Des interactions verbales aux scènes romanesques chez Marguerite Duras

DOI : 10.54563/cahiers-duras.529

Abstracts

La gestion des scènes dans les romans de Marguerite Duras revêt des formes très diverses. Elle peut arborer une vraie forme d’écriture scénique comme dans Le Square où aucun changement ne s’opère entre la version romanesque du texte et la version théâtrale. La scène peut aussi figurer sous le mode d’une absence dans la mesure où les principaux protagonistes en sont absents et ne la vivent qu’avec une conscience perceptive avortée. Cette scène dramatique initiale fait l’objet d’une perpétuelle reconstruction par le langage laissant en permanence échapper « la vérité » sur elle. Celle-ci prend alors la forme d’une scène de conversation. L’article étudie les diverses scènes romanesques durassiennes comme les scènes d’attente, de confidence, de disputes, les scènes érotiques, les scènes de déclaration d’amour, les scènes de rencontre et les scènes mondaines dans leur articulation avec les formes de dialogues (dilogue, trilogue et polylogue) de personnages, dans une optique de pragmatique narrative pour en faire resurgir leur mise en texte et leur rôle dans l’économie des romans. Celles-ci sont généralement traitées en détournement des codes génériques et des attentes des lecteurs.

Scene set-up in Marguerite Duras' novels takes many different forms. It may resemble to stage writing, as in Le Square, where there is no change between the novel version of the text and the theatrical version. The scene may also be set in absentia, meaning the main protagonists are absent from it and experience it only with an aborted perceptive awareness. This initial dramatic scene is perpetually reconstructed by language, allowing the "truth" about it to escape. This takes the form of a conversational scene. This article examines the various scenes in Durassian novels, such as scenes of expectation, confidence, disputes, erotic scenes, scenes of declarations of love, meeting scenes and social scenes, in their relationship with the forms of dialogue (dilogue, trilogue and polylogue) between the characters, from the perspective of narrative pragmatics, in order to bring out their use in text and their role in the economy of the novels. These are generally dealt with by hijacking generic codes and readers' expectations.

Outline

Text

Parmi les scènes qui peuplent l’univers romanesque de Marguerite Duras, on ne trouve ni véritables déclarations d’amour, ni scènes de rupture ou d’adieu ; en revanche, les scènes de rencontre, les scènes de conversations et de confidences, les scènes de bal, de repas et, plus intensément mais moins banalement, les scènes érotiques et les scènes de crime sont présentes.

Selon Gérard Genette1, la scène appartient aux diverses « anisochronies » du texte et se caractérise par une équivalence entre le temps du récit et le temps de l’histoire. Ces scènes se divisent, si l’on suit Genette, en deux grands types : les « scènes dramatiques » et les « scènes typiques » où, dans les dernières, « l’action […] s’efface presque complètement au profit de la caractérisation psychologique et sociale » du personnage2. Cette définition peut être complétée par celle d’Yves Reuter : « La scène est une unité thématico-narrative, constitutive des récits que l’on peut indexer par un (thème) titre (résumé) qui renvoie à notre “théorie du monde” (scène de rencontre, de bagarre, d’adieu…) »3.

Au sein des interactions verbales, on peut distinguer quatre grandes catégories : (1) le monologue qui se caractérise par la présence d’un seul actant et par la confusion des rôles de locuteur et d’allocutaire ; il s’agit d’« un discours non adressé, si ce n’est à soi-même »4 ; (2) le dilogue (souvent appelé par fausse étymologie dialogue) qui présente deux actants échangeant tour à tour les places de locuteur et d’allocutaire ; (3) le trilogue où trois actants se répartissent les rôles interactionnels ; et enfin (4) le polylogue qui fait interagir un nombre indéfini de participants. Selon Danielle André-Larochebouvy, cette dernière structure se scinde le plus souvent en dilogue ou trilogue5. Pour chaque catégorie, il faut, à notre sens, distinguer trois niveaux. Le premier renvoie au niveau social où sont envisagés les rôles et les statuts sociaux des personnages ; le deuxième est le niveau interactionnel où sont pris en compte tous les personnages qui appartiennent à cet espace interactionnel6 ; le troisième est un niveau conversationnel, celui des interactions verbales, où les personnages pris en compte sont tous des locuteurs « ratifiés »7.

C’est à partir d’une typologie des interactions verbales, élaborée en regard du nombre de leurs participants8, que nous mettrons celles-ci en lien avec les différentes scènes des romans de Duras. Les scènes récurrentes seront examinées à partir de ces catégories et selon leur nom discursif. Ainsi, nous montrerons que l’inscription des scènes dans les structures interactionnelles verbales génère chez Marguerite Duras des effets de déplacements à la fois par rapport aux scripts de vie, mais aussi relativement aux attentes des lecteurs.

Les monologues (la « scène d’attente »)

Les monologues concernent une personne isolée, qui, sur le plan interactionnel, se situe au sein d’une monade et dont le discours se décline soit au moyen du monologue, soit par le soliloque. Duras ne recourt que très rarement à ce mode de dialogue qui sert le plus souvent à faire connaître l’intériorité d’un personnage. On sait que l’écrivaine privilégie la focalisation externe. Un cas pourtant figure dans son univers romanesque qui correspond à une « scène d’attente ».

Cette scène appartient à L’Après-midi de Monsieur Andesmas (1962)9 où elle occupe la première partie du roman. Selon Barthes, il existe une véritable « scénographie de l’attente »10 : c’est pourquoi, à la différence de Maud Fourton11 qui considère l’attente comme un thème, préférons-nous, du moins pour ce récit, lui donner le statut de scène. Le texte commence par une rencontre très insolite, « focalisée sur »12 un chien roux auquel M. Andesmas reste étrangement indifférent (OC II, p. 222). Commencer le récit par cette présence animale renforce l’impression d’isolement du vieillard dont l’absence de réaction déjoue les scripts de vie impliquant un vieil homme et un chien. En réalité, sauf pour son « enfant » Valérie, cet homme âgé est dénué de toute forme d’attente désirante. Son espérance se situerait même en-dessous de l’animal puisque le chien dans ses divagations pourrait espérer une rencontre amoureuse (il part « à la recherche des chiennes », pense le vieil homme, p. 224).

La scène d’attente proprement dite débute (AMM, OC II, p. 223) par l’illustration d’un des éléments de la scénographie de Barthes où l’essayiste relève que lorsqu’il attend, il « constate, […] enregistre le retard de l’autre ; [alors que] ce retard n’est encore qu’une entité mathématique, computable ([il] regarde [s]a montre plusieurs fois) »13. Tous ces éléments se retrouvent dans le texte de Duras : la montre, l’heure du constat du retard (« 4 heures »), l’heure du rendez-vous (« 4 heures moins le quart »), fixé avec un certain Michel Arc. Commence alors le relevé des attitudes de M. Andesmas qui s’agite dans son fauteuil (p. 223) : « Ainsi supportait-il l’attente », nous est-il dit, comme en écho au « Que faire […] ? »14 de Barthes.

Cette attente est redoublée par une autre, celle de Valérie, la fille de M. Andesmas, dont l’heure d’arrivée reste incertaine (224) : « M. Andesmas les attendait, attendait leur bon vouloir » (AMM, OC II, p. 226). Comme Duras le signale elle-même (p. 224), cette scène d’attente est symbolique de l’attente existentielle de la mort ; elle enlève toute velléité au personnage qui se trouve aliéné, et, conformément à la scénographie décrite par Barthes, bascule bientôt dans « l’acte II […] de la colère »15, ici d’une sourde colère : « Je n’aurais pas cru ça […]. Faire attendre un vieillard » (p. 226), s’indigne M. Andesmas, puis il se résout à « attendre […] patiemment » (p. 227).

