Entre entente et malentendu

Les reprises durassiennes de Henry James

DOI : 10.54563/cahiers-duras.171

Abstracts

À plusieurs reprises, Marguerite Duras a adapté des textes de Henry James pour le théâtre. Qui plus est, une référence explicite à l’auteur de La Bête dans la jungle est inscrite dans Emily L., texte dans lequel la narratrice déclare à son compagnon : « La connaissance de l’histoire, vous la posséderez comme les héros de Henry James, quand elle sera terminée » Pourquoi Marguerite Duras s’est-elle passionnée pour cet Américain européanisé ? Était-ce parce qu’il savait recueillir des mots issus d’un ailleurs sans cesse renouvelé ? Trouvait-elle en lui une inspiration et une proximité dans la façon d’écrire, ou encore partageait-elle avec lui un même rapport au temps se traduisant par l’imminence d’un toujours déjà trop tard ? Comme les registres jamesiens sont nombreux, ne faudrait-il pas faire l’hypothèse que James aurait joué un rôle essentiel pour Duras dans trois domaines au moins : l’un d’ordre existentiel se rapportant aux amours qualifiées d’ « effrayant[es] » par l’écrivaine, l’autre théorique concernant l’émergence de l’écrit et un dernier, plus pratique, traitant de la construction particulière des nouvelles jamesiennes rendant possibles différents passages : d’une langue à l’autre, d’un genre à l’autre, d’une interprétation à une autre. En un mot, et à ce sujet, James n’aurait-il pas été, avant l’heure, un praticien de la transgénéricité ?

On several occasions, Marguerite Duras has adapted texts by Henry James for the stage. What's more, an explicit reference to the author of The Beast in the Jungle can be found in Emily L., in which the narrator declares to her companion: "You will possess the knowledge of history, like Henry James's heroes, when it is over". Why did Marguerite Duras fall for this Europeanised American? Was it because he knew how to gather words from an ever-changing world? Did she find in him inspiration and a similarity in the way she wrote, or did she share with him the same relationship to time, reflected in the imminence of something that is always too late? Since there are so many Jamesian registers, might we not hypothesise that James played an essential role for Duras in at least three areas: an existential one, relating to the love affairs she described as "frightening"; a theoretical one, concerning the emergence of writing; and a more practical one, dealing with the particular construction of Jamesian short stories, making possible different passages: from one language to another, from one genre to another, from one interpretation to another. In a word, and on this subject, wasn't James, before his time, a practitioner of transgenericity?

Outline

Text

À plusieurs reprises, Marguerite Duras a adapté des textes de Henry James pour le théâtre. En 1961, avec Robert Antelme, elle s’intéresse à la nouvelle Les Papiers d’Aspern, que Michael Redgrave a en 1959 réécrit pour la scène1, puis en 1962, elle donne une version française de l’adaptation scénique de James Lord, La Bête dans la jungle. En 1974, elle participe, pour la télévision, à la rédaction des dialogues de Ce que savait Morgan2, inspiré par The Pupil, une autre nouvelle de Henry James.

Les deux pièces adaptées figurent dans le troisième volume du théâtre de Duras paru chez Gallimard en 1984, avec La Danse de mort d’August Strindberg, comme si cette dernière se les était appropriées. Sur ce lien d’appropriation des textes jamesiens plusieurs commentateurs se sont déjà exprimés3. En conséquence, leurs travaux nous invitent à poursuivre dans d’autres directions, en adoptant une perspective moins immédiate sur les reprises durassiennes de James. En effet, c’est souvent par le biais d’un détour qu’un sujet est abordé par Duras, tant chez elle, est ressentie la nécessité d’un « en passer par »4 autre chose pour traiter du thème qui la préoccupe. Comment appréhender cette nécessité d’un « en passer par » un Américain européanisé5 ? Qu’a permis James d’approcher, de saisir ou de comprendre à celle qui ne s’est jamais perçue comme une « Français[e] de France »6 ? Si ces questions font sens, y répondre est difficile tant la référence à James est plurivoque. Le lecteur invité à déplier ce nom s’aperçoit qu’il renvoie à une identité particulièrement riche et complexe. James est cet Américain naturalisé britannique qui a vécu de longues périodes de sa vie en Europe, dans plusieurs pays dont la France, l’Italie ou encore la Suisse. De surcroît, lorsqu’il est nommé, à quel Henry James fait-on allusion : au romancier et nouvelliste mettant en scène des désirs asymétriques entre personnages masculins et féminins, au critique littéraire ayant analysé les œuvres majeures de ses contemporains ou au théoricien de la littérature, célèbre pour ses théories du point de vue7 ?

Comme le spectre continu des registres jamesiens est immense, ne faudrait-il pas faire l’hypothèse que James aurait joué un rôle essentiel pour Duras dans trois domaines au moins : l’un d’ordre existentiel se rapportant aux amours qualifiées d’ « effrayant[es] »8 par l’écrivaine, l’autre théorique concernant l’émergence de l’écrit et un dernier, plus pratique, traitant de la construction particulière des nouvelles jamesiennes et rendant possibles différents passages, d’une langue à l’autre, d’un genre à l’autre, d’une interprétation à une autre. En un mot, et à ce sujet, James n’aurait-il pas été, avant l’heure, un praticien de la transgénéricité ?

C’est à ces questions que nous tenterons de répondre en nous concentrant essentiellement, mais pas uniquement, sur Les Papiers d’Aspern dans leur rapport avec certains textes de Marguerite Duras, dont Emily L.

Les amours « effrayantes » : un malentendu durassien ?

Alors qu’habituellement Duras préfère suggérer le nom de ses référents, évitant une désignation trop abrupte, telle son Emily L. qui évoque le plus sûrement la poétesse américaine Emily Dickinson, Henry James fait exception. Selon nous, James aurait obtenu ce privilège de la nomination et de l’hommage rendu dans l’œuvre, car à bien des égards, ses intrigues amoureuses entrent en résonance avec celles de l’écrivaine. En effet, à la façon des Papiers d’Aspern ou de La Bête dans la jungle, le roman Emily L. décrit une situation « invivable », typiquement jamesienne9.

Dans les nouvelles de James peuvent s’entendre la douleur et la souffrance engendrées par des amours insoutenables. Alors que la femme éprouve de l’amour à l’égard de l’homme, ce dernier embarrassé par l’insistance féminine à exprimer ses affects, détourne son regard. À l’identique, dans Emily L., le couple formé par la narratrice et son compagnon vit l’insoutenable d’une histoire d’amour non réciproque. À ce sujet, la narratrice déclare :

   – Je vous aimais d’un amour effrayant.
   La méfiance revient dans vos yeux. Votre regard fuit au-delà des falaises. Vous dites :
   – C’est aussi faux de dire ça que de dire que je ne vous aime pas.
   – […] Ça doit vous traverser la tête quelquefois, que peut-être vous m’aimez. Ou plutôt que, dans le sentiment que vous éprouvez pour moi, quelque fois il pourrait y avoir des traces de cet amour, si impossible que cela puisse paraître. […] Je crois que lorsque cela vous arrivera, si cela vous arrive, vous n’en saurez rien10.

