est-il attesté à l’écrit dans la base de données Frantext en 1845. Présent dans Frantext, ok est néanmoins essentiellement utilisé à l’oral et ne possède pas de forme stabilisée à l’écrit : ok, o.k., okay, oké, les manières de l’écrire renvoient également à une forme d’incertitude phonologique sur la prononciation ouverte ou fermée du [e]. Ce mot, sans doute parce qu’il est relativement récent, a été beaucoup moins étudié que des mots de l’oral comme voilà en français (Bergen & Plauché, 2001 ; Delahaie, 2013 ; Col, Danino & Bikialo, 2019), ou well en anglais (depuis Schiffrin, 1987), même s’il existe une littérature assez large sur le sujet, presque exclusivement en anglais (voir les premiers travaux de Beach, 1990 ; Condon, 2001 ; Schegloff, 2007), à l’exception d’un ouvrage en préparation, et qui couvrira ok dans plusieurs langues (Betz, et al., à par.). Dans l’ensemble de ces recherches, ok est généralement présenté comme un marqueur discursif. Si l’on s’appuie sur des critères définitoires larges inspirés de Brinton (1996), Shourup (1999), Dostie & Pusch (2007), et Andersen (2007), ok en possède en effet les propriétés essentielles. On donnera ici une liste de ces propriétés, avant de commenter ces critères pour le marqueur qui nous intéresse :

  1. Les marqueurs de discours sont des items qui ont une haute fréquence en langue parlée.

  2. Ils appartiennent à des classes dites « mineures » (adverbes, prépositions, interjections) et sont morphologiquement invariables (en français ou en anglais), ou du moins plus ou moins figés et soumis à peu de variations.

  3. Ils sont optionnels sur le plan syntaxique, c’est-à-dire que leur absence n’entraîne pas d’agrammaticalité de la phrase. Parallèlement, ils sont en général extérieurs à la structure de la phrase et ils ont tendance à constituer des unités syntaxiques indépendantes.

  4. Ils ne contribuent pas au contenu propositionnel de l’énoncé et ne modifient donc pas la valeur de vérité des énoncés dans lesquels ils se trouvent.

  5. Ils assurent un lien entre deux ou plusieurs énoncés, autrement dit, ils ont très souvent une fonction connective.

  6. Sur le plan pragmatique, ils jouent de nombreux rôles dans les interactions verbales.

Ok semble correspondre parfaitement au critère a) dans la mesure où il s’agit d’un marqueur essentiellement utilisé à l’oral ; cependant, il peut également apparaître à l’écrit (voir l’article de Lambert ici même), et même très souvent dans un genre d’écrit particulier, le langage électronique (voir ici même les article de Jaffel et de Bibié). Cependant, ok n’est pas employé avec la même fréquence dans toutes les langues : très utilisé à l’oral en français, il l’est par exemple beaucoup moins en espagnol d’Espagne, où il est concurrencé par vale (voir Delahaie et Solís García ici même).

Le critère b) semble également pouvoir décrire ok, même s’il existe une certaine incertitude quant à son appartenance à des catégories grammaticales traditionnelles (voir l’article de Fagard ici même). Dans les dictionnaires, il arrive qu’il soit classé à la fois comme adverbe, mais aussi comme adjectif pour rendre compte de structures telles que tout est ok. Ainsi, si généralement ok est optionnel sur le plan syntaxique (critère c), ce n’est pas toujours le cas, et notamment lorsqu’il sert à répondre à une demande ou une requête en tant qu’unité syntaxique indépendante : tu viens au cinéma avec moi demain ? / ok. Ne contribuant pas au contenu propositionnel des énoncés dans lesquels il se trouve (critère d), ok est souvent employé en tant que marqueur de transition de topic en anglais, comme il a été démontré par exemple chez Beach (1990). Ok peut ainsi assurer un lien entre plusieurs énoncés, sans avoir exactement la fonction d’un connecteur (critère e). Enfin, sur le plan pragmatique, ok peut jouer plusieurs rôles dans l’interaction : pour le français et l’anglais, marqueur de transition (voir l’article de Col, Bangerter, Knutsen et Brosy dans ce volume ; Schegloff, 2007), marqueur d’acceptation, marqueur neutre en allemand (voir Oloff ici même). Ok semble ainsi jouir de rôles très divers, et qui se rapprochent de ceux qui sont joués par des mots comme d’accord, ou (al)right sans jamais entièrement s’y substituer.

