Emily L. de Marguerite Duras ou « laisser tout dans l’état de l’apparition »

DOI : 10.54563/cahiers-duras.900

Abstracts

L’enjeu est d’étudier pour Emily L. (1987) le style vocal que Duras adopte au début des années 1980 et qui se manifeste comme l’un des traits majeurs de son « écriture courante ». Identifier le « modèle vocal » que suit cette œuvre suppose de la rapporter à ses choix poétiques (l’« autofiction spéculaire » où la fable procède de la présence réflexive d’une figure auctoriale) et stylistiques (le discours indirect dominant). Si l’un des traits de la vocalité renvoie chez Marguerite Duras aux relâchements et aux ruptures d’une langue parlée qui aura voulu « laisser tout dans l’état de l’apparition », dans Emily L., demeurent cependant les accents d’une « belle langue », plus poétique que classique.

For Emily L. (1987), the aim is to study the vocal style that Duras adopted in the early 1980s, which emerged as one of the major features of her “écriture courante”. Identifying the “vocal model” followed by this work implies relating it to her poetic (the “specular autofiction” in which the fable proceeds from the reflexive presence of an auctorial figure) and stylistic (the dominant indirect discourse) choices. While one of the features of Marguerite Duras’s vocality refers to the looseness and ruptures of a spoken language that wanted to “laisser tout dans l’état de l’apparition”, in Emily L. there remain the accents of a “beautiful language”, more poetic than classical.

Outline

Text

« Vocalisation spontanée », « verbalisation immédiate » sont les termes à l’aide desquels Philippe Vilain, lecteur admiratif de Marguerite Duras, spécialiste de l’autofiction et adepte du genre, décrit, dans un entretien de 2024, « l’écriture courante » de l’auteure1.

Selon Sandrine Vaudrey-Luigi, la langue romanesque de Marguerite emprunte à deux « métapatrons » de la langue, au « modèle vocal », qui cherche par l’écrit à « restituer la voix en tant que medium », mais aussi à la « belle langue », celle qu’on dit « classique »2. Ce style vocal se développe dans les années 1950-1960 donnant lieu à des « romans de voix »3 au nombre desquels, dès Moderato cantabile (1958)4, se comptent les romans de Marguerite Duras.

On sait qu’à partir des années 1980 la facture des œuvres de Marguerite Duras se modifie à bien des égards. En particulier, l’autrice a recours à un dispositif énonciatif renouvelé qui justifie pleinement que l’on s’intéresse à l’être discours5 de récits désormais menés à la première personne et représentant, par l’adresse, une littérature de la « vocation »6. Il ne s’agira donc pas ici de reprendre dans le détail l’étude de la langue romanesque de Marguerite Duras, mais de mettre en évidence le caractère vocal d’Emily L. (1987), y compris pour ce que le texte conserve d’un certain écrire classique.

Une « autofiction spéculaire »

En 1980, la « dernière Duras »7 retourne à l’écrit après une décennie où l’œuvre est principalement filmique. Elle y promeut une « écriture courante » (le nom est trouvé en 1984 dans L’Amant) qui, du point de vue énonciatif, se distingue par l’introduction d’un « je » à caractère auctorial. En ce qui concerne cette confrontation assumée du biographique et du fictionnel, Duras suit deux voies. La première est rétrospective : L’Amant (1984) et L’Amant de la Chine du Nord (19918) reviennent sur l’enfance et l’adolescence vécues en Indochine ; La Douleur (1985) met en lumière les années d’Occupation à Paris. La seconde, à laquelle appartient Emily L. (1987), nous projette dans l’actualité de l’écrivaine. Dans cette dernière période de l’œuvre, celle qui parle, et raconte, n’est donc pas une simple narratrice, mais s’affirme comme une figure d’écrivain ou de cinéaste ; dans ce cadre, elle entretient une relation privilégiée avec un « vous » auquel elle s’adresse, mais aussi qu’elle évoque, de sorte que son interlocuteur acquiert un statut de personnage et, au cinéma, fait l’acteur. S’écrit ainsi la vie amoureuse et littéraire de ces deux protagonistes9. On assiste à leur rencontre dans L’Été 80 (1980), qui sera reprise et développée dans Yann Andrea Steiner (1992) ; on apprend leur séparation, que l’on a pu croire définitive, avec le film de L’Homme atlantique (1981, devenu un livre en 1982) ; on suit les tourments de la création et leurs affres amoureuses en lisant La Pute de la côte normande (1986) ; on les accompagne, pacifiés, dans Emily L. dans leurs promenades en voiture jusqu’à Quillebeuf où l’écrivaine fait surgir la fable du spectacle du monde. Enfin, C’est tout (1995) retranscrit un dialogue intime ante mortem.