Après cet échange décrivant l’amour en termes d’impossibilité, la narratrice, s’appuyant sur ce qu’elle sait de Henry James déclare, de façon apodictique, à son compagnon : « – La connaissance de l’histoire, vous la posséderez comme les héros de Henry James, quand elle sera terminée. […] Ce sera très long avant d’arriver à votre conscience »11. Cette remarque, qui vient immédiatement après des considérations sur l’amour, est étrange à plusieurs titres ; philosophiquement, si l’amour est du côté d’une révélation fulgurante et immédiate, la connaissance, en revanche, serait plutôt de l’ordre d’un dévoilement évolutif et gradué. En outre, « la connaissance de l’histoire », ni les lecteurs ni les protagonistes de James ne la possèdent jamais, pour des raisons structurelles.

Tout d’abord, les personnages masculins jamesiens inconnus d’eux-mêmes, obligés de se détourner de ce qu’ils sont vraiment, tant les normes sociétales, en cette fin de xixe siècle, sont oppressantes, paraissent enfermés dans un « placard » dont ils ne peuvent sortir qu’avec peine, comme dirait Eve K. Sedgwick12. Pour illustrer son argumentation, Sedgwick présente de la façon suivante John Marcher, le protagoniste de La Bête dans la jungle : « La première chose que nous apprenons à propos de John Marcher est qu’il a un secret. […] Je [Sedgwick] soutiendrai que si le secret de Marcher a bien un contenu, c’est un contenu homosexuel »13 ; or ce « contenu homosexuel » n’est pas reconnu en tant que tel par le protagoniste qui ne peut donc ni le nommer, ni en faire part à May Bartram (James)/Catherine (Duras), son amie qui souhaiterait devenir son amante. Le silence de la chair du protagoniste masculin à l’égard des femmes est sans appel et l’attente de May/Catherine sera vaine. Comme son patronyme le suggère, John Marcher est un homme qui marche certes, mais sa déambulation d’inaccompli en inaccompli le conduit irrémédiablement vers la mort. À sa façon, il est atteint par la « maladie de la mort »14. Aussi, sans surprise aucune, la scène finale se déroule dans un cimetière, devant une pierre tombale, pierre symbolisant la pétrification d’un désir incapable d’advenir. Devant la tombe de May/Catherine, confidente appréciée et exclusive de ses tourments, John Marcher croise un homme que Duras décrit comme « son analogue inoubliable »15.

La détresse et le malheur perçus sur le visage de l’autre homme – « he caught the shock of the face »16 – serviront de puissants révélateurs à John. Ces références répétées au visage, primordiales chez James, sont délaissées par Duras. Elles renvoient à ce que Sedgwick appellerait l’aspect « homosocial » d’une rencontre qu’elle analyse ainsi :

Ce n’est qu’en faisant de son désir pour le visage masculin une identification envieuse avec la perte masculine que Marcher parvient finalement à entrer en relation avec une femme. Le choc face au visage féminin ne provoque pas de réaction phobique chez Marcher, il lui est simplement insensible17.

Non seulement Marcher n’admet pas et ne sera jamais en situation d’admettre la réalité de son désir pour l’homme du cimetière, mais il préfère penser que s’il avait aimé May/Catherine, sa vie aurait été moins insignifiante. Tout se passe donc comme si la vie de Marcher se déroulait, non en toute conscience, mais à son insu à partir d’un point aveugle.

Comme nous le voyons, « la connaissance de l’histoire » (Duras) est d’autant plus insaisissable que les personnages ignorent tout d’eux-mêmes, mais à cela s’ajoute une seconde difficulté. Ne faisant jamais totalité, l’histoire jamesienne, même terminée, reste ouverte, tant elle présente de nombreuses brèches ; étant empêché, l’acte de connaissance ne peut jamais embrasser l’objet de connaissance, et l’indétermination de la nouvelle est telle que les lecteurs confrontés à cette indécision restent plongés dans la perplexité. En somme, l’écriture jamesienne ne révèle jamais complètement son objet et, par cette inaptitude, elle le désigne et le rend manifeste. Puisque le sens échappe aux lecteurs, il est vain de recourir à l’argument de la temporalité (le « ce sera très long avant d’arriver à votre conscience », qu’expose la narratrice d’Emily L.) ; ajouter du temps au temps n’aide ni les personnages ni les lecteurs car le temps ne fait rien à l’affaire.

Ainsi, dans Les Papiers d’Aspern, Jarvis, cet écrivain désireux de s’emparer de ces fameux papiers, ayant dénié la possibilité d’un mariage avec Tina, la détentrice des papiers, se trouve incapable de reprendre la conversation avec celle qui ne lui accorde aucun espoir ; on voit que le temps n’y changera rien :

Harry Jarvis : Permettez-moi de revenir demain pour… Demain peut-être nous fera voir les choses sous un jour plus vrai…

Mlle Tina : Je ne le crois pas.

Harry Jarvis : Alors après-demain…la semaine prochaine ? […]

Mlle Tina : Rien ne peut plus être changé.

Harry Jarvis : Mademoiselle Tina, nous savons que l’instant présent n’est jamais exactement ce qu’il paraît être. C’est plus tard, souvent bien plus tard, que nous en comprenons le vrai sens.

Mlle Tina : Je crois que pour moi, c’est le contraire. Si je ne comprends pas immédiatement, je ne comprends jamais.

Harry Jarvis : Si c’est vraiment la fin d’une chose, il peut y avoir plusieurs fins !

Mlle Tina : Mais ce qui est sûr c’est qu’une seule fin peut être la bonne. Et je la connais. […].

Je ne vous reverrai jamais18.

Tina Bordereau, après avoir été humiliée et mortifiée dans sa chair, se montre inflexible : sa décision est sans appel. Harry Jarvis a raté une occasion de récupérer les papiers d’Aspern et une seconde chance ne se présentera pas à lui. Il y a en effet chez James, le sens d’un irrémédiable et ce qui a été manqué l’est de façon irréfragable. Toutes les conversations entre les personnages jamesiens ne font qu’épaissir l’incompréhension qui les sépare. Entre eux prévaut la non-rencontre et la non-communication. En bref, les héros de James aveuglés par une grande méconnaissance d’eux-mêmes, trop souvent solitaires, et faute d’un véritable intérêt pour autrui, se voient condamnés aux échecs et aux défaites, car ils se situent dans un présent indéfini dans lequel l’avenir ne peut jamais advenir. Contraints à demeurer dans leur « placard », ajouterait Sedgwick, ils sont déjà ce qu’ils seront, des êtres inaccomplis, à jamais limités car ayant été empêchés d’accéder par une société répressive à une futurition. Contrairement à ce que pensait la narratrice dans Emily L., la fin de l’histoire ne donne pas la connaissance de l’histoire ; pour autant ce malentendu est moins lié, nous semble-t-il, à une mésinterprétation de James par la narratrice qu’à sa difficulté de prendre en compte l’altérité radicale de son compagnon. La non-réciprocité de l’histoire d’amour peut donner à croire à la femme amoureuse qu’en laissant faire le temps, d’autres possibles seront envisageables.

Néanmoins, consciente de l’impasse dans laquelle elle risque de s’enfermer, en imposant une réciprocité des sentiments, la narratrice esquive la difficulté soulevée par elle-même et trouve une tangente acceptable pour son compagnon : « Je ne sais pas si l’amour est un sentiment. Parfois je crois qu’aimer c’est voir. C’est vous voir »19. En réinterprétant l’idée d’amour, en se montrant moins affirmative, la narratrice permet au dialogue de s’ouvrir et de se poursuivre.