Dans ce numéro, nous cherchons à comprendre le développement de ok et mieux cerner l’expansion que ce mot connait aujourd’hui dans différentes langues, en proposant des analyses venant d’horizons divers des sciences du langage. L’hypothèse sous-jacente à une telle approche est que le croisement des points de vue et des théories sollicitées ne peut qu’enrichir la connaissance d’un objet à la fois si commun et éminemment complexe.

Nous ouvrons ce numéro thématique par l’article de Benjamin Fagard, « OK – Une histoire connue », qui brosse le parcours diachronique et géographique de ok. Sur la base d’une étude prenant appui surtout – mais pas exclusivement – sur des textes littéraires, Benjamin Fagard que ok a mis environ un siècle pour traverser l’océan, et quelques décennies supplémentaires pour devenir populaire en Europe. L’auteur concentre ensuite l’analyse diachronique en syntaxe et sémantique sur l’émergence de la forme française qui a subi une pragmaticalisation atypique par rapport à d’autres marqueurs du discours.

Les quatre articles suivants proposent différentes approches sur ok en français écrit, mais des écrits particuliers. L’article de Frédéric Lambert, « Quelques observations sur les emplois de ok en français contemporain à partir de textes écrits », propose une investigation des différents emplois de ok dans des textes littéraires à dominante orale ; rejoignant le propos de Benjamin Fagard, Frédéric Lambert montre que là aussi le marqueur ok agit de manière particulière par rapport aux autres marqueurs discursifs, montrant une polyvalence fonctionnelle extrêmement large qui en fait un « ok joker » d’une souplesse exceptionnelle, permettant aux locuteurs du français de donner un accord de façade sans l’ombre d’une réelle acceptation.

Deux articles traitent de ok à l’écrit également, mais dans le langage électronique. L’article de Laetitia Bibié, « Utilisation de ok sur Twitter, entre (re)présentation de soi et stabilisation énonciative », présente l’analyse discursive de la locution ok à partir d’un micro-corpus de 50 formes prélevées sur la plateforme de micro-bloging Twitter. L’auteure montre combien ses fonctions sont dépendantes du medium et de la situation d’énonciation instable propre à la pratique du micro-bloging, un monologue pouvant potentiellement évoluer vers un dialogue. Dans un tel cadre énonciatif, ok joue un rôle particulièrement important de démarcation des tours de parole. L’article de Inaam Jaffel prolonge l’analyse de ok dans le discours numérique avec l’étude des « enjeux discursifs de la forme « ok émoji(s) » dans les tweets figuratifs ». La chercheuse montre que l’association du paramètre verbal ok et de l’entité iconique vient brouiller le sens du marqueur et lui ajouter des nuances inédites, l’émoji fonctionnant comme une sorte de « modulateur » de ok.

Enfin, Dominique Knutsen et Mélanie Petit, dans leur article « Ok, d’un état mental à l’autre : dialogue entre la sémantique et la prosodie », proposent une analyse bi-dimensionnelle de ok dans différents types de données, écrites (Frantext), mais aussi parlées, dans le cadre de dialogues spontanés (émissions de téléréalité « Maison à vendre ») ou semi-guidés (expérience de psychologie impliquant des dialogues finalisés entre des paires de participants). À travers une analyse fine de leurs données, elles montrent l’extrême complémentarité des deux approches, la prosodie permettant souvent de distinguer les différentes valeurs sémantiques prises par ok, notamment lorsque ok sert à exprimer des états mentaux contraires, tantôt la compréhension, tantôt l’incompréhension.