L’attente somnolente de M. Andesmas est coupée par l’arrivée de l’enfant de Michel Arc qui lui annonce la venue prochaine de son père. Un court dilogue s’instaure entre le vieil homme et l’enfant qui lui redonne une identité (AMM, OC II, p. 229). La conversation, qui paraît se clore sur un échange de sourires, finit en réalité sur une réplique « insolente » de l’enfant (p. 34). Dans une parole criée, la petite fille annonce que, si Michel Arc est en retard, c’est qu’« il danse » (p. 232). Accablé, le vieil homme voit combien il est fait peu de cas de sa personne. Duras nous dit que « pendant cet intermède », qu’est l’attente, « M. Andesmas va connaître les affres de la mort », qu’il « connaît les affres de la mort » (p. 232-233). En fait, cette mort est celle du désir, de la possibilité même de désirer, de pouvoir aimer : « “Je vais mourir”, pronon[ce] tout haut M. Andesmas » (p. 234). Le vieillard se parle à lui-même, mais ne « sursaute » plus au son de sa propre voix, dit le texte (loc. cit.). Il tombe alors dans un profond sommeil, est une nouvelle fois réveillé par la petite fille, puis se rendort.

Le monologue s’achève avec l’arrivée de la femme de Michel Arc (AMM, OC II, p. 247). C’est un dilogue qui le remplace, construit sur la douleur de la perte de l’amour et de la perte de la vie avec, en filigrane, sous la forme d’une confidence qui lui est imposée, l’évocation d’une scène de rencontre amoureuse du futur couple de Michel Arc et de Valérie Andesmas : « Un événement était en cours, il le savait bien, M. Andesmas – qu’il nomma leur rencontre, bien plus tard » (p. 249). Un événement (un drame, peut-être) s’est joué là, quelque part, pour qu’on en parle encore « bien plus tard », tandis que la scène d’attente s’est déroulée sur un fond de musique de bal et sur les paroles lancinantes de la chanson « Quand le lilas fleurira mon amour » (p. 224 et passim). Le plaisir, la fête, la danse sont ailleurs, plus loin que la forêt, plus loin que l’étang, cette eau morte, qui entourent le vieil homme et avec lesquels il entre en communion par une dissolution de son être.

Chez Duras, la scène romanesque détourne l’usage des scripts habituels. En effet, elle ne fait pas ici avancer le récit, elle est tout à l’inverse le récit d’une absence ; elle ne participe pas à la caractérisation d’un personnage, mais renforce un archétype. À l’occasion de cette scène, M. Andesmas s’affirme comme la figure du vieillard par excellence, englué dans une attente qui n’est fondamentalement autre que celle de la mort.

Au niveau de la communication entre l’auteur et le lecteur, Duras inverse l’avant-plan et l’arrière-plan : il y a fort à parier que c’est la rencontre entre Michel Arc et Valérie Andesmas sur fond de rupture sentimentale qui aurait intéressé le lecteur, en raison du fait qu’elle est la « scène dramatique » par excellence, à l’image de la scène d’ouverture du Ravissement de Lol V. Stein (1964), par exemple. Cette scène d’attente aurait dû être une scène de second plan, puisqu’il ne s’y passe rien. Ce type d’inversion n’est pas rare dans les romans de l’auteure : il en est ainsi pour les scènes de crime qui figurent souvent dans un hors-diégèse.

Les dilogues

Les dilogues sont, chez Marguerite Duras, le mode interactionnel des scènes de rencontre, des mises en scène de confidences et dans une moindre mesure des scènes d’amour, car il n’est pas rare qu’il y ait en leur sein un « bystander », un épieur-voyeur, dont la présence élabore une triade, particulièrement dans les récits de la dernière période, dans L’Homme assis dans un couloir (1980) ou dans La Maladie de la mort (1982). Le dilogue ne correspond pas à une dyade stable. Parfois, il a lieu au sein d’une polyade, à l’occasion d’une réduction par focalisation, comme pour les entretiens entre Anne Desbaresdes et Chauvin de Moderato cantabile (1958) qui se déroulent dans un café ; parfois l’endormissement d’un participant transforme le dilogue en monologue, comme dans Le Vice-consul (1966), au « Cercle européen » de Calcutta, lors des scènes de confidences du vice-consul au directeur (OC II, p. 586). Les dilogues sont souvent scénographiés en relation avec les étapes du discours amoureux.

La scène de déclaration d’amour

Les romans durassiens mettent très souvent en jeu le discours amoureux dont, selon Durrer16, le script intégral déroule huit étapes : (1) la naissance du sentiment amoureux ; (2) la scène inaugurale (la « scène de première vue » selon Rousset17) ; (3) la confidence à un tiers ; (4) les hésitations, les doutes ; (5) les compliments ; (6) la déclaration d’amour ; (7) le partage, la célébration mutuelle ; (8) la déclaration publique. Préférant mettre en scène l’amour-passion, Duras scénarise très peu les différentes étapes de ce script, à l’exception de (2) la scène de rencontre proprement dite, au point que nous pourrions désigner les romans de l’écrivaine comme des histoires de rencontres (pas nécessairement amoureuses). Si dans les romans d’amour tous les épisodes du script ne sont pas représentés, l’un d’eux est particulièrement attendu des lecteurs, c’est la scène de déclaration. Or cette déclaration n’apparaît que sur le mode de l’absence dans la plupart des romans durassiens. Quand un « je t’aime » est prononcé, il est souvent réduit à un simple acte de langage au sein d’un « échange tronqué »18 et n’est pas scénarisé, à l’image de cet extrait de L’Amant (1984) :

[…] il dit qu’il l’aime comme un fou, il le dit tout bas. Puis il se tait. Elle ne lui répond pas. Elle pourrait répondre qu’elle ne l’aime pas. Elle ne dit rien (OC III, p. 1475).

La notation du paraverbal « tout bas » désémantise ici le terme de « déclaration ». La réplique est signalée sur le mode de l’absence. L’acte de déclaration d’amour est en fait un acte très risqué sur le plan de ce qu’il est convenu d’appeler « la politesse linguistique » : le locuteur met en danger sa « face positive » ainsi que la « face négative »19 de son interlocuteur puisque l’acte contraint l’autre à une réciprocité. L’absence de réponse est déjà un affront, sans même penser à la réponse par la négative qui confine à l’insulte. Duras, par sa façon de rendre compte de l’échange, montre qu’elle est consciente de ce fonctionnement linguistique20. Dans Un barrage contre le Pacifique (1950), la réponse de Suzanne (« – Faudra rien leur dire ») à la déclaration de M. Jo (« – Je suis fou de vous »), relevant plus de l’acte constatif que du performatif qu’induit une déclaration, dénie quant à elle toute possibilité d’une scène où la déclaration publique s’accomplit (OC I, p. 322).

Dans l’œuvre romanesque de Duras, une seule déclaration pourrait s’apparenter à une scène. Il s’agit du « – Je t’aime » que, dans Le Ravissement de Lol V. Stein, Jacques Hold dit à Tatiana Karl (OC II, p. 371). Mais il s’agit là précisément d’une scène en trompe-l’œil, où le lecteur se trouve au cœur d’une polyade, plus exactement d’une tétrade. Tatiana, dont l’indécence est soulignée à deux reprises, s’approche en présence de son mari très près de son amant, Jacques Hold, qui lui fait sa déclaration. Parce que le regard de l’amant est dirigé vers Lol, Tatiana, effondrée, n’est pas dupe et lui répond « Menteur, menteur » (loc. cit.). On assiste à un véritable « trope communicationnel »21, car si déclaration il y a, elle n’est pas adressée à la personne à laquelle elle semble l’être et la scénographie, car scénographie il y a, ne sert qu’à dénoncer la duperie.

Une autre façon de détourner la déclaration d’amour est d’en rendre compte au passé comme dans Emily L. (1987) : « – Je vous aimais d’un amour effrayant », déclare la narratrice à son compagnon (OC IV, p. 460). Toujours, dans le même roman, la déclaration est détournée par le refus de prononcer les termes mêmes qui la constituent (p. 451).