« Il faut faire un livre, mettre cet amour dehors », intimait déjà Duras à Yann Andréa dans une lettre de juin 198110. Dans Emily L., nous lisons une version du « dehors » de ce couple pour laquelle Marguerite Duras établit la ressemblance, mais s’interdit l’identification, entre la narratrice (désignée comme « la femme de ce récit », EL, p. 14) et elle. De la même façon, à « [l’]homme aux yeux rieurs et aux cheveux blonds » (EL, p. 129), à celui qui « la regarde » (EL, p. 14), n’est pas donné de nom11 ; inscrit dans l’un des premiers tapuscrits du texte12, « Yann » disparaît ensuite pour être remplacé par le « vous » de l’adresse et les rares périphrases qui le désignent, faisant en quelque sorte de l’anonymat un « procédé de codage »13 par défaut. De même, au cours de la rédaction, Duras a effacé les biographèmes trop voyants tout en cultivant la proximité entre elle et la narratrice. Alors que celle-ci explique à son compagnon qu’en raison de son « enfance », elle ne pouvait être « pareille aux Français de France » (EL, p. 53), elle précise :

J’ai encore parlé des Asiatiques. J’ai dit qu’ils étaient cruels et joueurs de cartes et voleurs et hypocrites, et fous, que je me souvenais bien des animaux en Indochine, tous squelettiques et pleins de gale comme dans le sud de l’Espagne et en Afrique noire (EL, p. 64, je souligne).

Au cours de l’écriture, cette longue phrase, où la polysyndète mime les remontées de l’anamnèse, a remplacé une mention qui comportait des allusions à la concession incultivable achetée, à la fin des années 1920 par la mère de Marguerite Duras, sur le golfe de Siam. Dans le tout premier avant-texte d’Emily L., une sorte de matrice du roman constituée d’un ensemble de six feuillets, il était écrit :

Je me souviens des chiens en Indochine, très squelettiques et pleins de plaies. L’enfance m’est revenue, et les chiens moribonds de la plaine et ma mère terrassée par [le malheur biffé], ses récoltes brûlées par la mer14.

Le texte définitif éloigne ainsi la narratrice d’Emily L. de l’auteure du Barrage contre le Pacifique (1950), de L’Éden Cinéma (1977), de L’Amant et de L’Amant de la Chine du Nord. Si l’auteure joue avec un lecteur qui ne peut faire autrement que de regarder ce couple comme un avatar de la dyade Marguerite Duras-Yann Andréa, ce n’est qu’à l’épitexte que sera confiée, à la sortie du livre, l’identification des deux protagonistes. Emily L. porte donc le sous-titre « roman ».

La dimension romanesque du livre renvoie au caractère de la fable qui s’invente sous le regard de l’écrivaine, installé avec son compagnon à Quillebeuf, au « café de la Marine », devant une vieille femme alcoolique qui, au bar, « ne regard[e] que le sol » (EL, p. 21), tandis que, lui, « le Captain port[e] une tenue blanche de yachtman » (EL, p. 32) et « regard[e] vers elle, ou parfois vers le miroir derrière l’étagère du bar » (EL, p. 21). « Sur le bar devant eux, il y a la bouteille vide de Pilsen noire forte et le verre à whisky », remarque l’écrivaine (loc. cit.). Remontant le temps à partir de son personnage éponyme, ce sont de douloureuses et d’impossibles passions amoureuses que la narratrice imagine.

La perspective autobiographique s’affirme quant à elle par la présence du couple de la narratrice et de l’homme « aux cheveux blonds » (EL, p. 60) sur les lieux du récit, mais aussi par la teneur de leurs conversations qui accordent une place centrale au « sujet de l’écriture » (EL, p. 56). En effet, la narratrice apprend à son compagnon qu’elle a « décidé d’écrire [leur] histoire » (EL, p. 21) :

Il y a ce dialogue entre Yann Andréa et moi dans Emily L., qui commence avec le livre, […] et qui continue avec une conversation sur lui et moi, sur notre amour, sur l’amour que j’ai pour lui et l’amour qu’il n’a pas pour moi, qu’il croit ne pas avoir pour moi, dont il pourrait jurer qu’il ne l’a pas pour moi, dont je suis seule à savoir qu’il l’a15.

On sait que l’autobiographie et le roman autobiographique sont tous deux mis en jeu par l’autofiction. Dans les années 1970, ce nouveau genre promu par Doubrovsky16 s’apparente à une version postmoderne de l’autobiographie, redevable d’une acception de la fiction élargie à toute narrativité, et remarquable en l’affirmation de sa dimension critique. S’y raconte une vie d’écrivain et d’écriture qui, d’être racontée, en devient fictionnelle. Autrement, et pour peu que le romanesque s’y loge, faisant signe à la transposition, l’autofiction entre aussi en compétition avec le roman autobiographique, si l’on renvoie par le terme non pas à un roman personnel à clefs dont le moteur serait la dissimulation, mais à un genre qui cultive l’ambiguïté. Philippe Gasparini suggère en effet que le roman autobiographique relève d’une « stratégie délibérée de double affichage générique »17 et que c’est ainsi qu’il peut se distinguer de toute autre production romanesque. Pour exemple, il précise qu’il ne serait pas « pertinent de classer L’Éducation sentimentale ou Le Mystère Frontenac dans cette catégorie. Flaubert et Mauriac n’ayant pas délibérément saturé ces romans d’indices renvoyant à leur propre vie »18.