Les deux articles suivants traitent de ok de manière contrastive, en français / anglais pour le premier, et en anglais / espagnol pour le second. L’article de Gilles Col, Adrian Bangerter, Dominique Knutsen et Julie Brosy, « De quelles transitions discursives ok est-il le marqueur ? » interroge le rôle de marqueur de transition que joue ok à travers la question de la nature même de ces transitions. Il s’attache à analyser les transitions entre « projets » et entre « sous-projets », du point de vue de la psychologie du dialogue et de la linguistique (analyse de corpus et analyse prosodique). À partir de données orales (dialogues finalisés transcrits), les auteurs montrent que, bien que ok marque en général des transitions « verticales » (Bangerter & Clark, 2003) dans le dialogue, la prosodie peut nuancer son rôle « segmenteur » et offre la possibilité qu’il puisse y avoir plusieurs rôles dans la structuration du dialogue, ce qui remet en perspective la distinction entre les deux grands types de transition, « horizontale » et « verticale ». L’article de Juliette Delahaie et Inmaculada Solís García, « Ok / d’accord/ vale : étude contrastive des marqueurs du français et de l’espagnol d’Espagne », propose une analyse contrastive de ces trois marqueurs dans des corpus de français et d’espagnol parlé par des apprenants L2 de français et d’espagnol, par des locuteurs francophones de France et des locuteurs hispanophones d’Espagne. À travers une analyse des propriétés sémantico-pragmatiques respectives de ces trois marqueurs, elles montrent que le ok du français ne recouvre pas exactement les mêmes fonctions que d’accord, et que le faible emploi de ok en espagnol parlé peut s’expliquer par le large spectre d’emplois occupé par vale.

Les articles de Jean Albrespit et Amélie Depierre traitent en priorité de l’anglais. Le premier, « Ok dans le discours rapporté en anglais oral » (Albrespit) examine le rôle de ok dans des séquences de discours rapporté introduites par un verbe quotatif, dans des corpus oraux d’anglais britannique et américain. De par son emploi privilégié à l’oral, ok permet d’embrayer sur un discours direct. Lorsque des paroles sont rapportées directement, le locuteur peut effacer une distance avec le co-locuteur qu’une narration au discours indirect introduirait. Il peut le faire directement sans avoir recours à un marqueur spécifique ; ce qu’apporte ok est alors une délimitation des paroles rapportées, ajoutant un supplément de sens (assentiment, concession, etc.). L’auteur s’attache alors à examiner ok dans sa fonction de marqueur de discours, en le comparant à d’autres marqueurs de discours et par un examen de sa fonction de connecteur. Amélie Depierre, de son côté (« Ok in Harry Potter and in translation »), se place dans une approche contrastive et tente de définir le sens profond de ok en analysant 283 occurrences dans un corpus aligné composé des sept livres de Harry Potter et de leurs traductions en français et dans d’autres langues européennes. Ces traductions montrent un grand nombre d’équivalents différents de ok selon le contexte, en particulier des mots mélioratifs qui expriment l’accord ou le bien-être de façon non neutre. Les données analysées montrent qu’en anglais ok a supplanté d’autres marqueurs linguistiques pour occuper un nœud sémantique qui lui est propre.

Les deux derniers articles traitent de ok dans d’autres langues, en allemand dans l’article de Florence Oloff et en coréen dans celui de Shin-Tae Kang. Dans son article intitulé « Okay as a neutral acceptance token in German conversation », Florence Oloff se concentre sur les usages fréquents de ok comme une unité de réponse en allemand, et sur son association avec les états de connaissances interactionnels des locuteurs (leur compréhension, leurs suppositions, etc.). Son approche par micro-analyses séquentielles s’appuie sur des vidéos de conversation quotidienne. L’auteure y montre que la fonction principale de ok dans ces données en allemand est liée au rôle d’acceptation d’une information première. Plus spécifiquement, les locuteurs montrent avec ok qu’ils acceptent des informations qu’ils ne peuvent pas vérifier : ils n’expriment pas d’accord ou d’approbation, mais plutôt une position neutre et sans accord.