Habitée par la pensée des nouvelles de James, par Les Papiers d’Aspern et La Bête dans la jungle, Duras, on le comprend, a pu éprouver le désir de les adapter, voire de les adopter. Si, concernant la difficulté d’aimer, la filiation entre James et Duras ne fait aucun doute, le rapport à l’auteur des Papiers d’Aspern est présent dans d’autres domaines chers à l’écrivaine, même si l’écho à James n’est pas authentifié par Duras en tant que tel.

L’aspect théorique : l’énigme de la création

Dans Emily L., non seulement le nom de Henry James et l’évocation de Venise20 sont présents, mais parmi les interrogations posées par l’ouvrage figurent celles-ci : qu’est-ce qui fait obstacle à la venue de l’écriture21 ? qu’est-ce qui au contraire fera un livre ? quelles sont les occasions qui suscitent un livre ? qu’est-ce qui sera dans le livre ?

Dès 1879, dans sa biographie de Nathaniel Hawthorne, Henry James avait proposé une réponse à ces questions, en rappelant que la naissance de l’écriture obéit à certains impératifs : « La morale est que l’art ne fleurit que là où le sol est profond, qu’il faut beaucoup d’histoire pour produire un peu de création, et que seul un mécanisme social complexe peut mettre en mouvement un écrivain »22. Selon James, l’écrivain ne compose pas ex nihilo mais a besoin de l’épaisseur et de la complexité données par ses prédécesseurs, à travers les références littéraires, historiques, sociales et géographiques. Dans Les Papiers d’Aspern, Henry Jarvis ne dit pas autre chose : « Pour mon travail, il me faut d’autres conditions. Voyez-vous je ne peux m’intéresser à mon temps que s’il m’arrive du fond des âges, d’un passé vécu »23. Concernant Venise, il ajoute : « L’esprit de Venise tient compagnie comme aucun autre. Ici, le cœur bat plus fort, il est plein d’échos »24.

Pour faire éclore des chefs-d’œuvre, des résonances sont nécessaires. Il ne suffit pas en effet à un pays d’être une grande puissance économique, encore faut-il qu’il ne soit pas un désert culturel. Fort de ces principes, James s’est senti obligé de délaisser l’Amérique pour rejoindre le foisonnement intellectuel et culturel de l’Europe car, selon son personnage Jarvis, « [l]’Amérique est un grand pays, mais elle est encore d’une jeunesse si ensorcelante… si désespérante ! L’Amérique attend l’Histoire »25, ajoute-t-il – une histoire qu’à l’époque les Américains ne pouvaient rencontrer qu’en dehors de leur territoire. Pour James, l’écrit nouveau se constitue à partir des manuscrits anciens qui permettent d’entendre des rumeurs du passé. Cette évidence-là, Duras la met en scène dans plusieurs de ses écrits, en particulier, dans La Pluie d’été, en commençant son texte par le mot « livres »26, renvoyant à des livres trouvés dans le train, de façon aléatoire, par le père. C’est à partir des lectures rencontrées qu’une création inédite a la possibilité de naître.

De même, dans Emily L., dès l’incipit, la narratrice précise : « On regarde l’autre rive »27. Si la remarque est d’abord réaliste, ne peut-on pas l’entendre de façon autre ? De fait, le texte d’Emily L. a été composé à partir de modèles appartenant à l’autre rive de l’Atlantique, celle sur laquelle s’est constitué le panthéon de l’Amérique littéraire, Henry James, Emily Dickinson dont un poème est cité28, et Hemingway, évoqué de façon indirecte à partir de son suicide29. L’écriture durassienne s’est donc située dans une filiation prenant appui sur des personnalités littéraires majeures appartenant à des horizons lointains et sur des œuvres antérieures à elle. En cela, Duras atteste l’authenticité de la théorie littéraire jamesienne, à une différence près : alors que James regarde en direction de l’Europe, Duras s’est orientée vers les États-Unis, comme dans un chassé-croisé.

En outre, à l’instar de James, Duras accorde une grande importance aux liens unissant les maîtres et les disciples dans le monde de l’art. Emily L. traite, à son tour, de la relation existant entre une écrivaine reconnue et un écrivain en herbe ; aussi l’écriture est-elle au cœur de l’échange entre ces deux êtres. Ainsi le compagnon de l’autrice admirée, comprenant qu’un écrivain a besoin d’une matière première pour faire œuvre, tient le propos suivant : « – C’est un endroit qui vous plaît, ici, un jour ce sera dans un livre » ; à cette remarque, la narratrice répond : « Je vous dis que je ne le sais pas à l’avance »30. Plus tard, elle lui révélera que leur histoire douloureuse fera l’objet d’un livre, car le texte, ayant besoin d’un prétexte, peut aussi trouver son occasion dans une histoire vraie :

   Je vous ai parlé. Je vous ai dit que j’avais décidé d’écrire notre histoire. […]
   J’ai répété ce que je vous avais dit, que j’allais écrire l’histoire que nous avions eue ensemble, celle-ci, celle qui était encore là et qui n’en finissait pas de mourir31.

À la suite des protestations et des réticences de son compagnon qui considère que rien n’a eu lieu entre eux, elle argumente ainsi : « Que quelqu’un ait dit cette chose-là ce jour-là, c’est ce qui fera le livre s’écrire. Le livre sera sincère »32. À travers ces répliques échangées, nous comprenons qu’Emily L., de façon jamesienne, accorde une grande importance à l’apprentissage de l’écrit et par voie de conséquence, au couple formé par l’écrivain reconnu et son fidèle admirateur, ce dernier n’ayant pour unique préoccupation que de percer le mystère de l’écrit pour advenir lui-même à l’écriture. En somme, le texte d’Emily L. reprend à bien des égards, le questionnement sur l’écrit cher à James, questionnement qu’il a tenté de théoriser. Duras qui, dans Les Parleuses, admet ne pas avoir de « théorie du roman »33, n’a-t-elle pas eu besoin d’en passer par un autre pour rencontrer un appui théorique, même lointain, lui permettant de se situer d’un double point de vue littéraire et herméneutique ? En s’inspirant des conseils de Vereker, l’écrivain fictif de la nouvelle Le Motif dans le tapis, Duras ne s’est-elle pas demandée, à propos de ses propres textes, ce qu’un critique potentiel des œuvres de l’écrivain Vereker essayait de trouver : « Le secret de Vereker, mon cher ami, […] l’intention générale de ses livres, le cordon où il enfilait ses perles, le trésor enfoui, le motif dans le tapis »34. Selon cet auteur, il y aurait dans chaque écrit d’un grand écrivain « [c]e petit truc [qui] passe de livre en livre, et tout le reste, relativement, ne fait que jouer à sa surface […]35. C’est donc naturellement la chose que doivent chercher les critiques. Il semble même, ajouta [Vereker] avec un sourire, que c’est la chose que doivent trouver les critiques »36. Puis, d’ajouter à propos de ce secret : « Je vis presque dans la seule attente de voir s’il sera ou non détecté. […] Mais je n’ai pas à m’inquiéter… il ne le sera jamais ! »37.

Si l’on ne peut lever le secret, dirait Duras, c’est que la lecture d’un livre est toujours plus complexe qu’il n’y paraît. Dans « La lecture dans le train », Duras considère, elle aussi, qu’« un livre [est] contenu dans deux couches superposées d’écriture, la couche lisible que j’avais lue ce jour de voyage et l’autre à laquelle on n’avait pas accès. Celle-là, illisible à toute lecture, on ne pouvait qu’en soupçonner l’existence »38. Il y aurait, dans un livre, ce qui est immédiatement à portée puis ce qui se refuserait, l’inaccessible du texte. Or, face à cette obscurité de l’écrit, et cherchant à éclairer le lecteur, Duras reconnaît, qu’il y a eu des déclencheurs à son écriture39 ; aussi commente-t-elle l’importance dans son œuvre du personnage d’Anne-Marie Stretter, son véritable amour40.