Une scène de déclaration doit inclure en son sein au minimum un acte de langage adressé à l’allocutaire concerné, le plus souvent constitué de la formule figée « – Je t’aime » (que le simple ajout d’un adverbe comme « bien » suffit à dénaturer22), et s’accomplir au présent. En général, une réponse du type « – Moi aussi » est attendue. Puisque cet acte est contraignant pour le récepteur, le locuteur s’est en principe assuré de la réciprocité du sentiment qu’il éprouve avant de s’y risquer.

Chez Duras, ce type de scène se réduit à l’acte de langage ou à un échange minimal, souvent détourné. Cette déclaration n’atteint pas réellement le statut de scène puisqu’elle n’apparaît que sur le mode déceptif de son absence signalée par le texte ou par celui d’une fausse scène. En revanche, la scène érotique, qui dans les étapes du discours amoureux recouvre à la fois les étapes de partage et de célébration mutuelle, se trouve développée avec un côté trash qui s’accentue au fil des romans. Si elle apparaît dans Moderato cantabile sous la forme déguisée d’une scène de crime qu’Eros et Thanatos confondus métamorphosent en scène érotique23, suscitant la condamnation morale d’un passant (« – C’est dégoûtant », OC I, p. 1211), si à l’Hôtel des Bois, dans Le Ravissement de Lol V. Stein, elle prend la première fois, la forme plus discrète d’une scène guettée de derrière la fenêtre (OC II, p. 314-318), avec L’Homme assis dans le couloir, la scène devient beaucoup plus crue.

Les scènes érotiques

La caractéristique la plus remarquable de la scène érotique dans son lien avec les interactions réside dans le fait que, chez Duras, cette scène se déroule très souvent au sein d’une triade en présence au moins d’un témoin. Dans L’Homme assis dans le couloir, le lecteur est directement placé devant la scène, peut-être imaginaire comme le laisse présager le conditionnel : « L’homme aurait été assis dans l’ombre d’un couloir » (OC III, p. 621). En tous cas, qu’il s’agisse d’un imaginaire pur, d’une future mise en scène, ou encore d’un scénario filmique – le flou persiste –, cette scène est présentée comme donnée à voir. La présence d’un tiers est d’ailleurs explicite : « Elle […] sait [qu’il la regarde] les yeux fermés comme je le sais moi, moi qui regarde. Il s’agit d’une certitude » (p. 621-622). La scène rejoint la mise en scène d’un voyeurisme en abyme : le lecteur voit la scène, focalisée par un voyeur-narrateur, qui montre un homme qui regarde une femme qui « elle n’aurait rien regardé » (p. 621). Cette mise en abyme aboutit au néant ou à la Lumière, à l’absolu du vide ou du tout. Arrive alors la scène qualifiée d’« obscène, bestiale » (p. 622). Le sexe de la femme est décrit en termes crus : « Je vois l’enclave du sexe entre les lèvres écartées » (loc. cit.). La tête de la femme est « détournée » du corps, comme si la domination de l’homme ne concernait que la possession du corps de la femme (loc. cit.). Commentée de manière extrêmement concrète, par le voyeur-narrateur, la scène érotique se déroule, dans une double adresse au personnage féminin et au lecteur.

L’article « Voyeurisme » du Dictionnaire Marguerite Duras24 recense l’ensemble des récits où la scène d’amour se déroule devant un épieur posté devant une fenêtre, dans l’ignorance ou non des partenaires de la scène. Dans Le Ravissement de Lol V. Stein, à partir de la deuxième scène à l’Hôtel des Bois, Jacques Hold est conscient de la présence de Lol dans le champ ; Tatiana ne l’est pas (OC II, p. 348-351 ; p. 372-373 ; p. 388). Qu’elle soit réelle ou fantasmée, cette triade permet à Jacques Hold de faire l’amour indirectement à Lol et à Lol de vivre en différé et par procuration la scène d’amour qui lui avait été dérobée lors de la scène de bal, où elle fut ravie à elle-même, laissée à un vide existentiel. Différemment, dans Dix heures et demie du soir en été (1960), c’est sur un balcon, à la lumière de l’orage que Maria aperçoit son mari, Pierre, et son amie Claire, s’embrasser pour la première fois sur un autre des balcons de l’hôtel où ils se sont retrouvés (OC II, p. 1323). Ce regard de Maria unit l’amour et la mort, car tout à côté d’eux, sur le toit de l’hôtel, « à quelques mètres » (loc. cit.) s’est réfugié le criminel en fuite, Rodrigo Paestra.

Dans L’Amant, la scène de dépucelage qui se termine par la sortie de la garçonnière (OC II, p. 1481), est décrite avec le sang qui a coulé (p. 1477), la robe « arrachée » (p. 1476), des insultes amoureuses proférées (« putain », « dégueulasse », p. 1479), mais dérogeant aux conventions, c’est l’homme qui pleure quand la jeune fille prend activement part aux échanges sexuels. En fait, la scène se révèle très transgressive à plusieurs niveaux. Outre le dépucelage, les protagonistes ont une différence d’âge appréciable (elle, a « quinze ans et demi » ; lui, est un jeune adulte) ; il existe une différence de couleur de peau et de richesse, importante dans un contexte colonial. La scène de sexe n’est par ailleurs le prélude à aucun mariage. Enfin, La jeune fille est à la fois naïve (le sang l’étonne) et curieuse (elle veut savoir comment on fait l’amour) ; elle se dit aussi intéressée par l’argent de son amant chinois et ne distingue pas le désir qu’elle éprouve pour l’homme de son désir d’argent. L’idée d’une forme de prostitution plane autour de l’acte. Celle-ci ne sera toutefois véritablement développée dans les scènes érotiques ultérieures de La Maladie de la mort et des Yeux bleus cheveux noirs25.

Les scènes de rencontre

Dans Leurs yeux se rencontrèrent : la scène de première vue dans le roman, Jean Rousset analyse ce type de scènes26 : le titre met en évidence le « regard » comme élément fondamental et retient « deux classes de “traits majeurs” » que l’on identifie comme « mise en place » et « mise en scène »27. À la « mise en place » correspondent les caractéristiques spatio-temporelles de la scène ainsi que des caractéristiques extérieures des personnages, telles que leur apparence, leurs vêtements, mais aussi leur nom. Duras communique souvent ce dernier lors d’une scène de présentation, comme dans Le Ravissement de Lol V. Stein, lorsque Jacques Hold se nomme à la vue de Lol (OC II, p. 323). La « mise en scène » concerne les effets provoqués par la rencontre. À cet égard, Rousset mentionne l’étape de « franchissement » où est abolie la distance entre les protagonistes par des moyens verbaux ou non verbaux qui relèvent du « contact physique, symbolique ou parlé »28.

La scène de rencontre se subdivise chez Duras en trois grands types.

Premièrement s’écrit une rencontre que nous appellerons « la rencontre ordinaire ». Elle est la rencontre d’une femme avec un être le plus souvent quelconque, un être à l’écoute et débouche sur des conversations qui visent à faire revivre une scène première faite d’amour et de mort, à l’image des échanges entre Anne Desbaresdes et de Chauvin qui ponctuent Moderato cantabile. Parfois, cette scène se résume à une fonction diégétique de déclencheur du récit, comme la scène inaugurale de L’Amant où « un homme est venu » à la rencontre de l’écrivaine pour célébrer le visage « dévasté » de la femme « âgée », tellement plus beau que celui de la jeunesse (OC III, p. 1455)29.

Deuxièmement, la rencontre s’établit entre un individu et un groupe, comme dans Les Petits Chevaux de Tarquinia où « l’homme au bateau » s’intègre au « groupe de Ludi » à la faveur d’une partie de pétanque (OC I, p. 882, p. 827). Le lecteur connaît son existence dès l’ouverture du roman par le désir qu’exprime l’enfant de Sara de monter à bord d’un bateau à moteur. « Arrivé que depuis trois jours » (p. 823) dans ce village de bord de mer où le groupe est en vacances, la rumeur précède la rencontre réelle avec ce personnage que le lecteur ne découvrira qu’un peu plus tard que lorsque Sara l’abordera dans le cadre d’une rencontre amoureuse (p. 832).