L’article de Shin-Tae Kang sur le coréen privilégie le contact interlangue français-coréen. Dans son article intitulé « Emploi du marqueur ok par des apprenants coréens lors d’une activité pédagogique en classe de langue », l’auteur cherche à voir comment les apprenants coréens s’approprient le mot ok. Même si le mot ok est utilisé en Corée comme beaucoup d’autres mots issus de la culture occidentale et plus particulièrement américaine, il est cependant peut-être moins utilisé que d’autres mots américains désignant des produits d’importation tels que Poketball. L’étude, effectuée sur un corpus d’apprenants coréens, montre que lorsque les apprenants s’adressent à leur enseignant français et utilisent le marqueur discursif ok, l’auteur estime qu’ils le font en français. En revanche, lorsqu’ils échangent entre eux en coréen, notamment pour gérer l’activité pédagogique proposée par l’enseignant, l’auteur a constaté l’utilisation de marqueurs discursifs coréens dont le mot ok. Shin-Tae Kang conclut par conséquent que le marqueur discursif ok est bien assimilé et que les apprenants coréens se sont approprié ses valeurs en français.

Bibliography

Andersen, H. L. (2007). Marqueurs discursifs propositionnels. Langue française, 154, 13-28.

Bangerter, A. & Clark, H. H. (2003). Navigating joint projects with dialogue. Cognitive Science, 27, 195–225. https://doi.org/10.1207/s15516709cog2702_3

Beach, W. A. (1993). Transitional regularities for “casual” “Okay” usages. Journal of Pragmatics, 19, 325–352.

Bergen, B. & Plauché, M. (2001). Voilà, voilà: Extensions of Deictic Constructions in French. In A. Cienki, B. J. Luka, M. B Smith (Eds), Conceptual and Discourse Factors in Linguistic Structure (pp. 45-61). Stanford: CSLI Publications.

Betz, E., Deppermann, A., Mondada, L., & Sorjonen, M.-L. (Eds). (forthcoming). Okay across languages.

Brinton, L. J. (1996). Pragmatic markers in English: Grammaticalization and discourse functions. Berlin: Mouton de Gruyter.

Col, G., Danino, C. & Bikialo, S. (2019). Polysémie, usages et fonctions de « voilà ». Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie, 427, Berlin, New York : Edition De Gruyter.

Condon, S. (2001). Discourse ok revisited: Default organization in verbal interaction. Journal of Pragmatics, 33, 491-513.

Delahaie, J. (2013). Vers une analyse sémantique (presque) unitaire des multiples emplois de voilà à l’écrit et à l’oral. Revue de sémantique et de pragmatique, 33-34, 99-119.

Dostie, G. & Pusch, C. D. (2007). Présentation. Les marqueurs discursifs. Sens et variation. Langue française, 154, 3-12.

Schegloff, E. (2007). Sequence organization in interaction: A primer in conversation analysis. Cambridge University Press: Cambridge.

Schiffrin, D. (1987). Discourse markers. Cambridge: Cambridge University Press.

Shourup, L. (1999). Discourse markers. Lingua, 107, 227-265.

References

Bibliographical reference

Juliette Delahaie and Gilles Col, « Introduction », Lexique, 25 | -1, 5-10.

Electronic reference

Juliette Delahaie and Gilles Col, « Introduction », Lexique [Online], 25 | 2019, Online since 01 décembre 2019, connection on 16 février 2025. URL : http://www.peren-revues.fr/lexique/339

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Juliette Delahaie

Université de Lille, UMR 8163 – Savoirs, Textes, Langage
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Gilles Col

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