Mais ne révèle-t-elle pas par là le secret de certains de ses livres, au sens donné à ce mot par Vereker ? : « C’est cette femme qui m’a amenée à pénétrer le double sens des choses. À tous les points de vue. Elle m’a amenée à l’écrit peut-être. Peut-être c’est cette femme-là »41. En d’autres termes, Anne-Marie Stretter, rencontrée pendant l’enfance de l’autrice, pourrait être un des motifs dans le tapis de ses textes :

J’avais huit ans lorsque j’ai connu Anne-Marie Stretter. Pourquoi j’ai été chercher cette femme pour faire India Song ? C’est curieux ! C’est pour comprendre la raison de mon attirance pour cette femme que j’ai décidé d’écrire sur cette période un livre qui, pour la première fois, n’est pas une fiction42.

Le charme incongru de cette femme tout à la fois invisible et pourtant si visible aurait motivé le passage à l’écrit car il fallait, selon l’écrivaine, rendre compte du pouvoir inconditionnel, voire extrême, de Stretter sur les hommes :

Elle, c’était une femme rousse complètement décolorée, qui ne se fardait pas, qui ne paraissait pas. Si tu veux, l’être et le paraître, je l’ai vu, je l’ai ressenti là. J’ai appris très peu de temps après leur arrivée à Vinhlong qu’un jeune homme venait de se suicider par amour pour elle. Cette femme invisible, tu vois, qui ne se remarquait pas et qui, moi, m’attirait à cause de cette espèce de décoloration de la figure, des yeux, eh bien ! j’ai appris qu’elle avait un pouvoir comme un pouvoir de mort, très caché, très recelé et je me souviens du choc extraordinaire que cela a été le suicide de ce jeune homme43.

Néanmoins, si selon Duras l’emprise d’Anne-Marie Stretter a été grande, si sa présence dans son imaginaire d’écrivain a été déterminante, le mystère de l’écrit reste entier. En bref, accéder au mystère de l’œuvre, à ce qui l’habite et la travaille de l’intérieur, transpercer le secret du texte, déchiffrer le chiffre caché, le critique jamesien s’y efforce toujours, mais en vain ; l’énigme posée par Vereker ne sera pas percée, et cette idée que l’écrit relèverait à jamais d’un mystère, Marguerite Duras la reformule à son tour dans Écrire : « Je peux dire ce que je veux, je ne trouverai jamais pourquoi on écrit et comment on n’écrit pas »44. Cette réflexivité durassienne à l’égard de ses écrits semble donc typiquement jamesienne. Comment alors ne pas percevoir des lignes de continuité entre James45 et Duras à propos de l’écriture, de la question de la représentation, du statut de l’œuvre, puis de l’écrivain sur lesquels des questionnements récurrents porteront dans l’ensemble de leur création ? À ce titre, la figure de l’écrivain dans Les Papiers d’Aspern est éclairante.

Cette « canaille d’écrivain » des Papiers d’Aspern

Dans la nouvelle rédigée en 188846 par Henry James, le personnage principal veut ardemment47 retrouver les lettres d’un génie national adulé, le poète américain Jeffrey Aspern, pour relancer son écriture. Rappelons que dans cette nouvelle, James s’appuie lui aussi sur une histoire vraie concernant des missives envoyées par deux poètes iconiques, Shelley et Byron48 : un critique d’art bostonien cherchait à s’emparer de cette correspondance alors que les lettres étaient en la possession des demoiselles Claremont, dont l’une avait été la maîtresse de Byron et la mère de leur fille Allegra. De fait, dans Les Papiers d’Aspern, l’objectif avoué de Harry Jarvis est de reconstituer, à partir de l’échange épistolaire entre Jeffrey Aspern et sa maîtresse Juliana Bordereau, l’histoire d’amour vécue naguère à Venise. Il s’agissait pour Jarvis d’éclairer d’un jour nouveau la biographie d’Aspern par l’introduction du jeu des affects. En devenant le commentateur, voire l’annotateur de cette correspondance, Jarvis aurait retrouvé le chemin de l’écriture comme il l’admet lui-même : « Je suis un pauvre diable de scribouilleur qui vit au jour le jour. […] J’écris sur les autres, sur les œuvres des autres. (Prudemment.) Je suis critique, si vous voulez, commentateur, une sorte d’historien sans prétentions »49. Par ce fait même, l’écriture se situerait à son degré zéro, à son niveau le plus minimal – le nom de Bordereau n’est d’ailleurs pas un nom choisi au hasard – car dans un premier temps du moins, il s’agirait pour Jarvis de relever ou de consigner ce qui fut, quitte ensuite à déborder ou à passer outre le bordereau. À sa confidente, Mme Prest, Harry Jarvis fait l’aveu de l’imminence d’une importante révélation : « je suis au bord de la plus importante découverte de ma vie. […] C’est de Jeffrey Aspern qu’il s’agit »50. Dans ses échanges avec Jarvis, Tina Bordereau ne s’y trompe pas. Jarvis veut les papiers d’Aspern pour en faire un livre :

Mlle Tina : Est-ce que vous écrivez ? Est-ce que vous écrivez à son sujet ?

Harry Jarvis : Oui, j’ai écrit quelque chose sur lui et je suis à la recherche de documents sur sa vie. Au nom du ciel, en avez-vous ?51.

Pour faire renaître une écriture personnelle, Harry Jarvis aurait besoin d’approcher des restes de l’écrivain mort, restes transmués en reliques convoitées comme par le miracle d’une transsubstantiation.

Cette évocation de la puissance exorbitante du texte, dont il est difficile de se détacher tant elle affecte au-delà du raisonnable, le Captain dans Emily L. l’avait lui aussi éprouvée à son corps défendant en lisant le poème de sa femme : « Et le poème avait été là, devant lui, étalé comme un crime. […] Le Captain avait eu le sentiment d’être poignardé par la vérité »52.

Face à la force démesurée des mots qui attirent ou effraient, il s’agit pour leur lecteur de mettre en place des stratégies de défense. Le Captain choisit une solution radicale, les faire disparaître : « Le Captain avait jeté la poésie dans le feu du poêle. Il l’avait fait pour ne plus souffrir »53. Quant au jeune gardien, fasciné par la beauté du texte, il dissimule les poèmes au-dessus des garages à bateaux : « Le gardien avait reçu un exemplaire de presse de la brochure envoyé par erreur lors d’une réimpression. Il avait lu les dix-neuf poèmes […] qu’il avait trouvés […] d’une grande et impressionnante beauté »54.