Le troisième type, la rencontre amoureuse, mérite d’être quelque peu développé. Cette rencontre peut être précédée d’une « pré-rencontre »30 comme dans Le Ravissement de Lol V. Stein ou dans L’Amant, avec de nombreuses différences toutefois. Dans L’Amant (p. 1458-1473), la « pré-rencontre » se produit bien avant la scène de « franchissement » (p. 1473-1474) qu’analyse Rousset. Duras décrit le maquillage de la jeune fille qu’elle était à l’époque, elle en signale l’outrance (« déjà je suis fardée », OC III, p. 1463, nous soulignons), en s’adressant directement au lecteur (« regardez-moi ») (loc. cit.). Puis elle présente, de l’intérieur de son œuvre, la « grande limousine noire avec un chauffeur en livrée de coton blanc » : « C’est la Morris Léon-Bollée. La Lancia noire de l’ambassade de France à Calcutta n’a pas encore fait son entrée dans la littérature » (p. 1463)31. La voiture souligne le goût du luxe qu’a l’adolescente ainsi que l’idée d’une « prostitution » déjà évoquée par le maquillage outrancier de l’« enfant ». L’homme fait ensuite son apparition, « très élégant », dans son « costume de tussor clair des banquiers de Saïgon » ; « [c]e n’est pas un blanc », nous dit immédiatement le texte, soulignant la transgression à venir (p. 1464). Tout passe ici par le regard et la conscience de son importance : « Il me regarde. J’ai déjà l’habitude qu’on me regarde » (nous soulignons, loc. cit.). Ces regards concupiscents sont, nous dit Duras, ceux que portent les Chinois sur « les petites filles blanches de douze ans », mais qu’elle dit connaître « depuis trois ans » aussi de la part des blancs de la colonie, des amis de sa mère qui l’invitent chez eux au moment où leur femme joue au tennis « au Club Sportif » (loc. cit.). Regard, prostitution, argent sont tous mentionnés au cours de cette scène de pré-rencontre. Lorsque la scène de rencontre proprement dite a lieu, d’autres traits vestimentaires de l’héroïne sont évoqués : à l’approche de la « jeune fille au feutre d’homme et aux chaussures d’or », l’homme sort de sa limousine, et lui offre une cigarette qu’elle refuse (p. 1473). Il n’est pas présenté tel un prédateur sexuel. La peur l’habite, mais le désir est le plus fort. Il la complimente et, sur la demande de la jeune fille, se présente pour lui proposer de la raccompagner chez elle « à Saigon » (loc. cit.). Ce qu’il fera à plusieurs reprises, puisque la jeune adolescente ne devra plus prendre le bac. Cette rencontre est de celles qui transforment la vie. Leurs diverses rencontres feront l’objet d’une ellipse narrative qui raccourcit pour le lecteur le temps qui s’écoule entre la scène de « première vue » et la scène érotique : « c’est arrivé très vite ce jour-là, un jeudi » (p. 1475, nous soulignons). La transgression de l’acte sera dès lors vécue à travers l’acte de lecture.

Dans Le Ravissement, la « pré-rencontre » entre Jacques Hold et Lol se déroule lors des déambulations de cette dernière dans sa ville natale, au cours desquelles elle épie, en se cachant, le couple Tatiana Karl-Jacques Hold. Elle entendait des bribes de phrase comme « “Morte peut-être” » (OC II, p. 303), assistait à leurs embrassades, mais le narrateur lui aussi la suit, tandis que les habitants de sa ville natale évitent de la reconnaître (p. 304). Elle identifie l’amant de Tatiana qui sort seul d’un cinéma, lui ne la voit pas (p. 310), elle le suit. Tatiana arrive, le couple se retrouve, marche jusqu’à l’hôtel, suivi par Lol qui se met dans leurs pas (p. 314-318). Celle-ci décidera ensuite de rendre visite à Tatiana (p. 319). La rencontre entre Lol et son amie d’enfance aura lieu en présence de Jacques Hold (p. 323). C’est alors qu’une mini-scène de présentation fait se rencontrer Lol et Jacques Hold, mais aussi Jacques Hold, le narrateur jusqu’alors anonyme, et le lecteur : « la distance est couverte » (p. 323). Une seconde scène de présentation suit la première à destination du seul lecteur sous la forme récitée d’une fiche d’identité, où Jacques Hold se présente comme appartenant au corps médical et étant « l’amant de Tatiana Karl » (loc. cit.).

Les scènes de dispute

Elles sont relativement rares dans l’univers de Duras et concernent principalement les relations entre les mères et les filles. La plupart des héroïnes, absentes à elles-mêmes, vivent dans une forme de néant existentiel et n’ont pas la force de se disputer. Se disputer présuppose une égalité d’être32 entre partenaires et c’est la joute oratoire qui permet à l’un ou à l’autre de prendre le dessus. Dès lors, même les disputes mères-filles scénographiées dans les textes autobiographiques, comme Un barrage contre le Pacifique ou L’Amant, n’atteignent pas vraiment le statut de scènes de dispute. On voit dans L’Amant, comment la jeune adolescence reste sans réaction devant le déferlement d’insultes et de coups de sa mère, au point qu’il est plus judicieux de parler de scène de colère, mêlée de désespoir (OC III, p. 1488-1489). La fille est insultée, réduite à une animalité (une « chienne ») ou à un « ça » qui pourrait juste « crever » (p. 1489) ; elle perd toute humanité, se retrouve anéantie et exclue. Cette violence entre mère et fille est toujours scénarisée de la même façon avec parfois la présence d’un frère, comme tiers. Ce sont donc plutôt des scènes émotionnelles, animées par la colère.

De véritables scènes de disputes se trouvent dans Les Petits Chevaux de Tarquinia. Les unes prennent la forme de joutes entre la petite bonne désinvolte et impertinente, et sa patronne, Sara. Mais c’est une bonne non aliénée par sa fonction que Duras met en scène : elle a perpétuellement le dessus sur Sara. Ces disputes se déroulent toujours en présence d’un tiers, de Jacques et/ou de Ludi, quoique Ludi fasse figure de référence absolue pour la petite bonne. Elles remplissent plusieurs fonctions : elles amusent le lecteur ; elles permettent de désigner Ludi comme personnage central et montrent qu’une forme de libération du personnel de service, souvent considéré comme des « non-personnes »33, est de fait assez insupportable : même chez les communistes34, l’attitude de la petite bonne déclenche un jugement moral négatif (OC I, p. 876-878). Quant aux autres scènes de dispute, elles relèvent de ce qu’on appelle généralement des « scènes de ménage ». Ces scènes « entre époux » émergent, comme le signale Pierre Lepape, d’une longue tradition « antimatrimoniale » due au célibat des religieux, mais qui procède aussi de la séparation entre union maritale et relation amoureuse, même si elles peuvent se produire entre amants35. À ce sujet, Duras reste classique : ces scènes se produisent entre Gina et Ludi, au sein d’un couple marié et relèvent de l’habitude. Elles sont publiques.

Les scènes de conversation

Quand elles sont en lien avec un dilogue, ces scènes sont souvent le prolongement de la scène de rencontre qu’elle démultiplie pour constituer, dans un donner à voir, la trame même du roman. On l’a dit, ce type de conversation se déroulent entre l’héroïne et un être à l’écoute : elle a pour finalité la reconstitution d’une scène première, faite d’amour et de mort, au cours de laquelle l’héroïne s’est perdue, mais où elle a pressenti qu’elle pourrait se retrouver, si seulement elle pouvait trouver le mot qui la définit, qui la nomme. Elles peuvent être rapportées au style direct, indirect ou sous la forme d’un discours narrativisé qui renvoie à une scène passée. Souvent cette scène aboutit, sur un mode déceptif, car le langage ne parvient pas à transformer le monde. On se souvient dans Modero cantabile du « – Je voudrais que vous soyez morte » prononcé par Chauvin auquel répond le « – C’est fait » d’Anne Desbaresdes (OC I, p. 1257) qui en même temps qu’il souligne le pouvoir performatif de l’acte, le nie. On se souvient aussi dans L’Amante anglaise (1967) du refus de Claire Lannes de dire où elle avait caché la tête de Marie-Thérèse Bousquet, symbole de la clé de l’enquête (OC II, p. 732). Les interviews-enquêtes font alors émerger sous une forme de narration enchâssée, les dilogues entre Claire Lannes et Alfonso qui tous deux, dans le monde séparé par Claire Lannes en deux catégories, appartiennent au même côté, celui de l’être. Ils se distinguent des gens de l’autre côté, de ceux qui mangent « de la viande en sauce » (OC II, p. 730), sont du côté de la norme sociale et vivent sur le mode de l’étant.