La composition qu’élabore Duras est originale : l’auteure distingue le plan autobiographique du plan romanesque pour mieux les faire miroiter à partir des ressemblances qu’ils supportent : « Ce couple se superposait au nôtre »19, confiait Duras dans le cadre d’entretiens avec Jérôme Beaujour, à l’origine de La Vie matérielle. Elle précisait : « comme cette femme, j’étais alcoolique, comme elle j’étais âgée et comme elle j’avais un amant beaucoup plus jeune que moi. Et comme elle, j’étais désespérée »20. À ce titre, Emily L., roman autobiographique, correspond, à reprendre la typologie de Vincent Colonna, à cette « autofiction spéculaire » qui installe l’auteur « dans un coin de son œuvre » et « réfléchit […] sa présence comme le ferait un miroir »21.

Discours : oralité et vocalité

Comprendre le « modèle vocal » d’Emily L. suppose de le rapporter à la qualité d’« autofiction spéculaire » de l’œuvre. Par le dispositif, la part belle semble faite à l’oralité, puisque c’est la présence de l’écrivaine et du jeune homme à Quillebeuf qui fournit le cadre énonciatif premier. Leur conversation qui structure tout le livre porte successivement sur trois points bien distincts : (1) la peur éprouvée par la narratrice à l’arrivée en masse de prétendus Coréens en visite à Quillebeuf, qui lui vaut en retour les railleries de son compagnon ; (2) l’histoire qu’elle projette d’écrire sur les amours pas tout à fait défuntes du couple qui s’élargit en un dialogue sur l’être et la condition de l’écrivain ; (3) enfin, la vie actuelle, et passée, du couple des Anglais alcooliques que l’écrivaine et le jeune homme contemplent à l’intérieur du bar de la Marine.

Le dialogue

On a pu dire qu’Emily L. s’apparentait à un « roman de l’entretien »22, en raison du « sujet de l’écriture » (EL, p. 56) qui est le seul véritablement restitué sous la forme dialogale. En effet, entre l’écrivaine et le jeune homme, décrit par la narratrice comme un « écrivain » qui n’écrit pas23, un long dialogue s’étend sur plusieurs pages (p. 22-27, puis p. 55-62). Il est réfracté entre les deux personnages de la poétesse Emily L. et du « jeune gardien » (EL, p. 110) de sa villa à l’île de Wight, amoureux et admiratif de son art (p. 112-119). C’est le sujet qui semble dicter le mode : l’écrivain s’entretient avec celui qui peut le comprendre, et surtout le mettre en valeur. Là se dépose la dimension critique, métalinguistique, que comportent les autofictions d’écrivain.

En ce qui concerne le dernier point conversationnel qui renvoie aux Anglais du bar, dont l’existence, présente et passée, est reconstituée, on comprend que, pour le jeune homme et l’écrivain, il leur fallait être « ensemble pour les entendre », commente Duras, afin de « prendre pour eux »24 ce qu’ils disaient et vivaient.

Ainsi, la première personne est dotée d’une puissance auctoriale, et plus encore, d’une puissance auctoriale en acte. Supposé témoigner, le « je » « qui voit et qui raconte »25 s’attache à ce qu’il voit et, cela va sans dire, à ce qu’il entend – comme les bribes d’anglais du Captain et de sa femme l’attestent –, de sorte que soit entretenue l’illusion d’une présence performative :

Maintenant, on dirait que les voyageurs parlent. Ils disent des phrases incomplètes, très espacées, et aussi, de temps en temps, des mots sans suite. Mais petit à petit on arrive à savoir de quoi ils parlent.
– What a shame… I was longing to go home…
– 
Don’t think about it, dear… please…
– 
Oh dear, I’m so tired. Exhausted… Such a pity… Especially now, just when…
– 
Yes, yes, my dear. Don’t think about it. There’s nothing to be done.
– 
No… I’m not… It’s just that…
– 
No, don’t. Please…
– 
All right, darling… You’re so sweet… Do forgive me.
Le bateau du voyage, c’était bien de ça qu’ils parlaient. […] C’était possible que ce fût cela » (EL, p. 65-66).

Le lecteur tend lui aussi l’oreille pour suivre un échange reproduit non pas dans le chaos de sa profération, mais reconstitué au sein d’un discours direct, autrement dit en anglais. Si raconter semble ici tenu pour rapporter, le procédé reste en réalité local. D’une manière générale, la « femme de ce récit » conserve le privilège narratif, y compris lorsque son compagnon, « l’homme aux yeux rieurs » (EL, p. 107), relance l’histoire :

Comme d’habitude à cette heure-ci, ils sont ivres.
Vous dites qu’il leur restait seulement à résoudre le problème de la mort. Qu’ils le résoudront un soir comme celui-là. Qu’ils décideront d’un lieu pour le faire. Qu’ils se tiendront à cette décision. Vous avez une idée de l’endroit ? Vous dites : Le détroit de Malacca. C’est soudain. Un soir. Elle voyagerait donc encore ? Vous souriez : – Le bruit court, oui (EL, p. 130-131).