Que ce soit le Captain ou le jeune gardien, tous les deux font disparaître l’écrit, l’un de façon définitive par le feu, l’autre de façon temporaire en les cachant. Si de tels actes sont possibles, c’est qu’avec les mots il y va du désir dans sa vigueur et son dynamisme mêmes et tout se passe comme s’il y avait confusion entre le désir de l’autre et le désir de l’écrit. Duras rappelle l’équivalence entre ces deux syntagmes, à propos d’Emily L. : « C’est de la poésie que le Captain est jaloux. De cet amant intangible qu’est le poème »55. Cette proximité entre les deux termes se retrouve chez James à travers le personnage de Jarvis. Pour posséder les lettres, l’espace d’un instant, ce dernier considérera la nécessité de prendre tous les risques comme celui d’avoir à courtiser la détentrice des lettres : « […] tout homme a des chances d’arriver à ce qu’il désire s’il le désire avec assez de force. Je suis prêt à aller assez loin. […] Je ferai la cour à la plus jeune », déclare Jarvis, ce à quoi son interlocutrice, Mme Prest, répond : « Attendez de l’avoir vue ! »56. Le réel, dans sa littéralité la plus taciturne, n’effraie pas Jarvis car il sait qu’au bout du chemin, il y aura les lettres, c’est-à-dire l’enchantement enfin advenu. Cette idée que l’écrit, parce qu’il peut perdre ou ravir le lecteur, doit être à son tour perdu ou caché est au cœur des préoccupations des écrivains Emily L. ou Jarvis. Aussi, tout au long de la nouvelle de James, Jarvis craindra pour le sort des papiers d’Aspern car, existant par eux-mêmes et en eux-mêmes, ils attirent et à ce titre sont susceptibles de subir une prédation ou d’encourir une destruction.

Tout se passe comme si la beauté ne pouvait pas se concevoir sans un défaire possible, tant elle défait et modifie elle-même à tout jamais les lecteurs ou les spectateurs de l’œuvre d’art. C’est donc à dessein que la nouvelle de Henry James se situe à Venise, ville des transactions mercantiles comme dans Le Marchand de Venise de Shakespeare, mais aussi ville de la magnificence et de la décrépitude, la cité des Doges donnant à entendre que ce qui a été, que ce qui est, n’existera pas pour l’éternité. C’est pour ces raisons aussi que, on l’a dit, Duras, dans Emily L., mentionne Venise57, une escale pour le Captain et sa femme, mais aussi la ville qui annonce la fin de la vie d’Emily, cette femme si près de la mort58. Dans cet esprit, Mme Prest décrivant l’intérieur du palais vénitien des demoiselles Bordereau déclare : « c’est une très belle salle ou tout au moins ça a dû être une très belle salle. […] cette maison est en train de s’effondrer doucement dans la lagune »59.

Servant d’écrin à la nouvelle, Venise rend visible et palpable l’imminence de la perte ; seraient ainsi annoncées la destruction plausible des papiers et la mort imminente de Juliana, la muse d’Aspern, qui détiendrait selon Jarvis « la clef de l’énigme Jeffrey Aspern »60. Il y aurait donc urgence à interroger cette inspiratrice du poète avant qu’elle ne disparaisse. Pour percer les secrets et accéder à Juliana, Jarvis n’hésite pas à employer la ruse et diverses stratégies61 afin d’éclairer l’œuvre du poète, tout comme il est résolu à s’emparer des papiers d’Aspern afin de les rendre publics.

Déclarant œuvrer non par égoïsme, mais « pour la postérité »62, Jarvis se considère comme l’officiant63 du temple Aspern. En réalité, n’est-il pas uniquement un cynique pilleur de tombes64, qui sera qualifié par Juliana Bordereau, à juste titre, de « canaille d’écrivain »65, comme si l’écriture avait à voir avec l’effraction, l’exhumation, la prédation cruelle de ce qui, relevant du privé, n’aurait pas vocation à être rendu public. Cette dialectique entre le public et le privé, entre le licite et l’interdit, autour de l’emprise d’un texte et de sa prise par un voleur réapparaît dans Emily L., puisque le père de la poétesse, avec la complicité de son mari le Captain, publie dans le plus grand secret les poèmes de sa fille sans avoir obtenu au préalable son consentement : « Il lui avait demandé de recopier ces poésies et de les lui apporter. Le Captain l’avait promis. Il avait fait cela sans le lui dire à elle »66. Il y a donc une cristallisation des désirs du père d’Emily autour des poèmes écrits par son enfant, comme il y a une cristallisation des désirs de Jarvis autour des lettres d’Aspern ; le père et Jarvis perçoivent-ils ces écrits comme des substituts de la personne même et, à ce titre, participent-ils à la fusion/confusion entre désir et œuvre ? Puisqu’il peut y avoir confusion autour du désir de l’écrit et du désir de la personne qui a écrit, qu’y avait-il dans l’écriture des papiers d’Aspern de si éminemment désirable pour Duras ?

La pratique jamesienne de l’écriture dans Les Papiers d’Aspern

Selon nous, de façon habile, la nouvelle Les Papiers d’Aspern s’est construite autour de deux mots essentiels, « papiers » et « bordereau », des mots fondamentaux dans l’économie du texte jamesien, qui rejailliront dans le dialogue de Redgrave puis dans celui de Duras. Dans Les Parleuses, l’autrice rappelle en effet que le mot est ce qui, dans l’écriture, arrive en premier : « Je ne m’occupe jamais du sens […]. Le mot compte plus que la syntaxe. C’est avant tout des mots, sans articles d’ailleurs, qui viennent et qui s’imposent. Le temps grammatical suit, d’assez loin »67 ; ce n’est que plus tard qu’intervient progressivement la concaténation des idées et des phrases.

De même, la nouvelle jamesienne, dans un espace extrêmement restreint, enchâsse deux signifiants, proches en apparence seulement, dénonçant la trivialité des supports que sont les papiers ou bordereaux ; ceci n’est pas sans surprendre les lecteurs car, dans un cas, lesdits papiers, en tant que porteurs d’une histoire d’amour brûlante et passionnée font l’objet d’une lutte acharnée entre détenteurs et prédateurs, et, dans l’autre, en tant que bordereaux, ils font signe vers des êtres humains. À première vue, cette nouvelle procède donc de ce que Duras a souvent revendiqué, à savoir l’appui sur des mots singuliers.

Toutefois, la transposition des Papiers d’Aspern, où l’intériorité psychique domine, en dialogues de théâtre, jouant avec l’intersubjectivité, n’a pu s’opérer que parce que les deux mots en question ne sont pas de même nature. Alors que le papier présente une double face, l’une triviale en tant que support mais l’autre sublime dans la mesure où les « papiers » décrivent un amour dans sa magnificence et sa puissance, un bordereau ne présente qu’une seule face, celle qui renvoie à l’ordinarité des comptes et des échanges. Comme dans Le Marchand de Venise, le bordereau suggère le rapport à l’argent, le désir de le faire fructifier, il est donc le symptôme de la marchandisation des rapports entre les êtres légitimant la possibilité d’un troc entre les personnes. Comme dans le texte de Shakespeare, il y aurait équivalence entre le remboursement de la dette et le prélèvement d’une livre de chair, et toutes les stratégies, la canaillerie et la tromperie se verraient autorisées. Dans cet esprit même, Juliana Bordereau ne demande-t-elle pas un loyer prohibitif à Jarvis – « Vous pourrez avoir autant de pièces que vous voudrez si vous êtes prêt à payer très cher »68 – et n’introduit-elle pas, de façon systématique, l’argent dans leurs échanges ? Par contraste, les papiers portent en eux la poésie, l’amour, le mystère, la grâce et, à ce titre, ils sont éminemment désirables. L’opposition hiérarchique entre ces deux mots fonde un potentiel conflictuel propice aux dialogues, puisque l’un des personnages est du côté des papiers, l’autre des bordereaux. En outre, par leur ambivalence même, ces mots qui jouent entre déflation et inflation, sacralisation et platitude ont pour particularité de brouiller les significations. Mais si l’importance des papiers est acquise pour les lecteurs puisqu’elle se lit dans le titre même de la nouvelle, il reste à comprendre l’importance des bordereaux.