Envisager toutes les scènes de conversation d’apparence dilogale reviendrait à analyser la quasi-totalité des romans durassiens, aussi nous limiterons-nous à analyser la scène de confidences pour son caractère purement dilogal. On peut auparavant mentionner la forme très particulière qu’adoptent, dans Le Square (1955), les scènes correspondant aux deux parties du récit36 : on pourrait les classer en scènes de conversation ou en scènes de rencontre ou encore en scènes de confidences. Elles se produisent entre une petite bonne qui garde un enfant à l’heure de son goûter et un voyageur de commerce, tous deux aliénés par leur condition sociale. Leurs échanges sont extrêmement polis, ils se donnent du « Madame » et du « Monsieur », s’excusent en permanence, comme s’ils s’excusaient d’exister et protègent à l’excès la « face positive » de l’autre. Une simple demande de la petite bonne au voyageur de commerce se décline comme tel, à l’aide de plusieurs « adoucisseurs »37 : « Excusez-moi, monsieur, mais puis-je me permettre de vous demander comment cela vous est arrivé ? » (OC I, p. 1140). Ainsi, Le tout adopte un mode de confidences livrées au lecteur, sur leur mode de vie, avec leurs rêves et leurs désillusions.

Les scènes de confidences et d’aveu

La confidence est définie par Le Petit Robert comme « la communication d’un secret qui concerne soi-même ». Elle est la scène dilogale par excellence, à en croire Le Ravissement de Lol V. Stein où le commentaire narratif de l’attitude de Lol qui refuse de recevoir les confidences de Tatiana indique : « Elle veut échapper à la confidence, la rendre publique », lit-on (OC II, p. 336). Briser la dyade revient à supprimer la confidence. Sylvie Durrer et Isabelle Doneux-Daussaint38 posent ouvertement le problème de l’authenticité des confidences publiques. On connaît les jeux de Duras à ce sujet qui s’amuse à brouiller les pistes entre le vécu et des fictions qu’elle présente comme les récits de sa propre vie. L’émission Apostrophes en est un bel exemple39, ce passage de L’Amant aussi : « Ce n’est donc pas à la cantine de Réam, vous voyez, comme je l’avais écrit, que je rencontre l’homme riche à la limousine noire […] » (OC III, p. 1469). Duras détruit une information concernant l’amant donnée par Un barrage contre le Pacifique a pour but de semer le doute sur l’information littéraire et de remettre en cause les valeurs de vérité.

La confidence implique toujours un rapport d’intimité – qu’il soit préalable ou recréé. On se confie à ses amants (« Les premiers confidents, le mot paraît démesuré, ce sont nos amants », L’Amant, OC III, p. 1490), ou à ses amis (« – Avec le copain du Prisunic […] au fond, on n’était pas des vrais copains, on ne se confiait pas de secret », Le Vice-consul, OC II, p. 655). Cette prise de parole s’accompagne d’un ton spécifique (le célèbre ton de la confidence) ; les rôles des partenaires sont complexes, car on peut refuser de se confier comme d’accueillir les confidences d’autrui. C’est souvent le cas dans Le Ravissement de Lol V. Stein entre Lol et Tatania : Lol refuse de se confier à Tatiana, mais aussi de recevoir les confidences de son amie (OC II, p. 332) – ce qui en dit long sur leur relation. On verra alors apparaître des stratégies d’évitement. Les confidences sont liées à des charges émotionnelles et à une gestion complexe de la politesse linguistique puisque, en se dévoilant, le locuteur fragilise son « territoire » (ou sa « face positive ») qu’il remet entre les mains de son confident et l’interlocuteur (le confident) est menacé dans sa « face négative » dans la mesure où il se doit d’écouter, et de réagir en fonction d’un attendu. Elles peuvent être à l’initiative du locuteur ou sollicitées par l’interlocuteur et relèvent de la confidence-révélation, et se rapprochent alors de la scène d’aveu, ou s’apparenter à une confidence-épanchement. Leur fonction diégétique est souvent de fournir des informations aux personnages, mais aussi au lecteur. Dans Détruire dit-elle (1969), la plupart des informations dont prend connaissance le lecteur proviennent des confidences forcées qu’Élisabeth Alione fait à Alissa. Les confidences confèrent un pouvoir à celui qui les accueille, celui de révéler ou non leur contenu, de garder ou pas le secret. Alissa les diffusera ; le directeur du Cercle dans Le Vice-consul, aussi.

« Le directeur du Cercle est souvent questionné sur ce que lui raconte le vice-consul » (Le Vice-consul, OC II, p. 581), lequel est en réalité parfaitement averti du destin de ses confidences, et les encourage : « – C’est sans doute ce qui intéressera le plus les gens, ce que je vous confie là » (p. 586), dit-il au directeur et lui conseille : « – Directeur, parlez à qui veut l’entendre, racontez à qui veut l’entendre tout ce que je vous raconte » (p. 588). Le vice-consul espère ainsi se faire accepter à Calcutta. Les confidences, répétées et alcoolisées, du diplomate en disgrâce, sont en réalité des confidences publiques, instrumentalisées.

Dans ce cadre, il est bien précisé que les confidences ne concernent que la dyade du vice-consul et du directeur, le texte insistant sur le fait que « les bridgeurs présents ne peuvent pas entendre leur conversation » (p. 580). Ainsi, ces scènes de confidence font contrepoint aux triades des scènes érotiques, alors même que l’aveu du vice-consul est celui de sa virginité (p. 581). Les confidences restent toutefois déceptives puisque le lecteur, comme le tout Calcutta de l’Inde blanche, s’attendaient à ce que le vice-consul s’explique sur les « incidents survenus à Lahore » (p. 561). Une forme de réciprocité s’instaure au sein de ces scènes de confidences, car le directeur est lui aussi sollicité pour parler d’Anne-Marie Stretter que convoite le vice-consul et de ce qui se passe aux Îles du Delta du Gange.

Au cours de la deuxième scène de confidences, les deux hommes parlent de leur enfance (p. 584-589). La scène se conclut sur une sorte de bilan des rencontres à venir qui ne pourront qu’être ennuyeuses puisque le vice-consul n’aurait plus « grand-chose de neuf à raconter ou à inventer sur sa vie, ni lui, le directeur, à inventer ou à raconter sur la sienne, sur les Îles, sur la femme de l’ambassadeur de France à Calcutta » (p. 589). Le chiasme ainsi produit met une forme d’équivalence absolue entre la vérité et le mensonge, entre la réalité et la fiction.

La troisième et dernière scène de confidences entre les deux hommes débouchent sur un vide total, « un rien » vient clore la scène en offrant au roman sa clausule (p. 657). Dans une autre scène de confidences-épanchement, à laquelle participe le vice-consul, (p. 633-637), le cadre participatif a changé. Cette fois, le vice-consul se lamente auprès de Charles Rossett, son rival, qui tente de le repousser par un « – Mais laissez-moi tranquille, je n’ai pas envie de vous parler… » (p. 633). Le vice-consul déclare : « je suis une plaie », « je suis d’une maladresse impardonnable » et détruit ainsi sa propre « face positive » (p. 633-634). Comme il lui fait part de son amour pour Anne-Marie Stretter, Charles Rossett ressent de plus en plus son interlocuteur comme un envahisseur territorial (p. 169-174). Sous le sceau de la confidence, le vice-consul poursuit en réalité un autre but, celui d’obtenir des renseignements sur la fin de soirée à l’ambassade et sur ses chances auprès de l’Ambassadrice.