Les énoncés au discours indirect dominent, même si par le futur, et le débordement phrastique, les complétives26 donnent une certaine autonomie au discours rapporté. Ils introduisent à un bref dialogue contrôlé par la narration : fait de questions/réponses, l’échange conversationnel se clôt sur la prise de parole du personnage, elle-même encadrée par un syntagme qui décrit l’émotion qui préside à la réplique. Faisant allusion à un « bruit qui court », la réponse est sortie du silence du texte pour, elle seule, résonner à l’oreille du lecteur (le tiret semble l’indiquer).

Parce que la primauté de la voix narrative est maintenue, le discours dominant accommode aussi la voix du jeune homme. C’est l’écrivaine qui régit ce style vocal approchant jusqu’à les confondre des énonciations caractérisées par une complexité discursive fondée sur l’hétérogénéité, mais dont le principe recteur reste ici le discours indirect (signalé par la présence du verbe introducteur – les récurrents « je dis que / vous dites que » du texte – qui indique conventionnellement la hiérarchie des discours).

On l’aura compris, si Emily L. est fondamentalement fait de discours rapportés, le dialogue n’est pas le moyen dominant de la conversation ; en effet, il ne s’agit nullement ici d’un roman dialogué à la vocation théâtrale, du type de ceux qu’écrit Duras dans les années 1950-1960, tels Le Square (1955) ou L’Amante anglaise (1968), ni même de l’un de ceux où le dialogue domine, comme Moderato cantabile (1958) ou Détruire, dit-elle (1969). Emily L. n’est pas non plus un récit enchâssé avec un cadre conversationnel premier qui ouvrirait à un second niveau où les personnages du Captain et de sa femme deviendraient narrateur et narrataire, instituant un récit intérieur placé sous leur responsabilité directe (à la manière de Peter Morgan qui nous donne à lire le récit de la mendiante dans Le Vice-consul [1966]).

Voyons le moment où, au bar, le Captain sorti des brumes de l’alcool éructe. Son invective qui appelait le monologue (ou le soliloque, mais ici le discours ne porte pas de marques d’adresse) est caractéristique du passage qu’avec constance le texte opère de l’oralité à la vocalité :

Il injurie, le Captain. Il ne veut plus rien voir, ni l’été, ni ce pays, ni ce temps, ni ces gens. Qu’elle seule au monde, my darling.
C’est trop grand pour eux maintenant, un soir d’été, c’était trop, c’était trop loin de la rive des fleuves, du bateau, c’était trop loin, ce n’était plus possible. Il fallait abandonner ça maintenant, et sérieusement, les bains de mer aussi, les marches dans la forêt, les stations dans les bars. Il faut abandonner. Elle est trop fatiguée maintenant, sans plus de force pour aller et venir, tenir tête. D’ailleurs, elle n’a plus de souliers. Les souliers qu’elle a, elle les a depuis dix ans, ils sont terminés. La sorte de souliers qu’elle voulait, ceux qu’elle avait toujours portés, petit à petit, ils n’y avaient pas pris garde, on les avait trouvés de moins en moins dans le commerce. Maintenant, c’était plus du tout qu’on les trouvait (EL, p. 104-105, je souligne).

Même s’il n’y a pas de recul temporel et que, par le présent et la profération (« Il injurie, le Captain »), une concomitance entre le dire et le dit digne du discours direct est suggérée, la prise de parole du personnage conserve une sorte d’éloignement énonciatif en raison de l’emploi dominant des styles indirect et indirect libres (qui ne réservent qu’éventuellement – seule une deuxième personne aurait pu le certifier, puisque la femme est à côté du Captain au bar – une place au discours direct libre, ici en italique).

Le récit

Chez Duras, la matière romanesque s’étoffe en superposant ou en enchâssant plusieurs histoires. De fait, dans Emily L., on découvre trois histoires, toutes plus ou moins révolues : il y a celle entre l’écrivaine et son compagnon « qui n’en finissait pas de mourir » (EL, p. 21) ; celle entre le Captain et sa femme, la petite « iguane », « [a]rrivés là à la fin du dernier voyage, à la fin de la vie […] dans cette humilité d’avant la mort » (EL, p. 31). Et enfin, une troisième histoire donne à la femme du Captain l’identité d’une poétesse (c’est d’ailleurs la première et la seule fois qu’un tel personnage apparaît dans l’œuvre de Duras). Après un enfant mort à la naissance et une vocation stoppée net par la disparition d’un poème détruit par son mari, la jeune poétesse Emily L. vit une impossible histoire d’amour (forclose avant même d’avoir été vécue) avec le jeune gardien qui l’a baptisée poète (pour ce personnage, Duras avait d’abord pensé à Emily Brontë, mais emprunte finalement à Emily Dickinson, la poétesse américaine, quelques vers de son poème « There’s a Certain Slant of Light » qu’elle dérime27).