Avec pour appui le mot Bordereau

Comme les biographes le rappellent volontiers, Henry James a vécu à Paris, a écrit sur Paris dans son roman Les Ambassadeurs et avait pour habitude de rédiger son courrier en français quand le besoin s’en faisait sentir. En conséquence, appeler plusieurs de ses personnages principaux Bordereau, nom à connotation française, n’était pas, disions-nous, totalement innocent.

Notons que James opère un glissement sur le nombre ; au départ, les bordereaux sont au pluriel ; dès le début de la nouvelle, il est fait référence aux demoiselles Bordereau perçues comme un tout, tant elles partagent un mode de vie identique. Dès lors est-il rappelé qu’elles demeuraient obscurément à Venise, avec de très modestes ressources, sans relation aucune, volontairement claquemurées dans un vieux palais au bord de la ruine. Ce n’est qu’ensuite que l’individuation interviendra. À la mort de Juliana, l’aînée, la seconde Bordereau, Tina, pourra enfin trouver une place, sa place et émerger en tant que Bordereau unique ayant une singularité marquée. Ce mot, bordereau, autre façon de nommer un morceau de papier, s’il évoque un relevé détaillé dans une comptabilité, n’est ni romantique, ni exaltant et ne transporte pas l’imaginaire au-delà du réel ; c’est pourquoi Tina, portant ce patronyme, se sent prédestinée à devenir une simple monnaie d’échange ; aussi propose-t-elle à Jarvis un troc : qu’il la prenne pour épouse et il possédera tous les bordereaux, aussi bien elle que les papiers d’Aspern.

En termes de bénéfice, si l’échange avait lieu, il serait l’occasion d’un nouveau départ pour les deux personnages, départ vers l’écrit pour l’un, vers la vie pour l’autre. Consciente des profits réciproques possibles, Tina présente l’offre suivante :

Si vous étiez de la famille, ce serait différent […]. Si vous n’étiez pas un étranger. […] Ce serait pour vous comme pour moi. Tout ce qui serait à moi serait à vous, vous pourriez en disposer. Je ne pourrais pas vous en empêcher et vous ne commettriez pas de faute. […] Je vous aurais tout donné et elle [Juliana] me comprendrait, et où qu’elle soit elle me pardonnerait69.

Comme Tina l’explicite clairement, un échange, à défaut d’amour, pourrait entre eux faire l’affaire, mais la proposition pour Jarvis s’avère impensable, voire effarante70 car pour lui il n’y a pas équivalence entre les bordereaux : « Si j’étais de la famille ?… […] Mademoiselle Tina !… Chère mademoiselle Tina !… Ce n’est pas possible… Ce n’est pas possible »71, répond Harry Jarvis.

Dans la version anglaise, l’absence d’équivalence est particulièrement soulignée car les mots employés font preuve d’un vérisme certain : « I could not accept. I could not, for a bundle of tattered papers, marry a ridiculous, pathetic, provincial old woman »72, pense Jarvis.

Toutefois ce rejet de la part de Jarvis appelle une interrogation rétrospective. Pour s’emparer des Papiers, n’avait-il pas de lui-même proposer devant Mrs Prest, de faire la cour à la plus jeune des Bordereau ? « To make love to the niece »73. Chez Jarvis, le mensonge oscille entre mensonge à soi et mensonge à l’autre. Refusant d’analyser en profondeur l’ambiguïté de son comportement, Jarvis en reste au niveau des affects. Offusqué74 par la suggestion osée de Tina, il s’éloigne d’elle, et sous le choc éprouve le besoin de prendre le large en gondole. Mais en même temps, en proie à l’émotion, il réévalue ses convoitises ; alors qu’ils étaient désirables, les bordereaux apparaissent désormais comme n’étant qu’un ramassis de papiers déchirés ne méritant aucune considération.

La valeur des documents variera donc en fonction des humeurs, des émotions et des perceptions quotidiennes de Jarvis. Le jour suivant, Jarvis, redevenu amoureux des papiers, sera prêt à reconsidérer la transaction présentée par Tina. Mais cette dernière, offusquée par son silence, les aura brûlés un à un. En prenant appui sur le mot français bordereau et le mot « paper » proche de papier, James révèle l’aspect scabreux et destructeur de la relation entre ces deux êtres. En jouant sur les deux signifiants, il fait évoluer les personnages à travers des situations délicates et violentes qui résultent d’une ambivalence langagière et qui pourtant ne peuvent se résoudre que par le langage. Cette pratique a rendu possible pour Michael Redgrave le passage d’une nouvelle écrite à la première personne à un échange dialogué entre des personnages autour d’une transaction simple : une permutation de bordereaux. Malheureusement, pour les deux protagonistes blessés, le troc n’aboutira pas. Comme nous le comprenons, le jeu avec le signifiant bordereau, opposé à celui de papier, introduira un surcroît de sens tout en relançant l’écrit par cette introduction d’un mot français dans la langue anglaise. À son tour, sensible aux frottements de la langue maternelle avec l’étrangeté d’une langue étrangère, Duras introduira dans sa prose des mots anglais. Ces écarts provoqués par un vocabulaire venu d’un pays autre permettent de rompre la linéarité syntaxique et sémantique de l’énoncé, tout en annonçant une poétique de l’évasion.

Pour les lecteurs, la nouvelle peut s’entendre à plusieurs niveaux, celui de la théorie littéraire, celui du bilinguisme, enfin celui de l’impact du vécu existentiel d’un écrivain sur sa langue.

C’est donc à partir d’un ailleurs de sa langue, ici, de la langue française, que James a écrit Les Papiers d’Aspern. À l’instar d’Aspern, le poète célébré de sa nouvelle, la langue maternelle de l’écrivain s’est métamorphosée sous l’effet de l’immersion dans un pays étranger et, dans la narration elle-même, si l’Italie a modifié en profondeur les poésies d’Aspern (« c’est l’Italie qui aura fait de lui le plus prestigieux des poètes américains »75), c’est la langue française qui contribue à donner à la nouvelle, complexité, profondeur et mystère. De cette hésitation entre plusieurs langues, le français, l’italien, James fera d’ailleurs un des outils principaux de son écriture, oscillant toujours entre un besoin profond de creuser la langue maternelle et celui, non moins vital, de détachement et de défamiliarisation d’avec la langue de son enfance. Il nous semble que dans Emily L. Duras a entendu ce dialogue jamesien entre les mondes, les langues76 et les auteurs.

L’importance du voyage, du cosmopolitisme, du silence, du secret et de Babel a été par elle reconnue et reproduite, puisqu’elle-même aura recours à certains de ces éléments dans son propre texte. Consciente de la portée des Papiers d’Aspern et de la résonance que cette nouvelle avait pour elle, elle a éprouvé le besoin de l’adapter, découvrant ainsi ce qui deviendra chez elle une pratique habituelle, la théâtralisation des fictions. La nécessité de pratiquer la transgénéricité lui a donné à penser que l’horizon d’une fiction peut être aussi théâtral. Finalement, s’il y a eu malentendu d’un des personnages durassiens à l’égard de la connaissance des histoires jamesiennes, l’entente avec l’écrivain d’origine américaine a été manifeste chez Duras au sens où elle a entendu silencieusement ses messages. L’autrice a été à leur écoute, même si elle ne s’en est pas ouverte au monde par des déclarations explicites et, à bien des égards, Les Papiers d’Aspern affirment leur présence silencieuse dans Emily L.