La mise en écriture des dilogues crée chez Duras des superpositions et des glissements entre différents types de scènes qui se dissolvent, s’entremêlent, se redupliquent et quittent ainsi leur cadrage strict de scènes théâtrales pour atteindre la fluidité du romanesque. Parmi ces dilogues/scènes, seule la scène de confidences, entretient une correspondance parfaite entre les différents niveaux (duos, dyades). Ces dilogues rendent visible une façon qu’a Duras de caractériser son roman en fonction des scènes. C’est comme si chacun d’eux mettait en scène un mode particulier de dialogues, travaillait une mise en forme diversifié de la scène, développée ou réduite (jusqu’à la signalisation de leur absence), selon les récits. Au niveau de la communication auteur/lecteur inscrits se crée ainsi une vraie histoire de lecture, puisque le lecteur doit aller chercher pour reconstruire les scènes « sommairisées » ou ellipsées, des scènes développées dans d’autres romans.

Les trilogues

La triade, ou la « triangulation » comme l’appelle Bernard Alazet40, constitue l’une des structures phares de l’œuvre durassienne, parce qu’elle se retrouve à tous les niveaux relationnels (qu’elle mette en jeu des interactions verbales ou non) et dans nombre des romans de l’écrivaine. Même un roman comme Le Square, construit sur le dilogue entre la bonne et le voyageur de commerce, introduit un troisième terme avec l’enfant, créant une triade interactionnelle. En fait, différents trios ou triades sont présents à diverses strates des récits et c’est à un lecteur coopérant de les activer à l’intérieur de ce qui peut s’apparenter à une sorte de co-énonciation. L’exemple du Ravissement de Lol V. Stein est assez parlant, car la triangulation s’y fait multiple : aux triangles Lol / Michael Richardson / Anne-Marie Stretter, Lol / Tatiana / la mère de Lol, Tatiana / Lol / Jacques Hold, Pierre Beugner / Tatiana / Jacques Hold, Jean Bedford / Lol / Jacques Hold, Jean Bedford / Michael Richardson / Lol, le lecteur / le narrateur / Lol, s’ajoutent ceux du Vice-consul et d’India Song montés à partir d’Anne-Marie Stretter, qui amplifie son image de ravisseuse. En fonction de sa sensibilité, le lecteur de Marguerite Duras peut continuer à former ces « triangulations » presque indéfiniment à travers tout le cycle indien.

Dans la représentation littéraire, la triangulation amoureuse est généralement associée à une scène vaudevillesque (femme / mari / maîtresse vs amant), déclencheur d’une série de péripéties, et fonctionnant comme un ressort du comique. Si cette scène existe dans l’univers romanesque de Marguerite Duras, elle est rarement le nœud d’une tension dramatique. Aucun des maris trompés ne réagit ; quant aux femmes, soit elles essayent de se fondre dans le nouveau couple ainsi formé, soit la romancière les présente au moment où elles sont tellement anéanties par la douleur qu’elles ne peuvent plus vivre que sur le mode de l’étant, pour reprendre la terminologie heideggerienne, sans jamais atteindre le plan de l’être.

« Ce modèle à trois termes » qui, selon Bernard Alazet, remonte au Marin de Gibraltar (1952), et ordonne la circulation du désir, mais aussi la dynamique de l’écriture, a fini par « envah[ir] […] les fictions de Duras »41, au point que ce sont les triades (plus que le trilogue proprement dit) qui organisent la configuration des scènes « dramatiques ». Parfois, le trio apparaît déjà au niveau du titre Abahn Sabana David42 (1970) ; parfois le personnage affiche dès le titre un nom constitué de trois identifiants, tels Lol V. Stein et Yann Andréa Steiner43.

À l’ouverture de L’Amour (1971), deux personnages masculins apparaissent tour à tour et forment un « triangle » dont le troisième terme est donné par une femme assise, « aux yeux fermés », dit le texte (OC II, p. 1269). Ce triangle est en mouvement, car les deux hommes bougent : ils apparaissent, disparaissent, puis « [l]e triangle se défait, se résorbe » (p. 1270). Ces trois personnages sont à la recherche d’une mémoire abolie qui ne leur revient que par fragments, à l’occasion de trilogues et de dilogues troués qui se font et se défont au rythme des déambulations.

Généralement, les scènes reliées au trilogue sont des scènes de conversation particulièrement mouvantes. Elles proviennent parfois de tétrades comme dans Détruire dit-elle où le trio Alissa / Stein / Max Thor entre en contact avec Élisabeth Alione. Ils se comptent alors quatre dans leur espace interactionnel (qui est à l’image de la structure familiale de Duras, composée avec elle, de la mère, du grand frère et du petit frère).

Moderato cantabile s’ouvre sur la scène en trilogue qu’est la leçon de piano, composée d’Anne Desbaresdes, la mère, de la professeure de piano et du petit élève. Elle sera interrompue par la scène de crime qui fait irruption au pied de l’immeuble où se déroule la leçon (OC I, p. 1205-1210). Le trilogue montre une professeure insatisfaite, en colère (elle « frappe […] le clavier de son crayon, « pouss[e] un cri d’impuissance », « hurl[e] » (p. 1205-1206)], autoritaire, se plaignant de la rébellion de l’enfant, ainsi que des vicissitudes de son métier (p. 1206). Anne Desbaresdes semble dépassée par cet « enfant difficile » (loc. cit.), plus intéressé par la voix de sa mère ou les bruits du dehors, que par la leçon de piano qui lui est imposée. L’enfant ne comprend pas, mais admet, provisoirement, cet amour de la musique auquel la mère veut qu’il accède.

De fait, selon nous, les « trios et triades dominent les romans par leur aptitude à rendre les mécanismes de séduction »44 et de désir ; ils se déploient à partir des dilogues et polylogues qui sont au cœur des structures conversationnelles dans les scènes durassiennes.

Les polylogues

Parmi les polylogues, on trouve par exemple chez Duras des scènes de conversation qui prennent pour objet les bavardages de vacanciers où stéréotypes et idées reçues font florès. La forme élémentaire du stéréotypage qu’est la répétition s’illustre à partir de sujets indéfiniment repris (la chaleur qu’il fait, la mauvaise qualité de la nourriture ou, dans Les Petits Chevaux de Tarquinia, la mort du jeune mineur et le refus des parents de signer les papiers du décès). Une deuxième stéréotypie se déploie en relation avec les scripts de vie. On y retrouve les poncifs des conversations ordinaires : météo, cuisine, fait divers. Les Yeux bleus cheveux noirs s’ouvre ainsi sur une soirée à « l’hôtel des Roches » (OC IV, p. 215) qui met en scène deux groupes conversant : celui des femmes qui échangent dans le hall, et celui des hommes sur la terrasse (les discussions sont retranscrites à l’aide du discours direct libre). En dépit de la séparation des deux groupes, le sujet de conversation leur est commun : il est ici question des « soirée[s] d’été » (loc. cit.). La séparation a pour but de marquer le caractère partagé des intérêts des uns et des autres ; même isolés, hommes et femmes disent la même chose. Ces scènes de bavardages consensuels se retrouvent dans les polylogues constitutifs de la structure des scènes mondaines que Duras place en arrière-plan des différents dilogues et trilogues qui s’en détachent : ces scènes, dirions-nous, « servent à figurer le social et à typer une société vide et creuse, fondée sur un consensus euphorique »45.