Pour cette histoire, le mode de restitution au lecteur change. L’écrivaine s’émancipe de la présence des figures du bar et projette les deux personnages dans un passé fabulé. Mené par l’écrivaine à l’intention de son compagnon, le récit se déroule en quatre temps28. À son commencement, un tiret souligne l’oralité de la prise de parole :

– C’est sans doute au cours de ces dix années passées à attendre la mort des parents que quelque chose était arrivé qui les avait décidés à passer le temps de l’amour dans le voyage sur la mer pour à la fois ne faire rien de cet amour et, cependant, le retenir (EL, p. 73).

Ce premier récit se clôt avec un « Vous avez écouté l’histoire. Vous avez dit à votre tour que c’était bien ce qui était arrivé entre eux » (EL, p. 89). La narratrice adopte ici la figure de la conteuse, de la raconteuse d’histoires, à l’intention de son compagnon, qui occupe la place du narrataire : l’enchâssement – qui, on l’a dit, n’existe pas entre les deux couples – est ici digne des romans à tiroirs. Le lecteur suit ainsi les grandes étapes de la vie d’Emily L. entrecoupées par des retours au présent du bar où il arrive que l’écrivaine et le jeune homme remettent en jeu la cohabitation avec leurs sujets : « Trop près d’eux, nous en étions étouffés. Il fallait s’en éloigner un peu pour les voir ensemble, les prendre avec nous. Nous avons quitté ce côté-là du bar » (p. 90).

Le tout dernier épisode n’aura plus besoin du regard et de l’écoute : il est raconté par l’écrivaine à la demande du jeune homme, lors du retour en voiture à leur domicile et est introduit ainsi : « Vous me dites que vous voudriez savoir encore sur les gens de l’île de Wight » (p. 146). Ce moment ultime, qui correspond à un ajout de dernière minute par Duras sur les épreuves du livre29, fait signe à un romanesque échevelé en racontant la quête éperdue du jeune gardien amoureux pour retrouver à travers les mers, et jusqu’aux îles du Pacifique Sud, la trace d’Emily L., qu’il renoncera à approcher.

Dans ce cadre, le passé d’Emily L. s’émancipe du cadre énonciatif institué par le présent de la conversation de l’écrivaine et de son compagnon : ni le « je » ni le « vous » n’interfèrent, tandis que l’imparfait et le plus-que-parfait régissent ces énoncés, rejetant les événements dans l’indéfini temporel de la fiction. Ainsi s’affirme son autonomie. Cependant, en son sein, le style vocal ne disparaît pas, bien au contraire. Les faits retranscrits s’apparentent le plus souvent à des discours ou à des pensées rapportés au discours indirect. Ainsi en est-il du récit des circonstances de la publication des poèmes d’Emily L. :

Le père était mort sans avoir appris l’existence du poème sur la lumière d’hiver.
Les dix-neuf poèmes avaient tous été publiés par le père. D’abord dans une revue spécialisée de Londres et ensuite dans une brochure sous son nom de jeune fille. Elle ne l’avait jamais su. Le Captain croyait qu’elle ne le saurait jamais plus. Que c’était trop tard.
Le nouveau gardien de la villa avait dit au Captain que du courrier était arrivé à son nom à elle, the lady, et qu’il l’avait renvoyé à l’adresse de l’éditeur de Londres comme le père avait demandé de faire avant de mourir. Il avait dit aussi que des jeunes gens étaient venus pour la voir, elle, the lady, dès la première année de la publication. Et qu’il y en avait tous les ans un peu plus. Et que chaque année il y en avait des nouveaux.
Ce gardien avait été engagé par le père peu avant sa mort. Pour le principal le père lui avait parlé de l’histoire de sa fille (EL, p. 109-110).

C’est à travers les échanges discursifs, entre le Captain, le gardien et le père de la poétesse, que progresse la connaissance de l’histoire. La conteuse fait appel aux dires des uns et des autres qu’elle confronte. Et, lorsqu’elle prend seule en charge les énoncés, on y décèle un art de la répétition qui évoque le style formulaire des contes :

Eux, les parents, n’avaient jamais cédé. Ils n’avaient jamais regretté. Même au moment de mourir. Et eux non plus, les enfants, ils n’avaient jamais cédé, jamais regretté (EL, p. 74).

La description

Le dernier mode qui relève exclusivement de la narratrice est celui de la description : quelques rapides portraits des personnages au bar sont brossés, mais c’est surtout le paysage que les protagonistes traversent en voiture pour venir jusqu’à Quillebeuf, et en repartir, ou encore ceux du petit port, qui donnent lieu à des fragments descriptifs relativement autonomes.

Si la voix de la narratrice, en charge de ces segments introduits au moyen d’un « on » énonciatif, ne s’éteint pas, elle se fait parfois plus discrète :

Au sortir de la forêt, on arrivait dans un pays aride, un grand plateau en plein vent, nu, une prairie maigre, pelée, à perte de vue. L’Amérique, on disait. La forêt recouvre le flanc sud du plateau, mais sur le plateau lui-même il y a très peu d’arbres. Les villages sont petits, vides, un café-tabac pour trois fermes, une laiterie communale et l’église, elle est haute et robuste comme une forteresse. Autour, le cimetière, trois siècles de morts, il prend à lui seul la moitié du village. Il n’y a pas d’arbres, sauf des petits poiriers mal venus aux angles des champs. Ça ne pousse pas, à cause de la craie. La prairie est pauvre, les champs. C’est la craie. Elle ne retient pas l’eau (EL, p. 30, je souligne).