En somme, pour devenir celle qu’elle était, Duras se devait d’en passer par James car, avec lui, elle retrouvait la douleur liée aux amours invivables ; en outre, le texte jamesien, propice à différents passages, l’a inspirée et le critique littéraire qu’il était aura donné un appui théorique, même lointain, à sa pratique de l’écrit.

Notes

1 Voir Gilles Philippe, « Notice », in Marguerite Duras, Théâtre III [1984], Œuvres complètes, t. III, éd. par Gilles Philippe, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2014, p. 1828. Return to text

2 Ibid., p. 1839. Return to text

3 À titre d’exemple, dans son article « Henry James chez Duras ou l’image dans le tapis », Madeleine Borgomano considère que Duras a absorbé James à la façon dont un boa ingurgite ses proies, la préposition « chez » indiquant un rapport d’inclusion : « Henry James n’apparaît pas du tout chez Duras tel qu’en lui-même, mais tel que Duras l’a fait sien, dévoré et digéré par elle », in Les Lectures de Marguerite Duras, dir. par Alexandra Saemmer & Stéphane Patrice, Lyon, PUL, 2005, p. 86-88. Contrairement à Borgomano, nous pensons que le texte de James, parce qu’il n’est jamais clos, résiste à l’ingestion et à l’inclusion, car il traite de ce qui échappe et fait effraction. Le secret et son mystère empêchent le texte de se fermer. On peut à ce sujet lire également Kathryn Wichelns (Henry James’s Feminist Afterlives: Annie Fields, Emily Dickinson, Marguerite Duras, Londres, Palgrave Macmillan, 2018) : « Duras finds in James’s work a powerful expression of ‘l’écriture féminine’ […]. Emily Dickinson and Marguerite Duras both will come to be regarded as paragons of their respective national literatures; both also will be read by twentieth-century feminist scholars as epitomizing ‘feminine’ forms of writing. […] As an author born into the lower tiers of the colonial system in French Indochina who identified strongly with colonized ‘others’, Duras’s ambivalent relationship to France’s ongoing history of colonialism informs her use of emerging anticolonialist ideas of the period, in constructing her version of the cultural and linguistic encounter between James’s Anglo-American male narrator and two unplaceably foreign women living in Italy » (p. 10-11) ; « Duras presents “The Aspern Papers” as a feminist analysis of ethnic and linguistic alterity » (p. 127). Return to text

4 Ainsi, dans Écrire (1993), pour évoquer la solitude, Duras a-t-elle recours à la nuit : « Quand il y avait du monde j’étais à la fois moins seule et plus abandonnée. Cette solitude, pour l’aborder, il faut en passer par la nuit. Dans la nuit, imaginer Duras dans son lit en train de dormir seule dans une maison de quatre cents mètres carrés » (Œuvres complètes, t. IV, éd. par Gilles Philippe, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2014, p. 851). Return to text

5 Voir la déclaration de Jarvis : « Comme la plupart des Américains expatriés, je ne peux plus me passer de voyager » (Marguerite Duras, Les Papiers d’Aspern, Théâtre III, op. cit., p. 1338). Return to text

6 « Je dis que je ne pouvais pas être pareille aux Français de France après cette enfance » (Marguerite Duras, Emily L. [1987], Œuvres complètes, t. IV, op. cit., p. 422). Return to text

7 Voir notamment les Carnets de Henry James dans « Un portrait de femme » et autres romans, éd. par Évelyne Labbé, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2016. Return to text

8 Marguerite Duras, Emily L., op. cit., p. 460. Return to text

9 En vérité, le mot « invivable » appartient aussi à l’univers durassien. À titre d’exemple, dans Yann Andréa Steiner (1992), une relation ou un lieu peuvent être qualifiés « d’invivables » : « Oui. Un jour cela arrivera, un jour il vous viendra le regret abominable de cela que vous qualifiez “d’invivable”, c’est-à-dire de ce qui a été tenté par vous et moi pendant cet été 80 de pluie et de vent » (Œuvres complètes, t. IV, op. cit., p. 798) ; « C’était des lettres très courtes, des sortes de billets, c’était, oui, des sortes d’appels criés d’un lieu invivable, mortel, d’une sorte de désert » (ibid., p. 775). Return to text

10 Marguerite Duras, Emily L., op. cit., p. 460. Return to text

11 Loc. cit. Return to text

12 Eve Kosofsky Sedgwick, Épistémologie du placard, trad. de l’américain par Maxime Cervulle, Paris, éd. Amsterdam, 2008, p. 221. Return to text

13 Ibid., p. 211. Return to text

14 Voir Marguerite Duras, La Maladie de la mort, Œuvres complètes, t. III, op. cit., p. 1253-1272. Return to text

15 Id., « Épilogue », La Bête dans la jungle, Théâtre III, op. cit., p. 1317. Return to text

16 Henry James, Le Motif dans le tapis, La Bête dans la jungle, éd. bilingue de Julie Wolkenstein, trad. de l’anglais par Jean Pavans, Paris, Flammarion, « GF bilingue », 2004, p. 218. Return to text

17 Eve K. Sedgwick, Épistémologie du placard, op. cit., p. 220. Return to text

18 Marguerite Duras, Les Papiers d’Aspern, Théâtre III, op. cit., p. 1392-1393. Return to text

19 Id., Emily L., op. cit., p. 461. Return to text

20 « Je vous dis qu’à Venise ils doivent avoir une chambre » (ibid., p. 429). Return to text

21 « Vous n’écrivez pas parce que vous savez tout sur cette chose-là, cette chose tragique, d’écrire, de le faire, ou de ne pas le faire, de ne pas écrire, de ne pas pouvoir le faire, vous savez tout. Vous, c’est parce que vous êtes un écrivain que vous n’écrivez pas. Ça peut arriver » (ibid., p. 424). Return to text

22 Henry James, Hawthorne, trad. de l’anglais par Sophie Geoffroy-Menoux, Paris, José Corti, « En lisant en écrivant », 2000. Return to text

23 Marguerite Duras, Les Papiers d’Aspern, op. cit., p. 1338. Return to text

24 Loc. cit. Return to text

25 Loc. cit. Return to text

26 Marguerite Duras, La Pluie d’été, Œuvres complètes, t. IV, op. cit., p. 485. Return to text

27 Id., Emily L., op. cit., p. 403. Return to text

28 Poème sans titre d’Emily Dickinson (1830-1886), datant de 1890 et numéroté 258 par Thomas H. Johnson (The Poems of Emily Dickinson, Cambridge, Mass., The Belknap Press of Harvard University Press, 1955). Return to text

29 « Je me suis tournée vers vous et je vous ai dit tout bas le nom d’un écrivain américain. Mort. Suicide. Vous avez fait signe : Oui. C’était ça » (Marguerite Duras, Emily L., op. cit., p. 428). Return to text

30 Ibid., p. 404. Return to text

31 Ibid., p. 408. Return to text

32 Ibid., p. 410. Return to text

33 Marguerite Duras & Xavière Gauthier, Les Parleuses, Œuvres complètes, t. III, op. cit., p. 130. Return to text

34 Henry James, Le Motif dans le tapis, op. cit., p. 115. Return to text

35 Ibid., p. 53. Return to text

36 Loc. cit. Return to text

37 Ibid., p. 55. Return to text

38 Marguerite Duras, « La lecture dans le train », Le Monde extérieur, Œuvres complètes, t. IV, op. cit., p. 1018. Return to text