Ces polylogues renvoient fondamentalement, chez Duras, à l’image de Proust, à des scènes « typiques », quoique, dans ce cadre, Duras puisse introduire une dimension « dramatique » voire, comme dans Le Ravissement de Lol V. Stein, la scène dramatique du roman. Si, dans À la recherche du temps perdu, Proust vise à la fois le psychisme de ses personnages et leur caractérisation sociale, Duras se contente du deuxième trait : on pense à la scène de repas de Moderato cantabile, à la scène de bal dans Le Ravissement de Lol V. Stein ou à la scène de réception à l’ambassade de France de Calcutta dans Le Vice-consul. Ces scènes ne sont pas sans rappeler les grandes scènes de réception proustiennes chez les Verdurin ou chez les Guermantes, ou encore elles évoquent la grande scène de retrouvailles du Temps retrouvé. Chez Proust, comme chez Duras, ces scènes servent à typer les milieux sociaux, ceux de la bourgeoisie et de l’aristocratie chez Proust, les bourgeois et les exclus chez Duras. Chez Proust, le lecteur assiste à un véritable renversement des valeurs : la bourgeoisie ridiculisée au début de la Recherche en la personne de Mme Verdurin trône à la fin du roman. Celle qui « rit à s’en décrocher la mâchoire »46 et ridiculement « se pâme » chaque fois qu’elle entend sa petite phrase musicale de sa sonate de Vinteuil, celle qui est destituée de toute position sociale haute par l’invitation faite à Odette de Crécy, une demi-mondaine qui introduit Swann, amoureux d’elle, au sein du clan, finira par dominer une aristocratie ruinée et déchue (le baron de Charlus se fait tabasser dans les bouges ; Oriane de Guermantes se raccroche aux oripeaux de sa gloire comme à « ses souliers rouges »47, les reliques de sa splendeur ancienne). Différemment, chez Duras, les deux mondes sociaux semblent totalement séparés : les mendiants et les lépreux restent à l’extérieur de l’ambassade protégée dans Le Vice-consul par des grilles ; le vice-consul et Anne Desbaresdes sont exclus ou s’excluent des milieux mondains ; quant à Lol, elle vit son appartenance à la bourgeoisie sur le mode de l’absence, ne pensant qu’à s’échapper de son monde pour aller rejouer ailleurs, loin de lui, la scène du bal. On trouve entre Proust et Duras le paradoxe signalé par la critique marxiste48 entre Balzac et Zola : c’est étonnamment l’écrivain réputé de droite qui montre une société plus mouvante, plus dialectique que l’écrivain de gauche qui enferme ses personnages dans des rôles ou des statuts sociaux auxquels ils ne peuvent échapper. Il faut dire cependant que, chez Duras, les personnages trouvent moyen d’ignorer leur milieu par les passions qui les aliènent, pouvant conduire au crime ou à la destruction, et remettent en cause par les dilogues leur identité.

Chez Duras, comme chez Proust, se retrouve un mode de caractérisation de classe des personnages que Berthelot nomme « la perfidie »49 (dont il donne un exemple savoureux qu’il emprunte à Proust) que nous préférons appeler une « politesse impolie ». La phrase prononcée par Peter Morgan à destination du vice-consul en est un bel exemple : « – […] excusez-nous, le personnage que vous êtes ne nous intéresse que lorsque vous êtes absent » (OC II, p. 622). Si chez Proust cette politesse impolie provoque par connivence le rire du lecteur, parce qu’elle n’égratigne que des êtres qui jouent sur leur statut social pour attaquer, sans aucune finesse, la « face positive » de leur interlocuteur, chez Duras elle suscite l’effroi parce qu’elle s’attaque à des êtres anéantis.

 

Les romans durassiens se laissent décrire et organiser par leurs interactions scéniques montrant la richesse et la diversité des procédés mis en place par l’auteure. Ainsi de subtiles correspondances se font montre entre les scènes érotiques et les scènes de confidences. À l’échelle des romans, on voit que L’Après-midi de Monsieur Andesmas répartit ses deux chapitres entre un monologue et un dilogue : le premier correspond à une scène d’attente ; le second est lié à une scène de confidence ; Le Square est un dilogue conversationnel ; Le Vice-consul alterne scènes de confidences et polylogue mondain ; Moderato cantabile associe les dilogues conversationnels et le polylogue mondain d’une scène de repas. Dans L’Amante anglaise, les scènes de conversation prennent la forme de dilogues-enquêtes quand, dans L’Amour, la triangulation des personnages s’exprime aussi par de courts dilogues que troue la mémoire abolie des interlocuteurs. Le Ravissement de Lol V. Stein fait suivre la polyade de la scène de bal de différentes triades amoureuses ; Détruire dit-elle empile trilogues et polylogues, mais ménage, sous forme de dilogues, les confidences entre Alissa et Élisabeth Alione.

Marguerite Duras construit ses scènes en pleine conscience des fonctionnements interactionnels, à un point tel qu’elle joue sur cette connaissance pour détourner ces relations, pour s’écarter de la norme, en conservant la structure du script qui leur est associé. Depuis Le Marin de Gibraltar, les échanges verbaux ont pris la première place dans le roman de Marguerite Duras dans un cadre où le fonctionnement pragmatique de la scène valorise la contribution du lecteur. Ce constat semble démentir ce que l’écrivaine dit de son écriture qui se fonderait sur « le mot »50 et la placerait à l’égal du Dieu biblique.

Notes

1 Gérard Genette, « Discours du récit », Figures III, Paris, Seuil, « Poétique », 1972, p. 129. Return to text

2 Ibid., p. 143. Return to text

3 Yves Reuter, « La notion de scène : construction théorique et intérêts didactiques », Pratiques, no 81, dir. par Yves Reuter, « Scènes romanesques », mars 1984, p. 5. Return to text

4 Catherine Kerbrat-Orecchioni, Les Interactions verbales, t. I, Paris, Armand Colin, 1990, p. 15. Return to text

5 Danielle André-Larochebouvy, La Conversation quotidienne, Paris, Didier-Crédif, 1984, p. 41. Return to text

6 C’est à ce niveau que peut apparaître un « bystander », un récepteur qui est un simple témoin de l’échange. Cette notion empruntée à Erwin Goffman par Catherine Kerbrat-Orecchioni se subdivise en deux groupes : on distingue les témoins dont « l’émetteur est conscient » (« eavesdroppers ») des seconds, les « overhearers », que sont les « intrus » ou les « épieurs » et dont l’émetteur n’est pas conscient (op. cit., p. 86). Return to text

7 Catherine Kerbrat-Orecchioni parle quant à elle de ces « participants ratifiés » en des termes qui relèvent pour nous plus du deuxième niveau que du troisième (loc. cit.). Return to text

8 Voir Isabelle Doneux-Daussaint, Le Dialogue romanesque chez Marguerite Duras : un essai de pragmatique narrative, Lille, ANRT, 2001, p. 657, [en ligne], disponible sur URL : http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2001/doneux_i#p=0&a=top, consulté le 20 déc. 2023. Return to text

9 Marguerite Duras, L’Après-midi de Monsieur Andesmas, Œuvres complètes, dir. par Gilles Philippe, t. II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2011 (désormais abrégé en AMM et inséré dans le corps du texte suivi de la mention OC, de la tomaison et de la pagination, comme pour l’ensemble des œuvres de l’auteure). Return to text

10 Roland Barthes, « L’attente », Fragments d’un discours amoureux [1977], Paris, Seuil, « Points essais », 2020, p. 55. Return to text

11 Maud Fourton, « Attente », Dictionnaire Marguerite Duras, dir. par Bernard Alazet & Christiane Blot-Labarrère, Paris, Champion, 2020, p. 60. Return to text

12 À l’instar de Mieke Bal, nous distinguerons la « focalisation par » de la « focalisation sur » (Narratologie : essais sur la signification narrative dans quatre romans modernes, Paris, Klincksieck, 1977, p. 29). Return to text

13 Roland Barthes, op. cit., p. 55. Return to text

14 Ibid., p. 56. Return to text

15 Loc. cit. Return to text

16 Voir Sylvie Durrer, « La déclaration d’amour : approches interne et externe », in La Dichiarazione d’amore = La Déclaration d’amour, dir. par Nadine Gelas & Catherine Kerbrat-Orecchioni, Gênes, Erga, 1998, p. 55. Return to text