L’intrusion du discours direct libre, la dislocation syntaxique, la parataxe, le recours à l’ellipse, la négligence lexicale, ainsi que l’actualisation par le présent, sont les caractères dominants d’une vocalité qui ne renonce pas à un certain « gauchissement »30 de la langue.

Il arrive toutefois que la description du paysage soit dans Emily L. l’occasion d’une élévation poétique de cette prose vocale :

On commence à être à Quillebeuf dès la montée sur le plateau crayeux. À chaque tournant on sort de la forêt obscure et on traverse des zones d’éclatement solaire. Des parcelles déboisées aménagées dans l’humidité de la forêt pour les troupeaux les mauvaises années. Puis on quitte la lumière pour de nouveau retourner à la nuit. On crie de bonheur parce que c’est là aussi que l’été commence. Dans les alternances de la nuit et de la lumière. Dans le ruissellement des eaux. Dans les marais baignés par les sources. Fertiles comme des jardins. C’est ici, à l’emplacement des champs, à celui des ormes gris, que se produit l’inondation quotidienne. Ça se passe vers l’embouchure tourbillonnante. Le jeune fleuve était là déjà. La mer prenait le tout des eaux salées et des eaux douces. Elle polissait les murs. La course des vagues dans le vent, qui dira jamais ? (EL, p. 29, je souligne).

L’énonciation construite sur le « on » des voyageurs se conclut ici par l’introduction d’un sujet lyrique. Le « qui » du « qui dira jamais », porté par un adverbe dont la valeur positive – « qui un jour saura le dire ? » –, n’est plus identifiable à « la femme de ce récit ». Il vient colorer poétiquement l’expressivité de l’interrogation lyrique ; à la manière d’un poème, l’énoncé s’émancipe des circonstances qui l’ont vu naître.

Si dans la description peuvent cohabiter « belle langue » et langue parlée, c’est cette dernière qui sature le texte au point que, lorsqu’on l’examine, au niveau de la phrase ou du paragraphe, on trouve presque toujours trace de sa présence.

Phrase et phrasé

« Elle, elle entendait. Elle souriait, contente de ça, que la mer fût bonne, calme » (EL, p. 19, je souligne).
« Vous n’écoutez pas ce que je dis sur la peur parce que vous êtes quelqu’un qui a peur et qui croit que sa peur à lui, personne ne peut savoir quelle elle est » (EL, p. 52, je souligne).
« On les regarde. […] Là, dans cette humilité d’avant la mort, ces voyageurs à nous donnés » (EL, p. 31, je souligne).
« Ainsi, l’aviez-vous remarqué ? il n’y avait aucune femme avec eux, mais à un tel point que c’était comme institutionnel ici de n’en pas avoir » (EL, p. 49, je souligne).

Dans ces énoncés, l’empreinte du style vocal s’affronte à un certain archaïsme (signalé en italique), principalement d’ordre syntaxique, qui ne relève pas cependant du registre poétique. Le phrasé délié et contourné, qui défie la norme du bien écrire, fait place en résolution de phrase à une forme percutante et élevée, aux accents classiques. Ce jeu entre les niveaux de langue qu’introduit Duras est particulièrement sensible lorsque, à l’ouverture d’Emily L., la narratrice s’essaie à traduire les termes de la toute première conversation entre le Captain et sa femme dont elle se veut le témoin :

Ils ne parlaient pas d’une façon suivie mais de loin en loin et si bas qu’il suffisait d’un rien, du bruit d’une voix lointaine pour recouvrir la leur. Mais du peu de ce qu’on entendait il apparaissait qu’ils étaient ennuyés à cause d’un empêchement à quitter l’endroit, une panne de moteur d’un véhicule non défini. À moins qu’il se fût agi d’un voyage qu’ils avaient projeté de faire et que cette panne rendait caduque. Leur conversation était parfois encombrée de termes techniques, mais eux-mêmes s’y perdaient un peu. Et, vite, ils abandonnaient (EL, p. 18-19, je souligne).

La transposition procède en deux temps. Un premier énoncé (ici souligné), très alambiqué, laborieux, marque l’effort de la reconstitution : la narratrice entend mal et façonne avec difficulté (« il apparaissait que ») et approximation (« non défini ») l’écoute qui est la sienne. En effet, il importe qu’à ce stade du récit le lecteur ait connaissance tout à la fois des conditions d’énonciation et de la chose énoncée. Puis, le « je » (à l’intérieur d’un « on » énonciatif) fait montre du pouvoir qui est le sien et prend du recul vis-à-vis des événements pour se rendre maître de leur restitution. L’écrivaine passe de l’écoute à l’interprétation, au moyen d’une phrase hypothétique, nous rappelant que la fiction est le monde des possibles : « À moins qu’il se fût agi d’un voyage qu’ils avaient projeté de faire et que cette panne rendait caduque », suggère-t-elle. Équilibré, précis, soigné, le nouvel énoncé – avec un subjonctif imparfait – est avancé : le romanesque « voyage » remplace alors l’« empêchement », bassement prosaïque. À la sortie d’Emily L., le critique du Monde, Bertrand Poirot-Delpech de l’Académie française, avait fait à Duras le reproche de s’autopasticher : « […] nous voilà dans un nouveau Duras ; ou dans un autopastiche, ce qui revient au même »31, écrivait-il. On décèle dans cette reformulation ce qu’on identifie comme un essai de contre-pastiche ; par contraste, cet impeccable énoncé classique renforce l’évidence qu’Emily L. est délibérément placé sous le signe de la vocalité.