39 Duras, tout comme James, s’est efforcée de rencontrer le lecteur : « Un livre est difficile à mener, vers le lecteur, dans la direction de sa lecture » à partir de « l’inconnu qu’on porte en soi : écrire, c’est ça qui est atteint. C’est ça ou rien » (Écrire, op. cit., p. 849). Return to text

40 « Je ne pouvais pas m’en tirer, m’en sortir. Je vivais une sorte d’amour fou pour cette femme, et je recommençais toujours le même film, toujours le même livre, et je me suis dit : Il faut qu’elle meure. Voilà. Parce qu’elle m’a tellement atteinte. Dans Le Vice-consul, c’est une sorte de survivante, mais elle ne meurt pas, effectivement, tandis que là, il me semble dans India Song, il n’y a pas de doute, elle est morte, oui » (Marguerite Duras à Montréal, éd. par Suzanne Lamy & André Roy, Montréal, Spirale, 1981, p. 68). Return to text

41 Marguerite Duras par Marguerite Duras, Jacques Lacan, Maurice Blanchot, Dionys Mascolo et al., Paris, Albatros, « Ça-cinéma », 1979, p. 84. Return to text

42 Apostrophes, « Marguerite Duras », réal. par Jean-Luc Léridon, interview de Bernard Pivot, Paris, A2, diffusée le 28 sept. 1984. Return to text

43 Marguerite Duras par Marguerite Duras, op. cit., p. 84. Return to text

44 Marguerite Duras, Écrire, op. cit., p. 846. Return to text

45 Faut-il ajouter, de façon purement anecdotique, que le personnage principal de l’ouvrage de James, Les Ambassadeurs, livre que son auteur mettait au pinacle de ses réussites artistiques, se nomme lui aussi Strether, Lambert Strether. Si chez Duras, le nom de Stretter n’est pas totalement inventé mais s’appuie sur un nom déjà connu, celui de « Mme Élisabeth Striedter » (Les Yeux verts, Œuvres complètes, t. IV, op. cit., p. [659]), la coïncidence est néanmoins frappante. Tout comme Anne-Marie Stretter, Lambert Strether exercera un pouvoir lié au défaire de tous les attendus premiers des personnages. Return to text

46 1888 nous situe au milieu presque exact de la carrière de nouvelliste de James. Return to text

47 « The way my interest in the papers had become a fixed idea » (Henry James, Les Papiers d’Aspern, éd. bilingue de Julie Wolkenstein, trad. de l’anglais par Jean Pavans, Paris, Flammarion, « GF bilingue », 2002, p. 48). Return to text

48 Miss Claremont a été la maîtresse de Byron et la mère de leur fille Allegra. Sa nièce dénommée aussi Claremont aurait accepté de donner les lettres en contrepartie d’un chantage au mariage. Byron, figure tutélaire ayant vécu à Venise et ayant su mêler créativité et passions amoureuses, a été une référence littéraire importante pour James (voir Henry James, Carnets, Les Papiers d’Aspern, op. cit., p. 265). Return to text

49 Marguerite Duras, Les Papiers d’Aspern, op. cit., p. 1364. Return to text

50 Ibid., p. 1327. Return to text

51 Ibid., p. 1358. Return to text

52 Marguerite Duras, Emily L., op. cit., p. 436. Return to text

53 Ibid., p. 437. Return to text

54 Ibid., p. 448. Return to text

55 Marguerite Duras, « Réponses à Jean Versteeg », Le Monde extérieur : Outside 2, Œuvres complètes, t. IV, op. cit., p. 1077. Return to text

56 Marguerite Duras, Les Papiers d’Aspern, op. cit., p. 1333. Return to text

57 « Je vous dis qu’à Venise ils doivent avoir une chambre, ils doivent passer par là, comme tous les voyageurs au monde qui reviennent vers leur pays natal » (Marguerite Duras, Emily L., op. cit., p. 429). Return to text

58 « On les regarde. Tout à coup, ces gens, devant nous. Ils viennent de si loin, c’est incalculable. Arrivés là à la fin du dernier voyage, à la fin de la vie. C’est clair, c’est éclatant. Là, dans cette humilité d’avant la mort, ces voyageurs à nous donnés » (ibid., p. 413). Return to text

59 Marguerite Duras, Les Papiers d’Aspern, op. cit., p. 1325 et 1328, passim. Return to text

60 Ibid., p. 1329. Return to text

61 « Hypocrisy, duplicity are my only chance. I am sorry for it, but for Jeffrey Aspern’s sake I would do worse still » (Henry James, Les Papiers d’Aspern, op. cit., p. 60). Return to text

62 Marguerite Duras, Les Papiers d’Aspern, op. cit., p. 1372. Return to text

63 « But of that temple he and I regarded ourselves as the ministers. […] we had done more for his memory than anyone else, and we had done it by opening lights into his life » (Henry James, Les Papiers d’Aspern, op. cit., p. 52). Return to text

64 Voir Marguerite Duras, Les Papiers d’Aspern, op. cit., p. 1389 ; « She had an idea that when people want to publish they are capable – » And she paused, blushing. « Of violating a tomb? Mercy on us, what must she have thought of me! » (Henry James, Les Papiers d’Aspern, op. cit., p. 242). Return to text

65 Id., Les Papiers d’Aspern, op. cit., p. 1377. Return to text

66 Id., Emily L., op. cit., p. 434. Return to text

67 Marguerite Duras & Xavière Gauthier, Les Parleuses, op. cit., p. 7. Return to text

68 Marguerite Duras, Les Papiers d’Aspern, op. cit., p. 1344. Return to text

69 Ibid., p. 1389-1390. Return to text

70 Pensons à ce que la narratrice d’Emily L. dit à son compagnon : « Je vous ai dit que je vous aimais. Vous ne répondiez jamais à ce genre d’insanité » (Id., Emily L., op. cit., p. 462). Le parallèle entre Tina et Jarvis est manifeste. Return to text

71 Marguerite Duras, Les Papiers d’Aspern, op. cit., p. 1389-1390. Return to text

72 « Je ne pouvais pas accepter. Pour un ramassis de papiers déchirés, je ne pouvais pas épouser une vieille fille ridicule, provinciale et pathétique » (Henry James, Les Papiers d’Aspern, op. cit., p. 249). Return to text

73 « Faire la cour à la nièce » (ibid., p. 65). Return to text

74 « She had never doubted that I had left her the day before in horror » (« Elle ne doutait nullement que, la veille, je l’avais fuie avec horreur ») (ibid., p. 256). Return to text

75 Marguerite Duras, Les Papiers d’Aspern, op. cit., p. 1331. Return to text

76 L’italien n’est que peu utilisé dans la nouvelle de James, sauf pour évoquer l’architecture du palais, de façon technique (ainsi l’étage noble devient « piano nobile »), voir (Henry James, Les Papiers d’Aspern, op. cit., p. 57). Dans la création de Duras, la première réplique de Jarvis pour Tina sera en italien : « Per favore ! Il giardino… Mi faccia il piacere di dirmi quel giardino è suo ! » (Marguerite Duras, Les Papiers d’Aspern, op. cit., p. 1335). Return to text

References

Electronic reference

Françoise Barbé-Petit, « Entre entente et malentendu : Les reprises durassiennes de Henry James », Cahiers Marguerite Duras, [online], 1 – 2021, Online since 01 janvier 2021, connection on 19 septembre 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/cahiersmargueriteduras/171

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Françoise Barbé-Petit

Sorbonne Université
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