17 Voir Jean Rousset, Leurs yeux se rencontrèrent : la scène de première vue dans le roman, Paris, Corti, 1984. Return to text

18 L’ « échange tronqué » est une appellation que l’on retrouve chez Catherine Kerbrat-Orecchioni pour caractériser « le cas où une intervention à prétention initiative ne donne lieu à aucune réaction, verbale ou non verbale, elle n’est tout simplement pas prise en compte par celui à qui l’on adresse » (op. cit., p. 235). Return to text

19 La notion de « politesse linguistique » apparaît chez Penelope Brown & Stephen Levinson (Politeness : Some Universals in Language Usage, Cambridge, CUP, 1987) ; elle consiste à envisager que tout interlocuteur d’une interaction possède deux « faces » – la première dite « face positive » (« face » chez Erving Goffman) et la seconde « face négative » (« territoire » chez Goffman) – et que tout acte de langage est menaçant pour l’une ou l’autre des deux « faces » des interlocuteurs. Cette théorie fut réaménagée par Catherine Kerbrat-Orecchioni (« La politesse dans les interactions verbales », Les Interactions verbales, t. II, Paris, Armand Colin, « Linguistique », 1992, p. 159-321). Return to text

20 Le volume consacré à La Déclaration d’amour (op. cit.), le chapitre intitulé « Je t’aime » des Fragments d’un discours amoureux (op. cit., p. 205-214), ainsi que Le Dialogue romanesque chez Marguerite Duras (op. cit., p. 692-699), constituent nos références de base pour analyser la scène de déclaration d’amour. Return to text

21 Catherine Kerbrat-Orecchioni est à l’origine de cette appellation (voir Les Interactions verbales, t. I, op. cit., p. 91-101). En fait, il s’agit d’une adresse indirecte : A paraît s’adresser à B, alors qu’il s’adresse sémantiquement à C. Return to text

22 Dans L’Homme assis dans le couloir, le « – Je t’aime » est suivi d’un « Toi », qui instaure une confusion entre amour et désir surtout quand le contexte est celui d’une scène de sexe, connotée d’une forme de possession, en raison de la posture qui sous-tend cette déclaration : « [l]e pied [de l’homme] aurait appuyé sur le corps » de la femme (OC III, p. 624). En outre, à la page 23 apparaît une autre déclaration, un autre « – Je t’aime », proféré cette fois par la femme et auquel l’homme répond par un « – Oui », faisant montre de la supériorité que lui confère ce savoir (p. 625-626). Return to text

23 Nous nous référons ici à Georges Bataille qui voit dans l’union des deux pulsions la nature même de l’érotisme (L’Érotisme, Paris, Minuit, 1957). Return to text

24 Sylvie Loignon, « Voyeurisme », Dictionnaire Marguerite Duras, op. cit., p. 679-681. Return to text

25 Voir à ce sujet Florence de Chalonge, « “Pourquoi l’argent ?”, pour quoi l’argent ? Le contrat dans La Maladie de la mort et Les Yeux bleus cheveux noirs de Marguerite Duras », Roman 20-50, no 59, 2015-1, p. 141-152. Return to text

26 Voir Jean Rousset, op. cit. Return to text

27 Isabelle Doneux-Daussaint, op. cit., p. 681. Return to text

28 Jean Rousset, op. cit., p. 44-45. Return to text

29 La rencontre aurait réellement eu lieu et l’homme dont il s’agit serait le frère de Prévert. Return to text

30 Jean Rousset, op. cit., p. 177. Return to text

31 Duras fait ici allusion à « la Lancia noire de George Crawn » qui apparaît dans l’œuvre pour la première fois dans Le Vice-consul, en 1966 (OC II, p. 637). Return to text

32 Voir Erving Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne, t. 1 : La Présentation de soi, trad. de l’anglais par Alain Accardo, Paris, Minuit, « Le sens commun », 1973. Return to text

33 Ibid., p. 146. Return to text

34 Ludi et Gina sont une transposition littéraire du couple Elio et Luigia Giovanna (dite Ginetta) Vittorini, avec lesquels Duras passa ses vacances plusieurs étés de suite après-guerre (Elio Vittorini est une figure littéraire de la gauche antifasciste). Return to text

35 Pierre Lepape, Scènes de ménage : une anthologie, Paris, PUF, 2015, p. 11 et sq. Return to text

36 Pour la question des différences entre la version « roman » (1955) et la version « théâtre » (1965) du Square, voir dans ce numéro l’article de Jérémie Majorel (« L’hypotypose contrariée : Le Square [version théâtrale, 1965] de Marguerite Duras »). Return to text

37 Catherine Kerbrat-Orecchioni, Les Interactions verbales, t. II, op. cit., p. 195-223. Return to text

38 Voir Sylvie Durrer (« La gestion de l’impudeur dans l’interview-portrait de presse écrite », in Politesse et idéologie : rencontres de pragmatique et de rhétorique conversationnelles, dir. par Michel Wauthion & Anne-Catherine Simon, Louvain-la-Neuve, Peeters, 2000, p. 246-261) et Isabelle Doneux-Daussaint (« Confidences romanesques : vraies ou fausses confidences ? », in Confidence : le dévoilement de soi dans l’interaction, dir. par Catherine Kerbrat-Orecchioni & Véronique Traverso, Tübingen, Niemeyer, 2007, p. 183-203). Return to text

39 Apostrophes, « Marguerite Duras », 28 sept. 1984, 1 h 16’ 19’’, retranscrit sous le titre « Un succès populaire inouï », dans Marguerite Duras, Le Dernier des métiers : entretiens 1962-1991, éd. par Sophie Bogaert, Paris, Seuil, 2016, p. 287-324. Return to text

40 Bernard Alazet, « Triangulation », Dictionnaire Marguerite Duras, op. cit., p. 637-639. Return to text

41 Ibid., p. 638. Return to text

42 Marguerite Duras, Abahn Sabana David, Paris, Gallimard, 1970. Return to text

43 Id., Yann Andréa Steiner, Paris, POL, 1992. Return to text

44 Isabelle Doneux-Daussaint, Le Dialogue romanesque chez Marguerite Duras, op. cit., p. 835. Return to text

45 Ibid., p. 815. Return to text

46 Elle se décroche réellement la mâchoire au point de devoir aller chez le jeune médecin de son clan, le Dr Cottard, se la faire raccrocher (Marcel Proust, Du côté de chez Swann, II : Un amour de Swann, À la Recherche du temps perdu, t. I, éd. par Jean-Yves Tadié, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1987, p. 186). Return to text

47 Marcel Proust, Le Côté de Guermantes, II, À la Recherche du temps perdu, op. cit., p. 884. Return to text

48 Voir un résumé de ces perspectives marxistes chez Laélia Véron & Alix Bouffard (« De Marx à Balzac : fondements théoriques d’une lecture marxiste de la Comédie humaine par Lukács », Humarom, juin 2016, hal-03438680, consulté le 15 déc. 2023). Return to text

49 Francis Berthelot, Parole et dialogue dans le roman, Paris, Nathan, « Université », 2002, p. 75. Return to text

50 Hervé Le Masson, « “L’inconnue de la rue Catinat” : entretien avec Marguerite Duras », Le Nouvel Observateur, 28 sept. 1984, retranscrit sous le titre « La permanence rétinienne de la mémoire », dans Marguerite Duras, Le Dernier des métiers, op. cit., p. 282. Return to text

References

Electronic reference

Isabelle Doneux-Daussaint, « Des interactions verbales aux scènes romanesques chez Marguerite Duras », Cahiers Marguerite Duras, [online], 3 – 2023, Online since 01 juin 2024, connection on 06 février 2025. URL : http://www.peren-revues.fr/cahiersmargueriteduras/529

Author

Isabelle Doneux-Daussaint

Haute École Robert Schuman
isa.daussaint@skynet.be