Dans Emily L., le « modèle vocal » de Duras trouve une expression qu’il faut rapporter à des choix poétiques (l’autofiction spéculaire) et stylistiques (la domination du discours indirect). Son credo est rappelé dans l’explicit : il faut « [l]aisser tout dans l’état de l’apparition ». L’injonction suppose d’écrire « selon soi et selon le moment qu’on traverse » et conduit à « jeter l’écriture au-dehors, la maltraiter presque, oui, la maltraiter » (EL, p. 153-154). Ainsi le texte fait rarement place à la « belle langue » ou plutôt, lorsqu’elle est présente, il sollicite une langue plus poétique que classique, car Emily L. – que Duras qualifie à sa sortie de « poétiquement romanesque »32, pour un poétique émule du romanesque – renvoie à des images souvent incongrues qui tordent la langue, comme nous le montre ce dernier exemple :

Quand les silences se faisaient jour dans la salle on entendait cet anglais qu’ils parlaient entre eux et on le reconnaissait (EL, p. 18, je souligne).

Notes

1 Simona Crippa, « Philippe Vilain : “Ce qui me fascine le plus chez Duras, c’est son pouvoir de produire une parole transcendante, prompte à atteindre la puissance du mythe” », Collatéral, 30 avril 2024, [en ligne], URL : https://www.collateral.media/post/philippe-vilain-ce-qui-me-fascine-le-plus-chez-duras-c-est-son-pouvoir-de-produire-une-parole-t, consulté le 4 févr.  2025 ; voir Philippe Vilain, Dit-il : d’après L’Été 80 de Marguerite Duras, Nantes, Cécile Defaut, 2011 ; L’Autofiction en théorie suivi de Deux entretiens avec Philippe Sollers et Philippe Lejeune, Chatou, Transparence, 2009. Return to text

2 Sandrine Vaudrey-Luigi, « La langue romanesque de Marguerite Duras : du style simple à l’écriture courante », in La Simplicité, dir. par Sophie Jollin-Bertocchi, Lia Kurts-Wöste, Anne-Marie Paillet, Claire Stolz, Paris, Champion, « Bibliothèque de grammaire et de linguistique », 2017, p. 249-250. Return to text

3 Voir Jean-Pierre Martin, La Bande sonore : Beckett, Céline, Duras, Genet, Perec, Pinget, Queneau, Paris, Corti, 1998, p. 38. Return to text

4 Céline représente l’un des premiers romanciers à ouvrir cette ère de la vocalité dans la littérature française. Est-ce la raison pour laquelle l’incipit d’Emily L. (« Ça avait commencé par la peur ») fait signe à la première phrase du Voyage au bout de la nuit (1932) : « Ça a débuté comme ça » ? Return to text

5 « Il y aurait […] un “devenir discours” de la littérature française contemporaine » que Christelle Reggiani date des années 1980 (« Le texte romanesque : un laboratoire des voix », in La Langue littéraire : une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, dir. par Gilles Philippe & Julien Piat, Paris, Fayard, « Littérature française », 2009, p. 149). Return to text

6 Christelle Reggiani, Éloquence du roman : rhétorique, littérature et politique aux xixe et xxe siècles, Genève, Droz, 2008, p. 136. Return to text

7 Voir Florence de Chalonge, « La dernière Duras : autour d’un roman de l’entretien », in Le Roman français de l’extrême contemporain : écritures, engagements, énonciations, dir. par Barbara Havercroft, Pascal Michelucci et Pascal Riendeau, Québec, Nota bene, 2010, p. 25-44. Return to text

8 Dans L’Amant de la Chine du Nord, le récit n’est pas mené à la première personne. Duras précise à l’ouverture : « La voix qui parle ici est celle, écrite, du livre. / Voix aveugle. Sans visage. / Très jeune. / Silencieuse » (Marguerite Duras, L’Amant de la Chine du Nord [1991], Paris, Gallimard, « Folio », 2008, p. 17). Return to text

9 Pour la narratrice d’Emily L., il est question entre eux de l’une de ces « histoires […] insaisissables », car « faites d’états successifs sans lien entre eux » (Marguerite Duras, Emily L. [1987], Paris, Minuit, « Double », 2008, p. 14, désormais abrégé en EL, suivi du numéro de page et cité dans le corps du texte). Ce n’est donc pas le « déroulement » de l’histoire qui est mis en valeur (à propos de L’Amour, Duras insistait en 1974 pour dire que ce n’était « pas une histoire d’amour, pas un déroulement » qu’elle avait voulu écrire, Les Parleuses, Paris, Minuit, 1974, p. 68). Return to text

10 Marguerite Duras, « Lettre à Yann Andréa [juin 1981] », Œuvres complètes, t. III, op. cit., p. 1169. Return to text

11 Voir Florence de Chalonge, « Marguerite Duras : les noms de Yann », in Onomastique et écriture de soi, dir. par Yves Baudelle & Élisabeth Nardout-Lafarge, Montréal, Presses de l’université de Montréal, 2004, p. 87-102. Return to text

12 Marguerite Duras, [Emily L.], IMEC, DRS 17.2. Return to text

13 Philippe Gasparini, Est-il je ? Roman autobiographique et autofiction, Paris, Seuil, « Poétique », 2004, p. 39. Return to text

14 Marguerite Duras, [Emily L.], IMEC, DRS 17.8, fo2. Return to text

15 Marguerite Duras, « Entretiens avec Luce Perrot (janv.-mars 1988) », transcription : « Autour d’“Emily L.” », Œuvres complètes, t. IV, op. cit., p. 477. Return to text

16 Voir la définition de l’autofiction donnée par Serge Doubrovsky : « Fiction, d’événements et de faits strictement réels », Fils, Paris, Galilée, 1977, quatrième de couverture. Return to text

17 Philippe Gasparini, Autofiction : une aventure du langage, Paris, Seuil, « Poétique », 2008, p. 249. Return to text

18 Loc. cit. Return to text

19 Marguerite Duras, « Quillebeuf, extrait d’un entretien avec Jérôme Beaujour, 18 sept. 1986, archives sonores Jean Mascolo », transcription : « Autour d’“Emily L.” », Œuvres complètes, t. IV, op. cit., p. 470. Return to text

20 Jérôme Beaujour, [« Quillebœuf » [sic] (20 sept. 1986)], archives Jean Mascolo, fo 2. Return to text

21 Vincent Colonna, Autofictions et autres mythomanies littéraires, Auch, Tristram, 2004, p. 119. Return to text

22 Voir Florence de Chalonge, « La dernière Duras : autour d’un roman de l’entretien », art. cité. Return to text

23 « Vous, c’est parce que vous êtes un écrivain que vous n’écrivez pas » (EL, p. 56). Return to text

24 « Que l’on se dise “je t’aime” ou que l’on entende ces mots se dire à travers des murs, si on est ensemble pour les entendre, c’est pareil. C’est une chose que les amants entendent et prennent avec eux, pour eux », « “Duras dans les régions claires de l’écriture”, entretien avec Colette Fellous, Le Journal littéraire, déc. 1987-janv. 1988 », transcription : « Autour d’“Emily L.” », Œuvres complètes, t. IV, op. cit., p. 472. Return to text

25 « Je ne peux plus écrire des choses gratuitement sans qu’elles relèvent de quelqu’un, de l’auteur, des témoins » : depuis le retour à l’écrit en 1980, avec L’Homme assis dans le couloir, Duras veut instituer la présence d’une « personne qui voit et qui raconte », « Rencontre du 10 avril 1981 », in Marguerite Duras à Montréal [1981], éd. par Suzanne Lamy & André Roy, Montréal-Malakoff, Spirale-Solin, 1984, p. 37. Return to text

26 Le conditionnel (« restait ») en relation avec le présent du verbe introducteur est grammaticalement inattendu. Return to text

27 Voir à ce sujet Florence de Chalonge, « Emily L. ou l’écriture “poétiquement romanesque” de Marguerite Duras », Le Discours et la langue, t. 10, no 2, « Le vertige des marges ou le roman-poème en question », dir. par Maxime Decout & Sylvain Dournel, 2018, p. 136-138. Return to text

28 Voir Emily L. : p. 73-89 ; p. 109-127 (les pages 112-119 font place, comme on l’a dit, au dialogue entre Emily L. et le gardien) ; p. 132-136 (avec en son sein, reproduite la « lettre » que la poétesse adresse au gardien) ; p. 146-151. Return to text

29 Marguerite Duras, [Emily L.], IMEC, DRS 17.9. Return to text

30 Voir à ce sujet Sandrine Vaudrey-Luigi, La Langue romanesque de Marguerite Duras : « une liberté souvenante », Paris, Classiques Garnier, « Investigations stylistiques », 2013, p. 59-135. Return to text

31 Bertrand Poirot-Delpech, « N’y aurait-il de paradis que perdus ? », Le Monde, 23 oct. 1987. Return to text

32 Marguerite Duras, « Entretiens avec Luce Perrot (janv.-mars 1988) », entretien cité, p. 478. Return to text

References

Electronic reference

Florence de Chalonge, « Emily L. de Marguerite Duras ou “laisser tout dans l’état de l’apparition” », Cahiers Marguerite Duras, [online], 4 – 2024, Online since 26 mars 2025, connection on 21 avril 2025. URL : http://www.peren-revues.fr/cahiersmargueriteduras/900

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Florence de Chalonge

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